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Article de revue

Les communes nouvelles françaises (2010-2019) : une réforme territoriale silencieuse

Pages 57 à 85

Notes

  • [1]
    Cet article est basé sur les travaux présentés initialement dans le mémoire de Master 2 Géoprisme : Les communes nouvelles (2010-2017) : quelle « révolution du territoire » ?, soutenu en 2017 à l’Université Paris 7-Diderot, sous la direction de Renaud Le Goix (qu’il soit encore ici sincèrement remercié pour son encadrement et son soutien). Les détails méthodologiques y sont précisés.
  • [2]
    Une comparaison des communes nouvelles et des communes ayant procédé à une fusion dans le cadre de la loi Marcellin aurait été intéressante mais il n’existe pas, à notre connaissance, de cartes ou de travaux géographiques sur ce dernier point. Des études au cas par cas seraient aussi probablement fructueuses comme celui de Treigny (Yonne) qui, par son regroupement en commune nouvelle au 1er janvier 2019 avec Sainte-Colombe-sur-Loing, réitère la fusion-association de 1972 qui avait été défaite en 1976.
  • [3]
    Loi de réforme des collectivités territoriales www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2010/12/16/IOCX0922788L/jo/texte, voir le chapitre III sur les communes nouvelles.
  • [4]
    Le terme de « fusion », sans doute perçu comme trop radical, n’est pas celui utilisé, ni dans les textes législatifs ni par la majorité des acteurs. Il nous paraît cependant correspondre au phénomène.
  • [5]
    Loi 8 novembre 2016, proposée par B. Sido « Tendant à permettre le maintien des communes associées, sous forme de communes déléguées, en cas de création d’une commune nouvelle (1) » www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2016/11/8/ARCX1607690L/jo/texte.
  • [6]
    Source : https://www.insee.fr/fr/information/2549968 (consultée le 3 avril 2019).
  • [7]
    Cela exclut de nos analyses sur les différentes données socio-économiques les quelques communes ayant fusionné auparavant, soit 35 communes ayant créé 13 communes nouvelles.
  • [8]
    Une enquête a été menée en 2018 par Benjamin Bernot sous la coordination de l’AMF et de la Caisse des Dépôts. Elle portait sur 140 communes nouvelles (Bernot 2018).
  • [9]
    Propos tenus le jeudi 2 mars 2017 lors de la 3e rencontre des communes nouvelles organisée par l’AMF, en partenariat avec Mairie-conseils et la Caisse des dépôts.
  • [10]
    La loi NOTRe (Nouvelle Organisation du Territoire de la République, votée à l’été 2015) stipule qu’à partir du 1er janvier 2017, toutes les communes devront faire partie d’un EPCI (obligation depuis le 1er janvier 2014) mais aussi que ce dernier devra comporter au moins 15 000 habitants, le seuil étant jusqu’alors de 5 000 habitants. Cependant, un nombre non négligeable de dérogations existent (article L. 5210-1-1 du Code général des collectivités).
  • [11]
    La loi de finance pour 2016, par son article 150 qui prolongeait le délai, avait rendu ces avantages accessibles pour les communes nouvelles dont l’arrêté de création serait pris entre le 2 janvier et le 30 septembre 2016.
  • [12]
    La table d’appartenance utilisée a été, ici encore, celle au 1er janvier 2014. Par conséquent ne sont prises en compte que les communes ayant participé à une commune nouvelle après 2014, chefs-lieux exclus.
  • [13]
    Cf. cartes de l’IGN disponibles sur le site www.geoportail.gouv.fr.
  • [14]
    La Corse ne comportant aucune commune nouvelle, elle a été exclue de l’analyse et de la cartographie.
  • [15]
    Universitaire, membre du département de génie urbain de l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée, il s’exprimait en mars 2017 lors de la 3e rencontre des communes nouvelles organisée par l’AMF.
  • [16]
    Confirmée par un test du Chi², significativité au-delà au seuil de 0,0001.
  • [17]

1Les communes françaises sont sous le feu de critiques récurrentes et radicales : elles seraient en nombre trop élevé, d’une taille trop petite et composeraient une maille territoriale trop dense. Dans ce contexte a lieu depuis 2012 l’un des plus importants mouvements de réduction du nombre de communes depuis leur création. Plus de 2 500 communes y ont déjà participé, faisant passer la France métropolitaine de 36 568 communes au 1er janvier 2011 à 34 841 au 1er janvier 2019 [1].

2Ces transformations s’inscrivent dans une double dynamique. D’abord, une dynamique ancienne de regroupements communaux, amorcée en particulier avec l’intercommunalité de service de la fin du xixe siècle et poursuivie jusqu’à l’achèvement de la carte intercommunale dans des structures à fiscalité propre au début des années 2010. Le phénomène des communes nouvelles doit, justement, être vu par bien des aspects comme le prolongement de ce mouvement intercommunal tout en étant, par rapport à ce dernier, une alternative de plus en plus saisie. La seconde dynamique, plus récente, est le changement majeur de la décentralisation. Cette dernière s’est traduite par des réformes successives des collectivités locales, allant des lois Defferre des années 1980 aux législations plus récentes MAPTAM (2014) et NOTRe (2015).

3Le phénomène des communes nouvelles nous interpelle d’abord par son ampleur et son intensité qui, bien que limitées, sont inédites sur le temps long de la maille communale (Ozouf-Marignier et Verdier, 2013). Surtout, l’intérêt de son étude réside dans l’analyse de cette « révolution silencieuse » (Manable et Gatel, 2016) qui, malgré son caractère discret, pourrait préfigurer les futures évolutions des territoires locaux. Les communes nouvelles n’ont pas encore fait l’objet d’approches géographiques approfondies. Les travaux sur ce sujet sont principalement juridiques, surtout à destination des élus (Aubelle, 2016 ; Verpeaux et Pecheul, 2016) ou dans une optique d’études politiques (Frinault, 2017 ; Kada, 2017 ; Pasquier, 2017) ; la répartition du phénomène n’est en général décrite que superficiellement.

4La présente contribution développe deux aspects principaux. Le premier objectif est d’interroger les raisons de ces fusions et de les mettre en parallèle avec d’autres phénomènes, en particulier l’intercommunalité. Plusieurs acteurs locaux (principalement des maires) ont fait l’objet d’une enquête pour analyser leurs motivations et les discours mobilisés. En effet, alors qu’une grande partie des récentes évolutions de la carte des collectivités territoriales ont été pilotées ou très largement dirigées « par le haut », la procédure pour créer la commune nouvelle a la particularité d’être à l’initiative des élus locaux. Il s’agit donc de saisir comment les maires se sont emparés de cette opportunité de transformer le paysage institutionnel local.

5Le second objectif est de permettre, à l’aide d’une étude statistique et cartographique, une vision d’ensemble du phénomène, d’évaluer l’ampleur, les caractéristiques et les conséquences de la modification de la maille communale ; cela afin de mieux percevoir les mutations induites pour la gouvernance locale. Pour cela, l’ensemble des communes concernées ont fait l’objet d’une analyse exploratoire grâce aux données INSEE.

6À travers ces deux démarches, notre étude vise à caractériser, pour ces nouvelles entités, les conséquences en termes de dynamiques territoriales et de gouvernance locale. La création des communes nouvelles correspond-elle à une révolution territoriale ? Nous verrons d’abord que la commune nouvelle est une énième réponse à la critique de la maille communale (section 1) puis que ce phénomène, indissociable de l’intercommunalité, en diffère cependant et a des conséquences importantes sur la gouvernance (section 2). Nous terminerons en montrant que ce mouvement est spécifique jusque dans sa répartition et que les communes y participant ne correspondent pas nécessairement aux profils que l’on pourrait potentiellement attendre (section 3).

1.  Une « nouvelle » réponse à la critique chronique de la maille municipale

1.1.  Des communes sous le feu nourri de critiques séculaires

7Avec ses « 36 000 » communes (Delamarre, 1989), on peut dire sans euphémisme que l’organisation territoriale française essuie des critiques récurrentes ; on peut en citer deux principales. La première est que la France aurait un nombre trop important de strates administratives du fait d’un « empilement administratif » : les communes, intercommunalités, départements et régions constitueraient ce fameux « mille-feuille territorial » souvent présenté comme l’une des raisons de principe des réformes territoriales. L’autre critique, fondamentale ici, est relative au nombre très élevé des communes (Grison, 2009). Nombre élevé lié à une faiblesse démographique de ces dernières (au début des années 2010, environ la moitié des communes françaises comptaient moins de 500 habitants et 80 % en avaient moins de 2 000), ce qui pourrait nuire à l'« efficience » de ce territoire (Martins, 1995). Cette critique peut être considérée comme séculaire puisque dès les débats à l’Assemblée constituante en 1789, lors de la création de ces communes, les discussions s’étaient polarisées entre les partisans de « groupements d’action locale » qui auraient compté 3 000 à 4 000 habitants (Sieyès, Condorcet et Thouret par exemple) et ceux qui prônaient la reprise des paroisses, Mirabeau en étant le défenseur le plus célèbre (Offner, 2006 ; Petitet, 1998). Cette dernière option l’ayant emporté, ce sont plus de quarante mille communes qui ont été instituées pendant la période révolutionnaire. Depuis cette époque, la volonté de réduire le nombre de commune est revenue de manière répétée ; plutôt que de parler de « révolution » ou de chercher un hypothétique moment de crise, certains auteurs préfèrent donc assimiler ce discours à une « maladie chronique » (Ozouf-Marignier et Verdier, 2013).

8Pour analyser, voire argumenter, les modifications de la taille et du nombre des communes, un autre champ de réflexion a été mobilisé. À la suite de modèles issus de l’économie (Buchanan, 1965 ; Tiebout, 1956), la théorie des clubs a ainsi été utilisée pour interpréter la gestion de certaines municipalités, principalement périurbaines (Charmes, 2011). L’un des apports de ces travaux a été de montrer que la petite taille de certaines communes leur permettait de se positionner, dans une logique concurrentielle, comme délivrant un ensemble de services dédiés aux ménages ayant les moyens de s’installer sur leur territoire. Ce qui n’était pas nécessairement une critique normative dans la démarche a conduit néanmoins à la description de pratiques exclusivistes comme « accentuant la spécialisation sociospatiale du périurbain et [étant] de nature ségrégationnistes » (Charmes, 2011, p. 88). Dans cette logique, le regroupement de ces petites communes permettrait de limiter ce phénomène en rendant plus complexe et moins payante politiquement la mise en place de politiques exclusivistes efficaces. La question des recompositions de la maille communale a, enfin, été étudiée au prisme des mouvements de consolidations métropolitaines (Dolez et Paris, 2004 ; Jouve et Lefèvre, 2002 ; Le Galès et Lorrain, 2003).

9La comparaison avec la situation d’autres pays européens est également fréquemment avancée pour fonder la nécessité d’une réforme territoriale d’ampleur (Bonnet-Pineau et Vandermotten, 2016). Un chiffre souvent présenté est que la France regroupe environ 40 % des communes (ou échelons comparables) de l’Union européenne (UE) pour environ 15 % de la population. Cela donne ainsi de nombreux arguments à ceux qui voient dans cette situation française un particularisme sans intérêt, voire une illustration de l’incapacité française à s’adapter aux nouvelles exigences d’administration des territoires. Notre but n’est pas ici de proposer une comparaison sur les organisations territoriales européennes ; le peu d’intérêt qu’il y a à considérer la situation française comme une « exception » a bien été montré (Grison, 2016). Cela dit, de nombreux pays européens ont réduit drastiquement leur maille communale dans la deuxième moitié du xxe siècle, période pendant laquelle la France a connu une diminution très limitée, que nous allons maintenant préciser.

1.2.  Un maillage municipal peu transformé sur le temps long, malgré plusieurs initiatives

10Il serait faux de considérer la trame des communes françaises comme absolument immuable et inchangée depuis l’origine. En effet, depuis leur création à partir des paroisses ecclésiastiques durant la Révolution française, les communes ont connu des variations, tant en créations que suppressions, mais inégales en fonction des époques. Ainsi, entre 1790 et le début des années 2010, le nombre de communes est passé de 40 000 à 36 700 communes, soit une diminution d’environ 8 % (Ozouf-Marignier et Verdier, 2013). La très grande majorité de ce mouvement a eu lieu juste après la création des communes et jusqu’en 1851 : pendant cette période, on passe de 40 000 à 36 800 communes. Une cinquantaine de communes disparaît alors chaque année, en particulier car leur gestion paraît trop complexe, tant d’un point de vue humain que financier (Ozouf-Marignier et Verdier, 2013). En revanche, depuis la fin du xixe siècle – années 1970 exclues – les modifications ont généralement été marginales par rapport à la masse des communes (Edelblutte, 2000).

11Cette inertie du nombre d’entités municipales ne signifie pas une absence de politiques sur ce sujet (nous reviendrons plus loin sur le phénomène de l’intercommunalité, qui n’est pas à proprement parler une politique de réduction du nombre de communes). Le début des années 1970 fut ainsi une période de considérables recompositions : en 1971, une loi incite les communes françaises à se regrouper ; cette loi dite « Marcellin », propose une « fusion-association » qui permet aux communes de conserver une certaine marge d’autonomie. Le nombre de fusions s’élève, entre 1971 et 1977, à 838 fusions faisant intervenir 2 045 communes (Tellier 2017). Cependant, le législateur ayant introduit la possibilité de revenir en arrière pour limiter les craintes de certains, une partie des « communes Marcellin » se défont par la suite, conduisant à un succès bien plus limité puisqu’entre 1950 et 2014, le nombre de communes n’a baissé que d’à peine 5 % en lien avec le rétablissement de plus de deux cents communes (Pires Beaune, 2014) [2].

12C’est devant cette faible réduction du nombre de communes que la loi du 16 décembre 2010 [3] a été élaborée dans le but, ambitieux, d'« engager une réforme profonde de l’organisation territoriale de la France ». Elle crée le statut de « commune nouvelle », qui poursuit la restructuration de la carte des collectivités locales et territoriales (elle-même parachevée par les lois NOTRe et MAPTAM appliquées en 2015-2016) mais en donnant une importante latitude aux élus locaux, sur qui repose en particulier l’initiative du « regroupement » [4].

13Dans le but de privilégier les fusions entre communes et pour lever les réticences des élus ou des habitants à voir disparaître le périmètre du plus petit échelon local, le législateur a introduit une spécificité, principale particularité du statut de commune nouvelle : les « communes déléguées ». Cette possibilité répondait visiblement à une attente puisque 708 communes nouvelles, soit 91 % des communes créées, s’en sont saisies. Ces communes déléguées permettent à l’ancien territoire de perdurer, et ce à plusieurs niveaux. D’une part, les communes déléguées conservent un édile dédié, le maire délégué, qui reste officier d’état civil et de police judiciaire. Ancrage symbolique non négligeable, les actes civils de naissance, mariage ou décès peuvent ainsi mentionner le nom de l’ancienne commune. D’autre part, d’un point de vue de gouvernance, des conseils des communes déléguées sont maintenus, bien qu’uniquement consultatifs. D’une certaine manière, une partie des prérogatives et symboles de l’attachement aux territoires locaux restent donc à l’échelle des anciennes communes, mais sans le maintien de réels pouvoirs de décision.

14Pour être tout à fait complet, il faut préciser que la loi dite « Sido » [5], permet à des communes associées (issues de la loi Marcellin) de le demeurer dans le cas de la création d’une commune nouvelle, devenant alors communes déléguées (cet intérêt législatif pointant d’autant plus la pertinence d’une mise en regard des deux phénomènes). Enfin, on note que le législateur a tiré les leçons du mouvement des années 1970 où les fusions avaient été suivies de retours en arrière. Dans le cas des communes nouvelles, aucune « défusion » n’est prévue par la loi. Des communes nouvelles qui souhaiteraient se séparer devraient repasser par la lourde procédure de création d’une commune entièrement inédite.

1.3.  Une double approche pour étudier les communes nouvelles

15Nous avons choisi d’avoir, d’une part, une approche statistique, sur la totalité des communes nouvelles, et, d’autre part, une approche par deux terrains, en Normandie et en Savoie (choisis car des opportunités personnelles y permettaient un contact facilité avec les élus).

16Devant le nombre important de communes nouvelles créées depuis l’année 2015, l’INSEE a proposé chaque année une « Table de passage » [6] permettant de savoir, pour chaque commune ayant fusionné dans l’année précédente, le code INSEE et le nom de la commune nouvelle dont elle faisait désormais partie. À partir de cela, un traitement statistique a été possible en compilant les données des différentes années (en postulant, de ce point de vue, une unité du phénomène). Des biais statistiques existent et des choix méthodologiques ont dû être faits, en particulier dans des cas limites comme des fusions successives (39 communes nouvelles se sont constituées en plusieurs étapes, généralement deux ; on a préféré considérer que la commune nouvelle avait été créée en une fois) ou une annulation (un seul cas depuis 2012). Précisons qu’après avoir établi une table de manière aussi satisfaisante que possible, des difficultés se sont fait jour au moment de croiser ces données avec d’autres, par exemple sur les aspects socio-économiques ou tout simplement démographiques de chaque commune puisqu’une partie des communes disparaissaient justement des statistiques chaque année. Nous avons donc utilisé les chiffres de la série historique « 2012 » qui prend comme base la géographie administrative de 2014 [7].

17Concernant nos recherches menées sur le terrain, une enquête a été réalisée entre janvier 2016 et mars 2017 auprès de 17 élus et acteurs de la vie des collectivités en Savoie (communes appartenant à la Communauté de communes des Versants d’Aime, cf. Figure 1) et en Normandie (communes appartenant à la communauté de communes du Bocage de Passais, désormais fusionnée dans la communauté de communes Andaine-Passais, cf. Figure 2). Il s’est agi d’entretiens semi-directifs passés en direct ou par téléphone, pour entendre la parole de maires, de conseillers municipaux ou encore d’acteurs en lien avec les élus (préfecture ou agences de conseil). Le nombre d’acteurs interrogés ne permet pas (et ce n’était pas l’objectif) d’avoir des résultats exhaustifs ni même un traitement quantitatif [8] mais cela apporte un éclairage concret venant de deux territoires aux problématiques différentes. Les communes du Bocage de Passais sont en effet des communes hors d’influence des pôles urbains, se trouvant dans une situation de déprise rurale à travers le vieillissement de la population et une fragilité de la base économique, malgré des initiatives pour tenter de relancer l’attractivité et le dynamisme communal. La Communauté de communes des Versants d’Aime se trouve, elle, dans une vallée très touristique, la Tarentaise. Il peut ainsi y exister un décalage entre un nombre d’habitants parfois faible, voire en diminution, et un budget ainsi que des projets communaux bien plus importants. L’économie et les politiques locales sont tournées vers les sports d’hiver, mais aussi vers une valorisation plus large, y compris par le tourisme estival.

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Fig. 1

Carte de la communauté de communes des Versants d’Aime (Savoie)

Merged municipalities in the Communauté de communes des Versants d’Aime (Savoie)

Carte de la communauté de communes des Versants d’Aime (Savoie)

Carte de la communauté de communes des Versants d’Aime (Savoie)

Merged municipalities in the Communauté de communes des Versants d’Aime (Savoie)

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Fig. 2

Carte de l’ancienne communauté de communes du Bocage de Passais (Orne)

Merged municipalities in the former Communauté de communes du Bocage de Passais (Orne, Normandy)

Carte de l’ancienne communauté de communes du Bocage de Passais (Orne)

Carte de l’ancienne communauté de communes du Bocage de Passais (Orne)

Merged municipalities in the former Communauté de communes du Bocage de Passais (Orne, Normandy)

2.  Une transformation entre approfondissement de l’intercommunalité et changement d’échelle

20Si le but affiché de la loi sur les communes nouvelles était de rationaliser la carte municipale et de limiter le nombre de petites communes, ce sont d’autres argumentaires qui ont été principalement mobilisés par les acteurs.

2.1.  Les communes nouvelles : par bien des aspects, une poursuite de l’intercommunalité…

21Le mouvement des communes nouvelles ne peut être dissocié de celui de l’intercommunalité. Pour reprendre les mots de F. Baroin (président de l’AMF et maire de Troyes), « Il s’agit bien de la création d’une commune nouvelle, mais c’est un fait intercommunal » [9]. Ce dernier, amorcé à la fin du xixe siècle par des syndicats intercommunaux ayant pour but la gestion de services, a conduit à l'« achèvement » de la carte intercommunale, la quasi-totalité des communes françaises appartenant aujourd’hui à une intercommunalité à fiscalité propre (Bazoche, 2013 ; Boino et Desjardins, 2009 ; Desjardins, 2006 ; Mainguené et Sebbane, 2017 ; Steckel-Assouère et al., 2014).

22La création de communes nouvelles est ainsi souvent présentée comme l’aboutissement des mises en commun initiées dans les intercommunalités, de quelque type que ce soit. Les « déterminants » abordés au moment de la réalisation des intercommunalités (cf. Desjardins, 2016, p. 33-34, qui cite l’histoire locale de la coopération intercommunale, les déterminants fiscaux ou le calcul d’opportunité politique) ont été remobilisés et on peut considérer que les avancées qui avaient eu lieu dans le cadre de l’intercommunalité ont été mises au crédit de la réalisation d’une commune nouvelle.

23

« Après tout, on se regroupe dans les intercommunalités ; pourquoi nos villages ne seraient-ils pas regroupés et n’en formeraient pas plus qu’un ? »
(J.-L. Boch, maire de la commune nouvelle de La Plagne-Tarentaise, Savoie, 17 août 2016)

24De plus, les réflexions menées par les maires en vue des fusions de communes ont souvent été élaborées à l’intérieur des EPCI. Des études prospectives étaient presque systématiquement réalisées par des cabinets de conseil ; elles portaient généralement sur la question fiscale et étaient lancées à l’intérieur des intercommunalités, expliquant la permanence de cette trame.

25Le second élément est une question de géopolitique locale. En effet, au sein des EPCI, des rapports de force s’exercent entre les communes. Par conséquent, créer à plusieurs une commune nouvelle permettait d’acquérir une place plus importante au sein de l’EPCI et de représenter, en tant qu’une seule commune, un poids éventuellement incontournable. Cela a pris une acuité croissante avec les regroupements d’intercommunalités dus au relèvement des seuils (consécutifs à la loi NOTRe) [10]. Cette permanence des liens intercommunaux au moment de la création des communes nouvelles se retrouve sur l’ensemble des communes nouvelles françaises. En prenant comme repère la situation au 1er janvier 2014, alors que toutes les communes étudiées étaient membres d’un EPCI, seules 113 communes (4,5 % des communes fusionnantes) se sont regroupées avec une commune chef-lieu appartenant à un autre EPCI. Au contraire, 1 599 communes ont fusionné avec une commune de leur EPCI (cf. table 2, section 2.3). À noter que ces chiffres sont a minima puisque certains EPCI s’étaient déjà regroupés depuis 2014 : simplement entre 2016 et 2017, le nombre total d’EPCI à fiscalité propre avait diminué de 39 % (Mainguené et Sebbane, 2017).

26La commune nouvelle, comme prolongement de l’intercommunalité, a enfin souvent été présentée comme une poursuite de la mutualisation de ressources ou de compétences dont on peut mettre en avant deux exemples concrets. Ainsi, A. Neveu (maire délégué de L’Épinay-le-Comte, dans l’Orne, septembre 2016), présentait la fusion comme un moyen de mener à bien le projet de création d’une maison d’accueil « pour les aînés ». En Savoie, c’était plutôt la mutualisation des investissements concernant les stations qui était envisagée. À plus court terme, les maires évoquaient la possibilité, en se regroupant, de faire baisser les coûts de fonctionnement des municipalités. Les avantages escomptés portaient ainsi sur le volet des ressources humaines et des compétences des personnels municipaux, en lien avec la complexité de certaines tâches administratives et réglementaires dévolues aux maires. Des édiles, souvent démunis et potentiellement fragilisés dans l’exercice de leur fonction, ont accueilli favorablement ces regroupements permettant de mutualiser les fonctions techniques.

27

« On avait un problème d’instruction des dossiers. […] En étant en commune nouvelle, à plusieurs, on aura plutôt des spécialistes […] en comptabilité, en urbanisme, en travaux. Et donc on rassemble ces forces. Et on prend des chefs de service qui sont plutôt capables dans tel domaine […].
Alors qu’en commune version 2015 […] nous étions 5-6 dans les bureaux administratifs, certains sujets ne pouvaient pas être instruits ici. Est-ce qu’il nous fallait un degré d’instruction élevé ? Oui, dans certains dossiers. J’ai eu des permis de construire annulés dans le dernier mandat ».
(A. Favre, maire délégué de Bellentre, Savoie, 18 août 2016)

2.2.  … mais aussi une mutation plus profonde que la seule poursuite de ce phénomène : un changement de gouvernance communale ?

28La création des communes nouvelles ne peut cependant pas, à notre avis, être réduite à une simple étape dans l’approfondissement intercommunal. Un certain nombre d’éléments pointent, dans ce changement, une réelle rupture. On peut citer le contexte général de transformation de la gouvernance, les enjeux fiscaux et enfin un phénomène venu en grande partie du terrain.

29Il est nécessaire, avant d’en étudier les raisons, de caractériser le changement qu’a représenté la fusion pour les territoires concernés : les communes ayant participé au mouvement ont connu une transformation considérable. Ainsi, la population moyenne est passée d’un peu moins de 1 000 habitants à plus de 3 200 tandis que la superficie moyenne, de 15 km² avant les regroupements, est d’environ 50 km² pour les communes nouvelles. Pour les communes concernées, le changement a été sensible et le saut d’échelle conséquent. Si elle a été, pour reprendre l’expression évoquée plus haut, « silencieuse », c’est surtout car cette « révolution » est restée modeste : 2 508 communes y ont participé depuis le 1er janvier 2012, soit 6,9 % de l’ensemble pour représenter, en tout, moins de 4 % de la population métropolitaine.

30Cette création des communes nouvelles peut, tout d’abord, être vue comme la réponse aux problèmes posés par des évolutions générales de l’administration territoriale française. Dans un contexte de décentralisation et de désengagement de l’État d’un certain nombre de sujets, la très grande responsabilité du maire est vue comme un fardeau potentiellement trop lourd pour des communes aux moyens limités. La décentralisation conduit les collectivités à assumer des responsabilités croissantes, dans un contexte général de complexification du droit concernant toute une série de sujets, et en particulier l’aménagement. Les maires se sentent de plus en plus démunis face aux connaissances juridiques et techniques que nécessitent les projets aujourd’hui (cf. section 2.1). Les élus voient aussi leur position changer avec la commune nouvelle, passant d’une situation de quasi bénévoles ayant à régler eux-mêmes les menus travaux communaux à un rôle de personne publique, davantage tournée vers la gestion d’équipes et les prises de décisions politiques.

31Un autre élément de contexte est une tendance aux restrictions budgétaires de l’État, qui a des conséquences directes sur les collectivités. Ces dernières ont ainsi des objectifs de réductions des dépenses et la mise en place d’économies d’échelle fait désormais partie de leur vocabulaire usuel. Un des transferts financiers importants entre l’État et les communes a été particulièrement touché : la DGF (Dotation Globale de fonctionnement). Depuis 2011, les années de gels et de baisse se sont enchaînées, particulièrement entre 2014 et 2017 où la DGF pour le bloc communal a baissé d’environ 30 % (La Gazette des Communes, 2019). L’une des motivations principales pour la fusion découle justement de l’effet d’aubaine sur cette DGF qu’a instauré, à partir de 2013, le législateur. Voyant que seules quelques dizaines de communes s’étaient regroupées, des avantages votés en 2013 avec la loi de finances pour 2014 dans son article 133 (proposé par J. Pélissard) prévoyaient que les communes nouvelles de moins de 10 000 habitants ne subiraient pas la baisse de la DGF. L’incitation a été élargie par la loi du 16 mars 2015, « relative à l’amélioration du régime de la commune nouvelle, pour des communes fortes et vivantes » qui stipulait que les communes nouvelles de moins de 10 000 habitants (ou fusionnant sur le périmètre d’un ou plusieurs EPCI à fiscalité propre), ne seraient pas soumises à la baisse de la DGF, cette dotation étant même majorée de 5 % pour celles ayant plus de 1 000 habitants. Ces avantages présentaient un effet d’aubaine, car réservés aux communes qui s’engageaient rapidement dans le processus [11]. L’avantage a été reconduit en décembre 2017 puis 2018 pour des fusions jusqu’au 1er janvier 2021. De fait, tous les maires rencontrés et qui avaient décidé de créer une commune nouvelle l’ont fait dans la période allant de décembre 2013 au milieu de l’année 2016, leur permettant ainsi de bénéficier de l’incitation financière à la fusion. Lors de tous les entretiens, la question a été abordée et les maires ont admis que cela avait été déterminant.

32

« C’était l’incitateur à court terme qui nous permettait de dire : « C’est le moment de le faire, c’est le moment d’avancer, c’est le moment de changer. » Et derrière, il sera possible d’avoir tellement de revalorisation dans nos territoires… »
(J.-L. Boch, maire de La Plagne – Tarentaise, Savoie, 17 août 2016)

33Derrière cette « revalorisation dans nos territoires » se trouve l’affirmation d’un projet, élément systématiquement présenté comme le but principal du regroupement communal. On retrouve un vocabulaire bien rodé, venant en particulier des transformations de l’aménagement, passant d’une logique de guichet à une logique de projet (Alvergne et Taulelle, 2002). On souhaite y afficher (parfois avec une certaine vacuité) « un processus démocratique, concerté, ouvert et indéterminé » (Pinson, 2005). Cette position des maires a été récurrente dans les entretiens : la fusion ne peut se faire sur des bases uniquement financières, mais doit reposer, avant tout, sur un réel « projet de territoire » ; idée associée systématiquement au fait que la commune en question a bien un tel projet (même si son explicitation était parfois laborieuse) et que les autres n’en ont pas. Ainsi, lorsqu’étaient évoquées les raisons des fusions, la question de la DGF venait très rapidement dans la discussion, mais les maires souhaitaient insister sur le fait que ce n’était pas l’élément principal de leur prise de décision. La discussion était alors fréquemment reportée vers des « projets de territoires », « projets de vallée », visées à plus long terme, et surtout avantages qui pouvaient être tirés de la mise en commun.

34Les incitations fiscales et la création de projets communs ressemblent beaucoup aux transformations décrites à propos des intercommunalités (Boino et Desjardins, 2009). Mais une différence fondamentale réside dans la disparition de tout pouvoir à l’échelle des anciennes communes. Dans le cas des EPCI, même à fiscalité propre, la maille municipale reste déterminante pour un certain nombre de choix et, en particulier, pour les élections : les intercommunalités font perdurer le pouvoir des maires même si le débat a parfois pu être présenté comme « confisqué » (Desage et Guéranger, 2011, 2013). Ce n’est pas le cas des communes nouvelles où les décisions maintenues à l’échelle des communes déléguées (s’il y en a) sont avant tout symboliques ou à visée consultative (cf. section 1.2).

35On peut, comme dernier élément différenciant le phénomène intercommunal de celui des communes nouvelles, insister sur la logique davantage bottom-up – venant du terrain – de ce dernier. En effet, bien que les intercommunalités se soient, au départ, construites sur la base du volontariat (l’État ayant, finalement, un rôle de plus en plus prescriptif), le cadre législatif avait été majoritairement du fait de l’État central. C’est nettement moins le cas concernant les communes nouvelles pour lesquelles les gouvernements successifs ont certes été favorables aux évolutions, mais n’en ont pas été à l’initiative. Il faut insister sur le rôle de personnalités clés, avec en particulier la figure emblématique du député-maire (ou tout au moins élu local et national), car ces acteurs ont grandement participé à l’évolution du cadre législatif (ce dernier ayant majoritairement émané de propositions de loi, d’origine parlementaire). C’est le cas de Jacques Pélissard (député-maire de Lons-le-Saunier et ancien président de l’AMF, auteur de plusieurs amendements sur ces questions à l’Assemblée nationale), Christine Pires Beaune (députée du Puy-de-Dôme et rapporteuse à l’Assemblée nationale), Bruno Sido (sénateur de la Haute-Marne et auteur de la loi citée plus haut), Michel Mercier (sénateur et maire de Thizy-les-Bourgs, cette commune ayant été l’une des premières communes nouvelles, créée au 1er janvier 2013) ou encore Françoise Gatel (sénatrice d’Ille-et-Vilaine, auteure d’un rapport parlementaire sur les communes nouvelles et d’une proposition de loi évoquée plus loin).

36Au-delà des évolutions législatives ou financières (qu’on pourrait considérer comme conjoncturelles) et toujours dans une logique de prise de décision dans les territoires locaux, la fusion a parfois été considérée par certains maires comme une fatalité à moyen ou long terme. De nombreux acteurs ont évoqué la crainte que la possibilité de se regrouper, sur la base du volontariat aujourd’hui, devienne obligatoire demain. Officiellement, l’État n’a jamais annoncé vouloir prendre ce type de décision, mais les élus ont bien en tête l’évolution de l’intercommunalité, désormais obligatoire alors qu’elle ne l’était pas lors de son lancement. Dans ce contexte, le choix de se regrouper est vécu comme un réel acte volontaire et non comme la seule conséquence de pressions externes. Les maires ont conscience de prendre une décision importante et irrévocable, mais surtout pleinement nécessaire au vu des défis que rencontrait leur commune, préférant être perçus « comme précurseurs et pas comme opportunistes » (un maire ne souhaitant pas être nommé).

37

« C’est parce qu’on pouvait continuer tout seul qu’on a fait un choix ».
(L. Hureau, maire délégué de Montgirod, Savoie, le 14 février 2017)

38Cette volonté d’initiative s’est retrouvée dans le choix de la totalité des maires interrogés (et de la très grande majorité de l’ensemble des communes nouvelles) de ne pas passer par la voie référendaire sur cette question. Ainsi, les maires ont considéré que le mandat qui leur avait été confié leur donnait le devoir de prendre les décisions s’imposant, y compris si ce choix était, on l’a dit, quasiment irrévocable ; et ce même s’il n’avait pas été évoqué lors de la campagne municipale. Dans un contexte général de questionnement de la démocratie représentative (dont la médiatisation est certes postérieure aux entretiens), cette prise de position ne paraît pas avoir suscité une indignation particulière ou en tout cas pas de manifestations en ce sens. Au contraire, on pourrait concevoir que ces décisions d’amélioration des capacités des communes à partir d’une action lancée par ces acteurs eux-mêmes permettent de proposer une nouvelle dimension à la notion d’empowerment dont la généalogie et la multiplicité des sens laissent des perspectives de transposition (Bacqué et Biewener, 2015). Ainsi, l’opportunité (à la fois fiscale et statutaire) proposée par le législateur nécessitait que ce soient les acteurs des territoires qui s’en saisissent, ce qui a été fait par plus de 2 500 communes, conduisant à des modifications importantes, par exemple des périmètres.

2.3.  La transformation des périmètres communaux : une mise en cohérence avec les territoires vécus ?

39Pour citer à nouveau F. Baroin, s’exprimant dans le même cadre que précédemment, « Ce sont les bassins de vie qui ont créé les conditions de l’avancement de la coopération entre les communes. » Cette affirmation laisse penser que les intercommunalités, voire les communes nouvelles, se seraient construites de manière cohérente avec les territoires vécus et pratiqués par les populations. La création des communes nouvelles conduisant à la modification des cartes institutionnelles, on peut s’interroger sur les liens entre découpages administratifs et territoires vécus, sujet ayant fait l’objet de travaux antérieurs aux communes nouvelles (Bleton-Ruget et al., 2006). Pour chaque commune fusionnante, nous nous sommes donc demandé si elle appartenait, ou non, au même ensemble que la commune chef-lieu [12]. Plusieurs « zonages de savoir » (zonage en aires urbaines, bassins de vie et zones d’emploi) ont d’abord été étudiés, pour évoquer ensuite certains « zonages de pouvoir » (Terrier, 2017).

Tab. 1 - L’appartenance des communes fusionnantes à différents zonages

Affiliation of merging municipalities to different zonations

Appartenance identique de la commune fusionnante et du chef-lieuOuiNonTotal
Nombre%Nombre%Nombre%
Appartenance à la même ZAU (2010)[a]78065,3341434,671194100
Appartenance au même Bassin de vie (2012)132377,2838922,721712100
Appartenance à la même Zone d’emploi (2010)158092,291327,711712100
L’appartenance des communes fusionnantes à différents zonages

Tab. 1 - L’appartenance des communes fusionnantes à différents zonages

a. Sont exclues de ce compte les communes fusionnantes étant « hors influence des pôles » ou fusionnant avec des chefs-lieux l’étant (le codage de l’INSEE ne permettant pas de distinguer leur appartenance).

Affiliation of merging municipalities to different zonations

Tab. 2 - L’appartenance des communes fusionnantes à différents territoires

Affiliation of merging municipalities to different territories

Appartenance identique de la commune fusionnante et du chef-lieuOuiNonTotal
Nombre%Nombre%Nombre%
Appartenance au même EPCI1 59993,41136,61 712100
Appartenance au même canton de ville1 46485,5124814,491 712100
Appartenance au même arrondissement1 65396,55593,451 712100
Appartenance au même département1 70899,7740,231 712100
Appartenance à la même région1 71199,9410,061 712100
L’appartenance des communes fusionnantes à différents territoires

Tab. 2 - L’appartenance des communes fusionnantes à différents territoires

Affiliation of merging municipalities to different territories

40On observe que, d’une manière générale, le mouvement des communes nouvelles n’opère pas un redécoupage associé aux périmètres qu’on peut considérer comme « territoires vécus » ou « zonages de savoir ». Le cas de la commune nouvelle de Passais-Villages en est une illustration (cf. Figure 2) puisqu’elle regroupe des communes fusionnantes n’appartenant pas au même bassin de vie : Passais d’un côté (tournée vers le nord et donc l’Orne), L’Épinay et Saint-Siméon de l’autre (polarisées davantage par la Mayenne, cette dernière se trouvant immédiatement au sud). Les difficultés, pour certaines administrations, à gérer des territoires ne correspondant pas à des espaces de vie ne vont donc pas nécessairement se trouver amoindries par la création des communes nouvelles. En mettant en regard les chiffres concernant les territoires administratifs ou institutionnels, on s’aperçoit que ces éléments ont été bien plus déterminants.

41On a, en effet, une très grande permanence des périmètres qu’on peut appeler institutionnels ou administratifs. On ne peut pas comparer les chiffres terme à terme car ils recoupent des territoires de dimensions très variables mais on perçoit nettement la persistance, en premier lieu, des périmètres intercommunaux (cf. section 2.1), puis des circonscriptions administratives. Ainsi, la trame de ces dernières fait encore ressortir des choix effectués, parfois plusieurs dizaines d’années auparavant et sur des engagements souvent autres comme des syndicats intercommunaux ou des intercommunalités bien moins approfondies qu’aujourd’hui. La permanence du canton (bien que plus faible que celle des autres territoires) est également éclairante, d’autant qu’il a été montré la pertinence de la prise en compte de cet échelon territorial (Lagadec et al. 2009). Dans le cas étudié en Savoie, la question a été posée au maire de Landry (ayant envisagé mais pas concrétisé de rejoindre la commune de La Plagne-Tarentaise) et l’ancien canton est ressorti, en palimpseste, par le biais de l’intercommunalité. Précisons que Landry appartient à la communauté de communes des Versants d’Aime mais est polarisée par une autre centralité (Bourg-Saint-Maurice) concernant le ZAU et le bassin de vie (cf. Figure n° 1).

42

« G. Bideau : Les notions d’aires urbaines, est-ce quelque chose que vous avez envisagé pour prendre votre décision ?
Maire de Landry : Cela n’a pas été envisagé parce que nous sommes en communauté de commune sur l’ancien canton d’Aime [périmètre ayant perduré dans la communauté de communes des Versants d’Aime]. […] On a émis un jour le doute sur le bien-fondé d’être en communauté de commune avec Aime plutôt que Bourg-Saint-Maurice. Maintenant c’est clair que le bassin-versant économique est plus axé sur Bourg-Saint-Maurice que sur Aime. Les gens de Landry ils vont à Bourg-Saint-Maurice, ils ne vont pas à Aime.
G. Bideau : Mais ce n’est pas entré en ligne sur une question de regroupement.
Maire de Landry : Non ».
(T. Marchand-Maillet, maire de Landry, 16 août 2016)

43Enfin, de manière analogue aux échanges de territoires parfois évoqués dans un contexte métropolitain (Fitria et Charmes, 2014), les communes nouvelles ont pu accentuer des incohérences entre territoires vécus et limites communales. Ainsi, la commune de La Côte d’Aime avait toute latitude administrative de se regrouper soit avec Macôt-la-Plagne, soit avec Aime, puisqu’il suffit d’un point de contact pour que la commune nouvelle puisse être créée (il faut un ensemble contigu et sans enclaves). Or, d’un point de vue très concret, du fait des infrastructures routières, le lien avec Aime était beaucoup plus pertinent. En effet La Côte d’Aime se trouve sur un versant, Macôt-la-Plagne sur l’autre, et le passage obligé entre les deux est bien la commune et le bourg d’Aime [13]. Le maire de La Côte d’Aime a concédé un lien plus fort avec Aime plutôt qu’avec Macôt. En revanche, il a expliqué que si le lien identitaire était très présent avec Aime (visible ne serait-ce que par le nom), les relations économiques étaient plus importantes avec l’autre commune, une partie des Côterains travaillant sur la station de La Plagne, majoritairement sur le territoire de Macôt. Des considérations financières et la question des relations interpersonnelles ont également probablement joué. Cela a eu des conséquences induites pour la commune de Valezan qui, au vu de ses limites administratives, était obligée de se raccrocher à la commune nouvelle que rejoignait La Côte d’Aime. On peut citer ici le maire délégué de Valezan, évoquant les commentaires de certains de ses administrés :

44

« Il y a quelques personnes plus jeunes qui ont dit « On est d’accord, mais ce n’est pas logique qu’on aille sur Macôt, nous on veut aller sur Aime parce qu’on passe par Aime, on va y faire nos courses. Quand on descend, on passe par Aime, ou de l’autre côté on va sur Bourg-Saint-Maurice, mais on descend plus souvent sur Aime. » Donc il y avait un aspect géographique qui leur paraissait évident ».
(P. Gonthier, 16 février 2017)

45Ainsi, les périmètres de réalisation des communes nouvelles ne sont pas en passe, tant s’en faut, de supprimer ni même forcément de réduire les décalages entre limites administratives et territoires vécus.

2.4.  Une naissance difficile dans un environnement administratif complexe

46La mise en place des communes nouvelles a souvent été difficile, rendue complexe par des délais restreints et des incertitudes réglementaires.

47La réalisation des communes nouvelles s’est ainsi faite selon un calendrier souvent très serré voire à marche forcée, pour obtenir les incitations fiscales. Cela a pu représenter des obstacles, des difficultés parfois mal vécues, par exemple devant l’ampleur des sujets à traiter.

48

« G. Bideau : Dans le cadre de la création de la commune nouvelle, qu’est-ce qui a posé le plus de problèmes, ou mis le plus de temps ?
Maire délégué de Valezan : Je crois que c’est global. […] Si je réfléchis bien, je ne peux pas dire que c’est tel point ou tel point. Je crois que c’est cette lourdeur globale. […] Tout cela, ce n’est pas facile à vivre avec des gens qui sont surchargés de travail et qui doivent s’adapter ».
(P. Gonthier, 16 février 2017)

49Pour A. Neveu (maire délégué de L’Épinay-le-Comte, septembre 2016), la difficulté est venue du fait de tout mettre sur la table, systématiquement, parfois de manière laborieuse. Des questions comme la mise en réseau informatique, les débats sur les ouvertures des mairies déléguées, etc., tout le fonctionnement a dû faire l’objet de discussions et d’une nouvelle organisation. La question de la gestion du personnel a également été très souvent épineuse.

50Ce discours a parfois été contredit par un autre, montrant la fusion comme un processus relativement aisé. On peut, à ce propos, évoquer la voix de P. Lavault (directeur du service « Collectivités territoriales et Démocratie locale » à la préfecture de Savoie, le 17 février 2017) qui, fréquemment interrogé par les maires, a pourtant considéré, sur la base des retours positifs qu’il avait eus, que « Tout [s’était] bien passé ». Il n’est pas aisé de dire si cela relève d’une non-communication entre les élus et la préfecture ou d’un choix de certains acteurs de ne pas diffuser les difficultés auxquelles ils ont été soumis. Face à cette complexité, les élus ont très fréquemment fait appel à des cabinets de conseil ou à des organismes spécifiques pour réaliser des études prospectives. Ces dernières portaient généralement sur les taux d’imposition, les possibilités de lissages (plusieurs scénarios étant autorisés par la loi) ou encore les conséquences de la fusion sur les budgets et les dotations. Au-delà de difficultés inhérentes à une transformation territoriale, la création de la commune nouvelle était visiblement doublée d’une difficulté à obtenir des informations claires et fiables, ce qui interroge évidemment sur la capacité – pour ne pas dire le souhait – de l’État de soutenir les collectivités.

51

« Il y a même eu des erreurs, des erreurs. Pour vous dire à quel point c’était compliqué, on n’avait pas la même lecture si on questionnait la préfecture ou si on questionnait la sous-préfecture. C’est malheureux ».
(J.-L. Boch, 17 août 2016)
« Il y a eu un cabinet juridique qui a apporté son assistance et il y a eu l’État : il y avait les services de l’État en préfecture et ça n’a pas été triste. Parce que, compte tenu que c’était nouveau […], on est allé chemin faisant avec l’avocat qui disait quelque chose, les services de l’État qui disaient autre chose… Un coup c’était l’avocat qui avait raison, un coup c’étaient les services de l’État. Chemin faisant, je peux vous dire que ça a été un petit peu compliqué ».
(P. Gonthier, 16 février 2017)

52Au-delà des difficultés de réalisation, des réticences existaient envers le projet de créer une commune nouvelle. En particulier, la crainte la plus fréquente était d’être dominé dans un trop grand ensemble où la commune historique ne compterait plus. Ainsi, D. Boulent (maire de Saint-Mars-d’Égrenne, le 6 septembre 2016) ne souhaitait pas fusionner avec Passais car « On va se faire bouffer » (il envisagera un regroupement avec une autre commune voisine, Saint-Roch-sur-Égrenne, pour 2018, le conseil municipal de cette dernière refusant finalement). Dans un contexte de mutations importantes à plusieurs échelons (évolutions des EPCI, fusions des régions, évocations de la suppression des départements…), le thème de la « perte d’identité » a également été évoqué à de nombreuses reprises, en lien avec ce contexte général. Le terme de « fusion » que nous utilisons a, justement, parfois été révoqué par les acteurs avec lesquels nous nous sommes entretenus. Ainsi, lors de l’entretien et alors que la fusion était toute récente, F. Guesnon (conseiller municipal de L’Épinay-le-Comte, le 16 juillet 2016) expliquait que le terme de « fusion » ne lui paraissait pas adapté, pas avant les prochaines élections. D’une certaine manière, la permanence des équipes municipales des anciennes communes (le cas le plus fréquent, car sur l’ensemble des 527 communes nouvelles créées jusqu’en 2017, seules 13 ont choisi de recomposer leur conseil municipal) a pu être perçu comme une forme de transition, l’échéance finale étant les élections municipales de 2020.

53Dans le cas de regroupements de communes de poids parfois inégaux et devant la crainte qu’une commune s’accapare tout le pouvoir et tous les investissements, de très nombreuses communes nouvelles ont choisi de rédiger une charte. Celle-ci, indicative et sans valeur légale, avait comme avantage de mettre par écrit quelques règles de gouvernance. Ce type de texte à valeur performative a sans doute été un facilitateur, car rassurant. La rédaction de ce document était à la fois un vecteur de coopération, l’occasion d’affirmer un projet, voire un objet de fierté dans l’affichage d’une bonne gouvernance locale.

Retranscription de la charte de la commune nouvelle de Passais Villages (extraits)

La présente charte a pour objectif d’acter l’esprit qui a animé les élus fondateurs ainsi que les principes fondamentaux qui vont s’imposer aux élus en charge de la gouvernance, tant pour la commune nouvelle que des communes déléguées.
Les Objectifs :
– ASSURER une meilleure représentativité du territoire et de ses habitants auprès de l’État, des Collectivités et Établissements Publics, tout en respectant une représentation équitable des communes fondatrices au sein de la commune nouvelle et une égalité de traitement entre les habitants des communes déléguées.
– MAINTENIR un Service Public de proximité au service des habitants du territoire en regroupant tous les moyens humains, matériels et financiers des trois communes afin de faciliter le développement cohérent et équilibré de chaque commune fondatrice et d’instaurer un respect des intérêts des habitants et une bonne gestion des deniers publics.
– CONFORTER et DÉVELOPPER l’attractivité du territoire en matière d’habitat, d’économie (commerce, artisanat, agriculture) et culture.
– PORTER les projets que chaque commune prise isolément n’aurait pas pu réaliser.
– PRÉSERVER le patrimoine communal historique, touristique et culturel.

54Cette gouvernance peut d’ailleurs être interrogée en observant le rôle pris par les habitants, d’après les élus (qui ont été les principaux décisionnaires, cf. section 2.2). Nous l’avons dit, aucune des communes que nous avons étudiées n’a choisi de décider la création de la commune nouvelle sur la base d’un référendum ; cependant, toutes ont mis en place des réunions publiques pour informer la population.

55

« Je m’attendais à 200-300 personnes dans la salle et, je vais vous étonner mais c’est dramatique, et je l’ai dit au micro d’ailleurs : on a fait moins de monde qu’aux vœux du maire parce qu'[alors] il y avait la galette des rois. Voilà, c’était une réalité ».
(A. Favre, 18 août 2017)

56Ce témoignage désabusé est représentatif de ce qu’ont pu évoquer nos interlocuteurs : dans l’ensemble, des habitants peu opposés à la fusion mais surtout, tout compte fait, peu impliqués. Alors que ce changement est vu comme décisif par les élus, ce n’est pas forcément le cas de la population, un maire allant jusqu’à déclarer de manière très lapidaire : « tant que le clocher est tenu, les gens s’en foutent ». Évidemment, ne faisons pas l’impasse sur la précaution méthodologique consistant à dire que, les maires étant très actifs pour la fusion, ils n’auraient pas eu à cœur de mettre en avant les oppositions au projet. Cependant, les autres sources (consultation de la presse locale et discussions informelles avec certains habitants) ont été cohérentes avec leurs déclarations. On peut, de plus, faire le postulat que, dans les communes où l’opposition a été plus virulente, la fusion ne s’est pas faite (par exemple, pour reprendre notre terrain, entre Landry et Peisey-Nancroix).

57Ce sont plutôt des encouragements que les maires préfèrent évoquer en parlant des habitants. Par exemple, le fait que des comportements attendus (la réticence de personnes âgées à des changements comme celui de la maille communale) ne se réalisent pas. Ainsi, à Valezan, ce sont les « anciens » (il s’agit du vocabulaire du maire) qui ont mobilisé la mémoire collective, rappelant des solidarités et liens avec les communes rejointes (en particulier l’existence d’un cimetière commun, où différents hameaux étaient représentés). À l’Épinay-le-Comte, les élus ont davantage perçu l’attachement à la commune historique dans la bouche de « jeunes ».

58D’une manière générale, le mouvement des communes nouvelles mérite, dans son ensemble, de s’extraire de certaines hypothèses préconçues concernant sa répartition ou les communes y participant.

3.  Un phénomène inédit, touchant des communes variées

59La géographie étant considérée comme « science » sociale, certains peuvent être tentés de lui demander d’énoncer des règles (ou tout au moins des régularités) permettant de saisir le réel. Si une lecture spatiale des phénomènes sociaux est évidemment à la fois pertinente et éclairante, le risque, dont les auteurs sont bien souvent conscients, est de tomber dans des discours simplificateurs voire caricaturaux (voir, par exemple, Géoconfluences 2018). Le phénomène des communes nouvelles pourrait, sans une étude un peu précise, être victime de préjugés similaires. En effet, la réduction du nombre de communes étant souvent présentée comme la conséquence d’une trop petite taille ou d’une forme de déclin de ces entités, on pourrait penser que cela déterminerait le profil des communes fusionnantes. De fait, plusieurs hypothèses de ce type méritent d’être interrogées. Ainsi, on pourrait tout d’abord penser que la création du statut de communes nouvelles a conduit les élus à accélérer les fusions (H 1). D’autre part, pour décrire les communes concernées par les regroupements, une possibilité serait qu’il existe un profil type de la commune rejoignant une commune nouvelle (H 2). Cela permettrait de tracer des parallèles entre la répartition des communes nouvelles et d’autres phénomènes (H 2.1) et que seraient concernées, surtout de très petites communes d’un point de vue démographique (H 2.2), venant prioritairement des espaces ruraux (H 2.3).

3.1.  Une chronologie guidée par l’incitation fiscale plutôt que par l’innovation statutaire

60Entre le 1er janvier 2012 (date des premières créations) et le 1er janvier 2019, 774 communes nouvelles ont vu le jour. Cependant, on est loin d’un mouvement uniforme, en particulier d’un point de vue chronologique, comme le montre le tableau suivant

Tab. 3 - L’évolution des créations de communes nouvelles (2012-2019)

Changes and developments in the creation of new municipalities (2012-2019)

PériodeCommunes fusionnantes (A)Communes nouvelles créées ou modifiées (B)Moyenne
(A/B)
Part de la phase sur l’ensemble des modifications
1er janvier 2012 → février 201335132,71,6 %
1er janvier 2015 → 1er janvier 20161 1263283,440,1 %
2 janvier 2016 → 1er janvier 20176702003,424,5 %
2 janvier 2017 →
1er janvier 2018
97372,64,5 %
2 janvier 2018 → 1er janvier 20196262392,629,3 %
Total2 554817[a]3,1100,0 %
L’évolution des créations de communes nouvelles (2012-2019)

Tab. 3 - L’évolution des créations de communes nouvelles (2012-2019)

a. Somme différente des 774 communes nouvelles créées au total car les fusions successives ont été notées chaque année par l’INSEE au même titre que les créations.

Changes and developments in the creation of new municipalities (2012-2019)

61Ces rythmes variables s’expliquent en grande partie par les avantages fiscaux dédiés aux communes nouvelles (moteur primordial de ces regroupements, cf. section 2.2). Ces derniers, on l’a dit, n’ont été mis en place qu’à partir de 2014, ce qui se traduit par des créations l’année suivante (les fusions datées du 1er janvier d’une année n ont généralement été prévues à l’année n – 1). L’incitation fiscale a, par la suite, été interrompue pour l’année 2017 et remise en place ensuite, ce qui se retrouve dans la chronologie. Il faut, enfin, préciser que les années d’élections municipales limitent fortement les créations de communes nouvelles puisque les circonscriptions électorales ne doivent pas être modifiées l’année précédant une élection et que le renouvellement plus ou moins important des équipes municipales nécessite, tout au moins, un rythme différent durant ces périodes concernant des décisions aussi importantes (c’est particulièrement visible pour les années 2013 et 2014).

62Cette chronologie permet ainsi d’invalider l’hypothèse H 1 « La création du statut de communes nouvelles a conduit les élus à accélérer les fusions » et de lier la fluctuation du nombre de communes nouvelles non pas à l’existence de ce statut mais bien aux avantages fiscaux qui paraissent avoir été déterminants pour faire basculer la décision des élus.

63

« – Avez-vous été sensible, par exemple, à la création du statut de commune nouvelle ?
– Pas du tout. »
(Échange avec P. Gonthier, maire délégué de Valezan, Savoie, 16 février 2017.)

64Il semble néanmoins que la possibilité de créer des communes déléguées a permis de désamorcer de potentielles oppositions en permettant à certains élus de conserver une place spécifique, de rassurer également sur le maintien d’une gestion à l’échelle des anciennes communes.

3.2.  Une répartition spécifique, entre concentration dans certaines régions mais aussi dissémination

65La répartition des communes nouvelles en France métropolitaine [14] traduit un effet régional très marqué (Figure n° 3). Les départements de l’Ouest en particulier présentent une forte concentration de communes nouvelles (la Manche, le Calvados, le Maine-et-Loire, l’Eure et l’Orne regroupent plus d’un quart des opérations totales, et près du tiers avant la publication des chiffres au 1er janvier 2019). Si on additionne les vingt départements les plus importants (issus principalement de Normandie, des Pays-de-la-Loire, des régions alpines et du sud du Massif Central), on arrive à plus de 60 % des communes nouvelles créées. L’effet d’agrégation et d’appartenance à des aires régionales ou à des périmètres locaux paraît particulièrement net dans ces régions : les communes nouvelles y forment parfois un ensemble presque continu. Un département emblématique est celui du Maine-et-Loire, où 38 communes nouvelles ont été créées, se disposant en auréole autour d’Angers.

66
Fig. 3

Les créations de communes nouvelles entre 2012 et 2019 (01)

Creation of new municipalities between 2012 and 2019 (01)

Les créations de communes nouvelles entre 2012 et 2019 (01)

Les créations de communes nouvelles entre 2012 et 2019 (01)

Les premières communes nouvelles datent de 2012. L’adjonction de (01) signifie que seul le 1er janvier de l’année concernée est pris en compte.

Creation of new municipalities between 2012 and 2019 (01)

67On observe également des éléments bien plus dispersés, des communes nouvelles presque isolées. Ainsi, les communes créées au 1er janvier 2013 l’ont été dans des départements comptant aujourd’hui majoritairement moins d’une dizaine de communes nouvelles. Cette dissémination a été inégale selon les phases, la dernière (fusions pendant l’année 2018 ou au 1er janvier 2019) ayant par exemple été marquée par une plus grande dispersion.

68Dans les régions de forte présence des communes nouvelles mais aussi dans de nombreux autres cas, on observe une dynamique de diffusion de proche en proche, autour d’expériences pionnières. Cette logique peut s’expliquer par deux phénomènes. Tout d’abord, l’information par les communes nouvelles a beaucoup circulé entre élus de territoires voisins. Ainsi l’AMF (Association des Maires de France) a certes organisé des sessions nationales (cinq « Rencontres des communes nouvelles » se sont tenues jusqu’à ce jour) mais aussi et surtout régionalement. Dans ces dernières, des parlementaires ayant été à l’origine de textes législatifs sur ces sujets ont eu un rôle important et ce, sans qu’il n’y ait forcément de lien avec leur circonscription d’élection. Ainsi, l’ASADAC (Agence Savoyarde d’Aménagement, de Développement et d’Aide aux Collectivités, ayant un rôle proche des actuelles agences techniques départementales) a par exemple organisé une matinée d’information sur ce sujet, pour les élus du département. Bien que ce temps ne soit pas, d’après son directeur, un « plaidoyer en faveur des communes nouvelles », le seul fait d’avoir Michel Mercier (parlementaire très impliqué sur cette question) comme invité principal est une preuve de l’incitation qui y était proposée. Les informations pouvaient également circuler, parfois de manière informelle, lors de rencontres à l’intérieur de structures intercommunales ou d’associations spécifiques comme l’ANEM (Association Nationale des Élus de Montagne). Il faut enfin rappeler que les élus ont des canaux de communication spécifiques et des publications dédiées, qui ont abondamment renseigné et informé sur la question des communes nouvelles : on peut penser à Mairie-conseils (devenue Territoires-conseils) ou aux magazines Journal des maires et Maires de France, que ce soit par le biais de brochures ou d’informations diffusées sur Internet (AMF ; Territoires Conseils).

69La diffusion de proche en proche peut aussi s’expliquer non pas dans une optique de partage d’expériences mais plutôt dans une logique de concurrence, concernant les rapports de force avec les territoires voisins (cf. section 2.1).

70Enfin, il ne faudrait pas croire que le phénomène des communes nouvelles est dissocié des anciennes fusions : certaines des communes concernées ont déjà connu des regroupements. À ce propos on peut citer la fusion pionnière ayant créé Cherbourg-en-Cotentin, poursuite du projet initié à la fin des années 1990 par l’ancien maire d’Octeville, député puis ministre d’État Bernard Cazeneuve. On peut également citer six communes nouvelles créées au 1er janvier 2019 mais qui maintiennent, en communes déléguées, des communes associées héritées de la loi Marcellin. Cependant, si on observe plusieurs cas de communes nouvelles s’appuyant sur des fusions antérieures, la répartition engagée depuis les années 2010 ne correspond pas, à l’échelle nationale, à celle des transformations sur le temps long (Ozouf-Marignier et Verdier, 2013, p. 274). Pour Vincent Aubelle [15], il y a un lien entre la surreprésentation de l’Ouest dans les créations des communes nouvelles et les démarches de territoires de projets ou de mise en commun par l’intercommunalité. Il cite ainsi des initiatives d’un éventail très large allant des coopératives de matériel agricole à l’intercommunalité relancée des années 1990 en passant par la politique des pays. Si cette hypothèse apporte des éléments de contexte pour comprendre la dynamique des communes nouvelles concernées, elle demeure insuffisante sur deux aspects. D’une part, elle explique mal les localisations extérieures à cet « Ouest » (d’ailleurs très inégalement touché). D’autre part, elle omet la quasi-absence de communes nouvelles dans des régions très actives lors du développement des EPCI, comme par exemple le nord de la France (Chaboche, 2001).

71Ainsi, il y a peu d’éléments permettant de tracer des parallèles entre la répartition des communes nouvelles et d’autres phénomènes.

3.3.  Des analyses statistiques qui ne permettent pas de dégager un profil type

72À partir de la base de données constituée (cf. section 1.3) et de ressources statistiques, nous avons pu observer les caractéristiques des communes fusionnantes et tester plusieurs hypothèses.

73Par exemple, nous avons envisagé la question du personnel politique disponible (on rappelle que cela avait été une des causes des nombreuses disparitions de communes au début du xixe siècle). Au moment des élections municipales de 2014, plusieurs dizaines de communes étaient restées sans candidats, le ministère en avait d’ailleurs publié la liste. On aurait pu imaginer qu’elles seraient, pour une large part, engagées par la suite dans une fusion. Or, sur les 62 communes finalement concernées, seules 11 (18 %) ont participé à une commune nouvelle, ce qui fait un pourcentage certes plus élevé que les communes fusionnantes dans l’ensemble national (6,9 %), mais qui ne permet pas du tout d’en faire un lien systématique.

74Nous avons également étudié la répartition des communes dans les différents types de ZAU en fonction de leur participation, ou non, à une commune nouvelle (cf. Table n° 4). On y observe tout d’abord des pourcentages relativement proches entre les deux catégories, mais avec cependant des écarts plus importants dans les classes extrêmes. Cette relation entre appartenance à une catégorie de ZAU et la probabilité de fusionner est significative [16] et permet d’écarter l’hypothèse d’indépendance de ces deux variables. On en conclut donc une probabilité plus forte de trouver les communes fusionnantes parmi les communes multipolarisées ou hors influence des pôles et plus faible dans les communes des grands pôles mais, cependant, dans des proportions qui ne nous permettent pas du tout de valider l’hypothèse H 2.3 « Les communes nouvelles sont présentes prioritairement dans les espaces ruraux ».

Tab. 4 - Répartition des communes fusionnantes en fonction du ZAU

Distribution of merging municipalities by designated urban area

Type de ZAU (2010)Commune fusionnante
NonOui
111 : Commune appartenant à un grand pôle (10 000 emplois ou plus)9,2 %3,0 %
112 : Commune appartenant à la couronne d’un grand pôle33,8 %30,8 %
120 : Commune multipolarisée des grandes aires urbaines10,8 %11,8 %
211 : Commune appartenant à un pôle moyen (5 000 à moins de 10 000 emplois)1,2 %1,05 %
212 : Commune appartenant à la couronne d’un pôle moyen2,1 %2,9 %
221 : Commune appartenant à un petit pôle (de 1 500 à moins de 5 000 emplois)2,3 %3,6 %
222 : Commune appartenant à la couronne d’un petit pôle1,6 %1,1 %
300 : Autre commune multipolarisée19,0 %21,9 %
400 : Commune isolée hors influence des pôles19,9 %23,9 %
Total100 %100 %
Répartition des communes fusionnantes en fonction du ZAU

Tab. 4 - Répartition des communes fusionnantes en fonction du ZAU

Distribution of merging municipalities by designated urban area

75Concernant le poids démographique des communes, on perçoit une surreprésentation, dans les communes fusionnantes, des communes les moins peuplées (celles ayant moins de 200 habitants exceptées) sans que ce soit, pour autant, une condition ni nécessaire ni suffisante : si le phénomène des communes nouvelles touche davantage les communes ayant entre 200 et 5 000 habitants, il ne s’y limite pas et ne les touche pas toutes.

Tab. 5 - Les communes fusionnantes en fonction de leur population

Merging municipalities by population

Population (2012)Commune fusionnante
NonOui
Moins de 200 habitants25,9 %24,5 %
200-500 habitants28,2 %32,0 %
500-1 000 habitants19,2 %19,7 %
1 000-5 000 habitants21,0 %21,4 %
5 000-10 000 habitants3,1 %1,7 %
Plus de 10 000 habitants2,6 %0,8 %
Total100 %100 %
Les communes fusionnantes en fonction de leur population

Tab. 5 - Les communes fusionnantes en fonction de leur population

Merging municipalities by population

76D’autres hypothèses ont été testées, concernant par exemple le potentiel fiscal pour évaluer la richesse des habitants mais aussi les ressources des communes, les taux de variation démographiques pour envisager les dynamiques de peuplement ou encore les répartitions par catégories socio-professionnelles pour avoir une vision des populations présentes. Aucun des éléments n’a été déterminant : trouver des éléments qui ont une significativité statistique est possible, mais pas de liens systématiques. D’une manière générale, les moyennes des communes fusionnantes ressemblent aux moyennes des communes n’ayant pas participé à une commune nouvelle, la dispersion (plus restreinte pour les communes fusionnantes) faisant la véritable différence entre ces deux répartitions statistiques. On peut aller jusqu’à rejeter l’hypothèse H 2 : « Il existe un profil type de la commune rejoignant une commune nouvelle. »

77La poursuite du travail d’analyse statistique consistera en l’évaluation des similitudes ou différences qui existent entre les communes fusionnantes, mais à l’intérieur de chaque commune nouvelle. Cela permettra peut-être de dégager des catégories pour différencier les regroupements entre, par exemple, plusieurs communes homogènes dans une logique de solidarité, ou au contraire une commune-centre polarisant sa périphérie.

4.  Conclusion : quelles perspectives pour cette « révolution silencieuse » ?

78La création des communes nouvelles, qualifiée de « révolution silencieuse », a conduit à un changement conséquent pour les entités concernées mais limité dans la proportion des communes touchées. L’échelon municipal n’a certes jamais été figé, mais le mouvement qu’il connaît actuellement le recompose de manière importante. En s’appuyant sur le phénomène, plus ancien, de l’intercommunalité, des modifications profondes ont lieu. Le mouvement paraît dans tous les cas original dans sa répartition et ne pas permettre de dégager un profil type de commune fusionnante.

79Ce phénomène des communes nouvelles n’ayant, pour l’instant, touché qu’une minorité des communes françaises, une question qui se pose est celle de sa poursuite. D’après la majorité des acteurs interrogés, les raisons qui ont conduit à créer des communes nouvelles étant toujours présentes, la vague des communes nouvelles pourrait perdurer, ce mouvement de fond répondant au satisfecit de l’AMF lors des rencontres organisées sur le thème des communes nouvelles, saluant une réforme « venue du terrain ». On observe effectivement que des acteurs historiquement opposés aux politiques tendant à réduire le pouvoir ou le nombre des communes, sont aujourd’hui facilitateurs dans ce processus. Ce changement d’attitude radical pourrait d’ailleurs être interrogé comme preuve d’une influence finalement limitée puisqu’on n’observe pas, à ce jour, une différence extrême en comparant l’ampleur des mouvements de fusions entre les années 1970 et les années 2010, alors que pendant les fusions Marcellin l’AMF avait été sur la défensive et qu’elle est aujourd’hui motrice pour les communes nouvelles.

80Au final, ce sont surtout les réussites ou les difficultés que rencontreront les communes nouvelles – en particulier avec l’échéance des élections municipales de 2020 – qui pourraient susciter de nouvelles vocations ou, au contraire, refroidir certaines ardeurs. Outre cela, deux éléments pourraient avoir une influence considérable sur l’éventuelle poursuite des regroupements. D’une part, on l’a déjà évoqué, l’un des principaux moteurs des communes nouvelles a été l’incitation fiscale, et on peut se demander quel en sera le sort dans le futur. D’autre part, ce qui n’est pour l’instant qu’une proposition de loi pourrait modifier considérablement l’architecture des collectivités locales [17] : cette dernière, portée par la sénatrice Françoise Gatel, permettrait en effet à certaines communes nouvelles de recevoir un statut spécifique, les dédouanant en particulier de l’obligation d’appartenir à une intercommunalité (la proposition de loi a été votée par le Sénat et devrait être soumise à l’Assemblée nationale courant 2019 mais, bien que validée par le gouvernement, elle ne paraît pas prioritaire dans l’organisation du travail parlementaire). Elle représenterait une nouvelle donne tant pour les recompositions locales que pour l’organisation territoriale générale.

81Si le phénomène des communes nouvelles est relativement récent, il représente, dans tous les cas, un mouvement à bas bruit qui se doit d’être étudié pour comprendre les dynamiques territoriales françaises. Il s’agit d’un réel mouvement de recomposition et ces évolutions ne sont pas sans conséquences sur les modes de gouvernance, ne serait-ce que par la croissance de cet échelon déterminant qu’est la maille communale.

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Mots-clés éditeurs : réforme territoriale, fusions de communes, communes nouvelles, maires, acteurs locaux

Date de mise en ligne : 19/08/2019.

https://doi.org/10.3917/ag.728.0057

Notes

  • [1]
    Cet article est basé sur les travaux présentés initialement dans le mémoire de Master 2 Géoprisme : Les communes nouvelles (2010-2017) : quelle « révolution du territoire » ?, soutenu en 2017 à l’Université Paris 7-Diderot, sous la direction de Renaud Le Goix (qu’il soit encore ici sincèrement remercié pour son encadrement et son soutien). Les détails méthodologiques y sont précisés.
  • [2]
    Une comparaison des communes nouvelles et des communes ayant procédé à une fusion dans le cadre de la loi Marcellin aurait été intéressante mais il n’existe pas, à notre connaissance, de cartes ou de travaux géographiques sur ce dernier point. Des études au cas par cas seraient aussi probablement fructueuses comme celui de Treigny (Yonne) qui, par son regroupement en commune nouvelle au 1er janvier 2019 avec Sainte-Colombe-sur-Loing, réitère la fusion-association de 1972 qui avait été défaite en 1976.
  • [3]
    Loi de réforme des collectivités territoriales www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2010/12/16/IOCX0922788L/jo/texte, voir le chapitre III sur les communes nouvelles.
  • [4]
    Le terme de « fusion », sans doute perçu comme trop radical, n’est pas celui utilisé, ni dans les textes législatifs ni par la majorité des acteurs. Il nous paraît cependant correspondre au phénomène.
  • [5]
    Loi 8 novembre 2016, proposée par B. Sido « Tendant à permettre le maintien des communes associées, sous forme de communes déléguées, en cas de création d’une commune nouvelle (1) » www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2016/11/8/ARCX1607690L/jo/texte.
  • [6]
    Source : https://www.insee.fr/fr/information/2549968 (consultée le 3 avril 2019).
  • [7]
    Cela exclut de nos analyses sur les différentes données socio-économiques les quelques communes ayant fusionné auparavant, soit 35 communes ayant créé 13 communes nouvelles.
  • [8]
    Une enquête a été menée en 2018 par Benjamin Bernot sous la coordination de l’AMF et de la Caisse des Dépôts. Elle portait sur 140 communes nouvelles (Bernot 2018).
  • [9]
    Propos tenus le jeudi 2 mars 2017 lors de la 3e rencontre des communes nouvelles organisée par l’AMF, en partenariat avec Mairie-conseils et la Caisse des dépôts.
  • [10]
    La loi NOTRe (Nouvelle Organisation du Territoire de la République, votée à l’été 2015) stipule qu’à partir du 1er janvier 2017, toutes les communes devront faire partie d’un EPCI (obligation depuis le 1er janvier 2014) mais aussi que ce dernier devra comporter au moins 15 000 habitants, le seuil étant jusqu’alors de 5 000 habitants. Cependant, un nombre non négligeable de dérogations existent (article L. 5210-1-1 du Code général des collectivités).
  • [11]
    La loi de finance pour 2016, par son article 150 qui prolongeait le délai, avait rendu ces avantages accessibles pour les communes nouvelles dont l’arrêté de création serait pris entre le 2 janvier et le 30 septembre 2016.
  • [12]
    La table d’appartenance utilisée a été, ici encore, celle au 1er janvier 2014. Par conséquent ne sont prises en compte que les communes ayant participé à une commune nouvelle après 2014, chefs-lieux exclus.
  • [13]
    Cf. cartes de l’IGN disponibles sur le site www.geoportail.gouv.fr.
  • [14]
    La Corse ne comportant aucune commune nouvelle, elle a été exclue de l’analyse et de la cartographie.
  • [15]
    Universitaire, membre du département de génie urbain de l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée, il s’exprimait en mars 2017 lors de la 3e rencontre des communes nouvelles organisée par l’AMF.
  • [16]
    Confirmée par un test du Chi², significativité au-delà au seuil de 0,0001.
  • [17]
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