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Article de revue

Terrains de je. (Du) sujet (au) géographique

Pages 441 à 461

Notes

  • [1]
    Ce travail a bénéficié d’une aide de l’Agence Nationale de la Recherche par le projet n°ANR-09-BLAN- 0351-01, « Dynamiques et médiations des savoirs géographiques » (MEDIAGEO).
  • [2]
    Pour l’appel et les résumés des interventions voir http://terrain.ens-lyon.fr/ ; pour le texte de certaines interventions, voir HAL-SHS, collection terrain http://hal.archives-ouvertes.fr/TERRAIN/fr/.
  • [3]
    Nous l’avons également proposé à Hélène Velasco-Graciet (PR à l’université de Bordeaux 3), travaillant sur les territorialités, qui nous a accompagnés au début de l’aventure.
  • [4]
    Esthétique est entendue ici au sens large de l’expérience dans toutes ses dimensions (motrice, émotionnelle, affective, etc.).
  • [5]
    L’autobiographie de Raoul Blanchard (1963) en constituerait alors la matrice textuelle.
  • [6]
    C’est-à-dire un régime de connaissance fondé sur l’expérience réglée du regard d’un sujet-cherchant qui observe et appuie cette observation sur la lecture de carte.
  • [7]
    Ces complexes permettent de construire un regard du chercheur (homme, blanc, hétérosexuel) comme déchiré entre jouissance qu’il ne peut assumer et nécessaire répression (Rose, 1993).
  • [8]
    Soit une définition de l’identité dans laquelle sujet (je) et moi sont mis en équation et travaillés dans leurs dimensions conscientes et inconscientes, et complétés d’une dimension narcissique (le soi).
  • [9]
    La conception lacanienne de l’identité subjective comme assujettissement à un ordre symbolique par le truchement du langage (le « nom-du-père ») et via des identifications, a informé les féminismes anglophones dans leur approche de la question de l’identité sexuelle et dans leur définition de la positionnalité (cf. ci-dessus). Pour Lacan, non seulement le sentiment d’unité de soi est une illusion, mais le sujet se trouve actuellement divisé entre la multiplicité de ses identifications aux systèmes symboliques qui le déterminent, l’aliènent et l’identifient d’être tel ou tel, et qui (se) jouent dans les différents contextes de vie. Le rapport établi entre langage et identité sociale peut ainsi expliquer la profondeur de l’articulation entre empowerment et tournant linguistique chez les féministes, dont l’enjeu concerne autant le sujet-enquêté que le sujet-cherchant.
  • [10]
    Haptique renvoie à hapsis qui signifie « toucher » en grec. Le toucher (tactilité ou empathie) est au fondement de la théorie transitionnelle de la psychogénèse et de la construction de l’identité subjective narcissique (Anzieu, 1995), au cœur aussi du fonctionnement du dispositif clinique transitionnel.
  • [11]
    Sur ce point, voir également la contribution d’Helen Maulion, 2008, « Narrer l’expérience intime du terrain », au colloque d’Arras (disponible sur http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00357433/fr/).

1Ce numéro thématique participe de l’intérêt épistémologique que le problème du terrain – c’est-à-dire la pratique empirique de collecte de données in situ – a suscité tout d’abord au sein de la communauté géographique anglophone à partir des années 1990 (voir par exemple, Rose, 1993 et 1997 ; Nast (éd.), 1994 ; Duncan (éd.), 1996 ; Bondi, 2003 ; Sharp, 2005), puis, dans les années 2000, dans la communauté francophone (Volvey, 2000, 2003, 2004 et 2012a, 2012b, 2012c ; Calbérac, 2010 ; Collignon et Retaillé (éd.), 2010 ; Robic (éd.), 2006 ; Baudelle et al. (éd.), 2001 ; Hugonie (éd.), 2007). Il prolonge l’effort de transformation d’une « boîte noire » méthodologique, à la fois impensée et allant de soi, en un objet épistémologique, qu’avait notamment lancé dans la géographie française le colloque international « À travers l’espace de la méthode : les dimensions du terrain en géographie »/ « Mapping Practices : Doing fieldwork in geography » qui s’est tenu à Arras en juin 2008 [2]. Cette transformation du terrain en objet épistémologique, qui est notre programme scientifique, s’établit sur une posture réflexive assumée et la fait résolument travailler autour du sujet épistémique (le sujet cherchant) et de la dimension spatiale de sa pratique/expérience (le faire avec l’espace). Il fait valoir la diversité possible des manières (champs factuels, outils théoriques, postures métathéoriques) de construire cet objet.

2Après avoir défini le positionnement historique et épistémologique de notre questionnement, nous proposerons un état de l’art sur la question du terrain dans la géographie contemporaine anglophone et francophone, avant de replacer les articles qui composent ce numéro dans les perspectives épistémologiques ici retenues et de les présenter.

1 Au-delà de la méthode... : quelles entrées sur le terrain ?

3Si la pratique du terrain est largement partagée par l’ensemble de la communauté, au-delà des différentes orientations qui la caractérisent (géographie humaine/physique, régionale/thématique, qualitative/quantitative, inductive/déductive, etc. [Hugonie (éd.), 2007]), le terrain comme instance du savoir géographique n’est paradoxalement que peu débattu collectivement par les géographes français (Volvey, 2012b). Le problème du terrain n’y est généralement redevable que d’une approche méthodologique : l’horizon de ces débats est la définition de la bonne manière de faire de la géographie dans des contextes particuliers, et ce faisant celle du type de régime de scientificité d’une matrice géographique donnée... Au contraire, dans la géographie anglophone, et tout d’abord dans les géographies post-structuralistes (féministes, post-coloniales, etc.), le terrain, comme pratique à dimension spatiale, a été travaillé jusqu’à devenir la pierre d’angle de conversions épistémologiques, à la fois condition de la dénonciation d’une géographie classique dite masculiniste (nécessairement aussi « blanche » et « hétérosexuelle ») et condition du renouveau « qualitatif » de la science géographique vers son « tournant interprétatif » et « réflexif » (Crang, 2002, 2003 et 2005 ; Limb et Dwyer, 2001). Le terrain – sa définition, sa pratique – y est devenu l’outil politique privilégié d’une science géographique engagée dans la dé/construction des identités sociales.

4À rebours d’une approche exclusivement méthodologique où le terrain se retrouve tour à tour mythifié comme moteur de l’invention scientifique ou démystifié comme champ (factuel) d’épreuve de la loi théorique, nous partageons la conception anglophone selon laquelle la pratique de terrain des géographes peut être redevable d’une approche transversale à toute la discipline, mais surtout inscrite dans une perspective épistémologique construite à partir d’une double dimension spatiale et subjective. Nous souhaitons non seulement dépasser l’approche méthodologique du terrain pour comprendre autrement – c’est-à-dire à la fois autour d’autres enjeux que les enjeux directement cognitifs et sur un autre versant que le versant objectiviste de la science – le caractère fondateur de cette pratique pour la science géographique. Mais nous souhaitons aussi faire surgir comme question géographique et interroger ensemble les dimensions spatiales et subjectives qui s’articulent au cœur de cette manière de faire avec les lieux, qu (i) engage le sujet géographe. C’est donc cette ambition d’une épistémologie à fleur du sujet-cherchant-avec-l’espace que notre rencontre a dessinée – chacun y étant parvenu avec des questionnements spécifiques, associés à nos trajectoires respectives dans des champs différents de la géographie. Nous avons des pratiques, des expériences et des approches de terrain différenciées, mais le terrain nous semble à tous une question pour la communauté disciplinaire invitée à interroger de l’extérieur une de ses normes et pour le sujet-cherchant invité à réfléchir de l’intérieur aux motifs de sa pratique, question que nous proposons de construire comme un problème scientifique. Ainsi, Anne Volvey (2004, 2012a, 2012c) et Yann Calbérac (2009 et 2010) interrogent cette pratique dans une perspective épistémologique fondatrice pour l’orientation du groupe. Volvey (2010, 2012b, 2012c) fait de l’étude comparée des pratiques relationnelles de terrain des artistes contemporains et des géographes, ainsi que de l’étude des textes théoriques de la géographie anglophone, le fonds de sa réflexion sur les régimes de connaissance spatiale et sur la question de la coupure épistémologique entre science et art, tandis que la psychanalyse transitionnelle constitue son outil théorique. Calbérac entend quant à lui mobiliser le terrain entendu comme la pratique constitutive d’un habitus disciplinaire pour interroger la construction de la communauté des géographes français et la place qu’occupe le terrain dans cet imaginaire scientifique, ainsi que pour poser les fondements d’une nouvelle écriture de l’histoire de cette communauté. Myriam Houssay-Holzschuch (2008, 2010), quant à elle, s’appuie sur sa propre pratique du terrain sud-africain pour s’interroger sur ces mêmes pratiques. Elle s’intéresse en particulier au rôle de la distance au terrain, la relation qu’un sujet peut établir avec le lieu et les sociétés étudiées et la violence de cette relation. En outre, son approche réflexive de ses pratiques de terrain lui permet d’aborder les questions de positionnalité – de race, classe, nationalité, âge, genre... – mais aussi de langues – la schizoglossie décrite par Raffestin (1980) – ou de géographie des savoirs géographiques (voir entre autres Chivallon, Ragouet, et Samers, 1999 ; Garcia-Ramon, 2003 ; Aalbers, 2004).

5À partir de cette convergence de nos trajectoires personnelles vers la problématique commune énoncée ci-dessus, nous avons proposé en 2008 à la communauté des géographes un espace de réflexion sur la question du terrain en géographie, que nous avons posé dans le cadre dialogique d’un colloque, au croisement de l’expertise des géographes post-structuralistes de culture scientifique anglophone et des questionnements naissants des géographes français. Nous avons invité Christian Giusti (MCF à Paris-Sorbonne), géographe et géomorphologue travaillant entre autres sur des questions épistémologiques (Giusti, 2007a et b et 2012) et Isabelle Surun (MCF à l’université de Lille 3), historienne des savoirs de l’espace, notamment de la pratique du terrain dans l’Afrique du XIXe siècle (Surun, 2003 ; Besse, Blais et Surun (éd), 2010), à se joindre à nous, afin qu’ils complètent de leur perspective disciplinaire ou thématique notre projet [3]. Le titre de ce colloque en posait très clairement la visée : « À travers l’espace de la méthode » désigne l’au-delà pragmatique et expérientiel d’une réflexion sur le terrain exclusivement centrée sur la méthode, un au-delà trouvé dans une prise en compte des dimensions spatiale et subjective de la pratique. Il postulait que la dimension spatiale de cette pratique canonique ne peut, sans paradoxe, être indifférente à la science de l’espace qu’est la géographie, et doit par conséquent être étudiée pour elle-même. Il en induisait le principe de symétrie (Latour et Woolgar, 1996) qui doit fonder la réflexion sur cet au-delà pragmatique et expérientiel du terrain : appliquer à l’activité de recherche des géographes les mêmes questionnements, outils théoriques et méthodologiques que ceux qu’ils mobilisent pour travailler sur les activités de leurs sujets de recherche, afin de faire surgir et de traiter le problème scientifique disciplinaire du sujet-cherchant-avec-l’espace. La deuxième partie du titre « les dimensions du terrain en géographie » invitait à une prise en considération des dimensions non uniquement cognitives du terrain et rappelait, par le truchement d’une référence explicite à la géographie qualitative anglophone des années 1990-2000, l’horizon politique du terrain pour le sujet-cherchant, afin d’en appeler au dévoilement d’autres dimensions liées à d’autres enjeux et porteuses d’autres significations. Nous posions alors l’hypothèse qu’il était possible de retrouver le cognitif de la science géographique au détour de ces dimensions.

6Le décalage entre tenants de cultures scientifiques nationales distinctes aux états de l’art différents, la mise en perspective des questionnements des géographes situés aux deux bouts d’un axe générationnel – retour biographico-réflexif sur sa pratique pour les uns ou prise en compte des désaccords entre pratique et objets nouveaux pour les autres – ou d’un axe scientifico-pédagogique – la place du terrain dans la production du savoir géographique pour les uns ou dans l’enseignement du savoir géographique pour les autres –, la multiplicité des cadres théoriques de référence mobilisés pour répondre à ces questionnements, ont constitué les ferments de débats fort intéressants et riches. En particulier, le recentrage sur le sujet a fait ressortir les thématiques du dépaysement/repaysement, du plaisir ou de la souffrance du géographe au terrain, et mis en avant l’intérêt d’une géographie émotionnelle (voir Davidson et al., 2007), développée dans le prolongement de la phénoménologie et centrée sur la dimension esthétique [4], afin de les appréhender et d’en rendre compte. La réflexion méthodologique s’est quant à elle redéployée à partir d’une approche pragmatique pour saisir des objets géographiques contemporains qui du fait de leur substance (idéalité ou hybridité), de leur métrique (topologie) ou de leur échelle (monde ou local) ne pouvaient être correctement appréhendés et objectivés qu’à partir d’une analyse des manières de faire avec l’espace (dans toutes ses dimensions matérielles et idéelles) des chercheur-e-s (voir Brachet, Verne, Blidon, Buire, Labussière et Aldhuy, infra). Ces deux tendances ont mis en exergue l’importance de l’application du principe de symétrie, évoqué ci-dessus, à l’étude du travail géographique. La sélection des croquis qu’Hervé Regnauld a réalisés pendant le colloque et que nous présentons ici sous la forme inédite d’un carnet de colloque, témoigne avec humour de ce centrage effectif des débats sur le questionnement du rapport du sujet-cherchant-au-terrain à lui-même et à ses sujets d’enquête. Directement croqués sur les pages du fascicule de résumés, ces dessins sont le produit de l’interprétation que fait Regnauld de la manière dont un-e intervenant-e se saisit de ou se laisse traverser par ce questionnement – confirmant ainsi qu’il constitue une transversalité commune à tous les champs de la géographie contemporaine, plus rattachée donc à une manière d’être au terrain qu’à la méthode associée à une thématique dans un rapport de scientificité. Il a choisi pour cela un mode figuratif, de type BD (associant du graphisme et du texte), et, par conséquent, une économie représentationnelle proche du croquis de terrain des géographes. Ces dessins permettent de dépasser le cadre du simple récit de terrain – modalité privilégiée du discours de la fabrique géographique, tant dans les géographies anglophones (Geographical Review, 2001) que francophones [5] et invitent donc, en mobilisant la dimension spatiale du terrain, à ne pas limiter les questionnements à sa seule mise en récit. Si la dimension narrative du terrain a été largement mobilisée durant le colloque, sa dimension discursive est restée peu interrogée. Considérer la représentation des données de terrain permet pourtant de poser les fondements d’une approche historique renouvelée, dans la mesure où ces récits sont produits, véhiculés, reçus et prennent sens au sein d’une communauté que les chercheur-e-s contribuent à construire en instaurant une norme du travail scientifique autant qu’un horizon d’attente qui structure le champ scientifique à un moment donné (Calbérac, 2010). Tandis que l’investigation des formes privilégiées pour cette représentation (texte, dessin, photographie, vidéo, etc.) permet de renouveler l’approche des régimes de connaissance (Volvey, 2012a et 2012b ; le documentaire Ce qui fait terrain. Fragments de recherches dans Calbérac, 2010).

7Ainsi, le projet Terrains de Je. (Du) Sujet (au) géographique fait clairement travailler, ensemble ou séparément, les perspectives portées par l’appel – pratique et expérience de terrain, dimension spatiale, terrain comme manière de faire avec l’espace, sujet-cherchant, etc. – à travers une sélection de textes réécrits sur le fondement des interventions de leurs auteur-e-s au colloque. Il invite à revenir au projet cognitif disciplinaire, à son régime de connaissance, après un détour par le sujet-cherchant-avec-l’espace, après un questionnement de son expérience subjective, et éventuellement au croisement des deux. Enfin, le numéro rassemble des auteur-e-s français-e-s et des auteur-e-s issu-e-s d’autres communautés scientifiques afin de faire connaître les épistémologies nationales et de jeter des ponts entre elles.

2 L’état de « l’art du terrain »

8Dès le début des années 1990, le problème du terrain surgit dans la géographie anglophone sous la double impulsion du développement d’une épistémologie féministe (Rose, 1993 ; Nast, 1994 ; Duncan, 1996) et du développement des qualitative methodologies (Crang, 2002, 2003, 2005) – au déploiement et à l’encodage desquelles les féministes participent, à côté de la tradition phénoménologique et de l’ensemble des courants post-structuralistes (voir Limb et Dwyer, 2001). Le terrain devient l’objet d’une attention épistémologique (pour compléter cette présentation du terrain dans la géographie anglophone voir Volvey, 2004, 2012a, 2012b). Il est instauré en pierre de touche d’une définition politique de la science – sa pratique, ses objets – comme moyen pour conduire une stratégie identitaire (de genre, de classe, de race, etc.) au sein de rapports sociaux de domination. C’est l’idée portée par les expressions « politics of the field » (les relations associées à la pratique de terrain) et « politics of the representation » (la représentation des résultats de la recherche dans des productions scientifiques). Pour les géographes féministes le terrain devient à la fois l’outil de la condamnation de la science dite masculiniste (Hancock, 2004) et celui de la refondation d’une science dite féministe. La condamnation de la science classique qualifiée de masculiniste (mais bientôt aussi d’« hétérosexuelle », voire d’hétéronormative, et de « blanche ») s’appuie sur l’examen critique et la mise en rapport de la manière de faire du terrain (le « doing fieldwork »), de la spatialité de celle-ci et de la définition identitaire du sujet-cherchant qui la conçoit et s’y engage, afin de mettre en cause la ruse (« god-trick » – Rose, 1997) objectiviste et universaliste de la géographie positiviste et empiriste. Celle-ci impose une règle fictionnelle de neutralité, de transparence et d’universalité subjective (objectivité), un mouvement de séparation avec l’objet de la recherche (objectivation) réalisé par le truchement de procédures de distanciation. L’ensemble fonde un régime de connaissance que les féministes dénomment « scopique [6] » (Rose, 1993 ; Nast et Kobayashi, 1996), dont l’objet scientifique, le paysage, est le produit. Le paysage est donc la transformation en objet scientifique d’informations de terrain dont les conditions de fabrication et de traitement sont déterminées par un/des motif/s identitaire/s qui organisent l’exercice du regard. L’enquête de terrain classique, qui fonde la collecte et la corrélation de données sur l’observation, est définie par les féministes comme « a performance of power » (Rose, 1996 : 58) – particulièrement, « an inappropriate performance of colonizing power relations » (Sharp, 2005 : 306). La pratique (work) de terrain, calquée sur celle de l’exploration, évolue entre possession par l’arpentage, pénétration par le regard et contrôle par le recouvrement exhaustif d’un espace extérieur (field ou land) féminisé (amante ou mère), bientôt abandonné aux portes de l’académie sous la double menace des complexes d’Œdipe et de castration [7], pour y être finalement représenté dans l’objet scientifique, le paysage (Rose, 1993 et 1996 ; Sparke, 1996 ; Nast et Kobayashi, 1996). Rose (1993), mobilisant la critique d’art féministe autour de l’objet paysage et la psychanalyse freudienne et lacanienne autour de la pratique de terrain, articule régime scopique et visée identitaire de cette « politics of the field » (« the masculine active look »/ « the feminine position : to be looked at ») pour en révéler les motifs subjectifs, soit la stratégie de confirmation ou consolidation de l’identité sociale, masculine, du chercheur.

9A contrario, l’enquête de terrain féministe (feminist methodology), dotée d’une échelle d’opération réduite (micro-procédures) et fondée sur l’interlocution, a été placée au fondement d’un « feminist political project within the discipline » (Sharp, 2005 : 304). Un projet d’« empowerment » réciproque du sujet cherchant et du/des sujet/s enquêté/s qui font entendre et représentent leurs voix (Nast, 1994), jusqu’à participer d’une stratégie d’activisme politique (Kobayashi, 1994). Le motif cognitif se trouve couplé ou assujetti au motif politique : la consolidation ou la construction identitaire individuelle et/ou collective. Un « to do gender » dont les féministes discutent aujourd’hui la consistance épistémologique (Sharp, 2005). Ainsi, même si les auteur-e-s féministes ne sont pas les seul-e-s à avoir participé à la refondation épistémologique du terrain qualitatif en opposant pour leur part un « masculinist » à un « feminist fieldwork » qu’elles/ils cherchaient à fonder, leurs élaborations l’ont décisivement informée (Sparke, 1996) en enracinant les méthodes de terrain qualitatives contemporaines dans des expériences et des pratiques qu’elles/ils rapportent aux relations des femmes, et en particulier des mères, à leur environnement. H. Nast (1994, 61), dans son introduction à Women in the field, énonce l’enjeu politique de la méthode pour les féministes avant d’en indiquer les principes : « the papers indicate that feminist scholars engage in fieldwork as a means of resisting patriarchy and other forms of domination in ways that are congruent with women’s experiences. » Ces principes précisés ailleurs dans son texte dessinent les contours d’un modèle féministe de terrain fondé sur le care (soit la relation de soins maternante) : « The social connectedness of women to others carried in everyday practices has fostered ways of knowing or epistemologies that are different from those of the men. Women have typically been nurturers and caregivers trained in the art of listening and other-empowerment. » (ibid. : 55). Les auteur-e-s féministes insistent alors sur les manières de faire attachées à ce modèle de terrain substitutif, manières conçues pour installer la « supportive atmosphere » (Duncan, 1996 ; Rose, 1996 ; Kneale, 2001) ou le « facilitating environment » (Bingley, 2003) réputés caractériser la méthode relationnelle intersubjective, non hiérarchique qu’elles préconisent. Elles/ils définissent alors le faire de terrain comme « betweeness » ou « withness » (Nast 1994, Rose 1996, Bondi 2003, Bingley 2003), un « faire avec » par opposition au « faire (de) dans » de la géographie masculiniste. Ils/elles décrivent le terrain en termes de « space of betweenness » ou « place in-between » (Katz, 1994 ; Duncan, 1996 ; Cupples, 2002) – le dotant d’une qualité d’intermédiarité (espace de l’entre-deux ou lieu entre-deux). Nombre d’entre eux appuient leur effort théorique sur la psychothérapie humaniste de C. Rogers et de D.W. Winnicott, pour faire de l’empathie et de l’identification un outil technique de l’entretien qualitatif (Bondi, 1999, 2003 ; Aitken et Herman, 1997 ; Kneale, 2001 ; Bingley, 2003) ; certains, découvrant la problématique du jeu (playing), instaurent le partage de situations de vie (Aitken, 2001 ; Punch, 2001 ; Longhurst et al., 2008 ; Lloyd et al., infra) ou le dispositif artistique (Bingley, 2003) en cadres de la relation de recherche. La situation de terrain permet alors de « listening to, giving voice to and representing the silenced » (Crang, 2002 : 648) pour donner lieu à un matériau de type discursif, représenté dans les textes scientifiques (Crang, 2005) – des textes éventuellement collaboratifs. Les auteur-e-s féministes participent ainsi à la fondation du « linguistic turn », une des bases historiques des méthodes qualitatives et une condition du tournant interprétatif – l’accès à la dimension spatiale (« geographies ») du monde intérieur (« lifeworld ») des sujets-enquêtés ou de leur rapport au monde. Mais le modèle du care choisi pour ces pratiques et le type d’engagement qui lui est lié sont responsables du surgissement de la problématique du corps dans l’épistémologie féministe qui interroge dorénavant la place du corps dans la recherche et tend à définir le terrain comme une situation où des corps co-présents interagissent. Le corps dans toutes ses dimensions esthétiques (motrices, sensorielles, kinesthésiques, émotionnelles, idéelles), comme condition de l’intersubjectivité, est considéré à la fois comme le site, le marqueur et l’opérateur de l’identité dans la relation de recherche (Nast, 1998 ; Parr, 2001 ; Sharp, 2005 ; Longhurst et al., 2008). Cette considération pour le corps (l’idée de « performance » dans la géographie dite non représentationnelle) a conduit les féministes, et au-delà, l’ensemble des géographes qualitatifs, à la reconnaissance d’un matériau de terrain pré-verbal (ou pré-linguistique) et à interroger les formes de sa représentation scientifique. C’est ce dont se saisit alors le courant de l’emotional geography (Davidson et al., 2007). C’est aussi ce que Crang (2003), privilégiant une modalité particulière de la corporalité (le toucher), interroge sous le terme générique d’« haptic knowledge », lançant dans la géographie de langue anglaise l’idée d’hapticité – développée depuis par Paterson (2009 ; Paterson et Dodge, 2012).

10Enfin, si neutralité et distanciation ne sont plus placées au fondement d’un savoir positif mais, au contraire, dénoncées comme les instruments de la ruse masculiniste (Rose, 1997) ; si le terrain est replié sur des stratégies de consolidation identitaire au sein de rapports sociaux de domination ; et si le savoir qui en élabore et formalise les données est défini comme « situé » (« situated knowledge ») – c’est-à-dire non universel – et comme partiel parce qu’issu d’une positionnalité – c’est-à-dire lié à un point de vue identitaire au sein d’une relation de pouvoir –, alors qu’est-ce qui garantit la validité du savoir scientifique dans l’épistémologie féministe et les méthodes qualitatives en général ? Puisque faire s’exprimer, écouter et représenter discursivement ceux qui n’ont pas la parole ont été les outils méthodologiques du renversement cognitif de la domination masculine (hétérosexuelle et blanche), alors, dans le champ spécifique de l’épistémologie, le dire devient aussi un enjeu politico-scientifique (soit, la « politics of representation »). La question de l’identité scientifique (sa consolidation, sa construction) devient une question de représentation de soi dans/par le langage – via les entretiens de terrain, les conférences ou les textes (Bondi et al., 2002) – et celle de l’autorité scientifique devient alors un problème d’autorat (Nast, 1994). Les féministes (par exemple, Griffiths, 1995 ; Avis, 2002) discutent ainsi « the gendered nature of voicing the self » pour associer, du côté de la géographie masculiniste, neutralité-universalité du sujet cherchant et choix de celui-ci de taire (« left invoiced ») son identité (« senses of self »), et du côté de la géographie féministe, travail de positionnalité et choix de dire (« spoken ») son identité. Il s’agit d’un côté de cacher ce qui fait problème dans l’acte de recherche et de représentation de la recherche, de l’autre de l’objectiver. Pour ces épistémologies post-modernes et constructivistes, la méthode réflexive, telle qu’instruite dans des textes scientifiques, est le moyen pour le/la géographe d’un travail de conscientisation et d’objectivation des identités sociales des acteurs de la recherche (sujet-cherchant et sujets-enquêtés), ainsi que du contexte de leur interaction. En tendant à rendre « transparent » ce qui fait problèmes dans la recherche, elle est, ce faisant, le moyen de validation du savoir scientifique (pour une synthèse critique voir Rose, 1997). Entre introspection du sujet-cherchant et analyse de la relation aux sujets-enquêtés, elle permet d’atteindre, à travers la pluralité des dimensions identitaires (« fragmented self »), la « position » du chercheur-e dans la situation de rapport de domination qu’est le terrain (« field of power » ou « landscape of power »), et elle permet de rendre compte de la manière dont cette position informe le savoir partiel que le/la chercheur-e construit (McDowell, 1992 ; Moss, 1995). D’autres stratégies qualitatives sont avancées par ces chercheur-e-s, comme le choix d’échelle d’analyse micro supposée réduire la complexité politique du contexte, comme l’identification entre sujet-cherchant et sujet-enquêté supposée réduire la différence-distance qui les sépare (Bondi, 2003), et comme les pratiques collaboratives en matière de représentation des résultats de la recherche (Rose, 1997 ; Lloyd et al., infra, Burini, infra). Enfin, la conception du terrain comme « field-as-betweeness » ou « -withness » conduit à une compréhension relationnelle et processuelle du terrain, dans laquelle la situation de recherche est condition de co-émergence et de co-construction des identités (sujet cherchant/sujet enquêté). L’intersubjectivité impliquée par la situation de terrain, et cela quelle que soit la base méthodologique (linguistique ou pas) par laquelle elle se vectorise, a des effets identitaires pour/sur les acteurs qui s’y engagent : « researching gender is “doing gender” » (Rose, 1997 : 315).

11Dans la géographie francophone, le terrain surgit comme un objet de débat au début des années 2000 (Volvey, 2000 et 2003). Il faut interroger ce décalage. Il ne s’agit pas seulement du temps nécessaire pour que les débats traversent la Manche ou l’Atlantique. Car les débats sur le terrain dans la géographie française s’inscrivent en premier lieu au sein de la communauté disciplinaire qui, si elle s’est historiquement construite sur cette pratique (Robic, 1996 ; Baudelle et al., 2001), a été peu encline à questionner ses méthodes et ses procédures. Le terrain a en effet joué un rôle décisif dans l’instauration de la géographie classique : « On attribue à Paul Vidal de la Blache cette réflexion [...] : “Avec les livres, on ne fait que de la géographie médiocre ; avec les cartes on en fait de la meilleure ; on ne la fait très bonne que sur le terrain” » (Ardaillon, 1901, 285). Dans cette perspective, loin de devenir l’objet d’une réflexion critique à visée épistémologique (voir le texte de Lefort, infra), son statut a entraîné le cantonnement de son investigation critique dans le champ méthodologique ou méthodo-pédagogique (voir Retaillé et Collignon (éd.), 2010). Le champ méthodologique est valorisé en soi comme l’atteste la publication continue des comptes rendus des excursions interuniversitaires de 1905 au mitan des années 1970 (Calbérac, 2010) dans les Annales de Géographie, tribune de la Géographie vidalienne. Ainsi la remise en cause impulsée par Yves Lacoste dans les deux numéros d’Hérodote (1977 et 1978) consacrés au terrain, si elle met en avant la « dimension de l’enquête » pour pointer les implications politiques de cette pratique dans une discipline dont il dénonce l’impérialisme (Lacoste, 1976), reste-t-elle empreinte du canon du terrain. Et, contrairement à l’idée reçue et largement répandue, le terrain – comme pratique méthodologique – n’est pas remis en cause durant la crise que traverse la discipline dans les années 1960 et 1970, même si sa fonction dans le dispositif heuristique est renégociée (Volvey, 2003, 2012b) : aujourd’hui comme hier, la communauté est structurée autour d’un « ordre du discours » (Foucault, 1971) qui impose une injonction normative à faire du terrain (Calbérac, 2010).

12Ce regain d’intérêt des géographes français pour la question du terrain s’explique par deux séries d’évolution parallèles, aussi bien dans le champ des sciences sociales que dans le champ de la géographie. À un niveau extra-disciplinaire, la géographie se nourrit des questionnements menés depuis plusieurs décennies dans les autres sciences sociales, qui, à l’image de l’anthropologie, ont précocement interrogé le terrain comme instance privilégiée de la production des savoirs scientifiques. L’adresse « Je hais les voyages et les explorateurs » de Lévi-Strauss à la première page de Tristes tropiques (1955) a, en effet, questionné les pertinences heuristique et méthodologique du terrain et ses implications politiques dans le contexte des décolonisations (Debaene, 2006), ce que la seule dimension narrative du terrain, volontiers tournée vers l’exercice littéraire, ne pouvait complètement embrasser (Debaene, 2010). Plus largement, la structuration du champ des Science Studies et de la sociologie des sciences (Dubois, 1999 ; Latour, 2005) invite à questionner la fabrique des savoirs scientifiques. Dans cette perspective, le terrain des sciences sociales (Calbérac, 2010) apparaît comme le pendant du laboratoire des sciences expérimentales (Latour et Woolgar, 1996). À un niveau intra-disciplinaire, l’inflexion actorielle (Racine et Raffestin, 1983) et l’essor des approches dites qualititatives dans les géographies des années 1980 et 1990 invitent à un repositionnement épistémologique et théorique après l’engouement des approches spatialistes, structuralistes et objectivistes menées depuis les années 1970, et questionnent la place du sujet dans le dispositif de recherche. La position du chercheur et son engagement sont désormais interrogés, au moment même où les géographies postmodernistes anglophones commencent à être introduites en France (Staszak (éd.), 2001). Alors que la « crise de la géographie » – qui a interrogé l’unité de la discipline et sa pertinence heuristique face aux menaces extérieures – a enfermé la discipline dans une recherche objective de la réalité, l’horizon intellectuel contemporain est caractérisé par l’essor des postures constructivistes ; la réflexivité devient même une attente de l’institution : l’exercice réflexif est désormais l’un des attendus de l’Habilitation à diriger des recherches. Dans un contexte disciplinaire apaisé et renouvelé (Lévy et Lussault (éd.), 2000 et 2003), la géographie française renoue donc avec les interrogations critiques et réflexives. Le terrain permet à la fois de jouer le rôle de totem identificateur pour tous les géographes, et dans le même temps d’interroger les relations que la géographie entretient avec les autres sciences sociales avec lesquelles elle a le terrain en partage. Cette réflexion sur le terrain a pris des formes variées tout au long des années 2000, à tous les niveaux de la discipline : des séminaires de laboratoire (ESO Travaux et documents, 2008), des cafés géographiques, des rubriques de revue (les « Carnets de terrain » de la nouvelle revue Carnets de géographes, la nouvelle rubrique « Le dessin du géographe » des Cafés Géographiques), jusqu’à des colloques et des publications (Hugonie (éd.), 2007 ; Collignon et Retaillé (éd.), 2010).

13Deux d’entre nous ont plus particulièrement contribué à ce débat d’un point de vue théorique. Yann Calbérac (2005, 2007, 2009, 2010) a fait du terrain un levier pour réinterroger la « crise » que traverse la discipline dans les années 1960 et 1970, et instruire un projet d’histoire de la géographie française qui irait à l’encontre de l’approche, historiographiquement cristallisée, du paradigme (Robic (éd.), 2006 ; Orain, 2009). En effet, la pratique jamais démentie du terrain – même au plus fort de la crise – par les géographes français invite à abandonner la matrice kuhnienne (Kuhn, 1972) qui invite au contraire à mettre l’accent sur les ruptures. Faire une histoire de la géographie sous l’angle du terrain invite donc à dépasser les représentations que les géographes se font de l’histoire de leur discipline pour interroger les discours que le terrain ne cesse d’alimenter. À rebours d’une crise, la période des années 1960 et 1970 ne s’apparente pas tant à une remise en cause du terrain comme pratique canonique, mais plutôt à une redéfinition de sa place dans le dispositif heuristique à une époque où les normes de la scientificité sont renégociées. Dès lors, le terrain – parce qu’il demeure de la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours une injonction normative tenace – constitue un ordre du discours qui n’a cessé de structurer la discipline, c’est-à-dire ses acteurs, leurs pratiques et leurs productions. Cette approche, fondée sur une posture réaliste qui met l’accent sur les gestes des chercheurs sur le terrain, et plus seulement sur les représentations que ces gestes alimentent dans l’imaginaire disciplinaire, est inspirée de la sociologie des sciences (Latour et Woolgar, 1996) et invite donc à étudier la géographie « en train de se faire » (Latour, 2005) et de se dire. Des emprunts aux méthodes d’observation d’autres champs disciplinaires, comme l’ethnométhodologie (Garfinkel, 2007) ou l’anthropologie visuelle (Lallier, 2009) enrichissent les approches des géographes français. Ce travail d’observation renouvelle les approches sur les dimensions matérielles du terrain et insiste sur le rôle central que jouent l’écrit et l’écriture, pour la collecte des données comme pour la restitution des savoirs qu’elles ont contribué à construire (Affergan, 2003 ; Geertz, 1996 ; Latour, 2007). Surtout, cette posture réaliste invite à redéfinir le terrain en s’affranchissant de la polysémie – le cadre de l’enquête ou l’objet étudié – habituellement convoquée (Volvey, 2003) : le terrain, parce qu’il cherche à « faire tenir ensemble » des réalités variées et hétérogènes dans un même projet scientifique défini par le chercheur (Calbérac, 2011) s’apparente à l’acteur réseau que la sociologie de la traduction a mis en évidence (Latour, 2006).

14C’est dans une perspective théorique et épistémologique qu’Anne Volvey, pour sa part, s’est intéressée à la pratique de terrain des géographes, qu’elle appréhende comme un « faire avec l’espace » du/de la géographe. Elle interroge alors sa dimension subjective, qu’elle met au centre de sa réflexion pour en faire un enjeu en deçà du cognitif, et sa dimension spatiale, qu’elle instaure en moyen au service de cet enjeu (Volvey, 2000 ; 2003 ; 2004 ; 2012a ; 2012b ; 2012c). Elle propose d’appliquer un strict principe de symétrie à l’étude de cette pratique. Pour ce faire, elle a interrogé de manière critique les textes théoriques de la géographie féministe et qualitative contemporaine pour en faire un corpus d’étude privilégié, et a conduit, par ailleurs, des entretiens avec les géographes français sur leur pratique et expérience de terrain. Ce faisant, elle relance la question des enjeux identitaires auxquels les auteur-e-s féministes s’étaient intéressé-e-s à propos de la géographie masculiniste, pour la faire travailler, cette fois, sur les pratiques relationnelles de terrain (field-as-betweeness, field-as-withness) – ce que ces auteur-e-s ont omis, voire se sont défendu-e-s, de faire (Bondi, 2003 ; Rose, 1997). Si la dénonciation féministe du terrain classique articulait à la pratique de terrain un inconscient du chercheur et la traitait comme un problème de consolidation de l’identité sexuelle auquel elle rapportait l’objet scientifique paysage, Volvey interroge, à son tour, le motif subjectif inconscient attaché à la pratique et à l’expérience de terrain qui découlent du modèle du care, afin de dégager le régime de connaissance et les objets scientifiques qui lui sont associés. Et, pour ce faire, dans un mouvement symétrique à la critique féministe freudo-lacanienne du terrain masculiniste, elle mobilise l’appareil théorique de la psychanalyse transitionnelle (Winnicott, 1975 ; Anzieu, 1995 ; Roussillon, 1995 ; Tisseron, 1995, 1996) dans laquelle ce modèle trouve son origine. Mettant au jour les limites d’une compréhension strictement sociale de l’identité pour lui préférer une définition égoïque [8] (Balibar et al., 2004 ; Bondi, 1999), elle montre que l’expérience intersubjective attachée à la pratique relationnelle du terrain qualitatif, confronte plutôt le sujet-cherchant à la question de son identité narcissique (Myers, 2001 ; Sharp, 2005 ; Volvey, 2000, 2012a, 2012b). Au sein des épistémologies contemporaines en géographie, Volvey distingue alors une première nébuleuse théorique comprenant définition sociale de l’identité, appui sur la psychanalyse freudo-lacanienne, régime linguistique de connaissance, visée politique du terrain (« empowerment ») [9], d’une seconde comprenant définition égoïque de l’identité, appui sur la psychanalyse transitionnelle, régime haptique de connaissance, visée esthétique du terrain. Elle montre ainsi que si les géographies anglophones contemporaines ont bien substitué un « régime linguistique » (Crang, 2005) – élaboration de données produites dans l’interdiscursivité – au « régime scopique » de connaissance de la géographie classique – élaboration de données produites dans l’observation visuelle –, elles peinent en revanche à fonder un « régime haptique [10] » de connaissance – un régime basé sur l’élaboration scientifique de données pré-linguistiques, soit haptiques ou empathiques –, et aussi à penser les rapports entre ces régimes distincts. De fait, non sans contradiction avec leurs analyses critiques antérieures et non sans décalage avec les développements contemporains de la géographie émotionnelle et haptique évoqués plus haut, elles n’adoptent pas le principe de symétrie qui leur permettrait d’envisager pleinement un régime haptique de connaissance à partir d’une réflexion critique portant sur le rapport entre la méthodologie de terrain fondée sur le modèle du care, la dimension spatiale de celle-ci et l’expérience subjective du chercheur. Au contraire, la mobilisation de la théorie psychanalytique transitionnelle, doublée d’une analyse des rôles de la spatialité et de la créativité figurative (ou graphique) dans les processus psychogénétiques et identitaires que cette théorie décrit, permet de comprendre d’une part, comment fonctionne l’hapticité dans la pratique de terrain – c’est-à-dire la manière dont les données prélinguistiques sont générées par le truchement des méthodologies qualitatives relationnelles, et cela jusque dans les procédures collaboratives. Elle permet de comprendre d’autre part, le rapport entre pratique de terrain et pratique de dessin en géographie, et partant le rôle des pratiques figuratives (individuelles ou collaboratives) comme modalités de traitement et de représentation de ces données haptiques. Elle permet enfin de rendre compte des objets contemporains du savoir spatial, tout particulièrement de l’objet territoire et secondairement de l’objet frontière, à travers la perspective de l’enjeu identitaire-narcissique inconscient tel qu’il joue dans le « transfert de situation » (Roussillon, 2008 ; Volvey, 2012b) qu’installent la pratique et l’expérience de terrain.

3 Des articles pour engager le terrain

15C’est donc dans cette perspective de compréhension des pratiques de terrain au plus près du sujet-cherchant-avec-l’espace et de l’être-au-terrain, mais dans la démultiplication tant des questions posées que des points de vue et des références (méta) théoriques, que nous avons procédé à une sélection thématique de communications présentées au colloque d’Arras, puis que les auteur-e-s retenue-s – que nous remercions pour leur engagement dans cette démarche et leur soutien constant et précieux pour notre entreprise commune – ont bien voulu pousser plus loin encore. Leur contribution s’inscrit à différents niveaux dans ce projet d’élaboration théorique et épistémologique de l’objet terrain.

16En premier lieu, le texte d’Isabelle Lefort revient sur la place du terrain dans la géographie française. Situant son propos au sein d’une culture scientifique spécifique et dans une perspective disciplinaire – et ancrant ainsi la légitimité du terrain comme objet de recherche au sein même de cette tradition, elle montre comment le terrain y est à la fois caractérisé par son immédiateté et son extériorité par rapport au chercheur, tout en étant à la fois valorisé par la discipline et ses institutions, mais occulté d’un point de vue réflexif. Cette présence/absence du terrain, véritable Arlésienne, se retrouve dans les modalités de sa restitution par l’écriture et dans la place de l’auteur. Enfin, elle souligne les contradictions de cette présence/absence, notamment entre le régime scopique de la restitution et la dimension hédonique et sensible de l’expérience de terrain.

17Avec cette question de l’autorat, et comme conséquence à la fois des postures post-structuralistes et de l’essor des démarches participatives dans différents domaines dont scientifiques, se pose la question du rapport à l’Autre sur le terrain, de sa transformation éthiquement et politiquement cruciale d’objet en participant, co-auteur, sujet de la recherche. Deux contributions de ce numéro s’attachent à montrer comment, au plus concret, la production scientifique et d’objets scientifiques peut se faire au terrain. Ces deux textes tournent donc aussi autour de la question de l’interaction entre les sujets impliqués dans la recherche, tout en se plaçant dans des cultures scientifiques différentes – l’une continentale, l’autre anglophone – et en s’inscrivant dans des logiques différentes de restitution du savoir – l’une figurative, l’autre narrative.

18Federica Burini inscrit cette interaction dans la perspective d’une logique figurative de représentation des savoirs sur les lieux, en analysant une méthodologie de cartographie participative dans le cadre de l’aménagement durable de parcs naturels en Afrique de l’Ouest. Elle s’attache à comprendre les relations entre les acteurs de la cartographie participative et montre comment le savoir sur le lieu émerge de cette relationnalité pour être réutilisé dans une approche de développement durable du territoire. Enfin, elle considère la place du sujet-cherchant au sein de ces interactions de recherche.

19De leur côté, Kate Lloyd, Sarah Wright, Sandra Suchet-Pearson, Laklak Burarrwanga et Paul Hodge reviennent, de manière réflexive sur la fabrique d’un livre co-écrit par des universitaires et des Yolngus, membres d’une communauté aborigène du nord de l’Australie. Filant la métaphore de la vannerie (basket weaving), dans sa matérialité comme dans sa socialité, ils montrent comment la prise au sérieux de la question de l’auteur amène à une co-production de recherche dont le site est le terrain. Ce faisant et ce tissant, ils mettent en évidence la dimension relationnelle d’être et d’écrire au terrain, où le sujet-cherchant, appartenant à l’université ou au Peuple premier, parle et agit au sein d’un faisceau de relations. Dans une perspective féministe, les familles des sujets-cherchant, l’échange de récits forment ainsi les bases d’une convergence éthiquement et politiquement construite entre le professionnel et le personnel, comme entre le cognitif-scientifique et l’intime.

20Cette question de la positionnalité est également abordée par une série de textes qui entrent dans la question du sujet-au-terrain par l’objet, souvent thématique, de la recherche, pour penser le rapport entre cet objet, le sujet-cherchant engagé dans une démarche réflexive en même temps que cognitivement productive, et les dispositifs méthodologiques de la recherche.

21Ainsi, Marianne Blidon part-elle de la géographie des sexualités, parce que l’objet lui-même entraîne une injonction à la réflexivité : celle-là est constituée autant des nécessités de l’interaction de terrain que des définitions de soi normatives et imposées au/à la chercheur-e par sa communauté ou ceux avec qui il/elle entre en interaction. Elle analyse de manière critique les différentes postures de recherche qui ont été prises par les chercheurs sur la sexualité, pour souligner la question de la corporéité, voire de l’engagement corporel du chercheur comme sujet-cherchant et sujet sexuel, désirant ou non, sexuellement actif ou non sur et pour son terrain, puisque pouvant constituer ses pratiques sexuelles en dispositifs méthodologiques.

22Julien Brachet part de la mobilité pour mettre en tension sujet-cherchant/objet/méthodes. La notion lui sert de prisme non seulement pour l’étude des migrations, mais surtout pour analyser les pratiques spatiales de terrain du chercheur. Cela lui permet d’entamer la « géographie de la géographie » pour laquelle il plaide, en distinguant selon le prisme de la mobilité trois manières de faire du terrain : le terrain topographique, sédentaire, malinovskien ; le terrain archipélagique et multisite ; et un terrain rhizomique, dont les pratiques sont construites dans une interaction dialogique avec l’objet.

23Cette idée du terrain rhizomique, Julia Verne la dégage d’un retour réflexif sur sa pratique propre de recherche sur l’espace swahili, caractérisé par sa translocalité. Elle montre comment, au-delà de la production de données, le terrain est le produit d’une construction active, volontaire, réfléchie et réflexive, de la part du chercheur dont la personne, le projet et les relations sociales sont au centre. Elle insiste en particulier sur les questions de délimitation et la mise en pratique, dans cette constitution de terrain, d’une compréhension relationnelle de l’espace.

24Olivier Labussière et Julien Aldhuy continuent de creuser à la fois les propositions théoriques de Deleuze et cette perspective relationnelle pour montrer que pour le sujet-cherchant, il s’agit d’être au terrain plus que faire du terrain. La tradition géographique francophone d’extériorité du terrain et, à rebours, l’importance de l’expérience sensible [11] voire corporelle au terrain sont montrées au travers des apports de Renée Rochefort et de son Travail en Sicile. Le renversement de l’ordre des facteurs qu’elle y préconise résonne avec celui, réflexif, que propose Deleuze, entre signes et intelligence.

25Joignant les arts-de-faire de Certeau à ces perspectives deleuziennes, Chloé Buire démonte la géopolitique du terrain, dont le sujet-cherchant est acteur. Elle en montre les configurations complexes et mouvantes, où jouent en interrelation, outre la positionnalité du chercheur et des autres acteurs, le contexte (ici sud-africain et marqué par un mythe du Peuple souverain très « post-révolutionnaire ») et l’objet (la démocratie, comprise comme le résultat de négociations permanentes). Elle prône une posture d’humanisme sensible, pragmatique et tactique dans son positionnement concret. De manière très construite et éclairante, elle propose de la penser et de la pratiquer comme improvisation, au sens des jam sessions du free jazz, permettant ainsi d’aller au-delà de l’opposition entre méthode inductive et méthode déductive mais aussi d’intégrer une dimension politique.

26Dès lors, le terrain est identifié comme rhizomique au sens deleuzien, soit processuel, dynamique, hétérogène, fonctionnant selon des principes de multiplicité, d’agencements, de prolifération et de connectivité. Relationnel, polyphonique, l’être-au-terrain se doit d’intégrer les dimensions réflexives, critiques et éthiques dans ses pratiques.

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Mots-clés éditeurs : expérience, positionnalité, sujet, terrain, spatialité, identité, réflexivité, corporalité, transitionnalité, pratique

Mise en ligne 16/01/2013

https://doi.org/10.3917/ag.687.0441

Notes

  • [1]
    Ce travail a bénéficié d’une aide de l’Agence Nationale de la Recherche par le projet n°ANR-09-BLAN- 0351-01, « Dynamiques et médiations des savoirs géographiques » (MEDIAGEO).
  • [2]
    Pour l’appel et les résumés des interventions voir http://terrain.ens-lyon.fr/ ; pour le texte de certaines interventions, voir HAL-SHS, collection terrain http://hal.archives-ouvertes.fr/TERRAIN/fr/.
  • [3]
    Nous l’avons également proposé à Hélène Velasco-Graciet (PR à l’université de Bordeaux 3), travaillant sur les territorialités, qui nous a accompagnés au début de l’aventure.
  • [4]
    Esthétique est entendue ici au sens large de l’expérience dans toutes ses dimensions (motrice, émotionnelle, affective, etc.).
  • [5]
    L’autobiographie de Raoul Blanchard (1963) en constituerait alors la matrice textuelle.
  • [6]
    C’est-à-dire un régime de connaissance fondé sur l’expérience réglée du regard d’un sujet-cherchant qui observe et appuie cette observation sur la lecture de carte.
  • [7]
    Ces complexes permettent de construire un regard du chercheur (homme, blanc, hétérosexuel) comme déchiré entre jouissance qu’il ne peut assumer et nécessaire répression (Rose, 1993).
  • [8]
    Soit une définition de l’identité dans laquelle sujet (je) et moi sont mis en équation et travaillés dans leurs dimensions conscientes et inconscientes, et complétés d’une dimension narcissique (le soi).
  • [9]
    La conception lacanienne de l’identité subjective comme assujettissement à un ordre symbolique par le truchement du langage (le « nom-du-père ») et via des identifications, a informé les féminismes anglophones dans leur approche de la question de l’identité sexuelle et dans leur définition de la positionnalité (cf. ci-dessus). Pour Lacan, non seulement le sentiment d’unité de soi est une illusion, mais le sujet se trouve actuellement divisé entre la multiplicité de ses identifications aux systèmes symboliques qui le déterminent, l’aliènent et l’identifient d’être tel ou tel, et qui (se) jouent dans les différents contextes de vie. Le rapport établi entre langage et identité sociale peut ainsi expliquer la profondeur de l’articulation entre empowerment et tournant linguistique chez les féministes, dont l’enjeu concerne autant le sujet-enquêté que le sujet-cherchant.
  • [10]
    Haptique renvoie à hapsis qui signifie « toucher » en grec. Le toucher (tactilité ou empathie) est au fondement de la théorie transitionnelle de la psychogénèse et de la construction de l’identité subjective narcissique (Anzieu, 1995), au cœur aussi du fonctionnement du dispositif clinique transitionnel.
  • [11]
    Sur ce point, voir également la contribution d’Helen Maulion, 2008, « Narrer l’expérience intime du terrain », au colloque d’Arras (disponible sur http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00357433/fr/).
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