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Article de revue

Pour une géographie culturelle de la ville : « A passage to India »

Pages 172 à 193

Notes

  • [1]
    E.M. Forster, 1924, trad. fr. 1927, éd. 1982, A Passage to India, édit. C. Bourgois, 10/18.
  • [2]
    Les comparables ne sont ni des catégories, ni des formes, ni des types mais des choix conceptuels permettant la problématisation de la comparaison : ici la ville, l’espace public, la centralité...
  • [3]
    Ce texte est nécessairement succinct. Les problématiques qui y sont abordées sont exposées de manière plus détaillée dans l’ouvrage L’oubli des villes de l’Inde (2011).
  • [4]
    Sous le terme « hindou » sont rapidement rassemblés védisme, brahmanisme et hindouisme stricto sensu sans compter les éléments pré-védiques réinterprétés par l’hindouisme. Les termes sanskrits sont ici retranscrits dans l’alphabet français le plus simple et phonétique, sans respect des signes diacritiques convenus dans les disciplines spécialisées.
  • [5]
    Vastu Vidya : Science hindoue sacrée et secrète de l’architecture dont la forme écrite est postérieure au VIIIe siècle apr. J.-C.
  • [6]
    Le rta désigne la correspondance entre le corps humain, la société, l’assemblée et l’univers (Galey, 1983).
  • [7]
    Un résumé rapide est donné par V. Graff (1984).
  • [8]
    La terre conquise constitue le khalisa, réserve du souverain distribuée en jaguirs (fiefs) accordés aux chefs de guerre et aux rajahs locaux dépendants. Un autre statut est celui des zamindars « propriétaires » qui paient tribut mais lèvent l’impôt.
  • [9]
    Cette continuité contredit la construction idéologique d’une histoire en trois phases attribuée à James Mill, auteur d’une History of British India (1817) et d’un paradigme historiographique dont il sera difficile de se départir par la suite : un âge d’or hindou, un Moyen Âge musulman, une modernité britannique, qui stigmatise l’héritage musulman donc les musulmans contemporains (Gottlob, 2006).
  • [10]
    La Constitution de 1950 abolit l’intouchabilité et sa pratique par son article 17.
  • [11]
    D’après le Census of India 2011, la proportion de ruraux s’élève à 68,84 % contre 31,16 % de citadins, sur une base exclusivement statistique de définition de la ville et de la campagne, comme partout ailleurs.
  • [12]
    Une présentation brève est proposée dans l’article « Caste » (p. 135-137) du Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés dirigé par J. Lévy et M. Lussault, 2003, Belin.
  • [13]
    Le mot caste traduit deux termes donc deux catégories très distinctes. La varna, qui décrit un niveau de pureté dans l’ordre religieux et jati qui décrit une endogamie fonctionnelle. Les varna sont au nombre de quatre, les jati se comptent par milliers.
  • [14]
    Les conversions au christianisme ont été largement le fait de groupes intouchables qui en conservent les stigmates. Quant aux musulmans indiens, leur société est elle aussi hiérarchisée selon divers principes à rapprocher parfois de ceux des castes.
  • [15]
    Situation paradoxale d’une fraction de la société absente des textes idéologiques (« hors varna ») mais présente en société et même nécessaire à sa définition.
  • [16]
    Selon les contextes locaux et la composition de la population, la majorité des bidonvillois appartient aux catégories intouchables (S.C. ou « castes enregistrées »), sudras du bas, tribaux (S.T. ou « tribus enregistrées »), musulmans pauvres. De façon générale, les groupes bénéficiant d’une discrimination positive sont aussi sur-représentés dans les slums.
  • [17]
    Fausse corrélation établie au niveau d’agrégats construits sans réellement respecter les caractères des « individus ».
  • [18]
    Ainsi C. Bettelheim (1962) pensait-il que l’urbanisation croissante entraînerait une réduction des distances sociales en Inde. Ce phénomène témoignait du passage d’une société de castes à une société de classes, en premier lieu dans les villes importantes industrialisées. Les nouvelles configurations économiques, dont le salariat, et la vie urbaine « moderne » induisaient une mutation sociale forte et à terme, la disparition de l’ordre socio-religieux « traditionnel ». Une telle conception de l’histoire postule que toutes les sociétés connaîtront les mêmes étapes que celles parcourues en Europe.
  • [19]
    Capitale de l’État d’Andhra Pradesh dont l’unité est actuellement contestée. La ville a connu un accroissement démographique spectaculaire, de 2,5 millions au début des années 1980 à près de 7 millions d’habitants aujourd’hui, y compris par la transformation de son périmètre et des institutions urbaines.
  • [20]
    Les numéros renvoient aux strates chronologiques (chiffres simples), à la rencontre de plusieurs références (nombres doubles ou triples) avec : 1 = origine ; 2 = ville musulmane ; 3 = ville d’époque coloniale ; 4 = ville post-indépendance
  • [21]
    Programme concernant le Charminar et son ensemble urbain (Charminar Pedestrianisation Project), après la restauration luxueuse de Falaknuma Palace. Le monument emblématique aux quatre minarets est aussi reproduit en aluminium pour constituer l’entrée monumentale du parc des expositions au bord de Cybercity.
  • [22]
    Cette inversion comparatiste des modèles serait utile dans l’observation de la transformation de la centralité des villes occidentales, peut-être plus efficace que la poly-centralité ou que l’idée d’une dissolution de la ville dans l’urbain.

Introduction

1 En abordant le « savoir situé », Homi Bhabha (1994) propose que le contexte de l’objet se trouve dans l’objet lui-même, qu’il n’est pas son enveloppe mais une part de sa « nature ». Les discours scientifiques en sont imprégnés de la même manière que les expressions spontanées, sans y prendre garde. Ce passage par les villes de l’Inde veut alors montrer comment la production scientifique traite l’objet ville d’un point de vue situé avec l’illusion de l’objectivité surplombante et comment, ensuite, il est possible de faire avancer le concept par la recherche de « comparables » [2] (Détienne, 2000) exprimant la spatialité indienne (le contexte) à travers l’urbanité (l’objet ville contextualisé) [3].

2 Même si les « cultures » ne sont pas habituellement décrites à travers les « villes » réputées déculturées (européanisées, américanisées, mondialisées), je propose, en suivant U. Hannerz (1983) et F. Barth (1969) d’une certaine façon, qu’elles s’y manifestent le mieux en se rencontrant. Bien sûr, elles ne peuvent plus y être considérées comme « essentielles », le passage par les villes indiennes permettant de le vérifier en pointant les écueils idéologiques qui caricaturent « la » ville indienne successivement comme « ville de castes » puis « ville sous-développée », maintenant « émergente ». La tradition géographique qui souligne souvent le trait d’exception (Halbert, 2009) et, dans la course à l’image, les édiles elles-mêmes qui misent sur cette exception à coup de slogans : Bangalore comme Silicon Valley ; Hyderabad comme Hytec City (Kennedy, 2008), continuent de produire du stéréotype. Sous l’exception, cependant, il reste une ville habitée qui n’est pas faite que d’images et qu’il faut bien saisir pour peu que la vie ordinaire de millions de personnes doive compter : le contexte auquel il est légitime de porter attention.

1 Géographies des rapports au monde

3 Des auteurs comme A. Berque (1982) ou F. Paul-Lévy et M. Segaud (1983) ont marqué la proximité de la géographie culturelle et de l’anthropologie de l’espace. Ils distinguent, avec d’autres, deux grands types de conceptions géographiques : les conceptions non occidentales où « rien n’est neutre, indifférent » et la conception européenne qui « en ses deux moments fondateurs – “miracle grec” et Renaissance – [...] rompt avec cette façon d’être et fait émerger un nouveau type d’espace, abstrait et continu, homogène et vide, à prétention universelle ». On reconnaîtra ici le thème de la modernité et une allusion au « désenchantement du monde ». Si la géographie, dont la fixation moderne est européenne, traite bien la diversité des repères spatiaux, elle sépare les descriptions ordonnées du monde des ordres vernaculaires. Cette dichotomie est pourtant peu satisfaisante, la rationalité européenne étant « située » elle aussi.

4 Pour appuyer cette remarque, le champ urbain indien est exploré ici par sa signification davantage que par sa description. Les informations y sont en effet largement codées, produites par la diversité des groupes sociaux qui l’habitent, cela dans le constant remaniement des couches temporelles. Les modèles morphologiques urbains qui ont été trop souvent limités à la configuration duale indienne/coloniale, ont donc négligé les structurations plus profondes. D’autres figures méritent alors d’être considérées, les contributions respectives des idéologies hindoue, musulmane et européenne devant être envisagées sur le mode de l’échange, de l’interaction, de la confrontation et de la production que l’idéal politique néhruvien cherche à exprimer depuis soixante ans.

5 Comment une approche culturelle de la ville peut-elle intégrer ces modèles conventionnels en un seul, considérant que l’existence même d’un modèle contient l’information culturelle maximale à travers l’idéologie qu’elle porte ?

1.1 Une idéologie hindoue de l’espace

6 L’idéologie hindoue [4] de l’espace s’exprime dans une abondance de textes décrivant le monde idéal des lettrés, prêtres brahmanes, qui en dictent les normes. La plupart de ces textes, perçus comme « intemporels » et à visée spirituelle, n’ont pas été interprétés en termes de pouvoir avant le milieu du XXe siècle. Dans l’espace idéologique qu’ils décrivent, quelques principes de base peuvent cependant être avantageusement reconnus, même s’il est impensable de trouver dans la Vastu Vidya[5] l’explication de ce qu’est la ville en Inde aujourd’hui ou de ce qu’elle devrait être.

1.1.1 L’espace et le temps liés

7 La notion d’espace n’est pas étrangère à l’Inde ancienne. M. Gaborieau (1993 : 25) signale que la langue courante a retenu disa, « un espace organisé en de multiples directions à partir d’un centre ». Ces directions expriment d’abord l’idée du temps : purva, par exemple, qui signifie « avant », est ensuite « devant » et « Est » Cette correspondance renvoie aux différentes manières de parcourir l’espace : ou bien l’on reste fixe, « au centre de l’univers que l’on embrasse du regard », ou bien l’espace est « objectivé dans un monument dont on fait physiquement le tour dans des rites codifiés par la religion ». Temps, référence au corps humain, espace, fondent la représentation du monde dans cet ordre.

8 Si comme dans d’autres systèmes de référence, l’espace et le temps sont inséparables, fonctionnant en un système d’inclusions mutuelles, c’est de la représentation du temps que la vision hindoue de l’espace semble tirer sa signification originelle (Galey, 1983). Ce caractère « englobant » a été souligné également par l’anthropologue M.-L. Reiniche (1979) et divers auteurs se rejoignent pour observer comment, dans les temples, l’organisation des rituels répond à un récit qui agence les différents lieux du site. Récit et parcours désignent conjointement un temps qui s’écoule. L’espace est une étendue de temps ; comme la « danse cosmique » de Nataraja (Shiva dansant), le monde est un rythme.

1.1.2 Les connexions d’un espace topologique

9 Le « point de vue topographique » enregistrant la dispersion des sites sans y repérer d’ordre dans la localisation, manque le lien topologique qu’assure le temps. Ce principe organisateur met en « échec » les agencements qui nous sont familiers quand le lien et la circulation entre les sites créent cette organisation invisible. Un terme sanskrit l’exprime (rta[6]), lié aux pratiques de circumambulation et de pèlerinage et rapportant la valeur des lieux aux parcours.

10 Au total, deux grandes options peuvent être retenues des textes anciens dans la compréhension de l’espace urbain en Inde : un espace mouvant qui ne constitue pas une donnée première mais résulte du passage circulaire du temps, des cycles les plus courts aux cycles les plus longs et une hiérarchie des lieux qui est fonction de la hiérarchie des temps, laquelle est fluide. Nous noterons au passage que dans cette idéologie hindoue de l’espace, la ville n’apparaît pas en tant que telle bien que les cités de l’Indus préexistent au védisme. Il n’existe pas en sanskrit de terme propre à la désigner. Le mot grama (gram) s’applique à tout établissement humain (Malamoud, 1989), le même mot désignant aussi « constellation », « série organisée », « réunion » (Deleury, 1993 : 236).

11 Si cet espace hindou est normatif dans l’idéal, cela ne veut pas dire qu’il constitue la structure de l’espace réel, en particulier du fait d’une histoire qui n’est pas uniquement religieuse. Au fond « hindou » mythique et historique se sont ajoutées au moins deux formes d’organisation de l’espace qui étaient, quant à elles, issues de la tradition géométrique grecque appliquée à la terre (ce qu’on a appelé « géographie ») par les conquêtes musulmane et britannique.

1.2 L’espace des rencontres historiques

12 Ce n’est pas l’islam qui apporta l’État en Inde. Des royaumes et des empires, et non des moindres, l’avaient déjà plus ou moins entièrement couverte, de l’ancien Empire Maurya, contemporain d’Alexandre, à l’Empire Chola contemporain de Charlemagne. Il faut attendre ensuite l’Empire Moghol, à la fin du XVIIe siècle, pour un nouveau recouvrement de la péninsule, que le Raj britannique ne réunira pas en une seule unité politique et territoriale. Une conception économique et commerciale de l’espace est venue entre-temps se mêler à l’ordonnancement spatial des Indes.

13 Si l’historiographie a le plus souvent traité le pouvoir musulman comme une première colonisation avant celle des Britanniques et des Français, certains n’ont jamais manqué de rappeler que l’arrivée des Aryens, avec leurs textes védiques, pouvait aussi en constituer une et que l’Inde véritable n’était peut-être pas issue des régions du nord-ouest ni du monde nomade chanté par les Vedas. La vraie Inde serait au Sud, héritière de la culture « dravidienne ». À suivre ce type de dispute qui s’enferre dans les apories de l’autochtonie, l’Inde est bien sûr promise à l’éclatement. Mais l’histoire a eu lieu et, dans les pratiques courantes de l’espace, les fonds successifs se repèrent encore et sont exploités ensemble. C’est ce qui nous intéresse dans l’urbanité.

1.2.1 L’État islamique

14 C’est par l’Iran que l’islam s’est imposé en Inde comme cadre politique. La structuration de l’espace s’en est fortement ressentie par la mise en place de sultanats. [7] Comme conséquence, il est souvent soutenu que l’islam apporta la ville capitale, princière, magnifique et c’est autour de l’Empire guerrier et de la ville capitale qu’une idéologie spatiale « islamique » a pu se dessiner en Inde. Cette idéologie spatiale est à relier à la nature de l’État comme il se définit dans la tradition musulmane de lointaine origine arabe tribale. L’État, Dawla, s’y confond avec la dynastie et peut donc disparaître pour se trouver reconstruit sous une autre forme et sous l’autorité d’une autre famille, d’un autre centre. Il est aussi nécessaire de retenir que, dans cette tradition, l’attachement à la terre est faible – c’est dire de l’attachement au peuple. Le peuple habitant, comme la terre, ne sont que bases d’impôt ; l’espace est celui de la guerre.

15 Dans l’ensemble du monde musulman de la conquête, le statut de la terre comme territoire (paysan) est déprécié. La terre est bien l’espace du païen, du fellah en arabe, éventuellement du dhimmi (croyant d’une autre religion). Tous sont assujettis à l’impôt (de Planhol, 1968), ou plus exactement au tribut du fait de la position tabi, terme qui désigne à la fois la hiérarchie des lieux, le village par rapport à la ville de commerce, la ville de commerce par rapport à la ville « princière » ou capitale, le même mot désignant aussi le « sujet » en Inde.

16 Sur ces bases, plus politiques qu’idéologiques, bien qu’ancrées dans la tradition religieuse, l’Islam a plutôt laissé des traces sociologiques dans la stratification et les relations entre les groupes, cela en ville d’abord. L’État islamique a marqué le rapport de pouvoir avec l’espace en jeu et les relais hiérarchisés nécessaires au fonctionnement du système d’exploitation des campagnes tabi (hindoues) [8]. L’habitude s’est ainsi prise d’une surimposition de l’État, et d’un gouvernement par des « étrangers ». C’est cette organisation que la conquête britannique a rencontrée et en grande partie reprise en lui donnant une nouvelle base « idéologique » par la mise en place d’un espace de production.

1.2.2 Le Raj britannique

17 C’est par le commerce que la domination britannique s’est établie en Inde, mais le statut de l’East India Company dépassa rapidement le champ des transactions commerciales. La Compagnie connut une extension constante de son aire d’influence au cours du XVIIIe siècle, de quelques comptoirs à des régions entières. Pour alimenter les flux de marchandises, le contrôle puis l’organisation de la production la conduisirent à établir une véritable administration qui a constitué le cadre dans lequel s’est effectué le passage à l’Empire. Dès ce même siècle, elle a organisé une cartographie et un recensement des territoires, geste impérial s’il en est. La nouvelle dimension territoriale paraît par l’attention portée à la productivité des territoires qui ne se limite pas seulement à l’impôt. Alors que les Moghols avaient déjà mis en place un cadastre fiscal portant sur les terres, les recensements britanniques ont ajouté un recensement de la population par identité de groupe et par circonscription (Appadurai, 2001 : 187). Le ward puis le district devinrent alors les unités de base d’un tableau géographique fin qui maille encore le territoire indien. L’armature urbaine a pris son allure définitive : aux villes héritées et aux comptoirs de la Compagnie ont été ajoutés les cantonnements militaires puis les chefs-lieux des diverses circonscriptions.

18 Quelques concepts qui lient l’Inde sont passés à travers ces époques malgré les apparents soubresauts d’une histoire pas encore nationale, et que Nehru reconstitua en « une » histoire (Nehru, 1946). C’est d’abord l’idée d’empire qui est aussi hindoue : le chakravartin raja, roi au-dessus des rois ; l’autorité bureaucratique, l’administration omniprésente qui serait un héritage perse selon P. Spear (1997) et dont le secteur le plus important est celui de l’impôt, lui-même lié au survey, aujourd’hui census. En deçà des discours de mobilisation idéologique portant sur l’identité, et des partis qui peuvent être choisis quels que soient les pouvoirs, un même rapport médiatisé par le territoire découpé en circonscriptions (territoire de la souveraineté) lie la « population » à ses gouvernants. Dans un tel cadre, la société devient un nombre. Un écart institutionnel s’établit alors entre les fondements anthropologiques de l’espace vécu d’une part, et l’espace de gestion fondé sur une idéologie du territoire totalement étrangère pas seulement par provenance (musulmane ou britannique) mais par nature (le territoire administré) [9].

1.2.3 Le modèle néhruvien

19 Cet écart, très visible en Inde du fait des héritages historiques, rappelle fortement les écarts qui séparent les espaces sociaux vécus des espaces du pouvoir. C’est surtout vrai de l’espace du pouvoir « technocratique » dont l’idéologie est toujours étrangère bien que fondée sur la « raison » du territoire. Les systèmes de référence sont rarement accordés !

20 En Inde, malgré la geste gandhienne et ses bricolages idéologiques, malgré la modernité de Nehru, malgré l’association forcée des deux, l’indépendance à la fois nationaliste et socialiste introduisit la fiction de l’État plus encore que les modèles précédents. Le couple du pragmatisme et de la modernité s’est donc imposé sur un arrière-plan idéologique progressiste mêlant anticolonialisme et recherche de l’authenticité. Les villes en ont été les lieux en même temps que s’énonçait un discours anti-urbain (gandhien anti-colonial et anti-moderniste). Mais l’État y a investi dans le développement en même temps qu’elles croissaient comme jamais. Le modèle pragmatique et moderniste de Nehru l’emportait en dépit du discours gandhien sacralisé.

21 C’était l’intention de Nehru d’évacuer les dernières pages d’héritages particularistes comme en témoigne sa farouche opposition au redécoupage linguistique de 1956 qui faisait ressortir de vieux démons (des religions derrière des langues). L’espace culturel était bien un espace politique pouvant soit être traité géopolitiquement (affrontement culturel, découpage), soit politiquement par la transaction et le dépassement des identités individualisantes (Retaillé, 1996). Ce que Nehru cherchait par la ville justement. Ce faisant, cette modernité restait assez énigmatique pour une majeure part de la population sans pour autant provoquer de schizophrénie chez les administrateurs de divers grades qui ont pu produire des plans sans effets ; on se rappellera aussi que la dimension discriminatoire du système hiérarchique et ségrégatif de la caste est devenue illégale dans l’Inde post-coloniale [10] sans bouleverser pour autant les fondements anthropologiques de l’espace social.

2 Castes et espace

22 Les castes ont une histoire, quatre moments ou contextes ayant contribué à leur donner le sens qu’elles ont aujourd’hui : les castes ne sont pas pures, mais imprégnées de ces contextes indien, colonial, post-colonial et même de l’interprétation « scientifique » surplombante. Le premier renvoie aux sources écrites « indigènes » et à l’idéologie qu’elles portent. Le second témoigne du classement établi par le pouvoir politico-administratif colonial pour traduire des principes religieux éloignés des normes européennes de gouvernement. Le troisième rattrape le modèle ordinaire du sous-développement. Le quatrième qui est peut-être le plus subrepticement culturaliste, est une mise en ordre de la société par la caste avec ses conséquences sociales, économiques et politiques. Ces quatre contextes d’énonciation, qui sont aussi ceux de l’objet « ville » en Inde, sont croisés dans l’analyse de la caste et de l’urbanité.

2.1 L’incompatibilité présumée de la caste et de la ville

23 Malgré 377 millions de citadins [11], l’Inde continue d’être décrite comme « essentiellement » rurale. Cette prépondérance numérique rurale y prendrait même valeur d’authenticité à travers le village et la caste. En effet, une traduction spatiale de l’institutionnalisation des inégalités et des écarts entre les groupes sociaux a été reconnue dans le modèle idéal du village indien [12]. Les castes hautes en occupent un centre défini par le temple, les autres jati[13] s’installant dans des quartiers de plus en plus périphériques au fur et à mesure que l’on descend dans la hiérarchie. Les groupes occupant le statut le plus dévalorisé sont même repoussés dans des hameaux situés à quelque distance. Ainsi décrit, le village constituerait l’environnement propice à l’épanouissement d’une société attachée à la rigueur des statuts et au respect d’interdits nombreux, les distances sociales et spatiales étant équivalentes. Contrastant avec l’« authenticité villageoise » présumée, la ville (et plus particulièrement la grande ville) apparaissait comme incompatible avec le fonctionnement harmonieux de cette société. Ajouté au fait que la majorité des centres urbains sont réputés avoir été établis par des « étrangers », le lieu commun anti-urbain indien prend une consistance anthropologique.

24 L’explication de la réticence proclamée de l’Inde à la ville s’est développée dès le XIXe siècle. L’incompatibilité postulée tient à la fois de la représentation de l’organisation socio-religieuse (les castes sont essentialisées) et de l’idée même de ville, l’hydre dangereuse qui dévore toutes les sociétés. Certains nationalistes indiens, à la suite de Gandhi, en extrairont d’ailleurs un discours du refus exprimant l’Inde « éternelle » jalouse de ses valeurs millénaires (Spivak, 2009). Dans un registre inversé, le progrès de l’urbanisation fut aussi envisagé comme facteur d’affaiblissement et à terme de disparition des castes, donc de modernisation sociale et culturelle (Bettelheim, 1962).

2.2 L’intouchabilité, une discontinuité socio-spatiale

25 L’incompatibilité de la caste et de la ville est encore amplifiée par la discontinuité majeure de l’intouchabilité au sein même de la société hindoue, non comptées d’autres discontinuités comme celle qui sépare hindous et non hindous [14]. Mais les figures tranchées du territoire exclusif et de la ségrégation résultent surtout d’une schématisation du système par le plus grand des écarts, celui qui sépare brahmanes et intouchables, entre l’agraharam et les hameaux périphériques des villages. Pourtant, les deux pôles se situent en continuité, un gradient organisant l’ensemble des castes (dont les innombrables groupes intermédiaires), relativisant les positions extrêmes. Cette image d’un univers partagé n’en rencontre pas moins une « limite forte », telle l’interdiction pour les « hors-castes » [15] de fréquenter des lieux collectifs (temple, école, puits...), de porter certains vêtements et singulièrement des chaussures, ou encore de s’adonner à des activités réservées à d’autres catégories.

26 De la même manière les slums sont souvent présentés comme les équivalents urbains des hameaux d’intouchables. [16] Leur implantation illégale s’opposerait, en outre, au caractère planifié et organisé de la ville. Une telle description, classique des bidonvillois du « tiers monde », est renforcée ici par l’ordre socio-religieux. Si les bidonvilles n’étaient le lot de toutes les villes des régions en voie de développement, ils pourraient avoir été inventés en Inde et satisfaire ainsi à une explication culturaliste. Or les slums sont dans la ville et de la ville, leurs familles participent à l’économie urbaine et la territorialité des slumdwellers est comparable à celles des autres citadins indiens. D’ailleurs, la frontière entre slums et quartiers populaires dégradés est très floue.

2.3 Des pièges idéologiques

27 Dans cette perspective, il n’est pas inutile de revenir sur la transcription cartographique du modèle brahmanique de la société. La formalisation graphique du village indien « montre » la réalité de la structuration socio-religieuse en mobilisant deux modèles spatiaux : un modèle centre/périphérie pour rendre compte de la hiérarchie et un modèle ségrégatif qui attribue un territoire à chaque groupe individualisé. Cette figuration qui est fondée sur un passage direct du social au spatial ouvre deux pièges idéologiques, tant celui du récit brahmanique lui-même que celui d’une correspondance parfaite entre social et spatial.

2.3.1 Voisinage plutôt que bornage

28 La notion de quartier, unité de base de la spatialité urbaine européenne (ou américaine) est inadaptée à l’Inde. Le terme locality utilisé en anglais n’aide pas à dépasser cette absence puisqu’il désigne tout aussi bien une artère, un immeuble, un îlot, une zone assez indéfinie, sans échelle et sans limites. « Notre » quartier comme unité administrative et identitaire appelle au territoire selon une conception de l’exclusivité qui entre en contradiction avec les fondements mêmes de la société indienne. Si exclusivité il devait y avoir, ce serait par la caste et non par la localité ; les deux sont mêlés en voisinage.

29 L’observation de la relation société/espace en Inde conduit à proposer que l’identité se fonde d’abord sur le groupe et sa « limite » sans préjuger d’un territoire délimité a priori. C. Malamoud (1989) observe que déjà dans l’Inde ancienne, le grama védique « désigne une concentration d’hommes, un réseau d’institutions, bien plutôt qu’un territoire fixe : à la différence du pagus latin qui évoque l’enracinement territorial [...]. La stabilité du grama tient à la cohésion du groupe qui le forme plutôt qu’à l’espace qu’il occupe » ; « ce n’est pas la limite qui définit le village mais le village qui engendre la (notion de) limite ». De la même manière, un « quartier » ne se définit pas comme l’aire de localisation d’un groupe mais semble plutôt s’instituer comme un voisinage, possible ou impossible.

30 Deux types de voisinage peuvent être distingués : celui désiré et assumé qui répond à la norme et celui qui dépend davantage du hasard ou de la nécessité. Ainsi les proximités découlent-elles souvent de micro-voisinages en chaîne. Si de telles configurations ne peuvent être rendues par la délimitation de territoires, les proximités n’en sont pas moins calculées et ajustées très finement, ce que des agrégations d’échelles ne peuvent rendre sinon en forçant le trait jusqu’à l’erreur « écologique » comme la figure 1 en représente divers cas [17]. Le quartier urbain ne peut donc être abordé a priori comme un territoire vecteur d’identité. Si la préférence de voisinage oriente les membres d’une jati (ou les nouveaux arrivants) vers leur lieu d’habitation, l’identification d’un groupe à une aire est loin d’être une évidence, en dépit des toponymes. De manière significative, la composition multicastes des quartiers urbains a même été prise pour un indice d’affaiblissement du système « traditionnel » au profit du système « moderne » : la classe s’était substituée à la caste (CQFD) [18]. Dans les situations réelles, on observe plutôt une combinatoire de la hiérarchie socio-religieuse et de l’ordre socio-économique lesquels ne sont d’ailleurs pas sans relation (Louiset-Vaguet, 1997).

31 Ne pouvant instrumentaliser cette imbrication, certains entrepreneurs politiques fabriquent en discours du territoire compact, tout comme certains observateurs prêtent à la ville indienne un plan spatialement « communautarisé ». Avec un peu d’effort, l’entreprise politique et la vérification par la production d’expertises assez imprudentes peuvent y conduire par « réalisation ». L’urbanité indienne qui est fondée sur le mouvement, l’itinéraire, le carrefour, ne s’y conforme pourtant pas (infra). La ville indienne n’est pas ghettoïsée malgré les apparences ; la surface découpée n’en est pas le module mais la cartographie y aide, qui peut être suspectée d’exclusivité artificielle et dangereuse comme le suggère B. Harley (1995, 51). C’est autrement que se définissent les spatialités et neighbourhood ne devrait pas se traduire par « quartier » dans ce cas.

2.3.2 Articuler le social et le spatial

32 Au plan méthodologique, c’est le passage du social au spatial qui est problématique (Louiset, 2006). Soit les entités spatiales ou types spatiaux qu’on tente de retrouver partout universels sont préétablis et servent de cadre à la mise en forme de la société dans sa morphologie (alignement ou ségrégation de la figure 1) ; soit les catégories sociales préétablies sont projetées sur l’espace qui prend forme (regroupement ou voisinage de la même figure). Dans ces deux approches, espace et société sont séparés mais placés en miroir l’un de l’autre. Or, par l’idéologie spatiale comme par le fonctionnement pratique, la dimension spatiale est constitutive de la société de la même manière qu’il n’y a d’espace (social) que parce qu’il existe un système de relations sociales. C’est bien la raison de l’attention portée à la limite qui cernerait l’identité. C’est aussi la raison pour laquelle la ville et l’urbanité concentrent le maximum de problèmes et d’indices propres à saisir comme à fabriquer une identité différente de ce qui est posé a priori. Alors que la vulgate hindoue reste attachée au village mythique, c’est en ville et par le développement de l’urbanité que la société indienne (qui n’est pas qu’hindoue) se montre le plus à travers les réseaux fins des voisinages qui montrent des liens en chaîne plutôt que les ruptures.

Fig. 1

Les voisinages Neighbourhoods

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Les voisinages Neighbourhoods

33 Nous avons noté plus haut comment l’espace de la vie était une conséquence du temps dans le système de valeur dominant, et comment la position des lieux et leur hiérarchie étaient mouvantes. Nous avons noté aussi, par les rencontres historiques, comment trois espèces d’espaces étaient mêlées : l’espace anthropologique soumis à la mesure du temps d’une part, et les espaces de l’action politique puis de l’aménagement d’autre part, en plusieurs strates héritées mais liées. Dans une telle configuration, le passage direct du social au spatial, qui seraient à la fois séparés mais placés en miroir, est impossible. C’est le contresens de l’Urban Planning et de l’application des principes fonctionnalistes du zonage qui neutralise l’épaisseur des spatialités imbriquées. Cette planification étant elle-même un élément de la complexité sociale et spatiale, elle ne peut la surplomber.

3 Urbanité et spatialité indiennes

34 La ville indienne qui a sa place dans l’idée de ville sans qu’il soit nécessaire d’apporter quelque réserve, présente, à travers une approche culturelle, des propriétés utiles à la compréhension de la ville en général. Le retour sur les caractéristiques de l’espace urbain en constitution et non en état, apporte un dernier éclairage. Il apparaît que l’attention portée aux « spécificités » locales met moins en évidence des particularités qu’elle souligne le besoin d’une généralité conceptuelle plus exigeante. C’est en déconstruisant le modèle convenu de la ville indienne (ville de castes, ville sous-développée, ville émergente) qu’apparaissent ses éléments constitutifs. Ils sont issus de la transposition du type spatio-temporel européen avec sa succession de périodes, de pouvoirs, de centres, et une territorialisation sociale d’autant plus forte que la structuration en castes produirait par surcroît de la ségrégation institutionnalisée. Après avoir discuté le découpage en quartiers pour lui préférer le voisinageet la continuité, deux autres figures emblématiques de « la » ville prêtent à une discussion comparable : l’espace public et le centre.

3.1 Espace public ou « entre-deux » ?

35 L’espace public peut trouver une apparence en Inde. Les jardins, les avenues et ronds-points tracés de manière à placer en perspective les bâtiments officiels symboliques, le New Delhi de Luytens et George V, en offrent l’exemple le plus accompli. Si les vides plus ou moins en herbe peuvent rappeler les commons des campus britanniques, ils sont rares et ne sont guère utilisés qu’à l’occasion des manifestations officielles. Éventuellement, les classes moyennes s’y déploient aujourd’hui. On y joue au cricket ou l’on s’y étend comme à Hyde Park.

3.1.1 L’idée d’espace public

36 Dans une discussion portant sur la place qu’occupe l’espace public dans la définition d’une société et sur la nécessité de son existence, certains auteurs évoquent la possibilité d’autres espaces du lien : espaces collectifs, espaces communs, espaces civiques. L’espace public ne serait alors qu’une forme spécifique construite en Occident comme Habermas en retrace l’histoire. Cet espace public est-il l’un des « comparables » permettant de définir la ville ou bien plus largement l’ensemble du lien social, qu’il soit collectif, commun, civique ? À Bangalore, S. Srinivas (2004) préfère évoquer l’« espace civique » (civics) de reconstruction annuelle des solidarités intercastes et même interconfessionnelles, ce qui est à rapprocher de ce que Ch. Jaffrelot (2005) rapporte du fonctionnement politique et démocratique en y incluant le système des castes, assez improbable du point de vue occidental. L’espace public n’est pourtant pas une idée totalement extérieure à l’Inde. Les élites y ont été converties et Nehru lui-même établit son projet d’indépendance et de modernisation comme le droit pour tous d’accéder aux normes occidentales. Gandhi, déjà, avait initié la prise de parole populaire en meetings publics dans les années trente. La conquête des espaces réservés aux manifestations officielles a bien ouvert un espace public.

« Les ambitions civilisatrices du Raj britannique faisaient couramment l’objet d’une répétition générale en ville. [...] Pourtant, les conceptions urbaines qui s’exprimaient dans des attributions spatiales précises au sein des modèles civils et militaires britanniques ne répondaient à aucune représentation indienne, et les Indiens ne furent pas conviés à participer à leur définition. [...] Il fallait s’entendre sur ce qu’était une ville, ses espaces publics et privés, et sur les règles que chacun devrait respecter. Mais cette sphère de définitions partagées ne s’étendait qu’aux élites et aux classes moyennes indiennes qui, dans les premières décennies du XXe siècle, avaient commencé à affirmer une solide présence dans les villes. [...] Toutefois, en dehors de ces cercles puissants mais restreints, les civilités urbaines furent loin de faire l’unanimité. Pour les pauvres, les démunis, les immigrés venus de la campagne, l’idée britannique de la ville moderne n’avait aucun sens ; elle ne les atteignit jamais » (S. Khilnani, 1997, 2005, p. 180-181).

37 Si l’espace public est un « comparable » possible, ce n’est pas sous la forme nette de son importation : rues et trottoirs séparés, clôtures symboliques du privé et du public, temples civiques, jardins publics... places qui concentrent l’espace ouvert. Le contenu qui y est placé est « indigénisé ». L’hésitation de la qualification entre public, commun, collectif et civique témoigne d’ailleurs bien de l’impossibilité d’une simple transposition. Bangalore en fournit l’exemple. L’espace public passe ici par le jeu des castes, des relations inter-religieuses et la gestion d’héritages divers parfois contradictoires. Une procession religieuse annuelle, le Karaga Yatre, recrée l’espace commun par un itinéraire joignant les différentes pièces de la ville et rétablissant pour un temps l’ordre socio-religieux rituel bouleversé par l’évolution historique. L’idée d’espace public paraît alors dans un sens très « local », avec tanks et jardins au centre.

3.1.2 Bangalore : la défense de l’espace commun

38 Bangalore est habituellement présentée comme une ville qui atteint la modernité, avec espaces publics et planification de l’économie, dès l’Indépendance. Le niveau des infrastructures et un plan zoné donnent à la ville une image réglée, accueillante pour la suite d’une histoire qui dure jusqu’à aujourd’hui. Les nouveaux espaces présentés comme l’émergence d’un espace public lié à la démocratie n’ont pas surgi de rien mais ont été substitués à une organisation collective plus ancienne de l’espace.

39 Bangalore a d’abord porté, depuis sa fondation, l’image d’une « ville jardin ». Contrairement au tableau dressé de la ville indigène surdensifiée, immaîtrisable, elle était composée de noyaux d’habitat séparés par des entre-deux non bâtis : jardins, tanks. Pour l’essentiel, ces jardins étaient cultivés par la caste des Vahnikula kshatriyas mais il existait aussi des jardins d’agrément, tel le fameux Lalbagh du sultan. De ce point de vue, le cantonment britannique se caractérisait aussi par la présence d’espaces verts et de tanks, mais leur fonction était sensiblement différente : parcs entourant les bungalows, pelouses à parades, plans d’eau, le Lalbagh devenant un jardin botanique à vocation scientifique et pédagogique.

40 Les bouleversements paysagers n’ont pas été majeurs de la ville pré-coloniale à la ville coloniale. Ils ont été moins importants, en tout cas, que ceux qui ont été provoqués par le passage à la ville post-indépendance. Après l’Indépendance, les espaces relativement vides et libres ont été récupérés par la municipalité pour la construction d’espaces publics d’un nouveau genre : stades, cinémas, parcs, espaces récréatifs, ceinture verte.

41 De manière significative, la récupération de certains tanks pour des aménagements publics a été vécue par les habitants comme une expropriation de biens communs qui fournissaient l’eau et indirectement l’alimentation. Mais ces réservoirs occupaient aussi et surtout la position de « lieu de lien ». Ils constituaient des stations dans les processions, et étaient entretenus par les « jardiniers », caste fondatrice de la ville, ordonnatrice des cérémonies annuelles de recréation urbaine. Chaque tank était un temple. Paradoxalement, ce sont donc les « autorités » qui ont subverti l’espace réservé au public comme peuple (Srinivas, 2004 : 55) !

42 C’est comme bien commun de la société locale et accessoirement point d’appui du rite « civique » du Karaga Jatre que les tanks occupent l’espace public, portant même l’extension métaphorique de la sphère publique du débat, à la mode d’Habermas. S’ajoute à cette controverse qui n’est pas écolo-centrée, la revendication communautaire des « jardiniers » qui, d’une certaine manière, s’exprime politiquement par les rituels qu’ils mobilisent. Temples et tanks liés, voilà une sorte d’espace public inattendu : comme bien commun, lien social urbain, enjeu politique, si la forme n’y est pas, la fonction sociétale s’y retrouve analogue. D’autres « agoras » sont donc possibles que la place. Les défilés, manifestations ambulatoires assurent la co-présence et la convergence. Le carrefour en est l’image spatiale, équivalente à celle de la place mais porteuse d’une conception de l’espace radicalement différente. Alors que la place qui est au cœur du modèle de l’espace public de type agora est une convergence « fermée » qui permet la concentration mais fixe l’espace, le carrefour à l’indienne est une convergence ouverte qui permet une polarisation fluide, de passage.

3.1.3 L’entre-deux

43 L’hypothèse de l’entre-deux et le modèle du voisinage obligent à poursuivre la révision du concept d’espace public. Ce qui est admis comme espace régulé par la loi, s’étend en Inde (et souvent ailleurs) comme un vide intercalaire, une friche, un entre-deux plein de tanks, de jardins, mais aussi de slums, d’edge citiesaujourd’hui, et de circulations. L’entre-deux n’est pas exactement un espace vacant mais un espace sans plan, réglé par l’ordre du possible qui éclaire la question du voisinage. L’extension de la ville consiste dès lors en une juxtaposition d’éléments indépendants, sans rapport apparent entre eux mais liés par d’innombrables itinéraires qu’il reste à déchiffrer. Ainsi ce vieux temple isolé, après la disparition du village auquel il se rattachait, sur un terrain vague désormais voué au lotissement d’une high-tech city (Cyberabad près Hyderabad). Alors que la mutation foncière relève pour l’ensemble d’une logique spéculative « classique », ce temple sera conservé, comme tant d’autres qui obligent à détourner les voies rapides.

44 Dans un espace densément occupé comme l’Inde, c’est dans l’entre-deux que s’organise le mouvement, et d’abord celui de l’urbanisation ; il est l’espace des initiatives « spontanées » en contradiction avec l’édilité à la mode européenne héritée des Britanniques. Tous les segments de la société s’y retrouvent dans l’« illégalité », et pas seulement les pauvres bâtisseurs de huttes.

3.2 Centre ou centralité mouvante

45 Le centre est-il un « comparable » de même portée que l’espace public ? La spatialité indienne comme elle s’exprime en ville, conduit à une révision critique dans ce cas aussi. Le contexte recherché à l’intérieur même des objets, interdit le transfert simple de ce que l’on croit savoir de la ville sans rien demander à la société qui la produit en l’habitant.

46 La ville comme nappe mouvante, image souvent utilisée pour décrire l’étalement sans ordre des villes sous-développées, s’oppose à notre schéma de croissance polarisée par un centre bien identifié et même circonscrit. Sa pluralité a été le plus souvent attribuée à une succession historique des fonctions dominantes ou des pouvoirs. Ce n’est pas si simple : Hyderabad en sera l’exemple ici.

3.2.1 Quatre tableaux pour une ville

47 Une présentation de Hyderabad [19] peut satisfaire au modèle « classique » de la ville indienne qui en souligne l’organisation polycentrique à partir du dualisme centre indigène/centre colonial : le centre indigène est ici musulman, datant de la fondation de la capitale à la fin du XVIe siècle au Charminar (2) [20] après une première localisation à Golconde (1). Quatre tableaux successifs sont à la base d’une possible modélisation spatio-temporelle.

48 Le premier tableau de capitale musulmane s’appuie sur un centre désigné comme « cœur historique », « ville murée » ou encore « vieille ville ». Il présente les signes de l’Islam avec le Charminar (« quatre minarets »), la Mecca Masjid (grande mosquée), le bazar, les enseignes commerciales rédigées en ourdou.

Fig. 2

Dispersion de la centralité à Hyderabad Dispersion of centrality in Hyderabad

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Dispersion de la centralité à Hyderabad Dispersion of centrality in Hyderabad

49 Le second tableau, de ville colonisée, identifie un centre « moderne » (Abids : 23) remplissant l’entre-deux qui sépare le quartier du Charminar (2) de Secunderabad (3) proche du cantonnement britannique et de la gare, et comprenant le Secretariat et l’Assembly. La plus grande université d’État musulmane d’Inde complète cette centralité à l’est (Osmania 230) alors que le nœud de la circulation routière s’installe provisoirement à la sortie vers Bombay (Medhipatnam 320).

50 Dans le troisième tableau, d’une capitale d’État fédéré, l’ensemble est décrit comme une agglomération polycentrique nommée parfois « villes jumelles » (Hyderabad et Secunderabad) et présentée comme telle par le géographe local Manzoor Alam (1965). Comme dans toutes les villes décolonisées, l’ancien centre colonial est investi par l’élite locale alors que la ville indigène est surpeuplée et dégradée. Dans ce tableau qui est aussi celui de la croissance et de l’urbanisation, c’est la partie nord qui se développe, s’industrialise et se bidonvillise tandis que la partie sud, paupérisée depuis la Partition de 1947, décline faute d’investissements et se taudifie aux alentours des anciens palais. Mais une pièce nouvelle paraît dans la centralité avec l’aéroport de la Begum et le départ d’un futur alignement de centres commerciaux à la période suivante (34).

51 Le quatrième tableau décrit d’abord une capitale provinciale endormie (années 1980) pour aboutir à la métropole mondialisée du XXIe siècle. Cybercity (4) en constitue le nouveau centre, le quatrième, en prise avec le monde et de structure spatiale éclatée, comme il se doit. Ce nouveau centre regroupe les implantations d’investissements locaux ou mondiaux davantage soucieux de leur branchement global que de la valorisation de l’espace urbain local. Paradoxalement pourtant, cette centralité exploite la spécificité ancestrale (une vieille capitale musulmane en Inde inscrite dans le monde dès le XVIe siècle). La diaspora hyderabadi investit dans cette cybercity tout en conservant la première ville comme référence et comme symbole identitaires (Leonard, 2007).

52 Cette circulation du centre fournit l’occasion d’un débat sur la centralité elle-même et le sens qu’elle peut revêtir dans une société où le territoire se définit davantage par le groupe que par l’espace. L’appartenance religieuse est vécue en réseau, pour l’islam comme pour les castes hindoues, et ne saurait se réduire à des surfaces délimitées. Par surcroît, c’est la population tout entière qui a participé à la dynamique urbaine orientée vers le nord puis le nord-ouest. Les nouveaux quartiers sont habités par l’ensemble des groupes représentés, y compris musulmans, et le Charminar (« musulman ») possède toujours les attributs de la centralité pour la ville entière dont il est l’emblème : la « vieille ville » en cours de patrimonialisation (42) [21] entre dans le jeu de complémentarité des centres multiples avec de nouvelles fonctions.

Fig. 3

Hyderabad, route de Bombay Hyderabad, road to Bombay

figure im3

Hyderabad, route de Bombay Hyderabad, road to Bombay

53 La centralité est finalement mouvante, appuyée sur des fonctions et des images qui évoluent. Abids, par exemple, portant la modernité du XXe siècle jusqu’aux années quatre-vingt, n’en a plus constitué « la » vitrine quand, plus au nord-ouest sont apparus de nouveaux pôles pourvus des attributs « high-tech » de la post-modernité. Les centres commerciaux clinquants y voisinent dans la grande proximité entre les localités Khairatabad, Panjagutta (Jardin du Nizam) et Begumpet (l’ancien aéroport désaffecté en 2008). Et ainsi de suite jusqu’à l’actuelle Cyber City et en attendant l’effet de la construction du plus moderne des aéroports indiens loin au sud (40). Les nouveaux centres surgissent en périphérie plus rapidement qu’il n’est possible d’en rendre compte. Ils étalent leur croissance vers la ville : un étalement centripète en quelque sorte (figure 3). Karwan (12) et Abids, (23) en sont des témoins anciens. La même formule semble perdurer. Est-ce un modèle ?

3.2.2 Une centralité mouvante

54 Des quatre tableaux précédents, il serait possible de déduire soit la succession des centres soit le polycentrisme ; toutes choses très générales. C’est à une autre lecture de la ville « polycentrique » qu’une géographie culturelle invite. À Hyderabad comme ailleurs, le contexte est un mixte des références et non une succession. Son interprétation doit comprendre les modalités locales de représentation de l’espace soit un espace des représentations conforme à l’expérience d’habiter et non pas conforme aux exigences du paradigme spatial qu’a pu développer la géographie dominante. Voisinage et déambulation dans l’entre-deux en ont donné un aperçu qui permet de modéliser autrement la succession des centres.

55 Le temple hindou n’est pas une cathédrale. Pas plus que la mosquée il ne polarise exclusivement le commerce, le pouvoir, ni même le culte qui peut se rendre partout. Les pratiques cultuelles en font un lieu d’ouverture sur la pérégrination, un point relié aux autres points que sont les multiples temples, à l’image du panthéon indien. Itinéraire, réseau, voisinage, tout ceci appelle la position davantage que la localisation. La ville, comme le temple, ne constitue donc pas une figure spatiale fixée et centrée quand les pratiques dessinent des convergences mouvantes et éphémères en carrefour. Le centre est partout, les lieux se déplacent, leurs sites sont pris dans des itinéraires fluctuants, tracés par les pratiques spatiales des groupes qui assurent tour à tour le rassemblement des citadins (processions religieuses, manifestations politiques, flux des bazars... ici ou là). La manière « hindoue » de déambuler est partagée par les « musulmans » qui, de la même façon, circulent de dargah en dargah (tombeau de saint), et de site en site.

56 Cette pratique de la déambulation ne concerne pas seulement l’espace religieux mais aussi l’espace civique. Les circulations peuvent être codifiées comme le Karaga Jatre à Bangalore, produisant une articulation civique aux espaces socio-culturels (Srinivas, 2004). Ce qui est pris pour un polycentrisme ou une spécialisation fonctionnelle apparaît dès lors comme de la centralité en mouvement qui concerne tout autant l’espace économique. Seul un tel espace de représentation permet de comprendre la proximité non contradictoire des campus high-tech et de toutes sortes de niches informelles de survie, en passant par toutes les formes de travail, de produits. Il ne s’agit pas là de juxtaposition de secteurs économiques inégalement évolués mais d’un système d’échanges qui les associe tous comme déjà Milton Santos (1975) le notait dans L’espace partagé. La spatialité et l’urbanité indiennes donnent même à cette « rencontre » la fluidité qui pourrait expliquer la persistance d’écarts sociaux incompréhensibles dans la plus grande proximité.

3.2.3 Les carrefours

57 Les ponctuations de ces circulations ne sont pas des places mais des carrefours. Force est de constater que la place urbaine n’est présente que dans le plan colonial et encore a-t-elle été le plus souvent transformée en rond-point. Les carrefours expriment alors mieux la centralité mouvante que la place qui l’arrête. Alors que les places sont des lieux de convergence (centre), les carrefours sont des lieux de distribution (centralité) [22]. On en trouve un bon exemple en suivant l’axe de croissance de Hyderabad vers la Cybercity via l’ancienne route de Bombay.

58 Le carrefour de Medhipatnam, au début des années quatre-vingt, se présentait comme une station de transports en commun et de rickshaws, un ensemble de boutiques et des lotissements récents parmi lesquels on pouvait distinguer quelques édifices anciens dont une petite medersa. Ce lieu actif semblait marquer les limites de l’urbanisation dans cette direction, séparé des zones d’urbanisation continue par un « entre-deux ». Près de trois décennies plus tard, Medhipatnam ne ressemble plus à un carrefour mais à une localité très animée, un « petit centre », compris dans l’urbain dense. Le vide qui existait entre le carrefour et la ville s’est comblé et le « petit centre » ne constitue plus une limite urbaine. La métropole va bien au-delà désormais.

59 C’est en progressant le long du même axe que se présente aujourd’hui (2007- 2009) le carrefour un temps désigné comme « Grand Corner » et désormais nommé Gachibowli comme la localité qu’il ouvre. Entre la vieille route de Bombay et celle conduisant au stade « olympique », au campus fédéral (Hyderabad Central University) ou à Cybercity, « Grand Corner » est encore loin des fortes densités urbaines. Mais le passage de l’autoroute joignant le nouvel aéroport et Cybercity (2009) rend peu à peu méconnaissable ce « carrefour » qui formera, à n’en pas douter, un point de focalisation de centres de commerce et de service liés à la circulation constante.

60 Le même processus a généré l’un des carrefours « à la mode », celui de Punjagutta, entre Khairatabad et Banjara Hills. Il y a plus de vingt ans, ce croisement au milieu de rien vers Medhipatnam, comprenait seulement quelques boutiques. Aujourd’hui, il connaît une animation intense avec ses centres commerciaux, ses cafés fréquentés et même un jardin « public » (municipal).

Conclusion

61 Une attention portée à la spatialité indienne conduit à une autre interprétation de la ville en Inde. Elle n’y est plus une juxtaposition d’aires ou de quartiers des plus anciens au centre vers les plus récents en périphérie ; c’est un réseau de carrefours produisant de l’urbanisation vers « l’intérieur » selon des règles de voisinage qui se prennent par la circulation plus que par la station.

62 Un passage par l’Inde met en garde contre les « impasses conceptuelles » (Khilnani, 1997), les prescriptions urbanistiques déconnectées des réalités sociales (Menon, 1997), le tout sur fond de méconnaissance des fondements culturels de l’espace social et d’illusion d’une seule voie universelle de progrès vers l’utopie de l’ordre. « Le rêve [...] défaire notre « réel » sous l’effet d’autres découpages, d’autres syntaxes [...] jusqu’à ce qu’en nous tout l’Occident s’ébranle... » (Barthes, 2005 : 15).

63 Avec l’urbanité comme problème à déchiffrer plutôt que l’urbanisation comme phénomène à décompter, une re-conceptualisation de la ville est nécessaire et la situation indienne est utile au progrès comme toutes les situations jusqu’alors reléguées dans l’exotisme ou l’inaccomplissement. Le passage par l’Inde nous a livré d’autres clés d’interprétation de l’urbanité avec le mouvement plutôt que la circonscription comme dominante. Cette situation appelle même à revoir l’un des éléments fondateurs de la définition de la ville : la délimitation ville-campagne qui est ici insensée, de même que la stratification des niveaux d’urbanisation. La pérégrination ou les déambulations, la centralité en mouvement associent les lieux entre eux au-delà des limites urbaines fixées par l’administration de la statistique.

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  • Spivak G. (1988), « Can the subaltern speak ? », in Cary Nelson, Lawrence Grossberg (éd.), Marxism and the interpretation of culture, Chicago, University of Illinois Press, p. 271-313 ; trad. fr. de Jérôme Vidal, Les subalternes peuvent-elles parler ?, Paris, éditions Amsterdam, 2009.
  • Srinivas S. (2004), Landscapes of urban memory. The sacred and the civic in India’s High-Tech City, Hyderabad, Orient Longman.
  • Subrahmanyam S. (2004), « Inde ouverte ou fermée ? » in A. Mahé et K. Bendana (dir.), Savoirs du lointain et sciences sociales, ouvrage publié avec le concours de l’EHESS et de l’IRMC, Saint-Denis, Éditions Bouchene, p. 99-111.

Notes

  • [1]
    E.M. Forster, 1924, trad. fr. 1927, éd. 1982, A Passage to India, édit. C. Bourgois, 10/18.
  • [2]
    Les comparables ne sont ni des catégories, ni des formes, ni des types mais des choix conceptuels permettant la problématisation de la comparaison : ici la ville, l’espace public, la centralité...
  • [3]
    Ce texte est nécessairement succinct. Les problématiques qui y sont abordées sont exposées de manière plus détaillée dans l’ouvrage L’oubli des villes de l’Inde (2011).
  • [4]
    Sous le terme « hindou » sont rapidement rassemblés védisme, brahmanisme et hindouisme stricto sensu sans compter les éléments pré-védiques réinterprétés par l’hindouisme. Les termes sanskrits sont ici retranscrits dans l’alphabet français le plus simple et phonétique, sans respect des signes diacritiques convenus dans les disciplines spécialisées.
  • [5]
    Vastu Vidya : Science hindoue sacrée et secrète de l’architecture dont la forme écrite est postérieure au VIIIe siècle apr. J.-C.
  • [6]
    Le rta désigne la correspondance entre le corps humain, la société, l’assemblée et l’univers (Galey, 1983).
  • [7]
    Un résumé rapide est donné par V. Graff (1984).
  • [8]
    La terre conquise constitue le khalisa, réserve du souverain distribuée en jaguirs (fiefs) accordés aux chefs de guerre et aux rajahs locaux dépendants. Un autre statut est celui des zamindars « propriétaires » qui paient tribut mais lèvent l’impôt.
  • [9]
    Cette continuité contredit la construction idéologique d’une histoire en trois phases attribuée à James Mill, auteur d’une History of British India (1817) et d’un paradigme historiographique dont il sera difficile de se départir par la suite : un âge d’or hindou, un Moyen Âge musulman, une modernité britannique, qui stigmatise l’héritage musulman donc les musulmans contemporains (Gottlob, 2006).
  • [10]
    La Constitution de 1950 abolit l’intouchabilité et sa pratique par son article 17.
  • [11]
    D’après le Census of India 2011, la proportion de ruraux s’élève à 68,84 % contre 31,16 % de citadins, sur une base exclusivement statistique de définition de la ville et de la campagne, comme partout ailleurs.
  • [12]
    Une présentation brève est proposée dans l’article « Caste » (p. 135-137) du Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés dirigé par J. Lévy et M. Lussault, 2003, Belin.
  • [13]
    Le mot caste traduit deux termes donc deux catégories très distinctes. La varna, qui décrit un niveau de pureté dans l’ordre religieux et jati qui décrit une endogamie fonctionnelle. Les varna sont au nombre de quatre, les jati se comptent par milliers.
  • [14]
    Les conversions au christianisme ont été largement le fait de groupes intouchables qui en conservent les stigmates. Quant aux musulmans indiens, leur société est elle aussi hiérarchisée selon divers principes à rapprocher parfois de ceux des castes.
  • [15]
    Situation paradoxale d’une fraction de la société absente des textes idéologiques (« hors varna ») mais présente en société et même nécessaire à sa définition.
  • [16]
    Selon les contextes locaux et la composition de la population, la majorité des bidonvillois appartient aux catégories intouchables (S.C. ou « castes enregistrées »), sudras du bas, tribaux (S.T. ou « tribus enregistrées »), musulmans pauvres. De façon générale, les groupes bénéficiant d’une discrimination positive sont aussi sur-représentés dans les slums.
  • [17]
    Fausse corrélation établie au niveau d’agrégats construits sans réellement respecter les caractères des « individus ».
  • [18]
    Ainsi C. Bettelheim (1962) pensait-il que l’urbanisation croissante entraînerait une réduction des distances sociales en Inde. Ce phénomène témoignait du passage d’une société de castes à une société de classes, en premier lieu dans les villes importantes industrialisées. Les nouvelles configurations économiques, dont le salariat, et la vie urbaine « moderne » induisaient une mutation sociale forte et à terme, la disparition de l’ordre socio-religieux « traditionnel ». Une telle conception de l’histoire postule que toutes les sociétés connaîtront les mêmes étapes que celles parcourues en Europe.
  • [19]
    Capitale de l’État d’Andhra Pradesh dont l’unité est actuellement contestée. La ville a connu un accroissement démographique spectaculaire, de 2,5 millions au début des années 1980 à près de 7 millions d’habitants aujourd’hui, y compris par la transformation de son périmètre et des institutions urbaines.
  • [20]
    Les numéros renvoient aux strates chronologiques (chiffres simples), à la rencontre de plusieurs références (nombres doubles ou triples) avec : 1 = origine ; 2 = ville musulmane ; 3 = ville d’époque coloniale ; 4 = ville post-indépendance
  • [21]
    Programme concernant le Charminar et son ensemble urbain (Charminar Pedestrianisation Project), après la restauration luxueuse de Falaknuma Palace. Le monument emblématique aux quatre minarets est aussi reproduit en aluminium pour constituer l’entrée monumentale du parc des expositions au bord de Cybercity.
  • [22]
    Cette inversion comparatiste des modèles serait utile dans l’observation de la transformation de la centralité des villes occidentales, peut-être plus efficace que la poly-centralité ou que l’idée d’une dissolution de la ville dans l’urbain.
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