Couverture de AG_656

Article de revue

Évolution de la gouvernance métropolitaine à Sydney

Pages 398 à 417

Notes

  • [1]
    Australian Bureau of Statistics.
  • [2]
    Ville centre et banlieue (première couronne contiguë).
  • [3]
    Pour compléter, 18 % des Australiens vivent dans une ville moyenne au bord de mer, 16 % en milieu rural et 1 % dans le Outback (ABS, 2001).
  • [4]
    City of Sydney, (2000), Sydney 1999, p. 97.
  • [5]
    City of Sydney, (2000), Sydney 1999, p. 113.
  • [6]
    1 AUD (Australian Dollar) = 0,60 € en décembre 2006.
  • [7]
    Les ménages ont été ventilés en cinq classes de revenu hebdomadaire : 500 dollars australiens ou moins (300 € ou moins) ; de 500 à 999 (300 à 600 €) ; de 1 000 à 1 499 (600 à 900 €) ; de 1 500 à 1 999 (900 à 1 200 €) ; enfin 2 000 et plus (1 200 € et plus).
  • [8]
    J.-M. Merchet, « Émeutes après la mort d’un jeune en Australie », Libération, 17/02/2004.
  • [9]
    Thomas Hickey, 17 ans, meurt empalé sur une clôture métallique alors qu’il était poursuivi par la police (thèse contestée par les policiers) (http://news.bbc.co.uk/2/hi/asia-pacific/3491299.stm).
  • [10]
    The Sydney Morning Herald, différents articles entre le 1er et 3 mars 2005.
  • [11]
    P. Randrianarimanana, « Australie : quand la haine raciale inonde la plage », Courrier International, 13 décembre 2005 ; Sydney Morning Herald, divers articles entre le 11/12 et le 14/12/ 2005.
  • [12]
    Ce comté, aujourd’hui disparu, regroupait l’essentiel de l’aire métropolitaine de Sydney (hormis quelques communes ou comtés parmi les plus éloignés de l’Outer).
  • [13]
    Frost, Dingle, 1995, p. 22.
  • [14]
    Au début des années soixante-dix, le NSW Planning Department passe de douze membres avec un équilibre entre communes et État à seulement cinq membres nommés par la NSW dont un représentant des communes et un de la communauté pour l’ensemble de la métropole (Roseth, 2003).
  • [15]
    Voir, Merlin P., « L’aménagement du territoire en Grande Bretagne », in L’aménagement du territoire, Paris, PUF, 2002, p. 79-114.
  • [16]
    Équivalent du Plan de Déplacement Urbain (France).
  • [17]
    Shaping our cities, (1998), NW Department of Urban Affairs and Planning, 30 p.
  • [18]
    Department of Infrastructure, Planning and Natural resources, (2004), Metropolitan Strategy : planning for a better future, NSW, 24 p.
  • [19]
    Terme emprunté à McManus (2005) qui compare la ville australienne à un tourbillon irrésistible qui capture violemment les éléments à proximité et les détruits, ce qui engendre une évidente instabilité du système.

1 Les villes australiennes, éloignées des terrains habituellement investis par les géographes français, restent sans doute relativement méconnues, du moins en France. Elles sont situées pour la plupart en position littorale et rassemblent la grande majorité de la population d’un « pays immense », qui s’est « construit autour d’un vaste espace considéré comme vide, le bush » (Vacher, 2000, p. 18). En 2001 (ABS  [1]), quasiment les neuf dixièmes des Australiens sont des urbains et les deux tiers résident dans des villes de100 000 habitants ou plus. La structure du peuplement est dominée par quelques grandes villes : cinq dépassent ainsi le million d’habitants, pour vingt millions d’Australiens, et concentrent ainsi les deux tiers de la population totale. Le réseau urbain est de nature bicéphale, avec deux métropoles multimillionnaires, à savoir Sydney, la plus grande avec 4,1 millions d’habitants, et Melbourne (3,5 millions). Puis suivent, avec une population comprise entre un et deux millions d’habitants, trois autres aires métropolitaines : Brisbane (1,7 million d’habitants), Perth (1,4) et Adélaïde (1,2). Si ces îlots de peuplement ont globalement continué à croître à un rythme annuel moyen supérieur à 1 % au cours de la dernière période intercensitaire (1996-2001), un phénomène sunbelt est également à l’œuvre. Une forte pression immobilière est ainsi enregistrée sur le littoral du Queensland, État du nord-est qui connaît une croissance démographique non négligeable due à un solde migratoire nettement positif. Sans surprise, entre 1991 et 1996, sept des dix villes ayant connu la plus forte croissance en Australie étaient situées dans le Queensland (Gleeson, Low, 2000).

2 Les villes australiennes nous renvoient généralement l’image d’un modèle urbain hybride, empruntant leur morphologie aux métropoles nord-américaines et leur organisation socio-spatiale à la logique européenne. Sydney, dont la notoriété mondiale s’est considérablement accrue grâce à l’organisation des premiers jeux olympiques du XXIe siècle, semble parfaitement illustrer ce phénomène. Son aire métropolitaine est très étendue, s’étirant jusqu’à 60 kilomètres du downtown. Ce sont quelques-unes des modalités de cette croissance qu’il convient d’observer, en privilégiant un triple regard. D’une part, quel idéal d’urbanité sous-tend ce mouvement intense de suburbanisation, connu sous le nom de New Urban Frontier ? D’autre part, dans ce contexte d’une dilution très grande de la tâche d’urbanisation, comment se matérialisent les inégalités socio-spatiales ? Enfin, quelle politique de planification urbaine peut être mise en œuvre pour réguler cet étalement urbain ?

1 L’inexorable avancée de la New Urban Frontier

3 « En premier, il y eut le bush. Puis la banlieue. Où iront les prochains australiens ? » (Salt, 2004). Voici parfaitement synthétisées à la fois l’histoire et les interrogations qui pèsent sur l’évolution des espaces urbains en Australie. Le 4 décembre 2003, l’Australie a passé le cap des vingt millions d’habitants et affiche en 2005 une population estimée à 20,4 millions d’habitants qui, pour une large part, a choisi de vivre éloignée des villes centres. Seulement 6 % des Australiens, soit 1,2 million de personnes, résident dans un rayon de moins de cinq km des quartiers centraux (Inner Suburbs [2]) des grandes villes capitales contre plus de 11,4 millions (57 %) dans leurs banlieues proches (MiddleSuburbs) ou éloignées (Outer Suburbs)  [3]. Depuis 75 ans, l’Australie a gagné environ dix millions d’habitants dont huit se sont installés en banlieue proche ou éloignée. Plus qu’un simple choix de localisation résidentielle, la suburbanisation renvoie à la recherche d’un style de vie qui marque l’adhésion ultime au modèle sociétal australien. Dès le début du XIXe siècle, les villes australiennes se sont développées selon un modèle de faible densité prenant appui sur uncore central dense (Frost, Dingle, 1995).

4 Ce mouvement suburbain est sous-tendu par une forte volonté de devenir propriétaire d’une maison individuelle. Selon l’Australian Bureau of Statistics, en 2001, les trois quarts des Australiens sont propriétaires ou accédants et les quatre cinquièmes habitent un pavillon (separate house). L. Frost et T. Dingle (1995, p. 21) affirment que « vivre dans une banlieue calme, propre et spacieuse, loin du bruit et de la saleté du centre-ville, c’est quelque chose que la plupart des Australiens espèrent et cela, depuis les premières formes de développements urbains ». Cet idéal d’urbanité, connu sous le nom de New Urban Frontier en Australie, serait largement importé par les colons anglais parmi lesquels la classe moyenne-supérieure aspire à un modèle d’habiter mixte mariant l’urbain et le rural. À l’image de l’urbanisation d’une grande partie de l’ouest des États-Unis, le développement des grandes villes australiennes s’est déroulé ex nihilo, dans un contexte de forte disponibilité foncière bon marché et marqué également par un déploiement précoce des transports collectifs électrifiés dès le début du XXe siècle, puis des transports individuels. Il résulte de ces deux facteurs, couplés avec le désir des colons ou des Australiens de première génération de ne pas reproduire le schéma de la ville britannique industrielle dense, des agglomérations actuelles étalées. « Tout se passe comme si l’Australie gardait de son origine pionnière le goût des grands espaces. Ce peuple de citadins surburbains réaménage ses banlieues éloignées sur le modèle dugentleman farmer. […] Aujourd’hui 84 % des maisons individuelles dans les métropoles australiennes sont de plain-pied, isolées au milieu de leur terrain » (Bonnemaison, 1995, p. 283).

5 La région métropolitaine de Sydney (Sydney Great Metropolitan Region) constitue sans aucun doute l’un des terrains urbains les plus propices en Australie pour saisir les dynamiques, les facteurs et les conséquences attachés à cette quête urbaine quasi identitaire. Fondée par les Anglais en 1788, l’agglomération de Sydney a franchi largement le cap du million d’habitants après la Seconde Guerre mondiale pour devenir la zone urbaine la plus peuplée du continent (graph. 1), concentrant environ 20 % de la population totale du pays. Entre 1995 et 2000, l’aire métropolitaine a enregistré un gain de 264 000 résidants pour passer la barre des quatre millions d’habitants. Sous l’effet de la croissance démographique, la tache urbaine de Sydney n’a cessé de progresseren direction de l’ouest et du sud-ouest, atteignant respectivement Penrith et Campbelltown (fig. 1 et 2) à une cinquantaine de kilomètres du Downtown, tandis qu’un corridor d’urbanisation d’égale distance s’est développé le long de la côte, selon une direction méridienne (fig. 2). Ces couloirs d’urbanisation sont le fait combiné de l’essor des infrastructures automobiles depuis les années cinquante, des larges parcelles de terrains disponibles notamment dans la partie ouest de l’agglomération et d’un attrait de plus en plus marqué pour la localisation résidentielle littorale (beach lifestsyle) : dans les années 1990, un quart des Australiens vivait déjà à moins de 3 km de la mer (Newton, 2002).

Graph. 1

La croissance métropolitaine de Sydney et l’évolution de la répartition de la population selon les trois types de couronnes urbaines de 1947 à 2003. Metropolitan growth in Sydney and the evolution of the inhabitants location regarding three type of suburban rings between 1947 and 2003.

figure im1

La croissance métropolitaine de Sydney et l’évolution de la répartition de la population selon les trois types de couronnes urbaines de 1947 à 2003. Metropolitan growth in Sydney and the evolution of the inhabitants location regarding three type of suburban rings between 1947 and 2003.



ABS (2004).

6 Aujourd’hui, la ville de Sydney ne comporte que 32 903 habitants (ABS, 2003), soit 0,8 % de la population totale de la grande région métropolitaine, contre 7 % en 1947 ! L’Inner Suburbs (fig. 1) pesait pour 40,5 % du total métropolitain en 1947 mais seulement 16,9 % en 2003. À l’instar des villes états-uniennes, le CBD de Sydney concentre néanmoins une large majorité des emplois dans le tertiaire supérieur (50,6 % du total de l’agglomération) avec 4,25 millions de m2 de bureaux contre environ 1,6 million pour le reste de l’aire métropolitaine  [4] (principalement à North Sydney etParramatta). La ville de Sydney stricto sensu abrite 13 % de l’emploi total de l’agglomération mais 39 % des sièges sociaux des 150 plus grandes compagnies australiennes et 75 des 100 plus importantes sociétés de hautes technologies et communication  [5].

Fig. 1

Les gouvernements locaux de la région métropolitaine de Sydney en 2001. Local governments in the Sydney metropolitan region in 2001.

figure im2

Les gouvernements locaux de la région métropolitaine de Sydney en 2001. Local governments in the Sydney metropolitan region in 2001.


7 L’analyse de la répartition population/emplois dans l’agglomération de Sydney révèle donc une configuration métropolitaine relativement proche de la situation observable aux États-Unis (Billard, 2003). De la même manière, malgré les prémices d’un retour de la population dans la ville centre (+ 59 % entre 1991 et 2001, soit 9 000 personnes), la banlieue éloignée continue d’enregistrer les gains de population les plus importants en valeur absolue durant la même période (Liverpool + 56 084 ; Penrith + 22 767 ; Camden + 21 472…) pour des densités moyennes souventinférieures à 500 hab/km2 contre plus de 2 300 en moyenne pour l’aire métropolitaine. À Sydney, comme chez ses consœurs nord-américaines, la lutte contre l’urban sprawl (et ses effets sociaux et environnementaux associés) est devenue l’enjeu majeur de la planification urbaine, en tout cas officiellement. Afin de mieux apprécier l’interaction entre dynamiques spatiales et sociales générées par cet étalement urbain, une meilleure connaissance des inégalités socio-spatiales s’impose.

Fig. 2

La diffusion de la population dans l’aire métropolitaine de Sydney depuis l’après-guerre. The spatial distribution growth of the population in the Sydney metropolitan area since the World War II.

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La diffusion de la population dans l’aire métropolitaine de Sydney depuis l’après-guerre. The spatial distribution growth of the population in the Sydney metropolitan area since the World War II.


2 Les inégalités socio-spatiales à Sydney

2.1 L’agrégation spatiale des ménages aux revenus élevés

8 Parmi les indicateurs issus du recensement australien de 2001 susceptibles de révéler les inégalités socio-spatiales à l’échelle de la région métropolitaine de Sydney, l’analyse du revenu hebdomadaire des ménages a été privilégiée. Certes, la distribution des revenus n’est qu’un indicateur partiel de la richessedes ménages, car les gains tirés du patrimoine échappent à la mesure. Néanmoins, le revenu contribuant de façon déterminante au niveau de vie des individus, cette variable est particulièrement révélatrice d’inégalités socioéconomiques inscrites dans l’espace, et ce pour une double raison. D’une part, divers travaux ont bien montré que la valeur patrimoniale détenue par un ménage est en rapport direct avec ses revenus. D’autre part, la proportion de ménages pauvres ou riches, en terme de revenu, est fortement corrélée avec d’autres variables qui permettent également de fixer l’image sociale des différents territoires de Sydney. Ainsi, la proportion de hauts revenus (2 000 dollars australiens et plus par semaine, soit 1 200), calculée au sein des 49 municipalités ou comtés de l’espace métropolitain de Sydney, est corrélée positivement avec le pourcentage de diplômés de l’enseignement supérieur (coefficient de corrélation linéaire de + 0,87) et d’utilisateurs d’Internet au domicile (coefficient + 0,56), alors qu’à l’inverse, une nette corrélation négative se dégage avec la variable taux de chômage (– 0,77).

9 N’oublions pas cependant qu’une des limites à cette approche des inégalités socio-spatiales de l’espace métropolitain de Sydney tient au défaut d’homogénéisation des unités spatiales en terme de taille démographique, alors que « l’analyse statistique de la ségrégation donne des résultats plus robustes si les unités sont de taille homogène » (Préteceille, 2002). Si la population moyenne des 49 municipalités ou comtés est de 82 000 habitants, le coefficient de variation est élevé (0,57), révélant les fortes variations de taille enregistrées. Les dix municipalités ou comtés les plus peuplés (dernier quintile) ont ainsi une population moyenne près de sept fois plus élevés que les dix moins peuplés (premier quintile), avec respectivement 154 000 habitants et 27 000.

10 Le revenu hebdomadaire moyen des ménages de Sydney est compris entre 800 et 999 dollars australiens (480 à 600 €)  [6] en 2001. De part et d’autre de cette moyenne, une grande dispersion est observée  [7]. Ainsi, un quart de ménages dispose de moins de 500 dollars (300 €) par semaine, alors que quasiment un tiers vit avec plus de 1 500 dollars (900 €). Au-delà de cette distribution des ménages selon le niveau de revenu, l’examen des indices de dissimilarité et de ségrégation (Duncan, 1955) montre que la localisation résidentielle des plus aisés est au principe même de la division sociale de l’aire métropolitaine de Sydney. Le premier indice mesure la distance spatiale séparant les différentes catégories de revenus, le second leur inégale concentration spatiale. Ces deux indices, dont l’échelle de variation est comprise entre 0 et 100, sont basés sur l’hypothèse d’une équirépartition des différentes catégories. Ils mesurent en réalité la proportion de la population d’une catégorie donnée qui devrait changer d’entité géographique pour obtenir une répartition spatiale identique à celle des autres catégories : plus l’indice de dissimilarité entre deux catégories est fort, et plus ladistance spatiale les séparant est également importante ; plus l’indice de ségrégation d’une catégorie est élevé et plus elle est concentrée spatialement. Ainsi, les trois plus forts indices de dissimilarité sont obtenus par les hauts revenus (2 000 dollars et plus, 1 200 €), ce qui n’est guère surprenant au regard de leur tendance affirmée à l’agrégation spatiale (graph. 2 et 3). L’examen des indices de ségrégation des cinq classes de revenus dessine en effet une courbe très classique en forme de V, où la deuxième branche du V, celle des hauts revenus, monte bien plus haut que la première. Leur indice de ségrégation culmine à 24,4, alors qu’il n’est que de 14,7 pour les revenus les plus faibles (500 dollars et moins), qui présentent pourtant le deuxième indice, et qu’il atteint une valeur très faible pour les classes intermédiaires (seulement 5,7 pour les ménages situés entre 1 000 et 1 499 dollars, 600 à 900 €).

Graph. 2

Les indices de dissimilarités selon le niveau de revenu du ménage à Sydney en 2001. Dissimilarity rates according to the household income level in Sydney in 2001.

figure im4

Les indices de dissimilarités selon le niveau de revenu du ménage à Sydney en 2001. Dissimilarity rates according to the household income level in Sydney in 2001.

Classes de revenu hebdomadaire : 500 dollars australiens ou moins (300 € ou moins) ; de 500 à 999
(300 à 600 €) ; de 1 000 à 1 499 (600 à 900 €) ; de 1 500 à 1 999 (900 à 1 200 €) ; enfin 2 000 et
plus (1 200 € et plus).


ABS 2001.
Graph. 3

Les indices de ségrégation selon le niveau de revenu du ménage à Sydney en 2001. Segregation rates according to the household income in Sydney in 2001.

figure im5

Les indices de ségrégation selon le niveau de revenu du ménage à Sydney en 2001. Segregation rates according to the household income in Sydney in 2001.

Classes de revenu hebdomadaire : 500 dollars australiens ou moins (300 € ou moins) ; de 500 à 999
(300 à 600 €) ; de 1 000 à 1 499 (600 à 900 €) ; de 1 500 à 1 999 (900 à 1 200 €) ; enfin 2 000 et
plus (1 200 € et plus).


ABS 2001.

11 In fine, que l’on observe les indices de dissimilarité ou de ségrégation des ménages classés selon leur revenu, la structuration socio-spatiale de Sydney est très proche de ce que l’on observe généralement dans les grandes villes (Préteceille, 1997). D’une part, l’opposition entre les catégories extrêmes de la hiérarchie sociale est bien la dimension structurante de l’espace social. D’autre part et surtout, les catégories supérieures sont bien plus concentrées dans l’espace urbain que les ménages modestes, ce qui montre que les processus agrégatifs des catégories les mieux dotées en revenus constituent bien la donnée structurelle majeure de la division socio-spatiale de la capitale de la Nouvelle-Galles du Sud. Cependant, au-delà de ces traits généraux, un examen attentif des indices de dissimilarité révèle l’existence d’une sorte de continuum, avec de nombreuses situations intermédiaires, car en réalité la plupart des espaces sont socialement assez mélangés. Ainsi, les trois indices de dissimilarité les plus faibles sont obtenus entre des classes de revenus contiguës. En conséquence, les variations géographiques du revenu hebdomadaire moyen des ménages sont limitées et laissent deviner une ségrégation socio-spatiale atténuée. 40 % de la population vit dans une municipalité ou un comté dont le revenu par ménage correspond à la moyenne de Sydney, soit entre 800 et 999 dollars australiens en 2001, et une proportion équivalente réside dans une entité dont le revenu est supérieur. Un habitant sur six seulement habite donc une municipalité ou un comté au revenu moyen plus faible, compris entre 600 et 799 dollars.

Tab. 1

La répartition des classes de revenus des ménages dans les trois zones de richesse définies à Sydney en 2001. Distribution of household income classes in the three wealth categories defined in Sydney.

Ménages situés dans
chaque classe de revenus
Situation de la zone par rapport à la moyenne du revenu
hebdomadaire de Sydney (800-999 dollars australiens)
en % < à la moyenne = à la moyenne > à la moyenne
$500 au moins 36 28 20
$500-999 29 27 21
$1000-1499 18 20 18
$1500-1999 10 14 18
$2000 et plus 7 11 23
Total 100 100 100
figure im6

La répartition des classes de revenus des ménages dans les trois zones de richesse définies à Sydney en 2001. Distribution of household income classes in the three wealth categories defined in Sydney.



Classes de revenu hebdomadaire : 500 dollars australiens ou moins (300 € ou moins) ; de 500 à
999 (300 à 600 €) ; de 1 000 à 1 499 (600 à 900 €) ; de 1 500 à 1 999 (900 à 1 200 €) ; enfin
2 000 et plus (1 200 € et plus).
ABS 2001.

2.2 Une division sociale atténuée et une valorisation des espaces proches du downtown

12 L’illustration de cette division sociale atténuée peut être donnée par l’examen de la proportion de ménages pauvres ou riches en revenus dans les trois zones définies par leur positionnement par rapport à la moyenne métropolitaine (tab. 1). Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, dans la zone dont le revenu hebdomadaire moyen est supérieur à la moyenne de Sydney (soit vingt-cinq municipalités ou comtés pour 42 % de la population), la proportion de ménages pauvres (moins de 500 dollars par semaine) et de ménages riches (plus de 2 000 dollars) est identique, soit un cinquième. Ce qui signifie que les premiers sont sous-représentés à hauteur d’un quart et les seconds surreprésentés de près de moitié (les proportions atteignent respectivement un quart et un septième dans l’ensemble de l’espace métropolitain). Nous sommes donc bien en présence d’une situation où l’image de la ségrégation sociale à Sydney s’exprime en termes de sous et de surreprésentation des différentes catégories de revenus, car les situations de mélanges sociaux prédominent. Cela montre à l’évidence que les processus de dualisation socio-spatiale qui semblent caractériser l’évolution des grandes métropoles mondiales, du moins une partie d’entre elles (Sassen, 2001), semblent nettement moins prononcés à Sydney. Cette situation rappelle plutôt la situation française qu’étatsunienne, comme l’ont montré les observations d’E. Préteceille (2003) sur l’agglomération parisienne, qui infirment précisément cette théorie de la dualisation.

13 Quant à la configuration socio-spatiale de Sydney, telle qu’elle ressort à l’examen de la cartographie des hauts revenus (2 000 dollars australiens etplus par semaine), elle fait montre d’une nette opposition entre le cœur de l’aire métropolitaine et sa périphérie (fig. 3). Les taux les plus élevés de ménages disposant de revenus élevés se rencontrent dans la zone constituée des Inner ou Middle Suburbs, plus précisément de part et d’autre de la baie de Sydney (Port Jackson) puis en progressant vers l’ouest le long de la Parramatta River. À l’opposé, les municipalités ou comtés les moins bien dotés en ménages disposant d’un capital économique élevé sont situés pour l’essentiel dans la zone des Outer Suburbs, incluant les vastes territoires suburbains qui se sont développés jusqu’à une soixantaine de kilomètres du centre de Sydney principalement au cours de la seconde moitié du XXe siècle, selon un arc de cercle allant du nord au sud en passant par l’ouest. Autrement dit, à l’image des villes européennes, la structuration socio-spatiale de Sydney oppose bien, dans ses grandes lignes, un cœur métropolitain valorisé à une périphérie aux carences urbaines avérées (Searle, 2002) et support de l’accession à la propriété en maison individuelle de la classe moyenne. Cette configuration renvoie aussi largement à un différentiel d’aménités, dans la mesure où les espaces les plus valorisés correspondent aux territoires bénéficiant de la proximité du downtown mais aussi et surtout de la vaste baie de Sydney, ce qui permet de jouir d’un cadre naturel particulièrement agréable et recherché tout en s’adonnant à l’un des plaisirs favoris des Australiens, à savoir la navigation de plaisance (photo 1).

Photo 1

Les espaces résidentiels valorisés le long de la Parramatta River, qui prolonge à l’ouest la baie de Sydney (cliché G. Billard et F. Madoré). Valorised residential areas along the Parrammatta River in the west part of the bay.

figure im7

Les espaces résidentiels valorisés le long de la Parramatta River, qui prolonge à l’ouest la baie de Sydney (cliché G. Billard et F. Madoré). Valorised residential areas along the Parrammatta River in the west part of the bay.


Fig. 4

La répartition des ménages à hauts revenus (plus de 2 000 AUD hebdomadaires, plus de 1 200 €) à Sydney en 2001. Spatial distribution of the high income households (more than 2 000 AUD per week, more than 1200 €) in Sydney in 2001.

figure im8

La répartition des ménages à hauts revenus (plus de 2 000 AUD hebdomadaires, plus de 1 200 €) à Sydney en 2001. Spatial distribution of the high income households (more than 2 000 AUD per week, more than 1200 €) in Sydney in 2001.


2.3 Les indices d’une montée de la fragmentation socio-spatiale

14 L’image d’une ségrégation sociale atténuée n’exclut pas l’existence de poches de pauvreté au sein de l’aire métropolitaine de Sydney. Celles-ci peuvent être révélées par la prise en compte d’un autre découpage fourni par le bureau australien des statistiques en 60 Indegenous Profile, qui présente l’avantage d’offrir, pour certains comtés ou municipalités, un découpage infra. Ainsi, dans trois entités, certes très peu peuplées (entre 4 000 et 7 000 habitants), la proportion de bas revenus (moins de 500 dollars) atteint des sommets, représentant les deux tiers des ménages, contre un quart en moyenne, tandis que celle des hauts revenus (2 000 dollars et plus) y est à peine symbolique (un vingtième contre un septième). Deuxentités se situent dans le cœur de l’aire métropolitaine, à savoir Redfern et Waterloo, tandis que la troisième est en lointaine périphérie, à Campbelltown. L’existence de ces poches de pauvreté va de pair avec une coloration ethnique toute relative, illustrée par la proportion de populations aborigènes. Si celle-ci ne dépasse pas 1 % pour l’ensemble de l’aire métropolitaine de Sydney, elle atteint des valeurs plus élevées à Redfern, Waterloo et Campbelltown Airds, tout en restant malgré tout modeste, avec 6,6 %.

15 Par ailleurs, une étude de Gregory et Hunter de 1996, citée par C. Forster (1999), confirme que depuis 1976, à dollar constant, l’écart se creuse inexorablement entre les quartiers les plus riches et les plus pauvres dans les villes australiennes de plus de 100 000 habitants, ce qui alimente la thèse de la diffusion actuelle de poches d’exclusion (Gleeson, 2004). Cette montée des inégalités socio-spatiales s’inscrit par ailleurs dans un contexte de réduction des aides fédérales dans le domaine de l’éducation, la santé ou encore le logement (Forster, 1999), ce qui n’est pas sans rapport avec les tensions sociales et ethniques qui secouent Sydney depuis deux ans. Le 16 février 2004, une centaine d’aborigènes originaires du ghetto The Block (quartier de tous les trafics et interdit dans les faits à la population blanche  [8]) affrontait violemment 200 policiers pendant près de neuf heures pour protester contre la mort d’un adolescent  [9]. En mars 2005, la ville de Sydney connaissait une nouvelle série d’émeutes : après une course poursuite avec la police, deux jeunes Australiens se tuent provoquant trois nuits d’échauffourées violentes entre des dizaines de jeunes de la banlieue populaire de Macquarie Field et les forces de l’ordre  [10], aboutissant à une cinquantaine d’arrestations. Point culminant de ces tensions, le 11 décembre 2005, une manifestation dégénère le long de la plage de Cronulla (Sydney), entraînant l’agglomération dans plusieurs jours d’émeutes dont les initiateurs sont jeunes, blancs et souvent issus de la classe populaire  [11]. Si la haine raciale, notamment envers la communauté libanaise, apparaît médiatiquement comme le moteur de ces affrontements, le manque d’investissements publics dans les banlieues ouest et sud-ouest de Sydney produiraient d’importantes tensions entre la frange la moins favorisée de la population blanche et une partie des immigrés (Moyen-Orient, Asie), les deux parties étant en compétition directe pour l’accès aux logements sociaux et aux emplois les moins qualifiés. Si les politiques urbaines ne rendent pas les gens plus pauvres, elles peuvent néanmoins contribuer à réduire ou accroître les inégalités : le principe d’équité spatiale peut ainsi être interrogé au regard de 50 ans de planification métropolitaine.

3 Espoirs et réalités de la planification urbaine à Sydney

16 La première tentative pour organiser l’espace métropolitain autour de Sydney date de 1909 mais c’est sur le modèle du plan d’Abercrombie pour Londres que le comté de Cumberland  [12] lance, en 1948, une politique urbaine basée sur le développement de centres industriels et commerciaux satellites pour décongestionner la ville centre (Searle, 2002). Élaborées à partir d’une projection démographique sous-évaluée, les ceintures vertes agricoles (ex. Blacktown) qui devaient isoler les nouveaux développements du tissu urbain dense préexistant ont cédé sous la pression foncière et le laxisme des autorités qui laissent des lotissements non-planifiés se construire sur la frange ouest de l’aire métropolitaine.

17 Le plan de 1968 (Sydney Region Outline Plan) marque un tournant dans l’approche de la planification : suivant l’exemple de Copenhague (fingers plan), le gouvernement de Nouvelle-Galles du Sud, dont Sydney est la capitale, opte pour une stratégie visant à orienter la croissance métropolitaine vers des corridors drainés par les axes de communication majeurs (routes/rails) et s’articulant autour de points d’ancrage constitués des villes de banlieue les plus importantes, tout en protégeant de l’urbanisation les interstices situés entre ces couloirs de développement. Cette période voit donc l’affirmation du principe de déconcentration défendu par le gouvernement travailliste de Withlam, qui finance notamment la relocalisation des industries et la construction d’infrastructures dans les zones déficitaires de l’Outer Suburbs, ainsi que l’aménagement de villes nouvelles comme Macarthur au sud-ouest de Sydney (Searle, 2002). Il s’agit de rompre avec le concept de limitation de la croissance pour adopter celui de modélisation spatiale de cette dernière plus en adéquation avec l’idéologie australienne. En effet, l’Australie colonisée est marquée par le syndrome originel « d’une petite nation mais d’un grand pays qui renvoie à la notion de se peupler ou périr […] ceci donne une réelle valeur au concept de ma ville est plus grande que la tienne et croît plus vite » (Salt, 2004, p. 34). Sous la pression de l’euphorie économique et démographique de l’après-guerre (Long Boom), Sydney s’affirme définitivement devant sa rivale historique Melbourne comme l’agglomération dominante du pays (trois millions d’habitants en 1970), avec l’émergence d’une méga-région constituée de Sydney-Newcastle-Wollongong. Au total, « Sydney est typique d’une métropole mondiale qui expérimente la croissance de ses fonctions de commandement et de contrôle, de ses activités financières et de services internationaux » (Searle, 2002, p. 317). De fait, la maîtrise de l’étalement urbain ne résiste pas à la demande foncière, à l’essor des transports mécanisés (en 1968, un Australien sur trois possède une voiture contre un sur huit en 1945  [13]) et à la politique d’encouragement àl’acquisition de propriété individuelle en direction des vétérans de la Seconde Guerre mondiale (War Service Home) et des ménages (garantie des taux par la Banque Centrale). Rien d’étonnant donc si « entre 1950 et 1960, l’Australie et la Nouvelle-Zélande construisirent plus de maisons individuelles en accession qu’aucun autre pays industrialisé » (Badcock, 2000, p. 256).

18 Entre 1975 et 1990, le gouvernement de Nouvelle-Galles du Sud recentralise les pouvoirs en matière d’élaboration et de mise en œuvre des politiques urbaines  [14], créant une tension importante avec les collectivités locales ; dans le même temps, ce même gouvernement limite ses investissements et cherche à développer un partenariat public-privé en matière d’aménagement sur le modèle anglais des corporations [15]. La période de récession engage le gouvernement dans une course économique aspatialisée servie par une planification urbaine dérégulée et justifiée « par une compétition entre les villes pour capter les capitaux et les emplois dans une économie de plus en plus globale et mobile » (Searle, 2002, p. 318). La politique de déconcentration industrielle est ainsi pratiquement abandonnée et 342 km de freeways (M2, M4, M5 — voir fig. 1) sont construits en partenariat avec des opérateurs privés. Ceci remet en cause les principes de l’Outline Plan de 1968 (Kremer, 2003) et facilite l’expansion résidentielle peu dense, consommatrice d’espaces agricoles et non rentable (sous-utilisation des écoles, services publics, réseaux énergétiques…) des Outer Suburbs aux faibles capacités d’emplois et mal insérés aux réseaux de transports en commun. En 1979, l’Environmental Planning and Assessment Act réinjecte des considérations environnementales et prône une nouvelle gouvernance métropolitaine (incitation à la concertation entre les gouvernements locaux et les citoyens), tout en incitant les conseils municipaux à conclure des partenariats avec des prestataires privés en matière de fourniture de services et de construction d’équipements (Wilmoth, 2003, p. 113 ; McManus, 2005, p. 43). Après la mise en place d’un nouveau programme (Sydney into the Third Century), basé sur le principe d’une densification des zones urbaines déjà aménagées et d’une réintervention du gouvernement de la Nouvelle-Galles du Sud, la déception est grande face au décalage entre le discours officiel et les moyens financiers réellement engagés.

19 Pourtant, au début des années 1990, le ralentissement de l’immigration étrangère, la diminution de la taille des ménages, la montée idéologique des principes du développement durable sont des éléments favorables à une maîtrise de l’extension urbaine (Meyer, 2003, p. 13). Des auteurs tels que P. Newman et J. Kenworthy dénoncent d’ailleurs cet étalement de la villeaustralienne qui privilégie l’usage de l’automobile et la privatisation de l’espace urbain : une idéologie prônant un redéploiement des espaces publics et une densification intelligente du bâti (village urbain), soutenue par une politique de transports en commun plus ambitieuse, commence à trouver un écho favorable auprès des praticiens. La notion de ville compacte (ou de consolidation urbaine) devient ainsi la colonne vertébrale du programme Better Cities de 800 millions de dollars australiens lancé en 1991-1992 par la Nouvelle-Galles du Sud. Cette politique autorise la division des logements et augmente le seuil minimal des densités à l’hectare dans les nouvelles zones ouvertes à l’urbanisation. Si cette dernière mesure est renforcée en 1995 (quinze lots à l’hectare au minimum contre dix auparavant) avec l’apparition d’un nouveau gouvernement néo-libéral, celui-ci annule la division des logements, suspend le programme Better Cities et introduit une nouvelle politique urbaine : Cities for the 21st Century. Élaboré à l’échelle de la Sydney Great Metropolitan Region, ce programme semble s’attaquer de manière plus cohérente aux problèmes liés à l’étalement urbain en désignant quatre grands centres et neuf sous-centres pour intensifier la croissance, en instaurant le seuil minimal de 65 % d’appartements dans les nouveaux développements résidentiels et en coordonnant l’ensemble de la planification avec l’Integrated Transport Strategy [16]. En 1998, Shaping our cities [17] prolonge le mouvement général de densification mais en restant très favorable aux zones déjà attractives (Inner Sydney, Parramatta, Newcastle, Wollongong…). Ce plan assure également la promotion du développement durable, surtout par rapport à la gestion des ressources en eau. Le mouvement de consolidation urbaine tente d’orienter la croissance urbaine vers d’autres directions idéologiques et géographiques mais l’héritage laissé par le mouvement de suburbanisation est tenace (Frost, Dingle, 1995). Dans un contexte où le gouvernement de Nouvelle-Galles du Sud s’impose en tant qu’autorité la plus puissante et active en matière de planification urbaine car responsable de la politique urbaine, des logements sociaux, du contrôle environnemental ou encore des services publics de transports (McManus, 2005), il bride les capacités d’innovation des autorités municipales. D’ailleurs, pour ce même P. McManus (2005, p. 54), la construction à terme d’un gouvernement métropolitain efficient (association de municipalités) est vécue comme une menace par le gouvernement. La présence omnipotente, mais volatile au vu des alternances partisanes, des autorités de Nouvelle-Galles du Sud explique le manque de coordination à l’échelle régionale des politiques de lutte contre l’étalement urbain et les inégalités socio-spatiales, ce qui fait de la métropole de Sydney une aire ingouvernable (Dodson, 2003). À titre d’exemple, les autorités de Nouvelle-Galles du Sud maintiennent une cour d’appel (Land and EnvironmentCourt) qui défend l’intérêt de l’État et souvent des promoteurs privés, face aux gouvernements locaux.

20 Dans les années 1980, le réaménagement de Darling Harbor dans le centre de Sydney a semblé ouvrir une brèche dans la préférence marquée pour le modèle suburbain : « il a fait prendre conscience des capacités de réussite d’opération visant à la reconquête des quartiers centraux » (Salt, 2004, p. 51). Cependant, au-delà du projet urbain ponctuel, seule une volonté politique forte à l’échelle de la métropole pourrait infléchir l’étalement urbain. Malgré le volontarisme affiché en matière de maîtrise de l’étalement urbain, l’inversion des forces centrifuges est loin d’être une tâche facile comme le démontre le lancement en 2004 d’une énième politique urbaine  [18] qui relance la lutte contre l’étalement urbain et le gaspillage foncier, tout en réaffirmant la volonté de consolider sept sous-centres urbains dans la grande banlieue ouest de Sydney. Alors que deux millions de dollars australiens seront consacrés aux investissements dans ces secteurs pour renforcer leur attractivité économique et 1,5 milliard pour améliorer leur déserte ferroviaire, le gouvernement de la Nouvelle-Galles du Sud financera paradoxalement une extension du réseau routier rapide (dont le Cross City Tunnel en direction de North Sydney) pour une enveloppe totale de 3,6 milliards de dollars australiens. Comme le souligne G. Searle (2002, p. 319), « face à la faible marge de manœuvre imposée par la globalisation (concurrence urbaine pour capter emplois et capitaux), seules l’idéologie gouvernementale dominante, la volonté des institutions locales et la culture sociale peuvent faire varier la palette des choix en matière de politique urbaine ». Si différentes politiques urbaines ont échoué par le passé (et échoueront peut-être encore), il ne faut pas sous-estimer le poids du Great Australian Dream (Badcock, 2000, p. 255) qui sacralise l’accès à la propriété : si possible l’achat d’un suburban bungalow avec grand jardin qui matérialise une vision populaire d’une société juste et équitable (photo 2). Ne nous y trompons pas, avant même de penser à une reconquête massive et durable de la fonction résidentielle dans les villes centres, le défi métropolitain actuel est bien en premier lieu de limiter la fuite des ménages vers les Middle et Outer Suburbs. Entre 1990 et 2000, le gain net de population pour l’ensemble des huit villes capitales ne s’élevait qu’à 15 000 résidants dont 7 000 pour Melbourne et 5 000 pour Sydney, les deux métropoles les plus dynamiques du pays. Même s’il est établi que le développement immobilier dans les quartiers centraux et péricentraux est extrêmement visible (et voyant) et va le rester encore dans les prochaines années, ce n’est pas un mouvement assez ample pour influencer la culture urbaine australienne, le modèle dominant restant bien celui de la « backyard barbie and beachside barbie » (Salt, 2004, p. 53).

Photo 2

L’archétype du paysage suburbain australien composé de maisons individuelles (Australian bungalow) et de longs corridors commerciaux routiers (cliché G. Billard et F. Madoré). The archetype of the suburban australian landscape with single family detached housing (Australian bungalow) and long commercial road corridors.

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L’archétype du paysage suburbain australien composé de maisons individuelles (Australian bungalow) et de longs corridors commerciaux routiers (cliché G. Billard et F. Madoré). The archetype of the suburban australian landscape with single family detached housing (Australian bungalow) and long commercial road corridors.


Conclusion

21 En Australie, « l’étalement urbain fut pendant longtemps considéré par les autorités, les citoyens et les promoteurs comme idéal pour la santé et le moral car il permettait d’accéder à la vie en plein air » (McManus, 2005, p. 13). Il perpétuait aussi le mythe égalitariste matérialisé par l’achat possible pour tous d’une maison individuelle et l’accès aux plus-values foncières. « Pour la classe moyenne qui continue à bénéficier de l’accession à la propriété, ceci maintient l’illusion que tout cela est aussi accessible aux gens ordinaires comme eux » (Badcock, 2000, p. 266). Malgré l’émergence d’un processus de gentrification à Sydney, Melbourne ou Adélaïde dès la fin des années 1960 (Forster, 1999) ou encore l’apparition de la « notion péjorative de burbs » (Salt, 2004) pour qualifier la pauvreté d’une urbanité suburbaine obsolète, le puissant vortex métropolitain  [19] est difficile à infléchir.

22 Néanmoins, même si les villes australiennes, à l’image de leurs consœurs nord-américaines, sont extrêmement étendues, sous l’effet d’une suburbanisation pavillonnaire qui a beaucoup de choses en commun avec celle que connaissent les États-Unis, Sydney s’apparente plutôt à une métropole européenne par les caractéristiques de son schéma de structuration socio-spatiale (division sociale atténuée, valorisation des espaces les plus proches du downtown). La similitude des formes urbaines n’a donc pas tout à fait la même signification sociale de part et d’autre du Pacifique. C’est à l’aunede cette représentation dominante d’un pays relativement égalitaire, où les inégalités sociales sont peu visibles, que l’apparition des premières gated communities au cours des deux dernières décennies du XXe siècle a été généralement mal accueillie (Billard, Madoré, 2004). En effet, malgré la timidité encore manifeste du phénomène, celui-ci est bien perçu comme fondamentalement étranger à la culture socio-urbaine du pays, d’où l’emploi fréquent du terme « unAustralian » pour évoquer ce qui est ressenti comme un témoin de la remise en cause des fondements de l’État providence et une tendance à « l’américanisation » des villes et de la société. Pour P. Newton (2002), l’évolution actuelle des espaces métropolitains doit être perçue comme une preuve que la norme si longtemps admise d’une société australienne juste, égalitaire et sans différence de classes est sujette à changements sous l’impact des forces du marché. Cette mutation conforte l’agglomération de Sydney comme terrain pertinent pour le chercheur préoccupé par les transformations socio-spatiales et de gouvernances contemporaines des métropoles mondiales.

Bibliographie

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Notes

  • [1]
    Australian Bureau of Statistics.
  • [2]
    Ville centre et banlieue (première couronne contiguë).
  • [3]
    Pour compléter, 18 % des Australiens vivent dans une ville moyenne au bord de mer, 16 % en milieu rural et 1 % dans le Outback (ABS, 2001).
  • [4]
    City of Sydney, (2000), Sydney 1999, p. 97.
  • [5]
    City of Sydney, (2000), Sydney 1999, p. 113.
  • [6]
    1 AUD (Australian Dollar) = 0,60 € en décembre 2006.
  • [7]
    Les ménages ont été ventilés en cinq classes de revenu hebdomadaire : 500 dollars australiens ou moins (300 € ou moins) ; de 500 à 999 (300 à 600 €) ; de 1 000 à 1 499 (600 à 900 €) ; de 1 500 à 1 999 (900 à 1 200 €) ; enfin 2 000 et plus (1 200 € et plus).
  • [8]
    J.-M. Merchet, « Émeutes après la mort d’un jeune en Australie », Libération, 17/02/2004.
  • [9]
    Thomas Hickey, 17 ans, meurt empalé sur une clôture métallique alors qu’il était poursuivi par la police (thèse contestée par les policiers) (http://news.bbc.co.uk/2/hi/asia-pacific/3491299.stm).
  • [10]
    The Sydney Morning Herald, différents articles entre le 1er et 3 mars 2005.
  • [11]
    P. Randrianarimanana, « Australie : quand la haine raciale inonde la plage », Courrier International, 13 décembre 2005 ; Sydney Morning Herald, divers articles entre le 11/12 et le 14/12/ 2005.
  • [12]
    Ce comté, aujourd’hui disparu, regroupait l’essentiel de l’aire métropolitaine de Sydney (hormis quelques communes ou comtés parmi les plus éloignés de l’Outer).
  • [13]
    Frost, Dingle, 1995, p. 22.
  • [14]
    Au début des années soixante-dix, le NSW Planning Department passe de douze membres avec un équilibre entre communes et État à seulement cinq membres nommés par la NSW dont un représentant des communes et un de la communauté pour l’ensemble de la métropole (Roseth, 2003).
  • [15]
    Voir, Merlin P., « L’aménagement du territoire en Grande Bretagne », in L’aménagement du territoire, Paris, PUF, 2002, p. 79-114.
  • [16]
    Équivalent du Plan de Déplacement Urbain (France).
  • [17]
    Shaping our cities, (1998), NW Department of Urban Affairs and Planning, 30 p.
  • [18]
    Department of Infrastructure, Planning and Natural resources, (2004), Metropolitan Strategy : planning for a better future, NSW, 24 p.
  • [19]
    Terme emprunté à McManus (2005) qui compare la ville australienne à un tourbillon irrésistible qui capture violemment les éléments à proximité et les détruits, ce qui engendre une évidente instabilité du système.
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