Notes
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[1]
Ce choix d’arrêter l’analyse en 1975 s’explique par le bouleversement des procédures de divorce ; la nouvelle loi permettant le divorce pour consentement mutuel et donc une demande conjointe des deux époux modifie profondément l’unité des données statistiques assez cohérentes pour la période 1837-1975 (sur les bouleversements provoqués par la loi de 1975 : Baillon et al., 1981).
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[2]
La théorie de Coale (1973), synthétisée par la formule ready-willing-able suggère que l’adoption d’un nouveau comportement démographique est le résultat d’un ensemble de facteurs et nécessite trois dispositions préalables : les individus doivent considérer l’adoption du nouveau comportement avantageux (ready), il doit être accepté socialement et moralement (willing) et les individus doivent avoir les moyens de l’adopter (able). Simonsson et Sandström (2011) ont déjà mobilisé cette théorie à propos des divorces mais uniquement à l’échelle nationale) en montrant que les changements du contexte économique, social, culturel, juridique et politique en Suède ont eu une incidence sur les taux de divorce.
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[3]
En témoigne un dossier conservé dans les archives du ministère (direction des affaires civiles et du sceau, sous la cote provisoire FA1240).
-
[4]
Pourtant, la loi de 1975 ne répond déjà plus complètement aux attentes (source : projet de la loi de 2005). Trente ans après, la nécessité de sa réforme est très généralement admise et le 1er janvier 2005 entre en vigueur la nouvelle loi relative au divorce adoptée par l’Assemblée nationale (loi du 26 mai 2004) qui simplifie les procédures et a pour but d’apaiser les relations entre époux qui recourent au divorce.
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[5]
Baisse du taux de nuptialité à partir de 1972 (il passe d’environ 8 ‰ à moins de 4 ‰ en 2010) et hausse de la proportion de célibataires définitifs (qui passe de 7 % en 1972 à 20 % en 2011 ; INSEE).
-
[6]
Sur les sources pour l’analyse des désunions du point de vue de la démographie historique et de l’histoire des familles, voir Brée, 2019b.
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[7]
Avec des interruptions entre 1914 et 1918, en 1939 et en 1942 ainsi qu’en 1971-1972 (en 1971 et 1972, les statistiques sont simplifiées en raison de la mise en place programmée de statistiques plus complètes).
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[8]
Lorsque l’un des époux forme une demande principale en divorce, le conjoint peut avoir recours à une demande dite reconventionnelle à l’encontre de son conjoint ; le défendeur devient alors demandeur contre le requérant.
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[9]
Ces données ne sont pas toutes fournies pour le même type de demandes : demandeur : demandes principales et reconventionnelles, situation familiale, profession et durée du mariage : demandes principales uniquement ; motifs : demandes principales et reconventionnelles confondues.
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[10]
23 % des demandes de séparation et 16 % des demandes de divorces entre 1884 et 1913 ; respectivement 16 et 14 % entre 1919 et 1938 et 17 et 16 % entre 1945 et 1970 (dont la moitié à trois quarts sont retirées avant le jugement ou rayées du rôle et le reste rejetées).
-
[11]
Il existe des données sur l’âge des époux à partir de 1885 et sur la durée du mariage à partir de 1907. Les données sur l’écart d’âge entre les époux, le nombre d’enfants issus du mariage, la nationalité, et l’état matrimonial des époux sont fournies pour la période 1907-1910 puis 1911-1913 et ensuite pour toutes les années entre 1914 et 1939 (1931 pour l’écart d’âge) et pour certaines années de l’après Seconde Guerre mondiale. Les données sur les motifs du divorce n’existent, en revanche, que pour 1907-1910 et 1911-1913.
-
[12]
Ledermann (1948) avance le chiffre de 10 % de divorces non transcrits ; ce que confirment les données rétrospectives publiées dans l’Annuaire statistique de 1966 pour la période 1884-1938. Le taux est meilleur (5 %) pour la période 1946-1966.
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[13]
Ledermann (1948) a montré que la statistique des ordonnances de comparution était inutilisable mais Schnapper (1978, 455) estime qu’il est possible d’utiliser l’inscription au rôle du tribunal « stade ultérieur où la volonté du demandeur est pratiquement définitive et la statistique judiciaire peu discutable ».
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[14]
En effet, seuls les divorces apparaissent dans les Mouvements de la population et non les séparations de corps qui ne sont pas reportées dans les registres d’état civil.
-
[15]
L’analyse des mouvements des désunions judiciaires (séparations de corps et divorces) pose différents problèmes méthodologiques. Le premier réside dans le dénominateur auquel ces désunions devront être rapportées. La fig. 1 les rapporte au nombre de femmes mariées représentant la population soumise au risque de se séparer / divorcer. C’est la méthode validée par la plupart des recherches (Ledermann, 1948 ; Schnapper, 1978 ; Kalmijn et al., 2011). Une autre méthode de calcul aurait pu consister à rapporter le nombre de divorces d’une année n au nombre de mariages de l’année n−d où d est la durée moyenne des mariages rompus l’année n. Cependant, cela crée, par exemple, un pic de divortialité en 1927 car il y a eu moins de mariages pendant la guerre. Il est donc préférable de rapporter le nombre de désunions à la population soumise au risque de divorcer lorsque cela est possible. Par ailleurs, j’ai fait le choix de prolonger la courbe des divorces jusqu’en 2014 car il m’a semblé important de donner une vision globale et jusqu’à nos jours du mouvement des divorces.
-
[16]
4296 en l’an II ; 3 823 en l’an III, 2 083 en l’an IV (Ronsin,1990).
-
[17]
En effet, dans le cas d’une « simple allégation d’incompatibilité d’humeur et de caractère », le divorce ne peut plus être prononcé « que six mois après la date du dernier des trois actes de non-conciliation », tandis que, d’après la loi du 20 septembre 1792 (art. 14), il devait être prononcé « huitaine au moins, ou au plus dans les six mois après » cette date.
-
[18]
Bertillon (1883) publie des données sur les séparations de corps à partir de 1817.
-
[19]
4,4 pour 10 000 femmes mariées en 1938 contre 4,0 en 1884 ; 10,2 séparations pour 100 000 habitants en 1838 contre 7,9 en 1883.
-
[20]
Il est intéressant de noter que Bertillon (1883), dans son analyse des divorces et des séparations de corps à l’échelle des pays européens en 1883 (juste avant le vote de la loi de 1884 donc), est persuadé que les lois n’ont pas d’influence sur la fréquence des désunions, s’appuyant notamment sur le fait que malgré le changement de loi en 1816, le nombre des séparations judiciaires n’a pas changé. Il postule donc que le nombre de divorces suivant la loi de 1884 sera, peu ou prou, le même que le nombre de séparations de corps juste avant la loi. Il ne précise à aucun moment dans son texte que le fait de pouvoir se remarier pourrait encourager les couples à divorcer davantage qu’ils ne se séparent (une hausse des désunions ayant pourtant été observée au moment de l’autorisation des divorces en 1792, figure 1).
-
[21]
Cette tendance se retrouve dans la plupart des pays occidentaux même si les niveaux français de féminité des demandes au début du xixe siècle sont particulièrement élevés (Phillips, 1988 ; Bertillon, 1883).
-
[22]
Les divorces précédés d’une séparation de corps sont, en revanche, bien plus souvent demandés par des hommes (40 % en 1884 et 45 % en 1895) et même majoritairement à partir de 1905.
-
[23]
Les divorces obtenus par les femmes correspondent à 85 % à 97 % des demandes faites par des femmes, contre 70 à 89 % pour les hommes.
-
[24]
Ce déséquilibre va progressivement s’atténuer et, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le droit de la famille évolue peu à peu, notamment par la réforme des régimes matrimoniaux (1965).
-
[25]
En 1924 est créé le délit d’abandon de famille défini comme le refus d’un ancien conjoint de payer la pension alimentaire nécessaire à la contribution financière de la vie de famille de ses enfants.
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[26]
Il apparaît cependant qu’en 1907-1910 (seules années pour lesquelles cette information est disponible ; Mouvements de la population), parmi les époux les plus jeunes (moins de 25 ans), ce sont les hommes qui demandent majoritairement le divorce et pas les femmes. Il faut sans doute que celles-ci se soient un peu aguerries pour oser cette démarche.
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[27]
Comme en Suède (Simonsson et Sandström, 2011), on observe une corrélation importante entre l’évolution du divorce et la part des femmes dans la population active mesurée dans les recensements (source : Maruani et Meron, 2013) (tout en sachant bien que la mesure du travail féminin est mal renseignée et sous-estimée (Schweitzer, 2002).
-
[28]
Dans le détail, les hommes des générations les plus jeunes touchées par la guerre (nées entre 1886 et 1890) étaient souvent célibataires au moment du conflit et les survivants se marient finalement davantage que les autres générations au sortir du conflit grâce aux mariages « de compensation » (Henry, 1966). Dans la cohorte la plus touchée par la guerre en termes de mortalité (générations nées entre 1891 et 1895), beaucoup de survivants ont également réussi à se marier mais ils ont des taux de divortialité importants, notamment après 0 à 4 ans de mariage. Enfin, les générations nées entre 1876 (et surtout 1881) et 1885 ont également été fortement touchées par la mortalité (quoique moins que les plus jeunes) mais aussi par les séparations d’avec leurs familles imposées par la guerre. Ces couples, en particulier ceux mariés juste avant la guerre (1910-1914), ont les taux de divortialité les plus importants parmi les générations mariées avant la guerre. Le conflit a donc eu un double impact sur ces générations : en termes de mortalité tout d’abord, mais également sur leur vie familiale (Brée, 2018 ; 2020).
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[29]
La démence, la folie ou la fureur d’un des époux ; une condamnation à une peine afflictive ou infamante ; les crimes, sévices ou injures graves ; le dérèglement de mœurs notoire ; l’abandon ; l’absence sans nouvelle depuis cinq ans ; l’émigration. Le divorce est ensuite autorisé, par la loi du 4 Floréal an II, pour abandon du conjoint de plus de six mois.
-
[30]
Avec ce motif, aucun des deux époux n’est vraiment fautif, et il ne nécessite donc pas d’enquête. La procédure est cependant plus longue et donc plus coûteuse que pour certains divorces pour faute mais elle devient la plus intéressante après l’abrogation de la loi du 24 floréal (qui autorisait à demander le divorce après une séparation de 6 mois). Ce report des couples sur l’incompatibilité d’humeur « offrait à son tour trop de facilité » (Ronsin, 1990, 264) et la loi du 1er jour complémentaire de l’an V double en conséquence son délai minimum d’obtention, de 6 mois à un an. Mais ce ne fut pas rédhibitoire et le nombre de divorces pour ce motif après une chute remonte rapidement. On observe également un report des couples sur le consentement mutuel à partir de l’an V surtout (Ronsin, 1990).
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[31]
Ce motif est souvent utilisé, surtout après que la loi du 4 floréal an II a permis le divorce après une séparation effective de 6 mois (14 % des motifs à Bordeaux mais 77 % en l’an III ; 25 % à Montpellier et 71 % pendant l’application du décret (Ronsin, 1990). À Rouen, le motif de certains divorces a été transformé pour bénéficier du décret (Phillips, 1980).
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[32]
La comparaison des motifs évoqués lors des demandes de divorces et de ceux des divorces prononcés montre que la proportion de chacun des motifs est assez constante, ce qui tend à montrer qu’aucun motif ne mène davantage au rejet de la demande de divorce qu’un autre.
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[33]
À noter que les demandes de divorces précédées d’une séparation de corps ont des motifs très proches, en proportion, des demandes en séparation de corps.
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[34]
Ils sont cependant plus élevés parmi les divorces entre 1884 et 1914 et parmi les séparations à partir des années 1960.
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[35]
On ne dispose pas de données croisées entre motifs et demandeurs des séparations et divorce mais on sait que les demandes pour adultère féminin ne peuvent être effectuées que par des hommes et les demandes pour adultères masculin que par des hommes.
-
[36]
Les cartes présentées dans cette section ne concernent pas l’ensemble de la période étudiée par manque de place mais aussi parce que la distribution spatiale des séparations de corps et des divorces a déjà été dressée pour certaines périodes. Ainsi, Schnapper (1978) a analysé les séparations de corps entre 1837 et 1884, Ledermann (1948), les séparations de corps et les divorces de 1936-38, Roussel (1970) ceux de 1964-67 et Munoz-Perez (1981) ceux de 1970-1975. Les cartes présentées ici (ainsi que les analyses statistiques qui suivent) concernent donc principalement la période 1890-1930, qui a été la moins étudiée.
-
[37]
Du département de la Seine en réalité dont Paris représente 80 à 90 % des séparations.
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[38]
En effet, dès 1885, 79 % des désunions parisiennes correspondent à un divorce et plus de 90 % en 1888 (respectivement 70 et 77 % pour la France). La barre des 95 % est franchie en 1907 (84 % pour la France qui n’atteint le palier de 95 % qu’en 1977).
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[39]
L’analyse se base sur l’ancien découpage régional (en vigueur jusqu’en 2016).
-
[40]
À noter cependant que les séparations, nombreuses dans les pays de la Loire, ne se traduisent pas ensuite par de forts niveaux de divortialité alors qu’à l’inverse, les divorces (post-1884) sont plus nombreux autour de Perpignan et Toulouse que ne l’étaient les séparations (pré 1884).
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[41]
La résistance de la Bretagne au divorce apparaît toujours à la fin de l’entre-deux-guerres, mais elle est moins forte au milieu des années 1960 alors que la résistance du Massif central apparaît davantage (Ledermann, 1948 ; Roussel, 1970).
-
[42]
Des régressions de Poisson ont été utilisées car elles permettent d’analyser de manière robuste des événements rares (comme les désunions) qui ne sont pas distribués selon une loi normale. Des régressions linéaires ont, en revanche, été menées pour la préférence pour le divorce car il s’agit ici du rapport entre le nombre de divorces et l’ensemble des désunions.
-
[43]
Les séparations et les divorces ont été rapportés aux mariages ayant eu lieu dans le département dix ans auparavant afin de tenir compte de la durée des mariages. Ce rapport est un pis-aller puisque les séparations et les divorces sont jugés au tribunal du domicile des époux au moment de la demande et dans leur département de mariage.
-
[44]
Pour ces variables, le coefficient de corrélation est supérieur à 0,65 et montre des corrélations négatives entre la proportion d’agriculteurs d’une part et la proportion de naissances illégitimes, le niveau d’infécondité ou le taux d’urbanisation d’autre part, mais aussi entre taux d’infécondité et taille des ménages ; et des corrélations positives entre taux d’illégitimité et taux d’urbanisation.
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[45]
Le lien apparaît toujours en 1891 et 1911 mais le pseudo r des modèles est quasi nul.
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[46]
Comme cela a été entrepris pour le département de la Seine (Brée, 2019a).
-
[47]
Les données issues des Comptes généraux de la Justice, qui correspondent à l’ensemble des demandes de divorce, indiquent une durée de mariage de 8 à 9 ans alors que ceux des Mouvements de la population, qui correspondent à la transcription dans les registres d’état civil des divorces prononcés indiquent une durée de 12 ans. Les demandes sont donc effectuées après 8 à 9 ans de mariage mais aboutissent en moyenne après 11 à 12 ans de mariage.
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[48]
Il est intéressant de noter cependant que les couples mariés depuis moins d’un an, s’ils faisaient au départ partie de ceux qui se tournent bien davantage vers le divorce font, à partir des années 1905, partie de ceux qui privilégient le moins cette forme de désunion.
-
[49]
On ne peut pas vérifier cette hypothèse, les publications utilisées ne fournissant pas de données sur les âges au mariage des divorcés.
-
[50]
Malgré les fortes perturbations de la nuptialité liées à la première guerre mondiale (baisse du nombre de célibataires qui se marient pendant la guerre provoquant une hausse de la part des veufs et veuves ; puis hausse du nombre de veufs et de veuves qui se remarient après la guerre, suivis par les divorcés), ces résultats sont assez constants pour toute la période à l’exception des hommes et femmes divorcés qui sont plus nombreux parmi les couples qui restent mariés que parmi ceux qui divorcent pour la cohorte mariée en 1911-1921 (ou considérée comme telle).
-
[51]
Les niveaux d’infécondité passent de 9 % pour la génération de femmes mariées (ou l’ayant été) nées en 1850, à 15 % pour la génération 1875, à 17 % pour la génération 1900 et à 6 % pour les générations nées vers 1945 (Brée, 2017b).
-
[52]
Les femmes séparées et divorcées de sa base de données sont 0 % à n’avoir qu’un enfant (contre 32 % pour les femmes mariées), 28 % deux enfants (contre 24 %) et 29 % trois enfants ou plus (contre 44 %) (Sohn, 1996).
-
[53]
Aucune de ces comparaisons n’est exacte puisque les patrons industriels (par exemple) sont compris dans la catégorie « professions industrielles » et certains ouvriers des recensements (notamment les ouvriers du secteur agricole) ne sont probablement pas comptés ainsi dans les Comptes de la Justice.
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[54]
La réforme de 1915 augmente considérablement les possibilités de divorcer mais on n’observe pas d’augmentation des divorces car la population n’est pas prête à utiliser ces nouveaux dispositifs (Simonsson et Sandström, 2011).
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[55]
Entre 1817 et 1883, il semble que les séparations de corps sont principalement utilisées par les femmes pour se protéger ou protéger leurs enfants et pouvoir vivre en dehors du domicile conjugal. En revanche, lorsque le divorce est autorisé et surtout lorsque le consentement mutuel est possible, le nombre de demandes explose. Il est donc difficile d’envisager l’évolution des demandes en séparations de corps comme l’adoption de plus en plus grande d’un comportement novateur – comme on peut le faire avec le divorce. Pourtant, même lorsque la séparation de corps ne permet que de se protéger, sa distribution spatiale montre des différences importantes selon les départements ; distribution spatiale d’ailleurs quasi similaire à celle du divorce dès 1884. Ainsi, même si on peut difficilement considérer la séparation de corps comme un comportement novateur, la compréhension de l’évolution de l’ensemble des désunions bénéficie du questionnement théorique proposé par Coale (1973).
1 Entre les recherches sur les premiers divorces du xixe siècle (Bertillon, 1883 ; 1885) et les recherches sociodémographiques sur les divorces actuels (en particulier à partir des années 1960), les études historiques sur les désunions judiciaires, et surtout les désunis, sont rares en France (Dombrowski-Keerle, 1972 ; Dessertine, 1981 ; Phillips, 1979, 1980 ; Ronsin, 1990, 1992) et portent le plus souvent sur la période révolutionnaire et l’Empire. Si quelques auteurs ont travaillé, de manière quantitative, sur l’évolution des séparations de corps et des divorces et les caractéristiques des désunis (Schnapper, 1978 ; Ledermann, 1948 ; Henry, 1952 ; Roussel, 1970 ; Sardon, 1996 ; ADH 2020 (2)), ils ne l’ont cependant jamais fait sur la longue durée, depuis le divorce révolutionnaire jusqu’à nos jours.
2 L’histoire des séparés et des divorcés est, pour ces raisons, encore largement à faire, mais elle ne peut l’être que réinscrite dans une compréhension globale de l’évolution des désunions judiciaires (séparations de corps et divorces) en France de la Révolution à 1975 [1], et c’est là, l’ambition de cet article. À partir de données agrégées à l’échelle nationale et parfois départementale, l’idée est de proposer une première histoire quantitative du divorce qui servira de cadre d’analyse à des recherches plus fines, à l’échelle individuelle et donc plus limitées au niveau spatial ou temporel (Brée et Gourdon, 2020).
3 Le fait central d’une séparation ou d’un divorce reste a priori la mésentente dans le couple, mais peut-on dégager des caractéristiques (socioéconomiques, de résidence, géographique) qui pourraient expliquer que certains couples se séparent ou divorcent plus que d’autres ? Quel époux demande le plus fréquemment la séparation ou le divorce ? Au bout de combien d’années de mariage et pour quel motif ? Par ailleurs, quels couples continuent à se tourner vers la séparation lorsque le divorce est autorisé ou, autrement dit, qui résiste au divorce ?
4 L’ambition de cet article est de déployer, dans l’analyse du recours au divorce judiciaire, les différents volets de la théorie développée par Ansley J. Coale sur les conditions nécessaires à l’adoption d’un nouveau comportement démographique (Coale, 1973 [2]). Il s’agira, tout d’abord, d’appréhender le rythme auquel les couples adoptent ce nouveau comportement dès lors qu’il est avantageux et adoptable (ready et able de la théorie de Coale). À travers l’analyse du sexe des demandeurs et des motifs utilisés, se posera ainsi la question des mécanismes qui mènent à la séparation et au divorce. Au-delà, l’enjeu sera de comprendre qui sont les précurseurs de l’adoption de ce comportement novateur – et donc dans quels milieux il est le mieux accepté socialement et moralement (willing) – et comment il se diffuse ensuite, socialement et géographiquement.
Histoire des séparations et divorces : du côté de la loi
5 Au gré des régimes politiques successifs, la législation sur le divorce a fait l’objet de nombreux remaniements. Au cours du Moyen Âge, le mariage est une institution éphémère qui se fait et se défait au gré des alliances et la noblesse française a ainsi largement recours à la répudiation. Dès la fin du xie siècle, l’Église commence à édicter sa norme du mariage pour finalement prononcer son indissolubilité et interdire le divorce en 1563 (Concile de Trente), ne laissant aux catholiques que le seul recours à la séparation de corps qui rompt l’obligation de vie commune sans permettre le remariage. À la fin de l’Ancien Régime, les voix des philosophes des Lumières (notamment Montesquieu et Voltaire) s’élèvent pour condamner l’indissolubilité du mariage. Le mariage est désacralisé et laïcisé par les révolutionnaires le 3 septembre 1791 (instauration du mariage civil) avant que la loi du 20 septembre 1792 instaure le divorce, notamment par consentement mutuel, car « la faculté de divorcer résulte de la liberté individuelle, dont un engagement indissoluble serait la perte ». La séparation de corps est, elle, supprimée. Cette loi est cependant rapidement critiquée pour son trop grand libéralisme, et le Code civil (1804) en limite fortement le champ d’application : le divorce est maintenu, mais la procédure est rendue plus stricte, les formalités plus rigoureuses, ce qui le rend désormais exceptionnel. En revanche, la séparation de corps est réintroduite. Finalement, dans un contexte où la monarchie de retour au pouvoir veut « rendre au mariage toute sa dignité dans l’intérêt de la religion, des mœurs, de la monarchie et de la famille », la Restauration réaffirme l’indissolubilité du mariage en abolissant le divorce par la loi du 8 mai 1816 (loi Bonald).
6 Pendant toute la période de 1816 à 1884, de nombreuses pétitions réclament aux autorités des changements de législation et le rétablissement du divorce [3]. Les espoirs de rétablissement du divorce sont fréquents (notamment en 1830, 1848 et 1871), mais ce n’est qu’en 1884 (loi du 27 juillet 1884, dite loi Naquet), au bout d’un processus législatif de 8 ans marqué par trois dépôts de proposition de loi par le député Alfred Naquet, que le divorce est rétabli. Loin de renouer avec le libéralisme révolutionnaire, le divorce réinstitué se limite aux procédures pour des fautes constituant un manquement aux obligations conjugales et rendant intolérable le maintien du lien conjugal (adultère, condamnation à une peine afflictive et infamante ou excès, sévices et injures graves). Sanctionnant le conjoint qui n’a pas respecté ses engagements, la loi de 1884 apparaît largement en retrait des revendications des divorciaires sous l’Empire, la Restauration ou le Second Empire (Ronsin, 1990), qui n’hésitaient pas alors à faire une place centrale à la légitimation de l’épanouissement personnel, le droit à l’amour ou l’attention accordée aux revendications féminines.
7 Il faut attendre 1975 (loi du 11 juillet) pour que la législation du divorce connaisse une nouvelle évolution majeure [4]. La profondeur des réformes engagées alors par le ministère de la Justice, et notamment la reconnaissance du divorce par consentement mutuel, sur la demande conjointe des deux époux, rendent très compliqué la saisie des évolutions de cette pratique dans la continuité stricte de l’étude menée à partir de la période révolutionnaire. C’est une des raisons qui fondent le choix de limiter cet article à la période 1792-1975. La seconde explication est liée à la baisse du nombre de personnes qui se marient [5]. Le mariage est de moins en moins, à partir des années 1970, un préalable nécessaire à la mise en couple (cohabitante) et à la vie familiale, ce qui engendre une moindre significativité des taux de divorce, en comparaison de la période précédente où presque tous les couples étaient mariés.
La production des données sur les désunions
8 Les données sur les divorces sous la Révolution, le Consulat et l’Empire et celles concernant les séparations de corps jusqu’en 1837 sont tirées des travaux de Ronsin (1990, 1992), Dessertine (1981), Phillips (1979, 1980), Bertillon (1883) et Schnapper (1978).
9 Pour la période suivante, deux sources quantitatives principales existent pour étudier l’évolution des désunions judiciaires : les Comptes généraux de la Justice civile et commerciale et les Statistiques annuelles du mouvement de la population [6]. Les Comptes généraux de la Justice civile et commerciale regroupent, à partir de 1837, des données détaillées sur les séparations de corps puis les divorces à partir de 1884 [7]. Ces publications détaillées fournissent, à l’échelle du pays, une série de données dont la définition reste constante entre 1837 et 1975. Elles concernent, pour toutes les années, le nombre de demandes (principales et reconventionnelles [8]) selon le sexe du demandeur, la situation familiale (avec ou sans enfant) et le motif des demandes ; ainsi que, pour la période 1884-1933, la profession du demandeur et la durée du mariage [9]. L’ensemble de ces informations est toujours donné en distinguant les divorces non précédés d’une séparation de corps, les divorces précédés d’une séparation de corps et les séparations de corps. 75 à 85 % des demandes effectuées auprès des tribunaux sont accueillies, les autres étant rejetées ou retirées avant le jugement [10].
10 Les Statistiques annuelles du mouvement de la population récapitulent quant à elles, à partir de 1884, les transcriptions des actes de divorce dans les registres d’état civil de la mairie où le couple s’est marié (en moyenne 6 mois après le jugement de divorce). Le nombre de divorces est fourni par départements et même parfois arrondissements et villes (de plus de 10 000 habitants). Ces publications fournissent pour certaines années [11] des données sur l’écart d’âge entre les époux, le nombre d’enfants issus du mariage, la nationalité et l’état matrimonial des époux. Ces données sont, selon Ledermann (1948), statistiquement irréprochables. Cependant, une partie des divorces n’est pas transcrite [12] dans les registres d’état civil et donc dans les Statistiques annuelles du mouvement de la population.
11 Afin d’être le plus fiable statistiquement, nos analyses de la fréquence des séparations et des divorces en France et dans les départements seront basées sur les données concernant uniquement les procédures ayant abouti à l’officialisation de la séparation indépendamment de sa forme [13]. Les informations sur le demandeur, la situation familiale etc. portent en revanche sur toutes les demandes. Pour rappel enfin, les données des Mouvements de la population ne concernent que les divorces acceptés et transcrits. Nous veillerons, au cours du texte, à bien préciser à quoi se réfèrent exactement nos données.
12 Comme les Mouvements de la population, les Comptes de la Justice fournissent des informations à l’échelle des départements, dont le degré de précision varie dans le temps. En effet, avant 1884, et alors que les données ne concernent que les séparations de corps, la plupart des informations disponibles à l’échelle du pays (demandeur, situation familiale, motif des demandes, résultat des demandes), le sont également à l’échelle des départements. À partir de 1884, en raison du plus grand nombre de données à publier, les informations sont moins détaillées et seuls sont fournis les effectifs des séparations et divorces (en distinguant ceux qui sont précédés d’une séparation de corps des divorces directs selon le résultat de la demande). Pour l’analyse spatiale de cet article, les données des Comptes généraux sur les demandes accueillies ont été privilégiées afin d’assurer une continuité sur la période [14]. Cette analyse éclairera donc la répartition spatiale des désunions en fonction du lieu de la désunion et non de celui du mariage, ce qui permettra d’apprécier « dans quelle mesure les habitudes de vie locales favorisent les désunions » (Ledermann, 1948, 318).
Les désunions en France depuis 1792
Séparations de corps et divorces
13 Il est possible de retracer le mouvement des désunions judiciaires prononcées de 1793 à 2014 (fig. 1) [15]. En 1792, il existe trois causes principales de divorce : pour faute (démence, condamnation à des peines afflictives ou infamantes, crimes, sévices ou injures graves, dérèglement évident des mœurs, ou abandon du domicile par un des époux, suivi d’une absence d’au moins cinq années sans donner signe de vie, émigration) ; par consentement mutuel, à la suite de la constatation de désaccords insolubles ; pour incompatibilité d’humeur ou rancœur d’au moins une des parties. On note le pic de divortialité provoqué par l’autorisation des divorces en 1792. Ronsin (1990) avance que 25 à 30 000 divorces ont été prononcés dans les villes (qui absorbent quasiment la totalité des divorces) entre la période révolutionnaire et l’Empire. Les divorces sont nombreux pendant les premières années qui suivent l’entrée en vigueur de la loi [16] mais leur nombre chute dès l’an IV pour se stabiliser entre 1 200 et 1 400 par an (dont un peu plus de la moitié à Paris). Ce pic initial de divorces s’explique en partie par un réservoir de situations à régulariser qui ne se retrouve plus au cours des années suivantes. Par ailleurs, à partir de l’an IV, les révolutionnaires tentent de restreindre la possibilité que les femmes avaient de divorcer de manière unilatérale au motif de « l’incompatibilité d’humeur ou de caractère » (Bigot, 2010). Les démarches sont rendues plus difficiles par l’abrogation de la loi du 4 floréal an II qui autorisait le divorce après une séparation de fait de plus de six mois. La loi du 1er jour complémentaire an V (17 septembre 1797) restreint encore les facilités antérieures de divorcer [17]. Le nombre de divorces augmente brièvement de nouveau en l’an X, alors que les menaces sur le droit au divorce se font plus insistantes (Ronsin, 1990).
Taux de séparation et de divorce prononcé pour 10 000 femmes mariées (1793-2014)
Taux de séparation et de divorce prononcé pour 10 000 femmes mariées (1793-2014)
Champ : désunions prononcées.14 En 1804, le Code civil ne supprime pas le divorce (qui le sera en 1816) mais restreint encore les possibilités de divorcer au consentement mutuel et à la faute de l’un des deux époux. Les séparations de corps sont, en revanche, de nouveau autorisées mais il n’existe pas de données à ce propos avant 1817 [18]. Il est possible, si la tendance est la même au début du siècle que sous la Troisième République, que le nombre de séparations de corps ait été à peu près équivalent au nombre de divorces, ce qui monterait à 3 000 le nombre total de désunions annuelles entre 1804 et 1817 ; mais rien n’est moins sûr. Le divorce est alors plus « ouvert » qu’en 1884 puisque le consentement mutuel est autorisé et a peut-être absorbé davantage de séparations de corps qu’à la fin du siècle.
15 Entre 1817 et la loi de 1884, les séparations de corps sont peu nombreuses mais elles augmentent régulièrement : environ un millier par an vers 1850, 2 000 à la fin des années 1860 et un peu moins de 3 000 au début des années 1880 ; l’augmentation visible après 1850 s’explique par la mise en place d’une assistance judiciaire (loi du 30 janvier 1851) qui permet aux plus pauvres un meilleur accès à la séparation (voir le zoom sur la période 1837-1913 en annexe, fig. 9). Les taux passent alors, entre 1817 et 1883, de 0,3 à 4 séparations pour 10 000 femmes mariées et de 0,8 à 10 séparations pour 100 mariages. La progression se maintient à un rythme ralenti à partir de 1868, comme on le voit bien sur l’échelle logarithmique (annexe, fig. 9) proposée par Schnapper qui suppose que les séparations étaient alors de moins en moins adaptées aux besoins des ménages. Lorsque la loi Naquet (1884) autorise de nouveau les divorces, les séparations de corps (taux et effectifs) baissent fortement mais seulement jusqu’en 1890, date à partir de laquelle elles augmentent de nouveau pour atteindre finalement à la veille de la Seconde Guerre mondiale des niveaux plus élevés que ceux de 1883 [19]. Le rétablissement du droit au divorce en 1884 n’a donc pas absorbé toutes les séparations de corps et il semble bien que la clientèle du divorce ne soit effectivement pas la même que celle de la séparation de corps (Ronsin, 1990) mais « provienne plutôt des séparations de fait que des séparations judiciaires » (Schnapper, 1978, 457).
16 Quant aux divorces, leur nombre est supérieur à celui des séparations de corps dès 1885 (4123 contre 2122) et augmente par la suite de manière soutenue. Le nombre total de désunions explose, preuve s’il en est que la loi de 1884 répondait à un besoin des couples [20]. La croissance est particulièrement forte entre 1900 et la veille de la première guerre mondiale. Après la baisse des divorces pendant la guerre et la récupération qui suit (voir encadré p.), le rythme repart à la hausse mais à un rythme moins soutenu toutefois qu’avant le conflit (Brée, 2020a). La Seconde Guerre mondiale est également suivie d’un pic de divorces mais le taux de divortialité retrouve ensuite des niveaux équivalents à ceux de la deuxième moitié des années 1920. Si l’on met à part les périodes de guerres, les années 1950 sont la seule période de paix depuis 1884 pendant laquelle le taux de divortialité baisse. Les taux repartent cependant à la hausse à partir de 1963, et surtout 1968, avec un rythme inédit, avant même la loi de 1975. Le rythme s’essouffle ensuite à partir du milieu des années 1980 et augmente de nouveau avec la réforme de 2005 (avec un pic cette année de réforme).
17 Dès lors que le divorce est autorisé en même temps que la séparation de corps (1884 donc), les couples se tournent bien davantage vers le premier : 76 % des désunions dès 1900, 91 % en 1920. On utilisera, dans cet article, la notion de « préférence pour le divorce » mais il faut garder à l’esprit que la loi sur le divorce fait augmenter fortement le nombre total de désunions ; de nombreux couples qui divorcent ne se seraient peut-être pas séparés judiciairement, comme le suggère Schnapper (1978) lorsqu’il avance que les couples divorcés sont probablement davantage des couples qui se seraient séparés « de fait » que « de corps ».
Quel époux demande la désunion ?
18 Ce sont les femmes qui sont majoritairement demanderesses des séparations et des divorces [21], tant pendant la période révolutionnaire (deux tiers à trois quarts des divorces, Ronsin, 1990) que par la suite (fig. 2). Cette initiative féminine s’observe en particulier pour les séparations, et surtout lorsque ces procédures sont encore peu fréquentes : 95 % des demandes en séparation sont ainsi initiées par des femmes en 1838 contre 86 % en 1884. Cette tendance à la baisse, qui ne remet jamais en cause le caractère majoritaire des demandes féminines, se poursuit jusqu’à la fin de l’entre-deux-guerres (69 % en 1938). Les demandes féminines de séparation de corps se stabilisent enfin autour de 70 % après la Seconde Guerre mondiale. Dans ce mouvement, la baisse de la féminité des demandes s’accélère au moment où le divorce est autorisé. Les divorces sont d’ailleurs moins souvent demandés par les femmes, mêmes si elles restent majoritairement à l’initiative des procédures : entre 50 et 60 % des demandes de divorces [22] avec des baisses importantes pendant les guerres et des rattrapages par la suite (encadré p. 82).
Séparations et divorces demandés par l’épouse, 1838-1975
Séparations et divorces demandés par l’épouse, 1838-1975
Désunions considérées : ensemble (accueillies, rejetées, annulées) des demandes principales (demandes reconventionnelles exclues). Divorces directs uniquement (non précédés d’une séparation de corps).Note : de 1838 à 1872, données sur les séparations tous les cinq ans (1838 : moyenne des années 1837, 1838 et 1839). De 1873 à 1975, données annuelles (moyenne mobile triennale).
19 En dehors des périodes de guerre, si les femmes demandent plus souvent le divorce que les hommes, elles l’obtiennent également davantage : dans 50 % des cas en moyenne alors que les hommes l’obtiennent dans 42 % des cas en début de période et 35 % par la suite (l’augmentation des divorces « aux torts réciproques », de 6 % en 1907-1910 à 15 % en 1939 et 22 % en 1959, explique cette diminution). En rapprochant les répartitions genrées des divorces demandés et obtenus, on observe qu’à demande égale, les femmes obtiennent plus souvent le divorce que les hommes [23]. Sohn (1996) observe la même tendance dans les archives judiciaires.
20 Les femmes demandent davantage la désunion malgré les inégalités genrées du poids de l’institution maritale ou les difficultés économiques que peut engendrer une séparation et surtout un divorce. Ces dernières sont, en effet, sous l’autorité de leur père jusqu’à leur mariage, où elles passent sous l’autorité de leur mari (Perrot, 1998). Le Code civil (1804) institue la puissance paternelle et maritale et l’incapacité juridique de la femme mariée, placée sous la tutelle de son mari [24] (Guillaumin, 1978 ; Schweitzer, 2002). Plus encore que cette dépendance judiciaire, c’est l’incapacité économique des femmes qui les contraint à vivre avec un père, un compagnon ou un mari. Sans un salaire masculin, elles survivent en effet difficilement (Fauve-Chamoux, 1981 ; Battagliola, 1995). La division sexuelle du travail et de l’espace social (les femmes gèrent les enfants et le budget familial, elles sont davantage cantonnées à la sphère privée lorsque les activités des hommes se déploient dans la sphère publique), intrinsèquement liée à la révolution industrielle, s’accentue au xixe siècle et plus encore au début du xxe (Perrot, 1998 ; Tilly et Scott, 1987). Après la Grande Guerre, les femmes se retirent de plus en plus dans leurs foyers. Ce modèle, touchant au départ les familles les plus aisées, s’étend aux familles ouvrières et atteint son apogée dans les années 1950-1960 dans les classes moyennes des pays industrialisés (Maruani, 1985 ; Fouquet, 2001). Cette dépendance économique et juridique des femmes aurait logiquement dû les pousser à rester en couple afin de bénéficier du salaire de leurs maris. En demandant une désunion judiciaire, elles prennent le risque de se mettre dans une situation de détresse économique, même si elles peuvent demander une « provision alimentaire » (article 301 du Code Civil de 1804) qui est cependant très rare si elles n’ont pas d’enfants à charge [25] (Sohn, 1996). C’est donc en dépit de cette dépendance qu’elles demandent la désunion, même si l’on observe assez logiquement que ce sont les femmes les plus âgées [26] et les plus indépendantes financièrement [27] (pour la période la plus récente ; Boigeol et Commaille, 1974) qui sont les plus demanderesses. Ces dernières privilégient d’ailleurs la séparation au divorce. Cette préférence pour la séparation peut être la conséquence d’une plus grande ferveur religieuse ou, du moins, d’un plus grand attachement aux principes de l’église catholique qui proscrit le divorce. Au-delà du poids de la religion, il y a celui de la famille et de l’entourage – du moins dans certaines régions et/ou certains milieux – et plus globalement celui de l’honorabilité : la femme séparée reste mariée contrairement à la femme divorcée (Sohn, 1996). Les couples séparés ont, par ailleurs, toujours devoir d’assistance. L’analyse des motifs des séparations et des divorces aide à mieux comprendre la répartition genrée des demandes.
Séparations et divorces pendant les deux guerres mondiales
On constate une baisse de la féminité des demandes en divorce lors des après-guerres qui a aussi été observée, dans d’autres sociétés : dans le New Jersey à la fin de la Guerre de Sécession, en 1864-1865, comme aux États-Unis et en Australie au sortir de la Seconde Guerre mondiale (Friedman et Percival, 1976). Trois explications peuvent être avancées : en produisant un plus grand nombre de veuves, les guerres les plus meurtrières dispenseraient plus de femmes de demander le divorce ou la séparation (Mignot, 2009). Selon une seconde explication, en raison de l’éloignement provoqué par la guerre, les conjointes tromperaient leurs époux plus fréquemment qu’à l’habitude (ou les époux les soupçonneraient davantage), ce qui conduirait les hommes à demander plus souvent le divorce qu’à d’autres périodes (Desforges, 1947 ; Boigeol et Commaille, 1974 ; Sohn, 1996 ; Rowntree et Carrier, 1958). Il apparaît en effet que les demandes de séparations et de divorce pour adultère féminin sont en augmentation après la guerre (fig. 3). Une troisième explication peut résider dans le traumatisme des hommes – tant physique que psychologique – qu’ils ne souhaitent pas forcément partager ou faire subir à leurs femmes.
Motifs des séparations et divorces (1838-1972)
Motifs des séparations et divorces (1838-1972)
Désunions considérées : ensemble (accueillies, rejetées, annulées) des demandes principales et reconventionnelles.Note : de 1838 à 1872, données sur les séparations tous les cinq ans (1838 : moyenne des années 1837, 1838 et 1839). De 1873 à 1975, données annuelles (moyenne mobile triennale).
21 Avant de s’y intéresser, il est important de préciser que si les femmes sont plus souvent demanderesses des désunions malgré les possibles difficultés économiques qui peuvent en découler, il semble, en revanche, qu’elles aient peu de risque de ne pas se voir confier la garde de leurs enfants. Sohn (1996) montre que 82 % des femmes divorcées et 90 % des femmes séparées de sa base de données ont obtenu la garde de leurs enfants. Il faut noter cependant que les hommes en font rarement la demande.
Motifs des désunions
22 Les motifs des séparations et des divorces ont évolué au cours de la période étudiée. Pourtant, quelle que soit la période, les couples choisissent de mettre en avant le motif qui leur permettra le divorce (ou la séparation) le plus rapide et le moins cher même si ce motif ne correspond pas (ou pas complètement) à la réalité (Bertillon, 1883 ; Ronsin, 1990). L’analyse des motifs utilisés est cependant intéressante car ils évoluent, même lorsque la législation ne change pas ; leur usage pouvant alors être révélateur de changement au sein des couples et des familles.
23 Pendant la période révolutionnaire, les motifs de divorce autorisés sont nombreux [29], y compris l’incompatibilité d’humeur et le consentement mutuel [30] qui représentent à eux seuls 57 % des divorces demandés (3 436 sur 5 987) entre 1793 et l’an III (Ronsin, 1990). Parmi les autres motifs évoqués, on trouve l’émigration du conjoint (les femmes avancent souvent ce motif pour préserver les biens du mariage en échappant à la loi des suspects), ou encore l’absence, l’abandon ou la séparation [31]. Il y a, en revanche, très peu de divorces pour « crimes, sévices ou injures graves » et pour « dérèglement notoire des mœurs », c’est-à-dire très souvent adultère, contrairement à la fin du siècle (mais il faut noter qu’à partir de 1884 les motifs possibles sont bien moins nombreux que pendant la période révolutionnaire). Ronsin souligne également le peu de divorces demandés par conversion de séparation de corps alors même qu’il fait partie des plus faciles à obtenir, ce qui le confirme dans son hypothèse que la clientèle des séparations de corps et des divorces n’est pas la même. Les motifs diffèrent selon le sexe du demandeur : les femmes demandent davantage le divorce pour émigration, peine infamante, crimes, sévices et injures graves, abandons. L’incompatibilité d’humeur est, en revanche, moins clairement féminine et diffère beaucoup selon les villes. Le seul motif qui paraît franchement masculin est le dérèglement des mœurs et donc la demande de divorce pour adultère – féminin en l’occurrence (Ronsin, 1990).
24 Pour la période 1838-1975, trois éléments principaux ressortent à l’observation des motifs de désunion (fig. 3) [32]. Tout d’abord, alors que les motifs de demandes pour séparation sont en proportions constantes depuis 1838, leur rapport change à partir du milieu des années 1880. La loi sur le divorce modifie donc aussi les comportements de ceux qui se séparent. Ensuite, les demandes, pour les séparations, comme pour les divorces, sont majoritairement faites pour « excès, sévices ou injures graves » même si la part de ce motif décline au cours de la période. Enfin, les différents motifs ne se retrouvent pas dans les mêmes proportions pour les séparations et les divorces [33].
25 Les demandes pour « excès… » sont donc majoritaires et particulièrement nombreuses en début de période. Elles déclinent ensuite fortement, en particulier pendant l’entre-deux-guerres et après la Seconde guerre, puis se stabilisent dans les années 1950 et 1960, en restant toujours largement majoritaires (2/3 des demandes). La baisse de ce type de demandes est liée à l’augmentation des demandes pour adultères alors que les demandes pour condamnation restent très faibles pendant toute la période.
26 Les demandes pour adultères masculins augmentent régulièrement à partir des années 1880 – et sont de proportions assez semblables pour les séparations et les divorces [34]. Sohn (1995) parle d’âge d’or de l’adultère masculin sous la IIIe République. Les demandes de divorce pour adultère féminin sont cependant plus élevées que ces derniers (en particulier à la suite des deux guerres mondiales, voir encadré p.). Les adultères représentent près de la moitié des motifs de séparations demandées par les hommes entre 1817 et 1883 et seulement 5 % des séparations demandées par les femmes [35] (tabl. 1). La part des demandes pour adultère est toujours plus importante parmi les demandes masculines que parmi les demandes féminines (et surtout parmi les demandes de divorce) entre 1884 et 1913 mais les écarts sont moins importants. Ils se réduisent encore à partir de l’entre-deux-guerres pour devenir vraiment très faibles au début des années 1970 (en 1970-71, 38 % des demandes de divorces effectuées par un homme le sont pour adultère contre 32 % des demandes féminines ; et 32 % des demandes de séparations féminines comme masculines le sont pour ce motif). Avant la loi de 1884, il semble bien que les femmes utilisent effectivement la séparation de corps pour se protéger : « C’est la femme battue, non la femme trompée, qui demande la séparation. Elle peut plus facilement se résigner à l’infidélité que supporter les cruautés mettant sa vie en péril, les mauvais traitements, la privation du nécessaire (Schnapper, 1978, 460). » L’utilisation de plus en plus fréquente de l’adultère comme motif de séparation ou de divorce parmi les demandes féminines montre que le divorce n’est plus seulement utilisé pour se protéger mais aussi pour exprimer le recul de la tolérance féminine à l’adultère masculin. Les individus, et surtout les hommes, qui demandent la désunion pour adultère, se tournent d’ailleurs davantage vers le divorce que la séparation, dans la mesure où le divorce apparaît davantage comme une sanction que la séparation (tabl. 2). Au-delà, on peut sans doute voir dans l’évolution genrée des motifs de demandes de désunion et la tendance à leur homogénéisation, un changement de rapport dans les couples et probablement une plus grande égalité. Les motifs de divorce sont, en effet, de bons indicateurs, en creux, des attentes du mariage (Betzig, 1989 ; Lampard, 2014). Les « démariages » (Théry, 1993) permettent plus globalement de mettre fin à des unions qui ne conviennent plus : la possibilité croissante de choisir son partenaire fait augmenter l’importance de l’amour dans ce choix et, par conséquent du désamour et donc du divorce (Coontz, 2005).
Part des demandes pour adultère parmi les demandes de désunions (%)
Séparation demandée par : | Divorce demandé par : | |||
---|---|---|---|---|
le mari | la femme | le mari | la femme | |
1817-1883 | 47,2 | 4,8 | ||
1884-1913 | 25,3 | 7,0 | 33,4 | 13,5 |
1919-1938 | 24,7 | 17,0 | 31,2 | 21,4 |
1943-1972 | 35,0 | 29,9 | 41,0 | 34,4 |
Part des demandes pour adultère parmi les demandes de désunions (%)
Désunions considérées : ensemble (accueillies, rejetées, annulées) des demandes principales et reconventionnelles. Divorces directs uniquement (non précédés d’une séparation de corps).Préférence pour le divorce selon le motif (1884-1975) (%)
Excès, sévices ou injures graves | Adultère femme | Adultère mari | Condamnation à une peine afflictive ou infamante | |
---|---|---|---|---|
1884-1893 | 58 | 79 | 71 | 78 |
1894-1913 | 77 | 90 | 84 | 88 |
1919-1944 | 86 | 92 | 87 | 89 |
1945-1975 | 87 | 92 | 88 | 89 |
Préférence pour le divorce selon le motif (1884-1975) (%)
Désunions considérées : ensemble (accueillies, rejetées, annulées) des demandes principales et reconventionnelles. Divorces directs uniquement (non précédés d’une séparation de corps).Lecture : 79 % des demandes de désunions pour adultère de la femme sont des demandes de divorce (et donc 21 % des demandes de séparation)
Adoption et diffusion d’un comportement novateur
Distribution spatiale des désunions
27 Après avoir étudié le mouvement des désunions et les mécanismes qui mènent à la séparation et au divorce, il s’agit maintenant de comprendre qui se sépare et qui divorce en analysant, tout d’abord la distribution spatiale des désunions, puis les caractéristiques démographiques et socioéconomiques des couples qui se séparent judiciairement [36].
28 Sous la Révolution et l’Empire, les divorces ont majoritairement lieu à Paris (50 à 60 % de l’ensemble des divorces) et dans les grandes villes, telles que Rouen, Marseille, Lyon, Bordeaux ou Toulouse ; alors qu’ils sont très rares dans les plus petites villes ou dans les campagnes (Ronsin, 1990).
29 Au xixe siècle, la prédominance parisienne est toujours visible même si elle est bien moins marquée que pour les divorces révolutionnaires. En effet, les séparations parisiennes [37] représentent 13,5 % à 27 % des séparations entre 1837 et 1883 (alors que les mariages parisiens forment 3 à 7 % de l’ensemble des mariages). La part des séparations parisiennes chute ensuite fortement à partir de la loi de 1884 (10 % des séparations en 1884 ; 6 % en 1910), les Parisiens se tournant bien davantage vers le divorce que la moyenne des Français [38]. Les divorces parisiens représentent, à partir de 1884, entre 20 et 29 % des divorces du pays selon les années (alors que les mariages parisiens représentent 7 à 8 % des mariages).
30 L’analyse spatiale des séparations au cours du xixe siècle, avant le rétablissement du divorce (fig. 4, 1re carte), montre une prédominance des séparations dans la moitié nord du pays. Au sud, « la séparation était sensiblement moins ignorée en Dauphiné et en Provence que dans le reste du Centre et du Midi » (Schnapper, 1978, 464). Par ailleurs, tout comme les divorces révolutionnaires, les séparations de corps avant 1884 sont particulièrement fréquentes dans les départements où se trouvent les principales villes du pays (Seine, Rhône, Gironde et, de manière moins prononcée, Bouches-du-Rhône). Plus généralement, les départements les plus urbanisés ont, en moyenne, des taux de séparation plus élevés que les autres (Schnapper, 1978). La distinction entre populations urbaines et rurales montre que les divorces sont 3 à 4 fois plus nombreux chez les premières que chez les secondes entre 1884 et 1913 (Brée, 2020b) alors même que la population rurale représente encore 65 % de la population en 1881 et 56 % en 1911 (Molinier, 1977).
Taux de séparation prononcée de 1851 à 1931 (quartiles)
Taux de séparation prononcée de 1851 à 1931 (quartiles)
Note : taux de séparation : séparations (demandes accueillies) rapportées aux mariages de la même année.31 Cette distribution spatiale des séparations se retrouve dans celle des divorces de la fin du xixe siècle (fig. 5) et persiste jusqu’à la fin de l’entre-deux-guerres (Ledermann, 1948 ; Roussel, 1970). La prédominance du Bassin parisien et d’un ensemble de départements situés au nord de Paris, de la Haute-Normandie à la Champagne-Ardenne [39] ainsi que celle du bassin méditerranéen et des départements les plus urbanisés apparaissent toujours, à l’instar du faible nombre de divorces en Bretagne et dans le Massif central [40]. Les cartes des divorces conservent, dans les années 1960 (Roussel, 1970 ; Munoz-Perez, 1981), et pour la période la plus récente (après les lois de 1975 et 2005 ; Prioux et Mazuy, 2009 ; Breton et al., 2017), des points communs avec cette géographie, notamment les zones de faible divortialité et la prévalence des divorces dans les zones les plus urbanisées même si l’augmentation de la fréquence des divorces dans les départements du pourtour méditerranéen provoque une inversion des zones de très forte divortialité qui sont désormais plus nombreuses dans le sud du pays que dans le nord.
Taux de divorce prononcé en 1891-1911 et 1921-1931
Taux de divorce prononcé en 1891-1911 et 1921-1931
Note : taux de divorce : divorces directs (demandes accueillies) rapportés aux mariages de la même année.32 Une continuité géographique s’observe donc entre la distribution spatiale des séparations de corps avant le rétablissement du droit au divorce (avant 1884) et celle des divorces (post-1884) ; mais qu’en est-il de la géographie des séparations de corps après 1884 (2e et 3e cartes de la fig. 4) : où résiste-t-on au divorce désormais autorisé (fig. 6) ?
Résistance au divorce en 1891-1911 et 1921-1931
Résistance au divorce en 1891-1911 et 1921-1931
Note : résistance au divorce : nombre de séparations (demandes accueillies) rapporté au nombre total de désunions (divorces directs et séparations ; demandes accueillies).33 La distribution des séparations de corps dès lors que le divorce est rétabli change fortement (2e et 3e cartes de la fig. 4). Elles sont particulièrement nombreuses dans une large zone située à l’ouest du bassin parisien, de la Haute-Normandie jusqu’à l’ouest de la Bretagne (Ille-et-Vilaine), ainsi que, dans une moindre mesure, à l’est, dans les départements proches des frontières, dans le nord de la Bourgogne, en Auvergne et dans le bassin méditerranéen. Ce sont donc les zones les plus catholiques, notamment l’ouest de la France et le Massif central (non exclusivement), qui se détachent dans les pratiques de résistance au divorce. Si ces régions n’ont pas forcément beaucoup recours à la séparation (à l’exception notable de la zone incluant Basse- et Haute-Normandie, Seine-Maritime exclue, et Pays de la Loire, Vendée exclue), elles manifestent un rejet notable du recours au divorce [41]. Quant à la zone qui privilégie fortement le divorce, elle s’étend entre 1883 et les années 1970. Située essentiellement au départ au nord de la Seine, elle se diffuse par la Bourgogne vers le nord du Rhône-Alpes et de l’Auvergne ; et gagne également le bassin méditerranéen et le sud du Languedoc Roussillon. Que ce soit à la fin de l’entre-deux-guerres ou à la fin des années 1960, la zone de préférence pour le divorce « affecte la forme d’un triangle irrégulier, dont la base irait de Charleville à Amiens et dont le sommet atteindrait Toulouse » (Roussel, 1970, 292).
Caractéristiques des départements plus ou moins enclins aux désunions
34 Pour analyser plus finement la distribution spatiale des désunions, des régressions [42] ont été menées afin de confronter les taux de séparation (en 1881, 1891 et 1911) et de divorce (1891 et 1911) [43] ainsi que la préférence pour les divorces (1891 et 1911) à des variables explicatives (annexe, tabl. 7, 8, 9 et 10). Nos analyses se limitent aux années mentionnées entre parenthèses car des analyses statistiques ont déjà été menées pour les séparations de corps avant 1881 (Schnapper, 1978), les divorces de l’entre-deux-guerres (Ledermann, 1948), et des années 1960 et 1970 (Roussel, 1970 ; Munoz-Perez, 1981).
35 Plusieurs variables indépendantes ont été testées : la part de naissances illégitimes pour mesurer une certaine acceptation, ou du moins l’existence de comportements marginaux ; la part de couples sans enfant pour saisir la présence de comportements novateurs ; la taille des ménages pour rendre compte du type de familles dominant ; la proportion d’agriculteurs et le taux d’urbanisation pour mesurer le caractère plus ou moins rural de la population ; la religion et l’illettrisme. Plusieurs de ces variables sont trop corrélées entre elles [44] (urbanisation, agriculture, naissances illégitimes et infécondité). Nous avons donc utilisé dans les régressions les variables « illettrisme », « illégitimité », « religion » et « taille des ménages » en gardant à l’esprit le lien entre ces variables et celles auxquelles elles sont corrélées.
36 Qu’en est-il, tout d’abord, du lien entre désunions et religion ? Concernant les divorces révolutionnaires, Ronsin (1990, 260) avance que « demander le divorce c’est braver l’interdit religieux toujours vivace, une pression sociale qui peut être très forte ». Schnapper (1978), rapprochant les cartes des séparations de corps (1837-1884) de la distribution spatiale des pays à forte pratique religieuse, conclut qu’il ne peut tirer aucune conclusion claire de l’influence du poids de l’Église sur l’importance des demandes en séparation. Il en est de même pour les analyses de Ledermann (1948) et de Roussel (1970), respectivement sur les divorces de l’entre-deux-guerres et ceux des années 1960, notamment parce que si « les départements à forte tradition catholique ont maintenu de faibles taux de divortialité, […] d’autres considérés comme “déchristianisés” ont également des taux très bas » (Roussel, 1970, 294). Nos régressions montrent que les départements où la religion catholique est la plus ancrée sont également ceux où les séparations sont les plus nombreuses en 1881 [45] et que les départements où les divorces sont plus fréquents, en 1891 et 1911, sont ceux où la pratique religieuse est la plus faible. Il apparaît également, en 1911 uniquement, que les départements où la religion est la plus présente sont ceux où l’on privilégie le moins le divorce par rapport à la séparation. Il semble donc que le niveau de religiosité des populations, ou du moins l’ancrage de la religion catholique, influence positivement la proportion de séparations de corps et négativement la fréquence des divorces : ces populations rejettent le divorce car il s’oppose aux principes de l’Église, mais pas forcément la séparation.
37 Le lien entre éducation (au sens d’alphabétisation) et séparations est également évoqué par différents auteurs. Selon Schnapper (1978), pour se lancer dans une procédure contre leurs maris, les femmes devaient être informées ou conseillées, et donc suffisamment éduquées pour « dominer les subtilités administratives, avoir un projet de vie individuel et se donner les moyens de le réaliser » (Sohn, 1996, 974). On peut également avancer que l’éducation des femmes a fait évoluer leur position au sein des ménages (Fraisse et Perrot, 1991) et leur a donc permis d’adopter des comportements, tels que la demande en séparation, qu’elles n’auraient probablement pas envisagés auparavant. Simonsson et Sandström (2011), travaillant sur l’entre-deux-guerres en Suède, font également l’hypothèse que la hausse du niveau d’éducation des femmes aurait accru leur position en tant qu’individus à part entière et, entre autres conséquences, leur « acceptation culturelle » à demander le divorce (leurs résultats portent cependant sur l’évolution de la divortialité et de l’éducation des femmes à l’échelle du pays et non à l’échelle infranationale). Comme dans les Flandres belges (Kalmijn et al., 2011), il apparaît effectivement que les séparations de corps avant 1884 et surtout les divorces après 1884 sont plus nombreux où l’alphabétisation est la plus avancée. Cette variable n’est en revanche pas significative pour expliquer la distribution spatiale des séparations et de la préférence pour le divorce après 1884.
38 On l’a vu, un lien fort entre grandes villes et fréquence des désunions apparaît dès les divorces révolutionnaires. Phillips (1979) l’explique notamment – en plus de la plus grande facilité de trouver un logement et un emploi (notamment en raison de la dissociation entre domicile et travail en ville) – par l’individualisme urbain rejetant l’autorité du père et de la famille. Schnapper (1978) aborde également la question des habitudes matrimoniales en suggérant que, dans les régions où les séparations sont moins souvent demandées, l’autorité maritale était peut-être mieux tolérée. Il apparaît, en effet, dans nos régressions, que les séparations pré-1884 et les divorces sont bien plus fréquents dans les départements où la taille des ménages est plus réduite. En comparant les différents types de famille (Todd, 1983, 1988 ; Duranton, Rodríguez-Pose et Sandal, 2007) et la géographie des séparations, on observe que les désunions sont plus élevées dans la zone où les familles sont de type nucléaire égalitaire (très grand bassin parisien) et hypernucléaire de l’ouest (Normandie), ainsi que dans le pourtour méditerranéen de type « nucléaire patrilocal égalitaire » (en particulier pour les divorces). Dans les régions de familles souches en revanche, les niveaux de désunion sont plus faibles. La taille des ménages semble également pouvoir expliquer partiellement la préférence pour le divorce (annexe, tabl. 10) : on se tourne plus facilement vers le divorce que la séparation dans les zones où la taille des familles est réduite. Bien entendu la taille des familles, si elle peut constituer un bon indicateur des types de famille, est également la conséquence du niveau de restriction des naissances dans les différents départements. Ainsi, lorsque les régressions sont effectuées, non plus avec la taille des ménages mais avec le taux d’infécondité, les résultats sont inversés. Concrètement, plus le taux d’infécondité est faible (donc plus les familles sont grandes), plus la préférence pour le divorce est faible, tandis que plus la taille des ménages est réduite (donc plus le taux d’infécondité est fort), plus la préférence pour le divorce est forte. Il peut donc également indiquer des départements où les comportements novateurs sont plus facilement adoptés, ce qui finalement renvoie souvent aux mêmes hypothèses puisqu’on adopte des comportements nouveaux dans les zones où on est le plus détaché de sa communauté d’origine.
39 Enfin, on observe également dans nos régressions que les désunions sont bien plus fréquentes dans les départements où la proportion de naissances illégitimes est importante et donc où les comportements marginaux sont peut-être mieux acceptés. Or, pour rappel, la proportion de naissances illégitimes est très corrélée aux taux d’urbanisation des départements, et inversement à la proportion de la population qui travaille dans le secteur agricole.
40 Il semble donc se dégager, sans réelle surprise, une France des départements urbains où les familles sont réduites et les niveaux d’illégitimité élevés et où l’on semble davantage enclins à adopter des comportements novateurs ou marginaux, comme les séparations ou les divorces. À l’inverse, les départements plus ruraux, où la pratique religieuse est plus forte et où un certain « mode de vie traditionnel [lié] à un système complexe de valeurs, d’attitudes et de relations » se maintient (Roussel, 1970, 296), semblent plus réfractaires aux désunions judiciaires. Les cartes des séparations de corps et des divorces après 1884 ne sont pourtant pas les mêmes et nos régressions n’expliquent que partiellement la préférence pour les divorces qui semblent plus demandés par les couples dans les zones de familles réduites, où la religion est faible et l’illégitimité élevée ; autrement dit dans les zones urbaines. Les coefficients sont cependant très faibles et nos régressions expliquent bien mieux la distribution spatiale des divorces que la préférence pour le divorce. Mais c’est la géographie des séparations de corps après 1884 qui reste la plus difficile à appréhender : si c’est dans les zones rurales où un système traditionnel est encore vivace que l’on privilégie la séparation au divorce parmi les désunions, tous les départements ayant ces caractéristiques n’ont cependant pas les mêmes niveaux de séparations de corps post-1884, ni de rejet du divorce.
41 Ces analyses portent sur des données fondées sur le lieu de résidence des couples au moment de la demande de séparation ou de divorce (lieu de demandes des désunions). Il sera intéressant, dans une prochaine recherche, de comparer les lieux de demandes au lieu de mariage (lieu de transcription des jugements de divorce), voire aux lieux de résidence des couples après leur divorce [46].
42 Pour aller plus loin et tenter de comprendre, au-delà de la géographie des désunions, qui sont les couples qui se séparent et divorcent, il est possible d’analyser les données à l’échelle, non plus des départements, mais des couples eux-mêmes : durée des mariages, âge et écart d’âge des époux, états matrimoniaux antérieurs, fécondité des couples ou encore situations professionnelles.
Durée des mariages
43 Pendant la période révolutionnaire, les mariages qui finissent par un divorce durent en moyenne 8 à 14 ans à Rouen et 15 à 20 ans à Lyon (Phillips, 1980 ; Dessertine, 1981). Les premières années suivant la ré-autorisation du divorce en 1884, les durées de mariage sont également assez longues (16 ans entre le mariage et la demande en 1884) car de nombreux couples qui ne pouvaient jusqu’alors divorcer le font. Puis, entre 1900 et 1965, les durées de mariage varient très peu : les demandes sont effectuées après 8 à 9 ans de mariage mais aboutissent en moyenne après 11 à 12 ans de mariage [47] ; à l’exception de deux périodes de hausse pendant les deux guerres (qui s’expliquent par un report probable des demandes et des jugements de divorce ; Festy, 1988 ; Pavalko et Elder, 1990). La durée des mariages rompus par une séparation de corps, constante de 1838 à 1883 (autour de 12 ans et demi), baisse dès lors que le divorce est ré-autorisé, atteignant 9 ans en 1913. Jusqu’à la première guerre, les mariages rompus par une séparation de corps durent, en moyenne, un an de plus que ceux rompus par un divorce ; les durées s’uniformisent par la suite. Il semble donc que les couples qui se séparent demandent plus vite la séparation à partir du moment où le divorce est autorisé, jusqu’à atteindre des durées de mariage similaires à celles des couples qui divorcent.
44 Les couples qui se tournent vers le divorce ont duré moins longtemps que ceux qui privilégient la séparation. 80 à 85 % des couples dont le mariage a duré moins de 10 ans (et même moins de 20 ans à partir du début du xxe siècle), se portent vers le divorce alors que ceux qui ont duré plus de 20 ans y sont plus réfractaires. Les tendances s’uniformisent ensuite pendant l’entre-deux-guerres, à l’exception des couples mariés depuis plus de 30 ans qui rejettent toujours davantage le divorce [48]. Cette préférence est probablement liée à l’âge des divorcés (plus jeunes, ils se tourneraient davantage vers le divorce [49]) ; et à la possibilité de se remarier qui peut pousser à divorcer plus tôt. Il est également possible que le milieu des séparés, s’il est plus réservé face à la rupture légale, retarde la décision (Sohn, 1996).
Durée des mariages
Durée entre le mariage et la demande de désunion | Durée entre le mariage et le jugement | ||
---|---|---|---|
Période | Sep. de corps | Divorce | Divorce |
1884-1893 | 12,5 | ||
1884-1913 | 10,0 | 9,2 | 11,5 |
1918-1933 | 8,1 | 8,1 | 11,7 |
1934-1965 | 12,3 |
Durée des mariages
Âge des époux et écart d’âge
45 Les publications ne fournissent malheureusement pas l’âge au mariage des époux (uniquement au divorce) et il n’est donc pas possible de savoir si la jeunesse des époux, et en particulier des femmes, est un facteur amplifiant la probabilité de divorcer (Dessertine, 1981 ; Van Poppel, 1997 ; Matthijs, Baerts, Van de Putte, 2008). Sohn (1996) a cependant montré que les séparées et les divorcées qu’elle a pu étudier dans les archives de justice correctionnelle ont un âge au mariage identique à la moyenne nationale.
46 On connaît, en revanche, l’âge des époux au moment du divorce qui fluctue entre 38 et 40 ans pour les hommes et entre 34 et 37 ans pour les femmes à partir de 1894 (les époux mariés qui divorcent en début de période sont plus âgés). Ce sont donc des époux assez jeunes qui demandent le divorce. L’âge au divorce des femmes augmente ensuite de plus de 3 ans entre 1890 et 1966 et celui des hommes d’un an seulement alors que l’âge au mariage des deux sexes fluctue peu au cours de la période. Roussel (1970) signale cependant une augmentation, parmi les divorcés, des hommes âgés de plus de 40 ans entre 1936 et 1967.
47 Il est également possible de comparer l’écart d’âge des époux divorcés à celui de l’ensemble des couples mariés 12 ans auparavant (tabl. 4). Contrairement aux résultats obtenus pour la Flandre (Matthijs, Baerts, Van de Putte, 2008) où les femmes des couples divorcés sont souvent plus âgées que leurs maris, les divorcés français ont plus souvent le même âge ou un écart réduit (homme plus âgé) que l’ensemble des couples mariés et les cas d’hommes plus âgés que leurs femmes d’au moins 5 ans sont moins fréquents parmi les divorcés. Il semble donc que les couples qui ont le même âge ou un écart d’âge réduit – qui peuvent être considérés comme les plus égalitaires – ont une probabilité de divorcer supérieure aux autres.
Écart d’âge des couples divorcés entre 1912 et 1939 comparé à celui des couples mariés entre 1900 et 1927
Écart d’âge | Divorcés | Mariés |
---|---|---|
Même âge | 38,0 | 33,1 |
Homme plus âgé (de 0 à 4 ans) | 38,9 | 36,4 |
Homme plus âgé (de 5 à 9 ans) | 11,7 | 15,7 |
Homme plus âgé (de 10 ans ou plus) | 2,4 | 4,6 |
Femme plus âgée (de 0 à 4 ans) | 7,7 | 8,2 |
Femme plus âgée (de 5 ans ou plus) | 1,4 | 2,0 |
Écart d’âge des couples divorcés entre 1912 et 1939 comparé à celui des couples mariés entre 1900 et 1927
Champ : Divorces prononcés et transcrits dans les registres d’état civil.État matrimonial
48 En Flandre au xixe siècle, les femmes qui ont déjà divorcé ou qui sont veuves ont une probabilité de divorcer plus de dix fois plus élevée que les femmes mariées pour la première fois (Matthijs, Baerts, Van de Putte, 2008) et à La Haye au xixe siècle, le risque de divorce est quatre fois plus élevé si au moins un des partenaires a déjà divorcé une fois (Van Poppel, 1997).
49 En France, par rapport à leur cohorte moyenne de mariage (cohorte mariée 12 ans avant la période de divorce), les hommes et les femmes qui divorcent sont, respectivement, 1,6 et 2 fois moins souvent veufs et veuves (tabl. 5). Il semble donc que le fait d’avoir perdu son précédent conjoint protège du divorce lors du remariage. Les couples qui divorcent sont, en revanche, un peu plus nombreux à être mariés pour la première fois (surtout chez les femmes) ou à avoir déjà divorcé (surtout chez les hommes) [50]. Comme en Belgique et en Hollande, avoir déjà divorcé est donc un facteur de risque (faible) de divorcer à nouveau (peut-être parce que les personnes ayant déjà divorcé connaissent davantage les moyens de faire face à cette démarche, ou en craignent moins les risques, mais aussi parce qu’elles ont une meilleure connaissance de la procédure de divorce) ; en revanche contrairement à la Flandre, le veuvage protège ici du divorce.
État matrimonial antérieur au mariage des couples mariés entre 1900 et 1913 et des couples divorcés entre 1912 et 1945
Description
Hommes Femmes Célibataires Veufs Divorcés Célibataires Veuves Divorcées Mariés (1900-1933) 91,0 6,8 2,2 89,5 8,0 2,5 Divorcés (1912-1945) 92,6 4,2 3,2 92,9 4,2 2,9
État matrimonial antérieur au mariage des couples mariés entre 1900 et 1913 et des couples divorcés entre 1912 et 1945
Lecture : Parmi les hommes mariés entre 1900 et 1933, 91 % étaient célibataires, 6,8 % veufs et 2,2 % divorcés. Parmi les hommes qui ont divorcé entre 1912 et 1945 (qui ont en moyenne une durée de mariage de 12 ans et pour lesquels on postule qu’ils se sont mariés entre 1900 et 1933), 92,6 % étaient célibataires, 4,2 % veufs et 3,2 % divorcés.Fécondité des couples désunis
50 L’analyse du rapport entre divortialité et fécondité est également intéressante puisque l’infécondité du couple est l’une des causes universelles de divorce (Betzig, 1989). Les couples qui se séparent ou divorcent sont, en effet, bien plus nombreux à ne pas avoir d’enfants (43 % minimum pour les séparations, 53 % pour les divorces, fig. 7) que dans la population générale [51], comme l’avait déjà signalé Phillips (1979) concernant les mariages révolutionnaires à Rouen (64 %). Les données du Mouvement de la population montrent qu’entre 1907 et 1939, 51 % des couples divorcés n’avaient pas d’enfant, 28 % un seul, 13 % deux, 8 % trois ou plus. Ils sont donc quatre fois plus souvent inféconds et ont deux fois moins souvent deux enfants ou plus que les couples de leurs générations (Brée, 2107b).
Proportion de désunions sans enfant (1838-1975)
Proportion de désunions sans enfant (1838-1975)
Désunions considérées : ensemble (accueillies, rejetées, annulées) des demandes principales (demandes reconventionnelles exclues). Divorces directs uniquement (non précédés d’une séparation de corps).Note : de 1838 à 1881, données sur les séparations tous les cinq ans. De 1884 à 1975, données annuelles (moyenne mobile triennale).
51 Entre 1840 et 1975, la part des couples désunis sans enfant baisse (fig. 7), ce qui peut indiquer une plus grande démocratisation du divorce, une plus forte acceptation sociale, même pour les couples avec enfants. À l’inverse, la hausse des désunions sans enfant pendant l’entre-deux-guerres peut être un signe de protection de ces derniers après les horreurs de la guerre ou d’un resserrement sur la famille. Par ailleurs, pendant toute la période, mais surtout avant la première guerre mondiale, les couples qui ont des enfants se tournent davantage vers les séparations de corps que vers les divorces (peut-être dans l’espoir de se remettre ensemble ou pour moins perturber leurs enfants).
52 Même si une part de ces forts niveaux d’infécondité et de basse fécondité des couples qui se séparent ou divorcent peut s’expliquer par des désunions précoces qui se seraient produites, pour d’autres motifs que l’infécondité, avant que le couple ait eu des enfants (5 à 8 % des mariages ont duré moins d’un an avant 1933 et environ 30 % 1 à 5 ans), ils ne peuvent expliquer l’entièreté du phénomène. Nous ne pouvons contrôler les effets d’âge, d’ancienneté de l’union ou encore de milieu social pour affirmer que, toutes choses égales par ailleurs, le fait de ne pas avoir d’enfant favorise le divorce. Il semble cependant que l’infécondité du mariage puisse être une des raisons d’une séparation ou d’un divorce ou, à l’inverse, qu’avoir des enfants protège du divorce si les couples parents sont plus réticents à l’idée de se séparer et repoussent cette possibilité davantage que les autres. Sohn (1996, 971) parle d’une « liberté plus grande dont jouissent les mères de familles étroites et les charges plus faibles qu’elle s’apprêtent à assumer ». Boigeol et Commaille (1974) précisent cependant qu’il peut exister un sous-enregistrement des enfants des couples dans les statistiques des divorces. Ainsi, malgré une légère sous-fécondité observée des couples divorcés, ils considèrent qu’on ne peut conclure. Ces auteurs travaillent sur les divorces de l’année 1970 où la part de divorcés sans enfant est alors assez faible (fig. 7). Il est au bout du compte possible que les couples des générations précédentes, et en particulier les précurseurs du divorce, aient été effectivement plus souvent sans enfant que les autres. Ce sont, en tout cas, les conclusions de Phillips (1979) pour les divorces révolutionnaires à Rouen ou celles d’Anne-Marie Sohn qui, en comparant les femmes mariées, séparées et divorcées de ses données judiciaires montre une plus forte infécondité de ces dernières (en particulier des divorcées) et une bien plus faible fécondité [52].
Professions des désunis
53 Enfin, l’analyse des professions des désunis donnent quelques indications socioéconomiques. Les divorces révolutionnaires concernent essentiellement les classes moyennes urbaines (artisans, marchand et négociants, professions libérales) mais très peu les ouvriers. Ils sont rares dans les groupes sociaux les plus défavorisés mais aussi chez la grande bourgeoisie et l’ancienne noblesse (Ronsin, 1990).
54 À partir de 1837, les Comptes de la Justice fournissent des informations sur la profession de la partie demanderesse, remplacée par la profession du mari si la femme n’a pas de profession (déclarée). En plus de ne pas savoir si la statistique fournit la profession de l’homme ou celle de la femme, les catégories statistiques utilisées sont très grossières puisqu’on ne sait pas où sont comptés les ouvriers agricoles (sont-ils ouvriers ou agriculteurs ?) ni les domestiques agricoles (Schnapper, 1978) ou encore les patrons industriels. Quant aux métiers de l’artisanat, on ne sait où ils sont classés, probablement avec les commerçants qui est une catégorie vaste peu révélatrice du niveau de vie des ménages.
55 La prédominance des propriétaires, rentiers et professions libérales est importante en 1841 et 1851 (tabl. 6), suivis par les commerçants et les ouvriers, puis par les cultivateurs. La part des cultivateurs qui ont recours à la séparation est faible (en comparaison à leur importance dans la population) ce qui, selon Schnapper (1978) est liée à une plus forte pression sociale dans les villages, mais aussi à la nécessaire présence d’un ménage pour l’exploitation agricole (puisque, dans beaucoup de régions, la ferme était consentie à un couple et non à un individu isolé). À partir de 1861, ce sont les ouvriers qui forment le plus gros contingent de séparés. Cette augmentation des ménages de milieux populaires est liée à la possibilité qu’ils ont, depuis la loi de 1851, de bénéficier d’une aide financière.
Distribution (%) des professions des séparés (1841-1933) et des divorcés (1884-1933)
Description
Séparations Propriétaires, rentiers, prof. lib. Commerçants Cultivateurs Ouvriers, journaliers, ménagères… Domestiques Total Eff. sans prof. ou inc. 1841 34,2 23,0 19,5 23,3 100 987 73 1851 36,0 20,4 17,5 26,1 100 1 191 68 1861 23,3 20,6 14,3 41,8 100 2 186 71 1871 18,2 27,9 16,4 37,5 100 1 611 43 1881 18,0 17,5 14,0 50,5 100 3 688 362 1884-1889 13,4 18,8 17,3 45,3 5,3 100 16 506 1 390 1890-1899 17,3 18,5 18,0 41,0 5,2 100 24 259 1 695 1900-1913 18,1 18,7 18,6 38,5 6,2 100 41 814 2 524 1919-1933 23,7 20,0 19,7 31,9 4,7 100 58 980 4 447 Divorces directs 1884-1889 11,4 20,3 9,7 51,5 7,0 100 19 119 3 364 1890-1899 10,2 16,2 9,7 56,6 7,3 100 73 832 7 607 1900-1913 11,0 14,0 9,9 56,7 8,4 100 169 027 19 607 1919-1933 11,9 18,3 10,2 53,8 5,8 100 326 709 72 846
Distribution (%) des professions des séparés (1841-1933) et des divorcés (1884-1933)
Note : Désunions considérées : ensemble (accueillies, rejetées, annulées) des demandes principales (demandes reconventionnelles exclues). Divorces directs uniquement (non précédés d’une séparation de corps).La profession concerne la partie demanderesse ou bien la profession du mari si la femme n’avait pas de profession.
Avant 1884, la catégorie « Ouvriers, journaliers, ménagères » est appelée « ouvriers de toute genre » et il n’y a pas de catégorie « domestique ».
56 À partir de la promulgation de la loi de 1884, la part d’ouvriers parmi les séparés baisse fortement alors que celles des plus riches (propriétaires, rentiers etc.) augmente. En revanche, les ouvriers représentent plus de la moitié des divorcés entre 1884 et 1933, les plus riches 11 % et les agriculteurs à peine 10 %. Les groupes professionnels ont en effet des comportements différents face à la séparation et au divorce. En comparant la préférence (fig. 8) pour le divorce selon la profession, on voit que ce sont les classes populaires (ouvriers et domestiques) qui se tournent beaucoup plus facilement vers le divorce que vers la séparation de corps. Les commerçants ont une position intermédiaire alors que les plus riches se tournent bien davantage vers la séparation et les cultivateurs davantage encore. Il semble que les plus riches ou ceux qui ont des biens soient plus réticents au divorce que les autres ; il est sans doute préférable de ne pas morceler le patrimoine, surtout si le couple a eu des enfants à qui le transmettre.
Préférence pour le divorce selon la profession (%) (1884-1933)
Préférence pour le divorce selon la profession (%) (1884-1933)
Notes : Désunions considérées : ensemble (accueillies, rejetées, annulées) des demandes principales (demandes reconventionnelles exclues). Divorces directs uniquement (non précédés d’une séparation de corps).La profession concerne la partie demanderesse ou bien la profession du mari si la femme n’avait pas de profession. Données annuelles (moyenne mobile triennale).
57 Pour analyser plus précisément la part de chaque groupe professionnel, il faudrait les comparer à leur représentation dans la population active (dans les recensements de population). Malheureusement, les classements des groupes professionnels sont différents dans les deux sources de données, ce qui rend la comparaison malaisée. Les agriculteurs semblent toutefois très peu représentés parmi les séparés et divorcés par rapport à leur part dans la population active (environ 50 % entre 1850 et 1880 puis baisse pour atteindre 35 % en 1931). Les ouvriers, en revanche, apparaissent plus souvent dans les séparations et divorces (40 à 50 % en général) que dans les recensements (25 à 35 % si on les compare au groupe « professions industrielles », 30 à 45 % si on les compare aux groupe « ouvrier » [53]).
58 Il est en revanche possible de comparer la proportion de divorcés ayant contracté un contrat de mariage à la proportion de mariés en ayant fait de même 12 ans auparavant (durée moyenne des mariages). Le contrat de mariage implique en général la disposition d’un certain capital et pourrait permettre d’approcher les comportements des ménages aisés. En outre, le contrat de mariage pourrait être une garantie patrimoniale pour chaque conjoint intéressé par une perspective de divorce. Les données disponibles dans les Mouvements de la population de 1914 à 1931 semblent indiquer que les couples qui ont divorcé entre 1914 et 1931 ont moins souvent contracté de contrats de mariages que les mariés de leur génération (1902-1919). Malheureusement, les données sont peu nombreuses et la période de chevauchement possible (liée aux douze ans de mariage à prendre en compte) a lieu pendant la première guerre (1914-1919), ce qui ne permet pas de conclure.
Conclusion
59 Après la période révolutionnaire et impériale, qui a vu plus de 25 000 couples divorcer, les séparations de corps, seules autorisées à partir de 1816, sont peu nombreuses mais augmentent à un rythme régulier au cours du xixe siècle. Dès qu’ils en ont la possibilité économique (loi de 1851 sur l’assistance judiciaire), les plus pauvres – et notamment les ouvriers – viennent grossir les rangs des séparés. Le rétablissement du droit au divorce en 1884 fait ensuite énormément augmenter le nombre total de désunions, notamment parce que des couples qui n’aurait pas demandé la séparation de corps se tournent vers le divorce, ce qui suggère que le divorce (autorisant le remariage) convenait bien davantage aux ménages que la séparation de corps. Contrairement à ce qui a pu être observé en Suède, où la réforme de 1915 a précédé les besoins de la population [54], la loi de 1884 semble en retard par rapport aux besoins des couples (comme plus tard la loi de 1975). En plus de l’explosion des demandes de divorce, la loi de 1884 bouleverse les durées de mariage, le sexe du demandeur et les motifs de demande de séparation de corps jusqu’alors très stables. C’est donc l’ensemble des désunions judiciaires et finalement de l’institution matrimoniale qui est ébranlée par la loi de 1884.
60 Ce sont à la fois la possibilité légale – si tant est qu’elle est adaptée au besoin des couples – et la possibilité économique qui influent sur le mouvement des désunions (le able de la théorie de Coale). La forte demande de divorces dès les années 1884 et 1885 montre qu’à l’échelle du pays, certains couples étaient déjà prêts et même attendaient la ré-autorisation du divorce (le ready de Coale). Pourtant, les taux de séparation et de divorce augmentent au cours de la période étudiée même lorsqu’il n’y a pas de changements législatifs, la compréhension de l’évolution des désunions nécessite donc de tenir compte d’autres paramètres [55] (willing). Par ailleurs, les taux de séparation et de divorce ne sont pas les mêmes dans tous les départements, ce qui montre également qu’il faut d’autres éléments pour comprendre la différenciation géographique – et donc sociale et culturelle – de la désunion.
61 C’est dans les villes (et dans les départements les plus urbanisés) que les séparations et les divorces (tant révolutionnaires que postérieures à 1884) sont les plus fréquents au départ. Les villes sont des lieux de détachement des structures traditionnelles où l’autorité familiale et religieuse est affaiblie, ce qui permet une plus grande liberté pour adopter des comportements marginaux ou novateurs. Il y est également plus facile de trouver du travail ou un logement lorsque ceux-ci ne sont pas forcément associés comme souvent dans les zones rurales, notamment pour les femmes qui sont très majoritairement demanderesses des désunions. Reste que, malgré l’explosion des demandes entre 1884 et 1913, les divorcés sont peu nombreux (2 divorces pour 10 000 femmes mariées en 1913) et les divorcés, et surtout des divorcées, dans la cité restent marginaux et souvent considérés négativement.
62 Au niveau individuel, ce sont les plus jeunes qui semblent adopter avant les autres le divorce, ainsi que les couples les plus égalitaires en termes de différence d’âge. Il semble également que le veuvage protège du divorce, tout comme le fait d’avoir des enfants (du moins pour les précurseurs) ; alors que le fait d’avoir déjà divorcé est plutôt un facteur de risque (faible). Enfin, les ouvriers représentent plus de la moitié des demandeurs de divorce lorsque les plus riches, les commerçants et les cultivateurs se tournent davantage vers la désunion. Contrairement au divorce en Hollande (Kalmijn et al., 2011), ou à l’adoption d’autres comportements novateurs comme la restriction des naissances (Brée, 2017a), il ne semble pas que les plus riches soient les précurseurs du divorce. Cela s’explique probablement par l’incidence de la dissolution des mariages sur le morcellement des patrimoines (pour les plus riches comme pour les agriculteurs). Sans doute également par le poids du conformisme social dans ces catégories qui doivent « montrer l’exemple ». Les catégories statistiques utilisées dans les publications ne sont cependant pas adaptées pour de fines analyses et les recherches portant sur des données individuelles montrent que ce sont les classes moyennes urbaines qui sont les plus enclines à divorcer aussi bien pendant la période révolutionnaire (Dessertine, 1981 ; Ronsin, 1990) que dans les années 1970 (Boigeol et Commaille, 1974) et qui apparaissent difficilement, voire pas du tout, dans les catégories statistiques. Une analyse de données individuelles sur une grande ville pour la fin du xixe siècle et le début du xxe serait essentielle pour mieux comprendre qui sont les précurseurs du divorce post-1884.
63 Les données des publications utilisées s’appauvrissent au fil de la période et manquent cruellement après 1933. Il est donc difficile d’analyser la diffusion de l’adoption du divorce. On voit cependant que les professions des divorcés n’évoluent presque pas jusqu’à cette date, tout comme la géographie des divorces, comme si le nombre de divorces augmentait partout mais de manière proportionnelle, de telle sorte que les précurseurs sont toujours les plus fréquents demandeurs par la suite. On observe cependant une augmentation des demandes féminines, pendant l’entre-deux-guerres, mais surtout à partir des années 1950, qui peut s’expliquer par une hausse sur la longue période de l’activité professionnelle des femmes mariées et de leurs revenus indépendamment de ceux de leurs maris (Mignot, 2009). On observe également une augmentation de la proportion de couples avec enfants qui divorcent ; tous ces signes pointant vers une acceptation de plus en plus importante des divorces qui se concrétise par l’explosion des divorces à partir du début des années 1970 et plus encore après la loi de 1975.
Taux de séparation et de divorce (1837-1913), échelle logarithmique
Taux de séparation et de divorce (1837-1913), échelle logarithmique
Désunions considérées : désunions prononcées.Régression de Poisson sur le taux de séparation de corps par département (Moselle, Bas et Haut Rhin et territoire de Belfort exclus), 1881
Variable dépendante : taux de séparation | 1881 |
---|---|
Illettrisme | −0,63* |
Illégitimité | 6,63*** |
Religion | 2,51*** |
Taille ménages | −0,93*** |
R² ajusté | 0,71 |
Nb. Obs. | 86 |
Régression de Poisson sur le taux de séparation de corps par département (Moselle, Bas et Haut Rhin et territoire de Belfort exclus), 1881
Note de cette table et des suivantes : les mariages ont été rapportés aux mariages ayant eu lieu dans le département 10 ans auparavant afin de tenir compte de la durée des mariages afin la désunion.p < 0,05 : * ; p < 0,01 : ** ; p < 0,001 : ***.
Régression de Poisson sur le taux de séparation de corps par département, 1891 et 1911
Variable dépendante : taux de séparation | 1891 | 1911 |
---|---|---|
Illettrisme | −0,69 | 0,55 |
Illégitimité | 2,86 *** | 3,30*** |
Religion | 1,69** | 3,21*** |
Taille ménages | 0,036 | −0,04 |
R² ajusté | 0,06 | 0,05 |
Nb. Obs. | 86 | 86 |
Régression de Poisson sur le taux de séparation de corps par département, 1891 et 1911
p < 0,05 : * ; p < 0,01 : ** ; p < 0,001 : ***.Régression de Poisson sur le taux de divorce par département, 1891 et 1911
Variable dépendante : taux de divorce | 1891 | 1911 |
---|---|---|
Illettrisme | −2,53*** | −0,97*** |
Illégitimité | 4,40*** | 7,91*** |
Religion | −1,38*** | −0,55* |
Taille ménages | −0,83*** | −0,28*** |
R² ajusté | 0,75 | 0,72 |
Nb. Obs. | 86 | 86 |
Régression de Poisson sur le taux de divorce par département, 1891 et 1911
p < 0,05 : * ; p < 0,01 : ** ; p < 0,001 : ***.Régression linéaire sur la préférence pour le divorce par département, 1891 et 1911
Variable dépendante : préférence pour le divorce | 1891 | 1911 |
---|---|---|
Illettrisme | −0,26 | 0,12 |
Illégitimité | 0,53 | 0,89* |
Religion | −0,47 | −0,56* |
Taille ménages | −0,20*** | −0,09* |
R² ajusté | 0,44 | 0,37 |
Nb. Obs. | 86 | 86 |
Régression linéaire sur la préférence pour le divorce par département, 1891 et 1911
p < 0,05 : * ; p < 0,01 : ** ; p < 0,001 : ***.Bibliographie
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Notes
-
[1]
Ce choix d’arrêter l’analyse en 1975 s’explique par le bouleversement des procédures de divorce ; la nouvelle loi permettant le divorce pour consentement mutuel et donc une demande conjointe des deux époux modifie profondément l’unité des données statistiques assez cohérentes pour la période 1837-1975 (sur les bouleversements provoqués par la loi de 1975 : Baillon et al., 1981).
-
[2]
La théorie de Coale (1973), synthétisée par la formule ready-willing-able suggère que l’adoption d’un nouveau comportement démographique est le résultat d’un ensemble de facteurs et nécessite trois dispositions préalables : les individus doivent considérer l’adoption du nouveau comportement avantageux (ready), il doit être accepté socialement et moralement (willing) et les individus doivent avoir les moyens de l’adopter (able). Simonsson et Sandström (2011) ont déjà mobilisé cette théorie à propos des divorces mais uniquement à l’échelle nationale) en montrant que les changements du contexte économique, social, culturel, juridique et politique en Suède ont eu une incidence sur les taux de divorce.
-
[3]
En témoigne un dossier conservé dans les archives du ministère (direction des affaires civiles et du sceau, sous la cote provisoire FA1240).
-
[4]
Pourtant, la loi de 1975 ne répond déjà plus complètement aux attentes (source : projet de la loi de 2005). Trente ans après, la nécessité de sa réforme est très généralement admise et le 1er janvier 2005 entre en vigueur la nouvelle loi relative au divorce adoptée par l’Assemblée nationale (loi du 26 mai 2004) qui simplifie les procédures et a pour but d’apaiser les relations entre époux qui recourent au divorce.
-
[5]
Baisse du taux de nuptialité à partir de 1972 (il passe d’environ 8 ‰ à moins de 4 ‰ en 2010) et hausse de la proportion de célibataires définitifs (qui passe de 7 % en 1972 à 20 % en 2011 ; INSEE).
-
[6]
Sur les sources pour l’analyse des désunions du point de vue de la démographie historique et de l’histoire des familles, voir Brée, 2019b.
-
[7]
Avec des interruptions entre 1914 et 1918, en 1939 et en 1942 ainsi qu’en 1971-1972 (en 1971 et 1972, les statistiques sont simplifiées en raison de la mise en place programmée de statistiques plus complètes).
-
[8]
Lorsque l’un des époux forme une demande principale en divorce, le conjoint peut avoir recours à une demande dite reconventionnelle à l’encontre de son conjoint ; le défendeur devient alors demandeur contre le requérant.
-
[9]
Ces données ne sont pas toutes fournies pour le même type de demandes : demandeur : demandes principales et reconventionnelles, situation familiale, profession et durée du mariage : demandes principales uniquement ; motifs : demandes principales et reconventionnelles confondues.
-
[10]
23 % des demandes de séparation et 16 % des demandes de divorces entre 1884 et 1913 ; respectivement 16 et 14 % entre 1919 et 1938 et 17 et 16 % entre 1945 et 1970 (dont la moitié à trois quarts sont retirées avant le jugement ou rayées du rôle et le reste rejetées).
-
[11]
Il existe des données sur l’âge des époux à partir de 1885 et sur la durée du mariage à partir de 1907. Les données sur l’écart d’âge entre les époux, le nombre d’enfants issus du mariage, la nationalité, et l’état matrimonial des époux sont fournies pour la période 1907-1910 puis 1911-1913 et ensuite pour toutes les années entre 1914 et 1939 (1931 pour l’écart d’âge) et pour certaines années de l’après Seconde Guerre mondiale. Les données sur les motifs du divorce n’existent, en revanche, que pour 1907-1910 et 1911-1913.
-
[12]
Ledermann (1948) avance le chiffre de 10 % de divorces non transcrits ; ce que confirment les données rétrospectives publiées dans l’Annuaire statistique de 1966 pour la période 1884-1938. Le taux est meilleur (5 %) pour la période 1946-1966.
-
[13]
Ledermann (1948) a montré que la statistique des ordonnances de comparution était inutilisable mais Schnapper (1978, 455) estime qu’il est possible d’utiliser l’inscription au rôle du tribunal « stade ultérieur où la volonté du demandeur est pratiquement définitive et la statistique judiciaire peu discutable ».
-
[14]
En effet, seuls les divorces apparaissent dans les Mouvements de la population et non les séparations de corps qui ne sont pas reportées dans les registres d’état civil.
-
[15]
L’analyse des mouvements des désunions judiciaires (séparations de corps et divorces) pose différents problèmes méthodologiques. Le premier réside dans le dénominateur auquel ces désunions devront être rapportées. La fig. 1 les rapporte au nombre de femmes mariées représentant la population soumise au risque de se séparer / divorcer. C’est la méthode validée par la plupart des recherches (Ledermann, 1948 ; Schnapper, 1978 ; Kalmijn et al., 2011). Une autre méthode de calcul aurait pu consister à rapporter le nombre de divorces d’une année n au nombre de mariages de l’année n−d où d est la durée moyenne des mariages rompus l’année n. Cependant, cela crée, par exemple, un pic de divortialité en 1927 car il y a eu moins de mariages pendant la guerre. Il est donc préférable de rapporter le nombre de désunions à la population soumise au risque de divorcer lorsque cela est possible. Par ailleurs, j’ai fait le choix de prolonger la courbe des divorces jusqu’en 2014 car il m’a semblé important de donner une vision globale et jusqu’à nos jours du mouvement des divorces.
-
[16]
4296 en l’an II ; 3 823 en l’an III, 2 083 en l’an IV (Ronsin,1990).
-
[17]
En effet, dans le cas d’une « simple allégation d’incompatibilité d’humeur et de caractère », le divorce ne peut plus être prononcé « que six mois après la date du dernier des trois actes de non-conciliation », tandis que, d’après la loi du 20 septembre 1792 (art. 14), il devait être prononcé « huitaine au moins, ou au plus dans les six mois après » cette date.
-
[18]
Bertillon (1883) publie des données sur les séparations de corps à partir de 1817.
-
[19]
4,4 pour 10 000 femmes mariées en 1938 contre 4,0 en 1884 ; 10,2 séparations pour 100 000 habitants en 1838 contre 7,9 en 1883.
-
[20]
Il est intéressant de noter que Bertillon (1883), dans son analyse des divorces et des séparations de corps à l’échelle des pays européens en 1883 (juste avant le vote de la loi de 1884 donc), est persuadé que les lois n’ont pas d’influence sur la fréquence des désunions, s’appuyant notamment sur le fait que malgré le changement de loi en 1816, le nombre des séparations judiciaires n’a pas changé. Il postule donc que le nombre de divorces suivant la loi de 1884 sera, peu ou prou, le même que le nombre de séparations de corps juste avant la loi. Il ne précise à aucun moment dans son texte que le fait de pouvoir se remarier pourrait encourager les couples à divorcer davantage qu’ils ne se séparent (une hausse des désunions ayant pourtant été observée au moment de l’autorisation des divorces en 1792, figure 1).
-
[21]
Cette tendance se retrouve dans la plupart des pays occidentaux même si les niveaux français de féminité des demandes au début du xixe siècle sont particulièrement élevés (Phillips, 1988 ; Bertillon, 1883).
-
[22]
Les divorces précédés d’une séparation de corps sont, en revanche, bien plus souvent demandés par des hommes (40 % en 1884 et 45 % en 1895) et même majoritairement à partir de 1905.
-
[23]
Les divorces obtenus par les femmes correspondent à 85 % à 97 % des demandes faites par des femmes, contre 70 à 89 % pour les hommes.
-
[24]
Ce déséquilibre va progressivement s’atténuer et, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le droit de la famille évolue peu à peu, notamment par la réforme des régimes matrimoniaux (1965).
-
[25]
En 1924 est créé le délit d’abandon de famille défini comme le refus d’un ancien conjoint de payer la pension alimentaire nécessaire à la contribution financière de la vie de famille de ses enfants.
-
[26]
Il apparaît cependant qu’en 1907-1910 (seules années pour lesquelles cette information est disponible ; Mouvements de la population), parmi les époux les plus jeunes (moins de 25 ans), ce sont les hommes qui demandent majoritairement le divorce et pas les femmes. Il faut sans doute que celles-ci se soient un peu aguerries pour oser cette démarche.
-
[27]
Comme en Suède (Simonsson et Sandström, 2011), on observe une corrélation importante entre l’évolution du divorce et la part des femmes dans la population active mesurée dans les recensements (source : Maruani et Meron, 2013) (tout en sachant bien que la mesure du travail féminin est mal renseignée et sous-estimée (Schweitzer, 2002).
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[28]
Dans le détail, les hommes des générations les plus jeunes touchées par la guerre (nées entre 1886 et 1890) étaient souvent célibataires au moment du conflit et les survivants se marient finalement davantage que les autres générations au sortir du conflit grâce aux mariages « de compensation » (Henry, 1966). Dans la cohorte la plus touchée par la guerre en termes de mortalité (générations nées entre 1891 et 1895), beaucoup de survivants ont également réussi à se marier mais ils ont des taux de divortialité importants, notamment après 0 à 4 ans de mariage. Enfin, les générations nées entre 1876 (et surtout 1881) et 1885 ont également été fortement touchées par la mortalité (quoique moins que les plus jeunes) mais aussi par les séparations d’avec leurs familles imposées par la guerre. Ces couples, en particulier ceux mariés juste avant la guerre (1910-1914), ont les taux de divortialité les plus importants parmi les générations mariées avant la guerre. Le conflit a donc eu un double impact sur ces générations : en termes de mortalité tout d’abord, mais également sur leur vie familiale (Brée, 2018 ; 2020).
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[29]
La démence, la folie ou la fureur d’un des époux ; une condamnation à une peine afflictive ou infamante ; les crimes, sévices ou injures graves ; le dérèglement de mœurs notoire ; l’abandon ; l’absence sans nouvelle depuis cinq ans ; l’émigration. Le divorce est ensuite autorisé, par la loi du 4 Floréal an II, pour abandon du conjoint de plus de six mois.
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[30]
Avec ce motif, aucun des deux époux n’est vraiment fautif, et il ne nécessite donc pas d’enquête. La procédure est cependant plus longue et donc plus coûteuse que pour certains divorces pour faute mais elle devient la plus intéressante après l’abrogation de la loi du 24 floréal (qui autorisait à demander le divorce après une séparation de 6 mois). Ce report des couples sur l’incompatibilité d’humeur « offrait à son tour trop de facilité » (Ronsin, 1990, 264) et la loi du 1er jour complémentaire de l’an V double en conséquence son délai minimum d’obtention, de 6 mois à un an. Mais ce ne fut pas rédhibitoire et le nombre de divorces pour ce motif après une chute remonte rapidement. On observe également un report des couples sur le consentement mutuel à partir de l’an V surtout (Ronsin, 1990).
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[31]
Ce motif est souvent utilisé, surtout après que la loi du 4 floréal an II a permis le divorce après une séparation effective de 6 mois (14 % des motifs à Bordeaux mais 77 % en l’an III ; 25 % à Montpellier et 71 % pendant l’application du décret (Ronsin, 1990). À Rouen, le motif de certains divorces a été transformé pour bénéficier du décret (Phillips, 1980).
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[32]
La comparaison des motifs évoqués lors des demandes de divorces et de ceux des divorces prononcés montre que la proportion de chacun des motifs est assez constante, ce qui tend à montrer qu’aucun motif ne mène davantage au rejet de la demande de divorce qu’un autre.
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[33]
À noter que les demandes de divorces précédées d’une séparation de corps ont des motifs très proches, en proportion, des demandes en séparation de corps.
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[34]
Ils sont cependant plus élevés parmi les divorces entre 1884 et 1914 et parmi les séparations à partir des années 1960.
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[35]
On ne dispose pas de données croisées entre motifs et demandeurs des séparations et divorce mais on sait que les demandes pour adultère féminin ne peuvent être effectuées que par des hommes et les demandes pour adultères masculin que par des hommes.
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[36]
Les cartes présentées dans cette section ne concernent pas l’ensemble de la période étudiée par manque de place mais aussi parce que la distribution spatiale des séparations de corps et des divorces a déjà été dressée pour certaines périodes. Ainsi, Schnapper (1978) a analysé les séparations de corps entre 1837 et 1884, Ledermann (1948), les séparations de corps et les divorces de 1936-38, Roussel (1970) ceux de 1964-67 et Munoz-Perez (1981) ceux de 1970-1975. Les cartes présentées ici (ainsi que les analyses statistiques qui suivent) concernent donc principalement la période 1890-1930, qui a été la moins étudiée.
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[37]
Du département de la Seine en réalité dont Paris représente 80 à 90 % des séparations.
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[38]
En effet, dès 1885, 79 % des désunions parisiennes correspondent à un divorce et plus de 90 % en 1888 (respectivement 70 et 77 % pour la France). La barre des 95 % est franchie en 1907 (84 % pour la France qui n’atteint le palier de 95 % qu’en 1977).
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[39]
L’analyse se base sur l’ancien découpage régional (en vigueur jusqu’en 2016).
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[40]
À noter cependant que les séparations, nombreuses dans les pays de la Loire, ne se traduisent pas ensuite par de forts niveaux de divortialité alors qu’à l’inverse, les divorces (post-1884) sont plus nombreux autour de Perpignan et Toulouse que ne l’étaient les séparations (pré 1884).
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[41]
La résistance de la Bretagne au divorce apparaît toujours à la fin de l’entre-deux-guerres, mais elle est moins forte au milieu des années 1960 alors que la résistance du Massif central apparaît davantage (Ledermann, 1948 ; Roussel, 1970).
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[42]
Des régressions de Poisson ont été utilisées car elles permettent d’analyser de manière robuste des événements rares (comme les désunions) qui ne sont pas distribués selon une loi normale. Des régressions linéaires ont, en revanche, été menées pour la préférence pour le divorce car il s’agit ici du rapport entre le nombre de divorces et l’ensemble des désunions.
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[43]
Les séparations et les divorces ont été rapportés aux mariages ayant eu lieu dans le département dix ans auparavant afin de tenir compte de la durée des mariages. Ce rapport est un pis-aller puisque les séparations et les divorces sont jugés au tribunal du domicile des époux au moment de la demande et dans leur département de mariage.
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[44]
Pour ces variables, le coefficient de corrélation est supérieur à 0,65 et montre des corrélations négatives entre la proportion d’agriculteurs d’une part et la proportion de naissances illégitimes, le niveau d’infécondité ou le taux d’urbanisation d’autre part, mais aussi entre taux d’infécondité et taille des ménages ; et des corrélations positives entre taux d’illégitimité et taux d’urbanisation.
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[45]
Le lien apparaît toujours en 1891 et 1911 mais le pseudo r des modèles est quasi nul.
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[46]
Comme cela a été entrepris pour le département de la Seine (Brée, 2019a).
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[47]
Les données issues des Comptes généraux de la Justice, qui correspondent à l’ensemble des demandes de divorce, indiquent une durée de mariage de 8 à 9 ans alors que ceux des Mouvements de la population, qui correspondent à la transcription dans les registres d’état civil des divorces prononcés indiquent une durée de 12 ans. Les demandes sont donc effectuées après 8 à 9 ans de mariage mais aboutissent en moyenne après 11 à 12 ans de mariage.
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[48]
Il est intéressant de noter cependant que les couples mariés depuis moins d’un an, s’ils faisaient au départ partie de ceux qui se tournent bien davantage vers le divorce font, à partir des années 1905, partie de ceux qui privilégient le moins cette forme de désunion.
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[49]
On ne peut pas vérifier cette hypothèse, les publications utilisées ne fournissant pas de données sur les âges au mariage des divorcés.
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[50]
Malgré les fortes perturbations de la nuptialité liées à la première guerre mondiale (baisse du nombre de célibataires qui se marient pendant la guerre provoquant une hausse de la part des veufs et veuves ; puis hausse du nombre de veufs et de veuves qui se remarient après la guerre, suivis par les divorcés), ces résultats sont assez constants pour toute la période à l’exception des hommes et femmes divorcés qui sont plus nombreux parmi les couples qui restent mariés que parmi ceux qui divorcent pour la cohorte mariée en 1911-1921 (ou considérée comme telle).
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[51]
Les niveaux d’infécondité passent de 9 % pour la génération de femmes mariées (ou l’ayant été) nées en 1850, à 15 % pour la génération 1875, à 17 % pour la génération 1900 et à 6 % pour les générations nées vers 1945 (Brée, 2017b).
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[52]
Les femmes séparées et divorcées de sa base de données sont 0 % à n’avoir qu’un enfant (contre 32 % pour les femmes mariées), 28 % deux enfants (contre 24 %) et 29 % trois enfants ou plus (contre 44 %) (Sohn, 1996).
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[53]
Aucune de ces comparaisons n’est exacte puisque les patrons industriels (par exemple) sont compris dans la catégorie « professions industrielles » et certains ouvriers des recensements (notamment les ouvriers du secteur agricole) ne sont probablement pas comptés ainsi dans les Comptes de la Justice.
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[54]
La réforme de 1915 augmente considérablement les possibilités de divorcer mais on n’observe pas d’augmentation des divorces car la population n’est pas prête à utiliser ces nouveaux dispositifs (Simonsson et Sandström, 2011).
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[55]
Entre 1817 et 1883, il semble que les séparations de corps sont principalement utilisées par les femmes pour se protéger ou protéger leurs enfants et pouvoir vivre en dehors du domicile conjugal. En revanche, lorsque le divorce est autorisé et surtout lorsque le consentement mutuel est possible, le nombre de demandes explose. Il est donc difficile d’envisager l’évolution des demandes en séparations de corps comme l’adoption de plus en plus grande d’un comportement novateur – comme on peut le faire avec le divorce. Pourtant, même lorsque la séparation de corps ne permet que de se protéger, sa distribution spatiale montre des différences importantes selon les départements ; distribution spatiale d’ailleurs quasi similaire à celle du divorce dès 1884. Ainsi, même si on peut difficilement considérer la séparation de corps comme un comportement novateur, la compréhension de l’évolution de l’ensemble des désunions bénéficie du questionnement théorique proposé par Coale (1973).