Couverture de ADH_129

Article de revue

Vieillir : Les apports de la démographie historique et de l’histoire de la famille

Pages 201 à 229

Notes

  • [1]
    Dans les mêmes années, Jean-Pierre Bois fit paraître deux autres synthèses (Bois, 1984, 1994).
  • [2]
    Le terme gérontologie a été inventé par un médecin, Ilya Ilyich Metchnikoff, en 1913, mais il désignait alors des procédés destinés à allonger la vie. Dans son acception actuelle, il n’émerge guère que dans les années 1960 (Katz, 1996).
  • [3]
    Une enquête américaine de la fin du xxe siècle montre l’ampleur de cette peur relativement récente quand elle indique que parmi les participants de 70 ans et plus, 60 % souhaiteraient mourir s’ils venaient à être atteints de troubles cognitifs. Cf. Lawton et al., 1999.
  • [4]
    Curieusement, les chercheurs de Cambridge ont repris cette idée de fin de vie dans un « nid vide » à la sociologie de Parsons, qu’ils ont par ailleurs tant contestée. Cf. Chudacoff et Hareven, 1979.

Images de la vieillesse : le temps long des représentations

1Une histoire de la vieillesse ! demandait-on à Philippe Ariès (voir Benoit-Lapierre, 1983). L’auteur savait combien les productions culturelles du xviie siècle avaient peu montré de respect pour les vieillards. La société, sous l’Ancien Régime, était faite pour des adultes forts, pour les hommes jeunes et les belles femmes, et non pas pour l’enfant ou le vieillard. Ces « exilés de la société plénière », les historiens ne s’y étaient pas ou peu intéressés. Excepté quelques rares ouvrages et de courts aperçus offerts par Philippe Ariès lui-même, on les avait tout à fait oubliés (Richardson, 1933 ; Berelson, 1934 ; Ariès, 1948 ; Haynes, 1956). L’histoire des mentalités allait enfin leur faire une place. Mais cette histoire, plus attentive aux contraintes structurelles exercées sur la longue durée qu’aux temporalités de l’économie et du politique, n’admettait que des changements lents et limités. Philippe Ariès soutenait que plusieurs conceptions pouvaient fort bien exister simultanément, bénéficiant chacune d’un statut différent. Des images positives ont en effet de tout temps cohabité avec des représentations négatives. L’attachement des vieux aux biens terrestres était déjà vilipendé dans les fabliaux médiévaux. Il était vain de chercher une quelconque loi de transformation de ces représentations. Jean-Pierre Poussou (1983) recommandait un terrain plus solide, une approche démographique et sociale du vieillissement, un chemin que nous empruntons d’ailleurs dès la deuxième section de ce texte. Un spectaculaire changement d’attitude s’est pourtant bien produit dans la France du xviiie siècle, visible dans tous les domaines de la culture, dans les arts et la littérature, la religion et la philosophie, ainsi que dans les sciences et la médecine. Graduellement, les personnes âgées parurent plus sympathiques et plus aimables. Le ressentiment céda la place à l’honneur et au respect. Les images romanesques, théâtrales et picturales montrèrent d’admirables vieillards, accumulant les vertus de justice, de bonté et de tempérance. Le bon vieillard surgissait finalement dans la littérature en même temps que le bon sauvage. La littérature chrétienne elle-même se fit plus modérée. Avant cela, pour les auteurs de littérature pieuse ou de traités moraux, la vieillesse n’était pas le moment des affections terrestres, mais au contraire celui de la préparation à la mort et de la dévotion. Le chrétien vieillissant devait résolument se tourner vers Dieu. Les maladies, les infirmités, les deuils étaient conçus comme des secours providentiels envoyés par un Dieu miséricordieux pour aider le chrétien à se détourner de la vie terrestre. Le thème du vieillard digne, vertueux, sage et respecté, prenait désormais une ampleur inédite. Buffon offrait le modèle du vieillard actif et splendide pour ses admirateurs (Bourdelais, 1997, 31). Les centenaires devenaient sujets d’admiration (Bertrand, 1997). De ce changement, David G. Troyanski s’est fait l’observateur attentif, dans une thèse soutenue en 1983 et publiée en 1989.

2Le déferlement de travaux universitaires pronostiqué par Philipe Ariès n’a plus, dès lors, tardé à se produire. Souhaitant poser la question du traitement social de la vieillesse, Jean-Pierre Bois fit d’abord une recherche sur l’assistance aux vieux soldats ou, plus exactement, aux soldats estropiés, puisque la vieillesse militaire, comme la vieillesse civile, n’avait pas d’âge au temps où Louis XIV créa l’Hôtel des Invalides (Bois, 1990). On confondait alors l’invalide et le vieillard caduc. Ce travail servit d’introduction à une étude plus générale, qui fut en fait publiée un peu plus tôt, en 1989 [1]. Jean-Pierre Bois opposait le « temps des rigueurs » (1580-1700) et le « temps des faveurs » (1700-1780). La perception de la vieillesse, socialement hétérogène, spatialement contrastée selon que l’on étudie les villes ou les campagnes, n’autorise pas plus de précision. Jean-Pierre Bois mit seulement l’accent sur les années 1730-1760, une époque où les vieillards commencèrent à former un groupe numériquement important. Jean-Pierre Gutton (1988) observa prudemment, sans fixer de limites chronologiques précises, qu’une nouvelle manière de voir la vieillesse avait émergé au xviiie siècle. Il préférait évoquer la vieillesse en ses lieux, dans la famille ou à l’hôpital. Ces synthèses, contemporaines de l’Histoire de la famille dirigée par André Burguière (1986) et de la monumentale Histoire des femmes en occident (1990-1992), manifestaient l’importance de ce nouvel objet historique. Certaines conclusions, prématurées, comme celle consistant à dire que les grands parents, au Moyen Âge, avaient été refoulés hors de la littérature religieuse et des récits hagiographiques, durent être ensuite révisées (Minois, 1987). On sait en effet aujourd’hui que les œuvres hagiographiques regorgent d’informations sur les vieillards. Au demeurant, ils étaient bien présents dans le clergé. Beaucoup de dignitaires trouvaient refuge dans des monastères, où ils bénéficiaient d’un allègement des règles ascétiques (Cochelin, 1992).

3Le motif des âges de la vie, le souci de périodiser l’existence en séquences ascendantes et descendantes, faisait une place à la vieillesse. Le dénombrement des âges de la vie permettait de réfléchir aux qualités et aux comportements associés aux périodes successives de l’existence, selon une perspective morale. Les modèles à quatre ou sept périodes étaient les plus employés, qui renvoyaient aux éléments ou aux humeurs, ou bien aux planètes, aux vertus et aux péchés. La question des ætates hominium, appliquée aux domaines picturaux et littéraires, a suscité de nombreux travaux en Europe et en Amérique, au même moment où la vieillesse accomplissait sa percée comme sujet d’étude (Sears, 1986 ; Dove, 1986 ; Burrow, 1986 ; Goodrich, 1989 ; Cole, 1992 ; Dubois et Zink, 1992 ; Soupel, 1995 ; Ehmer, 1996 ; Panafieu, 2002 ; Fortin, 2011). Dans la tradition chrétienne, la longévité ressortait de la vanité. Mais on a montré combien est ancien le souci de prolonger l’existence, à l’aide d’écrits hygiénistes, hermétiques ou gériatriques (Gruman, 1966). Au Moyen Âge, les élixirs de longue vie ont fait l’objet de multiples recherches alchimiques (Bois, 2001). La conservation du corps est devenue un commerce, et pour les vendeurs de concoctions miraculeuses, une source de profits (Roberts, 1993 ; Barker-Read, 1988). La sécularisation de la société a retiré peu à peu la vieillesse des mains de l’Église pour la remettre aux médecins, aux économistes et aux politiques (Perrot, 1985, 150). Les avis divergent sur l’âge où situer l’entrée dans la vieillesse. Le vieillissement est associé à l’idée d’un affaiblissement, d’une perte des plaisirs et des facultés physiques, concordant souvent avec l’arrêt du travail. Richard Trexler (1982) et Creighton Gilbert (1967) tenaient pour un âge précoce. Les artistes de la Renaissance pouvaient être classés parmi les vieillards quand ils atteignaient 45 ou 50 ans. Shulamith Shahar (1993) estime toutefois que les hommes n’entraient pas dans la vieillesse avant 60 ans. L’importance de cet âge a depuis été confirmée par le plus grand nombre d’auteurs (Rosenthal, 1996 ; Johnson et Thane, 1993 ; Thane, 1996, 2000 ; Parkin, 2003 ; Ottaway, 2004). Certains auteurs se demandent quand même si les sexagénaires étaient réellement considérés comme des vieillards (Mottu-Weber, 1994, 50). Dans leur écrasante majorité, les images de vieillards montrent des hommes et des femmes âgés de plus de 60 ans. La tendance à définir la vieillesse en termes d’âge biologique s’est aussi affirmée au xviiie siècle. Les discours médicaux et les arts de vieillir de cette époque offrent un accès privilégié à la dimension corporelle de la vieillesse. Ils sont particulièrement précieux pour les femmes qui étaient rares à parler ouvertement de leur corps.

4La définition de la vieillesse n’a jamais été uniquement une question d’âge, de degrés franchis successivement ou de classes strictement bornées (Roebuck, 1979). C’est pourquoi l’on est attentif aujourd’hui aux responsabilités, aux fonctions assumées, au genre et à la position familiale. Tout un discours était tenu par les administrateurs, fixant l’âge à partir duquel les vieillards pouvaient être exemptés de différentes charges militaires ou civiles, ou bien au contraire autorisés à recevoir des pensions. On a montré à cet égard l’importance de la présence d’hommes âgés au sommet de l’État ou bien à l’échelon local. Ils ont assurément contribué à l’instauration d’un climat favorable (Thomas, 1976 ; Bois et Minois, 1985). Si les femmes étaient éligibles à des allocations à un âge plus précoce que les hommes, c’est en raison principalement du veuvage, mais aussi parce que l’on considérait qu’elles souffraient plus vite des effets du vieillissement (Johansson, 1995 ; Oris et Ochiai, 2002). Le premier livre français entièrement consacré à la ménopause a été celui de Jean-Baptiste Jeannet des Longrois, publié en 1787 sous le titre Conseils aux femmes de quarante ans. Une majorité de praticiens, au xviiie siècle, n’établissaient pas de lien avec la vieillesse. Patricia Crawford (1981) estime que la ménopause n’était pas regardée comme un problème majeur. Des médecins se complurent à décrire l’affolement qui s’emparait des femmes à l’approche de la cinquantaine, ou à décrire les effets du vieillissement sur l’apparence de la femme, sur sa peau et sa carnation (Tillier, 2005 ; Vigarello, 2004). D’autres se mirent à émettre des craintes pour sa santé (Mendelson et Crawford, 1998). Ils joignaient à ces commentaires des conseils de prudence et des régimes pour mieux franchir « le moment orageux ». La plupart des traités antérieurs au xviiie siècle ignoraient même la ménopause ou ne la mentionnaient qu’en passant. C’est un des angles par lesquels est aujourd’hui abordée la vieillesse au féminin. Lynn Botelho (2001) estime que la ménopause signifiait l’entrée dans la vieillesse (voir aussi Stearns, 1980). Tandis que pour l’homme, la vieillesse était surtout corrélée au travail et à son interruption, pour les femmes, la perte de la capacité de procréer apparaissait comme une étape importante (McClive, 2010).

5Bien que la gériatrie ne se soit imposée comme un champ d’étude distinct qu’au xxe siècle (Hareven, 1995), selon Steven Katz (1996), dès la fin du xviiie siècle et plus encore au xixe siècle, la perspective médicale évolue. L’approche clinique, caractérisée par un fort lien à la biologie, se centre sur le corps et ses changements. De ces avancées épistémologiques résultent les premiers discours sur la dégénérescence, sur la sénescence, qui dissocient la vieillesse du vieillissement en présentant ce dernier comme un processus incurable. Peter Laslett (1991) a beaucoup insisté sur l’appropriation des métaphores médicales par le monde politique, autour de 1900, qui a largement contribué à la popularisation de ces visions savantes. Elles prennent leur forme populaire avec les représentations d’une vieillesse pathologique et du vieillard grabataire. Des différenciations sociales et idéologiques n’en vont pas moins renouveler l’ambivalence des perceptions et en engendrer des formes qui, à bien des d’égards, ont perduré jusqu’à nos jours. Les visions les plus sombres évoquent la déchéance du mineur de charbon ou de l’ouvrier d’usine, privé de ses revenus et de sa raison d’être, de son identité même, par l’invalidité qui affecte son corps et le rend inapte au travail. L’arrêt d’activité est alors associé à l’invalidité, à l’incapacité, à la débilité du corps, voire de l’esprit (Ehmer, 2008). Dans le même temps, parmi les élites sociales, en ce siècle de la bourgeoisie, s’opposent des images positives mais antagonistes : celle du patriarche, chef puissant d’une famille au sein de laquelle il est le gardien de l’ordre, dans la lignée des idées de Frédéric Le Play et plus globalement des milieux conservateurs, versus les grands-parents qui soutiennent sans ordonner, qui accompagnent la maturation des petits-enfants pour libérer encore un peu plus les parents adultes qui sont leurs enfants, incarnant de la sorte les idéaux républicains (Gourdon, 2001). Ils annoncent un modèle de retrait participatif, soit une ambivalence ou contradiction toujours présente.

6En effet, les perceptions sombres, reflet par ailleurs de réalités sur lesquelles nous reviendrons plus avant dans cet article, ont soutenu la mise en place de systèmes de retraite dès la fin du xixe siècle, au Danemark ou dans l’Allemagne de Bismarck, puis leur large déploiement au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ils se sont fondés sur une définition normative de la vieillesse et en ont rapidement structuré les (auto) représentations. C’est le passage d’un seuil, en général à 65 ans pour les hommes et un peu moins pour les femmes, qui déterminait le droit de se mettre en retrait. Dans un premier temps, ce droit est resté associé à la nécessité de laisser les corps fatigués au repos, à la volonté d’assurer une fin de vie digne à des êtres épuisés, arrivés en bout de parcours (Heller, 1994 ; Bois, 1989 ; Feller, 2005). « La vieillesse, comprise ici comme un état d’affaiblissement général de l’être humain, est donc reconnue comme une situation qui autorise l’arrêt du travail et qui doit permettre à ceux qu’elle affecte et qui ont bien mérité du travail, de bénéficier de la solidarité collective » (Lalive d’Épinay, 1996, 28). À un niveau sociétal, Patrice Bourdelais (1997) a mis en évidence les usages cohérents d’une « métaphore biologique à l’échelle d’une société humaine » qui a fait des vieux une « charge », un « poids », voire une « menace » pour l’économie et la société.

7Cependant, les progrès de l’espérance de vie ont pris une ampleur spectaculaire dans la seconde moitié du xxe siècle, créant un fossé croissant entre la fin légitimée de la période active et la fin de l’existence (Oeppen et Vaupel, 2002). Ainsi ont émergé des générations qui eurent « une vie à inventer » (Lalive d’Épinay, 1991), une vie de retraités bénéficiant du recul de la pauvreté (Paugam, 1991 ; Gabriel et al., 2015) et de l’amélioration des conditions de santé (Gabriel, 2015 ; Oris et Remund, 2012, 215-216). Nécessairement, l’image de la personne âgée en a été transformée, de même que les modalités de son étude savante, quand la gérontologie s’est imposée pour socialiser et humaniser la gériatrie [2] (Estes et al., 1992 ; Achenbaum, 1995). Les mots symbolisent et expriment toute cette dynamique. Dans les années 1970, première moitié des années 1980, les Francophones inventent les expressions « 3e âge », puis « 4e âge », alors que les Anglo-saxons dissocient les young old des oldest old (Ehmer, 2008 ; Dannefer et al., 2005 ; Laslett, 1991). Il en a résulté une dualité des représentations jusqu’à l’extrême. D’un côté, exprimant à la fois la continuité et le renouveau du modèle bourgeois républicain du xixe siècle, un moment de réalisation de soi, libéré des contraintes professionnelles et familiales, nonobstant cependant l’idéalisation d’une grand-parentalité douce et dévouée ; de l’autre, le refuge de toutes nos peurs, anciennes et nouvelles, celle de la sénilité, de la folie et de la mort, toutes peurs exacerbées dans des sociétés qui exaltent le dynamisme et la jeunesse. Une analyse textuelle a mis en évidence de manière un peu terrible les termes sous lesquels se décline uniformément un modèle de la « vieillesse dégradée ». La dégénérescence physique y est désormais associée à la dégénérescence mentale [3]. Un bloc sémantique reprend les mots incapacité, inactivité, inutilité et dépendance. Un autre englobe la tristesse, la dépression, l’isolement, mais aussi la fermeture d’esprit, la laideur et l’asexualité (Lalive d’Épinay, 1996). Ces dernières associations rappellent l’histoire de la mort selon Ariès (1983), discutant l’inversion d’Éros et de Thanatos, dans la mesure où, depuis les années 1950 approximativement, c’est la mort et non plus le sexe qui serait devenu obscène. Le lien à la vieillesse a été établi, dès 1980, par Arthur Imhöf et n’a cessé de s’accentuer puisqu’au tournant des xxe et xxie siècles, dans les pays riches, les deux-tiers des décès côté masculin, plus de 8 sur 10 côté féminin, surviennent à 75 ans et plus.

8Avec les soins palliatifs et le développement des soins à domicile, une volonté de « prendre soin », de soutenir l’autonomie, d’accompagner, a exprimé une humanisation des pratiques. La recherche gériatrique et gérontologique a par ailleurs montré que la distinction entre un 3e et un 4e âge ne fait guère sens, tant la diversité interindividuelle est grande, et que par ailleurs, bien plus que la dépendance, c’est la fragilité qui est la marque de la grande vieillesse (Spini et al., 2007 ; Michel, 2005). Pour autant, dans les représentations communes, le poids des stéréotypes et les teintes sombres dominent toujours profondément les images de la vieillesse et des vieux (Blaikie, 1999).

Vieillesse et famille dans les sociétés européennes préindustrielles

La formation de l’hypothèse de Laslett sur la « dureté de la famille nucléaire »

9Comme la section précédente l’a suggéré sans s’y appesantir, les représentations de la vieillesse entretiennent un rapport à la fois évident et incertain avec les réalités socioéconomiques de cet âge. Dans l’étude de ces dernières, l’histoire de la famille a apporté des contributions multiples. Pour les synthétiser, nous avons pris le parti de nous appuyer sur les travaux de Peter Laslett, non seulement parce qu’il fut l’un des rares qui aient relié les démarches historiques et gérontologiques, mais plus encore parce qu’il a osé poser une hypothèse qui a été beaucoup critiquée, et donc a puissamment stimulé des recherches originales : celle de la dureté intrinsèque, structurelle, de la famille nucléaire, opposée à la plus grande efficience sociale des familles complexes qui auraient été plus douces aux faibles, dont les vieillards (Laslett, 1988 ; Oris et Ochiai, 2002).

10Déjà en 1972, Peter Laslett, dans Household and family in past time, évaluait les pourcentages de cohabitation intergénérationnelle en divers lieux du continent européen, en supposant qu’à partir de ces données il était possible de déduire la situation sociale et familiale qu’avaient occupées les veuves et les personnes âgées au sein des foyers, à l’époque préindustrielle. L’intérêt de Peter Laslett pour la vieillesse remontait, en réalité, au début des années 1960. Dans différents travaux publiés alors, mais surtout dans The world we have lost (1965), les grandes questions qui marqueront le développement de la recherche européenne y apparaissent déjà ébauchées. On pense à la préoccupation que Laslett montrait pour l’évolution du vieillissement de la population, pour le degré d’autonomie sociale et résidentielle dont les veuves avaient joui dans la société anglaise préindustrielle, pour le rôle joué par la famille et les institutions communautaires dans l’assistance et les soins aux anciens, ou bien pour l’impact que la force ou la faiblesse de la parenté avait sur la reproduction de la structure sociale. À partir de cet instant, les historiens européens commencèrent à étudier systématiquement ces questions, mais ils le firent avec un décalage temporel qui fut d’autant plus important que l’on se situait plus au sud du continent. Le retard avec lequel les chercheurs du sud de l’Europe réalisèrent leurs contributions, uni à la croyance que les relations sociales et familiales découvertes en Angleterre étaient le modèle vers lequel les relations sociales et familiales présentes dans le reste de l’Europe devaient tendre naturellement, ont conditionné dans un premier temps, l’interprétation des codes sociaux et familiaux de la vieillesse.

11La situation française était différente au milieu des années 1960, car depuis longtemps les travaux des historiens du droit y mettaient en valeur les rapports entre époux, la position respective des parents et des enfants, de la femme et du mari, ainsi que la formidable diversité des pratiques successorales (Dumas, 1908 ; Luc, 1943 ; Hilaire, 1957). Tout cela était de nature à expliquer et à éclairer la position des personnes âgées. Il y avait aussi toute une tradition d’études et de monographies historico-sociologiques, d’inspiration Le Playsienne, que Peter Laslett aida à redécouvrir, tandis qu’il demeurait ignorant des travaux, alors récents, de Pierre Bourdieu sur le Béarn (Bourdieu, 1972). Il est vrai que ces études et tout spécialement celles des juristes, laissèrent beaucoup d’historiens « généralistes » de marbre et plus encore les démographes. De la vieillesse en France, sous l’Ancien Régime, on ne connaissait encore, en définitive, que la vieillesse « gouvernante » des pays de droit écrit. Emmanuel Le Roy Ladurie (1972), bien isolé, s’efforça de rattacher logiques successorales et formes d’organisation familiale, en s’appuyant sur l’admirable synthèse écrite quelques années plus tôt par Jean Yver (Essai de géographie coutumière, 1966). Avec cet essai, on disposait d’une première grille d’analyse et de classement de toutes les coutumes situées au nord de la Loire, qui allait bientôt en inspirer d’autres (Poumarède, 1972 ; Zink, 1993 ; Bourquin, 1997). Bien que l’on ne puisse pas reprocher à ces études d’en être toutes restées à une analyse purement normative – au demeurant nécessaire – l’arrière-plan économique, social et démographique manquait assurément d’épaisseur. L’école de Cambridge, préoccupée d’abord par la morphologie des groupes domestiques et leur évolution spatio-temporelle, délaissa de son côté la question du droit et du pouvoir (Oris, 2003a).

12En fait, dès 1963, Peter Laslett et John Harrison, rompant avec le « grand récit » sur la famille anglaise et la modernisation élaboré par la sociologie fonctionnaliste de Talcott Parsons, notaient la présence massive et ancienne des ménages nucléaires dans l’Angleterre préindustrielle, mais également en France, dans le Pas-de-Calais (Laslett et Harrison, 1963) et, en fait, dans la majeure partie de l’Europe à l’ouest de la ligne Saint-Pétersbourg/Trieste (cf. Wall et al., 1983, dont la contribution de John Hajnal ; Todd, 1990). Les familles réduites n’étaient pas un avatar de la modernité et un simple produit des sociétés industrialisées, comme Parsons l’avait supposé.

13Dans la plupart des régions à l’ouest de l’Europe, l’abandon précoce par les enfants du foyer paternel s’expliquait par l’étroite interrelation existant entre le life cycle servant, le modèle de mariage tardif, le régime de résidence postnuptial de style néolocal et la prédominance de la famille nucléaire (Van Poppel et Oris, 2004). D’après les chercheurs du Groupe de Cambridge, la tendance des enfants à vivre dans des foyers séparés une fois mariés et leur faible propension à retourner à la maison paternelle pour s’occuper de leurs parents au cours de leur vieillesse – ou à les emmener avec eux au fur et à mesure que celle-ci s’accentuait – auraient contraint une majorité de vieillards à vivre seuls à la tête de leur foyer pendant les dernières années de leur vie, à terminer leur existence dans un « nid vide » (empty nest), surtout les veuves, compte tenu de la longévité plus grande des femmes, accumulant de la sorte les risques de solitude, de maladie, de misère [4]. C’est la structure même de fonctionnement du système familial nucléaire qui aurait produit ces duretés (hardship, cf. Laslett, 1988). Dans ces circonstances, au moins dans le cas anglais, lorsque les parents manquaient de ressources ou ne pouvaient pas s’en sortir seuls, la community s’occupait de satisfaire à leurs besoins au travers des mécanismes institutionnels prévus par la Loi des Pauvres de 1601 (voir Thomson, 1991 ; Wall, 2006). C’est-à-dire moyennant une aide matérielle offerte par les paroisses ou l’entrée dans une workhouse ou un asile selon l’usage (Laslett, 1988). Dans ce même contexte, les mères veuves ou les pères veufs qui étaient incapables de préserver leur autonomie, ne pouvaient rejoindre la maison de leurs enfants que s’ils y étaient invités, car il ne s’agissait pas d’un droit. On assistait dans ces cas à une « réincorporation nucléaire », au retour des parents âgés dans le foyer des enfants, mais uniquement en cas d’extrême nécessité (Hammel, 1995).

14Pour autant, dans la perspective de Laslett, la solitude des personnes âgées n’était pas jugée d’une manière univoquement négative, puisqu’il croyait qu’elle exprimait aussi une volonté d’indépendance personnelle laquelle, par ailleurs, aurait constitué l’un des traits de définition du caractère national anglais. À son avis, cette volonté aurait été unique dans le panorama européen de l’Ancien Régime, en correspondance avec la faible importance que les formules de cohabitation intergénérationnelles et la parenté avaient au sein de la vie sociale et familiale dans l’île (Smith, 1984 ; Thomson, 1986 ; Laslett, 1988). Laslett mit ces traits en relation avec la modernité de l’une des sociétés les plus avancées de l’époque, berceau de l’urbanisation et de l’industrialisation. On le sait, Emmanuel Todd (1990) a repris cette idée et contribué à sa popularité, provoquant des débats qui ne sont pas notre objet ici.

15Voilà en peu de mots, le versant le plus connu de la nuclear hardship hypothesis, dont le succès dans le monde anglo-saxon fut retentissant pour s’être ajustée aux valeurs culturelles et idéologiques dominantes dans la société au moment où elle fut formulée dans les années 1970 et 1980.

L’inscription de la vieillesse dans les dynamiques familiales

16La nuclear hardship hypothesis, dès ses prémisses, donna lieu rapidement à un intense débat historiographique autour de l’importance historique de l’assistance familiale et sociale à la vieillesse, des fonctions de soutien de la famille et du rôle joué par la parenté dans la définition des liens sociaux et des dynamiques de reproduction (Reay, 1996). Ce fut extrêmement profitable, car les historiens européens développèrent une recherche systématique pour déterminer la situation des personnes âgées au sein de leur foyer et leur capacité à préserver un certain niveau de vie dans les dernières années de leur existence. Ils partirent essentiellement des contributions faites sur la famille-souche contenues dans les travaux de Lutz Berkner (1972), qui finirent par structurer trois lignes de recherche.

17En premier lieu, en Angleterre puis ailleurs, de nouvelles études ont montré, notamment, que la vision soutenue par le Groupe de Cambridge s’appuyait sur des données qui surestimaient le poids des ménages nucléaires enregistrés dans les recensements, ainsi que par une opposition trop rigide des ménages nucléaires et élargis. Le caractère transversal des sources utilisées et l’étude de ces problèmes dans une perspective structuraliste et non systémique, à partir de la composition familiale de foyers dont le chef de famille était un ancien, firent que Laslett et les siens négligèrent dans leurs analyses l’importance des relations parentales et sociales de nature horizontale que les aînés établissaient avec parents, familiers et connaissances qui vivaient dans leur entourage immédiat ou à proximité (Reay, 1996 ; Phytian-Adams, 1987 ; Cressy, 1986 ; Levine et Wrightson, 1984). Les travaux critiques ont en effet mis en évidence que dans l’Angleterre préindustrielle, être seul ne signifiait pas que l’on n’ait plus de contact avec les enfants, parents et amis. Le départ des enfants du foyer parental n’impliquait pas, en soi, une rupture des liens familiaux intergénérationnels en raison de la distance physique ou de la raréfaction naturelle des interactions quotidiennes.

18In fine, dans les sociétés préindustrielles, en Angleterre tout comme en France, en Italie ou en Espagne, les personnes âgées demeuraient rarement seules. Dans le système européen de mariage tardif, la composante du célibat définitif offrait souvent une solution que l’on peut qualifier de systémique, lorsque celui qui ne se mariait pas restait et prenait soin de ses vieux parents jusqu’à la fin (Alter, 1996 ; Oris et Ochiai, 2002 ; Oris, 2003b). Même lorsque les vieillards se retrouvaient seuls, intervenaient des réseaux d’affections et solidarité nés des liens étroits de parenté et de voisinage qu’ils avaient maintenu avec ceux qui vivaient dans leur entourage (Kertzer et al., 1992 ; Perrenoud, 1998 ; Gomila Grau, 2002). En ce sens, les chiffres qui nous renvoient au degré d’autonomie résidentielle dont les anciens jouissaient au cours du xviiie siècle, dans des lieux aussi divers que l’Angleterre ou le monde rural de la Galice ou des Pays-Bas autrichiens, sont très semblables entre eux. C’est plutôt au niveau de la cohabitation des parents âgés avec leurs enfants respectifs que des différences s’observent (Wall, 1991; Ottaway, 1998 ; Leboutte, 1990 ; Dubert, 2012).

19Pour autant, il ne faut pas négliger la force des normes morales et légales. La situation des personnes âgées était nettement moins favorable quand le droit imposait une stricte égalité, par exemple près de Paris ou en Normandie (Viret, 2004, 2013). Le devenir des vieillards pouvait alors devenir très incertain, surtout en l’absence de ces réseaux et solidarités nés de la parenté et du voisinage (Viret, 2002). Plus généralement, à l’encontre de ce que l’on affirme habituellement, l’intensité majeure ou mineure de la cohabitation ne se déduit pas automatiquement d’un supposé modèle culturel inspiré par Max Weber, qui conduit toujours à souligner l’existence évidente d’une Europe du Nord et d’une Europe du Sud (Reher, 1998). Si l’on examine, en revanche, le rythme et le volume de la transmission patrimoniale, de spectaculaires différences surgissent selon les sociétés et les époques. Il faudrait être plus attentif aux dispositifs de pouvoir, au sein des ménages et dans la société environnante qui n’adoptent pas, assurément, une géographie aussi simple.

20Enfin, le sort des parents âgés dépendait aussi, profondément, de la réponse que les individus et leurs proches pouvaient donner, dans le cadre d’un contexte historique déterminé, aux contraintes dérivées de la prédominance de l’une ou l’autre structure socio-productive. Et en leur sein, il convient de ne pas perdre de vue que l’intensité de la cohabitation, ainsi que la capacité des individus à activer des réseaux parentaux ou sociaux d’assistance, a toujours été en étroite relation avec la position sociale occupée par le chef de famille (Mitterauer, 1992 ; Dubert, 2012).

21Un deuxième ensemble de recherches se concentra sur l’étude du fonctionnement des retirements arrangements, leur effectivité et leur degré de diffusion. Selon les pays, les accords de retraite apparaissaient dans les actes notariaux sous la forme d’un contrat spécifique ou bien, en tant que clauses indépendantes incluses, dans des dots, donations ou testaments. À l’origine, les historiens estimèrent qu’il s’agissait d’un mécanisme utilisé par les personnes âgées pour canaliser les tensions et la méfiance qui existaient entre les membres des différentes générations qui vivaient sous un même toit, lors des instants préalables à la relève de la direction familiale. De cette façon, on assumait la position d’infériorité des parents âgés face à l’enfant adulte, qui était appelé à leur succéder. Pour cette raison, le contenu de ces contrats était rattaché aux thématiques du fonctionnement des modèles successoraux, du développement des cycles familiaux ou à la viabilité de l’exploitation rurale (Poitrineau, 1981 ; Held, 1982 ; Gaunt, 1983 ; Moriceau, 1985). Parallèlement, se faisant l’écho de la mise en garde adressée, en 1976, par Peter Laslett et de l’intérêt croissant que suscitaient les études sur le genre, un second type de travaux s’est occupé d’éclaircir les voies à travers lesquelles les veuves, et les vieilles femmes en général, parvenaient à maintenir un certain degré d’indépendance sociale et résidentielle. Dans cette approche, on cherchait habituellement à déterminer leur proportion en tant que chefs de famille et personnes dépendantes ; on analysait tout ce qui était relatif à la construction sociale de leur image et aux « problèmes » qu’occasionnait leur situation notoire d’infériorité socioéconomique (Laslett, 1976 ; Stearns, 1980 ; Wall, 1981 ; Sokoll, 1994 ; Oris et Ochiai, 2002).

22Au niveau méthodologique ou thématique, ce champ d’études n’a pas connu d’avancées majeures au cours des dernières années, à une exception près : la perception, depuis les années 1990, des personnes âgées en tant qu’acteurs, capables de participer de manière active à la construction de leur propre avenir et au développement social. Ce changement de représentation a brisé l’image traditionnelle que l’on avait du vieillard en tant qu’être passif, soumis aux desseins des siens ou à des circonstances économiques, sociales ou familiales qu’il ne pouvait contrôler (Bourdelais et al., 2007). Dès lors, les chercheurs qui affrontèrent ces questions mirent l’accent sur la capacité des personnes âgées à concevoir et à exécuter des stratégies, qui leur permettaient d’être indépendantes, de garder le contrôle de leur existence (Beauvalet-Boutouyrie, 2001 ; Fauve-Chamoux, 2002 ; Moring 2002 ; Fernández Cortizo, 2004). On s’aperçut que le décès du mari n’était pas toujours synonyme de déclassement et de misère pour la veuve (Beauvalet-Boutouyrie, 2001). Dans le négoce, par exemple, des veuves pouvaient prendre la direction d’affaires importantes, pendant une durée plus ou moins longue (Lespagnol, 1989 ; Lane, 2000 ; Beauvalet-Boutouyrie, 2001 ; Ruggiu, 2007). Pour autant, Tommy Bengtsson (2002) a, à juste titre, souligné que dans des sociétés de pauvreté de masse marquées par l’insécurité d’existence, ceux et celles qui élaboraient des stratégies parfois très abouties de sécurisation et transmission, n’en étaient pas moins conscients des aléas qui pouvaient briser même les plans les mieux pensés.

23Une troisième ligne de recherches a essayé de dépasser les avancées réalisées d’emblée par Lutz Berkner. Dès la fin des années 1970, les historiens développèrent dans leurs recherches un modus operandi chaque fois plus élaboré. Habituellement, ils commençaient par établir les niveaux de vieillissement de la population. Puis, ils les inscrivaient dans le régime démographique qu’ils caractérisaient en déclinant les variations de court et moyen termes de variables, telles que l’émigration, la fécondité, la mortalité des enfants et des adultes, puis intégraient une complexité supplémentaire en considérant le fonctionnement des modèles successoraux (Lorenzetti et Neven, 2000). Une fois le contexte sociodémographique et normatif reconstruit, ils analysaient alors la situation familiale des personnes âgées. Dans les systèmes de famille-souche, puis plus récemment nucléaires, ont été considérés les changements de la situation sociale et familiale des aînés à chaque étape du cycle de formation des ménages, les effets causés par la résidence simultanée des parents âgés avec leurs enfants ou, alternativement, les voies que les vieillards avaient suivies pour s’intégrer dans les foyers d’autrui (Fine, 1977 ; Collomp, 1983 ; Bourdelais, 1985 ; Fauve-Chamoux, 1985). Les résultats obtenus à ce niveau servirent de contrepoint à ceux que l’historiographie anglaise offrait à la même époque, puisqu’ils montraient que la relation entre la vieillesse et la famille n’était pas aussi simple et univoque que Peter Laslett le supposait. Les changements enregistrés dans les migrations et dans les marchés du travail locaux, ou encore les modifications opérées dans la logique interne des systèmes successoraux, étaient des éléments qui marquaient et conditionnaient cette relation à moyen et long terme.

24Le développement de cette direction de recherches au cours des années suivantes mit en relief que la situation que vivaient les personnes âgées à l’intérieur des foyers des différentes zones d’Europe, voire d’Asie, où prédominait la famille complexe, n’était pas homogène (Oris, 2003b ; Fauve-Chamoux et Ochiai, 2009 ; Duraes et al., 2009). Qui plus est, elle ne l’était même pas entre régions d’un même pays. Il suffit pour s’en convaincre de considérer la Navarre et la Galice, deux territoires situés à deux pôles opposés au nord de la péninsule ibérique. Si, à la fin du xviiie siècle, dans la moitié septentrionale de la Navarre, 70 % des ménages dont le chef de famille avait 60 ans ou plus prenaient une forme nucléaire, en Galice intérieure, ils représentaient seulement un peu plus de 40 % du total. Cela signifie que les accords de retraite établis par les chefs de famille avec les enfants destinés à leur succéder dans la direction du foyer, ou la nature des relations intergénérationnelles maintenues dans chaque région, répondaient à des logiques différentes. De la même manière, la capacité de ces chefs de famille à contrôler la reproduction sociale variait (Mikelarena, 1995 ; Fernández Cortizo, 2004).

25Nous en trouvons la preuve dans la Galice rurale, où dominait la petite propriété agricole. Ici, à mesure que le chef de famille vieillissait, la taille du ménage augmentait, en même temps que son degré de complexité familiale et son niveau de richesse matérielle (Sobrado Correa, 2007). Une telle concentration de terres et de bétail entre les mains des plus âgés était possible grâce au développement d’une stratégie d’accumulation patrimoniale initiée lorsque le chef de famille avait dans les 45-50 ans, d’une part, et par ailleurs grâce à l’exploitation productive, pendant des années, de la force de travail de ses enfants et même, dans quelques cas, de domestiques. Il est donc évident que dans le monde rural galicien, la reproduction sociale et familiale était contrôlée, en bonne partie par des personnes âgées qui possédaient de meilleures conditions matérielles. Depuis leur position de force relative au sein du foyer, ils fixaient alors les conditions de la cohabitation avec l’enfant marié destiné à demeurer dans la maison. Dès lors, nous comprenons mieux pourquoi et comment, à partir du premier tiers du xixe siècle, les chefs de famille de 60 ans et plus, en Galice intérieure, furent capables de manipuler consciemment les stratégies traditionnelles de reproduction familiale, avec pour objectif d’éviter les préjudices que causait la crise de la culture et de l’élevage qu’ils vécurent dans cette région dès 1840. Bien que ce processus de manipulation s’exprimât d’une manière socialement différenciée, rien ne nous empêche d’affirmer que tout au long de l’Ancien Régime, dans la Galice rurale vieillesse et reproduction socio-familiale allaient assez largement de pair (Dubert, 2008).

De la modernité à la postmodernité : quelques jalons

Continuités et ruptures à l’ère de l’urbanisation et de l’industrialisation

26Fondamentalement, à travers la nuclear hardship hypothesis, Peter Laslett, pourtant si souvent accusé de structuralisme, promut une perspective insérant les stratégies de sécurisation de la vieillesse dans la dynamique des ménages, dans des normes et des pratiques de relations intergénérationnelles, le tout formant des systèmes familiaux (Oris, 2003b). Dans ces termes, le temps des modernisations associées à la révolution industrielle et à l’urbanisation apparaît étrangement inscrit dans une dominante de continuité renouvelée. D’abord, il faut rappeler que la majorité de la population européenne a continué de vivre à la campagne jusqu’en 1914. Ensuite, une structure de base de l’hypothèse laslettienne se retrouve dans les ménages ouvriers des villes et des bassins industriels aussi bien que dans les foyers paysans. Il s’agit du cycle de Chayanov, économiste russe mort dans un goulag stalinien, qui décrit la trajectoire microéconomique d’une unité domestique de forme nucléaire.

27Au départ, après un mariage et un établissement néolocal, le ménage comprend deux adultes jeunes et actifs qui équilibrent sans peine leurs revenus et leur consommation. Puis les enfants viennent et représentent, dans un premier temps, des bouches à nourrir tout en réduisant les opportunités de leur mère de ramener des ressources en raison des grossesses et charges de maternité. La situation se détériore alors et c’est dans ce contexte dépressif que s’inscrivent les mortalités infantile et enfantine. C’est ce qui explique aussi la mise au travail précoce des enfants, qui permet de redresser la situation. Quand les rejetons s’en vont, cependant, se dessine le « nid vide » déjà évoqué, laissant les vieillards seuls. Nous avons montré combien la recherche a déconstruit, à tout le moins nuancé, cette phase ultime. Cependant, il reste que dans des systèmes de mariage tardif, la phase délicate où les enfants mariés accueillent leurs rejetons correspond classiquement, dans la chaîne des générations, à la vieillesse de leurs propres parents qu’ils ne semblent guère en mesure de soutenir, confrontés qu’ils sont à leurs propres problèmes. En contrepoint apparaît la version inversée de l’hypothèse de Laslett, une version évoquée implicitement dans la section précédente, mais dont nous pouvons ici dire explicitement qu’elle perçoit les familles larges, complexes, comme socialement plus efficaces, plus accueillantes aux affligés de la vie, orphelins, veuves, malades, vieillards, car moins marquées par les cycles chayanoviens et bien plus aptes à absorber les (nombreux) accidents de la vie en raison de leur taille et de la diversité de leur composition par âge et sexe (Oris et Ochiai, 2002). Ce n’est sans doute pas un hasard si une telle vision a émergé dans le contexte idéologique des années 1970, marqué par la fin de la guerre du Vietnam et par les remises en cause du modèle malthusien qui assumait une supériorité du régime démographique de l’Europe de l’Ouest sur ses équivalents orientaux (Lee et Wang, 1999).

28Sur cette base, le Projet Eurasien pour l’Histoire comparée de la Population et de la Famille a, depuis 1996, mené des études systématiques qui, pour l’essentiel, ont mis en évidence l’importance des systèmes familiaux dans la gestion de paramètres cruciaux et susceptibles d’être socialement contrôlés, à savoir le mariage et la migration, dans des logiques d’inclusion ou d’exclusion, de liens rompus ou brisés. Au xixe siècle, dans le Liaoning chinois, à Shimomoria et Niita au Japon, dans la Scanie suédoise, à Madregolo ou Casalguidi au centre de l’Italie, à Sart ou dans le Pays de Herve dans l’est de la Belgique, les vieillards échappaient partout à l’abandon et à la relégation. Certes, ils étaient vulnérables aux fluctuations du prix des denrées alimentaires, mais cette mortalité résultait avant tout de leur fragilité accumulée au cours de l’existence, car le statut socioéconomique ne créait pas de différenciation à cet égard. De manière similaire, aucune des variables décrivant la structure du ménage ne produit d’effet consistant sur la mortalité des 55 ans et plus, mais partout le veuvage accroît les risques (Tsuya et Nystedt, 2004). Si ces résultats ne soutiennent pas l’hypothèse laslettienne, ceux de Patrice Bourdelais (1985), dans une des trop rares études considérant le monde rural au xixe siècle, mettent en évidence l’impact des changements démographiques et leurs interrelations. Dans la « France des ménages complexes », à Prayssas entre 1836 et 1911, l’allongement de la longévité impose au couple héritier la double charge prolongée de ses enfants et celle de ses parents vieillissants, ce qui aurait fini par encourager le déclin de la fécondité.

29Certaines des populations étudiées dans le Projet Eurasien voisinaient des bassins et villes industrielles qu’elles nourrissaient d’immigrés. Curieusement, des études récentes ont montré que la mobilité des personnes âgées était relativement intense et s’inscrivait dans ces flux. Leur compréhension révèle des combinaisons complexes entre continuités et ruptures. Dans une étude modèle, il est vrai fondée sur des sources longitudinales riches, Muriel Neven (2007) reconsidère l’hypothèse de la dureté de la famille nucléaire dans le contexte du Pays de Herve, dans la seconde moitié du xixe siècle. Elle analyse la mortalité et l’émigration des 55 ans et plus comme des risques concurrents et met en évidence des effets de compensation genrés. Parmi les hommes âgés, les plus à risque, célibataires, veufs, ainsi que ceux résidant avec des non-apparentés, voyaient leur vulnérabilité révélée par des probabilités de décéder plus élevées. Cependant, rien de semblable n’apparaissait parmi les femmes qui étaient plus nombreuses à vivre dans de telles situations, car elles quittaient le village et, de manière disproportionnée, pour la principale ville de la région, Verviers. Or, la condition des personnes âgées dans cette cité a été étudiée par George Alter (1999). Il observe que la grande majorité des femmes de 75 ans et plus, qui immigraient à Verviers, y cohabitaient avec un ou plusieurs petits-enfants, alors que seuls 8 % des hommes du même âge « faisaient grand-père », comme l’on dit là-bas. Il explique ce différentiel par l’intérêt, puisque dans cette ville textile, la présence d’une grand-mère dans le ménage libérait la mère qui pouvait aller travailler en usine, mais aussi par l’affection. Les nombreux textes du xixe siècle, sur l’autorité paternelle et le dévouement maternel, trouvent ici un écho, puisque l’accueil préférentiel des mères veuves venues de la campagne s’observe à la même époque dans des villes où le marché du travail était bien moins propice à l’activité féminine, comme à Sundsval en Suède ou à Rostock en Allemagne (Högman, 1999, 2001 ; Szoltysek et al., 2011). De tels constats concordent, dans l’ensemble, avec l’idée que l’urbanisation et l’industrialisation auraient plutôt conduit à un resserrement qu’à un relâchement des interdépendances entre membres d’une même famille, cela se traduisant soit par des proximités résidentielles (Alter et al., 1996 ; Högman, 1999), soit par le maintien de structures familiales étendues plutôt que par leur nucléarisation (Ruggles, 1987 ; Janssens, 1993 ; Gunnlaugsson, 1993).

30Dans les études citées ci-dessus, la situation des célibataires âgés est plus ambiguë. George Alter (1996) a montré qu’en leur jeunesse, ils étaient une solution fréquente à la solitude des vieillards – comme nous l’avons évoqué plus haut – mais qu’ensuite ils devenaient un problème, puisqu’ils devaient eux-mêmes finir leur vie sans le soutien d’enfants. Il semble qu’assez souvent, ils aient pu jusqu’à un certain point échapper à l’isolement en formant des ménages urbains avec des apparentés de leur génération (Oris et al., 2006) ou d’autres personnes sans liens familiaux, voire encore dans des statuts ambivalents de pensionné ou logé (Ruggles, 1988 ; Laflamme, 2007). Il arrive cependant aussi qu’ils « disparaissent » purement et simplement, échappant au contrôle de l’habitant et absent même des actes de décès (Neven, 2007).

31Ces observations en demi-teinte introduisent des visions beaucoup plus sombres sur la vieillesse ouvrière, qui se multiplient à la fin du xixe siècle et au début du xxe. Dans les espaces neufs issus de la modernisation économique, banlieues, villes ou bassins industriels, les travailleurs qui rompent le lien générationnel ne veulent plus ramener leur paie à leurs parents et se marient de plus en plus jeunes. La seule option pour contrecarrer la première phase descendante du cycle de Chayanov, c’est d’accroître la durée et/ou l’intensité du travail. C’est sans nul doute là l’un des facteurs qui fabrique, à travers leur parcours de vie, des vieillards avant l’âge, si faibles que, dès 50 ou 55 ans, il fallait les sortir de la fosse pour leur faire trier le charbon sur le carreau des mines, les reléguer dans des tâches moins lourdes au sein des usines, avant de poser le constat de leur invalidité, puis incurabilité, et in fine de leur « non-valeur », qui va mener à la dissociation de l’hôpital et de l’hospice ou asile de vieillards (Lenoir, 1979, 58 ; Gutton, 1988 ; Hareven, 1996 ; Feller, 2005 ; Bourdieu et Kesztenbaum, 2007 ; Ehmer, 2008).

32La description des institutions géantes de la banlieue de Paris est apocalyptique et provoque d’emblée des débats autour de la déshumanisation, de la promiscuité, de l’encasernement et des brimades (Feller, 2005 ; Bourdelais et al., 2007). En Allemagne plus encore qu’en France, la pathologisation de la vieillesse évoquée précédemment, a été particulièrement mise en avant, comme l’ont montré Christoph Conrad (1985) en étudiant les causes de décès des aînés dans un contexte de transition épidémiologique, ou Hans-Joachim von Kondratowitz (1991) en interrogeant les discours médicaux. Le « problème social » constitué par les travailleurs âgés a également inclus la condamnation morale des enfants émigrés ayant abandonné leurs parents derrière eux (Conrad, 1985). Le contraste avec les résultats quantitatifs discutés ci-dessus concernant Verviers, Sundsval ou Rostock peut refléter une réelle diversité de pratiques et de comportements, ou dévoiler un processus. Edmond Ronse, lorsqu’il étudie, en 1913, les migrants saisonniers flamands en France, note qu’au début ils restent très animés par la piété filiale, puis qu’au fil des ans, ils se mettent à distance jusqu’à « disparaître » dans le pays voisin, sans qu’il soit possible de les rappeler à leur devoir d’entretien. Ce dernier pèse aussi lourd sur les aînés. Une enquête de 1892, à Paris, les montre vivant dans la honte de leur misère et tentés par le suicide afin de ne pas devenir une charge pour leurs enfants (Lenoir, 1979 ; Feller, 2005). Quand, dès 1928, Alfred Sauvy a présenté les vieillards dans leur ensemble comme une charge et un poids pesant sur la société, il a exprimé et entretenu des représentations déjà bien présentes (Bourdelais, 1997). Et ce d’autant plus que l’analyse des données de l’enquête TRA mesure objectivement en France une montée, au début du xxe siècle, de la proportion de personnes âgées qui meurent pauvres (Bourdieu et Keztenbaum, 2007).

Construction et déconstruction de la vieillesse depuis 1945

33Retracer les réponses politiques, la mise en place des assurances sociales, des systèmes de pension, d’une sécurité sociale et de ses modalités, n’est pas l’objet de ce papier. Ce qui nous importe ici est la « réinvention » de la vieillesse, comme l’ultime phase d’un parcours de vie institutionnalisé. Les états sociaux ou états-providence ont progressivement fixé les termes de la transition à l’âge adulte ainsi que de celle vers la retraite. Selon un spécialiste reconnu, le sociologue allemand Martin Kohli (2007), la période qui suit la Seconde Guerre mondiale voit la structuration par âge s’imposer (Dannefer, 2005) et déterminer des rôles associés : être un enfant et étudier ; être un adulte actif ; être un retraité au sens premier, au sens profond du mot. À travers la théorie du désengagement, la sociologie fonctionnaliste de l’époque prône d’ailleurs le retrait, l’acceptation du rôle de non-rôle, et thématise les risques de solitude et d’exclusion des personnes âgées (Cumming et Henry, 1961).

34C’est assez dire qu’au départ, la vision de la vieillesse et, donc, de la retraite, reste pour le moins sombre. Quand en 1948, le peuple suisse accepte en votation l’AVS (l’Assurance Vieillesse Survivant) et instaure un système public de pension avec une retraite (des hommes) à 65 ans, l’espérance de vie dans le pays est de l’ordre… de 65 ans. Certes, les historiens démographes connaissent bien la différence entre espérance de vie à la naissance et à 65 ans, mais la coïncidence illustre quand même une vision toujours très négative d’une vieillesse associée au dépérissement, à la maladie, au chemin vers la mort (Lalive d’Épinay, 1996). La retraite s’impose cependant comme le temps d’un repos mérité, justifié, légitime. La misère recule, mais plus lentement qu’il n’est parfois encore cru. En analysant les nouvelles précarités dans les sociétés postfordistes, Serge Paugam (1991) a incidemment évoqué ce que nous pourrions appeler les vieilles pauvretés des vieux, car dans les systèmes de cotisation, il a fallu plus de 30 ans avant que les travailleurs aient pu accomplir des carrières complètes de cotisants et bénéficier de pensions pleines. Dans un pays riche comme la Suisse, plus précisément dans les cantons de Genève et du Valais, le taux de pauvreté – mesuré selon le seuil de l’époque – était encore, côté masculin, de 38 % en 1979, 30 % en 1994 et 18 % en 2011 ; côté féminin, la situation de départ est encore plus rude et l’évolution plus spectaculaire, avec des valeurs respectivement de 45, 36 et 21 % (Gabriel et al., 2015). Ces dynamiques positives se retrouvent aussi dans le domaine de la santé, où la compression de la morbidité continue à l’emporter sur le « vieillissement dans le vieillissement » (la montée des octogénaires, nonagénaires et centenaires) (Oris et Remund, 2012 ; Gabriel, 2015).

35Ce sont, à maints égards, des effets différés des Trente Glorieuses qui ont assuré des taux d’activité élevés, des salaires en hausse, où la structuration institutionnalisée du parcours de vie est associée à des trajectoires fortement standardisées, avec des transitions rapides et ordonnées, le tout résultant un système relativement normé mais transparent, participant d’une sentiment général de sécurisation de l’existence (Kohli, 2007). C’est dans ce climat qu’auraient baigné les parents des générations surabondantes de baby-boomers qui passent désormais à la retraite mais qui, auparavant, auraient été les pionniers de parcours plus diversifiés, déstandardisés, instables, individualisés en somme, dans un contexte sociétal caractérisé par davantage de risques et d’incertitudes (Beck, 1992). Des travaux récents nuancent cette opposition trop simple (Bonvalet et al., 2015). De telles interprétations n’en illustrent pas moins l’émergence, surtout à partir des années 1980, de nouvelles approches de la vieillesse qui mobilisent les perspectives et les outils du parcours de vie, en considérant l’imbrication des temps individuels, familiaux et historiques dans la genèse des dynamiques sociales, des relations intergénérationnelles et de l’« agentivité » d’acteurs situés dans les structures.

36Des tendances contradictoires ont marqué la fin du xxe siècle. C’est en 1968 qu’est apparu le terme « agisme » qui, à l’instar du racisme et du sexisme, dénonçait la stigmatisation collective des personnes âgées en tant que groupe doublement défini par l’âge et le statut de pensionné, objet de stéréotypes en quelque sorte conservés par le jeunisme social ambiant (cf. Katz, 1996 et la première partie de ce texte). Dans les années 1980 et 1990, les mentalités ont évolué mais la gérontologie critique anglo-saxonne a emprunté aux études de genre le concept de cultural lag pour exprimer le fossé persistant entre l’amélioration soutenue des conditions de vie et de santé des aînés d’un côté, et les attentes sociales négatives envers les personnes âgées d’autre part (Riley, 1994). Il est vrai que la perception des vieux comme un poids et celle du vieillissement comme une menace ont été, à la fois implicitement et clairement, soutenues à la même époque par la remise en cause des États-providence sous l’influence du néo-libéralisme (Hummel, 2002). Il en est resté une emphase nouvelle sur l’individualisation de la santé, sur la responsabilité personnelle de chacun dans la préparation et la gestion de sa vieillesse.

37Au sein de ce courant, dès les années 1980, un débat est né autour du « vieillissement réussi » (successful aging). John Rowe et Robert Kahn (1987) sont restés célèbres pour avoir introduit ce vocabulaire et un modèle qui, dans un contexte épidémiologique marqué par la domination des maladies chroniques, emprunte à la life course epidemiology l’idée que la santé en la vieillesse se construit au long du parcours de vie, par un mode de vie adéquat. Dans une optique foucaldienne, cette vision a été perçue comme un nouvel avatar de la « disciplinisation », ou « moralisation », des personnes âgées (von Kondratowitz, 2009). Elle a également été critiquée pour son élitisme implicite qui culpabilise l’acteur individuel sans considérer les ressources dont celui-ci disposait et dispose (Katz, 1995). Dans une optique assez fondamentalement différente, les psychologues allemands Paul Baltes et Margret Baltes (1987) théorisent le développement humain en soutenant que la vieillesse survient lorsque les pertes l’emportent sur les gains. Mais ils s’appuient aussi sur l’observation fréquente d’un maintien du bien-être subjectif alors même que la santé se détériore. Ce paradoxe bien connu des gérontologues met en évidence les mécanismes par lesquels les personnes âgées sont plus ou moins aptes à s’adapter à leur vieillissement. En ramenant le « succès » à ces capacités de régulation, à l’estime de soi et, finalement, à la qualité de vie ressentie, les Baltes ont puissamment contribué au courant humaniste en gérontologie.

38Dans la vision de Rowe et Kahn, bien plus que dans celle des Baltes, il y a place pour des ensembles d’experts qui soutiennent les individus vieillissants. Déjà en 1979, Carol Estes a dénoncé cette « entreprise du vieillissement ». Dernière en date, la médecine anti-âge montre de manière éloquente que « bien vieillir », c’est encore et toujours rester jeune, au moins d’apparence… À l’aube du xxie siècle, une catégorie d’experts n’en a pas moins pris un pouvoir considérable, celle qui s’exprime dans les organisations internationales et alimente un nouveau débat sur le sens des mots. Centrée sur le fonctionnement économique et le financement des politiques publiques, l’OCDE promeut un vieillissement « actif » qui doit se traduire par un recul de l’âge à la retraite, puis le maintien d’un mode de vie incluant la consommation et l’occupation de rôles significatifs (Blaikie, 1999). L’OMS défend pour sa part une vision plus holistique qui intègre l’hétérogénéité des populations âgées – avec par exemple les immigrés qui vieillissent dans leur pays d’accueil (Attias-Donfut, 2014) – ainsi que la participation sociale comme source de lien. L’Union Européenne a promu cette perspective en faisant de 2012 « l’année européenne du vieillissement actif et des relations intergénérationnelles ». Il est vrai que les deux approches s’appuient sur une réalité démographique et socioéconomique renouvelée, qui fait aujourd’hui des « jeunes vieux » une génération-pivot, au cœur du lien social (Bonvalet et al., 2015). Au bout du compte, quelle que soit sa déclinaison, l’injonction normative au bien vieillir est forte et pèse lourdement sur les aînés, puisqu’elle porte nécessairement la menace de l’échec (Puijalon et Trinca, 2014). Ce n’est pas sans raison que Josef Ehmer (2008) a pu conclure que l’ambivalence a de tout temps marqué les discours sur la vieillesse !

Références bibliographiques

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Date de mise en ligne : 13/01/2016

https://doi.org/10.3917/adh.129.0201

Notes

  • [1]
    Dans les mêmes années, Jean-Pierre Bois fit paraître deux autres synthèses (Bois, 1984, 1994).
  • [2]
    Le terme gérontologie a été inventé par un médecin, Ilya Ilyich Metchnikoff, en 1913, mais il désignait alors des procédés destinés à allonger la vie. Dans son acception actuelle, il n’émerge guère que dans les années 1960 (Katz, 1996).
  • [3]
    Une enquête américaine de la fin du xxe siècle montre l’ampleur de cette peur relativement récente quand elle indique que parmi les participants de 70 ans et plus, 60 % souhaiteraient mourir s’ils venaient à être atteints de troubles cognitifs. Cf. Lawton et al., 1999.
  • [4]
    Curieusement, les chercheurs de Cambridge ont repris cette idée de fin de vie dans un « nid vide » à la sociologie de Parsons, qu’ils ont par ailleurs tant contestée. Cf. Chudacoff et Hareven, 1979.

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