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Article de revue

Comptes rendus. Pat Hudson et Mina Ishizu. History by Numbers: An Introduction to Quantitative Approaches. Londres, Bloomsbury Academic, [2000] 2017, XX-339 p.

Pages 966 à 969

Notes

  • [1]
    British Academy, « Society Counts: Quantitative Skills in the Social Sciences and Humanities », 2012, https://www.thebritishacademy.ac.uk/publications/society-counts-quantitative-skills-social-sciences-and-humanities.
  • [2]
    Pierre Saly, Méthodes statistiques descriptives pour les historiens, Paris, Armand Colin, [1991] 1997 ;FrédéricSaly-Giocanti, Utiliser les statistiques en histoire, Paris, Armand Colin, 2005.
  • [3]
    Julien Barnier, « Une introduction à R et au tidyverse », Quanti/Sciences sociales, 2017, https://quanti.hypotheses.org/1357/.
  • [4]
    Claire Zalc et Claire Lemercier, Méthodes quantitatives pour l’historien, Paris, La Découverte, 2008, dont la version révisée et augmentée vient de paraître en anglais : Quantitative Methods in the Humanities: An Introduction, Charlottesville, University of Virginia Press, 2019.
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1En octobre 2012, la British Academy s’alarmait du déficit croissant de compétences quantitatives au Royaume-Uni en général et dans le domaine de la recherche en sciences sociales en particulier, imputant cette situation à un décrochage amorcé dans les années 1990 qui avait conduit à amenuiser les ressources enseignantes en la matière [1]. Elle insistait également sur la menace que constituait pour les étudiants ce manque de formation, autant du point de vue de leur insertion professionnelle que de celui de leur émancipation citoyenne. L’académie soulignait l’importance de l’appropriation des méthodes quantitatives pour le rayonnement des sciences sociales britanniques à l’heure de la « société numérique », de ses grandes bases de données librement accessibles et de l’exceptionnelle puissance de calcul désormais à portée de tous.

2C’est précisément de ce constat – tout à fait applicable à la France d’aujourd’hui – que partent Pat Hudson et Mina Ishizu dans la seconde édition remaniée de ce manuel. Les auteures ambitionnent en effet d’inverser la tendance déplorée par la British Academy en attirant « les historiens, à toutes les étapes de leur formation et de leur recherche, vers certaines techniques de base de l’histoire quantitative », celles-ci étant considérées comme des « compétences essentielles et indispensables à tous ceux qui s’intéressent au passé » (p.  xx). Dans l’ensemble, ces deux spécialistes d’histoire économique semblent avoir tenu leur pari.

3Présenté comme une « introduction aux approches quantitatives », ce manuel propose avant tout une initiation aux statistiques appliquées au traitement des données historiques. Dans un langage accessible, la partie méthodologique aborde principalement les statistiques descriptives. Les chapitres 3 à 5 familiarisent les lecteurs avec les notions de base, des bonnes pratiques à adopter pour construire un tableau et du choix des représentations graphiques les plus appropriées jusqu’aux indices simples et synthétiques, en passant par les concepts permettant de décrire et de résumer une distribution (moyennes, médiane, mode, etc.). Prolongeant cette entrée en matière, les chapitres 6 et 7 sont consacrés à l’usage des probabilités à travers, entre autres, les techniques d’échantillonnage, le calcul des coefficients de contingence et de corrélation, l’usage des droites de régression et les tests d’hypothèse.

4Cette section méthodologique se distingue par deux qualités remarquables. D’une part, l’écriture, extrêmement pédagogique, ne recourt que très peu à la formalisation mathématique qui caractérise en général ce type de parutions ; et lorsque les historiennes utilisent des formules, elles prennent systématiquement soin de les décomposer pour les expliquer. D’autre part, toutes les démonstrations reposent sur des exemples historiques précis, essentiellement tirés de publications en histoire économique et sociale contemporaine, auxquels les lecteurs peuvent donc se référer pour saisir, en contexte, les usages historiens des méthodes quantitatives. De ce point de vue, ce manuel diffère notamment des ouvrages francophones comparables, qui s’appuient davantage sur des exemples fictifs ou sur des données historiques provenant de travaux non publiés [2]. L’ouvrage de Hudson et Ishizu fait ainsi office non seulement de manuel d’initiation aux méthodes statistiques mais aussi d’introduction à la lecture de travaux quantitatifs en histoire économique et sociale.

5En conséquence, ce livre ne s’adresse pas uniquement à celles et ceux qui souhaiteraient utiliser les statistiques en histoire : il vise également un public désireux de se former à une lecture éclairée des recherches mobilisant des sources et des méthodes quantitatives. À cet égard, il s’apparente bien plus à un outil au service des enseignants qu’à un manuel pour étudiants, comme en témoignent les exercices proposés. Les auteures ont en effet sélectionné pas moins de quarante-huit articles de revues – issus pour la plupart de l’Economic History Review et du Journal of Economic History et, plus rarement, de Social History, Gender and History ou encore Past and Present – pour lesquels elles proposent des questionnaires destinés à guider une analyse critique approfondie. Or, si ces exercices constituent une formidable inspiration pour les enseignants chargés de cours en histoire économique et sociale, l’absence de tout corrigé, que ce soit dans l’ouvrage ou en ligne, empêche en revanche d’y voir un instrument d’autoformation pour les étudiants.

6Dans un même ordre d’idées, si le parti pris d’une focalisation sur les démarches plutôt que sur les logiciels apparaît tout à fait pertinent, on peut toutefois regretter l’absence d’une véritable orientation des lecteurs vers des outils concrets permettant d’appliquer les méthodes présentées. Certes, comme le rappellent judicieusement les auteures au chapitre 9, consacré aux liens entre « recherche historique, informatique et révolution numérique » – très éclairant au demeurant par sa dimension réflexive –, le fait que des données numériques massives soient désormais à portée de clic ne saurait exempter les historiens d’une évaluation critique de leur fiabilité et d’un examen attentif de leur contexte historique de production. Cependant, force est de constater qu’en dépit de l’actualisation de la bibliographie, la principale faiblesse de ce manuel réside dans la non-prise en considération des transformations technologiques d’importance intervenues depuis la première édition de l’ouvrage en 2000. Cette lacune se reflète en particulier dans les quelques pages dédiées aux logiciels utiles aux historiens et aux approches quantitatives plus avancées, qui vont des tableurs aux systèmes d’information géographique (sig) en passant par les systèmes de gestion de bases de données et les logiciels d’analyse statistique, textuelle et qualitative.

7Il est vrai que Hudson et Ishizu annoncent de façon très nette qu’elles ne considéreront ces apports récents que « brièvement » (p. 264). Néanmoins, le simple survol de certaines dimensions majeures de l’analyse quantitative laisse de côté bon nombre des renouvellements historiographiques opérés depuis plusieurs années, voire plusieurs décennies : on ne trouve ainsi aucune allusion ni à l’analyse de réseaux, ni aux analyses de séquences, pas plus qu’aux analyses factorielles. De même, si les statistiques textuelles sont bien évoquées, elles se résument quasiment aux nuages de mots. Enfin, l’absence de prise en compte des dernières innovations se fait surtout sentir pour ce qui concerne le cœur de l’ouvrage, à savoir l’analyse statistique. Les historiennes mentionnent en effet le logiciel spss(Statistical Package for the Social Sciences) et le langage sas(Statistical Analysis System), outils décrits comme « dominants » jusqu’aux années 1990, ainsi que stata(Software for Statistics and Data Science) et EView, qu’elles qualifient de « bons et bien plus récents » logiciels d’analyse statistique (p. 264-265). En revanche, R, langage et logiciel libre et gratuit, fonctionnant avec tout système d’exploitation et permettant d’appliquer presque toutes les méthodes détaillées dans l’ouvrage et bien d’autres encore, est totalement absent du volume, malgré son incontestable succès en histoire et en sciences sociales [3].

8Bien qu’importantes, de telles limites n’enlèvent rien à la grande qualité du livre ; elles servent surtout à le situer parmi l’ensemble, assez inégal, des parutions relatives aux méthodes quantitatives. Dans un monde idéal où la formation universitaire des étudiants en histoire redonnerait enfin toute sa place à l’analyse quantitative, un tel manuel fournirait un excellent support pour une entrée en matière en premier cycle ou une mise à niveau en second cycle. Pour l’heure, en offrant un socle de connaissances suffisamment solide pour aborder avec confiance d’autres approches plus avancées, il constitue un très bon complément à l’ouvrage incontournable de Claire Lemercier et Claire Zalc [4]. Ce dernier, qui ne porte pas lui-même sur la plupart des méthodes statistiques abordées par Hudson et Ishizu, permet effectivement de combler les manques de leur manuel.

9La complémentarité de ces deux ouvrages tient aussi au fait qu’ils promeuvent tous deux un usage réflexif et non dogmatique des méthodes quantitatives. History by Numbers comporte ainsi trois chapitres de mise en perspective historiographique, dont un qui amorce l’ouvrage par une courte synthèse des débats sur l’usage des statistiques en histoire, immédiatement suivie d’une analyse des apports et des limites de l’histoire quantitative. Certaines des affirmations qui y figurent gagneraient à être nuancées, notamment à propos des sources statistiques qui offriraient, selon les auteures, de meilleures « opportunités d’écrire l’histoire des masses », mais aussi des « gens ordinaires », que les « papiers personnels et documents officiels », par nature plus « élitistes » (p. 6). Mais les historiennes remettent elles-mêmes en perspective de telles assertions un peu rapides en consacrant leur deuxième chapitre à l’histoire de la production et du raisonnement statistiques, principalement au Royaume-Uni. C’est suffisamment rare pour être souligné : l’ouvrage offre donc une initiation à l’usage des sources et méthodes quantitatives, tout en proposant quelques clés pour une analyse critique des modes d’objectivation statistique des phénomènes économiques et sociaux. C’est dans cette perspective que les deux historiennes, inscrivant encore plus explicitement leur approche dans l’histoire économique, consacrent leur huitième chapitre à l’évolution des rapports fluctuants entre analyse économique et histoire, en appelant à un renouveau des approches cliométriques.

10Finalement, au-delà de ses vertus pédagogiques, l’ouvrage de Hudson et Ishizu apparaît comme un plaidoyer convaincant en faveur du réinvestissement d’une histoire économique quantitative qui a su tirer parti de ses errements passés. Ainsi que les deux historiennes le rappellent à plusieurs reprises, il n’existe pas de « supériorité inhérente » (p. 42, souligné dans le texte) à l’une ou l’autre des approches qualitative ou quantitative : le plus souvent, c’est bien un « mélange des deux » (p. 21) qui se révèle être le plus pertinent.


Date de mise en ligne : 24/03/2020

https://doi.org/10.1017/ahss.2019.98

Notes

  • [1]
    British Academy, « Society Counts: Quantitative Skills in the Social Sciences and Humanities », 2012, https://www.thebritishacademy.ac.uk/publications/society-counts-quantitative-skills-social-sciences-and-humanities.
  • [2]
    Pierre Saly, Méthodes statistiques descriptives pour les historiens, Paris, Armand Colin, [1991] 1997 ;FrédéricSaly-Giocanti, Utiliser les statistiques en histoire, Paris, Armand Colin, 2005.
  • [3]
    Julien Barnier, « Une introduction à R et au tidyverse », Quanti/Sciences sociales, 2017, https://quanti.hypotheses.org/1357/.
  • [4]
    Claire Zalc et Claire Lemercier, Méthodes quantitatives pour l’historien, Paris, La Découverte, 2008, dont la version révisée et augmentée vient de paraître en anglais : Quantitative Methods in the Humanities: An Introduction, Charlottesville, University of Virginia Press, 2019.

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