Couverture de ANNA_714

Article de revue

Histoire économique de l'Afrique : renaissance ou trompe-l'œil ?

Pages 879 à 896

Notes

  • [1]
    Morten Jerven, Poor Numbers: How We Are Misled by African Development Statistics and What to Do about It, Ithaca, Cornell University Press, 2013 ; Id., Africa: Why Economists Get It Wrong, Londres, Zed Books, 2015.
  • [2]
    La terminologie et l'appareil analytique mobilisés ici sont ceux de Pierre Bourdieu, « Le champ scientifique », Actes de la recherche en sciences sociales, 2-2/3, 1976, p. 88-104.
  • [3]
    La traduction littérale en français, « déchet à l'entrée, déchet à la sortie », n'est malheureusement pas aussi musicale.
  • [4]
    Cet historien et économiste de l'Afrique a été le directeur de thèse de Morten Jerven. Voir Gareth Austin, « The ‘Reversal of Fortune’ Thesis and the Compression of History: Perspectives from African and Comparative Economic History », Journal of International Development, 20-8, 2008, p. 996-1027.
  • [5]
    Cette expression est empruntée par M. Jerven au commentaire de Branko Milanovic´ sur la critique du livre de Thomas Piketty, Le capital au xxie siècle, par Daron Acemoglu et James Robinson, http://glineq.blogspot.fr/2014/08/my-take-on-acemoglu-robinson-critique.html.
  • [6]
    Par exemple, l'article de Daron Acemoglu, Tristan Reed et James A. Robinson, « Chiefs: Elite Control of Civil Society and Economic Development in Sierra Leone », Nber Working Paper, 18691, 2013, sur l'institution des paramount chiefs de Sierra Leone, forgée sous la colonisation britannique, n'est pas directement concerné par les critiques de M. Jerven, qui incrimine d'autres travaux de D. Acemoglu et J. Robinson.
  • [7]
    Ces revues constituent l'univers linguistique des références de M. Jerven, tandis que les pays d'Afrique francophone sont assez peu représentés dans ses analyses, comme il le reconnaît lui-même.
  • [8]
    Paul Collier, The Bottom Billion: Why the Poorest Countries are Failing and What Can Be Done about It, Oxford, Oxford University Press, 2007 ; Daron Acemoglu et James A. Robinson, Why Nations Fail: The Origins of Power, Prosperity and Poverty, Londres, Profile Books, 2012. En choisissant un format grand public, M. Jerven a manifestement souhaité apporter la réplique à ce type de livre, celui de P. Collier, professeur à Oxford et ancien directeur de la recherche à la Banque mondiale, faisant l'objet du dernier paragraphe de conclusion d'Africa : « The bottom line is that there is no bottom billion... » : « Au bout du compte le milliard du bas n'existe pas » (M. Jerven, Africa..., op. cit., p. 132).
  • [9]
    Claire Lemercier, « Une histoire sans sciences sociales ? », Annales HSS, 70-2, 2015, p. 345-357, en particulier p. 355-356.
  • [10]
    Naomi Lamoreaux, « The Future of Economic History Must Be Interdisciplinary », The Journal of Economic History, 75-4, 2015, p. 1251-1257, en particulier p. 1257.
  • [11]
    Denis Cogneau et Yannick Dupraz, « Institutions historiques et développement économique en Afrique. Une revue sélective et critique de travaux récents », Histoire et mesure, 30-1, 2015, p. 103-134 ; George P. Murdock, Africa: Its Peoples and their Culture History, New York, McGraw-Hill, 1959.
  • [12]
    Robert C. Allen, The British Industrial Revolution in Global Perspective, Cambridge, Cambridge University Press, 2009 ; Kenneth Pomeranz, The Great Divergence: China, Europe, and the Making of the Modern World Economy, Princeton, Princeton University Press, 2000.
  • [13]
    Les deux articles « stars » de Daron Acemoglu, Simon Johnson et James A. Robinson, « The Colonial Origins of Comparative Development: An Empirical Investigation », The American Economic Review, 91-5, 2001, p. 1369-1401, et Id., « Reversal of Fortune: Geography and Institutions in the Making of the Modern World Income Distribution », The Quarterly Journal of Economics, 117-4, 2002, p. 1231-1294, peuvent être vus comme une dissertation sur la divergence des Amériques, à l'instar de la thèse de Kenneth L. Sokoloff et Stanley L. Engerman, « History Lessons: Institutions, Factors Endowments, and Paths of Development in the New World », The Journal of Economic Perspectives, 14-3, 2000, p. 217-232, même s'ils prétendent s'appliquer à l'ensemble des colonies européennes, Afrique et Asie comprises. Robert C. Allen, Tommy E. Murphy et Eric B. Schneider, « The Colonial Origins of the Divergence in the Americas: A Labor Market Approach », The Journal of Economic History, 22-4, 2014, p. 863-894, apportent une réponse non institutionnaliste qui renvoie aux trajectoires divergentes des nations colonisatrices, notamment l'Angleterre et l'Espagne.
  • [14]
    Abhijit Banerjee et Esther Duflo, « Under the Thumb of History ? Political Institutions and the Scope for Action », Annual Review of Economics, 6, 2014, p. 951-971.
  • [15]
    Comme le rappelle M. Jerven, Africa..., op. cit., p. 1, à propos des unes consacrées à l'Afrique par le magazine The Economist en 2000 et en 2011.
  • [16]
    Thomas Piketty, Le capital au xxie siècle, Paris, Éd. du Seuil, 2014, p. 39 : « Étrangement, le travail de Kuznets n'avait jamais été poursuivi de façon systématique, sans doute en partie parce que l'exploration historique et statistique de la source fiscale tombe dans une sorte de ‘no man's land’ académique, trop historique pour les économistes, et trop économique pour les historiens. »
  • [17]
    Gareth Austin et Stephen Broadberry, « Introduction: The Renaissance of African Economic History », The Economic History Review, 67-4, 2014, p. 893-906.
  • [18]
    Voir http://www.aehnetwork.org/.
  • [19]
    Gareth Austin, « African Economic History in Africa », Economic History of Developing Regions, 30-1, 2015, p. 79-94. Sur ce plan, l'histoire économique apparaît comme un parent pauvre parmi des sciences sociales africaines elles-mêmes particulièrement appauvries et déshabilitées, et souffrant d'un exode des cerveaux caractérisé.
  • [20]
    La généralisation du cas ghanéen (pib révisé de 60 % lors d'un changement de base) peut aussi être jugée un peu rapide. Voir Joseph Tédou, « Tribune », Statéco, 108, 2014, p. 99-101, sur le cas camerounais.
  • [21]
    Par exemple, Angus Deaton et Alan Heston, « Understanding PPPs and PPP-based National Accounts », American Economic Journal: Macroeconomics, 2-4, 2010, p. 1-35.
  • [22]
    Jean-David Naudet et Marc Raffinot, « Que penser de l'image que donnent les comptes nationaux de l'économie des pays africains ? », in É. Archambault et M. Boëda (dir.), Comptabilité nationale. Nouveau système et patrimoines, Paris, Economica, 2001. Voir aussi Sandrine Mesplé-Somps, « L'Afrique et ses statistiques », La vie des idées, 31 oct. 2013, http://www.laviedesidees.fr/L-Afrique-et-ses-statistiques.html. Elle a également recensé Poor Numbers dans Statéco, 107, 2013, p. 105-107, et dans African Affairs, 113-450, 2014, p. 148-149.
  • [23]
    Angus Deaton, The Analysis of Household Surveys: A Microeconometric Approach to Development Policy, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1997.
  • [24]
    Nicolas van de Walle, dans son commentaire consacré à Poor Numbers, dans Politique africaine, 133, 2014, p. 177-181, rappelle que la demande de production statistique en Afrique émane très peu des sociétés elles-mêmes et beaucoup plus, quoique de façon nécessairement limitée, des bailleurs de fonds extérieurs. S. Mesplé-Somps, « L'Afrique et ses statistiques », art. cit., avance un argument similaire.
  • [25]
    Voir, par exemple, notamment sur le cas de la subvention par la fondation Bill and Melinda Gates de la vaccination contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite (dtp), Justin Sandefur et Amanda Glassman, « The Political Economy of Bad Data: Evidence from African Survey and Administrative Statistics », The Journal of Development Studies, 51-2, 2015, p. 116-132.
  • [26]
    Philippe De Vreyer et al., « Pauvreté et structures familiales : pourquoi une nouvelle enquête ? », Statéco, 102, 2008, p. 56-70.
  • [27]
    Samir Amin, L'économie du Maghreb, vol. 1, La colonisation et la décolonisation, vol. 2, Les perspectives d'avenir, Paris, Éd. de Minuit, 1966 ; Id., L'Afrique de l'Ouest bloquée. L'économie politique de la colonisation, 1880-1970, Paris, Éd. de Minuit, 1971 ; Jean Suret-Canale, Afrique noire. L'ère coloniale, 1900-1945, Paris, Éd. sociales, 1962. Beaucoup de travaux portent sur des territoires ou des périodes limités, comme André Nouschi sur le Constantinois (1890-1919), Hélène d'Almeida-Topor sur le Dahomey (1890-1920), Catherine Coquery-Vidrovitch sur le Congo (1898-1930). Le Viêtnam et l'Indochine font un peu exception, alors que des livres récents déplorent d'ailleurs l'inachèvement de l'exploitation des archives. Voir Pierre Brocheux et Daniel Hémery, Indochine. La colonisation ambiguë, 1858-1954, Paris, La Découverte, [1994] 2001 ; Pierre Brocheux, Une histoire économique du Viet Nam, 1850-2007. La palanche et le camion, Paris, Les Indes savantes, 2009. Les anciennes colonies britanniques ne sont guère mieux traitées : un livre de référence comme celui de Lance E. Davis et Robert A. Huttenback, Mammon and the Pursuit of the Empire: The Political Economy of British Imperialism, 1860-1912, Cambridge, Cambridge University Press, 1988, ne couvre pas le xxe siècle, et donc très peu l'Afrique, et se focalise plutôt sur l'économie politique métropolitaine.
  • [28]
    Cet état de fait nous a conduit à lancer un programme de collecte portant sur les finances publiques, les données socio-économiques et les archives de la conscription militaire, aujourd'hui en cours d'exploitation.
  • [29]
    La controverse autour des « données » de la famine du Bengale de 1942-1943 en fournit une bonne illustration. Plusieurs auteurs pointent notamment les erreurs d'interprétation d'Amartya Sen concernant l'absence d'un déficit de production, certains officiels britanniques de l'époque ayant eux-mêmes préféré mettre l'accent sur les problèmes de distribution et de spéculation plutôt que sur une mauvaise récolte qui aurait impliqué des aides alimentaires directes. Voir Amartya Sen, Poverty and Famines: An Essay on Entitlement and Deprivation, Oxford, Oxford University Press, 1981 ; Mark B. Tauger, « The Indian Famine Crises of World War II », British Scholar, 1-2, 2009, p. 166-196 ; Cormac Ó. Gráda, Famine: A Short History, Princeton, Princeton University Press, 2009.
  • [30]
    Voir, sur ce dernier thème, Vincent Bonnecase, « Généalogie d'une évidence statistique. De la ‘réussite économique’ du colonialisme tardif à la ‘faillite’ des États africains (v. 1930-v. 1980) », Revue d'histoire moderne et contemporaine, 62-4, 2015, p. 33-63.
  • [31]
    M. Jerven, Poor Numbers..., op. cit., p. 78-79.
  • [32]
    Voir supra, n. 24.
  • [33]
    Thandika Mkandawire, « Thinking about Developmental States in Africa », Cambridge Journal of Economics, 25-3, 2001, p. 289-313.
  • [34]
    Albert O. Hirschman, « The Rise and Decline of Development Economics », Essays in Trespassing Economics to Politics and beyond, Cambridge, Cambridge University Press, 1981, p. 1-24 ; Paul Krugman, « The Fall and Rise of Development Economics », Development, Geography and Economic Theory, Cambridge, Mit Press, 1995, p. 1-30.
  • [35]
    La séparation entre économie historique et économie analytique a des sources plus anciennes comme la « querelle des méthodes » (Methodensreit) entre Carl Menger et Gustav von Schmoller en 1883, évoquée de manière partisane par Joseph A. Schumpeter, Histoire de l'analyse économique, t. 3, L'âge de la science, de 1870 à J. M. Keynes, trad. sous la direction de J.-C. Casanova, Paris, Gallimard, [1954] 1983, p. 93-100.
  • [36]
    Même dans les opérations de mesure apparemment les plus mécaniques, voir Stephen Jay Gould, La mal-mesure de l'homme, trad. par J. Chabert et M. Blanc, Paris, Odile Jacob, [1981] 1997.
  • [37]
    William Easterly et Ross Levine, « Africa's Growth Tragedy: Policies and Ethnic Divisions », The Quarterly Journal of Economics, 112-4, 1997, p. 1203-1250. À noter que dans l'Atlas Narodov Mira, les ethnies bretonnes et basques confèrent à la France un certain degré de fragmentation ethno-linguistique.
  • [38]
    Sur la construction historique de l'ethnie comme facteur politique saillant, voir Jean-Loup Amselle et Elikia M'Bokolo (dir.), Au cœur de l'ethnie. Ethnies, tribalisme et État en Afrique, Paris, La Découverte, 1985 ; Daniel N. Posner, Institutions and Ethnic Politics in Africa, New York, Cambridge University Press, 2005. Sur la question des inégalités, voir Denis Cogneau, L'Afrique des inégalités. Où conduit l'histoire, Paris, Éd. Rue d'Ulm, 2007.
  • [39]
    Pour une discussion, voir Gareth Austin, « Resources, Techniques, and Strategies South of the Sahara: Revising the Factor Endowments Perspective on African Economic Development, 1500-2000 », The Economic History Review, 61-3, 2008, p. 587-624. Évidemment, ces dotations factorielles ne sont pas figées, et la croissance démographique met les institutions et les modes de régulation antérieurs sous tension, particulièrement quand elle se traduit par l'explosion du sous-emploi et du chômage. Sur la transition entre un monde de travail rare, où la dépendance sociale fondait communautés politiques et relations interpersonnelles, et un monde de travail surnuméraire, voir James Ferguson, « Declarations of Dependence: Labour, Personhood, and Welfare in Southern Africa », Journal of the Royal Anthropological Institute, 19-2, 2013, p. 223-242.
  • [40]
    D. Cogneau et Y. Dupraz, « Institutions historiques et développement économique en Afrique... », art. cit.
  • [41]
    Voir, par exemple, l'étude comparative d'une politologue : Catherine Boone, Political Topographies of the African State: Territorial Authority and Institutional Choice, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, chap. 4, « Taxing Rich Peasants: Regime Ideology as Strategy ». Sur la différenciation du rapport à l'État central, voir l'enquête d'une anthropologue à la frontière des deux pays : Lauren M. MacLean, Informal Institutions and Citizenship in Rural Africa: Risk and Reciprocity in Ghana and Côte d'Ivoire, Cambridge, Cambridge University Press, 2010.
  • [42]
    Denis Cogneau et Akexander Moradi, « Borders that Divide: Education and Religion in Ghana and Togo since Colonial Times », The Journal of Economic History, 74-3, 2014, p. 694-728 ; Denis Cogneau, Sandrine Mesplé-Somps et Gilles Spielvogel, « Development at the Border: Policies and National Integration in Côte d'Ivoire and its Neighbors », World Bank Economic Review, 29-1, 2015, p. 41-71 ; Denis Cogneau et Léa Rouanet, « Living Conditions in Côte d'Ivoire and Ghana, 1925-1985: What Do Survey Data on Height Stature Tell Us », Economic History of Developing Regions, 26-2, 2011, p. 55-82.
  • [43]
    Thomas Bossuroy et Denis Cogneau, « Social Mobility in Five African Countries », Review of Income and Wealth, 59-1, 2013, p. 84-110.
  • [44]
    Karl Polanyi, Dahomey and the Slave Trade: An Analysis of an Archaic Economy, Seattle, University of Washington Press, 1966 ; Patrick Manning, Slavery, Colonialism, and Economic Growth in Dahomey, 1640-1960, Cambridge, Cambridge University Press, 1982.
  • [45]
    M. Jerven rapporte les estimations de Robert Szereszewski, Structural Changes in the Economy of Ghana, 1891-1911, Londres, Weidenfeld and Nicolson, 1965. Il s'appuie par ailleurs sur le travail de Gareth Austin, Labour, Land, and Capital in Ghana: From Slavery to Free Labour in Asante, 1807-1956, Rochester, University of Rochester Press, 2005, et sur les estimations de pouvoir d'achat des salaires par Ewout Frankema et Marlous van Waijenburg, « Structural Impediments to African Growth ? New Evidence from Real Wages in British Africa, 1880-1965 », The Journal of Economic History, 72-4, 2012, p. 895-926.
  • [46]
    Ewout Frankema, Jeffrey G. Williamson et Pieter Woltjer, « An Economic Rationale for the African Scramble: The Commercial Transition and the Commodity Price Boom of 1845-1885 », Nber Working Paper, 21213, 2015.
  • [47]
    Angus Deaton, « Commodity Prices and Growth in Africa », Journal of Economic Perspectives, 13-3, 1999, p. 23-40.
  • [48]
    Kathleen Beegle et al., Poverty in a Rising Africa: Poverty Report, Washington, World Bank, 2016.
  • [49]
    Dani Rodrik, « An African Growth Miracle ? », Nber Working Paper, 20188, 2014.
  • [50]
    John Bongaarts et John Casterline, « Fertility Transition: Is Sub-Saharan Africa Different ? », Population and Development Review, 38-1, 2013, p. 153-168.
  • [51]
    Frederick Cooper, Africa in the World: Capitalism, Empire, Nation-State, Cambridge, Harvard University Press, 2014.
  • [52]
    Pierre Bourdieu, Sociologie générale, vol. 1, Cours au Collège de France, 1981-1983, Paris, Raisons d'agir/Éd. du Seuil, 2015, notamment p. 509.
  • [53]
    Jack Goody, Production and Reproduction: A Comparative Study of the Domestic Domain, Cambridge, Cambridge University Press, 1976.
  • [54]
    Melissa Annette Thomas, Govern Like Us: U. S. Expectations of Poor Countries, New York, Columbia University Press, 2015. Voir aussi Frederick Cooper, « La modernisation du colonialisme et les limites de l'empire », Labyrinthe, 35-2, 2010, p. 69-86, http://labyrinthe.revues.org/4085.
  • [55]
    K. Pomeranz, The Great Divergence..., op. cit.
  • [56]
    Par exemple, Robert E. Bates, John H. Coatsworth et Jeffrey Williamson, « Lost Decades: Postindependence Performance in Latin America and Africa », The Journal of Economic History, 67-4, 2007, p. 917-943.
  • [57]
    L'emploi de « noms de pays » ne nous fait pas oublier que les États correspondants et leurs frontières sont des constructions récentes. La littérature sur les frontières a tout à la fois mis en évidence les processus de différenciation qu'elles ont entraînés, les contraintes qu'elles ont imposées, mais aussi les nouvelles opportunités commerciales ou politiques qu'elles ont ouvertes à certains agents. Voir Anthony Ijaola Asiwaju, Western Yorubaland under European Rule, 1889-1945, Atlantic Highlands, Humanities Press, 1976 ; William F. S. Miles, Hausaland Divided: Colonialism and Independence in Nigeria and Niger, Ithaca, Cornell University Press, 1994 ; Paul Nugent, Smugglers, Secessionists, and Loyal Citizens on the Ghana-Togo Frontier: The Life of the Borderlands since 1914, Athens, Ohio University Press, 2002. Voir aussi D. Cogneau, S. Mesplé-Somps et G. Spielvogel, « Development at the Border... », art. cit.

1 Dans deux livres publiés successivement en 2013 et 2015, Poor Numbers et Africa: Why Economists Get It Wrong, Morten Jerven, historien de l'économie, critique la prétention d'un certain nombre de ses collègues en économie à rendre compte du développement sur le long terme de l'Afrique  [1]. Ces deux livres polémiques sont écrits dans un style vif et souvent ironique. Si la plupart des arguments invoqués ressortissent au débat rationnel, la forme choisie est celle d'un réquisitoire, à côté duquel le plaidoyer en faveur d'une véritable histoire économique du développement apparaît surtout en creux. La finalité d'une telle démarche consisterait à subvertir ou à transformer une zone d'un champ scientifique en s'insurgeant contre la tendance dominante de ce champ  [2]. Or l'une des difficultés est que la zone concernée est assez réduite au départ : un tout petit monde situé à l'intersection de deux sous-disciplines un peu hybrides, l'économie du développement et l'histoire économique, et un objet d'étude, l'Afrique subsaharienne. Ce tout petit monde n'est néanmoins pas un isolat et la critique de M. Jerven serait susceptible de concerner plus largement les deux sous-disciplines, voire l'économie dans son ensemble. Toutefois, cette perspective plus générale n'est pas véritablement élaborée par M. Jerven dans ses livres. Ce qui peut expliquer que ses travaux ont jusqu'à présent reçu plus d'écho dans les espaces des African studies ou des development studies, auprès de ceux, sans doute nombreux, qui ne sont pas convaincus par le type d'expertise fournie par les analyses économiques dominantes. Or ces espaces constituent plus des lieux de rencontre, réels ou virtuels, où se croisent des chercheurs de différentes disciplines et des acteurs de l'aide au développement, que des champs de concurrence scientifique à proprement parler.

2 Après un résumé des thèses principales de M. Jerven, nous défendrons l'idée que son constat sceptique est assez largement fondé. En même temps, les voies que devrait prendre la véritable histoire économique qu'il appelle de ses vœux mériteraient d'être davantage discutées, notamment par référence aux méthodologies respectives de l'économie, de l'histoire et des autres sciences sociales. Au moment où l'histoire longue semble connaître un regain d'attention dans le champ de l'économie et même rencontrer un certain succès public, il n'est peut-être pas inopportun de se demander quelles directions une renaissance de l'histoire économique de l'Afrique pourrait prendre.

Afrique : pourquoi les économistes ont tout faux

3 Dans Poor Numbers, M. Jerven entend montrer que les données macroéconomiques sur l'Afrique sont de piètre qualité, notamment le produit intérieur brut (pib) mais aussi les chiffres de production sectorielle qui le composent et qui servent à construire cet indicateur. Or beaucoup d'économistes se contentent de reprendre ces éléments sans recul critique, pour produire des analyses économétriques censées appréhender les déterminants causaux de la croissance, qu'il s'agisse des contraintes géographiques ou écologiques, de l'impact des politiques économiques ou de l'influence sur le long terme d'institutions historiques, comme le degré de protection des droits de propriété. Dans Africa, M. Jerven s'attache à caractériser plus en profondeur les limites de ces analyses économiques du développement de l'Afrique. Ces limites, selon lui, sont principalement de trois ordres.

4 Premièrement, l'absence d'attention aux questions de mesure débouche sur des données tellement imparfaites et inexactes que leur traitement produit des résultats erronés ou ininterprétables : « garbage in, garbage out  [3] ». Non seulement la mesure des « variables à expliquer » (le pib par habitant surtout) est médiocre, comme l'auteur l'avance dans Poor Numbers, mais celle des variables explicatives sollicitées l'est aussi, notamment les indicateurs de qualité des politiques économiques ou des institutions ; de surcroît, les données disponibles couvrent des périodes limitées, qui remontent jusqu'aux années 1960 dans le meilleur des cas. Deuxièmement, ces analyses reposent sur des régressions en coupe où des caractéristiques du passé sont corrélées avec la croissance moyenne ou le niveau de revenu contemporains, sans que les trajectoires dans le temps soient observées, et donc sans que les mécanismes historiques ayant conduit à cette corrélation soient élucidés. Cette méthode correspond en plein à la « compression de l'histoire » dénoncée par Gareth Austin  [4], et elle fait comme si (as if) l'Afrique n'avait jamais connu de phases de croissance économique, tout épisodiques qu'elles aient pu être, à plusieurs moments de son histoire. Troisièmement, nombre de ces analyses procèdent « par soustraction », en posant, d'une part, que l'équation de la croissance ou du développement d'un pays africain est la même que celle de n'importe quel autre pays et, d'autre part, que le déficit de croissance provient de l'absence ou de la faiblesse d'un déterminant fondamental présent chez les comparateurs américains, européens ou asiatiques. À supposer que le manque en question (mauvaises politiques macroéconomiques, déficit de capital humain, corruption, institutions politiques autoritaires) soit suffisamment exogène par rapport à la croissance ou au niveau de revenu, il demande lui aussi à être expliqué. Surtout, le caractère contextuel et fortement local des causalités historiques est oublié en route ; or beaucoup des déterminants supposés substituables, à travers notamment la spécification la plus simple d'une régression linéaire, sont en réalité complémentaires entre eux. La parodie « Wikipedia with regressions  [5] » constitue un résumé lapidaire mais assez mnémotechnique des critiques émises par M. Jerven : trop de travaux utilisent sans recul ni précaution des données téléchargées sur internet, exhibent ensuite quelques régressions en coupe ou en panel comme principaux éléments de preuve, qu'ils interprètent sur la base d'une connaissance succincte des contextes historiques, sociaux et politiques.

La quête des fondamentaux, ou comment éviter de faire de l'histoire

5 La plupart des critiques formulées par M. Jerven sont justes et s'appliquent en effet à de nombreux travaux d'économistes sur l'Afrique. Comme l'auteur le reconnaît, tous ne sont pas concernés par ses critiques, malgré le raccourci du titre de son livre. Dans plusieurs cas, tous les travaux d'un même chercheur ne sont pas condamnables pareillement  [6]. Puisque le propos de M. Jerven est principalement à charge, une petite analyse bibliométrique des travaux publiés sur la croissance africaine dans les principales revues d'économie américaines et anglaises aurait pu permettre de « quantifier » l'ampleur du problème  [7]. Certes, cela ne suffirait pas, car il conviendrait de prendre en compte l'écho obtenu par ces travaux dans les champs politique, notamment au Fonds monétaire international (Fmi) ou à la Banque mondiale, et médiatique, du côté de l'hebdomadaire The Economist ou à travers le succès des best-sellers de Paul Collier ou de Daron Acemoglu et James Robinson  [8].

6 Au-delà de la simple précaution oratoire, il y aurait avantage à circonscrire un peu mieux ce dont il est question – la prétention à identifier une exception africaine en matière de capacité au développement – et à l'expliquer par quelques « fondamentaux » situés dans un passé plus ou moins lointain, en invoquant une dépendance au sentier largement inexplorée et potentiellement téléologique. Les critiques de M. Jerven visent une certaine façon de pratiquer l'analyse économique à propos de la croissance et du développement économiques, ou, pour le dire autrement, de prétendre faire de l'histoire économique sans en faire. Afin de mieux atteindre sa cible, l'auteur aurait pu expliciter plus précisément cet aspect.

7 En effet, l'objet d'étude « Afrique » n'agit que comme un révélateur, la présomption scientiste s'exprimant à proportion de la méconnaissance historique, et donc plus fortement en ce qui concerne le cas africain. Comme l'évoque Claire Lemercier dans un contexte différent, les travaux d'économistes sur les « racines historiques longues du développement contemporain des pays » font florès aujourd'hui, et beaucoup constituent l'illustration extrême d'une « histoire sans sciences sociales »  [9]. De même, dans une communication sur l'avenir de l'histoire économique aux États-Unis, Naomi Lamoreaux s'inquiète du manque de scientificité d'un type de travaux, portant en particulier sur l'Afrique mais pas seulement, qui se bornent à établir une corrélation entre un élément du passé parfois lointain (la traite négrière, l'adoption de la charrue) et une caractéristique des économies et des sociétés contemporaines (le revenu par habitant, la confiance ou la place des femmes dans la société), sans retracer la trajectoire historique qui relie passé et présent, constituant alors une économie « historique » où l'histoire est en définitive absente  [10]. Dans un article récent écrit avec Yannick Dupraz, nous critiquons de la même manière une série de travaux qui analysent les sources précoloniales des différences de développement actuelles en Afrique à partir de l'Atlas ethnographique de George Murdock  [11]. Là encore, nous observons un manque de recul face aux données, qu'il s'agisse du recueil de G. Murdock, des comptages de la traite négrière ou des cartes provenant de l'imagerie satellitaire. Le recours systématique à des régressions en coupe et une connaissance limitée des contextes historiques conduisent notamment à la surestimation du rôle de l'ethnicité. Nous ne pouvons donc qu'être d'accord avec M. Jerven pour dire que les données de l'histoire économique de l'Afrique sont mal connues et mal mesurées et que les apports de nombreuses contributions influentes sont surévalués, lorsqu'ils ne sont pas entièrement contestables. Nous ajouterons même que la méthodologie proprement statistique et économétrique de plusieurs de ces travaux laisse souvent à désirer.

8 Comment expliquer le récent engouement des économistes pour le développement économique africain ? Il est toujours risqué d'essayer de comprendre en temps réel l'évolution des champs scientifiques, surtout, comme dans le cas de l'économie, lorsque l'interaction avec les champs politique et médiatique est forte, mais aussi lorsqu'une grande partie des transformations se joue outre-Atlantique alors que l'on écrit depuis Paris. Du côté de l'économie en tant que discipline, le courant néo-institutionnaliste a acquis une position dominante – à travers l'œuvre de D. Acemoglu et J. Robinson notamment – et il recherche une corroboration aussi universelle que possible de ses thèses. À cette fin, il tend évidemment à investir l'histoire économique, où il rencontre un peu de résistance de la part d'auteurs comme Robert Allen ou Kenneth Pomeranz qui, chacun à leur manière, partent de la question du décollage occidental (rise of the West) et contestent la prééminence de l'explication institutionnaliste  [12]. Pour la recherche états-unienne, l'Amérique latine constitue l'aire non occidentale la plus étudiée et la divergence entre les Amériques inspire encore fortement la littérature économique  [13]. Toutefois, la dynamique asiatique ou les blocages africains ne peuvent que conduire à s'interroger sur la vocation universelle des thèses néo-institutionnalistes. Au sein de l'économie du développement, ce courant est par ailleurs aiguillonné par son concurrent comportementaliste représenté par Abhijit Banerjee et Esther Duflo, qui contestent ouvertement son déterminisme  [14]. Il mène ses expériences microéconomiques un peu partout dans le monde en développement, notamment en Afrique et en Inde. En dehors de la compétition académique, la problématique de la participation de l'Afrique à la globalisation a par ailleurs une actualité politique et médiatique, au gré de la sempiternelle alternance entre un afro-pessimisme apocalyptique et un afro-optimisme sous forme de vœu pieux promondialiste  [15].

9 Pour le moment, les récentes incursions des économistes néo-institutionnalistes dans l'histoire économique africaine ne suffisent pas à engendrer la renaissance que M. Jerven appelle de ses vœux. À ce titre, la recherche produit plus de trompe-l'œil baroques qu'un vrai programme de construction de données historiques, économiques et sociales, lequel réclame des investissements de longue haleine. À propos de l'évolution des inégalités dans les pays aujourd'hui développés, Thomas Piketty a souligné que la discipline économique avait tout simplement abandonné le programme de recherche lancé il y a cinquante ans par Simon Kuznets  [16]. De la même manière, il a été surprenant de se rendre compte il y a quelques années que la quantification des économies coloniales s'était arrêtée, à quelques exceptions près, aux travaux menés dans les années 1960 par des auteurs marxistes comme Samir Amin. De fait, comme le confirment G. Austin et Stephen Broadberry, l'histoire économique de l'Afrique est tombée en désuétude pendant les décennies perdues du développement des années 1980 et 1990  [17]. Et si, selon eux, une renaissance est bien en train de se dessiner à l'heure actuelle, notamment autour des chercheurs réunis dans l'African Economic History Network fondé en 2011  [18], ou à travers la revue Economic History of Developing Regions basée en Afrique du Sud, beaucoup de chemin reste à parcourir, notamment pour que de jeunes universitaires habitant « entre le Sahara et le Zambèze » participent à ce mouvement  [19].

La mal-mesure du développement africain

10 Jusqu'à quel point l'analyse du développement économique africain est-elle handicapée par l'absence de données de qualité ? Sur ce plan, la description de M. Jerven est partielle et pèche par excès de pessimisme  [20]. Sa critique du manque d'intérêt de nombreux économistes pour les données factuelles est toutefois justifiée. Poor Numbers est consacré uniquement aux données macroéconomiques, c'est-à-dire au pib et aux informations qui servent à sa construction (inputs), comme les statistiques de production agricole. Précisons que la mesure de la production et des revenus engendrés sur un territoire constitue un exercice aussi difficile qu'il peut être précieux, en dehors de tout fétichisme. De façon générale, les incertitudes qui s'attachent à cette construction élaborée ne sont jamais assez rappelées, y compris à propos de pays qui produisent des statistiques abondantes comme la France ou les États-Unis. Dans ces pays, par exemple, les révisions a posteriori conduisent fréquemment à des variations de plus ou moins 0,5 point pour une année donnée. Il va de soi que les intervalles de confiance qui s'appliquent aux estimations cliométriques sont nettement plus larges, même s'ils ne sont pratiquement jamais considérés dans la littérature concernée. Dans le cas des économies en développement, où de nombreuses activités échappent aux échanges monétaires, s'opèrent à une très petite échelle ou donnent lieu à une forte variabilité, et où l'intégration des marchés et donc la corrélation spatiale des prix sont limitées, l'exercice d'estimation se confronte de surcroît à des défis spécifiques face auxquels les appareils statistiques sont relativement démunis. Les incertitudes tiennent autant à l'enregistrement des productions et des revenus et à leur pondération qu'à la mesure des différentiels de prix dans l'espace et dans le temps, auxquels le récent prix Nobel d'économie Angus Deaton a consacré plusieurs travaux  [21]. Les marges d'erreur attachées à la comptabilité nationale en Afrique ne sont guère une surprise pour beaucoup d'économistes qui utilisent ces données  [22].

11 Dans ses livres, M. Jerven n'accorde aucune attention aux données microéconomiques à larges échantillons, en particulier les enquêtes auprès des ménages, dont la production dans les pays en développement a crû exponentiellement depuis les années 1980 et que A. Deaton a précisément contribué à valoriser  [23]. La production de ces données dépend encore largement du stimulus et du financement provenant de l'aide internationale : c'est le cas notamment des enquêtes démographiques et de santé (demographic and health surveys) financées par l'Agence des États-Unis pour le développement international (Usaid), des living standard measurement surveys soutenues par la Banque mondiale, ou des enquêtes 1-2-3 pilotées par la coopération française et européenne  [24]. D'autres enquêtes sont évidemment réalisées dans le cadre de programmes spécifiques des instituts de statistique nationaux ou lors de recherches plus ponctuelles. Les objectifs et les contraintes de ces enquêtes sont assez différents de ceux de la comptabilité nationale. Celles-ci servent aussi à produire bon nombre d'indicateurs macroscopiques comme des indices de pauvreté monétaire, des taux de mortalité infantile, voire des taux de scolarisation ; dans cette perspective, elles sont d'ailleurs moins susceptibles de manipulation politique  [25]. Certaines variables relevées permettent même de saisir rétrospectivement des évolutions historiques qui remontent potentiellement à l'ère coloniale, par exemple pour la scolarisation ou la stature. Ces enquêtes se prêtent par ailleurs à d'autres types d'analyse que des classements (rankings) ou des régressions en coupe. Leur caractère multidimensionnel et l'hétérogénéité qu'elles mettent en exergue pallient au moins partiellement le manque de pertinence des analyses de corrélation portant sur des agrégats macroéconomiques.

12 Bien entendu, ces données microéconomiques à larges échantillons sont susceptibles d'usages abusifs, comme toute observation du réel. Elles souffrent également d'un certain nombre d'imperfections et de limites. La première d'entre elles a trait aux problèmes d'échantillonnage. Comparées aux recensements de population, du fait de leur champ ou de leur procédure, ces enquêtes peuvent « manquer » beaucoup d'hommes seuls ou de migrants. Elles captent par ailleurs très imparfaitement l'élite et ses revenus, et ne fournissent donc qu'une mesure fort incomplète des inégalités. Une deuxième limite provient d'un format d'enquête mal adapté aux groupes familiaux ou aux pratiques africaines de co-résidence, comme aux spécificités des activités agricoles ou informelles. Toutefois, un certain nombre de chercheurs, y compris à la Banque mondiale, travaillent aujourd'hui à produire des enquêtes plus respectueuses des réalités économiques et sociales  [26]. Enfin – troisième limite –, en ce qui concerne la période contemporaine, les enquêtes de ce type sont encore largement sous-exploitées, en dehors de leurs usages technocratiques conduisant à calculer l'évolution de quelques indicateurs comme la pauvreté.

13 Quoi qu'il en soit, la base statistique permettant d'analyser les évolutions contemporaines reste bien fragile en Afrique. Premier exemple : alors que les enquêtes auprès des ménages permettent d'observer les progrès (très lents) de l'électrification du continent et peuvent même être appariées utilement avec les données de luminosité provenant de l'imagerie satellitaire, il est encore difficile de reconstituer en parallèle la construction des centrales électriques et des réseaux. Deuxième exemple : tandis que ces enquêtes permettent d'observer au moins partiellement les transformations de l'utilisation des terres et des pratiques agricoles, et là encore peuvent être couplées avec des images satellites sur le couvert végétal, la plupart des pays ne disposent d'aucun cadastre et n'ont que peu de statistiques de production fiables, en dehors des cultures d'exportation. Troisième exemple : alors que ces enquêtes fournissent des indications précieuses sur la distribution de la consommation des ménages ou des salaires urbains, aucun pays – hormis l'Afrique du Sud – ne publie de tabulations issues de l'impôt sur le revenu, qui permettraient de compléter ces enquêtes pour le haut de la distribution du revenu. Signalons, par ailleurs, que de nombreuses ressources humaines et financières sont investies dans l'évaluation des actions de l'aide au développement, notamment sous la forme d'expériences contrôlées portant sur des interventions locales, gouvernementales ou non. Cependant, ces opérations produisent la plupart du temps peu de connaissances sur les dynamiques sociales, car elles effectuent des photographies focalisées sur la question qu'elles ont à résoudre. Lorsque les chercheurs s'en donnent la peine, elles peuvent toutefois donner l'occasion d'une meilleure compréhension des logiques sociales dans un contexte donné.

14 M. Jerven n'a donc pas tort de pointer le manque d'intérêt d'une partie des économistes, comme des agences d'aide multilatérales et bilatérales, pour la construction de données factuelles, sur le présent comme sur le passé. Nous avons constaté il y a quelques années la faiblesse de la base de données économiques consacrée à la période coloniale en Afrique, notamment pour l'ancien empire français. Comme évoqué plus haut, les derniers travaux d'histoire économique d'importance ayant impliqué une collecte de données propre remontent aux années 1960 et 1970, et ont été souvent réalisés par des historiens ou des économistes marxistes comme S. Amin ou Jean Suret-Canale  [27]. Tout se passe comme si l'économie du développement postérieure avait fait l'impasse sur l'histoire qui précède les années 1960, quand elle ne se focalise pas sur l'étude du présent immédiat  [28].

15 Bien entendu, ces archives coloniales ne peuvent pas être traitées comme des faits naturels bruts et elles soulèvent des questions fondamentales d'interprétation. Comme pour toutes les données secondaires, textuelles ou numériques, il importe d'élucider leurs conditions de fabrication et les visées idéologiques ou pragmatiques auxquelles elles répondent. La conscription militaire, les budgets et les recettes fiscales, les relevés de prix ou les comptes de production et de revenu n'ont pas été conçus pour servir à la recherche actuelle. Dans les cas extrêmes, qui ne sont pas rares en situation coloniale, les données sont plus ou moins consciemment falsifiées ou biaisées afin de justifier l'action ou l'inaction des administrateurs  [29]. Cependant, sous certaines conditions, par exemple de concurrence entre services administratifs, des acteurs peuvent avoir suffisamment intérêt à l'objectivité pour produire des enregistrements exploitables. Dans tous les cas, même s'ils ne sont pas partiaux, ils sont partiels. En effet, on ne compte que ce qui compte à un moment donné : la ration alimentaire et la taille des conscrits parce que l'on veut une armée solide, le nombre de contribuables éligibles à l'impôt de capitation ou aux prestations de travail forcé, le coût de la vie « européen » pour calculer les primes d'expatriation des fonctionnaires métropolitains, l'augmentation du pib à la suite des investissements de « développement » dans l'après-guerre, etc.  [30]. Dans Poor Numbers, M. Jerven fournit lui aussi plusieurs illustrations des biais ou des points aveugles qui sont inhérents à la construction des nombres sur la population, les récoltes ou le revenu, à différentes périodes de l'histoire économique africaine jusqu'à nos jours, et qui mettent en jeu les administrations, coloniales ou non, les organisations internationales et le comportement des agents qu'il s'agit de compter. Plus important encore, il explore les conséquences de ces biais – par exemple, l'interpolation des récoltes à partir de la pluviométrie – au niveau de l'analyse – lorsque l'on prétend corriger les erreurs de mesure en utilisant à nouveau la pluviométrie  [31]. À l'inverse, si l'exercice de déconstruction constitue une étape nécessaire, celui-ci ne doit pas conduire à paralyser l'exercice de la collecte et de l'analyse de données « bonnes à savoir », ayant pour but l'établissement de faits sociaux, en dehors de tout positivisme béat.

16 Même si les données disponibles dans les archives coloniales sont à l'évidence en nombre fini, et plus restreint en comparaison de celles des métropoles pour la même période, elles sont loin d'avoir toutes été exhumées, et encore plus loin d'avoir fait l'objet d'analyses exhaustives. Il est illusoire de penser que la base empirique accessible permette un jour d'élaborer des estimations fines du pib de la Côte d'Ivoire en 1920, et a fortiori en 1850. En revanche, un vide sidéral sépare entre eux les quelques éclairages ponctuels obtenus concernant le passé, aussi lumineux soient-ils  [32]. Or ce vide n'est que partiel et correspond bien plus souvent à une matière sombre attendant d'être identifiée et analysée. Cependant, ce statut persistant de terra incognita n'empêche pas la prolifération de discours sur les économies africaines, leurs trajectoires, leurs handicaps fondamentaux, les caractéristiques de leurs institutions, etc. Comme le souligne Thandika Mkandawire, cité par M. Jerven, les discours dominants ont tendance à se complaire dans un constat d'échecs à répétition et la déploration d'une longue liste d'insuffisances, à commencer par celle d'un État développeur, qui pourtant n'a pas toujours manqué à l'appel  [33].

17 La faible valorisation de l'effort de mesure et de collecte de données historiques renvoie à l'organisation intellectuelle de la discipline économique. Dans un texte célèbre, dont le titre paraphrase, en l'inversant, celui d'un autre texte d'Albert Hirschman, Paul Krugman compare l'évolution non linéaire des cartes de l'Afrique dressées par les Occidentaux à celle de l'économie du développement entre les années 1950 et 1990  [34]. Les premières cartes des xvie et xviie siècles étaient un peu renseignées sur l'Afrique de l'intérieur, à partir des témoignages oraux des voyageurs arabes et européens – même si elles contenaient aussi beaucoup d'animaux fabuleux et de peuplades mythologiques. Puis l'exploration maritime systématique aboutit à des cartes géographiquement précises des régions côtières, tandis que les informations sur l'intérieur disparurent presque entièrement. C'est ainsi que P. Krugman explique avec un bel optimisme que les thèses (contradictoires entre elles) exprimées par A. Hirschman ou Paul Rosenstein-Rodan, pionniers de l'économie du développement, durent être oubliées pendant un temps, jusqu'au moment où elles purent être retraduites dans des modèles formels admettant la présence de rendements croissants dans la production.

18 Le parallèle avec la cartographie africaine est un peu désarmant car P. Krugman compare des méthodes d'observation censées être plus ou moins exactes avec des thèses théoriques plus ou moins formalisables techniquement. Sa parabole contient l'idée, formelle, que la formulation de modèles mathématiques est la force première du mouvement de la pensée économique, mais aussi celle, implicite, que l'observation et la construction des faits ne jouent qu'un rôle invisible. Les faits « stylisés » qui motivent la construction des modèles apparaissent extérieurs à la recherche, soit que l'honnête homme les perçoit « naturellement », soit qu'ils sont issus d'officines statistiques obscures dont il n'y a guère lieu de se soucier. Une telle façon de voir peut expliquer que la production statistique, d'un côté, et l'histoire économique, de l'autre, soient devenues des parentes pauvres de l'économie du développement dominante  [35]. Elle fait aussi courir le risque que les modèles ainsi construits ne fassent que mettre en musique des opinions communes, au gré des modes idéologiques ou des fantasmes sociaux parfois inconscients de leurs auteurs ; ou bien qu'ils s'attachent obsessionnellement à soulever la possibilité d'effets pervers induits, une topique de la pensée réactionnaire identifiée par A. Hirschman.

19 On peut certainement se convaincre qu'il n'y a de faits sociaux que construits à partir de concepts élaborés et reliés théoriquement, considérer que la formalisation mathématique est souvent utile de ce point de vue et admettre que la quantification est une opération complexe, elle-même menacée par bon nombre de préjugés inconscients  [36]. Inversement, il paraît risqué d'espérer rendre compte de l'histoire économique africaine sans tenter de l'observer ; sauf à partir de la prémisse que les trajectoires des États-Unis ou de la Chine peuvent suffire à fonder un « modèle » de développement, au sens positif comme au sens normatif du terme.

Analyser les différences de développement en Afrique

20 Comme le fait remarquer M. Jerven dans Africa, beaucoup d'analyses empiriques ont fait commencer l'histoire du développement africain à l'année 1960. Pendant un temps, il s'est surtout agi d'expliquer le coefficient négatif de la variable indicatrice « Afrique » dans les régressions, qui pointait un déficit de croissance inexplicable par les facteurs habituels. Un des articles les plus célèbres sur cette question a prétendu trouver l'explication du mystère dans la fragmentation des sociétés en ethnies : puisque l'Afrique apparaît de très loin comme le continent le plus divisé, selon l'Atlas Narodov Mira produit par les ethnographes soviétiques en 1960, cette variable se révélait certes comme une bonne candidate  [37]. D'une certaine façon, cette explication a constitué le premier « retour » de l'histoire longue dans l'analyse du développement africain par la littérature économique des années 1990, avec le présupposé de départ selon lequel les ethnies constituaient des structurations anciennes, voire primordiales. L'idée d'une Afrique caractérisée essentiellement par ses tribus et leurs conflits continue d'inspirer un grand nombre de travaux. Or, s'il y a bien une ethnicisation des sociétés africaines, celle-ci n'a rien de primordial : elle s'est en fait appuyée sur des inégalités politiques favorisées par les stratégies de domination coloniale, qui ont permis la transformation d'inégalités économiques en relations de patronage et de protection  [38].

21 Il n'a toutefois pas échappé à certains que d'autres grandes différences structurelles distinguaient l'Afrique subsaharienne des autres continents, notamment l'abondance des terres et le non-développement d'une agriculture intensive – au contraire de l'Asie – ainsi que l'absence d'une colonisation de peuplement européenne significative – hormis l'Afrique du Sud et le Zimbabwe, et au contraire d'une grande partie de l'Amérique latine –, mais aussi, corrélativement, la traite négrière. Les modèles de l'économie internationale sont là pour rappeler que les dotations factorielles (l'abondance relative de la terre, du travail et du capital) déterminent potentiellement l'insertion des économies dans l'échange international capitaliste, sans même parler du fait que les institutions historiques sont pour partie le produit d'adaptations fonctionnelles aux abondances relatives des facteurs  [39].

22 Toutes ces différences étant difficiles à démêler, les grandes comparaisons intercontinentales ont un peu perdu de leur crédibilité et le chercheur s'est davantage préoccupé d'expliquer les variantes interafricaines. Plusieurs sources possibles de différenciation ont alors été explorées : l'intensité de la traite négrière, l'évangélisation par les missions ou la centralisation politique précoloniale des groupes ethniques. Le paradigme néo-institutionnaliste a ainsi poussé à rechercher dans un passé relativement lointain, du moins par rapport à 1960, l'origine « fondamentale » des différences de développement. Cependant, vu le manque de données historiques, un autre atlas ethnographique, celui de G. Murdock, a soudainement pris une importance considérable. Il a été traité comme une véritable carte de l'Afrique précoloniale qui pouvait être appariée avec des données de la traite négrière, avec la carte des missions chrétiennes, puis avec des enquêtes contemporaines géo-référencées ou des images satellitaires. Cet usage a permis la reprise du thème de l'ethnicité comme substrat des relations sociales primordiales et des « cultures politiques », dont l'exemple le plus caricatural est sans doute la « confiance » que les agents entretiennent entre eux.

23 Avec Y. Dupraz, nous avons déjà développé ailleurs les problèmes que pose ce type d'analyse  [40]. En dehors même des questions sociologiques et historiques qu'elles soulèvent, leur validité statistique est problématique, au même titre que les régressions en coupe de taux de croissance ou de niveau de pib par habitant. À la place, nous plaidons, comme M. Jerven, pour des comparaisons raisonnées de trajectoires historiques réellement observées. Cependant, jusqu'alors, la recherche n'est guère parvenue à identifier des facteurs historiques de premier ordre qui permettraient d'expliquer des différences de trajectoire de développement entre régions, qu'il s'agisse de la présence d'un État précolonial centralisé, de l'intensité de la traite esclavagiste et ses traces institutionnelles, de la présence des différentes religions, voire de la nationalité du colonisateur. Elle a, au contraire, plutôt confirmé de fortes similitudes structurales, une fois prises en compte les variations géographiques et écologiques les plus évidentes.

24 Si, par exemple, on se concentre sur les histoires parallèles de deux voisins, le Ghana et la Côte d'Ivoire, il est frappant de constater combien les facteurs potentiels de différenciation sont nombreux. Dès lors, selon que l'on croit à un fondamental ou à un autre, on prédit la bonne fortune à l'un ou à l'autre. Avec l'empire Ashanti, aux xviiie et xixe siècles, et sa capitale Kumasi, une bonne partie du territoire du Ghana a fait l'expérience d'une forte centralisation politique, contrairement aux régions qui allaient être regroupées dans la Côte d'Ivoire voisine. Corrélativement, la traite esclavagiste a été excessivement plus intense du côté du Ghana. Pendant la colonisation et jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Ghana (Gold Coast) était la colonie britannique la plus riche d'Afrique tropicale, tandis que la Côte d'Ivoire se classait en dessous du Sénégal, le centre de l'Afrique occidentale française (Aof), ou de Madagascar. Le Ghana devint dans les années 1920 le premier producteur mondial de cacao, tandis que cette culture ne décolla que dans les années 1950 en Côte d'Ivoire, finissant par dépasser le niveau ghanéen à la fin des années 1970. Les deux leaders indépendantistes, Kwame Nkrumah et Félix Houphouët-Boigny, s'opposaient à bien des égards, l'un apôtre du panafricanisme et de la rupture avec le colonisateur, l'autre premier artisan de la « Françafrique » et grand bénéficiaire de l'aide française  [41]. Les vingt années suivantes virent le Ghana s'enfoncer dans l'instabilité macroéconomique et une succession de coups d'État, tandis que la Côte d'Ivoire connut son âge d'or, jusqu'au retournement des cours du cacao dans les années 1980. La conversion du Ghana à l'ajustement structurel sous l'égide de Jerry Rawlings, président du pays de 1981 à 2001, lui permit à nouveau d'accéder au financement international et d'entamer une lente convalescence, tandis que la Côte d'Ivoire connaissait à son tour une crise économique et une guerre civile dont elle s'extrait à peine aujourd'hui. Les données historiques révèlent ces entrecroisements de trajectoire, par exemple l'avance du Ghana en matière d'éducation primaire et d'alphabétisation jusque dans les années 1950, la richesse et l'électrification rurale du côté ivoirien de la frontière à la fin des années 1980  [42]. Toutefois, ces différences provenaient de choix politiques qui se sont avérés réversibles plutôt que déterminés par des fondamentaux institutionnels. Les différences d'arbitrage entre niveau de salaire et emploi dans la fonction publique, ainsi que dans la répartition spatiale des emplois, entre une Côte d'Ivoire élitiste et un Ghana décentralisé, paraissent plus durables mais pourraient aussi s'atténuer dans le futur  [43].

25 M. Jerven rappelle, dans Africa, que différentes régions d'Afrique ont connu des phases d'expansion économique parfois relativement durables. Les phases de croissance appartenant au passé précolonial sont assez mal connues et sont le plus souvent associées à l'émergence de royaumes ou aux conquêtes politiques. Celles qui sont liées au commerce de longue distance avec les Européens – la traite négrière, puis le commerce dit « légitime » de produits miniers ou agricoles – sont les mieux documentées. Parmi celles-ci, M. Jerven mobilise les exemples du Dahomey, déjà mis en exergue par Karl Polanyi et étudié par Patrick Manning  [44], puis de l'empire Ashanti voisin et de la Gold Coast britannique  [45]. Le boom des cours des matières premières des années 1860-1885 a pu fournir un puissant stimulus pour l'annexion coloniale de l'Afrique, ratifiée par la conférence de Berlin de 1884-1885, avant que les termes de l'échange s'orientent à nouveau à la baisse jusqu'en 1940  [46]. Depuis les années 1960, la croissance a été principalement rythmée par l'évolution des cours mondiaux des matières premières, étant donné la forte dépendance des économies africaines aux ressources minières et agricoles exportables  [47]. Du début du xxie siècle jusqu'à très récemment, les performances de croissance de nombreux pays africains se sont fortement améliorées, de manière concomitante avec une forte hausse des cours mondiaux des matières premières ; et les enquêtes auprès des ménages montrent une réduction de la pauvreté, relativement modeste cependant  [48]. Le ralentissement chinois et mondial entraîne aujourd'hui un effondrement des cours des matières premières qui soumet beaucoup d'économies africaines à de fortes tensions, tout en mettant à l'épreuve certaines visions trop optimistes qui ont été émises ces dernières années. En effet, il y a encore très peu d'indices d'une transformation structurelle et d'une diversification des économies  [49], de même que la transition de la fécondité semble se dérouler selon une tendance plus lente que prévu  [50].

26 Aujourd'hui, la question de l'utilisation des revenus tirés des ressources naturelles, comme celle des transferts provenant de l'aide au développement, demeurent donc centrales. Combien de ces revenus sortent de l'économie domestique au bénéfice d'agents étrangers (des firmes multinationales notamment) ou vers d'autres usages (la fuite de capitaux) ? Combien sont dépensés ou épargnés et réinvestis, localement, dans le capital productif, les infrastructures, l'éducation ou la santé ? Enfin, à qui ces revenus ainsi que le rendement des investissements sont-ils distribués, et redistribués via les institutions étatiques ou non étatiques (communautés locales, confréries, lignages, etc.) ? Il existe évidemment de grandes différences entre les revenus qui reposent sur le travail et les investissements de nombreux petits planteurs, comme dans le cas du cacao ghanéen et ivoirien, et les revenus concentrés du secteur minier, partagés entre les firmes multinationales et l'État. L'économie politique de cette distribution, qui inclut les phénomènes de corruption et qui engage aussi la construction et la légitimation de l'organisation étatique, doit être étudiée historiquement, et non pas caractérisée comme une « mauvaise gouvernance » consubstantielle déterminée par des fondamentaux intangibles, quelles que soient leur source et leur datation. Son histoire est toujours « globale » car elle implique la longue durée des interactions avec l'Europe et l'espace arabo-musulman proches, et désormais avec l'ensemble des économies mondialisées, particulièrement les États-Unis et la Chine. Frederick Cooper invite même à sortir de l'alternative entre causes internes et causes externes et à penser l'Afrique, le Sénégal, le Ghana et, réciproquement, l'Europe de manière relationnelle, et comme des coproductions, tout asymétriques qu'elles soient  [51].

27 « Le choix d'un sujet ou d'une stratégie de travail n'est pas du tout une hypothèse, comme on le dit dans les manuels d'épistémologie, c'est l'allocation de ressources rares : sachant que j'ai un temps fini de travail, que je ne peux que travailler que trois jours en moyenne par semaine, et avec telle et telle contrainte, comment investir de telle manière que j'obtienne un rendement maximum  [52] ? » Le « rendement maximum » évoqué par Pierre Bourdieu doit s'entendre en termes de valeur ajoutée de connaissance et ne correspond pas toujours à l'impact d'une publication « choc » dans une revue cotée. Parmi les contraintes, il convient tout d'abord de demeurer suffisamment circonspect sur notre connaissance actuelle des sociétés africaines, dont les paramètres historiques sont à bien des égards éloignés de ceux des sociétés européennes, voire asiatiques, comme toute l'œuvre d'un Jack Goody le rappelle avec insistance  [53]. L'humilité et la prudence s'imposent, tandis qu'une partie de la littérature économique s'approche parfois dangereusement d'un slogan de type « Govern like us », et des fantasmes néoconservateurs de réformes imposées par la force, militaire ou économique, dont les dégâts et les répercussions devraient être bien perçus aujourd'hui  [54]. Afin d'éviter ces écueils, M. Jerven a raison d'en appeler à plus de travaux comparatifs ; il prend l'exemple un peu inévitable, mais peut-être trop imposant, du livre de K. Pomeranz sur l'Europe et la Chine pour solliciter des exercices du même genre confrontant des cas africains à des cas latino-américains ou asiatiques  [55]. Ces comparaisons de longue portée peuvent être fructueuses, notamment parce qu'elles permettent de sortir d'un esprit de chapelle africaniste qui surestime souvent les idiosyncrasies africaines. Elles sont néanmoins exigeantes, supposant des compétences étendues – ou associées – et parfois décevantes, car elles se confrontent systématiquement avec les grandes différences structurelles que nous avons rappelées  [56].

28 En termes d'allocation de ressources rares et de rendement pour la recherche, des comparaisons intra-africaines, suffisamment contrôlées, font surgir des mystères scientifiques à résoudre, en même temps qu'elles remettent en question les grands récits élaborés à coup de généralisations hâtives. Les comparaisons entre voisins sont fructueuses car elles permettent de contrôler une partie des paramètres géographiques et anthropologiques susceptibles de brouiller les cartes : Côte d'Ivoire et Ghana, Kenya et Tanzanie, Malawi et Zambie, etc.  [57]. Cependant, d'autres rapprochements sont intéressants, comme l'analyse des destins différenciés de certains territoires au sein de l'empire français (Côte d'Ivoire, Guinée et Sénégal par exemple) ou britannique (Ghana et Kenya), voire une comparaison interimpériale rarement considérée entre Algérie et Afrique du Sud, toutes deux colonies de peuplement soumises à un apartheid. Les questions soulevées par ces comparaisons peuvent provenir de l'histoire courte, notamment celle des « moments critiques » (décolonisation, ajustement structurel, etc.), voire de l'économie et de la sociologie du temps présent, et ramener – mais pas forcément, c'est aussi cela qui est intéressant – au temps long. Pour ce qui concerne un économiste, les deux questions de la distribution des ressources et de la construction de l'État sont centrales, notamment dans leur interaction avec des transformations démographiques et écologiques particulièrement puissantes. Comme nous l'avons rappelé, la construction des données afférentes est encore loin d'être achevée, mais une renaissance est bien à notre portée.


Mise en ligne 22/03/2017

Notes

  • [1]
    Morten Jerven, Poor Numbers: How We Are Misled by African Development Statistics and What to Do about It, Ithaca, Cornell University Press, 2013 ; Id., Africa: Why Economists Get It Wrong, Londres, Zed Books, 2015.
  • [2]
    La terminologie et l'appareil analytique mobilisés ici sont ceux de Pierre Bourdieu, « Le champ scientifique », Actes de la recherche en sciences sociales, 2-2/3, 1976, p. 88-104.
  • [3]
    La traduction littérale en français, « déchet à l'entrée, déchet à la sortie », n'est malheureusement pas aussi musicale.
  • [4]
    Cet historien et économiste de l'Afrique a été le directeur de thèse de Morten Jerven. Voir Gareth Austin, « The ‘Reversal of Fortune’ Thesis and the Compression of History: Perspectives from African and Comparative Economic History », Journal of International Development, 20-8, 2008, p. 996-1027.
  • [5]
    Cette expression est empruntée par M. Jerven au commentaire de Branko Milanovic´ sur la critique du livre de Thomas Piketty, Le capital au xxie siècle, par Daron Acemoglu et James Robinson, http://glineq.blogspot.fr/2014/08/my-take-on-acemoglu-robinson-critique.html.
  • [6]
    Par exemple, l'article de Daron Acemoglu, Tristan Reed et James A. Robinson, « Chiefs: Elite Control of Civil Society and Economic Development in Sierra Leone », Nber Working Paper, 18691, 2013, sur l'institution des paramount chiefs de Sierra Leone, forgée sous la colonisation britannique, n'est pas directement concerné par les critiques de M. Jerven, qui incrimine d'autres travaux de D. Acemoglu et J. Robinson.
  • [7]
    Ces revues constituent l'univers linguistique des références de M. Jerven, tandis que les pays d'Afrique francophone sont assez peu représentés dans ses analyses, comme il le reconnaît lui-même.
  • [8]
    Paul Collier, The Bottom Billion: Why the Poorest Countries are Failing and What Can Be Done about It, Oxford, Oxford University Press, 2007 ; Daron Acemoglu et James A. Robinson, Why Nations Fail: The Origins of Power, Prosperity and Poverty, Londres, Profile Books, 2012. En choisissant un format grand public, M. Jerven a manifestement souhaité apporter la réplique à ce type de livre, celui de P. Collier, professeur à Oxford et ancien directeur de la recherche à la Banque mondiale, faisant l'objet du dernier paragraphe de conclusion d'Africa : « The bottom line is that there is no bottom billion... » : « Au bout du compte le milliard du bas n'existe pas » (M. Jerven, Africa..., op. cit., p. 132).
  • [9]
    Claire Lemercier, « Une histoire sans sciences sociales ? », Annales HSS, 70-2, 2015, p. 345-357, en particulier p. 355-356.
  • [10]
    Naomi Lamoreaux, « The Future of Economic History Must Be Interdisciplinary », The Journal of Economic History, 75-4, 2015, p. 1251-1257, en particulier p. 1257.
  • [11]
    Denis Cogneau et Yannick Dupraz, « Institutions historiques et développement économique en Afrique. Une revue sélective et critique de travaux récents », Histoire et mesure, 30-1, 2015, p. 103-134 ; George P. Murdock, Africa: Its Peoples and their Culture History, New York, McGraw-Hill, 1959.
  • [12]
    Robert C. Allen, The British Industrial Revolution in Global Perspective, Cambridge, Cambridge University Press, 2009 ; Kenneth Pomeranz, The Great Divergence: China, Europe, and the Making of the Modern World Economy, Princeton, Princeton University Press, 2000.
  • [13]
    Les deux articles « stars » de Daron Acemoglu, Simon Johnson et James A. Robinson, « The Colonial Origins of Comparative Development: An Empirical Investigation », The American Economic Review, 91-5, 2001, p. 1369-1401, et Id., « Reversal of Fortune: Geography and Institutions in the Making of the Modern World Income Distribution », The Quarterly Journal of Economics, 117-4, 2002, p. 1231-1294, peuvent être vus comme une dissertation sur la divergence des Amériques, à l'instar de la thèse de Kenneth L. Sokoloff et Stanley L. Engerman, « History Lessons: Institutions, Factors Endowments, and Paths of Development in the New World », The Journal of Economic Perspectives, 14-3, 2000, p. 217-232, même s'ils prétendent s'appliquer à l'ensemble des colonies européennes, Afrique et Asie comprises. Robert C. Allen, Tommy E. Murphy et Eric B. Schneider, « The Colonial Origins of the Divergence in the Americas: A Labor Market Approach », The Journal of Economic History, 22-4, 2014, p. 863-894, apportent une réponse non institutionnaliste qui renvoie aux trajectoires divergentes des nations colonisatrices, notamment l'Angleterre et l'Espagne.
  • [14]
    Abhijit Banerjee et Esther Duflo, « Under the Thumb of History ? Political Institutions and the Scope for Action », Annual Review of Economics, 6, 2014, p. 951-971.
  • [15]
    Comme le rappelle M. Jerven, Africa..., op. cit., p. 1, à propos des unes consacrées à l'Afrique par le magazine The Economist en 2000 et en 2011.
  • [16]
    Thomas Piketty, Le capital au xxie siècle, Paris, Éd. du Seuil, 2014, p. 39 : « Étrangement, le travail de Kuznets n'avait jamais été poursuivi de façon systématique, sans doute en partie parce que l'exploration historique et statistique de la source fiscale tombe dans une sorte de ‘no man's land’ académique, trop historique pour les économistes, et trop économique pour les historiens. »
  • [17]
    Gareth Austin et Stephen Broadberry, « Introduction: The Renaissance of African Economic History », The Economic History Review, 67-4, 2014, p. 893-906.
  • [18]
    Voir http://www.aehnetwork.org/.
  • [19]
    Gareth Austin, « African Economic History in Africa », Economic History of Developing Regions, 30-1, 2015, p. 79-94. Sur ce plan, l'histoire économique apparaît comme un parent pauvre parmi des sciences sociales africaines elles-mêmes particulièrement appauvries et déshabilitées, et souffrant d'un exode des cerveaux caractérisé.
  • [20]
    La généralisation du cas ghanéen (pib révisé de 60 % lors d'un changement de base) peut aussi être jugée un peu rapide. Voir Joseph Tédou, « Tribune », Statéco, 108, 2014, p. 99-101, sur le cas camerounais.
  • [21]
    Par exemple, Angus Deaton et Alan Heston, « Understanding PPPs and PPP-based National Accounts », American Economic Journal: Macroeconomics, 2-4, 2010, p. 1-35.
  • [22]
    Jean-David Naudet et Marc Raffinot, « Que penser de l'image que donnent les comptes nationaux de l'économie des pays africains ? », in É. Archambault et M. Boëda (dir.), Comptabilité nationale. Nouveau système et patrimoines, Paris, Economica, 2001. Voir aussi Sandrine Mesplé-Somps, « L'Afrique et ses statistiques », La vie des idées, 31 oct. 2013, http://www.laviedesidees.fr/L-Afrique-et-ses-statistiques.html. Elle a également recensé Poor Numbers dans Statéco, 107, 2013, p. 105-107, et dans African Affairs, 113-450, 2014, p. 148-149.
  • [23]
    Angus Deaton, The Analysis of Household Surveys: A Microeconometric Approach to Development Policy, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1997.
  • [24]
    Nicolas van de Walle, dans son commentaire consacré à Poor Numbers, dans Politique africaine, 133, 2014, p. 177-181, rappelle que la demande de production statistique en Afrique émane très peu des sociétés elles-mêmes et beaucoup plus, quoique de façon nécessairement limitée, des bailleurs de fonds extérieurs. S. Mesplé-Somps, « L'Afrique et ses statistiques », art. cit., avance un argument similaire.
  • [25]
    Voir, par exemple, notamment sur le cas de la subvention par la fondation Bill and Melinda Gates de la vaccination contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite (dtp), Justin Sandefur et Amanda Glassman, « The Political Economy of Bad Data: Evidence from African Survey and Administrative Statistics », The Journal of Development Studies, 51-2, 2015, p. 116-132.
  • [26]
    Philippe De Vreyer et al., « Pauvreté et structures familiales : pourquoi une nouvelle enquête ? », Statéco, 102, 2008, p. 56-70.
  • [27]
    Samir Amin, L'économie du Maghreb, vol. 1, La colonisation et la décolonisation, vol. 2, Les perspectives d'avenir, Paris, Éd. de Minuit, 1966 ; Id., L'Afrique de l'Ouest bloquée. L'économie politique de la colonisation, 1880-1970, Paris, Éd. de Minuit, 1971 ; Jean Suret-Canale, Afrique noire. L'ère coloniale, 1900-1945, Paris, Éd. sociales, 1962. Beaucoup de travaux portent sur des territoires ou des périodes limités, comme André Nouschi sur le Constantinois (1890-1919), Hélène d'Almeida-Topor sur le Dahomey (1890-1920), Catherine Coquery-Vidrovitch sur le Congo (1898-1930). Le Viêtnam et l'Indochine font un peu exception, alors que des livres récents déplorent d'ailleurs l'inachèvement de l'exploitation des archives. Voir Pierre Brocheux et Daniel Hémery, Indochine. La colonisation ambiguë, 1858-1954, Paris, La Découverte, [1994] 2001 ; Pierre Brocheux, Une histoire économique du Viet Nam, 1850-2007. La palanche et le camion, Paris, Les Indes savantes, 2009. Les anciennes colonies britanniques ne sont guère mieux traitées : un livre de référence comme celui de Lance E. Davis et Robert A. Huttenback, Mammon and the Pursuit of the Empire: The Political Economy of British Imperialism, 1860-1912, Cambridge, Cambridge University Press, 1988, ne couvre pas le xxe siècle, et donc très peu l'Afrique, et se focalise plutôt sur l'économie politique métropolitaine.
  • [28]
    Cet état de fait nous a conduit à lancer un programme de collecte portant sur les finances publiques, les données socio-économiques et les archives de la conscription militaire, aujourd'hui en cours d'exploitation.
  • [29]
    La controverse autour des « données » de la famine du Bengale de 1942-1943 en fournit une bonne illustration. Plusieurs auteurs pointent notamment les erreurs d'interprétation d'Amartya Sen concernant l'absence d'un déficit de production, certains officiels britanniques de l'époque ayant eux-mêmes préféré mettre l'accent sur les problèmes de distribution et de spéculation plutôt que sur une mauvaise récolte qui aurait impliqué des aides alimentaires directes. Voir Amartya Sen, Poverty and Famines: An Essay on Entitlement and Deprivation, Oxford, Oxford University Press, 1981 ; Mark B. Tauger, « The Indian Famine Crises of World War II », British Scholar, 1-2, 2009, p. 166-196 ; Cormac Ó. Gráda, Famine: A Short History, Princeton, Princeton University Press, 2009.
  • [30]
    Voir, sur ce dernier thème, Vincent Bonnecase, « Généalogie d'une évidence statistique. De la ‘réussite économique’ du colonialisme tardif à la ‘faillite’ des États africains (v. 1930-v. 1980) », Revue d'histoire moderne et contemporaine, 62-4, 2015, p. 33-63.
  • [31]
    M. Jerven, Poor Numbers..., op. cit., p. 78-79.
  • [32]
    Voir supra, n. 24.
  • [33]
    Thandika Mkandawire, « Thinking about Developmental States in Africa », Cambridge Journal of Economics, 25-3, 2001, p. 289-313.
  • [34]
    Albert O. Hirschman, « The Rise and Decline of Development Economics », Essays in Trespassing Economics to Politics and beyond, Cambridge, Cambridge University Press, 1981, p. 1-24 ; Paul Krugman, « The Fall and Rise of Development Economics », Development, Geography and Economic Theory, Cambridge, Mit Press, 1995, p. 1-30.
  • [35]
    La séparation entre économie historique et économie analytique a des sources plus anciennes comme la « querelle des méthodes » (Methodensreit) entre Carl Menger et Gustav von Schmoller en 1883, évoquée de manière partisane par Joseph A. Schumpeter, Histoire de l'analyse économique, t. 3, L'âge de la science, de 1870 à J. M. Keynes, trad. sous la direction de J.-C. Casanova, Paris, Gallimard, [1954] 1983, p. 93-100.
  • [36]
    Même dans les opérations de mesure apparemment les plus mécaniques, voir Stephen Jay Gould, La mal-mesure de l'homme, trad. par J. Chabert et M. Blanc, Paris, Odile Jacob, [1981] 1997.
  • [37]
    William Easterly et Ross Levine, « Africa's Growth Tragedy: Policies and Ethnic Divisions », The Quarterly Journal of Economics, 112-4, 1997, p. 1203-1250. À noter que dans l'Atlas Narodov Mira, les ethnies bretonnes et basques confèrent à la France un certain degré de fragmentation ethno-linguistique.
  • [38]
    Sur la construction historique de l'ethnie comme facteur politique saillant, voir Jean-Loup Amselle et Elikia M'Bokolo (dir.), Au cœur de l'ethnie. Ethnies, tribalisme et État en Afrique, Paris, La Découverte, 1985 ; Daniel N. Posner, Institutions and Ethnic Politics in Africa, New York, Cambridge University Press, 2005. Sur la question des inégalités, voir Denis Cogneau, L'Afrique des inégalités. Où conduit l'histoire, Paris, Éd. Rue d'Ulm, 2007.
  • [39]
    Pour une discussion, voir Gareth Austin, « Resources, Techniques, and Strategies South of the Sahara: Revising the Factor Endowments Perspective on African Economic Development, 1500-2000 », The Economic History Review, 61-3, 2008, p. 587-624. Évidemment, ces dotations factorielles ne sont pas figées, et la croissance démographique met les institutions et les modes de régulation antérieurs sous tension, particulièrement quand elle se traduit par l'explosion du sous-emploi et du chômage. Sur la transition entre un monde de travail rare, où la dépendance sociale fondait communautés politiques et relations interpersonnelles, et un monde de travail surnuméraire, voir James Ferguson, « Declarations of Dependence: Labour, Personhood, and Welfare in Southern Africa », Journal of the Royal Anthropological Institute, 19-2, 2013, p. 223-242.
  • [40]
    D. Cogneau et Y. Dupraz, « Institutions historiques et développement économique en Afrique... », art. cit.
  • [41]
    Voir, par exemple, l'étude comparative d'une politologue : Catherine Boone, Political Topographies of the African State: Territorial Authority and Institutional Choice, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, chap. 4, « Taxing Rich Peasants: Regime Ideology as Strategy ». Sur la différenciation du rapport à l'État central, voir l'enquête d'une anthropologue à la frontière des deux pays : Lauren M. MacLean, Informal Institutions and Citizenship in Rural Africa: Risk and Reciprocity in Ghana and Côte d'Ivoire, Cambridge, Cambridge University Press, 2010.
  • [42]
    Denis Cogneau et Akexander Moradi, « Borders that Divide: Education and Religion in Ghana and Togo since Colonial Times », The Journal of Economic History, 74-3, 2014, p. 694-728 ; Denis Cogneau, Sandrine Mesplé-Somps et Gilles Spielvogel, « Development at the Border: Policies and National Integration in Côte d'Ivoire and its Neighbors », World Bank Economic Review, 29-1, 2015, p. 41-71 ; Denis Cogneau et Léa Rouanet, « Living Conditions in Côte d'Ivoire and Ghana, 1925-1985: What Do Survey Data on Height Stature Tell Us », Economic History of Developing Regions, 26-2, 2011, p. 55-82.
  • [43]
    Thomas Bossuroy et Denis Cogneau, « Social Mobility in Five African Countries », Review of Income and Wealth, 59-1, 2013, p. 84-110.
  • [44]
    Karl Polanyi, Dahomey and the Slave Trade: An Analysis of an Archaic Economy, Seattle, University of Washington Press, 1966 ; Patrick Manning, Slavery, Colonialism, and Economic Growth in Dahomey, 1640-1960, Cambridge, Cambridge University Press, 1982.
  • [45]
    M. Jerven rapporte les estimations de Robert Szereszewski, Structural Changes in the Economy of Ghana, 1891-1911, Londres, Weidenfeld and Nicolson, 1965. Il s'appuie par ailleurs sur le travail de Gareth Austin, Labour, Land, and Capital in Ghana: From Slavery to Free Labour in Asante, 1807-1956, Rochester, University of Rochester Press, 2005, et sur les estimations de pouvoir d'achat des salaires par Ewout Frankema et Marlous van Waijenburg, « Structural Impediments to African Growth ? New Evidence from Real Wages in British Africa, 1880-1965 », The Journal of Economic History, 72-4, 2012, p. 895-926.
  • [46]
    Ewout Frankema, Jeffrey G. Williamson et Pieter Woltjer, « An Economic Rationale for the African Scramble: The Commercial Transition and the Commodity Price Boom of 1845-1885 », Nber Working Paper, 21213, 2015.
  • [47]
    Angus Deaton, « Commodity Prices and Growth in Africa », Journal of Economic Perspectives, 13-3, 1999, p. 23-40.
  • [48]
    Kathleen Beegle et al., Poverty in a Rising Africa: Poverty Report, Washington, World Bank, 2016.
  • [49]
    Dani Rodrik, « An African Growth Miracle ? », Nber Working Paper, 20188, 2014.
  • [50]
    John Bongaarts et John Casterline, « Fertility Transition: Is Sub-Saharan Africa Different ? », Population and Development Review, 38-1, 2013, p. 153-168.
  • [51]
    Frederick Cooper, Africa in the World: Capitalism, Empire, Nation-State, Cambridge, Harvard University Press, 2014.
  • [52]
    Pierre Bourdieu, Sociologie générale, vol. 1, Cours au Collège de France, 1981-1983, Paris, Raisons d'agir/Éd. du Seuil, 2015, notamment p. 509.
  • [53]
    Jack Goody, Production and Reproduction: A Comparative Study of the Domestic Domain, Cambridge, Cambridge University Press, 1976.
  • [54]
    Melissa Annette Thomas, Govern Like Us: U. S. Expectations of Poor Countries, New York, Columbia University Press, 2015. Voir aussi Frederick Cooper, « La modernisation du colonialisme et les limites de l'empire », Labyrinthe, 35-2, 2010, p. 69-86, http://labyrinthe.revues.org/4085.
  • [55]
    K. Pomeranz, The Great Divergence..., op. cit.
  • [56]
    Par exemple, Robert E. Bates, John H. Coatsworth et Jeffrey Williamson, « Lost Decades: Postindependence Performance in Latin America and Africa », The Journal of Economic History, 67-4, 2007, p. 917-943.
  • [57]
    L'emploi de « noms de pays » ne nous fait pas oublier que les États correspondants et leurs frontières sont des constructions récentes. La littérature sur les frontières a tout à la fois mis en évidence les processus de différenciation qu'elles ont entraînés, les contraintes qu'elles ont imposées, mais aussi les nouvelles opportunités commerciales ou politiques qu'elles ont ouvertes à certains agents. Voir Anthony Ijaola Asiwaju, Western Yorubaland under European Rule, 1889-1945, Atlantic Highlands, Humanities Press, 1976 ; William F. S. Miles, Hausaland Divided: Colonialism and Independence in Nigeria and Niger, Ithaca, Cornell University Press, 1994 ; Paul Nugent, Smugglers, Secessionists, and Loyal Citizens on the Ghana-Togo Frontier: The Life of the Borderlands since 1914, Athens, Ohio University Press, 2002. Voir aussi D. Cogneau, S. Mesplé-Somps et G. Spielvogel, « Development at the Border... », art. cit.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.90

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions