Couverture de ANNA_671

Article de revue

Jean XXII et l'expulsion des juifs du Comtat Venaissin

Pages 41 à 77

Notes

  • [*]
    Je remercie chaleureusement Maurice Kriegel pour sa relecture stimulante.
  • [1]
     - Léon BARDINET, « Condition civile des Juifs du Comtat Venaissin pendant le séjour des papes à Avignon (1309-1376) », Revue historique, 1-5, 1880, p. 1-47, ici p. 17-18.
  • [2]
     - Carlo GINZBURG, Le sabbat des sorcières, Paris, Gallimard, [1989] 1992, p. 61.
  • [3]
     - La bibliographie sur les rapports entre la papauté et les juifs est très vaste mais on pourra au moins consulter Solomon GRAYZEL, The Church and the Jews in the XIIIth century, éd. par K.R. Stow, New York/Détroit, The Jewish Theological Seminary of America/ Wayne State University Press, [1933] 1989, vol. 2, p. 1254-1314 ; Kenneth R. STOW, Popes, church, and Jews in the Middle Ages : Confrontation and response, Aldershot, Ashgate, 2007 et surtout l’édition monumentale de Shlomo SIMONSOHN (éd.), The Apostolic See and the Jews, Toronto, Pontifical institute of mediaeval studies, 1988. Sur les prises de position du pape face aux Pastoureaux, ibid., n304-306, p. 316-319.
  • [4]
     - S. SIMONSOHN, The Apostolic See..., op. cit., vol. 1, n368, 18 décembre 1345, p. 389- 390 : felicis recordationis Johannes papa XXII, predecessor noster, certis causis ipsum ad hoc inducentibus, dictos Judeos de dicto comitatu fecit expelli...
  • [5]
     - 1322 est la date choisie par exemple par Isidore LOEB, « Les juifs de Carpentras sous le gouvernement pontifical », Revue des Études juives, 12, 1886, p. 34-64, ici p. 40 et 46- 49. C. GINZBURG, Le sabbat..., op. cit., p. 61.
  • [6]
     - Giovanni Domenico MANSI, Sacrorum Conciliorum nova et amplissima collectio, Venise, 1782, XXV, col. 569-572.
  • [7]
     - C. GINZBURG, Le sabbat..., op. cit., p. 296, n. 42. Il a depuis été mentionné par David NIRENBERG qui a lui aussi accepté l’attribution de la lettre à Jean XXII dans Violence et minorités au Moyen Âge, Paris, PUF, [1996] 2001, p. 81.
  • [8]
     - C. GINZBURG, Le sabbat..., op. cit., p. 61.
  • [9]
     - Ibid., p. 297, n. 42 : « L’hypothèse que le document dans son intégralité (y compris la lettre de Philippe d’Anjou et peut-être la réaction favorable du pape à celle-ci) soit le fruit d’une falsification tardive me semble sans aucun doute à exclure, et cela tant pour des motifs internes qu’externes. D’un côté, les références (et pas seulement de nature chronologique) aux événements contemporains sont très précises ; de l’autre, le document explique, nous le verrons, le revirement soudain du pape à l’égard des juifs. »
  • [10]
     - Kenneth R. STOW, « The Avignonese papacy or after the expulsions », Popes, church and Jews..., op. cit., p. 225-297, ici p. 293-295. Sur les complots d’empoisonnement, voir Edmond ALBE, Autour de Jean XXII. Hugues Géraud évêque de Cahors, l’affaire des poisons et envoûtements en 1317, Cahors, J. Girma, 1904 ; Joseph SHATZMILLER, Justice et injustice au début du XIVe siècle. L’enquête sur l’archevêque d’Aix et sa renonciation en 1318, Rome, École française de Rome, 1999 ; Franck COLLARD, Le crime de poison au Moyen Âge, Paris, PUF, 2003. Sur les effets dans la politique de Jean XXII et la redéfinition de l’hérésie : Alain BOUREAU, Le pape et les sorciers. Une consultation de Jean XXII sur la magie en 1320 (manuscrit BAV Borghese 348), Rome, École française de Rome, 2004 et Id., Satan hérétique. Naissance de la démonologie dans l’Occident médiéval, 1280-1330, Paris, Odile Jacob, 2004.
  • [11]
     - Elizabeth A. R. BROWN, « Philip V, Charles IV and the Jews of France : The alleged expulsion of 1322 », Speculum, 66-2, 1991, p. 294-329. Elle rompt ainsi avec ce qui était devenu une quasi-certitude dans la bibliographie antérieure : William Chester JORDAN, The French monarchy and the Jews : From Philip Augustus to the last Capetians, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1989, p. 246-248, C. GINZBURG, Le sabbat..., op. cit., p. 63.
  • [12]
     - Ces documents ont fait l’objet d’un premier et rapide traitement dans ma thèse, Valérie THEIS, Le gouvernement pontifical du Comtat Venaissin, vers 1270-vers 1350, Rome, École française de Rome, sous presse.
  • [13]
     - D. NIRENBERG, Violence..., op. cit., par exemple p. 62. Cet auteur a en effet particulièrement insisté sur la nécessité de prendre en compte le contexte particulier (historique et géographique) et les motivations des acteurs lors de chacun des épisodes de violence ayant concerné les juifs au cours du Moyen Âge afin de rompre avec les interprétations transhistoriques souvent circulaires (p. 11) et téléologiques (p. 1-4) qui ont parfois été mises en œuvre dans le cadre de l’étude des juifs au Moyen Âge.
  • [14]
     - Sur la discussion du livre, voir par exemple Philippe BUC, « Anthropologie et histoire », Annales HSS, 53-6, 1998, p. 1243-1249.
  • [15]
     - L’ouvrage qui a eu le plus de retentissement au sein de cette école historiographique est celui de Robert I. MOORE, La persécution. Sa formation en Europe, Xe-XIIIe siècle, Paris, Les Belles Lettres, [1987] 1991. La thèse la plus nettement opposée a été récemment défendue, on l’aura compris, par D. NIRENBERG, Violence..., op. cit.
  • [16]
     - L’un des seuls historiens à avoir abordé la question des expulsions de cette manière est Maurice Kriegel. On verra plus loin que la démarche suivie est très proche de celle qu’il propose dans son article : Maurice KRIEGEL, « Mobilisation politique et modernisation organique. Les expulsions de Juifs au Bas Moyen Âge », Archives de sciences sociales des religions, 46, 1978, p. 5-20.
  • [17]
     - I. LOEB, « Les juifs de Carpentras... », art. cit., p. 34, rappelle que dans la littérature hébraïque, ces communautés faisaient partie d’un ensemble appelé les « quatre communautés » (arba kehillot) car on y ajoutait celle d’Avignon.
  • [18]
     - L’annonce d’I. Loeb fut faite le 25 novembre 1880 devant les membres de la Société des études juives dont la revue était l’émanation : Simon SCHWARZFUCHS, « Deux revues et une science : la Monatsschrift für die Geschichte und Wissenschaft des Judentums et La Revue des Études juives », in S. C. MIMOUNI et J. OLSZOWY-SCHLANGER (dir.), Les revues scientifiques d’études juives : passé et avenir. À l’occasion du 120e anniversaire de la Revue des Études juives, Louvain-la-Neuve, Peeters, 2006, p. 137-164.
  • [19]
     - L’avis au lecteur, qui n’est pas signé mais que S. SCHWARZFUCHS, « Deux revues... », art. cit., p. 154, attribue à Zadoc Kahn, est à cet égard édifiant. Constatant le retard de la France dans le vaste mouvement scientifique et littéraire qui a renouvelé l’étude des Antiquités juives, Zadoc KAHN, « Éditorial », Revue des Études juives, I, 1880, p. V, propose de « relever la France de cet état d’infériorité... ». Lors de l’assemblée inaugurale de la Société des études juives, il avait par ailleurs annoncé que celle-ci devrait servir « la science pure et entièrement désintéressée » : S. SCHWARZFUCHS, « Deux revues... », art. cit., p. 151.
  • [20]
     - L. BARDINET, « Condition civile... », art. cit., 1880, et Id., « Antiquité et organisation des juiveries du Comtat Venaissin », Revue des Études juives, I, 1880, p. 262-292. L. Bardinet ne faisait cependant pas partie du groupe des chartistes. Il n’apparaît en effet pas dans le livret de 1891 : Société de l’École des Chartes, Livret de l’École des Chartes, 1821-1891, Paris, A. Picard, 1891.
  • [21]
     - I. LOEB, « Les juifs de Carpentras... », art. cit.
  • [22]
    L. Bardinet expliqua plus clairement ce qu’il avait voulu faire dans ce premier article sur le XIVe siècle dans un second article qu’il concevait comme son prolongement. Il s’agissait pour lui de montrer que, contrairement à une idée reçue, l’idée de tolérance n’était pas née au XVIIIe siècle mais bien au Moyen Âge et que l’attitude des papes face aux juifs en constituait la preuve. Léon BARDINET, « Condition civile des Juifs du Comtat Venaissin pendant le XVe siècle (1409-1513) », Revue des Études juives, 6, 1882, p. 1-40, ici p. 1 : « Nous avons montré ailleurs comment les principes de tolérance avaient été mis en pratique à l’égard des israélites par les papes d’Avignon au XIVe siècle, et comment grâce à eux, ces principes s’étaient répandus, dans leur entourage, parmi toutes les classes de la société... »
  • [23]
     - L. BARDINET, « Condition civile... », art. cit., 1880, p. 15.
  • [24]
     - Jacques BASNAGE, Histoire des Juifs, depuis Jésus-Christ jusqu’à présent... par M. Basnage, ..., La Haye, H. Scheurleer, 1716. Le choix de privilégier Basnage le conduisit à minorer d’autres informations, comme celles tirées des documents réunis par le marquis de Valbonnais, Jean-Pierre MORET DE BOURCHENU (1651-1730), dans son Histoire de Dauphiné et des princes qui ont porté le nom de dauphins, particulièrement de ceux de la troisième race, descendus des barons de La Tour-du-Pin, sous le dernier desquels a été fait le transport de leurs États à la couronne de France, Genève, 1721-1722, t. I, p. 74, qui montraient que l’expulsion pontificale avait conduit certains juifs à se réfugier dans le Dauphiné.
  • [25]
     - L. BARDINET, « Condition civile... », art. cit., 1880, p. 18.
  • [26]
     - S. SIMONSOHN, The Apostolic See..., op. cit., vol. 1, n368, 18 décembre 1345, p. 389- 390 : le pape Clément VI demande à Hugues de la Roques, recteur du Comtat de ne pas molester les juifs qui s’y sont récemment installés et d’en laisser d’autres s’installer.
  • [27]
     - I. LOEB, « Les juifs de Carpentras... », art. cit., p. 49-50. Il s’appuyait pour ce faire sur un acte du cartulaire de l’évêque de Carpentras, daté du 25 janvier 1385, concernant les tractations entre ce dernier et les juifs de la ville au sujet des redevances qu’il estimait lui être dues, acte qui en intégrait de plus anciens, dont une liste des chefs de famille de la ville datée de janvier 1345 et une réduction exceptionnelle des redevances pour cause de pauvreté des populations juives en janvier 1343 (1344). L’acte de 1385 étant daté en style de l’incarnation, il est fort probable que les actes intégrés en son sein le soient aussi, d’autant que c’était alors l’usage à la cour épiscopale de Carpentras. L’acte de janvier 1343 (Carpentras, Bibliothèque Inguimbertine, ms. 560, pièce 121) renverrait alors plutôt à janvier 1344.
  • [28]
     - Les revenus seigneuriaux de la papauté dans le Comtat étaient en effet vendus à l’encan chaque année et c’est lors de la vente des revenus de l’année allant de la Saint-Michel 1343 à la Saint-Michel 1344 que l’on voit réapparaître parmi les fermiers du pape quelques juifs, comme Astrugue Cassin, qui s’associa à Raymond Audebert et Bertrand Lambert pour prendre à ferme les revenus du pape à L’Îsle-sur-la-Sorgue : Archivio Segreto Vaticano (dorénavant ASV), Camera Apostolica (dorénavant Cam. Ap.), Introitus et Exitus (dorénavant Intr. et Ex.), 223, fol. 19 : redditus Insule annii supra proxime designati fuerunt venditi magistro Raymundo Auduberti, Bertrando Lamberti de Mornacio et Astrugo Cassini, judeo, precio franco deducta parte exitarum solita II(M) VIII(C) LXVI turon. arg. et duorum terciorum unius a quibus recepi ego thesaurarius supradictus pro precio dictorum reddituum II(M) LIIII(C) LXVI tur arg.
  • [29]
     - I. LOEB, « Les juifs de Carpentras... », art. cit., p. 47-48.
  • [30]
    Nous renvoyons à son ouvrage dans la traduction française réalisée en 1881 par Julien Sée et réédité dans Joseph ben Josué HAK-KOHEN, La vallée des pleurs. Chronique des souffrances du peuple juif, éd. par J.-P. Osier, Paris, Centre d’études Don Isaac Abravanel, 1981.
  • [31]
     - Ibid., p. 74 : « En l’année 5081, c’est-à-dire en 1321, Sancha, sœur du pape, voulut exterminer les juifs et ne le pouvant, pria son frère de les expulser de ses États. Celui-ci accueillit sa demande et ce fut alors pour Israël un temps de détresse. Dieu leur fit cependant trouver compassion dans le cœur de Frédéric, roi de Naples, qui tint bon contre tous les ennemis levés contre eux. Les juifs donnèrent 20 000 pièces d’or à cette femme ; dès lors elle se tut et l’ordre d’expulsion ne fut point exécuté. » L’auteur a probablement confondu Robert de Naples, comte de Provence et roi de Naples et de Provence (1309-1343), et Frédéric d’Aragon, roi de Sicile (1295-1337). De la même manière, il est remarquable que le prénom donné à la prétendue sœur du pape soit celui de Sancha que portait la femme de Robert de Naples. Noël VALOIS, « Jacques Duèse, pape sous le nom de Jean XXII », Histoire littéraire de la France, Paris, Impr. nationale, 1914, vol. 34, p. 391-630, ici p. 423, signale que la trame de ce récit pourrait remonter à la chronique de Profet Duran ou Ephodi (1350-1415) qu’il aurait rédigée entre 1396 et 1412. Voir à ce sujet Ernest RENAN et Adolf NEUBAUER, « Les écrivains juifs français du XIVe siècle », Histoire littéraire de la France, Paris, Impr. nationale, 1893, vol. 31, p. 351-789, ici p. 752.
  • [32]
    N. VALOIS, « Jacques Duèse... », art. cit. : « La même année, sous le règne de Philippe, roi de France, les malades furent très nombreux en France et beaucoup ayant succombé, les médecins déclarèrent les uns que cette maladie était la peste, les autres que c’était un empoisonnement, car l’Éternel avait confondu leur langage. Alors on accusa les juifs et les lépreux d’avoir jeté le poison dans les puits, et toute la population le crut. »
  • [33]
     - S. GRAYZEL, The Church..., op. cit., p. 323, n. 3. Sur ce point, I. Loeb reste cependant plus prudent que L. Bardinet car il connaît le document signalé par René de MAULDE, « Les juifs dans les États français du Saint-Siège au Moyen Âge », Bulletin historique et archéologique de Vaucluse, 1, 1879, p. 6, qui prouve que des juifs résidaient bien à Avignon en 1327.
  • [34]
     - L. BARDINET, « Condition civile... », art. cit., 1880, p. 47.
  • [35]
     - Sur cette question, voir Joseph SHATZMILLER, « The papal monarchy as viewed by medieval Jews », in Italia judaica. Gli ebrei nello Stato pontificio fino al ghetto (1555), Rome, Ministero per i beni culturali e ambientali, Ufficio centrale per i beni archivistici, 1998, p. 30-41. Cette chronique n’est évidemment pas la seule, ni la première à développer le thème de la bienveillance pontificale. On le retrouve par exemple, comme le rappelle Yosef Hayim YERUSHALMI, Sefardica. Essais sur l’histoire des juifs, des marranes et des nouveaux-chrétiens d’origine hispano-portugaise, Paris, Chandeigne, 1998, p. 90, chez Ibn Verga (Shebet Yehoudah, chapitre 14), qui reprend lui-même un récit plus ancien. Y.H. Yerushalmi en profite pour critiquer l’aveuglement des auteurs juifs et a, sur ce point, été contesté par Maurice KRIEGEL, « L’alliance royale, le mythe et le mythe du mythe. Sur Y.-H. Yerushalmi, Sefardica : essais sur l’histoire des Juifs, des marranes & des nouveaux-chrétiens d’origine hispano-portugaise, Éditions Chandeigne, 1998 », Critique, 632- 633, 2000, p. 14-30, en particulier p. 26-30.
  • [36]
     - René MOULINAS, « Velléités d’expulsion dans le Comtat Venaissin et à Avignon au XVIe siècle », in D. IANCU-AGOU (dir.), L’expulsion des juifs de Provence et de l’Europe méditerranéenne (XVe-XVIe siècles). Exils et conversions, Paris, Peeters, 2005, p. 103-110, ici p. 103.
  • [37]
    Par exemple Danièle et Carol IANCU, Les juifs du Midi. Une histoire millénaire, Avignon, A. Barthélemy, 1995, p. 87.
  • [38]
     - Céline BALASSE, 1306, l’expulsion des Juifs du royaume de France, Bruxelles, De Boeck, 2008, p. 65 et 152.
  • [39]
     - Ibid., p. 61-62.
  • [40]
     - N. VALOIS, « Jacques Duèse... », art. cit., p. 422. Suivi par S. GRAYZEL, « References to the Jews in the correspondence of John XXII », Hebrew Union College Annual, 23-2, 1950-1951, p. 60-61, note 1.
  • [41]
     - Lettre éditée dans S. SIMONSOHN, The Apostolic See..., op. cit., vol. 1, n312, p. 326-327.
  • [42]
     - Ibid., n313, p. 327-328.
  • [43]
     - C. GINZBURG, Le sabbat..., op. cit., p. 298, n. 48.
  • [44]
     - Pour un bilan récent sur cette expulsion, voir Béatrice LEROY, L’expulsion des Juifs d’Espagne, Paris, Berg international, 1990 ; Roland GOETSCHEL (dir.), 1492, l’expulsion des Juifs d’Espagne, Paris, Maisonneuve et Larose, 1995 ; Haim BEINART (dir.) The expulsion of the Jews from Spain, Oxford, Littman Library of Jewish Civilization, 2002. Sur les conditions détaillées de la vente de leurs biens par les juifs de Sicile en 1492, voir Henri BRESC, « L’expulsion des Juifs de Sicile », in D. IANCU-AGOU (dir.), L’expulsion des juifs de Provence..., op. cit., p. 59-76.
  • [45]
     - J. HAK-KOHEN, La vallée des pleurs..., op. cit., p. 69 : « mais alors ils s’en allèrent avec tous leurs biens et toutes leurs richesses ». Cette mention est évidemment peu fiable et tardive, elle ne constitue donc pas un argument, mais permet juste de montrer que l’équivalence entre expulsion et saisie des biens n’était une évidence pour personne.
  • [46]
     - La seule différence entre les deux auteurs est que L. Bardinet postulait l’existence de deux décisions pontificales distinctes quand C. Ginzburg envisageait un départ des juifs de Bédarrides suivi, un peu plus d’un an plus tard, par une expulsion. Avant l’acte de février 1321, la communauté de Bédarrides était déjà apparue dans les lettres pontificales à l’occasion du mouvement des Pastoureaux : S. SIMONSOHN, The Apostolic See..., op. cit., vol. 1, n304-306, p. 316-319. L’une d’elles avait été adressée à tous les nobles et officiers leur demandant de tout mettre en œuvre pour protéger les juifs du Comtat Venaissin mais aussi ceux de Noves et de Bédarrides, dans le diocèse d’Avignon : lettre du 9 juillet 1320, ibid., n306, p. 319.
  • [47]
     - La lettre concernant Noves est éditée dans S. SIMONSOHN, The Apostolic See..., op. cit., vol. 1, n321, p. 337-338, mais présentée comme une lettre concernant Châteauneuf-du-Pape, l’éditeur ayant confondu la forme latine de Châteauneuf, Castrum Novum, et celle de Noves, castrum Novarum. La lettre concernant Carpentras est éditée dans le même recueil : S. SIMONSOHN, The Apostolic See..., op. cit., vol. 1, n322, p. 338-339.
  • [48]
    La lettre concernant Carpentras comporte en plus la mention des biens affectés à l’entretien de la nouvelle chapelle, parmi lesquels on trouve un certain nombre d’anciennes possessions des juifs dont le bain et le cimetière de la communauté de Carpentras.
  • [49]
     - Actes du 22 et 31 juillet 1320, ibid., n307, p. 320. Sur cette pratique de la spoliation, voir L. BARDINET, « Condition civile... », art. cit., 1880, p. 14.
  • [50]
     - S. SIMONSOHN, The Apostolic See..., op. cit., vol. 1, n309, p. 321-323.
  • [51]
     - Ibid., n323, p. 340-341.
  • [52]
     - Ibid., n314, p. 328-329.
  • [53]
     - Il faut noter qu’à cette époque les comptes sont datés en style de la Nativité donc ne nécessitent pas de conversion de date (ce qui n’est plus le cas à partir de 1334), voir Claude FAURE, Étude sur l’administration et l’histoire du Comtat-Venaissin du XIIIe au XVe siècle (1229-1417), Paris, H. Champion, 1909, p. 5-13.
  • [54]
     - ASV, Cam. Ap., Coll. 261, fol. 28v : pro facto judeorum ut bona omnia que habebant in comitatu venderentur. Le choix de traduction ci-dessus ne doit pas faire oublier que dans les comptes, le terme de factum est alternativement employé avec le sens d’affaire : pro facto clavarie (ibid., Intr. et Ex. 141, fol. 22), pro facto molendinorum (ibid., Intr. et Ex. 223, fol. 223v), ou avec le sens de propriété, domaine : census pro facto de Balmetis (ibid., Intr. et Ex. 141, fol. 71), emerat... quoddam factum in territorio Serrarum (ibid., Coll. 261, fol. 139). Cela ne change cependant rien à la mention qui suit, indiquant clairement que tous les biens des juifs dans le Comtat doivent être vendus.
  • [55]
     - Ibid., fol. 31.
  • [56]
     - C. BALASSE, 1306..., op. cit., p. 65.
  • [57]
     - Voir Joshua STARR, « The mass conversion of Jews in southern Italy (1290-1293) », Speculum, 21-2, 1946, p. 203-211.
  • [58]
     - Voir S. GRAYZEL, « References... », art. cit., p. 62, n. 2 : « [this expulsion]... was due to the existence of converts to Christianity at the height of the Shepherds’ Persecutions, who, having found a refuge in the Comtat, now reverted to Judaism. The inquisitors, especially Bernard Gui, thereupon became active and stirred the pope to action », et Yosef Hayim YERUSHALMI, « The Inquisition and the Jews of France in the time of Bernard Gui », The Harvard Theological Review, 63-3, 1970, p. 317-376, en particulier p. 333, n. 45.
  • [59]
    Sur la situation du castrum de Bédarrides, fief de l’évêque dans le Comtat, voir C. FAURE, Étude..., op. cit., p. 33-34. Le castrum de Noves se trouvait quant à lui inclus dans la Provence et non dans le Comtat. L’évêque prétendait tenir ce fief directement de l’empereur et n’être donc pas soumis à la prestation de l’hommage auprès des comtes de Provence. Voir à ce sujet Marc MIELLY, Trois fiefs de l’évêché d’Avignon : Noves, Agel et Verquières des origines à 1481, Uzès, Henri Péladan, 1947.
  • [60]
     - Sur le renforcement du lien entre le souverain et les juifs, qui avait abouti dans certains cas à les considérer comme des serfs du souverain, voir Simon SCHWARZFUCHS, « De la condition des Juifs de France aux XIIe et XIIIe siècles », Revue des Études juives, 1966, p. 221-232 ; Maurice KRIEGEL, Les Juifs à la fin du Moyen Âge dans l’Europe méditerranéenne, Paris, Hachette Littératures, 1979, p. 16-19 ; C. BALASSE, 1306..., op. cit., p. 25-39. Sur les frictions entre pouvoir épiscopal et pouvoir pontifical à ce propos dans le contexte du Comtat, voir William Chester JORDAN, « The Jews and the transition to papal rule », Ideology and royal power in medieval France : Kingship, crusades and the Jews, Aldershot, Ashgate, 2001, p. 213-232.
  • [61]
     - Le début des travaux (à partir de septembre 1316) est détaillé dans ASV, Cam. Ap., Intr. et Ex. 14, à partir du folio 21. La suite a été éditée dans Karl Heinrich SCHÄFER, Die Ausgaben der apostolischen Kammer unter Johann XXII., Paderborn, F. Schöningh, 1911, p. 277-278.
  • [62]
     - Joseph Hyacinthe ALBANÈS et Ulysse CHEVALIER (éd.), Gallia christiana novissima. Histoire des archevêchés, évêques et abbayes de France, t. VII, Avignon, Valence, Impr. valentinoise, 1920, n942.
  • [63]
    Il avait nommé Gérald de Campimulo et Gasbert de Valle, ce dernier étant le trésorier de la Chambre apostolique, pour faire office de vicaires. Voir la lettre du 5 juillet 1318 in Guillaume MOLLAT (éd.), Jean XXII (1316-1334). Lettres communes analysées d’après les registres dits d’Avignon et du Vatican, Paris, A. Fontemoing, 1904, n8229. On peut ajouter que, profitant de la lutte entre deux prétendants pour le titre impérial, Louis de Bavière et Frédéric le Beau, duc d’Autriche, Jean XXII appliqua la constitution Romani principes promulguée par son prédécesseur. Il déclara donc le trône impérial vacant et s’en octroya le contrôle. Pour un rappel rapide sur ce conflit, voir Bernard GUILLEMAIN, Les papes d’Avignon, 1309-1376, Paris, Éd. du Cerf, 1998, p. 61-74.
  • [64]
     - ASV, Cam. Ap., Coll. 261, fol. 129 : Sequitur venditio et recepta hospiciorum possessionum olim judeorum habitantium infra comitatum Venaissini et curia venaissini confiscatorum. Primo de bonis immobilibus judeorum olim Valriacis habitancium.
  • [65]
    Ibid., fol. 130 : Sequntur venditiones bonorum immobilium judeorum qui olim morari solebant Carpentorati.
  • [66]
     - Ibid., fol. 132.
  • [67]
     - Ibid., fol. 133 : Et est sciendum quod pro recompensatione et satisfactione predictorum hospiciorum extimatorum et retentorum pro palacio et hospicio papali prout superius continetur fuerunt quedam hospicia que fuerunt judeorum olim habitancium in civitate Carpentorati extimata et tradita et assignata in recompensatione et satisfactione prout inferius particulariter continetur.
  • [68]
     - Ibid., fol. 136-139.
  • [69]
     - ASV, Cam. Ap., Coll. 260, fol. 332 ss.
  • [70]
     - ASV, Cam. Ap., Coll. 261, fol. 170-170v. Il existe en outre une copie de ces documents dans l’Introitus et Exitus 80, fol. 149 à 150v.
  • [71]
     - ASV, Cam. Ap., Coll. 261, fol. 170 : Sequntur recepta venditioni domorum et possessionum que fuerunt judeorum curie commissarum pro eo quia non vendiderant infra tempus eisdem judeis per judicem venaissini prefixum et assignatum.
  • [72]
    Il est fait allusion à ce droit de prélation lors de l’achat de terres pour doter la chapelle de Carpentras : ASV, Cam. Ap., Coll. 261, fol. 139. Dans les actes concernant les échanges d’hôtels à Carpentras, on observe que deux propriétaires juifs ont vu leurs biens saisis alors qu’ils les avaient déjà vendus : ibid., fol. 134 : Item pro hospiciis Guillelmi et Alfanti Razeire, extimatis triginta lib. johann. fuerunt tradita et assignata duo alia hospicia quorum unum fuit Compradoni et aliud Astrugue de Bona Hora judeorum qui venditi fuerant XLX lib. johann. et confiscati curie et ideo non solvi aliquid.
  • [73]
     - ASV, Cam. Ap., Coll. 261, fol. 85v.
  • [74]
     - Cela se produit par exemple en 1180 dans le domaine royal, les juifs sont arrêtés puis libérés et ne peuvent récupérer leurs biens qu’en échange de 15 000 marcs. Même chose en 1210 où cette fois, c’est une amende de 250 000 livres qui est exigée d’eux : C. BALASSE, 1306..., op. cit., p. 29, 31.
  • [75]
     - E.A. R. BROWN, « Philip V... », art. cit., p. 314-317. Cela expliquerait pourquoi des représentants des juifs auraient demandé la production devant le Parlement du document de Louis X, daté de 1315, qui leur garantissait de pouvoir résider en paix en France jusqu’en 1327.
  • [76]
     - Ibid., p. 319-320.
  • [77]
     - I. LOEB, « Les juifs de Carpentras... », art. cit., p. 50.
  • [78]
     - K. R. STOW, « The Avignonese papacy... », art. cit., p. 293 ; D. NIRENBERG, Violence..., op. cit., p. 81.
  • [79]
     - C. GINZBURG, Le sabbat..., op. cit., p. 58-61.
  • [80]
     - Ibid., p. 46-47 et 57. Ce sire de Parthenay fut ensuite poursuivi par l’Inquisition à partir de 1323 et réussit, grâce à l’obstination de ses proches, à voir son procès porté en appel devant Jean XXII et à obtenir l’abandon des charges pesant sur lui. Voir Jean-Marie VIDAL, Le Sire de Parthenay et l’Inquisition, 1323-1325, Paris, Impr. nationale, 1904.
  • [81]
     - C. GINZBURG, Le sabbat..., op. cit., p. 53-56.
  • [82]
     - Ibid., p. 61-62.
  • [83]
     - Ibid., p. 296, n. 42.
  • [84]
    G. D. MANSI, Sacrorum Conciliorum..., op. cit., col. 569 : Joannes episcopus, Servus Servorum Dei, universis Christi fidelibus, praesertim neophytis et cathechumenis, ac omnibus Christianitati adherentibus...
  • [85]
     - Ibid., col. 569 : dilecto filio nostro Philippo comite d’Anjou, filio secundum carnem victorissimi viri domini Caroli de Valois... ; col. 570 : facta fuit horribilis eclipsis solis in comitatu d’Anjou et de Touraine...
  • [86]
     - Il ne fait d’ailleurs que la reprendre du recueil de Jean HARDOUIN, Acta conciliorum et epistolae decretales ac constitutiones summorum pontificum, Parisiis, Typographia Regia, 1714, t. VII, col. 1405-1409.
  • [87]
     - Josef EMLER (éd.), Fontes Rerum Bohemicarum, Prameny d?jin ?eských, t. IV, Prague, Nákladem Musea královstvi ?e?kéh, 1884.
  • [88]
     - Ibid., p. 258-260.
  • [89]
     - Ibid., p. 257 : Epistolam vero papalem, ut creditur, causam et materiam huius negocii continentem in Morimundensi monasterio a quodam, qui eam se habuisse fatebatur a Romana curia, propria manu scripsi et hic de verbo ad verbum hanc in cetera annotavi. Utrum autem eadem epistola ex certa sciencia domini pape processerit, pro certo nescio, sed hoc discutere legencium iudicio derelinquo. Il existe deux monastères cisterciens portant le nom de Morimond : le plus important est celui qui constituait la quatrième abbaye fille de Cîteaux, situé en Haute-Marne dans le diocèse de Langres, et le second est le monastère de Morimondo en Italie, près de Milan. Cependant, dans la mesure où le monastère de Zbraslav, qui devint la nécropole des rois de Bohême, est une abbaye fille du Morimond français, l’identification ne semble guère faire de doute. Voir Louis DUBOIS, Histoire de l’abbaye de Morimond... quatrième fille de Cîteaux... : ouvrage où l’on compare les merveilles de l’association cénobitique aux utopies socialistes de nos jours, éd. par P.-L. Parisis, Paris, Sagnier et Bray, 1851, p. 264.
  • [90]
     - Comme l’a remarqué M. Kriegel, si le contexte dans lequel la lettre de Philippe de Valois fut éventuellement écrite exclut d’en faire l’élément ayant déclenché l’expulsion des juifs du Comtat, le contenu même de la lettre est cohérent avec ce qu’on peut savoir par ailleurs de l’action de ce dernier lorsqu’il devint Philippe VI. S. GRAYZEL, The Church..., op. cit., p. 336-337, fait en effet allusion à une lettre du pape Jean XXII, datée du 22 mars 1329, éditée dans S. SIMONSOHN, The Apostolic See, op. cit., n341, p. 357-359, qui répondait à une demande de Philippe VI. Le roi avait écrit au pape pour lui demander d’accorder des indulgences à tous ceux qui visiteraient une chapelle, construite dans le monastère cistercien de Cambron, au diocèse de Cambrai ; après qu’un juif récemment converti y ait transpercé d’une lance une image de la Vierge. Cet épisode a fait l’objet de plusieurs récits qui ne s’accordent ni sur le détail de l’affaire, ni sur sa date qui oscille entre 1322 et 1326 : voir Jean STENGERS, « Les juifs dans les Pays-Bas au Moyen Âge », Mémoires de l’Académie royale de Belgique, XLV-2, 1950, p. 20 et 117-118, qui fait à la fois le bilan des sources et de la bibliographie sur cette question. L’intérêt qu’un tel épisode suscita chez Philippe VI laisse effectivement penser qu’il n’est pas impossible qu’une lettre du genre de celle évoquée par Pierre de Zittau ait bien été envoyée par le même souverain au pape Jean XXII quelques années auparavant.
  • [91]
    Même si nous avons indiqué plus haut que plusieurs copies existaient de ces comptes, nous suivrons ici la version de ASV, Cam. Ap., Coll. 261, fol. 132-139.
  • [92]
    Ibid., fol. 132-132v : Sequntur extimationes hospiciorum emptorum de mandato domini nostri pape in civitate Carpentorati pro faciendo hospicium papale in quibus quidem hospiciis morantur judex maior, procurator thesaurarius et vicarius et tenentur curie judicis et vicarii predictorum et pro dictis hospiciis fuerunt queddam alia hospicia juxta extimationem tradita et assignata prout inferius particulariter continetur.
  • [93]
     - Ibid., fol. 133.
  • [94]
     - C. BALASSE, 1306..., op. cit., p. 153.
  • [95]
     - ASV, Cam. Ap., Coll. 261, fol. 138v : un total de toutes les dépenses effectuées pour la chapelle et l’hôtel des chapelains donne la somme de 1159 livres. Au folio suivant, on ajoute encore à la dotation de la chapelle des biens d’une valeur de 50 livres.
  • [96]
     - Ibid., fol. 137.
  • [97]
     - Sur la construction de ce palais, voir Eugène MÜNTZ, « Le palais pontifical de Pont-de-Sorgues », Mémoires de la société nationale des antiquaires de France, 45, 1884, p. 17-36 ; Maurice FAUCON, « Les arts à la cour d’Avignon sous Clément V et Jean XXII », Mélanges d’archéologie et d’histoire, t. II, 1882, p. 36-65, et t. IV, 1884, p. 57-130 ; Anthony T. LUTTRELL et Thomas F. C. BLAGG, Le palais papal et autre bâtiments du XIVe siècle à Sorgues, près d’Avignon, Études sorguaises, 10, 1997, et Id., « The papal palace and other fourteenth-century buildings at Sorgues near Avignon », Archaeologia, 109, 1991, p. 161-192.
  • [98]
     - On les retrouve dans les comptes de construction de Pont-de-Sorgues avec la mention de leur provenance dans ASV, Cam. Ap. Intr. et Ex., 37, par exemple fol. 10v.
  • [99]
     - ASV, Cam. Ap., Coll. 261, fol. 1-2v. Par exemple, pour l’année 1320-1321, pour les seuls revenus dits « généraux » du pape (donc sans compter les revenus des biens reçus en don des Hospitaliers), on trouve Astrugue de Noves (pour les revenus de Pernes, La Roque-sur-Pernes), Senhor Belan (Cavaillon), Bonjudas Cassini (Oppède et Bonnieux en association avec Guillaume Langeri, damoiseau, Mormoiron, Malaucène et Serres en association pour ceux-là avec Bonjudas Belan et Boniface Nigri, Séguret et Sablet en association avec Nigri, Crescas et Samuel de Narbonne, Lapalud avec Nigri, Mornas avec Nigri), Boniface Nigri (Malaucène et Serres, Séguret, Sablet en association avec Bonjudas Cassini, Crescas et Samuel de Narbonne, Lapalud avec Cassini, Mornas avec Cassini), Vinas de Perpignan (Bollène), Salvet de Beaucaire (Caderousse), Dius de Narbonne et Salvet de Lucete (Pont-de-Sorgues et Entraigues).
  • [100]
     - ASV, Cam. Ap., Coll. 260, fol. 209-210v et fol. 241-243v pour 1321-1322 et ibid., Coll. 261, fol. 48v-58 et fol. 85-88 pour 1322-1323.
  • [101]
     - L’ensemble formé par les revenus d’Oppède, Bonnieux et Ménerbes par exemple se vendait en 1321-1322 pour 4 025 tournois d’argent (mais les enchérisseurs juifs n’en avaient encore payé que 3 850 à la fin de l’année) : ASV, Cam. Ap., Coll. 260, fol. 209v. En 1322-1323, la levée par un damoiseau local, Guillaume Alfant, et par le clavaire Jacques de Crota permit de rassembler 5 048 livres tournois : Coll. 261, fol. 49v.
  • [102]
    Zenobio Thome achète un hôtel parmi les biens des juifs non retenus par la papauté en 1323-24, ibid., fol. 130. En revanche Nicola Gerelli, présenté comme un Italien habitant Carpentras, voit les biens qu’il tente d’acheter au même moment retenus par les officiers pontificaux, ibid., fol. 139. Plusieurs années plus tard, dans les comptes de l’année 1335-1336 (1334-1335 en ancien style et dans les registres), Zenobio Thome est décrit comme un Florentin habitant Oppède (ibid., Intr. et Ex. 141, fol. 57v).
  • [103]
     - Ibid., Coll. 261, fol. 96v.
  • [104]
     - Ibid., fol. 96-97v, fol. 154-156v pour 1323-1324.
  • [105]
     - C. BALASSE, 1306..., op. cit., « Besoin d’argent », p. 283-291.
  • [106]
     - Sur la réforme de la fiscalité pontificale, voir Bernard GUILLEMAIN, La cour pontificale d’Avignon, 1309-1376. Étude d’une société, Paris, E. De Boccard, 1962. Pour évaluer la richesse de Jean XXII, voir K.-H. SCHÄFER, Die Ausgaben..., op. cit.
  • [107]
     - ASV, Cam. Ap., Intr. et Ex. 80, fol. 149.
  • [108]
     - Clavaire de Valréas en 1317-1318 (ibid., Coll. 260, fol. 9, 19v) et en 1319-1324 (ibid., Coll. 260, fol. 70v, 112).
  • [109]
     - Juge de Valréas en 1319-1326 (ibid., Coll. 260, fol. 87-88, Coll. 261, fol. 23, 71, 114, Intr. et Ex. 80, fol. 118), juge criminel jusqu’au 4 décembre 1334 (ibid., Intr. et Ex. 141, fol. 44v), juge et viguier de Carpentras en 1338-1339 (ibid., Registra Avenionensia 53, fol. 347) et 2 mois et demi en 1340-1341 (ibid., Reg. Av. 53, fol. 410v).
  • [110]
     - Clavaire de Valréas en 1318-1319 (jusqu’au 13 octobre 1319, ibid., Coll. 260, 34v, 42, fol. 70v), adjudicataire de Richerenches en 1321-1323 (ibid., fol. 241v, Coll. 261, fol. 85v).
  • [111]
     - Le premier livre de comptes de Jean XXII commence par l’emprunt de 5 000 florins (ASV, Cam. Ap., Intr. et Ex. 14, fol. 1).
  • [112]
     - Sur les débuts du pontificat de Jean XXII, voir B. GUILLEMAIN, La cour pontificale d’Avignon, 1309-1376..., op. cit., et Valérie THEIS, « De Jacques Duèse à Jean XXII. La construction d’un entourage pontifical », Cahiers de Fanjeaux, 45, sous presse.
  • [113]
    Voir B. GUILLEMAIN, Les papes..., op. cit., p. 20-59 ; Edmond ALBE, « Autour de Jean XXII. Les familles du Quercy. Deuxième partie. I. Le frère et les sœurs du pape », Annales de Saint-Louis-des-Français, I, 1902, p. 57-102.
  • [114]
    Voir B. GUILLEMAIN, La cour pontificale d’Avignon, 1309-1376..., op. cit. ; Louis CAILLET, La Papauté d’Avignon et l’Église de France. La politique bénéficiale du pape Jean XXII en France, 1316-1334, Paris, PUF, 1975, et sur la réforme de la Chambre apostolique, voir Valérie THEIS, « La réforme comptable de la Chambre apostolique et ses acteurs au début du XIVe siècle », Mélanges de l’École française de Rome – Moyen Âge, 118-2, 2006, p. 169-182.
  • [115]
     - Sur le palais, voir n. 98. Sur la monnaie, voir Marc BOMPAIRE, « La monnaie de Pont-de-Sorgues dans la première moitié du XIVe siècle », Revue numismatique, 6-25, 1983, p. 139-176 et Edoardo MARTINORI, « La zecca papale di Ponte della Sorga (Contado Venesino) », Rivista italiana di numismatica, XX, 1907, p. 215-256.
  • [116]
    Beaucoup d’entre eux ont laissé des traces dans le chartrier de l’évêque, Carpentras, Bibliothèque Inguimbertine, ms. 560. Voir V. Theis, Le gouvernement..., op. cit.
  • [117]
     - Le 24 octobre 1302, le recteur et son sénéchal avaient obtenu de pouvoir mener les affaires relatives au Comtat Venaissin lorsqu’ils résidaient à Carpentras (ASV, Cam. Ap., Coll. 494, fol. 67). Sous le pontificat de Boniface VIII, l’évêque de Carpentras, Bérenger Forneri, avait été poursuivi à la fois pour des affaires financières et parce qu’un chanoine de Carpentras, Raymond Durandi, avait fait appel au Siège apostolique en l’accusant d’homicide, de sacrilège, de simonie et d’empoisonnement ainsi que d’usage injustifié de l’excommunication sur des frères mineurs et d’autres clercs. La papauté avait fait durer la procédure qui n’avait abouti à aucune condamnation jusqu’en 1307 : Charles GRANDJEAN (éd.), Le registre de Benoît X. Recueil des bulles de ce pape, Paris, Fontemoing, 1905, n990, et Regestum Clementis papae V e Vaticanis archetypis... nunc primum editum cura et studio monachorum ordinis S. Benedicti, Rome, Typographia vaticana, 1885, no1323, 1682 et 1778.
  • [118]
     - Carpentras, Bibliothèque Inguimbertine, ms. 560, pièce 10.
  • [119]
    ASV, Instrumenta Miscellanea 617 : 1317, 30 août-18 septembre, actes relatifs à l’achat de Valréas. Les sommes collectées sont enregistrées dans ASV, Cam. Ap., Coll. 260, fol. 49-53v.
  • [120]
     - Jacques CHIFFOLEAU, Les justices du pape. Délinquance et criminalité dans la région d’Avignon au quatorzième siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 1984.
  • [121]
     - D. NIRENBERG, Violence..., op. cit., p. 59-60.
  • [122]
     - Ibid., p. 62.
  • [123]
    K. R. STOW, « The Avignonese papacy... », art. cit., p. 278-280, et S. GRAYZEL, « Popes, Jews and Inquisition. From Sicut to Turbato », The Church..., op. cit., p. 3-45 et en particulier p. 11.
  • [124]
     - Norman P. ZACOUR, Jews and Saracens in the consilia of Oldradus de Ponte, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 1990.
  • [125]
     - Ibid., p. 6-7.
  • [126]
     - Ibid., p. 8 et p. 22-23, Consilia 128.
  • [127]
     - L. BARDINET, « Condition civile... », op. cit., 1880, p. 34.
  • [128]
     - N. P. ZACOUR, Jews and Saracens..., op. cit., p. 54-58 pour la traduction en anglais et p. 83-84 pour la version latine.
  • [129]
     - Ibid., p. 62-67 pour la version anglaise et p. 86-89 pour l’édition latine.
  • [130]
     - Ibid., p. 28.
  • [131]
     - Ibid., p. 54.
  • [132]
     - Sur la progressive assimilation des juifs à des serfs, voir Alexander PATSCHOVSKY, « The relationship between the Jews of Germany and the king (11th-14th centuries). A European comparison », in A. HAVERKAMP et H. VOLLRATH (dir.), England and Germany in the High Middle Ages, Londres/Oxford, German Historical Institute London/ Oxford University Press, 1996, p. 193-218.
  • [133]
     - N. P. ZACOUR, Jews and Saracens..., op. cit., p. 56-57.
  • [134]
     - Ibid., p. 65.
  • [135]
     - M. KRIEGEL, Les Juifs..., op. cit., p. 230.
  • [136]
     - C. GINZBURG, Le sabbat..., op. cit., p. 48, et D. NIRENBERG, Violence..., op. cit., p. 65.
  • [137]
     - W. C. JORDAN, « The Jews... », art. cit., p. 228-232.
  • [138]
     - S. SIMONSOHN, The Apostolic See..., op. cit., vol. 1, n368, 18 décembre 1345, p. 389-390.
  • [139]
     - Carpentras, Bibliothèque Inguimbertine, ms. 560, pièce 124 ; I. LOEB, « Les juifs de Carpentras... », art. cit. p. 50.
  • [140]
     - S. SIMONSOHN, The Apostolic See..., op. cit., vol. 1, n373, p. 397-398.
  • [141]
     - Ibid., vol. 1, n372, p. 396.
  • [142]
     - D. NIRENBERG, Violence..., op. cit., p. 23.
  • [143]
     - M. KRIEGEL, « Mobilisation... », art. cit., p. 7.
  • [144]
     - Barnett Lionel ABRAHAMS, « The expulsion of the Jews from England in 1290 », The Jewish Quaterly Review, 7-1, 1894, p. 75-100, 7-2, 1895, p. 236-258 et 7-3, 1895, p. 428- 458. Barnett D. OVRUT, « Edward I and the expulsion of the Jews », The Jewish Quarterly Review, 67, 1977, p. 224-235.
  • [145]
     - E.A. R. BROWN, « Philip V... », art. cit.
  • [146]
     - C. BALASSE, 1306..., op. cit., p. 269-314.
  • [147]
     - M. KRIEGEL, « Mobilisation... », art. cit., p. 11-13 et Michael PRESTWICH, Edward I, Berkeley, University of California Press, 1988, en particulier p. 342-346.
  • [148]
     - Robert C. STACEY, « Parliamentary negociation and the expulsion of the Jews from England », in M. PRESTWICH, R. H. BRITNELL et R. FRAME (dir.), Thirteenth century England VI. Proceedings of the Durham conference 1995, Woolbridge, The Boydell Press, 1997, p. 77-101, ici p. 82 : « There was no sense of crisis, therefore, about Edward’s situation in 1289. » Sans être d’accord avec lui sur les causes de l’expulsion des juifs (en particulier sur le rôle qu’a pu jouer la négociation au Parlement afin d’obtenir le consentement pour la levée de nouveaux impôts en 1290, p. 251), Robin R. MUNDILL, England’s Jewish solution, 1262-1290 : Experiment and expulsion, Cambridge, Cambridge University Press, 1998, n’est pas non plus d’accord avec une explication par la crise, insistant plutôt sur les effets sur le long terme du statut des juifs de 1275 (p. 260), sur les convictions personnelles, la piété du roi et ses relations avec le clergé (p. 268-274), ainsi que sur le développement d’un climat favorisant ce type d’action dans l’ensemble de l’Europe (p. 279-285).
  • [149]
     - Gilbert DAHAN (dir.), L’expulsion des Juifs de France, 1394, Paris, Éd. du Cerf, 2004.
  • [150]
     - D. NIRENBERG, Violence..., op. cit., p. 62.
  • [151]
     - M. KRIEGEL, « Mobilisation... », art. cit., p. 15.
  • [152]
     - Ibid., p. 19.
  • [153]
    - C. BALASSE, 1306..., op. cit., p. 312-314.
  • [154]
     - D. NIRENBERG, Violence..., op. cit., p. 82.
  • [155]
     - Ibid., p. 6 : « Mon approche met aussi en cause l’insistance actuelle sur la longue durée dans la chronologie de la persécution des minorités », et ibid., p. 308 : « pour cette raison, l’enchaînement, quelque élégant qu’il soit, de tels épisodes en une ‘longue durée’ de mentalités persécutrices ne peut que laisser inexpliquées les longues périodes d’interaction complexe, apparemment stables, qui les séparent et les produisent. »

1Au début des années 1320, le pape Jean XXII (1316-1334) décida de chasser les juifs du Comtat Venaissin, dont il était le souverain. Mentionnée dès 1880 par Léon Bardinet dans son article de la Revue historique[1], cette expulsion a aussi été évoquée par Carlo Ginzburg dans Le sabbat des sorcières[2]. En dehors de ces deux études, l’épisode occupe dans la bibliographie la place discrète que l’on réserve souvent aux expulsions de portée locale ou régionale. La position institutionnelle du souverain qui la prononça aurait cependant pu justifier une attention supplémentaire : cette décision pontificale constituait en effet une rupture majeure avec ce qu’avait été jusque-là non seulement la politique des papes, qui depuis Grégoire le Grand (590-604) étaient restés fidèles à la ligne établissant la nécessité de la protection des juifs, mais aussi celle de Jean XXII lui-même, qui avait tenté de les défendre face aux Pastoureaux au cours de l’année 1320 [3].

2 Si l’existence de cette expulsion ne fait pas de doute – elle est par exemple rappelée par le pape Clément VI dans une de ses lettres, et clairement attribuée à la volonté du pape Jean XXII [4] –, son étude a en revanche pâti de ne pouvoir être datée avec précision. Même si, depuis les années 1880, la bibliographie a globalement adopté la date de 1322 [5], l’absence de bulle pontificale ou de tout autre document permettant de situer précisément l’expulsion a alimenté des discussions qui la font se déplacer entre 1321 et 1323. La densité des épisodes posant la question des rapports entre les juifs et leurs souverains dans le Comtat Venaissin et dans le royaume de France durant ces trois années rend ce flottement chronologique très problématique pour la compréhension de ce soudain changement au sein de la politique pontificale. Mais au-delà de la question de sa datation, l’épisode semble avoir posé problème aux historiens du judaïsme comtadin : la préservation de l’idée selon laquelle les papes auraient toujours été les protecteurs des juifs a parfois pu constituer pour eux, consciemment ou non, un objectif plus important que le fait de tenter de comprendre pourquoi, au contraire, il n’en avait pas toujours été ainsi.

3 L’incompréhension durable que cette décision suscita explique peut-être qu’il ait fallu attendre le livre de C. Ginzburg pour en avoir une première interprétation. L’expulsion des juifs du Comtat n’y tenait qu’une place très secondaire, mais venait renforcer la thèse globale de l’auteur selon laquelle, au début du XIVe siècle, seraient apparues en Europe de nouvelles formes de persécution touchant, alternativement ou en les associant, les lépreux, les juifs et les sorcières, persécutions qui se développèrent en s’appuyant sur l’idée que ces trois groupes de la population complotaient contre les pouvoirs souverains et contre l’Église. Dans cette perspective, C. Ginzburg s’était en particulier arrêté sur un document permettant de faire entrer l’expulsion des juifs du Comtat dans la conjoncture de peur du complot qui avait d’abord touché la France au début des années 1320. Ce texte, édité par Giovanni Domenico Mansi (1692-1769) dans sa célèbre collection des textes des conciles [6], fit l’objet d’une longue paraphrase dans le premier chapitre de son livre [7]. Il se présente comme une lettre du pape Jean XXII, rapportant la lecture en consistoire d’une lettre de Philippe de Valois, comte d’Anjou et futur Philippe VI (1328-1350). Ce dernier informait le pape d’une série d’événements inquiétants, survenus récemment dans ses domaines (éclipse de soleil, tremblement de terre, boules de feu et dragon), qui auraient suscité une montée de l’hostilité des chrétiens contre les juifs. À l’occasion d’une intrusion dans la maison de l’un d’eux, nommé Bananias, une lettre aurait été découverte, dont le contenu était recopié dans la lettre de Philippe de Valois et repris dans la lettre attribuée à Jean XXII. Adressée à Amicedich, roi des trente et un royaumes, elle rapportait que les juifs avaient passé un pacte avec le vice-roi de Grenade et convaincu les lépreux d’empoisonner les puits et les fontaines au moyen de potions pour permettre au vice-roi d’envahir la chrétienté et de s’asseoir sur le trône de Paris. Si C. Ginzburg était à juste titre persuadé de la forgerie que constituait la lettre prétendument trouvée chez Bananias [8], il acceptait l’authenticité des lettres du comte de Valois et du pape au sein desquelles elle avait été recopiée et il faisait surtout de la lettre de Philippe de Valois la cause la plus probable de l’expulsion des juifs du Comtat [9].

4 Des historiens, comme Kenneth Stow, se sont déjà montrés sceptiques quant à l’idée de faire de la lettre de Philippe de Valois la principale cause du revirement de Jean XXII. Il a notamment signalé que la multiplication des affaires d’empoisonnement impliquant des juifs dans les premières années du règne de Jean XXII aurait pu suffisamment inquiéter le pape pour le persuader que les juifs voulaient effectivement nuire aux chrétiens par le biais de la magie et des sortilèges [10]. Personne ne s’est cependant interrogé sur le statut problématique de la prétendue lettre pontificale rendant compte du contenu de la fausse lettre retrouvée chez Bananias. En outre, l’interprétation et la date proposées par C. Ginzburg ont eu pour conséquence de faire découler la politique pontificale de l’observation des événements qui se produisirent dans le royaume de France au cours de l’été 1321 et de la lier à l’expulsion française de 1322, dont on sait aujourd’hui qu’elle fut probablement projetée mais jamais exécutée [11].

5 Grâce à une série de documents inédits, produits par les officiers pontificaux à cette époque, il est désormais possible de préciser la chronologie et le déroulement de l’expulsion du Comtat [12]. Ces documents permettent d’établir que la décision du pape fut prise avant l’été 1321. Il faut donc chercher ailleurs que dans l’influence du contexte français les causes du revirement dans l’attitude du pape Jean XXII vis-à-vis des juifs. Puisqu’en outre cette expulsion ne concerna pas l’ensemble des États pontificaux, mais un seul d’entre eux, il serait vain d’essayer de lire dans cette décision l’effet d’un changement d’ensemble dans la doctrine pontificale. Cet article se propose en revanche de montrer que cet épisode fut le résultat d’un choix politique de la papauté, qui ne peut se comprendre que dans le cadre d’un contexte et d’un moment particuliers au sein de l’histoire de l’institution pontificale. Les spécificités du Comtat au sein des États de l’Église sont en effet nombreuses : au début des années 1320, ce petit État avait, depuis quelques années seulement, acquis une place cruciale au sein de la politique pontificale. Après l’avoir négligé pendant de longues années, les papes avaient décidé de s’installer dans son immédiate périphérie, à Avignon, en 1309, avant que Jean XXII ne confirme durablement ce choix de résidence qui se poursuivit jusqu’au grand schisme de 1378. L’expulsion des juifs du Comtat coïncida donc avec le moment où la papauté, renonçant à envisager à court terme le retour à Rome, chercha à transformer ces quelques domaines en un véritable territoire, susceptible de favoriser la reconstruction d’une institution alors profondément fragilisée.

6 En replaçant cette expulsion dans un contexte particulier, local, une telle approche pourrait sembler s’inscrire dans la démarche qui fut celle de David Nirenberg dans son ouvrage Violence et minorités au Moyen Âge[13] qui, quoique discuté, est devenu une référence omniprésente dans la bibliographie médiévale [14]. On verra cependant qu’au-delà de cette proximité indéniable, l’étude de cet épisode marquant, aussi bien pour l’histoire de l’institution pontificale que pour celle des populations juives, fournit aussi l’occasion de réfléchir aux interprétations proposées par l’historiographie récente afin d’expliquer la multiplication et, parfois, la montée en puissance des violences et des spoliations dont furent victimes les populations juives à la fin du Moyen Âge. Ces interprétations consistent trop souvent en un jeu de bascule, entre d’une part, une histoire du développement inéluctable de « sociétés de la persécution » et, de l’autre, une histoire qui, sous prétexte de se prémunir des défauts de cette historiographie, en arrive parfois à refuser complètement d’utiliser le terme de persécution et de reconnaître qu’il put exister une spécificité des violences contre les juifs et une montée en puissance de ces dernières à certains moments de l’histoire. L’exemple du Comtat semble à même de montrer que la multiplication des attaques dont furent victimes les juifs fut une réalité de la fin du Moyen Âge, dont l’interprétation peut se passer de tout recours à une quelconque « mentalité persécutrice [15] ». Il permet aussi de mettre en regard des historiographies qui se sont jusque-là souvent développées de manière très indépendante – l’étude des juifs au Moyen Âge, de la papauté ou du royaume de France – au point que les apports récents dans chacun de ces domaines n’ont pas toujours permis une meilleure compréhension des épisodes de persécution médiévaux.

7 À travers l’exemple de la politique pontificale, on voudrait montrer qu’à la fin du Moyen Âge, le pouvoir souverain ne se contenta pas de réagir à une conjoncture politique étrangère ou de se faire le bras armé de revendications « populaires ». L’épisode de l’expulsion pontificale est inséparable d’un contexte de renforcement local des structures étatiques et permet de mettre en évidence certaines logiques politiques propres au pouvoir souverain médiéval qu’il importe de ne pas renoncer à éclairer [16]. À cette fin, on voudrait commencer par revenir sur les conditions dans lesquelles cet épisode fit son apparition dans l’historiographie, dans la mesure où celles-ci permettent de mieux comprendre la place discrète qui lui a durablement été assignée, avant de voir ce qu’un réexamen de la documentation classiquement utilisée par les historiens et l’étude des nouveaux documents auxquels nous avons fait allusion peuvent apporter, non seulement à la compréhension du déroulement de l’expulsion, mais surtout à son interprétation.

L’expulsion pontificale, une réalité difficile à accepter par les historiens

8 Si l’expulsion du début des années 1320 fut un épisode dramatique pour les populations juives qui vivaient dans le Comtat Venaissin, en particulier dans les villes de Carpentras, L’Îsle-sur-la-Sorgue et Cavaillon [17], elle semble l’avoir été aussi, quoiqu’évidemment dans une moindre mesure, pour les historiens qui, à partir de la fin du XIXe siècle, tentèrent de produire une histoire scientifique des rapports entre juifs et chrétiens. Mentionné dans de nombreuses chroniques, cet épisode est devenu un objet d’histoire dès 1880, moment qui correspond non seulement aux débuts de la parution de la Revue des Études juives mais aussi à l’annonce par Isidore Loeb, rabbin et titulaire de la chaire d’histoire du séminaire rabbinique de Paris, de sa volonté de publier un recueil de tous les documents qu’il pourrait trouver concernant l’histoire des juifs de France. Cette tâche colossale ne fut jamais achevée, mais elle donna l’occasion à I. Loeb d’établir des relations de travail régulières avec des archivistes et historiens qui, comme le signale Simon Schwarzfuchs, n’étaient pour la plupart pas juifs et qui produisirent un certain nombre de travaux pour la nouvelle revue, contribuant ainsi à créer une histoire commune des juifs de France [18]. L’orientation nettement positiviste et patriotique de la Revue des Études juives participa sans doute au fait que la jeune revue trouva très vite un écho favorable dans les milieux scientifiques de l’époque [19]. L’un des premiers historiens non juif ayant travaillé avec I. Loeb fut L. Bardinet qui, l’année de la publication de son article dans la Revue historique, en proposa un autre à la nouvelle Revue des Études juives intitulé l’« Antiquité et organisation des juiveries du Comtat Venaissin [20] ». L’article de la Revue historique, qui évoquait l’expulsion, fut rapidement complété par un article d’I. Loeb qui en précisait le déroulement à partir de l’étude de la communauté juive de Carpentras [21]. Au-delà d’une certaine convergence dans leur vision globale du monde [22], le ton des deux articles, comme la version qu’ils donnent de l’expulsion, sont cependant relativement différents.

9 La relative rigueur avec laquelle L. Bardinet commence par présenter l’expulsion, en s’appuyant sur les sources limitées dont il dispose à l’époque, contraste avec le commentaire dont il fait suivre son récit. Selon lui, l’afflux dans le Comtat de juifs, chassés par le roi de France après avoir été accusés d’avoir comploté avec les lépreux contre les chrétiens, aurait attisé la haine de leurs ennemis, désignés comme le clergé – surtout le clergé inférieur –, le peuple, leurs débiteurs et leurs rivaux dans le commerce et l’industrie. Ceux-ci auraient fait pression sur le pape pour qu’il expulse les juifs, ce qu’il aurait commencé à faire à Bédarrides en 1321, puis à Carpentras, deux lieux où la synagogue fut remplacée par une chapelle, avant d’étendre la mesure au reste du Comtat et à Avignon, dont le pape n’était pourtant pas le souverain [23]. À partir de là, son récit perdait tout contact avec ce que les sources nous apprennent. En ne s’appuyant que sur l’histoire des juifs de Jacques Basnage, de 1716 [24], L. Bardinet déclarait en effet que sur la prière de Robert de Naples, souverain d’Avignon, Jean XXII s’était empressé de révoquer son édit d’expulsion et concluait en affirmant : « Benoît XII, successeur de Jean XXII, ne se montra pas moins bienveillant envers les juifs, puisqu’on a remarqué que sous son pontificat (1334-42), la population israélite du Comtat avait augmenté [25]. » Aucune des sources concernant le Comtat à l’époque de Benoît XII n’atteste pourtant une telle croissance. On date habituellement le retour des juifs dans le Comtat Venaissin du pontificat de Clément VI, et plus précisément de 1345 [26]. I. Loeb pensait que le pape Clément VI avait autorisé les juifs à revenir dès son avènement en 1342, mais il n’était en mesure d’observer ce retour qu’à partir de 1344 [27]. Cette date correspond à ce qu’on observe pour le reste du Comtat grâce aux comptes des trésoriers pontificaux [28]. I. Loeb défendait en effet la réalité de l’expulsion et formulait trois hypothèses pour l’expliquer : l’exemple du roi de France, les réclamations des populations du Comtat contre l’arrivée des juifs chassés de France et la crainte de la peste [29]. Contredisant L. Bardinet, il tentait d’expliquer son erreur en la faisant remonter à la chronique de Joseph Ha-Cohen (1496-vers 1575), médecin juif ayant vécu une partie de sa vie à Avignon, auteur du célèbre ouvrage La vallée des pleurs (Emeq ha-bakha)[30], dans lequel il racontait que Jean XXII aurait été convaincu d’expulser les juifs par sa sœur Sancha, mais que le roi de Naples aurait manifesté son désaccord avec cette décision. Associé à cette protestation, le don par les juifs de la somme de 20 000 pièces d’or à la sœur du pape aurait convaincu celle-ci de cesser de l’influencer, ce qui aurait permis de ne jamais mettre en application l’édit d’expulsion [31]. C’est dans cette même chronique que l’on trouvait l’idée qu’en 1321, la peste sévissait dans le royaume de France, d’où la dernière hypothèse formulée par I. Loeb pour expliquer l’expulsion, qui résulte d’une confusion avec le prétendu complot d’empoisonnement des lépreux [32]. Le rôle donné au roi de Naples par J. Ha-Cohen renvoyait au fait que, contrairement à ce que L. Bardinet et I. Loeb affirmaient, les juifs n’avaient alors pas été expulsés de la ville d’Avignon qui était sous la souveraineté de ce prince [33]. Au total, en dépit de la reprise discutable d’un passage de J. Ha-Cohen sur la peste pour formuler une de ses interprétations, le travail d’I. Loeb, qui pouvait certes s’appuyer sur celui, antérieur, de L. Bardinet, apparaissait beaucoup mieux documenté et beaucoup plus neutre que celui de son prédécesseur qui avait choisi d’adopter un cadre d’interprétation le contraignant à rejeter ou à minimiser tous les éléments pouvant fragiliser la thèse de la bienveillance des papes à l’égard des juifs : « Ainsi, au XIVe siècle, le séjour des papes à Avignon n’eut pas seulement pour résultat d’arracher les Israélites à une mort presque certaine, mais aussi de propager, dans toutes les classes de la société, les principes de tolérance et de bienveillance professés par les souverains pontifes à l’égard d’une race partout malheureuse et proscrite, et d’habituer ses ennemis, même le clergé et le peuple, à les supporter à côté d’eux [34]. »

10 On pourrait facilement ironiser sur cette historiographie datée, sur la prétention de la Revue historique à incarner, mieux encore que la jeune Revue des Études juives, une forme d’excellence scientifique, ou interpréter le choix de cette ligne directrice comme l’incapacité de certains auteurs à se détacher des idées de leur milieu et de leur temps et de résister à la tentation de défendre, envers et contre tout, les agissements du pape. Tout cela n’est sans doute pas complètement faux, mais laisse de côté le fait que cette défense ou cette atténuation des responsabilités du pape semblent avoir existé de manière ancienne chez les chroniqueurs juifs eux-mêmes, comme le montre l’exemple de J. Ha-Cohen [35]. Il n’est pas anodin en effet que celui-ci ait choisi de faire peser la responsabilité de la volonté d’expulser les juifs sur une femme plutôt que sur le pape. Elle néglige aussi le fait que ce réflexe d’atténuation de l’événement, voire son oubli, se retrouvent parfois aujourd’hui chez les historiens. Invité en 2001 à présenter les velléités d’expulsion dans le Comtat Venaissin et à Avignon au XVIe siècle, René Moulinas débutait son article en citant quelques-unes des expulsions médiévales des juifs et en concluait que : « Les papes sont parmi les rares souverains qui résistent à cette volonté générale de chasser hors de la vue des Chrétiens, ces descendants trop fidèles d’Israël qui refusent obstinément de reconnaître en Jésus de Nazareth le messie annoncé par leurs prophètes [36]. » Ailleurs, lorsque l’expulsion est évoquée, elle est toujours mise en balance avec la protection accordée aux juifs par Jean XXII au moment de l’attaque des Pastoureaux [37], comme si la question était avant tout de juger un homme et ses actions. On pourrait objecter que le texte de R. Moulinas fut écrit alors qu’il signalait lui-même n’avoir plus retravaillé le sujet depuis longtemps. On peut au contraire ne l’en trouver pour cette raison que plus intéressant, car il témoigne de la force d’imposition d’un certain nombre d’idées reçues. Écrivant de mémoire, il était toujours possible pour un historien au début des années 2000 de n’associer l’attitude des papes vis-à-vis des juifs qu’à leur protection. Comme il n’en fut pas ainsi, il convient à présent d’essayer de redonner une forme aussi claire que possible aux décisions pontificales qui touchèrent les juifs comtadins au début des années 1320.

Le flou des dates et des lieux

11 Puisque l’épisode qui nous intéresse a jusqu’ici toujours été relié à des événements extérieurs au Comtat qui ont fini par en conditionner la datation, deux questions préalables conditionnent toutes les interprétations qu’on serait susceptible de formuler : celle de la date de la décision du pape, et celle de savoir si l’expulsion consista en un unique épisode ou si, comme le pensait L. Bardinet, elle toucha d’abord la seule ville de Bédarrides en 1321, puis l’ensemble du Comtat vers 1322-1323.

12 Si la date du retour des juifs dans le Comtat a été, on l’a vu, établie dès les premiers travaux d’I. Loeb, celle de leur départ reste en revanche, aujourd’hui encore, bien difficile à établir. On ne dispose d’aucun acte d’expulsion émis par la papauté, de même que lors de l’expulsion des juifs de France en 1306. Céline Balasse, qui a étudié l’abondante documentation produite à l’occasion de cette expulsion et de ses longues suites – la vente par les officiers royaux des biens des juifs et la récupération de leurs créances s’étant poursuivie jusqu’à l’été 1311 [38] –, n’en a en effet pas retrouvé. Elle pense que cela aurait pu être la conséquence d’une volonté de tenir secrète le plus longtemps possible la décision du roi, afin de ne pas donner aux juifs l’occasion de fuir avant d’être emprisonnés ou de tenter de dissimuler une partie de leurs biens et de leurs livres de créances. Les commissaires chargés par le roi de mettre en œuvre l’expulsion se virent donc communiquer leurs instructions de vive voix [39]. Rien ne permet d’aller aussi loin pour expliquer l’absence d’une décision pontificale écrite mais, même si le mode opératoire du pape fut très différent de celui du roi de France, il n’est pas impossible d’imaginer qu’on ait souhaité, dans un premier temps tout au moins, entourer cette expulsion d’une certaine discrétion.

13 En l’absence de document, la plupart des chercheurs a souvent choisi de dater l’expulsion de 1322. Dans Le sabbat des sorcières, C. Ginzburg rappelait que la date de 1322 avait été contestée de manière ancienne par Noël Valois [40], qui s’appuyait sur une lettre de Jean XXII, datée du 20 février 1321, expliquant que le pape avait fait construire à Bédarrides une chapelle à la place de l’ancienne synagogue et que trois chapelains devaient y être nommés [41]. Cet acte était complété par un second, deux jours plus tard, affectant à la chapelle un certain nombre de biens. L’acte précisait qu’ils avaient été achetés à des juifs [42]. Si l’on admettait que la destruction de la synagogue et la construction de la chapelle de Bédarrides étaient le résultat d’un édit d’expulsion émis par le pape, il devenait alors impossible de lier la décision de ce dernier au prétendu complot des juifs et des lépreux dont la rumeur ne se répandit en France qu’au printemps et à l’été 1321, ce qui sapait la théorie proposée par C. Ginzburg. Ce dernier réfuta donc cette datation en affirmant que la construction de la chapelle de Bédarrides ne pouvait impliquer une expulsion des juifs, puisqu’elle avait été établie sur des terrains achetés à des juifs précisément nommés [43]. Un tel argument, qui supposait que ces juifs aient quitté volontairement la ville après y avoir vendu leurs biens, est problématique car il repose sur l’association automatique entre expulsion et saisie des biens, ce qui n’a rien d’évident. On verra que l’expulsion du Comtat ne s’accompagna pas d’une telle saisie, et on peut rappeler que l’expulsion sans saisie fut aussi le choix des souverains espagnols lors de l’expulsion de 1492 [44]. Lorsqu’il évoquait l’expulsion censée avoir eu lieu en France en 1322, J. Ha-Cohen précisait aussi que les juifs avaient été autorisés à conserver leurs biens [45].

14 La remarque de C. Ginzburg n’en attire pas moins l’attention sur un certain nombre de problèmes posés par les documents dont nous disposions jusqu’ici pour étudier la mise en place de l’expulsion. Son choix de datation revient, comme le faisait L. Bardinet, à séparer nettement les événements de Bédarrides et ceux du Comtat [46] et les lettres pontificales concernant les juifs semblent à première vue aller dans ce sens. En plus de la lettre portant sur Bédarrides, en février 1321, deux lettres pontificales, datées du 27 mai 1323, concernant les villes de Noves et de Carpentras, ont en effet été conservées [47]. Toutes deux sont très proches l’une de l’autre et présentent un écart très net avec la première, aussi bien dans leur date d’émission que dans leur contenu. Dans les lettres de 1323, le pape rappelle que les juifs ont fait l’objet de plusieurs monitions charitables ainsi que de prédications afin de les convaincre de se convertir, mais qu’ont préféré demeurer dans leur aveuglement et ont, de ce fait, été expulsés [48]. Cette allusion renvoie à ce qui semble avoir été une politique de Jean XXII destinée à favoriser les conversions dans le Comtat, politique maniant à la fois la douceur et la force, en supprimant, d’un côté, la règle qui voulait que lorsqu’un juif se convertissait, il soit considéré comme un traître vis-à-vis de son seigneur et ainsi dépouillé de tous ses biens [49], mais en faisant, de l’autre, saisir les livres des juifs afin de les faire brûler [50]. Le texte des deux lettres précise qu’après cette expulsion, le pape avait fait construire une chapelle à la place de la synagogue, mais que les chapelains n’étaient pas encore nommés, ce qui n’advint qu’en juillet 1323 [51]. Même si l’on peut toujours suspecter la papauté d’avoir assimilé, de manière anticipée, le moment de sa prise de décision à la fin des travaux de construction de la chapelle, des chapelains furent effectivement nommés à Bédarrides dès septembre 1321, soit presque deux ans avant ceux de Noves et de Carpentras [52]. Cet écart s’ajoute au fait que les deux lettres de 1323 évoquent clairement une expulsion, quand celle de 1321 ne fait que mentionner le fait que des juifs avaient auparavant vécu à Bédarrides, sans préciser les causes de leur départ.

15 La distinction entre les événements de Bédarrides et l’expulsion pontificale semblerait donc la plus convaincante si les sources inédites que nous évoquions en introduction, qui émanent directement des officiers locaux de la papauté dans le Comtat, ne venaient contredire cette reconstruction des événements permise par les lettres du pape. En effet, les comptes du trésorier du Comtat Venaissin pour l’exercice du 9 mars 1320 au 9 mars 1321 indiquent clairement que la vente des biens des juifs commença dans le Comtat dès cette année-là [53]. La rubrique du registre comptable réservée à la transcription de l’audition des comptes du clavaire de Pernes rapportait la visite dans cette ville d’Adémar Ameilh, trésorier de la Chambre apostolique, d’Étienne de Vidalhac, juge du Comtat et de Guillaume de Granhols, trésorier du Comtat, « pour l’affaire des juifs, afin que tous les biens qu’ils avaient dans le Comtat soient vendus [54] ». La même année, le trésorier du Comtat se rendit à Bonnieux « pour les dettes des juifs [55] ». L’obligation faite aux juifs de vendre leurs biens commença donc probablement dès la fin de l’année 1320, ce qui rend possible le fait que la chapelle de Bédarrides ait été achevée ou quasiment achevée au début de l’année 1321. L’écart de deux ans entre la construction de cette première chapelle et celles de Carpentras et de Noves renvoie donc simplement au fait que l’opération globale se déroula sur une longue durée. Si l’on se souvient qu’en France les opérations de saisie et de vente des biens des juifs, débutées en 1306, s’étaient déroulées dans chacun des bailliages et sénéchaussées jusqu’en 1311 – les derniers actes relatifs à cette expulsion se prolongeant jusqu’en 1314 [56] –, l’écart temporel entre les différentes opérations liées à l’expulsion des juifs du Comtat n’apparaît pas si étonnant.

16 Comment expliquer cependant la place particulière occupée par les seules villes de Bédarrides et de Noves au sein de la documentation conservée ? Le caractère ponctuel de l’érection de ces chapelles a d’abord pu faire penser à une action de l’inquisition, cette institution ayant à de multiples reprises joué un rôle déterminant dans les affaires de transformation des synagogues en églises [57]. Cette hypothèse fut formulée par Solomon Grayzel qui y voyait la conséquence du retour au judaïsme de juifs récemment convertis et pensait même que Bernard Gui aurait pu jouer un rôle dans cette affaire, mais elle a été fortement contestée par Yosef Hayim Yerushalmi, qui pensait à la fois qu’une action de l’inquisition aurait donné lieu à des procès plutôt qu’à une expulsion et que Bernard Gui n’aurait pas manqué d’évoquer son rôle dans l’expulsion des juifs dans sa chronique du pontificat de Jean XXII s’il y avait joué un rôle quelconque [58]. Il est impossible de trancher sur ce point, mais une autre hypothèse peut être formulée, qui repose sur le statut politique particulier de ces deux villes. Bédarrides, comme Noves, n’étaient pas des castra placés sous le contrôle souverain ou seigneurial du pape, mais des fiefs que l’évêque d’Avignon tenait directement de l’empereur [59]. Or, puisqu’à l’époque qui nous intéresse, il était désormais de plus en plus communément admis – sans empêcher les contestations régulières des évêques et des seigneurs laïcs – que la politique de gestion des rapports avec les communautés juives relevait du souverain, une intervention du pape en ces deux lieux n’était en rien évidente [60]. Elle put pourtant sembler nécessaire à Jean XXII dans la mesure où il y disposait de bâtiments pontificaux, qu’il venait de faire transformer à grands frais, et qu’il traitait ces deux castra comme des annexes du Comtat [61]. Un événement permit au pape de donner une justification institutionnelle à cette pratique d’annexion : après la mort, en juin 1317, de son neveu Jacques de Via qui était évêque d’Avignon [62], le pape conserva cet évêché entre ses mains et en contrôla tous les domaines [63]. La situation politique particulière de ces deux lieux, qui n’étaient sous le contrôle du pape que de manière transitoire et à la faveur de montages politiques complexes, pourrait ainsi permettre de comprendre pourquoi la documentation pontificale leur consacra une place à part quand, en revanche, les affaires du Comtat pontifical furent confiées au recteur pontifical et à ses officiers, laissant de ce fait des traces plus discrètes, logiquement incluses dans la documentation pontificale locale.

17 Les comptes du trésorier du Comtat Venaissin ne se contentent pas de préciser la question du début de l’expulsion, ils éclairent aussi en partie le déroulement des opérations de vente des biens des juifs. Au sein de ces registres, trois séries de documents relatifs aux biens des juifs ont été conservées. La première date de 1323-1324. Le registre de comptes de cette année-là contient quelques rubriques inhabituelles, dont deux ont ensuite été cancellées : une liste des biens achetés ou confisqués à des juifs de Valréas [64] et une liste de vente de biens appartenant autrefois à des juifs de Carpentras [65]. Ces deux listes sont suivies d’une rubrique dont le titre indique qu’elle enregistre l’estimation de la valeur des hôtels achetés à Carpentras à la demande du pape pour servir à l’installation des services pontificaux chargés du gouvernement du Comtat [66]. La rubrique suivante détaille les échanges effectués entre des hôtels qui appartenaient autrefois à des juifs de Carpentras et les hôtels destinés à accueillir les officiers de la cour du Comtat qui avaient été estimés dans la rubrique précédente [67]. Ce premier ensemble documentaire se termine par d’autres rubriques portant sur les dépenses nécessaires pour la construction de la chapelle de Carpentras, le logement des chapelains et sa dotation [68]. La seconde série de documents se trouve dans une copie du registre précédent, qui correspond à une phase d’élaboration successive du compte puisque les deux listes cancellées ont été entre-temps supprimées [69]. Enfin, dans un troisième temps, les deux rubriques cancellées de 1323-1324 sont reprises, après avoir été augmentées, notamment de biens concernant Aubignan, dans un compte annuel daté de 1325-1326 [70]. Il est alors précisé que les biens de ces rubriques ont été confisqués parce qu’ils n’avaient pas été vendus dans les temps par les juifs [71].

18 Le pape avait donc accordé aux propriétaires juifs un délai pour vendre leurs biens, mais il est impossible d’en connaître la durée. Dès les premiers documents, certains biens sont signalés comme ayant été confisqués par la Cour, mais il est difficile de savoir si la confiscation fut prononcée pour cause de dépassement du délai ou parce que les propriétaires s’étaient rendus coupables d’une irrégularité aux yeux de l’administration pontificale. Les officiers du pape avaient en effet reçu l’ordre de retenir en la main du pape les biens des juifs jugés intéressants, le droit de prélation du pape s’appliquant de toute manière à l’ensemble des ventes qui se déroulaient en temps normal dans le Comtat. Ainsi, tout propriétaire vendant son bien devait obligatoirement se signaler à l’administration pontificale et ceux qui purent être tentés de se soustraire à une telle obligation risquaient de voir leurs biens confisqués avant même la fin du délai octroyé par le pape [72].

19 Sans que l’on puisse dater la fin de ce délai, les comptes du trésorier du Comtat permettent d’observer à partir de quelle année les populations juives disparurent de ce territoire. En effet, certains juifs étaient, on l’a signalé, des acheteurs réguliers d’une partie des revenus seigneuriaux du pape dans le Comtat. À ce titre, leur nom était enregistré chaque année dans la rubrique récapitulant les revenus seigneuriaux du pape. Dès l’exercice 1322-1323, ils avaient presque tous disparu de cette rubrique, à l’exception de deux d’entre eux, Bonjudas Cassini et Boniface Nigri, qui avaient acquis pour plusieurs années les revenus de Roaix pour la somme de 4 500 tournois d’argent par an et furent visiblement autorisés à mener à terme leur engagement [73]. En 1323-1324, il ne restait plus aucun fermier juif.

20 Pour résumer, la vente forcée des biens des juifs décidée entre la fin de l’année 1320 et le début de l’année 1321 fut suivie de leur expulsion qui dut se dérouler entre 1322 et 1323, la gestion par l’administration pontificale des conséquences de l’expulsion s’étant ensuite prolongée jusqu’en 1326. Cet étalement de l’épisode sur une longue durée permet de revenir sur la différence de contenu des lettres pontificales de 1321 et de 1323. On a émis plus haut l’hypothèse selon laquelle l’administration pontificale aurait pu vouloir rester discrète, dans un premier temps, sur ses intentions à l’égard des juifs. En effet, de même qu’au Moyen Âge, l’expulsion des juifs ne s’accompagnait pas forcément de la saisie de leur bien, la saisie de ces biens n’était pas toujours suivie d’une expulsion. Le royaume de France fournit au cours des XIIe et XIIIe siècles de nombreux exemples de confiscations permanentes ou temporaires, la saisie des biens étant dans ce second cas levée contre une forte « amende » [74]. Cette pratique s’est poursuivie par la suite et permet de comprendre ce qui s’est passé en France en 1322. Elizabeth Brown a montré que la prétendue expulsion des juifs de France de 1322 n’avait jamais eu lieu. Il est possible qu’en décembre 1321, juste avant de mourir, le roi Philippe V ait pris la décision d’expulser les juifs du royaume [75], mais cette expulsion ne fut jamais mise en œuvre car, avant qu’elle soit prononcée, avait été décrétée, entre juin et octobre 1321, la levée d’une amende de 150 000 livres dont la perception fut jugée comme une priorité par Charles IV, le successeur de Philippe V. Jusqu’en 1326, il se préoccupa de faire rentrer l’argent de cette amende, ce qui l’obligea à renoncer à l’expulsion des juifs, dont la présence est attestée dans le royaume entre 1322 et 1326 [76]. La menace de l’expulsion servit d’abord à convaincre les communautés juives de la nécessité de payer ces sommes considérables. Ce parallèle montre qu’en l’état de notre connaissance de la documentation, on ne peut assurer que les juifs du Comtat aient été avertis dès 1320-1321 que la vente forcée de leurs biens serait suivie d’une expulsion. Cette hypothèse expliquerait pourquoi, en février 1321, alors que la vente des biens des juifs avait déjà commencé, la lettre pontificale n’utilisait pas encore le terme d’expulsion. Il est en revanche peu probable que le pape n’ait pas eu, dès le début, l’intention de faire suivre la vente des biens des juifs d’une expulsion. La destruction des synagogues, terminée dès février 1321 à Bédarrides, dut achever de lever toute ambiguïté sur ce point, le maintien sur place des populations juives ne pouvant être envisagé sans celui de leurs lieux de culte. Lorsque les juifs revinrent à Carpentras sous le règne de Clément VI, une de leurs premières préoccupations fut de retrouver une synagogue, ce qui leur fut accordé par l’évêque dès janvier 1344, à condition que celle-ci ne dépasse pas les dimensions de celle qui existait du temps de Jean XXII [77].

21 Cette nouvelle fourchette chronologique large, débutant en 1320-1321 et se terminant en 1325-1326, permet donc de lever certains obstacles posés par la documentation, mais elle en fait apparaître de nouveaux : elle pose en particulier le problème de l’interprétation des causes de l’expulsion.

L’éloignement des lépreux et du roi de France

22 Dans Le sabbat des sorcières, C. Ginzburg interprète le revirement du pape Jean XXII comme le résultat de la lettre qui lui aurait été envoyée par Philippe de Valois au cours de l’été 1321. Son contenu incroyable, longuement développé par l’historien, a valu à ce document, auparavant négligé, d’être depuis régulièrement cité, même lorsqu’il s’agissait de mettre en doute l’effet qu’il avait pu avoir sur le pape [78]. Philippe de Valois y rapporte qu’après une série d’événements ayant suscité la terreur de la population, celle-ci avait commencé à s’en prendre aux juifs et qu’à cette occasion, on trouva la lettre à laquelle nous faisons allusion en introduction. Écrite en caractères hébraïques sur une peau de mouton, portant un sceau représentant un petit personnage en train de déféquer sur le visage du Christ en croix, elle faisait mention d’un complot associant le vice-roi de Grenade, les juifs et les lépreux dans un projet de destruction de la chrétienté commençant par le royaume de France [79]. Dans le contexte de l’été 1321, le contenu de cette fausse lettre n’était pas surprenant. C. Ginzburg a bien montré qu’à cette époque, une série de documents furent forgés afin d’associer les juifs à un complot imaginaire qui ne concernait au départ que les lépreux. Les chroniqueurs de l’époque écrivent pour la plupart que l’idée d’un complot impliquant les juifs, les lépreux et le vice-roi de Grenade apparut pour la première fois dans le témoignage d’un des lépreux arrêtés, que Jean l’Archevêque, seigneur de Parthenay, fit parvenir à Philippe V [80]. On la retrouve dans le procès du clerc Guillaume Agassa, que Jacques Fournier, futur Benoît XII, alors évêque de Pamiers, avait confié à Marc Rivel [81], puis dans deux fausses lettres, accompagnées d’une déclaration datée de Mâcon le 2 juillet 1321, dans laquelle des notables locaux affirmaient que le contenu des lettres avait été traduit de l’arabe [82].

23 Dans un tel contexte, se pose le problème de l’authenticité de la lettre attribuée à Jean XXII sur laquelle s’appuie C. Ginzburg [83]. Absente des registres pontificaux, elle ne porte aucune mention de date, ce qui ne suffirait pas en soi à la disqualifier, mais si l’on ajoute que le formulaire employé s’éloigne très vite de celui dont on use habituellement dans les lettres pontificales [84] et que l’ensemble des noms de lieux français est écrit, justement, en français et non en latin [85], on s’étonne qu’elle ait pu figurer dans l’édition de Mansi [86]. Bien que les grands recueils érudits du XVIIIe siècle soient loin d’être exempts de défauts, il est impossible que de telles irrégularités n’aient pas frappé leurs éditeurs, rompus à la diplomatique pontificale, de même qu’il est étrange qu’elles n’aient pas alerté C. Ginzburg, à tel point qu’on peut se demander dans quelle mesure le contenu pour le moins atypique de la lettre en question n’aurait pas exercé sur ces derniers une forme de fascination propre à abolir momentanément leur regard critique.

24 Un document permet de montrer qu’elle fut probablement le fruit d’une falsification ancienne. La prétendue lettre de Jean XXII se retrouve telle quelle dans une chronique contemporaine, celle de Pierre de Zittau (Petrus Zittaviensis, 1275-1339), abbé cistercien du monastère de Zbraslav (Königsaal) en Bohême, appelé à l’époque Aula Regia, d’où le nom donné à la chronique écrite par cet abbé, Chronica Aule Regie (ou Chronicon Aule Regie) [87]. La lettre du pape prend place à l’intérieur de l’année 1321 [88] ; elle est précédée d’une mention de l’auteur expliquant comment il se l’était procurée. Il en aurait eu connaissance grâce à un moine du monastère cistercien de Morimond qui lui aurait dit l’avoir obtenue à la cour romaine, et Pierre l’aurait transcrite de sa propre main, sous la dictée. La manière dont il admettait ensuite ne pas savoir si elle émanait vraiment du pape, s’en remettant aux lecteurs, semble un demi-aveu concernant le statut de cette lettre [89]. Pierre de Zittau fut sans doute la source des recueils de lettres du XVIIIe siècle et le document qu’il cite semble davantage s’inscrire dans le cadre de l’entreprise de construction d’un lien entre le « complot » des lépreux de 1321 et les juifs, qu’être lié à l’affaire du Comtat. Il s’intègre parfaitement dans le contexte français mis en valeur par C. Ginzburg, mais ne dit probablement rien des causes de la décision de Jean XXII. S’il est probable que la fausse lettre de Bananias, ou sa version intégrée dans une lettre de Philippe de Valois, ait circulé au cours de l’été 1321 en même temps que les autres lettres concernant le complot des juifs et des lépreux, rien ne permet d’affirmer que le pape en ait jamais eu connaissance [90]. Le statut très incertain de la lettre de Philippe de Valois empêche d’en faire l’élément susceptible d’avoir fait évoluer la position du pape sur les juifs dans la seconde partie de l’année 1321, conduisant à une expulsion en 1322.

25 Une fois écarté le lien qui rattachait l’expulsion au contexte français des années 1321-1322, il n’apparaît plus possible de défendre la thèse d’une forme d’influence de la politique française sur celle du pape. On se souvient que l’année 1320 avait été marquée par une forte activité du pape en faveur de la conversion, qu’il s’agisse de défendre les biens des convertis ou de brûler les livres de ceux qui se refusaient à accepter la conversion. Replacée dans un contexte plus précoce, celui des suites de l’attaque des Pastoureaux et des pressions exercées par le pape sur les populations juives pour que celles-ci se convertissent, la décision de chasser les juifs du Comtat apparaît comme le résultat d’une véritable politique pontificale, qu’il s’agit à présent d’essayer de comprendre.

Une opération immobilière et financière ?

26 On peut d’abord revenir aux comptes inédits concernant la constitution à Carpentras d’un quartier réservé à l’administration pontificale à l’occasion de la vente des biens des juifs [91]. Ces documents permettent de poser l’une des questions classiques lorsqu’on touche aux expulsions de juifs médiévales, celle de l’intérêt financier que pouvaient y trouver les souverains. À Carpentras, la papauté procéda à une série d’expropriations de propriétaires chrétiens afin d’installer la cour du recteur du Comtat dans des hôtels du centre-ville. Pour dédommager les personnes expropriées, elle leur remit en échange d’autres hôtels, achetés à des juifs forcés de vendre leurs biens avant de quitter le Comtat. Les documents comptables présentent d’abord les estimations de dix-huit biens immobiliers dont on dit qu’ils ont été achetés « à la demande de notre seigneur le pape » pour faire « l’hôtel pontifical dans lequel doivent résider le juge mage, le procureur fiscal, le trésorier et le viguier et dans lesquels doivent se tenir la cour du juge et du viguier susdits » [92]. L’estimation de la valeur de ces hôtels atteint la somme totale de 2 925 livres. Dans la rubrique suivante, il est expliqué que « pour compenser et s’acquitter de ces hôtels estimés et retenus pour le palais et l’hôtel pontifical, ont été remis des hôtels qui furent ceux des juifs qui habitaient autrefois à Carpentras [93] ». La liste globale, récapitulée dans le tableau suivant, montre que la majorité de ces hôtels a été achetée, mais il est précisé pour six d’entre eux qu’ils ont été confisqués.

27 Le principe de l’échange est original et profite d’un double phénomène souvent observé lors des expulsions : le fait que les propriétaires chrétiens sachent que les juifs étaient obligés de vendre rapidement leurs biens, ainsi que la mise sur le marché d’un grand nombre de ces biens, avaient pour effet de faire baisser le prix de vente des hôtels par rapport à leur valeur réelle. En 1306, la prise de conscience par les officiers royaux que le bénéfice des ventes se trouvait largement amoindri par la multiplication de celles-ci sur une courte période les avait d’ailleurs conduits à stopper momentanément les ventes de biens saisis pour les étaler sur une plus longue période [94]. Ici, puisque la papauté avait autorisé les juifs à vendre leurs biens mais avait donné l’ordre à ses officiers de les retenir pour son compte au prix du marché, elle avait en revanche tout intérêt à ce que ceux-ci soient bas. On constate dans le tableau qui précède que les prix des biens achetés aux juifs ne correspondaient pas à la valeur à laquelle les officiers pontificaux les estimaient : les propriétaires juifs avaient donc bien été obligés de vendre à perte. Mais toute l’habileté des officiers pontificaux consista à fonder les échanges avec les propriétaires chrétiens non sur la valeur d’achat des hôtels des juifs, mais sur leur valeur estimée. Le texte présente ainsi cinq variantes de cette opération immobilière, qui donnent presque toujours l’avantage à l’administration pontificale.

Nom de la
personne à dédommager
Prixde Nomdu Estimation Prixdevente Pourcentage
l’hôtel propriétaire de l’hôtel de l’hôtel de perte pour Prix total Somme % d’économie
retenupar del’hôtel donné donnéen lepropriétaire payépar gagnéepar pourla
lepape déocnhnaéngeen enéchange échange juif lapapauté lapapauté papauté
Feu Raymond de Mazan
Siffrède Garini Enfants de feu Bernard Marini Ferrare Issarteri Enfants de
Ponce Issarteri Hôtel de feu
Ponce Cavaleri qui appartient à Guillelme
de Podio
Maître Pierre
Nicolay notaire Rostaing Rodeti Guillelme
de Podio
Guillelme et
Alfant Razeire Hôtel de la
chapellenie
de Raymond
de Mazan
Berengère
Leumona
Hugues
de Murs
Guillelme
Cavaleri
et son fils
Raymond
Leumon (†)
Lantenerius
d’Avignon
Étienne Pictoris
500livres Bonizac Nonprécisé 400livres Nonprécisé 400livres 100livres 20%
de Torno
150l. Leode 2sommes
Sancto contradictoires :
Paulo en marge, 140
avec X effacé
(donc 150) et 160
450l. Dieulossal 100l. Rien 100% 350l. 100l. 22,2%
et Asseronus confisqué
de Carcassona
175l. Jossedel 250l. 160l. 36% 110l. 65l. 37%
Casslar
100l. Bona 100l. 60l. 40% 60l. 40l. 40%
de Saulerche
60l. 60l. Rien Aucun
150l. Frezada 250l. 235l. 6% 135l. 15l. 10%
70 l. Hôtel 40 l. 30 l. 25 % 60 l. 10 l. 14,3 %
provincial
des juifs
120 l. Estes de Torno 140 l. 81 l. 42 % 61 l. 59 l. 50 %
20l.pourG. Compradonus Rature 100% Rien 30l. 100%
et10pourA. etAstrugue confisqué
de Bona Hora
200l. Crescasde 200l. 165l. 17,5% 165l. 35l. 17,5%
Sancto Paulo
30l. 30l. Rien Aucun
80l. Salvet 50l. 100% 30l. 50l. 62,5%
de Noves confisqué
500l. Bonjudas 500l. 330l. 34% 330l. 170l. 34%
Cassini
160l. Bonjudas 150l. 100% 10l. 150l. 94%
del Caslar confisqué
100l. Bachusde 100l. 100% Rien 100l. 100%
Carcassonne confisqué
50l. Maronus 50l. 100% Rien 50l. 100%
confisqué
figure im1

28 Dans le cas le plus simple, on échange deux hôtels dont les estimations sont équivalentes. C’est ce qui se produit pour l’hôtel de la chapellenie de Raymond de Mazan, d’une valeur de 200 livres, qui est échangé contre un hôtel racheté à un juif et estimé à 200 livres mais que la papauté a payé seulement 165 livres. L’échange permet donc d’économiser 35 livres. Dans le second cas de figure, on dédommage le propriétaire chrétien exproprié par un hôtel d’un propriétaire juif de moindre valeur. C’est le cas pour Rostaing Rodeti. Son hôtel vaut 70 livres et on lui échange contre l’hôtel provincial des juifs qui est estimé à 40 livres. La papauté rajoute donc 30 livres pour ne pas léser ce propriétaire, mais comme elle a payé l’hôtel provincial 30 livres et non 40, elle gagne encore 10 livres. Dans certains cas, le pape donne en compensation l’hôtel d’un propriétaire juif dont l’estimation est supérieure à celle de l’hôtel retenu : l’hôtel de Guillelme de Podio, estimé à 120 livres, est ainsi échangé contre l’hôtel d’Estes de Torno, estimé à 140 livres. Il est donc demandé à Guillelme d’ajouter la différence, sans tenir compte du fait que l’hôtel d’Estes de Torno a été acheté par le trésorier pour 81 livres seulement, ce qui permet à l’administration pontificale de ne débourser que 61 livres. Le même cas de figure se reproduit avec un autre personnage, Ferrare Issarteri, mais ce dernier est le seul propriétaire chrétien qui parvient à faire une bonne affaire en se faisant exproprier. Son hôtel vaut 175 livres et on lui propose en échange un hôtel d’une valeur de 250 livres, ce qui aurait dû l’obliger à payer un complément de 75 livres. Cependant, il est précisé qu’à la suite d’un accord avec Étienne de Vidalhac, vice-recteur, et Guillaume de Granhols, trésorier du Comtat, Ferrare n’a rajouté que 50 livres, ce qui fait qu’il obtient un hôtel estimé à 250 livres pour 225 livres. Comme cet hôtel avait été vendu 160 livres par son propriétaire juif, la papauté ne verse que 110 livres, les 50 autres étant apportées par Ferrare. Dans ce cas, les deux parties font donc une bonne affaire sur le dos du propriétaire juif qui, lui, perd 90 livres sur la valeur de son bien. Avec ces deux exemples, on constate que certains propriétaires sont plus à même de se défendre que d’autres et il n’est peut-être pas anodin que la propriétaire qui échoue à le faire soit une femme. Une autre raison peut encore être avancée pour expliquer la différence entre les deux situations : Ferrare avait peut-être conscience d’être en position de force. Lorsqu’aucun hôtel ne pouvait être donné à la personne expropriée, la papauté devait payer la valeur en argent de l’hôtel retenu. On comprend bien, dans ces conditions, que les officiers pontificaux aient préféré un accord leur permettant d’échanger un bien acquis pour 160 livres, plutôt que de payer les 175 livres que coûtait l’hôtel de Ferrare. Viennent enfin les cas extrêmes, ceux où la papauté ne gagne rien car elle paie directement le prix de l’hôtel, ce qui se produit deux fois (avec Guillelme de Podio et Bérengère Leumona), et ceux pour lesquels le bénéfice est total car l’hôtel échangé a été confisqué.

29 Quel bilan peut-on faire de cet échange ? Pour acquérir les dix-huit hôtels dont l’administration pontificale avait besoin, il fallait réunir 2 925 livres. Or, si on fait le total de l’estimation des biens achetés ou confisqués aux juifs, on atteint 2 600 livres, ce total ne représentant pas les dépenses réelles de la papauté qui, à la faveur des prix bas et des confiscations, n’a payé que 1 611 livres. Si on considère l’ensemble des frais engagés dans cette opération, l’administration pontificale a dépensé 1 951 livres au lieu des 2 925 dont elle avait besoin et a donc économisé un tiers de la somme qu’elle aurait dû verser s’il s’était agi d’une opération d’expropriation ordinaire. Pourtant, la papauté n’a pas expulsé les juifs de Carpentras afin d’économiser de l’argent. En effet, le texte du Collectorie 261 se termine par trois folios rendant compte de la construction d’une chapelle dédiée à la Vierge et des réparations de l’habitation destinée à ses trois chapelains, pour une somme totale d’environ 1 200 livres [95]. Le bénéfice de l’opération est donc entièrement réinvesti dans une entreprise religieuse. En outre, le contrat a judicieusement été confié à deux hommes, Guillaume Filioli et Bertrand Fulconis [96], choisis parmi les équipes d’artisans ayant déjà travaillé avec le pape sur le chantier de construction du palais de Pont-de-Sorgues [97], mais qui ont la particularité d’être parmi les seuls artisans des chantiers pontificaux nettement identifiés comme étant « de Carpentras » [98]. La construction de la chapelle a ainsi l’avantage de rappeler que l’installation du pape ouvre des marchés pour les artisans locaux.

30 Un dernier élément s’oppose à l’hypothèse d’une expulsion aux motivations financières. Avant 1323-1324, les juifs étaient parmi les principaux enchérisseurs pour la prise à ferme des revenus seigneuriaux dans le Comtat [99]. À court terme, leur départ posa un réel problème car peu d’hommes étaient capables de prendre en main des opérations financières aussi importantes dans cette région. En 1322- 1323, les revenus de nombreuses villes et de leur territoire ne trouvèrent aucun preneur. L’administration pontificale se retrouva contrainte de demander à ses officiers de lever eux-mêmes ces revenus et d’en rendre compte au trésorier. Cette situation ne causa pas de perte financière catastrophique : l’ensemble des revenus seigneuriaux du pape, qui s’élevait à un peu plus de 150 000 tournois d’argent en 1321-1322, atteignit un peu plus de 144 000 tournois d’argent l’année suivante [100]. Dans certains endroits, le fait d’avoir eu recours à des officiers pour lever les revenus permit même de récolter plus d’argent [101]. Une telle manière de fonctionner, qui détournait les officiers pontificaux de leur tâche, ne pouvait cependant se prolonger trop longtemps et, dès l’année suivante, de nouveaux enchérisseurs apparurent dans les comptes, parmi lesquels des Italiens comme Zenobio Thome et Nicola Gerelli, qui obligèrent la papauté à revoir à la baisse ses exigences [102]. Ils firent par exemple l’acquisition des revenus de Bonnieux, Ménerbes et Oppède pour la somme de 3 050 tournois d’argent, soit un tarif très inférieur à celui que payaient les juifs et à ce qu’on pouvait espérer lever en ces lieux [103]. L’entrée en jeu de nouveaux acquéreurs de revenus aboutit ainsi à en faire tomber le total de 1323-1324 à un peu moins de 138 000 tournois d’argent [104]. Au-delà de questions uniquement financières, le départ des juifs ne peut donc pas non plus être interprété comme le moyen de donner une place plus importante aux financiers chrétiens locaux qui auraient pu vouloir eux aussi participer aux prises à ferme sans être en mesure d’offrir les mêmes garanties financières que les juifs. Très rapidement, le système se réorganisa autour de financiers italiens, et la papauté n’y trouva pas vraiment son compte.

31 De manière plus générale, on observe aujourd’hui que l’idée selon laquelle l’intérêt financier aurait été une des principales motivations dans l’expulsion des juifs recule dans l’historiographie. Même pour l’expulsion française de 1306, où l’intérêt financier du roi était beaucoup plus évident dans la mesure où il ne s’était pas contenté d’expulser les juifs mais s’était emparé de leurs biens et de leurs créances, le bénéfice financier, qui fut considérable, ne semble pas, selon C. Balasse, pouvoir être considéré comme une cause suffisante pour expliquer l’expulsion [105]. On pourrait même considérer que le fait de se passer de la présence des juifs était pour bien des souverains médiévaux une sorte de luxe. Dans cette perspective, il n’est pas anodin que l’expulsion des juifs du Comtat soit advenue au moment où, grâce à la mise en œuvre d’une profonde réforme de ses finances reposant sur une fiscalité centralisée extrêmement efficace, le pape Jean XXII était devenu plus riche que tous ses prédécesseurs [106]. Il pouvait désormais, plus que n’importe quel autre souverain de l’époque, se passer de l’appui des juifs.

32 Il ne s’agit pourtant pas de dire que le départ précipité des juifs ne profita pas au pape et à son entourage. Que la motivation du pape n’ait pas été financière ne change rien au fait que la vente des biens des juifs fut accueillie par les milieux pontificaux, et surtout par l’administration locale, comme une aubaine. À Carpentras, l’unique bénéficiaire des échanges d’hôtels avait été la papauté, mais dans les autres villes où ne se posait pas le problème de la recherche de locaux destinés à accueillir les services de la cour, les bénéficiaires de ces ventes furent, à plusieurs reprises, des agents du pape dans le Comtat. Sur les sept acheteurs de biens confisqués aux juifs de Valréas [107] on note la présence d’Amator Senhorelli, qui était alors clavaire de Valréas [108], de Richard de Multi Denariis, alors juge de Valréas [109], et enfin d’André Arnaudi qui avait été clavaire de Valréas et restait un des fermiers des revenus du Comtat [110].

33 Ainsi, au-delà de la disparition de créanciers impopulaires, beaucoup sont ceux qui, dans les milieux pontificaux, gagnèrent quelque chose au départ des juifs : la papauté avait intérêt à voir ses agents devenir des propriétaires locaux afin d’enraciner leur présence sur le terrain et ces agents devaient pour leur part se féliciter d’acheter des terres à des prix très intéressants. On peut même se demander si la vente des biens confisqués ne leur fut pas, sinon réservée, du moins proposée en priorité. Ces transactions restent cependant du domaine de l’opportunisme et non de ce qui aurait pu motiver le choix du pape d’expulser les juifs.

L’importance du contexte local

34 Face à un problème aussi complexe, il semble déraisonnable de tenter de vouloir trouver une unique raison permettant d’expliquer le choix du pape. Tout au plus peut-on mettre en évidence un faisceau d’éléments qui peuvent avoir persuadé le pape que l’expulsion était non seulement un geste politiquement utile, mais aussi qu’elle ne constituait pas une rupture aussi grande que ce qui nous semble aujourd’hui avec la politique traditionnelle de la papauté vis-à-vis des juifs.

35 Après avoir commencé à régner les caisses vides, contraint d’emprunter à des banquiers italiens de quoi assurer son entretien et celui de ses proches [111], Jean XXII était en 1320 un pape riche, mais à la tête d’une institution très affaiblie par la crise entre Boniface VIII et Philippe le Bel, l’errance du pape Clément V, puis la vacance de deux ans qui avait précédé son élection. Dans ce contexte difficile, Jean XXII choisit d’appuyer la reconstruction de cette institution sur son implantation durable à Avignon et dans le Comtat. Le nouveau souverain pontife était un homme installé depuis longtemps à Avignon, où il avait été évêque (1310- 1313) puis cardinal (1313) avant d’y devenir pape (1316). Il connaissait parfaitement les ressources humaines et financières sur lesquelles il était possible de compter dans cette région, mais aussi les difficultés qui restaient encore à surmonter pour s’assurer d’un véritable contrôle sur ces domaines et les populations qui y vivaient [112]. Sous son prédécesseur, Clément V, la cour avait été nomade pendant toute la première partie du règne et lorsque le pape s’était décidé à s’installer à Avignon en 1309, profitant de l’hospitalité du souverain de la ville, Robert de Naples, son installation n’en était pas moins restée précaire, le pape résidant en bordure de ville, dans le couvent des frères prêcheurs. Lorsque Jean XXII arriva au pouvoir, la fiction d’un retour rapide à Rome avait fait long feu. Il s’installa très vite, au cœur de la ville d’Avignon, dans le palais de l’évêque qui était alors un de ses neveux, Jacques de Via [113]. Il y entama une vaste réforme de la cour pontificale, en portant une attention particulière à la Chambre apostolique, chargée de gérer les finances et la politique temporelle du pape, à la fiscalité pesant sur les ecclésiastiques ainsi qu’à l’administration du Comtat [114]. Mais si la cour résidait à Avignon, le pape n’y était pas entièrement libre de ses mouvements. C’est sans doute ce qui expliqua en partie son désir de se faire construire un second palais, à Pont-de-Sorgues, tout près d’Avignon, où il réactiva un atelier lui permettant de frapper des monnaies pontificales [115].

36 À l’échelle locale, en plus de n’être pas le souverain de la ville dans laquelle il résidait, un second problème se posait au pape, celui de la principale ville du Comtat, Carpentras. Celle-ci avait pour seigneur son évêque et la fin du XIIIe siècle avait été marquée par de nombreux accrochages entre ce dernier et les officiers pontificaux [116]. Officiellement, depuis que le Comtat était revenu entre les mains du pape, en 1274, le recteur du pape avait sa cour à Pernes, mais en pratique, dès avant l’installation des papes dans la région, il passait beaucoup de temps à Carpentras d’où il exerçait en partie sa charge, ce qui l’obligeait à ménager la susceptibilité de l’évêque ou à profiter des événements qui le mettaient dans l’incapacité d’agir [117]. En 1318, Jean XXII commença à modifier le rapport de force en faveur de l’administration pontificale et après avoir nommé à Carpentras un évêque qui lui était dévoué, Othon de Foix, il obtint de celui-ci, le 12 avril 1320, un acte appelé « bulle de dismembration » qui cédait au pape le pouvoir temporel de l’évêque sur la ville, celui-ci conservant son pouvoir spirituel et recevant un certain nombre de dédommagements [118]. Carpentras devint alors officiellement la capitale du Comtat et il ne manquait à l’administration pontificale que le moyen de s’y faire une place dans le tissu urbain. Il ne s’agit pas de dire que l’expulsion fut décidée pour rendre possible cette installation de l’administration pontificale dans la capitale du Comtat, mais plutôt de prendre conscience du fait que la papauté était alors entrée dans une phase d’affirmation pour le moins brutale de son pouvoir à l’échelle locale.

37 Dans le cadre de la réforme de la Chambre apostolique, sous la tutelle de laquelle se trouvait le trésorier du Comtat Venaissin, les revenus seigneuriaux du pape firent l’objet d’un prélèvement beaucoup plus rigoureux qu’avant, comme en témoignent les registres de comptes conservés à partir de cette époque. La population locale vit en outre les charges qui pesaient sur elle augmenter, en raison par exemple de l’achat par la papauté du castrum de Valréas pour la somme de 16 000 florins, somme dont le paiement fut entièrement réparti sur les communautés locales en février 1319 [119]. Dans ces conditions, il n’est pas audacieux de penser que la popularité de la papauté ne devait pas être à son maximum durant ces années. À cela s’ajoutaient les sources de friction dues à l’action plus régulière de la justice pontificale [120] ou aux annulations de ventes de biens qui étaient retirés au profit du pape en vertu de son droit de prélation.

38 Ce contexte d’affirmation du pouvoir pontifical dans le Comtat rencontra l’épisode de manifestation de violence des Pastoureaux contre les juifs. L’implication très visible de quelques représentants de la communauté juive dans la levée des revenus du pape en faisait sans doute des personnes étroitement associées à la brutalité de la politique et de la fiscalité pontificales. On peut penser au parallèle avec la situation très bien décrite par D. Nirenberg pour la France de 1320 : dans un contexte de mécontentement contre la politique royale, en particulier contre la politique fiscale, nombreux furent ceux qui associèrent les juifs à cette politique, à la fois parce que certains d’entre eux jouaient le rôle d’agents fiscaux de l’État, mais aussi parce que la fiscalité qui pesait sur les juifs retombait en partie sur les chrétiens par le biais des intérêts auxquels ils étaient soumis en empruntant aux prêteurs juifs [121]. Ainsi, D. Nirenberg montre qu’en attaquant les juifs, les Pastoureaux, loin de se livrer à un déchaînement de violence irrationnel, se révoltèrent à la fois contre la politique administrative du roi et montrèrent l’incapacité de celui-ci à protéger ses agents, les juifs [122]. Dans le Comtat, l’action du pape contre les Pastoureaux empêcha sans doute qu’une révolte d’une telle ampleur soit envisageable, ce petit territoire se prêtant mieux que le royaume de France à un contrôle étroit de la part des officiers locaux. La politique fiscale de la papauté a cependant pu favoriser la montée de l’hostilité contre les populations juives, celle-ci ayant pu en outre être encouragée par l’exemple que donnaient les déferlements de violence des Pastoureaux dans le Sud-Ouest voisin. Dans ce contexte, l’expulsion des juifs par le pape a pu présenter l’avantage de satisfaire l’antisémitisme latent et de donner aux populations l’impression de s’attaquer à ceux qui les pressuraient, tout en détournant l’attention de ceux pour le compte de qui elles étaient pressurées. Ainsi, la saisie des biens des juifs, suivie de leur expulsion, fut peut-être aussi une mesure démagogique permettant, dans un contexte local tendu, de faire diminuer une colère qui aurait eu des raisons de se porter sur la papauté.

Une rupture au sein de la politique pontificale ?

39 Cette politique n’en présentait pas moins une rupture marquée avec ce qu’avait été autrefois l’attitude des papes vis-à-vis des juifs. Même si certains chercheurs, comme S. Grayzel, ont pu estimer que depuis l’émission en 1267 de la bulle Turbato Corde – qui permettait à l’Inquisition de juger les juifs retournés à leur religion première ainsi que ceux qui les aidaient –, l’ancienne doctrine pontificale formulée dans la bulle Sicut Judaeis, qui offrait des garanties de protection aux juifs, avait été complètement abandonnée [123], il ne semble pas que les choses aient été aussi simples. Pour éclairer cette question, on dispose de deux consultations ou consilia émises par le juriste Oldradus de Ponte au sujet du comportement que les souverains et le pape devaient adopter relativement aux expulsions et aux saisies des biens des juifs, des musulmans et des païens [124]. Oldradus était docteur en droit et avocat à la cour de Rome à l’époque du pape Jean XXII, il mourut à Avignon en 1337 [125]. Norman Zacour a montré que Jean XXII l’avait à plusieurs reprises consulté, dans les années 1320, sur des affaires d’importance comme la question de la démission du grand maître de l’ordre des Hospitaliers, Foulques de Villaret, ou encore sur celle de la double élection impériale [126]. L. Bardinet pensait que ce qui pouvait apparaître comme un certain nombre de contradictions dans les consilia d’Oldradus sur la question des expulsions était peut-être dû à la volonté de ce dernier de ne pas froisser Jean XXII qui avait « un moment chassé les juifs [127] ». Il serait même légitime de se demander dans quelle mesure le pape n’aurait pas pu être le commanditaire de telles consultations.

40 Leur examen ne permet pas d’aller dans ce sens. Deux consultations sont entièrement consacrées à la question des expulsions. La première (n87) porte sur la question de savoir si un prince peut expulser les juifs de ses domaines et confisquer leurs biens sans pécher et si le pape peut ordonner aux princes de le faire ou les y encourager [128]. La seconde (n264) se demande si un prince peut, sans une raison légitime, expulser les juifs, les païens et les musulmans de ses domaines [129]. La formulation de la question donnant lieu à la première consultation, comme son contenu, montrent bien que le consilium portait sur l’attitude d’un souverain laïc, le pape étant régulièrement présent dans le texte, mais en tant que conseiller des princes, en vertu de la fonction prééminente qu’il prétendait tenir dans la société chrétienne. Quant au second consilium, N. Zacour pense qu’il se préoccupait surtout de définir une attitude juridiquement acceptable vis-à-vis des Sarrasins, en prenant en partie modèle sur ce qui se pratiquait avec les juifs, mais que ces derniers n’étaient pas au centre de la consultation [130]. S’il paraît donc peu probable que le pape ait commandé l’un ou l’autre de ces consilia dans la perspective d’une réflexion sur la légitimité juridique d’une expulsion des juifs de ses États, il n’en reste pas moins que leur contenu permet de savoir ce que, selon un juriste comme Oldradus, se devait d’être la position du pape sur cette question.

41 De ces deux textes, il ressort qu’un prince n’était pas censé, s’il voulait éviter de pécher et agir selon le droit, expulser sans raison les juifs de son royaume ni les priver de leurs biens, pour peu que ceux-ci aient été acquis honnêtement [131]. En revanche, si les juifs cessaient de vivre « paisiblement » ou abusaient de leurs privilèges, le prince pouvait non seulement les priver de leurs biens, qu’ils ne tenaient que comme le peculium d’un esclave [132], mais pouvait aussi les expulser. Le pape ne devait quant à lui pas encourager l’expulsion ni l’exiger d’un prince tant que les juifs vivaient en paix et sans scandale [133]. Le second consilium ajoutait que le pape devait traiter les juifs, musulmans et païens avec courtoisie, ne pas les attaquer, ni permettre qu’on les blesse et ne jamais les forcer à se convertir [134]. Même s’ils témoignent d’une nette dégradation de la doctrine de la protection pontificale, celle-ci étant désormais soumise à condition, le premier apport de ces textes est de confirmer que l’esprit de la bulle Sicut Judaeis n’était pas entièrement abandonné. Selon les consilia, le pape était chargé de protéger les juifs, d’inciter à leur conversion et de s’assurer qu’ils ne disparaissent pas, de manière à rendre possibles les prophéties annonçant leur conversion à la fin des temps.

42 Toute l’ambiguïté de la position du pape dans le Comtat est qu’il y incarnait non seulement le chef de l’Église, mais aussi le prince. Dans ce cas, il pouvait tout à fait endosser, ou faire endosser à son recteur, le rôle du souverain expulsant les juifs à partir du moment où ceux-ci seraient devenus une cause de scandale. Que ce texte ait peut-être été écrit après l’expulsion et en tout cas sans lien direct avec celle-ci n’enlève rien au fait que les conseils qui y étaient donnés permettaient sans difficulté, comme l’avait remarqué L. Bardinet, non seulement de justifier la politique de Jean XXII mais encore de sembler l’inscrire dans le cadre d’une tradition. En tant que pape, Jean XXII avait fait ce qu’il pouvait pour sauver les juifs de la violence des Pastoureaux et était donc resté fidèle à son obligation de protection de la personne des juifs ; en tant que prince, un tel texte confirmait le droit qu’il avait de les chasser dès que ceux-ci devenaient une cause de scandale. Un épisode plus tardif, rapporté par Maurice Kriegel, peut nous aider à penser ce qui pouvait être considéré à la fin du Moyen Âge comme une cause de scandale. Depuis les années 1480, des mouvements de moissonneurs avaient commencé à se former dans le Dauphiné et en Auvergne pour attaquer les juifs. L’expulsion des juifs d’Espagne en 1492 donna une nouvelle vigueur à ce mouvement et, en 1493, les juifs d’Arles furent expulsés de la ville sous prétexte que, par leur seule présence, ils constituaient « une menace à la paix publique puisqu’ils occasionnaient le soulèvement des moissonneurs étrangers montés contre eux, et dont l’agitation dirigée d’abord contre le ghetto [aurait pu] se prolonger par le pillage de la ville [135] ». Dans la mesure où l’expulsion qui nous intéresse prit place entre la fin du mouvement des Pastoureaux, encore considéré comme une menace dans le Comtat en juillet 1320, et le mois de février 1321, date à laquelle diverses communautés du Sud-Ouest réclamèrent au roi de France l’expulsion des juifs [136], il ne dut pas être très difficile de faire de la simple présence des juifs dans le Comtat, voisin de ces zones troublées, une cause de scandale. Aux yeux d’un juriste comme Oldradus, pourtant nettement défavorable à l’expulsion des juifs, le comportement du pape pouvait rester, en apparence, pleinement conforme sinon à l’esprit, du moins à la lettre de ses consilia.

43 Dans le cadre de la recherche des facteurs qui auraient pu décider Jean XXII à avoir recours à une expulsion, un dernier élément doit être avancé, bien qu’on n’ait aucun moyen de savoir dans quelle mesure Jean XXII ou ses conseillers le prirent en compte. William Chester Jordan a montré qu’en 1275, une enquête pontificale avait été diligentée en raison du harcèlement que subissaient certains juifs récemment réinstallés dans le Comtat après avoir été expulsés de la ville de Carpentras par l’évêque en 1269. Le conflit semble être né de la volonté de certains seigneurs du Comtat de forcer des juifs nouvellement réinstallés à contribuer à la levée d’un subside pour la croisade, ce qu’ils refusaient de faire en s’appuyant sur le no man’s land juridique dans lequel ils se trouvaient : ayant été autrefois des juifs de l’évêque de Carpentras, ils étaient devenus « juifs sans seigneur » depuis leur expulsion et le seul seigneur qui aurait pu leur être désormais reconnu était le souverain de l’évêque de Carpentras, donc le pape. Les conclusions de l’enquête pontificale, qui firent souvent l’objet, comme l’a montré W. Jordan, d’un contresens laissant penser qu’elles concernaient l’ensemble des juifs du Comtat et non pas seulement ceux sur lesquels l’enquête avait porté, confirmèrent que la juridiction sur les juifs privés de seigneur par leur expulsion devait revenir au souverain pontife. Les juifs concernés par l’enquête étaient donc désormais considérés comme des « juifs du pape [137] ». En expulsant l’ensemble des juifs du Comtat, le pape créait ainsi les conditions, lors de leur futur retour, du passage de l’ensemble d’entre eux sous sa juridiction.

44 Même au cas où cette dernière idée n’aurait traversé l’esprit d’aucun membre de la cour pontificale, le double contexte du renforcement des structures locales de l’État pontifical et d’une période de multiplication des violences et demandes d’expulsion des juifs de la part des populations du sud de la France pourrait largement suffire à expliquer le geste de Jean XXII. Il serait pourtant difficile de parler de changement radical de la politique pontificale ou d’une montée de l’intolérance de la part des papes. La politique pontificale fut tout sauf linéaire. En 1345, les juifs furent officiellement autorisés par le pape Clément VI à se réinstaller dans le Comtat [138]. Ils avaient, dès l’année précédente, retrouvé leur place parmi les fermiers des revenus seigneuriaux du pape et obtinrent aussi de l’évêque de Carpentras le droit de reconstruire une synagogue [139]. Le pape Clément VI s’efforça de les protéger contre les attaques dont ils furent l’objet pendant la peste [140], il condamna les communautés qui s’étaient attaquées à eux et réédicta la bulle Sicut Judaeis[141]. La décision de Jean XXII n’est donc pas à replacer – on peut s’accorder sur ce point avec D. Nirenberg – dans le cadre de l’apparition d’une mentalité persécutrice ou intolérante. Il est en revanche incontestable que la première moitié du XIVe siècle constitua un moment de multiplication des attaques contre les populations juives et qu’une partie des violences, à partir du moment où l’on accepte de ne pas limiter celles-ci aux atteintes physiques aux personnes, furent exercées par ceux-là même qui, jusque-là, prétendaient avoir pour rôle de les protéger.

45 Au regard de tout ce qui précède, l’expulsion pontificale de 1320-1321 permet finalement de revenir sur une autre idée de D. Nirenberg selon laquelle : « On peut aisément montrer le parallèle entre l’histoire des minorités et les cataclysmes du XIVe siècle. Les juifs, par exemple, sont chassés d’Angleterre en 1290, de France en 1306, 1322 (ou 1327) et 1394 [142]. » Comme le rappelle M. Kriegel, une thèse quasiment opposée a pu exister dans l’historiographie, celle qui considérait que « la croissance économique et la diversité grandissante de l’organisme social [permettaient] de se dispenser de recourir aux Juifs, qui [assumaient] les tâches complexes dans des économies inchoatives, et se [trouvèrent] de plus en plus remplaçables au fur et à mesure que la bourgeoisie en progression leur [disputa] leurs fonctions [143] ». Les crises évoquées par D. Nirenberg ne sont en effet pas seulement les crises de croissance d’un État en formation : l’auteur renvoie explicitement aux guerres et à la fiscalité très lourde qu’elles entraînent, aux épidémies, aux révoltes... Or, si on regarde d’un peu plus près les expulsions auxquelles il fait allusion, il semble qu’il soit difficile de les réduire à une cause unique, celle des crises de la fin du XIIIe et du XIVe siècle, ce qui pourrait d’ailleurs expliquer la coexistence dans l’historiographie de points de vue si différents au sujet du même phénomène.

46 La première chose qui frappe est en effet la grande diversité des situations ici rassemblées : les expulsions de 1290 et 1394 ont pu être considérées comme des expulsions prononcées en phase de crise [144] ; l’expulsion de 1322 n’a pas eu lieu ; quant à celle de 1327, elle était prévue dans l’acte de 1315 qui autorisait la réinstallation des juifs après leur expulsion de 1306 et ne fut donc que l’application mécanique d’une décision politique antérieure [145]. Enfin, l’expulsion de 1306 ne correspond ni à un moment de forte hostilité des populations contre les juifs, ni à un moment de crise marquante dans le royaume de France [146]. De plus, si l’on ne se concentre pas seulement sur le contexte étroit de l’année 1290, mais qu’on élargit un peu le champ d’observation, on remarque que le règne d’Édouard Ier est surtout celui d’un fort développement des institutions du royaume ce qui, comme en France, s’accompagne de difficultés financières importantes [147]. Récemment, Robert Stacey a défendu avec de bons arguments l’idée selon laquelle il était abusif de considérer que les années 1289-1290 constituaient un moment de véritable crise, surtout si on les comparait avec ce qu’avait été la situation du même Édouard Ier en 1274-1275 [148]. Ainsi, seule l’expulsion de 1394 semble vraiment relever d’un contexte de crise générale du royaume et de la monarchie [149]. Comme dans le cas des flambées populaires de violence contre les juifs, « le contexte est déterminant [150] » et l’observer en détail fait apparaître plus de différences que de points communs entre les expulsions décrétées par des souverains. Il rend en tout cas difficile le fait de remplacer un facteur explicatif unique comme la montée de l’« intolérance » par les « crises du XIVe siècle ».

47 Il ne s’agit pas ici de proposer un autre modèle explicatif unique, l’interprétation fine de chacune des expulsions faisant apparaître à chaque fois un certain nombre de différences. On peut cependant admettre qu’au-delà des spécificités de chacune de ces expulsions, ait pu exister, au moins pour les épisodes des années 1290-1320, un certain nombre de points communs entre les contextes considérés, mais ceux-ci ne tenaient pas au fait de traverser une période de « cataclysme ». En revanche, il apparaît que ces expulsions prennent place dans le cadre de « régimes de transition vers la modernité » s’appuyant sur « les symboles communs de l’identité consacrés par l’âge et revivifiés », pour reprendre les termes de M. Kriegel, qui a qualifié ce type de modernisation étatique de « modernisation organique » [151]. Comme il le rappelle, un autre point commun des régimes proscripteurs des juifs est qu’il s’agit souvent de régimes d’ordre et de régimes populistes [152]. La mesure prise par Jean XXII semble entrer parfaitement dans ce cadre : l’expulsion est une mesure démagogique qui donne à la papauté une occasion de sembler satisfaire les aspirations populaires, au moment même où le renforcement de ses structures étatiques pourrait susciter la colère ou la révolte des populations locales. Elle est également une mesure d’ordre en ce qu’elle crée les conditions du maintien d’un calme social dans le Comtat sans pour autant assumer l’idée qu’elle pourrait représenter une rupture avec la tradition : le fait de prononcer l’expulsion, juste après avoir protégé les juifs, sans l’accompagner d’une mesure de saisie des biens, permet au pape de garder l’apparence d’un strict respect du droit et d’atténuer la rupture qu’un tel geste constitue au regard de la politique antérieure de l’institution. Les modalités particulières de cette expulsion laissent aussi la porte ouverte au retour des juifs en tant que « juifs du pape » et au quasi-oubli d’un geste de violence étatique qui, dans le contexte de l’époque, comparé aux massacres et aux expulsions accompagnées de spoliations, pouvait presque paraître empreint de mesure.

48 Pour la papauté qui s’était lancée dans une entreprise de maîtrise d’une population en partie rétive à sa souveraineté, de construction d’un territoire ainsi que de profonde réforme de ses structures de gouvernement locales, la question des juifs ne se posait donc probablement pas en termes de tolérance ou d’intolérance. Puisque le caractère local de la mesure prise par le pape doit détourner de l’hypothèse de l’existence de motivations religieuses qui, dans ce cas, n’auraient pas pu ne pas concerner les juifs de ses États italiens, il semblerait que les juifs ne soient intervenus que comme l’une des variables sur lesquelles une politique visant à renforcer le pouvoir du souverain pouvait s’appuyer. Ainsi, lorsque les juifs étaient directement attaqués, l’intérêt politique de la papauté était de les défendre, sauf à reconnaître l’inutilité des textes qu’elle édictait depuis le XIIe siècle en faveur de leur protection et son incapacité à les faire respecter. En revanche, lorsque le pouvoir pontifical risquait d’être attaqué et fragilisé, ici dans un contexte local particulier, l’intérêt politique des papes devenait d’utiliser ceux qui étaient les plus fragiles à l’intérieur de leurs domaines pour faire la preuve de leur puissance et de leur capacité à décider du destin de leurs sujets. C’est bien ce double phénomène de renforcement réel du pouvoir du souverain et de son appareil de gouvernement d’un côté, et, de l’autre, de mise en scène de la puissance du souverain dans des moments de fragilité et de contestation transitoires de son pouvoir, que l’on retrouve au cœur de chacune des expulsions des juifs à l’époque qui nous intéresse.

49 À ce dénominateur commun des expulsions s’ajoutent des contextes et des motivations spécifiques à chacune d’elle. Dans l’expulsion de 1306, la dimension de haine populaire semble complètement absente – l’hostilité contre les juifs ayant plutôt été, selon C. Balasse, une des conséquences de l’expulsion qu’une de ses causes – mais les besoins financiers du roi sont en revanche réels [153]. En 1320-1321 dans le Comtat, l’hostilité populaire semble seulement probable et les besoins financiers du souverain sont faibles. Ces spécificités – le besoin d’argent du souverain, la présence d’un contexte d’hostilité des populations chrétiennes ou d’une partie d’entre elles réclamant l’expulsion ou la conversion – et leur éventuelle combinaison, propre à chacune des expulsions, ne doivent pas être confondues avec les facteurs profonds ayant motivé la décision des souverains. Une telle démarche aboutirait à ériger chaque expulsion médiévale en un événement parfaitement singulier, incomparable aux autres, faisant ainsi artificiellement disparaître les points communs, les éléments de continuité, d’imitation ou de répétition au sein de la politique des souverains, avec souvent pour corollaire le fait de nier qu’il ait pu exister des formes de persécution spécifiques ayant touché les populations juives dans la longue durée. Cependant, si la trop grande focalisation sur les spécificités de chaque expulsion serait catastrophique pour la compréhension de ce phénomène historique, l’insistance sur l’existence de facteurs communs permettant d’expliquer la répétition de tels épisodes et la forme qu’ils purent prendre ne doit pas non plus aboutir à en faire disparaître les dimensions plus contingentes, qui permettent pour leur part souvent de comprendre pourquoi une expulsion pouvait être décrétée à certains moments et pas à d’autres. Ces « facteurs secondaires » de l’expulsion fournissaient aussi aux souverains des justifications qui, à la différence de leurs motivations profondes, pouvaient être produites devant un parlement ou un plus large public.

50 Dans les cas que nous avons évoqués, il ressort aussi que la violence populaire fut alternativement une justification de la persécution par les souverains et le résultat de leur politique. Les mesures d’expulsion semblent donc entretenir une relation dialectique avec les violences populaires qui incite à ne pas en séparer l’étude de celle de l’évolution des structures de gouvernement à la fin du Moyen Âge. Une telle remarque invite à revenir sur la théorie globale proposée par D. Nirenberg, qui vise à lutter contre ce qu’il considère comme une fausse coupure, établie par les historiens, entre les épisodes de violence paroxystiques contre les minorités et une violence ordinaire, rituelle, qui aurait constitué à ses yeux une manière parmi d’autres de vivre ensemble et d’assurer la stabilité de la société – idée qui reste encore largement à démontrer. Son interprétation particulière de la convivencia s’appuie essentiellement sur l’analyse d’épisodes de violence, quotidiens ou paroxystiques, dus aux populations des royaumes, qu’il s’agisse d’ailleurs de simples sujets ou d’agents des pouvoirs communaux ou royaux, sans vraiment faire de place à la question des violences qui trouvent leur origine dans la décision d’un souverain. Le pouvoir souverain, très présent dans son livre, l’est alternativement comme cible d’un mécontentement populaire qui trouve plus facilement à s’exercer contre les juifs que contre le roi et comme producteur d’une violence qui prend son origine dans une demande populaire. La lettre de Philippe de Valois, comme les différentes forgeries de l’été 1321 sont ainsi interprétées comme des éléments « qui visent à fournir un contexte idéologique qui permette au monarque d’accéder aux exigences ‘populaires’ sans perdre la face [154] ». La papauté n’a pourtant eu besoin d’aucune « preuve » de ce genre pour développer une politique de persécution des juifs, et si les exigences populaires ont pu éventuellement permettre à Jean XXII de justifier son action dans un cadre public, il semblerait très naïf d’en faire la principale cause de sa décision.

51 En décrétant une expulsion au tournant des années 1320 et 1321, la papauté ne fit que suivre ses propres intérêts politiques tout en contribuant à fournir un des modèles possibles d’une politique antijuive dosant savamment la protection et les vexations, de manière à rester dans les bornes de ce qui pouvait sembler acceptable pour un chrétien de l’époque. Le développement, à la fin du Moyen Âge, de nombreuses politiques qui, tout en ayant pour point commun d’exploiter la faiblesse des juifs au profit du renforcement du pouvoir souverain, proposèrent des manières très différentes d’obtenir un tel bénéfice politique, comme la tentative des juristes pour définir un cadre considéré comme juridiquement et religieusement acceptable de la persécution, justifie à notre sens pleinement que l’on s’intéresse aux liens que purent entretenir entre elles certaines pratiques politiques de persécution sur le temps long. Mais plutôt que de penser qu’une telle perspective se justifierait par l’apparition et le développement de mentalités persécutrices, on pourrait le faire en considérant qu’à la fin du Moyen Âge, la persécution des juifs prit place dans le cadre des arts de gouverner ou, si l’on préfère, des techniques de gouvernement, dont la persistance dans la longue durée est souvent plus facilement observable que celle des mentalités [155]. Dans le cas du Comtat Venaissin, la politique qui utilisa conjoncturellement les juifs, afin de prévenir ou d’éteindre la contestation contre le pouvoir pontifical et de construire une société unifiée autour de la personne de son souverain, fut en tout cas tellement couronnée de succès qu’elle finit par englober les populations juives elles-mêmes, et par leur faire oublier que la papauté n’avait pas été, tout au long de son histoire, toujours aussi soucieuse de les protéger.


Date de mise en ligne : 19/02/2012

Notes

  • [*]
    Je remercie chaleureusement Maurice Kriegel pour sa relecture stimulante.
  • [1]
     - Léon BARDINET, « Condition civile des Juifs du Comtat Venaissin pendant le séjour des papes à Avignon (1309-1376) », Revue historique, 1-5, 1880, p. 1-47, ici p. 17-18.
  • [2]
     - Carlo GINZBURG, Le sabbat des sorcières, Paris, Gallimard, [1989] 1992, p. 61.
  • [3]
     - La bibliographie sur les rapports entre la papauté et les juifs est très vaste mais on pourra au moins consulter Solomon GRAYZEL, The Church and the Jews in the XIIIth century, éd. par K.R. Stow, New York/Détroit, The Jewish Theological Seminary of America/ Wayne State University Press, [1933] 1989, vol. 2, p. 1254-1314 ; Kenneth R. STOW, Popes, church, and Jews in the Middle Ages : Confrontation and response, Aldershot, Ashgate, 2007 et surtout l’édition monumentale de Shlomo SIMONSOHN (éd.), The Apostolic See and the Jews, Toronto, Pontifical institute of mediaeval studies, 1988. Sur les prises de position du pape face aux Pastoureaux, ibid., n304-306, p. 316-319.
  • [4]
     - S. SIMONSOHN, The Apostolic See..., op. cit., vol. 1, n368, 18 décembre 1345, p. 389- 390 : felicis recordationis Johannes papa XXII, predecessor noster, certis causis ipsum ad hoc inducentibus, dictos Judeos de dicto comitatu fecit expelli...
  • [5]
     - 1322 est la date choisie par exemple par Isidore LOEB, « Les juifs de Carpentras sous le gouvernement pontifical », Revue des Études juives, 12, 1886, p. 34-64, ici p. 40 et 46- 49. C. GINZBURG, Le sabbat..., op. cit., p. 61.
  • [6]
     - Giovanni Domenico MANSI, Sacrorum Conciliorum nova et amplissima collectio, Venise, 1782, XXV, col. 569-572.
  • [7]
     - C. GINZBURG, Le sabbat..., op. cit., p. 296, n. 42. Il a depuis été mentionné par David NIRENBERG qui a lui aussi accepté l’attribution de la lettre à Jean XXII dans Violence et minorités au Moyen Âge, Paris, PUF, [1996] 2001, p. 81.
  • [8]
     - C. GINZBURG, Le sabbat..., op. cit., p. 61.
  • [9]
     - Ibid., p. 297, n. 42 : « L’hypothèse que le document dans son intégralité (y compris la lettre de Philippe d’Anjou et peut-être la réaction favorable du pape à celle-ci) soit le fruit d’une falsification tardive me semble sans aucun doute à exclure, et cela tant pour des motifs internes qu’externes. D’un côté, les références (et pas seulement de nature chronologique) aux événements contemporains sont très précises ; de l’autre, le document explique, nous le verrons, le revirement soudain du pape à l’égard des juifs. »
  • [10]
     - Kenneth R. STOW, « The Avignonese papacy or after the expulsions », Popes, church and Jews..., op. cit., p. 225-297, ici p. 293-295. Sur les complots d’empoisonnement, voir Edmond ALBE, Autour de Jean XXII. Hugues Géraud évêque de Cahors, l’affaire des poisons et envoûtements en 1317, Cahors, J. Girma, 1904 ; Joseph SHATZMILLER, Justice et injustice au début du XIVe siècle. L’enquête sur l’archevêque d’Aix et sa renonciation en 1318, Rome, École française de Rome, 1999 ; Franck COLLARD, Le crime de poison au Moyen Âge, Paris, PUF, 2003. Sur les effets dans la politique de Jean XXII et la redéfinition de l’hérésie : Alain BOUREAU, Le pape et les sorciers. Une consultation de Jean XXII sur la magie en 1320 (manuscrit BAV Borghese 348), Rome, École française de Rome, 2004 et Id., Satan hérétique. Naissance de la démonologie dans l’Occident médiéval, 1280-1330, Paris, Odile Jacob, 2004.
  • [11]
     - Elizabeth A. R. BROWN, « Philip V, Charles IV and the Jews of France : The alleged expulsion of 1322 », Speculum, 66-2, 1991, p. 294-329. Elle rompt ainsi avec ce qui était devenu une quasi-certitude dans la bibliographie antérieure : William Chester JORDAN, The French monarchy and the Jews : From Philip Augustus to the last Capetians, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1989, p. 246-248, C. GINZBURG, Le sabbat..., op. cit., p. 63.
  • [12]
     - Ces documents ont fait l’objet d’un premier et rapide traitement dans ma thèse, Valérie THEIS, Le gouvernement pontifical du Comtat Venaissin, vers 1270-vers 1350, Rome, École française de Rome, sous presse.
  • [13]
     - D. NIRENBERG, Violence..., op. cit., par exemple p. 62. Cet auteur a en effet particulièrement insisté sur la nécessité de prendre en compte le contexte particulier (historique et géographique) et les motivations des acteurs lors de chacun des épisodes de violence ayant concerné les juifs au cours du Moyen Âge afin de rompre avec les interprétations transhistoriques souvent circulaires (p. 11) et téléologiques (p. 1-4) qui ont parfois été mises en œuvre dans le cadre de l’étude des juifs au Moyen Âge.
  • [14]
     - Sur la discussion du livre, voir par exemple Philippe BUC, « Anthropologie et histoire », Annales HSS, 53-6, 1998, p. 1243-1249.
  • [15]
     - L’ouvrage qui a eu le plus de retentissement au sein de cette école historiographique est celui de Robert I. MOORE, La persécution. Sa formation en Europe, Xe-XIIIe siècle, Paris, Les Belles Lettres, [1987] 1991. La thèse la plus nettement opposée a été récemment défendue, on l’aura compris, par D. NIRENBERG, Violence..., op. cit.
  • [16]
     - L’un des seuls historiens à avoir abordé la question des expulsions de cette manière est Maurice Kriegel. On verra plus loin que la démarche suivie est très proche de celle qu’il propose dans son article : Maurice KRIEGEL, « Mobilisation politique et modernisation organique. Les expulsions de Juifs au Bas Moyen Âge », Archives de sciences sociales des religions, 46, 1978, p. 5-20.
  • [17]
     - I. LOEB, « Les juifs de Carpentras... », art. cit., p. 34, rappelle que dans la littérature hébraïque, ces communautés faisaient partie d’un ensemble appelé les « quatre communautés » (arba kehillot) car on y ajoutait celle d’Avignon.
  • [18]
     - L’annonce d’I. Loeb fut faite le 25 novembre 1880 devant les membres de la Société des études juives dont la revue était l’émanation : Simon SCHWARZFUCHS, « Deux revues et une science : la Monatsschrift für die Geschichte und Wissenschaft des Judentums et La Revue des Études juives », in S. C. MIMOUNI et J. OLSZOWY-SCHLANGER (dir.), Les revues scientifiques d’études juives : passé et avenir. À l’occasion du 120e anniversaire de la Revue des Études juives, Louvain-la-Neuve, Peeters, 2006, p. 137-164.
  • [19]
     - L’avis au lecteur, qui n’est pas signé mais que S. SCHWARZFUCHS, « Deux revues... », art. cit., p. 154, attribue à Zadoc Kahn, est à cet égard édifiant. Constatant le retard de la France dans le vaste mouvement scientifique et littéraire qui a renouvelé l’étude des Antiquités juives, Zadoc KAHN, « Éditorial », Revue des Études juives, I, 1880, p. V, propose de « relever la France de cet état d’infériorité... ». Lors de l’assemblée inaugurale de la Société des études juives, il avait par ailleurs annoncé que celle-ci devrait servir « la science pure et entièrement désintéressée » : S. SCHWARZFUCHS, « Deux revues... », art. cit., p. 151.
  • [20]
     - L. BARDINET, « Condition civile... », art. cit., 1880, et Id., « Antiquité et organisation des juiveries du Comtat Venaissin », Revue des Études juives, I, 1880, p. 262-292. L. Bardinet ne faisait cependant pas partie du groupe des chartistes. Il n’apparaît en effet pas dans le livret de 1891 : Société de l’École des Chartes, Livret de l’École des Chartes, 1821-1891, Paris, A. Picard, 1891.
  • [21]
     - I. LOEB, « Les juifs de Carpentras... », art. cit.
  • [22]
    L. Bardinet expliqua plus clairement ce qu’il avait voulu faire dans ce premier article sur le XIVe siècle dans un second article qu’il concevait comme son prolongement. Il s’agissait pour lui de montrer que, contrairement à une idée reçue, l’idée de tolérance n’était pas née au XVIIIe siècle mais bien au Moyen Âge et que l’attitude des papes face aux juifs en constituait la preuve. Léon BARDINET, « Condition civile des Juifs du Comtat Venaissin pendant le XVe siècle (1409-1513) », Revue des Études juives, 6, 1882, p. 1-40, ici p. 1 : « Nous avons montré ailleurs comment les principes de tolérance avaient été mis en pratique à l’égard des israélites par les papes d’Avignon au XIVe siècle, et comment grâce à eux, ces principes s’étaient répandus, dans leur entourage, parmi toutes les classes de la société... »
  • [23]
     - L. BARDINET, « Condition civile... », art. cit., 1880, p. 15.
  • [24]
     - Jacques BASNAGE, Histoire des Juifs, depuis Jésus-Christ jusqu’à présent... par M. Basnage, ..., La Haye, H. Scheurleer, 1716. Le choix de privilégier Basnage le conduisit à minorer d’autres informations, comme celles tirées des documents réunis par le marquis de Valbonnais, Jean-Pierre MORET DE BOURCHENU (1651-1730), dans son Histoire de Dauphiné et des princes qui ont porté le nom de dauphins, particulièrement de ceux de la troisième race, descendus des barons de La Tour-du-Pin, sous le dernier desquels a été fait le transport de leurs États à la couronne de France, Genève, 1721-1722, t. I, p. 74, qui montraient que l’expulsion pontificale avait conduit certains juifs à se réfugier dans le Dauphiné.
  • [25]
     - L. BARDINET, « Condition civile... », art. cit., 1880, p. 18.
  • [26]
     - S. SIMONSOHN, The Apostolic See..., op. cit., vol. 1, n368, 18 décembre 1345, p. 389- 390 : le pape Clément VI demande à Hugues de la Roques, recteur du Comtat de ne pas molester les juifs qui s’y sont récemment installés et d’en laisser d’autres s’installer.
  • [27]
     - I. LOEB, « Les juifs de Carpentras... », art. cit., p. 49-50. Il s’appuyait pour ce faire sur un acte du cartulaire de l’évêque de Carpentras, daté du 25 janvier 1385, concernant les tractations entre ce dernier et les juifs de la ville au sujet des redevances qu’il estimait lui être dues, acte qui en intégrait de plus anciens, dont une liste des chefs de famille de la ville datée de janvier 1345 et une réduction exceptionnelle des redevances pour cause de pauvreté des populations juives en janvier 1343 (1344). L’acte de 1385 étant daté en style de l’incarnation, il est fort probable que les actes intégrés en son sein le soient aussi, d’autant que c’était alors l’usage à la cour épiscopale de Carpentras. L’acte de janvier 1343 (Carpentras, Bibliothèque Inguimbertine, ms. 560, pièce 121) renverrait alors plutôt à janvier 1344.
  • [28]
     - Les revenus seigneuriaux de la papauté dans le Comtat étaient en effet vendus à l’encan chaque année et c’est lors de la vente des revenus de l’année allant de la Saint-Michel 1343 à la Saint-Michel 1344 que l’on voit réapparaître parmi les fermiers du pape quelques juifs, comme Astrugue Cassin, qui s’associa à Raymond Audebert et Bertrand Lambert pour prendre à ferme les revenus du pape à L’Îsle-sur-la-Sorgue : Archivio Segreto Vaticano (dorénavant ASV), Camera Apostolica (dorénavant Cam. Ap.), Introitus et Exitus (dorénavant Intr. et Ex.), 223, fol. 19 : redditus Insule annii supra proxime designati fuerunt venditi magistro Raymundo Auduberti, Bertrando Lamberti de Mornacio et Astrugo Cassini, judeo, precio franco deducta parte exitarum solita II(M) VIII(C) LXVI turon. arg. et duorum terciorum unius a quibus recepi ego thesaurarius supradictus pro precio dictorum reddituum II(M) LIIII(C) LXVI tur arg.
  • [29]
     - I. LOEB, « Les juifs de Carpentras... », art. cit., p. 47-48.
  • [30]
    Nous renvoyons à son ouvrage dans la traduction française réalisée en 1881 par Julien Sée et réédité dans Joseph ben Josué HAK-KOHEN, La vallée des pleurs. Chronique des souffrances du peuple juif, éd. par J.-P. Osier, Paris, Centre d’études Don Isaac Abravanel, 1981.
  • [31]
     - Ibid., p. 74 : « En l’année 5081, c’est-à-dire en 1321, Sancha, sœur du pape, voulut exterminer les juifs et ne le pouvant, pria son frère de les expulser de ses États. Celui-ci accueillit sa demande et ce fut alors pour Israël un temps de détresse. Dieu leur fit cependant trouver compassion dans le cœur de Frédéric, roi de Naples, qui tint bon contre tous les ennemis levés contre eux. Les juifs donnèrent 20 000 pièces d’or à cette femme ; dès lors elle se tut et l’ordre d’expulsion ne fut point exécuté. » L’auteur a probablement confondu Robert de Naples, comte de Provence et roi de Naples et de Provence (1309-1343), et Frédéric d’Aragon, roi de Sicile (1295-1337). De la même manière, il est remarquable que le prénom donné à la prétendue sœur du pape soit celui de Sancha que portait la femme de Robert de Naples. Noël VALOIS, « Jacques Duèse, pape sous le nom de Jean XXII », Histoire littéraire de la France, Paris, Impr. nationale, 1914, vol. 34, p. 391-630, ici p. 423, signale que la trame de ce récit pourrait remonter à la chronique de Profet Duran ou Ephodi (1350-1415) qu’il aurait rédigée entre 1396 et 1412. Voir à ce sujet Ernest RENAN et Adolf NEUBAUER, « Les écrivains juifs français du XIVe siècle », Histoire littéraire de la France, Paris, Impr. nationale, 1893, vol. 31, p. 351-789, ici p. 752.
  • [32]
    N. VALOIS, « Jacques Duèse... », art. cit. : « La même année, sous le règne de Philippe, roi de France, les malades furent très nombreux en France et beaucoup ayant succombé, les médecins déclarèrent les uns que cette maladie était la peste, les autres que c’était un empoisonnement, car l’Éternel avait confondu leur langage. Alors on accusa les juifs et les lépreux d’avoir jeté le poison dans les puits, et toute la population le crut. »
  • [33]
     - S. GRAYZEL, The Church..., op. cit., p. 323, n. 3. Sur ce point, I. Loeb reste cependant plus prudent que L. Bardinet car il connaît le document signalé par René de MAULDE, « Les juifs dans les États français du Saint-Siège au Moyen Âge », Bulletin historique et archéologique de Vaucluse, 1, 1879, p. 6, qui prouve que des juifs résidaient bien à Avignon en 1327.
  • [34]
     - L. BARDINET, « Condition civile... », art. cit., 1880, p. 47.
  • [35]
     - Sur cette question, voir Joseph SHATZMILLER, « The papal monarchy as viewed by medieval Jews », in Italia judaica. Gli ebrei nello Stato pontificio fino al ghetto (1555), Rome, Ministero per i beni culturali e ambientali, Ufficio centrale per i beni archivistici, 1998, p. 30-41. Cette chronique n’est évidemment pas la seule, ni la première à développer le thème de la bienveillance pontificale. On le retrouve par exemple, comme le rappelle Yosef Hayim YERUSHALMI, Sefardica. Essais sur l’histoire des juifs, des marranes et des nouveaux-chrétiens d’origine hispano-portugaise, Paris, Chandeigne, 1998, p. 90, chez Ibn Verga (Shebet Yehoudah, chapitre 14), qui reprend lui-même un récit plus ancien. Y.H. Yerushalmi en profite pour critiquer l’aveuglement des auteurs juifs et a, sur ce point, été contesté par Maurice KRIEGEL, « L’alliance royale, le mythe et le mythe du mythe. Sur Y.-H. Yerushalmi, Sefardica : essais sur l’histoire des Juifs, des marranes & des nouveaux-chrétiens d’origine hispano-portugaise, Éditions Chandeigne, 1998 », Critique, 632- 633, 2000, p. 14-30, en particulier p. 26-30.
  • [36]
     - René MOULINAS, « Velléités d’expulsion dans le Comtat Venaissin et à Avignon au XVIe siècle », in D. IANCU-AGOU (dir.), L’expulsion des juifs de Provence et de l’Europe méditerranéenne (XVe-XVIe siècles). Exils et conversions, Paris, Peeters, 2005, p. 103-110, ici p. 103.
  • [37]
    Par exemple Danièle et Carol IANCU, Les juifs du Midi. Une histoire millénaire, Avignon, A. Barthélemy, 1995, p. 87.
  • [38]
     - Céline BALASSE, 1306, l’expulsion des Juifs du royaume de France, Bruxelles, De Boeck, 2008, p. 65 et 152.
  • [39]
     - Ibid., p. 61-62.
  • [40]
     - N. VALOIS, « Jacques Duèse... », art. cit., p. 422. Suivi par S. GRAYZEL, « References to the Jews in the correspondence of John XXII », Hebrew Union College Annual, 23-2, 1950-1951, p. 60-61, note 1.
  • [41]
     - Lettre éditée dans S. SIMONSOHN, The Apostolic See..., op. cit., vol. 1, n312, p. 326-327.
  • [42]
     - Ibid., n313, p. 327-328.
  • [43]
     - C. GINZBURG, Le sabbat..., op. cit., p. 298, n. 48.
  • [44]
     - Pour un bilan récent sur cette expulsion, voir Béatrice LEROY, L’expulsion des Juifs d’Espagne, Paris, Berg international, 1990 ; Roland GOETSCHEL (dir.), 1492, l’expulsion des Juifs d’Espagne, Paris, Maisonneuve et Larose, 1995 ; Haim BEINART (dir.) The expulsion of the Jews from Spain, Oxford, Littman Library of Jewish Civilization, 2002. Sur les conditions détaillées de la vente de leurs biens par les juifs de Sicile en 1492, voir Henri BRESC, « L’expulsion des Juifs de Sicile », in D. IANCU-AGOU (dir.), L’expulsion des juifs de Provence..., op. cit., p. 59-76.
  • [45]
     - J. HAK-KOHEN, La vallée des pleurs..., op. cit., p. 69 : « mais alors ils s’en allèrent avec tous leurs biens et toutes leurs richesses ». Cette mention est évidemment peu fiable et tardive, elle ne constitue donc pas un argument, mais permet juste de montrer que l’équivalence entre expulsion et saisie des biens n’était une évidence pour personne.
  • [46]
     - La seule différence entre les deux auteurs est que L. Bardinet postulait l’existence de deux décisions pontificales distinctes quand C. Ginzburg envisageait un départ des juifs de Bédarrides suivi, un peu plus d’un an plus tard, par une expulsion. Avant l’acte de février 1321, la communauté de Bédarrides était déjà apparue dans les lettres pontificales à l’occasion du mouvement des Pastoureaux : S. SIMONSOHN, The Apostolic See..., op. cit., vol. 1, n304-306, p. 316-319. L’une d’elles avait été adressée à tous les nobles et officiers leur demandant de tout mettre en œuvre pour protéger les juifs du Comtat Venaissin mais aussi ceux de Noves et de Bédarrides, dans le diocèse d’Avignon : lettre du 9 juillet 1320, ibid., n306, p. 319.
  • [47]
     - La lettre concernant Noves est éditée dans S. SIMONSOHN, The Apostolic See..., op. cit., vol. 1, n321, p. 337-338, mais présentée comme une lettre concernant Châteauneuf-du-Pape, l’éditeur ayant confondu la forme latine de Châteauneuf, Castrum Novum, et celle de Noves, castrum Novarum. La lettre concernant Carpentras est éditée dans le même recueil : S. SIMONSOHN, The Apostolic See..., op. cit., vol. 1, n322, p. 338-339.
  • [48]
    La lettre concernant Carpentras comporte en plus la mention des biens affectés à l’entretien de la nouvelle chapelle, parmi lesquels on trouve un certain nombre d’anciennes possessions des juifs dont le bain et le cimetière de la communauté de Carpentras.
  • [49]
     - Actes du 22 et 31 juillet 1320, ibid., n307, p. 320. Sur cette pratique de la spoliation, voir L. BARDINET, « Condition civile... », art. cit., 1880, p. 14.
  • [50]
     - S. SIMONSOHN, The Apostolic See..., op. cit., vol. 1, n309, p. 321-323.
  • [51]
     - Ibid., n323, p. 340-341.
  • [52]
     - Ibid., n314, p. 328-329.
  • [53]
     - Il faut noter qu’à cette époque les comptes sont datés en style de la Nativité donc ne nécessitent pas de conversion de date (ce qui n’est plus le cas à partir de 1334), voir Claude FAURE, Étude sur l’administration et l’histoire du Comtat-Venaissin du XIIIe au XVe siècle (1229-1417), Paris, H. Champion, 1909, p. 5-13.
  • [54]
     - ASV, Cam. Ap., Coll. 261, fol. 28v : pro facto judeorum ut bona omnia que habebant in comitatu venderentur. Le choix de traduction ci-dessus ne doit pas faire oublier que dans les comptes, le terme de factum est alternativement employé avec le sens d’affaire : pro facto clavarie (ibid., Intr. et Ex. 141, fol. 22), pro facto molendinorum (ibid., Intr. et Ex. 223, fol. 223v), ou avec le sens de propriété, domaine : census pro facto de Balmetis (ibid., Intr. et Ex. 141, fol. 71), emerat... quoddam factum in territorio Serrarum (ibid., Coll. 261, fol. 139). Cela ne change cependant rien à la mention qui suit, indiquant clairement que tous les biens des juifs dans le Comtat doivent être vendus.
  • [55]
     - Ibid., fol. 31.
  • [56]
     - C. BALASSE, 1306..., op. cit., p. 65.
  • [57]
     - Voir Joshua STARR, « The mass conversion of Jews in southern Italy (1290-1293) », Speculum, 21-2, 1946, p. 203-211.
  • [58]
     - Voir S. GRAYZEL, « References... », art. cit., p. 62, n. 2 : « [this expulsion]... was due to the existence of converts to Christianity at the height of the Shepherds’ Persecutions, who, having found a refuge in the Comtat, now reverted to Judaism. The inquisitors, especially Bernard Gui, thereupon became active and stirred the pope to action », et Yosef Hayim YERUSHALMI, « The Inquisition and the Jews of France in the time of Bernard Gui », The Harvard Theological Review, 63-3, 1970, p. 317-376, en particulier p. 333, n. 45.
  • [59]
    Sur la situation du castrum de Bédarrides, fief de l’évêque dans le Comtat, voir C. FAURE, Étude..., op. cit., p. 33-34. Le castrum de Noves se trouvait quant à lui inclus dans la Provence et non dans le Comtat. L’évêque prétendait tenir ce fief directement de l’empereur et n’être donc pas soumis à la prestation de l’hommage auprès des comtes de Provence. Voir à ce sujet Marc MIELLY, Trois fiefs de l’évêché d’Avignon : Noves, Agel et Verquières des origines à 1481, Uzès, Henri Péladan, 1947.
  • [60]
     - Sur le renforcement du lien entre le souverain et les juifs, qui avait abouti dans certains cas à les considérer comme des serfs du souverain, voir Simon SCHWARZFUCHS, « De la condition des Juifs de France aux XIIe et XIIIe siècles », Revue des Études juives, 1966, p. 221-232 ; Maurice KRIEGEL, Les Juifs à la fin du Moyen Âge dans l’Europe méditerranéenne, Paris, Hachette Littératures, 1979, p. 16-19 ; C. BALASSE, 1306..., op. cit., p. 25-39. Sur les frictions entre pouvoir épiscopal et pouvoir pontifical à ce propos dans le contexte du Comtat, voir William Chester JORDAN, « The Jews and the transition to papal rule », Ideology and royal power in medieval France : Kingship, crusades and the Jews, Aldershot, Ashgate, 2001, p. 213-232.
  • [61]
     - Le début des travaux (à partir de septembre 1316) est détaillé dans ASV, Cam. Ap., Intr. et Ex. 14, à partir du folio 21. La suite a été éditée dans Karl Heinrich SCHÄFER, Die Ausgaben der apostolischen Kammer unter Johann XXII., Paderborn, F. Schöningh, 1911, p. 277-278.
  • [62]
     - Joseph Hyacinthe ALBANÈS et Ulysse CHEVALIER (éd.), Gallia christiana novissima. Histoire des archevêchés, évêques et abbayes de France, t. VII, Avignon, Valence, Impr. valentinoise, 1920, n942.
  • [63]
    Il avait nommé Gérald de Campimulo et Gasbert de Valle, ce dernier étant le trésorier de la Chambre apostolique, pour faire office de vicaires. Voir la lettre du 5 juillet 1318 in Guillaume MOLLAT (éd.), Jean XXII (1316-1334). Lettres communes analysées d’après les registres dits d’Avignon et du Vatican, Paris, A. Fontemoing, 1904, n8229. On peut ajouter que, profitant de la lutte entre deux prétendants pour le titre impérial, Louis de Bavière et Frédéric le Beau, duc d’Autriche, Jean XXII appliqua la constitution Romani principes promulguée par son prédécesseur. Il déclara donc le trône impérial vacant et s’en octroya le contrôle. Pour un rappel rapide sur ce conflit, voir Bernard GUILLEMAIN, Les papes d’Avignon, 1309-1376, Paris, Éd. du Cerf, 1998, p. 61-74.
  • [64]
     - ASV, Cam. Ap., Coll. 261, fol. 129 : Sequitur venditio et recepta hospiciorum possessionum olim judeorum habitantium infra comitatum Venaissini et curia venaissini confiscatorum. Primo de bonis immobilibus judeorum olim Valriacis habitancium.
  • [65]
    Ibid., fol. 130 : Sequntur venditiones bonorum immobilium judeorum qui olim morari solebant Carpentorati.
  • [66]
     - Ibid., fol. 132.
  • [67]
     - Ibid., fol. 133 : Et est sciendum quod pro recompensatione et satisfactione predictorum hospiciorum extimatorum et retentorum pro palacio et hospicio papali prout superius continetur fuerunt quedam hospicia que fuerunt judeorum olim habitancium in civitate Carpentorati extimata et tradita et assignata in recompensatione et satisfactione prout inferius particulariter continetur.
  • [68]
     - Ibid., fol. 136-139.
  • [69]
     - ASV, Cam. Ap., Coll. 260, fol. 332 ss.
  • [70]
     - ASV, Cam. Ap., Coll. 261, fol. 170-170v. Il existe en outre une copie de ces documents dans l’Introitus et Exitus 80, fol. 149 à 150v.
  • [71]
     - ASV, Cam. Ap., Coll. 261, fol. 170 : Sequntur recepta venditioni domorum et possessionum que fuerunt judeorum curie commissarum pro eo quia non vendiderant infra tempus eisdem judeis per judicem venaissini prefixum et assignatum.
  • [72]
    Il est fait allusion à ce droit de prélation lors de l’achat de terres pour doter la chapelle de Carpentras : ASV, Cam. Ap., Coll. 261, fol. 139. Dans les actes concernant les échanges d’hôtels à Carpentras, on observe que deux propriétaires juifs ont vu leurs biens saisis alors qu’ils les avaient déjà vendus : ibid., fol. 134 : Item pro hospiciis Guillelmi et Alfanti Razeire, extimatis triginta lib. johann. fuerunt tradita et assignata duo alia hospicia quorum unum fuit Compradoni et aliud Astrugue de Bona Hora judeorum qui venditi fuerant XLX lib. johann. et confiscati curie et ideo non solvi aliquid.
  • [73]
     - ASV, Cam. Ap., Coll. 261, fol. 85v.
  • [74]
     - Cela se produit par exemple en 1180 dans le domaine royal, les juifs sont arrêtés puis libérés et ne peuvent récupérer leurs biens qu’en échange de 15 000 marcs. Même chose en 1210 où cette fois, c’est une amende de 250 000 livres qui est exigée d’eux : C. BALASSE, 1306..., op. cit., p. 29, 31.
  • [75]
     - E.A. R. BROWN, « Philip V... », art. cit., p. 314-317. Cela expliquerait pourquoi des représentants des juifs auraient demandé la production devant le Parlement du document de Louis X, daté de 1315, qui leur garantissait de pouvoir résider en paix en France jusqu’en 1327.
  • [76]
     - Ibid., p. 319-320.
  • [77]
     - I. LOEB, « Les juifs de Carpentras... », art. cit., p. 50.
  • [78]
     - K. R. STOW, « The Avignonese papacy... », art. cit., p. 293 ; D. NIRENBERG, Violence..., op. cit., p. 81.
  • [79]
     - C. GINZBURG, Le sabbat..., op. cit., p. 58-61.
  • [80]
     - Ibid., p. 46-47 et 57. Ce sire de Parthenay fut ensuite poursuivi par l’Inquisition à partir de 1323 et réussit, grâce à l’obstination de ses proches, à voir son procès porté en appel devant Jean XXII et à obtenir l’abandon des charges pesant sur lui. Voir Jean-Marie VIDAL, Le Sire de Parthenay et l’Inquisition, 1323-1325, Paris, Impr. nationale, 1904.
  • [81]
     - C. GINZBURG, Le sabbat..., op. cit., p. 53-56.
  • [82]
     - Ibid., p. 61-62.
  • [83]
     - Ibid., p. 296, n. 42.
  • [84]
    G. D. MANSI, Sacrorum Conciliorum..., op. cit., col. 569 : Joannes episcopus, Servus Servorum Dei, universis Christi fidelibus, praesertim neophytis et cathechumenis, ac omnibus Christianitati adherentibus...
  • [85]
     - Ibid., col. 569 : dilecto filio nostro Philippo comite d’Anjou, filio secundum carnem victorissimi viri domini Caroli de Valois... ; col. 570 : facta fuit horribilis eclipsis solis in comitatu d’Anjou et de Touraine...
  • [86]
     - Il ne fait d’ailleurs que la reprendre du recueil de Jean HARDOUIN, Acta conciliorum et epistolae decretales ac constitutiones summorum pontificum, Parisiis, Typographia Regia, 1714, t. VII, col. 1405-1409.
  • [87]
     - Josef EMLER (éd.), Fontes Rerum Bohemicarum, Prameny d?jin ?eských, t. IV, Prague, Nákladem Musea královstvi ?e?kéh, 1884.
  • [88]
     - Ibid., p. 258-260.
  • [89]
     - Ibid., p. 257 : Epistolam vero papalem, ut creditur, causam et materiam huius negocii continentem in Morimundensi monasterio a quodam, qui eam se habuisse fatebatur a Romana curia, propria manu scripsi et hic de verbo ad verbum hanc in cetera annotavi. Utrum autem eadem epistola ex certa sciencia domini pape processerit, pro certo nescio, sed hoc discutere legencium iudicio derelinquo. Il existe deux monastères cisterciens portant le nom de Morimond : le plus important est celui qui constituait la quatrième abbaye fille de Cîteaux, situé en Haute-Marne dans le diocèse de Langres, et le second est le monastère de Morimondo en Italie, près de Milan. Cependant, dans la mesure où le monastère de Zbraslav, qui devint la nécropole des rois de Bohême, est une abbaye fille du Morimond français, l’identification ne semble guère faire de doute. Voir Louis DUBOIS, Histoire de l’abbaye de Morimond... quatrième fille de Cîteaux... : ouvrage où l’on compare les merveilles de l’association cénobitique aux utopies socialistes de nos jours, éd. par P.-L. Parisis, Paris, Sagnier et Bray, 1851, p. 264.
  • [90]
     - Comme l’a remarqué M. Kriegel, si le contexte dans lequel la lettre de Philippe de Valois fut éventuellement écrite exclut d’en faire l’élément ayant déclenché l’expulsion des juifs du Comtat, le contenu même de la lettre est cohérent avec ce qu’on peut savoir par ailleurs de l’action de ce dernier lorsqu’il devint Philippe VI. S. GRAYZEL, The Church..., op. cit., p. 336-337, fait en effet allusion à une lettre du pape Jean XXII, datée du 22 mars 1329, éditée dans S. SIMONSOHN, The Apostolic See, op. cit., n341, p. 357-359, qui répondait à une demande de Philippe VI. Le roi avait écrit au pape pour lui demander d’accorder des indulgences à tous ceux qui visiteraient une chapelle, construite dans le monastère cistercien de Cambron, au diocèse de Cambrai ; après qu’un juif récemment converti y ait transpercé d’une lance une image de la Vierge. Cet épisode a fait l’objet de plusieurs récits qui ne s’accordent ni sur le détail de l’affaire, ni sur sa date qui oscille entre 1322 et 1326 : voir Jean STENGERS, « Les juifs dans les Pays-Bas au Moyen Âge », Mémoires de l’Académie royale de Belgique, XLV-2, 1950, p. 20 et 117-118, qui fait à la fois le bilan des sources et de la bibliographie sur cette question. L’intérêt qu’un tel épisode suscita chez Philippe VI laisse effectivement penser qu’il n’est pas impossible qu’une lettre du genre de celle évoquée par Pierre de Zittau ait bien été envoyée par le même souverain au pape Jean XXII quelques années auparavant.
  • [91]
    Même si nous avons indiqué plus haut que plusieurs copies existaient de ces comptes, nous suivrons ici la version de ASV, Cam. Ap., Coll. 261, fol. 132-139.
  • [92]
    Ibid., fol. 132-132v : Sequntur extimationes hospiciorum emptorum de mandato domini nostri pape in civitate Carpentorati pro faciendo hospicium papale in quibus quidem hospiciis morantur judex maior, procurator thesaurarius et vicarius et tenentur curie judicis et vicarii predictorum et pro dictis hospiciis fuerunt queddam alia hospicia juxta extimationem tradita et assignata prout inferius particulariter continetur.
  • [93]
     - Ibid., fol. 133.
  • [94]
     - C. BALASSE, 1306..., op. cit., p. 153.
  • [95]
     - ASV, Cam. Ap., Coll. 261, fol. 138v : un total de toutes les dépenses effectuées pour la chapelle et l’hôtel des chapelains donne la somme de 1159 livres. Au folio suivant, on ajoute encore à la dotation de la chapelle des biens d’une valeur de 50 livres.
  • [96]
     - Ibid., fol. 137.
  • [97]
     - Sur la construction de ce palais, voir Eugène MÜNTZ, « Le palais pontifical de Pont-de-Sorgues », Mémoires de la société nationale des antiquaires de France, 45, 1884, p. 17-36 ; Maurice FAUCON, « Les arts à la cour d’Avignon sous Clément V et Jean XXII », Mélanges d’archéologie et d’histoire, t. II, 1882, p. 36-65, et t. IV, 1884, p. 57-130 ; Anthony T. LUTTRELL et Thomas F. C. BLAGG, Le palais papal et autre bâtiments du XIVe siècle à Sorgues, près d’Avignon, Études sorguaises, 10, 1997, et Id., « The papal palace and other fourteenth-century buildings at Sorgues near Avignon », Archaeologia, 109, 1991, p. 161-192.
  • [98]
     - On les retrouve dans les comptes de construction de Pont-de-Sorgues avec la mention de leur provenance dans ASV, Cam. Ap. Intr. et Ex., 37, par exemple fol. 10v.
  • [99]
     - ASV, Cam. Ap., Coll. 261, fol. 1-2v. Par exemple, pour l’année 1320-1321, pour les seuls revenus dits « généraux » du pape (donc sans compter les revenus des biens reçus en don des Hospitaliers), on trouve Astrugue de Noves (pour les revenus de Pernes, La Roque-sur-Pernes), Senhor Belan (Cavaillon), Bonjudas Cassini (Oppède et Bonnieux en association avec Guillaume Langeri, damoiseau, Mormoiron, Malaucène et Serres en association pour ceux-là avec Bonjudas Belan et Boniface Nigri, Séguret et Sablet en association avec Nigri, Crescas et Samuel de Narbonne, Lapalud avec Nigri, Mornas avec Nigri), Boniface Nigri (Malaucène et Serres, Séguret, Sablet en association avec Bonjudas Cassini, Crescas et Samuel de Narbonne, Lapalud avec Cassini, Mornas avec Cassini), Vinas de Perpignan (Bollène), Salvet de Beaucaire (Caderousse), Dius de Narbonne et Salvet de Lucete (Pont-de-Sorgues et Entraigues).
  • [100]
     - ASV, Cam. Ap., Coll. 260, fol. 209-210v et fol. 241-243v pour 1321-1322 et ibid., Coll. 261, fol. 48v-58 et fol. 85-88 pour 1322-1323.
  • [101]
     - L’ensemble formé par les revenus d’Oppède, Bonnieux et Ménerbes par exemple se vendait en 1321-1322 pour 4 025 tournois d’argent (mais les enchérisseurs juifs n’en avaient encore payé que 3 850 à la fin de l’année) : ASV, Cam. Ap., Coll. 260, fol. 209v. En 1322-1323, la levée par un damoiseau local, Guillaume Alfant, et par le clavaire Jacques de Crota permit de rassembler 5 048 livres tournois : Coll. 261, fol. 49v.
  • [102]
    Zenobio Thome achète un hôtel parmi les biens des juifs non retenus par la papauté en 1323-24, ibid., fol. 130. En revanche Nicola Gerelli, présenté comme un Italien habitant Carpentras, voit les biens qu’il tente d’acheter au même moment retenus par les officiers pontificaux, ibid., fol. 139. Plusieurs années plus tard, dans les comptes de l’année 1335-1336 (1334-1335 en ancien style et dans les registres), Zenobio Thome est décrit comme un Florentin habitant Oppède (ibid., Intr. et Ex. 141, fol. 57v).
  • [103]
     - Ibid., Coll. 261, fol. 96v.
  • [104]
     - Ibid., fol. 96-97v, fol. 154-156v pour 1323-1324.
  • [105]
     - C. BALASSE, 1306..., op. cit., « Besoin d’argent », p. 283-291.
  • [106]
     - Sur la réforme de la fiscalité pontificale, voir Bernard GUILLEMAIN, La cour pontificale d’Avignon, 1309-1376. Étude d’une société, Paris, E. De Boccard, 1962. Pour évaluer la richesse de Jean XXII, voir K.-H. SCHÄFER, Die Ausgaben..., op. cit.
  • [107]
     - ASV, Cam. Ap., Intr. et Ex. 80, fol. 149.
  • [108]
     - Clavaire de Valréas en 1317-1318 (ibid., Coll. 260, fol. 9, 19v) et en 1319-1324 (ibid., Coll. 260, fol. 70v, 112).
  • [109]
     - Juge de Valréas en 1319-1326 (ibid., Coll. 260, fol. 87-88, Coll. 261, fol. 23, 71, 114, Intr. et Ex. 80, fol. 118), juge criminel jusqu’au 4 décembre 1334 (ibid., Intr. et Ex. 141, fol. 44v), juge et viguier de Carpentras en 1338-1339 (ibid., Registra Avenionensia 53, fol. 347) et 2 mois et demi en 1340-1341 (ibid., Reg. Av. 53, fol. 410v).
  • [110]
     - Clavaire de Valréas en 1318-1319 (jusqu’au 13 octobre 1319, ibid., Coll. 260, 34v, 42, fol. 70v), adjudicataire de Richerenches en 1321-1323 (ibid., fol. 241v, Coll. 261, fol. 85v).
  • [111]
     - Le premier livre de comptes de Jean XXII commence par l’emprunt de 5 000 florins (ASV, Cam. Ap., Intr. et Ex. 14, fol. 1).
  • [112]
     - Sur les débuts du pontificat de Jean XXII, voir B. GUILLEMAIN, La cour pontificale d’Avignon, 1309-1376..., op. cit., et Valérie THEIS, « De Jacques Duèse à Jean XXII. La construction d’un entourage pontifical », Cahiers de Fanjeaux, 45, sous presse.
  • [113]
    Voir B. GUILLEMAIN, Les papes..., op. cit., p. 20-59 ; Edmond ALBE, « Autour de Jean XXII. Les familles du Quercy. Deuxième partie. I. Le frère et les sœurs du pape », Annales de Saint-Louis-des-Français, I, 1902, p. 57-102.
  • [114]
    Voir B. GUILLEMAIN, La cour pontificale d’Avignon, 1309-1376..., op. cit. ; Louis CAILLET, La Papauté d’Avignon et l’Église de France. La politique bénéficiale du pape Jean XXII en France, 1316-1334, Paris, PUF, 1975, et sur la réforme de la Chambre apostolique, voir Valérie THEIS, « La réforme comptable de la Chambre apostolique et ses acteurs au début du XIVe siècle », Mélanges de l’École française de Rome – Moyen Âge, 118-2, 2006, p. 169-182.
  • [115]
     - Sur le palais, voir n. 98. Sur la monnaie, voir Marc BOMPAIRE, « La monnaie de Pont-de-Sorgues dans la première moitié du XIVe siècle », Revue numismatique, 6-25, 1983, p. 139-176 et Edoardo MARTINORI, « La zecca papale di Ponte della Sorga (Contado Venesino) », Rivista italiana di numismatica, XX, 1907, p. 215-256.
  • [116]
    Beaucoup d’entre eux ont laissé des traces dans le chartrier de l’évêque, Carpentras, Bibliothèque Inguimbertine, ms. 560. Voir V. Theis, Le gouvernement..., op. cit.
  • [117]
     - Le 24 octobre 1302, le recteur et son sénéchal avaient obtenu de pouvoir mener les affaires relatives au Comtat Venaissin lorsqu’ils résidaient à Carpentras (ASV, Cam. Ap., Coll. 494, fol. 67). Sous le pontificat de Boniface VIII, l’évêque de Carpentras, Bérenger Forneri, avait été poursuivi à la fois pour des affaires financières et parce qu’un chanoine de Carpentras, Raymond Durandi, avait fait appel au Siège apostolique en l’accusant d’homicide, de sacrilège, de simonie et d’empoisonnement ainsi que d’usage injustifié de l’excommunication sur des frères mineurs et d’autres clercs. La papauté avait fait durer la procédure qui n’avait abouti à aucune condamnation jusqu’en 1307 : Charles GRANDJEAN (éd.), Le registre de Benoît X. Recueil des bulles de ce pape, Paris, Fontemoing, 1905, n990, et Regestum Clementis papae V e Vaticanis archetypis... nunc primum editum cura et studio monachorum ordinis S. Benedicti, Rome, Typographia vaticana, 1885, no1323, 1682 et 1778.
  • [118]
     - Carpentras, Bibliothèque Inguimbertine, ms. 560, pièce 10.
  • [119]
    ASV, Instrumenta Miscellanea 617 : 1317, 30 août-18 septembre, actes relatifs à l’achat de Valréas. Les sommes collectées sont enregistrées dans ASV, Cam. Ap., Coll. 260, fol. 49-53v.
  • [120]
     - Jacques CHIFFOLEAU, Les justices du pape. Délinquance et criminalité dans la région d’Avignon au quatorzième siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 1984.
  • [121]
     - D. NIRENBERG, Violence..., op. cit., p. 59-60.
  • [122]
     - Ibid., p. 62.
  • [123]
    K. R. STOW, « The Avignonese papacy... », art. cit., p. 278-280, et S. GRAYZEL, « Popes, Jews and Inquisition. From Sicut to Turbato », The Church..., op. cit., p. 3-45 et en particulier p. 11.
  • [124]
     - Norman P. ZACOUR, Jews and Saracens in the consilia of Oldradus de Ponte, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 1990.
  • [125]
     - Ibid., p. 6-7.
  • [126]
     - Ibid., p. 8 et p. 22-23, Consilia 128.
  • [127]
     - L. BARDINET, « Condition civile... », op. cit., 1880, p. 34.
  • [128]
     - N. P. ZACOUR, Jews and Saracens..., op. cit., p. 54-58 pour la traduction en anglais et p. 83-84 pour la version latine.
  • [129]
     - Ibid., p. 62-67 pour la version anglaise et p. 86-89 pour l’édition latine.
  • [130]
     - Ibid., p. 28.
  • [131]
     - Ibid., p. 54.
  • [132]
     - Sur la progressive assimilation des juifs à des serfs, voir Alexander PATSCHOVSKY, « The relationship between the Jews of Germany and the king (11th-14th centuries). A European comparison », in A. HAVERKAMP et H. VOLLRATH (dir.), England and Germany in the High Middle Ages, Londres/Oxford, German Historical Institute London/ Oxford University Press, 1996, p. 193-218.
  • [133]
     - N. P. ZACOUR, Jews and Saracens..., op. cit., p. 56-57.
  • [134]
     - Ibid., p. 65.
  • [135]
     - M. KRIEGEL, Les Juifs..., op. cit., p. 230.
  • [136]
     - C. GINZBURG, Le sabbat..., op. cit., p. 48, et D. NIRENBERG, Violence..., op. cit., p. 65.
  • [137]
     - W. C. JORDAN, « The Jews... », art. cit., p. 228-232.
  • [138]
     - S. SIMONSOHN, The Apostolic See..., op. cit., vol. 1, n368, 18 décembre 1345, p. 389-390.
  • [139]
     - Carpentras, Bibliothèque Inguimbertine, ms. 560, pièce 124 ; I. LOEB, « Les juifs de Carpentras... », art. cit. p. 50.
  • [140]
     - S. SIMONSOHN, The Apostolic See..., op. cit., vol. 1, n373, p. 397-398.
  • [141]
     - Ibid., vol. 1, n372, p. 396.
  • [142]
     - D. NIRENBERG, Violence..., op. cit., p. 23.
  • [143]
     - M. KRIEGEL, « Mobilisation... », art. cit., p. 7.
  • [144]
     - Barnett Lionel ABRAHAMS, « The expulsion of the Jews from England in 1290 », The Jewish Quaterly Review, 7-1, 1894, p. 75-100, 7-2, 1895, p. 236-258 et 7-3, 1895, p. 428- 458. Barnett D. OVRUT, « Edward I and the expulsion of the Jews », The Jewish Quarterly Review, 67, 1977, p. 224-235.
  • [145]
     - E.A. R. BROWN, « Philip V... », art. cit.
  • [146]
     - C. BALASSE, 1306..., op. cit., p. 269-314.
  • [147]
     - M. KRIEGEL, « Mobilisation... », art. cit., p. 11-13 et Michael PRESTWICH, Edward I, Berkeley, University of California Press, 1988, en particulier p. 342-346.
  • [148]
     - Robert C. STACEY, « Parliamentary negociation and the expulsion of the Jews from England », in M. PRESTWICH, R. H. BRITNELL et R. FRAME (dir.), Thirteenth century England VI. Proceedings of the Durham conference 1995, Woolbridge, The Boydell Press, 1997, p. 77-101, ici p. 82 : « There was no sense of crisis, therefore, about Edward’s situation in 1289. » Sans être d’accord avec lui sur les causes de l’expulsion des juifs (en particulier sur le rôle qu’a pu jouer la négociation au Parlement afin d’obtenir le consentement pour la levée de nouveaux impôts en 1290, p. 251), Robin R. MUNDILL, England’s Jewish solution, 1262-1290 : Experiment and expulsion, Cambridge, Cambridge University Press, 1998, n’est pas non plus d’accord avec une explication par la crise, insistant plutôt sur les effets sur le long terme du statut des juifs de 1275 (p. 260), sur les convictions personnelles, la piété du roi et ses relations avec le clergé (p. 268-274), ainsi que sur le développement d’un climat favorisant ce type d’action dans l’ensemble de l’Europe (p. 279-285).
  • [149]
     - Gilbert DAHAN (dir.), L’expulsion des Juifs de France, 1394, Paris, Éd. du Cerf, 2004.
  • [150]
     - D. NIRENBERG, Violence..., op. cit., p. 62.
  • [151]
     - M. KRIEGEL, « Mobilisation... », art. cit., p. 15.
  • [152]
     - Ibid., p. 19.
  • [153]
    - C. BALASSE, 1306..., op. cit., p. 312-314.
  • [154]
     - D. NIRENBERG, Violence..., op. cit., p. 82.
  • [155]
     - Ibid., p. 6 : « Mon approche met aussi en cause l’insistance actuelle sur la longue durée dans la chronologie de la persécution des minorités », et ibid., p. 308 : « pour cette raison, l’enchaînement, quelque élégant qu’il soit, de tels épisodes en une ‘longue durée’ de mentalités persécutrices ne peut que laisser inexpliquées les longues périodes d’interaction complexe, apparemment stables, qui les séparent et les produisent. »

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