Notes
-
[1]
- Voir notamment Hans Ulrich GUMBRECHT, Production of presence : What meaning cannot convey, Stanford, Stanford University Press, 2004.
-
[2]
Voir ici encore Hans Ulrich GUMBRECHT, The powers of philology : Dynamics of textual scholarship, Urbana, University of Illinois Press, 2003 ; et voir aussi Geoffrey Galt HARPHAM, « Roots, races and the return to philology », Representations, 106, 2009, p. 34- 62, ici p. 53-54, qui situe H.U. Gumbrecht dans le mouvement général d’une quête de stabilité méthodologique dans les sciences textuelles qui résulterait d’une obligation de justification envers la société.
-
[3]
- Paul DE MAN, The resistance to theory, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1986, p. 3-26 ; Edward W. SAID, Humanism and democratic criticism, New York, Columbia University Press, 2004, p. 57-84.
-
[4]
- Erich AUERBACH, Mimesis. Dargestellte Wirklichkeit in der abendländischen Literatur, Tübingen, Francke, [1946] 2001.
-
[5]
- Voir E. W. SAID, Humanism and democratic criticism, op. cit., chap. « Introduction to Erich Auerbach’s Mimesis », p. 85-118.
-
[6]
- Le débat auquel il est fait allusion ici porte sur une tradition allemande de l’histoire de la philologie qui a eu une signification majeure pour la structuration des sciences textuelles dans les universités américaines. En raison de l’orientation fortement normative des « Belles-Lettres », la philologie n’a pas en France de statut culturel comparable. Voir à ce sujet Michael WERNER, « Le moment philologique des sciences historiques allemandes », in J. BOUTIER, J.-C. PASSERON et J. REVEL (dir.), Qu’est-ce qu’une discipline ?, Paris, Éd. de l’EHESS, 2006, p. 171-192. Dans le sens d’une pratique du savoir en tant que « theory of textuality as well as the history of textualized meaning » selon Sheldon POLLOCK, « Future philology ? The fate of a soft science in a hard world », Critical Inquiry, 35, 2009, p. 931-961, ici p. 934, la philologie a naturellement, en France aussi, une signification méthodologique, même si c’est peut-être plus en dehors des domaines dits « centraux », par exemple dans les philologies dites des minorités (Occitan, Breton, etc.) et dans l’orientalisme. Ceux-ci se distinguent de la critique littéraire classique surtout par la combinaison de la recherche sur la langue et les textes avec une exigence herméneutique culturelle.
-
[7]
- Voir G. G. HARPHAM, « Roots, races and the return to philology », art. cit., p. 34-41.
-
[8]
- John Coetzee ayant présenté son discours de Munich sous la forme d’une parabole, il est difficile d’en restituer le sens général par des citations ; nous proposons néanmoins ici quelques extraits de son récit à titre d’exemple : « For decades those same ex public schoolboys, with their romantic ideas of Greek antiquity, administered Zululand on behalf of the Crown. They wanted Zululand to be Sparta. They wanted the Zulus to be Greeks. So to Joseph and his father and his grandfather the Greeks aren’t remote foreign people at all. They were offered the Greeks, by their new rulers, as a model of the kind of people they ought to be and could be. They were offered the Greeks and they rejected them. [...] Come to our schools, they said, and we will teach you to be as gods. In our schools you will learn reason and the sciences that flow from reason, so that you can master the world. Master disease too, and the corruption of the flesh. We will teach you to live forever. Well, the Zulus knew better » : John M. COETZEE, The humanities in Africa, Munich, Carl-Friedrich-von-Siemens-Stiftung, 2001, p. 78-79.
-
[9]
Voir aussi G. G. HARPHAM, « Roots, races and the return to philology », art. cit., p. 41-50.
-
[10]
Edward W. SAID, Orientalism : Western conceptions of the Orient, Londres, Penguin Books, [1978] 1995.
-
[11]
- E. W. SAID, Humanism and democratic criticism, op. cit., p. 10 sq.
-
[12]
- La dimension éthique d’une philologie qui se comprend comme un travail sur les archives textuelles d’un savoir de l’homme est le point de départ de mes réflexions : Markus MESSLING, « Disziplinäres (Über-) Lebenswissen. Zum Sinn einer kritischen Geschichte der Philologie », Lendemains. Études comparées sur la France, 129, 2008, p. 102- 110 ; Id., « Zum Lebenswissen der Textwissenschaften. Für eine kritische Geschichte der Philologie », in W. ASHOLT et O. ETTE (dir.), Literaturwissenschaft als Lebenswissenschaft. Programm – Projekte – Perspektiven, Tübingen, Narr, 2010, p. 127-136.
-
[13]
- Voir G. G. HARPHAM, « Roots, races and the return to philology », art. cit., p. 54 sq.
-
[14]
- Ce n’est pas sans raison que Charles DARWIN, The descent of man, and selection in relation to sex, Londres, Murray, [1871] 1882, p. 174 sq., avance le nombre divergent des « races humaines » prétendument différentes dans les théories des races de son temps comme un argument majeur pour montrer que le concept de race n’a tout simplement aucune valeur en tant que catégorie scientifique.
-
[15]
- Markus MESSLING, Pariser Orientlektüren : zu Wilhelm von Humboldts Theorie der Schrift ; nebst der Erstedition des Briefwechsels zwischen Wilhelm von Humboldt und Jean-François Champollion le jeune (1824-1827), Paderborn/Munich/Vienne/Zurich, Schöningh, 2008, p. 238-243 et p. 266-268.
-
[16]
- August SCHLEICHER, Die Bedeutung der Sprache für die Naturgeschichte des Menschen, Weimar, Böhlau, 1865, p. 16-19.
-
[17]
Sylvain AUROUX, « Introduction : le paradigme naturaliste », Histoire Épistémologie Langage, 29-2, 2007, p. 5-15, ici p. 8.
-
[18]
- Pierre DESMET, « Abel Hovelacque et l’école de linguistique naturaliste. L’inégalité des langues permet-elle de conclure à l’inégalité des races ? », Histoire Épistémologie Langage, 29-2, 2007, p. 41-59, ici p. 45-48.
-
[19]
- Ernest RENAN, Histoire générale et système comparé des langues sémitiques. Première partie, Histoire générale des langues sémitiques, Paris, Impr. impériale, [1855] 1863.
-
[20]
- Arthur de GOBINEAU, Essai sur l’inégalité des races humaines, texte présenté, établi et annoté par J. Boissel, in J. GAULMIER (dir.), Œuvres, Paris, Gallimard, 1987, vol. I, p. 133- 1174, ici p. 315-339.
-
[21]
- Michel FOUCAULT, « Il faut défendre la société ». Cours au Collège de France (1975-1976), éd. établie sous la direction de F. Ewald et A. Fontana par M. Bertani et A. Fontana, Paris, Gallimard/Le Seuil, 1997, p. 216.
-
[22]
- Ibid., p. 57-68.
-
[23]
- Ibid., p. 63.
-
[24]
- Ibid., p. 68-70.
-
[25]
- Ibid., p. 70-73.
-
[26]
- Ibid., p. 229.
-
[27]
- Jürgen TRABANT, Mithridates im Paradies. Kleine Geschichte des Sprachdenkens, Munich, Beck, 2003, p. 241 ; Anke BOSSE, « ‘Orientalomanie’ ? Zu Friedrich Schlegels Konzeptionalisierungen von ‘Religion’ und ‘Orient’ », in A. von BORMANN (dir.), Romantische Religiosität, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2005, p. 225-242 ; et René-Marc PILLE, « À la fracture du classicisme et du romantisme : l’Inde, sujet de discorde entre Goethe et Friedrich Schlegel », in M. CLUET (dir.), La fascination de l’Inde en Allemagne 1800- 1933, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, p. 25-45.
-
[28]
Ruth RÖMER, Sprachwissenschaft und Rassenideologie in Deutschland, Munich, Fink, [1985] 1989, p. 112 sq.
-
[29]
- Michel FOUCAULT, Les mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, 1966, p. 303.
-
[30]
Au milieu du XIXe siècle, Rudolf HAYM, Wilhelm von Humboldt. Lebensbild und Charakteristik, Berlin, Gaertner, 1856, p. 582, fait déjà allusion à une « indomanie des romantiques ».
-
[31]
- Voir à ce sujet l’analyse fondamentale de l’histoire idéologique par Maurice OLENDER, Les langues du Paradis. Aryens et sémites : un couple providentiel, Paris, Gallimard/Le Seuil, 1989.
-
[32]
- Voir M. MESSLING, Pariser Orientlektüren..., op. cit., p. 43-58.
-
[33]
- Ainsi en va-t-il depuis Karl Josef WINDISCHMANN (dir.), Franz Bopp über das Conjugationssystem der Sanskritsprache in Vergleichung mit jenem der griechischen, lateinischen, persischen und germanischen Sprache : Nebst Episoden des Ramajan und Mahabharat in genauen metrischen Uebersetzungen aus dem Originaltexte und einigen Abschnitten aus den Veda’s, Francfort/Main, Andreä, 1816.
-
[34]
- August SCHLEICHER, Die Darwinsche Theorie und die Sprachwissenschaft. Offenes Sendschreiben an Herrn Dr. Ernst Häcke, Weimar, Böhlau, 1863.
-
[35]
Concernant la rupture afférente à la recherche linguistique humboldtienne, voir Brigit BENES, Wilhelm von Humboldt, Jacob Grimm, August Schleicher. Ein Vergleich ihrer Sprachauffassungen, Winterthur, Keller, 1958, p. 129.
-
[36]
- Dans son célèbre essai sur le structuralisme dans la recherche linguistique, Ernst CASSIRER, « Structuralism in modern linguistics », Word. Journal of the Linguistic Circle of New York, 1-1, 1945, p. 99-120, l’a formulé ainsi : « It is – language, a very specific human activity, not describable in terms of physics, chemistry, or biology. The best and most laconic expression of this fact was given by Wilhelm von Humboldt when he declared that language is not an ????? but an ????????. To put it shortly, we may say that language is ‘organic’, but that it is not an ‘organism’. It is organic in the sense that it does not consist of detached, isolated, segregated facts. »
-
[37]
- Jürgen TRABANT, Humboldt ou le sens du langage, Liège, Mardaga, [1986] 1992 ; Id., Traditions de Humboldt, Paris, Éd. de la MSH, [1990] 1999.
-
[38]
- J. TRABANT, Traditions de Humboldt, op. cit., p. 57-63 ; Id., Mithridates im Paradies..., op. cit., p. 260-269 ; M. MESSLING, Pariser Orientlektüren..., op. cit., p. 48-58. Contrairement à toute la tradition de recension qui met en avant le moment de l’historicité, Hans-Georg GADAMER, Wahrheit und Methode. Grundzüge einer philosophischen Hermeneutik, Tübingen, Mohr, [1960] 1972, p. 380, a précisément relevé le devenir scientifique de la recherche linguistique dans le rapport synchrone à l’esprit souligné par Johann Gottfried von Herder et Humboldt.
-
[39]
- M. MESSLING, Pariser Orientlektüren..., op. cit., p. 238-240.
-
[40]
Friedrich von SCHLEGEL, Über die Sprache und Weisheit der Indier. Ein Beitrag zur Begründung der Alterthumskunde, Amsterdam, Benjamins, [1808] 1977, p. 44-66.
-
[41]
- M. MESSLING, Pariser Orientlektüren..., op. cit., p. 243-250.
-
[42]
- En ce qui concerne Humboldt, il semble que la pensée national-socialiste désespère de pouvoir l’inclure dans une tradition de la pensée raciale sans prendre le risque d’altérer son propos, comme on le voit par exemple dans les travaux, fortement emprunts de raisonnement « völkisch », de Wilhelm Grau et Karl Ludwig Schemann. Voir à ce sujet Markus MESSLING, « L’Homme ? Destruktion des Menschen in der Humboldt-Rezeption bei Gobineau », in U. TINTEMANN et J. TRABANT (dir.), Individualität und Universalität bei Wilhelm von Humboldt, Munich, Fink, 2011, sous presse.
-
[43]
- J. TRABANT, Mithridates im Paradies..., op. cit., p. 251-252, a lui aussi souligné que « Foucault [exagère] le caractère sonore de la langue dans la linguistique historique (par rapport au caractère [Wesen] cognitif-représentatif de la langue dans le penser linguistique philosophique classique), afin de mettre en scène dramatiquement la rupture épistémique supposée ».
-
[44]
- La structure de la pensée de l’Aufklärung comme pensée supra-historique (super-historical) est décrite par Hayden WHITE, Tropics of discourse : Essays in cultural criticism, Baltimore/Londres, Johns Hopkins University Press, [1978] 1985, p. 161 sq.
-
[45]
- Voir surtout M. FOUCAULT, Les mots et les choses, op. cit. ; Id., L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969 ; Id., L’ordre du discours. Leçon inaugurale au Collège de France prononcée le 2 décembre 1970, Paris, Gallimard, 1971.
-
[46]
- Michel FOUCAULT, « Folie et déraison. Histoire de la folie à l’âge classique », thèse principale soutenue à la Sorbonne, 1961, publiée sous le titre Histoire de la folie à l’âge classique suivi de Mon corps, ce papier, ce feu ; La folie, l’absence d’œuvre, Paris, Gallimard, 1972.
-
[47]
- Roy BOYNE, Foucault and Derrida : The other side of reason, Londres, Unwin Hyman, 1990, p. 53 sq.
-
[48]
- Michel FOUCAULT, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975 ; Id., Histoire de la sexualité, t. I, La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976. Si M. Foucault a aussi mis en évidence les contre-discours contraires aux intérêts du pouvoir, par exemple avec le texte mentionné sur le « discours de la lutte des races » (voir note 21), la question reste de savoir si son intérêt ne résulte pas aussi de la force de leur imposition, rendue possible par la mutation. Cela vaut en tout cas pour le discours des races.
-
[49]
- À propos du concept de pouvoir de M. Foucault dans la dialectique de la logique évolutionniste à l’intérieur de l’espace sociétal et l’écart historique de l’individuel, on se reportera à la brillante analyse sur l’étude des rapports de forces déterminant l’évolution chez M. Foucault et Darwin de Philipp SARASIN, Darwin und Foucault. Genealogie und Geschichte im Zeitalter der Biologie, Francfort/Main, Suhrkamp, 2009, p. 211-221.
-
[50]
- Michel FOUCAULT, « Inutile de se soulever ? », Dits et écrits 1954-1988, t. II, 1976- 1988, éd. établie sous la dir. de D. Defert et F. Ewald, avec la collab. de J. Lagrange, Paris, Gallimard, 2001, p. 790-794, ici p. 793-794.
-
[51]
- Voir en particulier Michel FOUCAULT, L’herméneutique du sujet. Cours au Collège de France (1981-1982), éd. établie sous la dir. de F. Ewald et A. Fontana par F. Gros, Paris, Gallimard/Le Seuil, 2001 ; Id., Le gouvernement de soi et des autres. Cours au Collège de France (1982-1983), éd. établie sous la dir. de F. Ewald et A. Fontana par F. Gros, Paris, Gallimard/Le Seuil, 2008 ; Id., Le courage de la vérité. Cours au Collège de France (1983- 1984), éd. établie sous la dir. de F. Ewald et A. Fontana par F. Gros, Paris, Gallimard/ Le Seuil, 2009.
-
[52]
- Michel FOUCAULT, Histoire de la sexualité, t. II, L’usage des plaisirs, t. III, Le souci de soi, Paris, Gallimard, 1984. Voir Michael RUOFF, Foucault-Lexikon. Entwicklung – Kernbegriffe – Zusammenhänge, Munich, Fink, 2007, p. 54-60.
-
[53]
Les prémisses et processus retenus dans la sélection d’éléments de discours de M. Foucault n’ont cessé d’être rudement critiqués. Voir par exemple Michel FOUCAULT, « Nietzsche, Freud, Marx », Dits et écrits 1954-1988, op. cit., t. I, p. 592-607, ici p. 603, et le débat qui suivit le cours sur « Nietzsche, Freud, Marx » en 1967, à qui le philosophe français attribue les « techniques d’interprétation » modernes, et en particulier la critique de Jacob Taubes qui a renforcé l’importance de l’exégèse de la Bible et de la philosophie hégélienne contre la représentation de l’herméneutique du XIXe siècle de M. Foucault.
-
[54]
- Michel FOUCAULT, « Réponse à une question », Dits et écrits 1954-1988, op. cit., t. I, 1954-1975, p. 701-723, ici p. 723.
-
[55]
Wulf OESTERREICHER, « Die Entstehung des Neuen – Differenzerfahrung und Wissenstransformation : Projektions- und Retrospektionshorizonte frühneuzeitlicher Sprachreflexion », Mitteilungen des SFB 573 Pluralisierung und Autorität in der Frühen Neuzeit (15.-17. Jahrhundert), 1, 2005, p. 26-37, ici p. 33-34.
-
[56]
- E. W. SAID, Orientalism..., op. cit.
-
[57]
- Ibid., p. 96 sq. E. Saïd rejoint en cela le jugement de Anwar Abdel Malik.
-
[58]
Albert MEMMI, L’homme dominé. Le Noir, le colonisé, le Juif, le prolétaire, la femme, le domestique, Paris, Gallimard, 1968, p. 244-245.
-
[59]
- Dans ses derniers cours, tenus au Japon et récemment publiés, Claude Lévi-Strauss a conclu à ce propos que ce seraient les formes culturelles de la différence qui auraient durablement marqué ce que l’on tient pour la différence corporelle, en sélectionnant et renforçant certaines aptitudes génétiques qui agiraient rétrospectivement. Il y aurait par conséquent une relation entre l’anthropologie sociale et génétique. Mais les formes culturelles étant soumises à une fulgurante transformation, ou du moins pouvant l’être, toute idée de fixation causale entre la marque génétique et les formes de vie ne saurait tenir. Claude LÉVI-STRAUSS, L’anthropologie face aux problèmes du monde moderne, éd. par M. Olender, Paris, Le Seuil, 2011, p. 115-122.
-
[60]
- Pierre BOURDIEU, « Tout racisme est un essentialisme », Interventions (1961-2001), Marseille, Agone, 2002, p. 177.
-
[61]
- F. von SCHLEGEL, Über die Sprache und Weisheit der Indier, op. cit., p. 63-66.
-
[62]
- La critique n’a pas ménagé E. Saïd en retour ; pour un résumé d’ensemble, voir Alexander L. MACFIE (dir.), Orientalism : A reader, Le Caire, The American University in Cairo Press, 2000, ainsi que Maria do Mar CASTRO VARELA et Nikita DHAWAN, Postkoloniale Theorie. Eine kritische Einführung, Bielefeld, Transcript, 2005, p. 37-49.
-
[63]
- Pour l’édification de l’hégémonie culturelle « de l’Ouest », précisément produite par les milieux scientifiques éclairés, E. Saïd a attribué une importance considérable aux penseurs germanophones qui, au début, n’étaient pas directement impliqués dans le colonialisme : « Yet what German Orientalism had in common with Anglo-French and later American Orientalism was a kind of intellectual authority over the Orient within Western culture. This authority must in large part be the subject of any description of Orientalism [...] » (E. W. SAID, Orientalism..., op. cit., p. 19). Il est naturellement d’autant plus étonnant qu’E. Saïd ait ensuite largement épargné les penseurs allemands dans son analyse.
-
[64]
- Quant à la question de la multiplicité du matériau et des objets commentés par Antonio Gramsci, voir Klaus BOCHMANN, « Sprache als Kultur und Weltanschauung. Zur Sprachauffassung Antonio Gramscis », in A. GRAMSCI, Notizen zur Sprache und Kultur, éd. par K. Bochmann, Leipzig/Weimar, Kiepenheuer, 1984, p. 5-39, ici p. 22 sq.
-
[65]
- E. W. SAID, Orientalism..., op. cit., p. 23 : « Yet unlike Michel Foucault, to whose work I am greatly indebted, I do believe in the determining imprint of individual writers upon the otherwise anonymous collective body of texts constituting a discursive formation like Orientalism. The unity of the large ensemble of texts I analyze is due in part to the fact that they frequently refer to each other : Orientalism is after all a system for citing works and authors. » Voir aussi E. W. SAID, « Crossing the line », Asien-Afrika-Lateinamerika, 25, 1997, p. 405-416, ici p. 412 sq., où celui-ci prend aussi position quant à l’importance d’Antonio Gramsci dans sa pensée.
-
[66]
- Jürgen Trabant n’a cessé de s’insurger contre ces modes de lecture indifférenciés des penseurs européens, Herder et Humboldt notamment ; voir J. TRABANT, Traditionen Humboldts..., op. cit., p. 235-241 et Id., Mithridates im Paradies..., op. cit., p. 162-165. Voir aussi la critique fondamentale au procédé d’E. Saïd chez Daniel Martin VARISCO, Reading Orientalism : Said and the unsaid, Seattle, University of Washington Press, 2007, p. 40-62.
-
[67]
- M. do Mar CASTRO VARELA et N. DHAWAN, Postkoloniale Theorie..., op. cit., p. 38.
-
[68]
Jürgen OSTERHAMMEL, « Edward W. Said und die ‘Orientalismus’ Debatte. Ein Rückblick », Asien-Afrika-Lateinamerika, 25, 1997, p. 597-607, ici p. 599.
-
[69]
- Ibid.
-
[70]
- Markus MESSLING, « Bury him ? Zum Umgang mit Edward W. Saids theoretischem Erbe », Philogie im Netz, 48, 2009, p. 61-73, ici p. 70.
-
[71]
- James CLIFFORD, « Edward W. Said : Orientalism », History and Theory, 19-2, 1980, p. 204-223. Voir aussi D. M. VARISCO, Reading Orientalism..., op. cit., p. 45.
-
[72]
- E. W. SAID, Humanism and democratic criticism, op. cit., p. 8-10.
-
[73]
- Ibid., p. 10-11.
-
[74]
Suzanne L. MARCHAND, German orientalism in the age of empire : Religion, race and scholarship, Washington/Cambridge, German Historical Institute/Cambridge University Press, 2009, p. XXII sq., arrive à une appréciation comparable.
-
[75]
- Hannah ARENDT, Elemente und Ursprünge totaler Herrschaft. Antisemitismus, Imperialismus, Totalitarismus, retraduit de l’anglais et augmenté par H. Arendt, Munich/Zurich, Piper, [1951] 2005.
-
[76]
- George L. MOSSE, Towards the final solution : A history of European racism, New York, Howard Fertig, 1978.
-
[77]
- Léon POLIAKOV, Histoire de l’antisémitisme, Paris, Éd. du Seuil, [1981] 1991.
-
[78]
- Voir notamment les travaux de Maurice OLENDER (dir.), Le racisme : mythes et sciences. Pour Léon Poliakov, Bruxelles, Éd. Complexe, 1981 ; Id., Les langues du Paradis, op. cit. ; Id., Race sans histoire, Paris, Le Seuil, [2005] 2009 ; R. RÖMER, Sprachwissenschaft und Rassenideologie, op. cit. ; Sarga MOUSSA (dir.), L’idée de « race » dans les sciences humaines et la littérature (XVIIIe et XIXe siècles), Paris, L’Harmattan, 2003 ; Philippe RÉGNIER (dir.), « Raciologiques. Littératures - arts - sciences - histoire », no spécial de Romantisme. Revue du dix-neuvième siècle, 130, 2005 ; S. MARCHAND, German orientalism..., op. cit. ; G. G. HARPHAM, « Roots, races and the return to philology », art. cit.
-
[79]
- Sabine MANGOLD, Eine « weltbürgerliche Wissenschaft ». Die deutsche Orientalistik im 19. Jahrhundert, Stuttgart, Steiner, 2004.
-
[80]
- Pascale RABAULT-FEUERHAHN, L’archive des origines. Sanskrit, philologie, anthropologie dans l’Allemagne du XIXe siècle, Paris, Éd. du Cerf, 2008.
-
[81]
- S. MARCHAND, German orientalism..., op. cit.
-
[82]
Markus MESSLING, « France-Allemagne : philologie hégémonique vs philologie érudite ? », in W. ASHOLT (dir.), France-Allemagne, regards et objets croisés. La littérature allemande vue de France – La littérature française vue d’Allemagne, Tübingen, Narr (sous presse).
-
[83]
- M. OLENDER, Les langues du Paradis..., op. cit.
-
[84]
- Michel FOUCAULT, « Le discours ne doit pas être pris comme... », Dits et écrits 1954- 1988, op. cit., vol. II, p. 123-124, ici p. 123.
-
[85]
- Erika HÜLTENSCHMIDT, « Tendenzen und Entwicklungen der Sprachwissenschaft um 1800. Ein Vergleich zwischen Frankreich und Preußen », in B. CERQUIGLINI et H. U. GUMBRECHT (dir.), Der Diskurs der Literatur- und Sprachhistorie. Wissenschaftsgeschichte als Innovationsvorgabe, Francfort/Main, Suhrkamp, 1983, p. 135-166 ; Id., « Paris oder Berlin ? Institutionalisierung, Professionalisierung und Entwicklung der vergleichenden Sprachwissenschaft im 19. Jahrhundert », in P. SCHMITTER (dir.), Zur Theorie und Methode der Geschichtsschreibung der Linguistik : Analysen und Reflexionen, Tübingen, Narr, 1987, p. 178-197 ; Wulf OESTERREICHER, « ‘Historizität’ und ‘Variation’ in der Sprachforschung der französischen Spätaufklärung – auch : ein Beitrag zur Entstehung der Sprachwissenschaft », in B. CERQUIGLINI et H. U. GUMBRECHT (dir.), Der Diskurs der Literatur- und Sprachhistorie..., op. cit., p. 167-205 ; Id., « Ère française et Deutsche Bewegung. Les Idéologues, l’historicité du langage et la naissance de la linguistique », in W. BUSSE et J. TRABANT (dir.), Les idéologues. Sémiotique, théorie et politiques linguistiques pendant la Révolution française, Amsterdam/Philadelphie, S. Benjamins, 1986, p. 97-143 ; Sylvain AUROUX, « Linguistique et anthropologie en France (1600-1900) », in B. RUPPEISENREICH (dir.), Histoires de l’anthropologie, XVIe-XIXe siècles, Paris, Klincksieck, 1984, p. 291-318 ; Id., « Quatre lois ou généralités explicatives : À propos du développement du comparatisme en Europe », in R. LIVER, I. WERLEN et P. WUNDERLI (dir.), Sprachtheorie und Theorie der Sprachwissenschaft. Geschichte und Perspektiven. Festschrift für Rudolf Engler zum 60. Geburtstag, Tübingen, Narr, 1990, p. 48-64 ; Id., « Émergence et domination de la grammaire comparée (= Introduction) », in S. AUROUX (dir.), Histoire des idées linguistiques, t. 3, L’hégémonie du comparatisme, Bruxelles, Mardaga, 2000, p. 9-22 ; Sylvain AUROUX, Gilles BERNARD et Jacques BOULLE, « Le développement du comparatisme indo-européen », ibid., p. 155-170 ; J. TRABANT, « Les langues des peuples sauvages dans quelques projets anthropologiques autour de 1800 », Revue germanique internationale, 21, 2004, p. 11-26 ; G. G. HARPHAM, « Roots, races and the return to philology », art. cit., p. 39-41.
-
[86]
- Cela s’explique notamment par le fait que la philologie – du moins en Allemagne –, depuis son émergence au début du XIXe siècle, est liée à la question philosophique de la compréhension, c’est-à-dire à une herméneutique générale ; la compréhension du texte et du monde relèvent des mêmes conditions gnoséologiques. Voir à ce sujet Michael WERNER, « À propos de la notion de philologie moderne. Problèmes de définition dans l’espace franco-allemand », in M. ESPAGNE et M. WERNER (dir.), Contribution à l’histoire des disciplines littéraires en France et en Allemagne au XIXe siècle, Paris, Éd. de la MSH, 1990, p. 11-21, ici p. 16-17.
-
[87]
- Cela vaut jusque bien au-delà de la moitié du siècle. Toutefois les implications et l’ampleur ne sont pas les mêmes pour l’Allemagne et dans d’autres sociétés européennes comme la France, l’Italie ou la Scandinavie. Dans la deuxième moitié du siècle, le rôle des sciences naturelles ne fait que croître et avec lui la différenciation des sciences modernes de la civilisation (histoire, ethnologie, droit, géographie, sciences sociales, etc.), qui va résolument à l’encontre du dessein globalisant de la philologie à devenir la « science des textes » et la « science de la culture ». Voir M. WERNER, « À propos... », art. cit., p. 19.
-
[88]
- Voir S. MANGOLD, Eine « weltbürgerliche Wissenschaft »..., op. cit., p. 78-91.
-
[89]
- Ceci est démontré dans le Beschaffungsprogramm scientifique de W. von Humboldt ; voir Kurt MUELLER-VOLLMER, Wilhelm von Humboldts Sprachwissenschaft. Ein kommentiertes Verzeichnis des sprachwissenschaftlichen Nachlasses, Paderborn/Munich/Vienne/Zurich, Schöningh, 1993, p. 60-63 ; Id., « Humboldts linguistisches Beschaffungsprogramm : Logistik und Theorie », in K. ZIMMERMANN, J. TRABANT et K. MUELLER-VOLLMER (dir.), Wilhelm von Humboldt und die amerikanischen Sprachen, Paderborn/Munich/Vienne/ Zurich, Schöningh, 1994, p. 27-42.
-
[90]
L’intégration des cultures et des techniques culturelles regardées comme rétrogrades dans la « pensée supra-historique » de l’Aufklärung relève toutefois plutôt de la théorie que de la politique, le respect philosophique au frère humain sous-développé (les sœurs n’ayant ici encore aucune place) s’accompagnant rapidement d’un universalisme totalitaire, qui apparaît sous la forme d’une conscience missionnaire nationaliste. Avant l’impérialisme napoléonien encore, le meilleur exemple en est la répression totalitaire sous prétexte universaliste de la multiplicité culturelle linguistique en France pendant la Révolution de 1789. Voir à ce propos Jürgen TRABANT, « Die Sprache der Freiheit und ihrer Feinde », Zeitschrift für Literaturwissenschaft und Linguistik, 41, 1981, p. 70-89.
-
[91]
- Jean-Pierre ABEL-RÉMUSAT, « Discours sur le génie et les mœurs des peuples orientaux », in F. LAJARD (éd.), Mélanges posthumes d’histoire et de littérature orientales, Paris, Impr. royale, 1843, p. 221-251. Ce texte soulève de nombreuses questions quant à sa datation et sa classification : curieusement, les extraits publiés du vivant d’Abel-Rémusat l’ont été de manière anonyme dans le Nouveau Journal Asiatique, 1-6, 1828, p. 27-48, sous le titre « Fragmens d’un ouvrage intitulé Considérations sur les Peuples et les Gouvernemens de l’Asie », avec la mention « traduit du danois ». Les sources des textes commentés dans le Nouveau Journal Asiatique étant par ailleurs toujours fournies, il est permis de penser que la « source » (danoise) avancée n’existait pas, mais que le texte était à ce point considéré comme « explosif » que l’on a préféré en taire la vraie source. Comme l’indique le titre de l’édition de 1843, ce texte n’a paru dans son intégralité dans un recueil de textes qu’après la mort d’Abel-Rémusat. Il n’est alors fait aucune allusion à une traduction et nulle part indiqué qu’il s’agirait du texte d’un tiers. Le texte est attribué à Abel-Rémusat. Les pages du recueil montrent par ailleurs qu’il a pris grand soin de répartir ses textes entre les intitulés « Lettre », « Essai », « Observations », etc., si bien que la mention « Discours sur le génie et les mœurs » permet par ailleurs de conclure qu’il s’est initialement agi d’un exposé. Ceci est confirmé par la répartition retenue dans le sommaire sous le titre « Discours sur la littérature orientale », en « Premier discours », « Deuxième discours », « Troisième discours », propre à la structure d’un cycle de cours (p. 471). Tous les « Discours » mentionnés ont en outre une longueur de 20 à 30 pages chacun, ce qui s’apparente à un volume d’exposés. Ces méticuleuses remarques philologiques ne sont pas vaines puisqu’elles soulignent la pertinence politique au sens large de cet écrit, si l’on présume qu’Abel-Rémusat aurait publiquement exposé ces faits au titre de membre de l’Académie royale des inscriptions et belles-lettres, ou comme secrétaire de la Société asiatique. Le manuscrit du traité étant resté introuvable dans les deux archives, aucune information plus précise n’est possible.
-
[92]
- On ne sera, par ailleurs, guère étonné de constater que le seul exemplaire de ce recueil de textes, conservé à la Bibliothèque nationale de France, porte la mention « Hors d’usage. Ne pas communiquer », en raison d’une déchirure de la couverture, et qu’il a donc de ce fait été pratiquement soustrait à toute consultation publique. D’autre part, en ce qui concerne les lieux originaux de publication des textes, la commission de l’Académie royale des inscriptions et belles-lettres chargée de l’édition (dont faisait partie Eugène Burnouf) avait déjà noté : « Le volume [...], par M. Abel Rémusat, renferme divers écrits qui, pour la plupart, avaient déjà paru du vivant de l’auteur, mais étaient disséminés dans plusieurs recueils littéraires dont quelques-uns sont devenus très-difficiles à trouver. » Voir Félix LAJARD, « Avertissement », in F. LAJARD (éd.), Mélanges posthumes..., op. cit., p. II.
-
[93]
- J.-P. ABEL-RÉMUSAT, « Discours sur le génie... », art. cit., p. 228-229.
-
[94]
Louis-Jean CALVET, Linguistique et colonialisme. Petit traité de glottophagie, Paris, Payot, 1974.
-
[95]
- J.-P. ABEL-RÉMUSAT, « Discours sur le génie... », art. cit., p. 251-252 (je souligne).
-
[96]
- Voir à ce sujet mes études sur la Übersetzungspolitik dans Contes Chinois, éd. par Abel-Rémusat, Paris, Moutardier, 1827 : Markus MESSLING, « Representation and power : Jean-Pierre Abel-Rémusat’s critical philology », The Journal of Oriental Studies (sous presse) ; Id., « Text, Darstellung und Ethik : Jean-Pierre Abel-Rémusats kritische Philologie », Romanistische Zeitschrift für Literaturgeschichte/Cahiers d’Histoire des Littératures Romanes (sous presse).
-
[97]
Jean-Pierre ABEL-RÉMUSAT, Essai sur la langue et la littérature chinoises, avec cinq Planches contenant des Textes Chinois, accompagnés de traductions, de remarques et d’un commentaire littéraire et grammatical, suivi de Notes et d’une Table alphabétique des mots chinois, Paris, Treuttel et Wurtz, 1811.
-
[98]
- Ibid., p. III-IV.
-
[99]
- F. LAJARD (éd.), Mélanges posthumes..., op. cit., p. 65.
-
[100]
- J.-P. ABEL-RÉMUSAT, Mélanges asiatiques, ou Choix de morceaux critiques et de mémoires relatifs aux religions, aux sciences, aux coutumes, à l’histoire et à la géographie des nations orientales, Paris, Dondey-Dupré, 1825-1826, vol. I, p. 153.
-
[101]
- Ibid., vol. I, p. 310-326.
-
[102]
- Ibid., vol I, p. 311.
-
[103]
- Ibid., vol I, p. 321.
-
[104]
- Ibid., vol I, p. 318-319.
-
[105]
Du point de vue linguistique théorique, Abel-Rémusat et Humboldt auraient toutefois défendu des argumentations contraires : voir Jean ROUSSEAU et Denis THOUARD (dir.), Lettres édifiantes et curieuses sur la langue chinoise. Un débat philosophico-grammatical entre Wilhelm von Humboldt et Jean-Pierre Abel-Rémusat, 1821-1831, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1999, p. 41-71, ainsi que M. MESSLING, Pariser Orientlektüren..., op. cit., p. 190-201, 258-259.
-
[106]
- Humboldt accomplit ici une petite performance philologique. Au sujet de ce débat, voir M. MESSLING, Pariser Orientlektüren..., op. cit., p. 202-225.
-
[107]
- Eugène Vincent Stanislas JACQUET, « Notice sur l’alphabet Yloc ou Ylog », Nouveau Journal Asiatique, 8, 1831, p. 3-19 et p. 20-45.
-
[108]
- Ibid., p. 4.
-
[109]
- Ibid., p. 4, note 3.
-
[110]
- E.V. S. JACQUET, « Notice sur l’alphabet Yloc ou Ylog », art. cit., p. 7 : « La réunion de ces dix-sept lettres est nommée dans les dictionnaires Tagala, baybayin (El A.B.C. Tagalo). Il est facile de s’apercevoir que ce mot est de nouvelle formation et qu’il a été imaginé par les Espagnols quand ils se sont occupés de donner des formes régulières à la grammaire et à la lexicographie de cette langue. »
-
[111]
- Ibid., p. 8-9 : « Les grammaires rédigées par les Espagnols [c’est-à-dire les missionnaires espagnols], omettant l’alphabet de ces langues, devaient, par cela même, négliger les règles orthographiques observées par les naturels quand ils emploient leurs caractères originaux. »
-
[112]
- Ibid., p. 9.
-
[113]
- Ibid., p. 8.
-
[114]
- Albert LEITZMANN et al. (dir.), Wilhelm von Humboldts Gesammelte Schriften, Berlin, Behr & Feddersen, 1903-1936, vol. IV, p. 27.
-
[115]
- Ibid., vol. VII, p. 42.
-
[116]
- Sur le rapport entre langue et nation dans la pensée de la science issue du romantisme et pour la pensée néo-historique émergente en général, voir Isaiah BERLIN, The roots of romanticism, éd. par H. Hardy, Princeton, Princeton University Press, [1965] 2001, p. 60-61 ; Andreas GARDT, « Nation und Sprache in der Zeit der Aufklärung », in A. GARDT (dir.), Nation und Sprache. Die Diskussion ihres Verhältnisses in Geschichte und Gegenwart, Berlin/New York, De Gruyter, 2000, p.169-198, ici p.192-194 ; Jochen A. BÄR, « Nation und Sprache in der Sicht romantischer Schriftsteller und Sprachtheoretiker », in A. GARDT (dir.), Nation und Sprache..., op. cit., p. 199-228, ici p. 209-216 ; et plus spécifiquement sur la réflexion linguistique de Humboldt : M. MESSLING, Pariser Orientlektüren..., op. cit., p. 238-250.
-
[117]
- E.V. S. JACQUET, « Notice sur l’alphabet Yloc ou Ylog », art. cit., p. 13-14 : « On peut bien croire qu’à cette époque, lorsque la critique philologique n’était pas encore venue, on s’attachait plus à des ressemblances illusoires qu’à des différences réelles. Je ne vois pas d’autre explication possible de cette erreur des moines espagnols... »
-
[118]
- Ibid., p. 19.
-
[119]
- Ibid.
-
[120]
- Wilhelm von HUMBOLDT, « Extrait d’une lettre de M. le baron G. de Humboldt à M.E. Jacquet sur les alphabets de la Polynésie asiatique », Nouveau Journal Asiatique, 9, 1832, p. 484-511.
-
[121]
A. LEITZMANN et al. (dir.), Wilhelm von Humboldts Gesammelte Schriften, op. cit., vol. IV, p. 237.
-
[122]
- Ibid., p. 238.
-
[123]
Voir K. MUELLER-VOLLMER, Wilhelm von Humboldts Sprachwissenschaft..., op. cit., p. 68.
-
[124]
- Wilhelm von HUMBOLDT, Briefe an Friedrich August Wolf, éd. par P. Mattson, Berlin/ New York, De Gruyter, 1990, p. 170.
-
[125]
- Voir W. von HUMBOLDT, « Extrait d’une lettre... », art. cit., p. 484.
-
[126]
- Voir E.V. S. JACQUET, « Notice sur l’alphabet Yloc ou Ylog », art. cit., p. 7-8.
-
[127]
C’est la raison pour laquelle Humboldt, malgré sa critique scientifique, collectionna et étudia systématiquement, comme nul autre confrère de son époque, des encyclopédies et des grammaires des colonies, cette somme de matériaux lui étant tout simplement indispensable pour ses recherches linguistiques : voir K. MUELLER-VOLLMER, Wilhelm von Humboldts Sprachwissenschaft..., op. cit., p. 60-63, et W. OESTERREICHER, « Die Entstehung des Neuen », art. cit., p. 31. La collection de travaux des missionnaires de Humboldt était si célèbre et remarquable que E.V. S. JACQUET, « Avertissement », Nouveau Journal Asiatique, 9, 1832, p. 481-484, écrit : « La collection qu’il a rassemblée des traités grammaticaux et lexicographiques publiés à Manille ou à Mexico par les missionnaires espagnols, est une des plus riches et des plus précieuses qui existent. »
-
[128]
- Je dois cette information à Manfred Ringmacher (Wilhelm von Humboldt-Edition, Berlin-Brandenburgische Akademie der Wissenschaften).
-
[129]
- W. von HUMBOLDT, « Extrait d’une lettre... », art. cit., p. 489 sq. Voir par exemple le débat sur la question d’une éventuelle influence de l’arabe sur les systèmes d’écriture d’Asie du Sud-Est, dans le contexte duquel Humboldt cherche à comprendre la cause de l’estimation erronée du Père Gaspar.
-
[130]
- Ibid., p. 486.
-
[131]
- Wilhelm von HUMBOLDT, Über die Kawi-Sprache auf der Insel Java, nebst einer Einleitung über die Verschiedenheit des menschlichen Sprachbaues und ihren Einfluß auf die geistige Entwickelung des Menschengeschlechts, Berlin, Königliche Akademie der Wissenschaften, 1836-1839.
-
[132]
- Voir Kurt MUELLER-VOLLMER et Volker HEESCHEN, « Wilhelm von Humboldts Bedeutung für die Beschreibung der südostasiatisch-pazifischen Sprachen und die Anfänge der Südostasien-Forschung », in P. SCHMITTER (dir.), Sprachtheorien der Neuzeit III/2, éd. par L. Roussos, Tübingen, Narr, 2007, p. 430-461, ici p. 438-441.
-
[133]
- W. V. HUMBOLDT, Über die Kawi-Sprache auf der Insel Java..., op. cit., p. XV.
-
[134]
- Ibid., p. XVI-XX.
-
[135]
- Ibid., p. XV.
-
[136]
- Pour le travail poussé de Humboldt sur le chinois, voir John E. JOSEPH, « A matter of Consequenz. Humboldt, race and the genius of the Chinese language », Historiographia Linguistica, 1-2, 1999, p. 89-148 ; ainsi que M. MESSLING : « Wilhelm von Humboldt and the ‘Orient’. On Edward W. Said’s remarks on Humboldt’s Orientalist studies », Language Sciences, 30-5, 2008, p. 482-498.
1Les retentissants adieux à la théorie textuelle [1] et le retour aux propos de la philologie [2] ont inauguré dans les sciences du texte un débat sur ce qui sera qualifié de re-philologisation. Deux grands points de repère de ce débat sont les positions prises par Paul de Man et Edward Saïd dans leurs écrits respectifs, parus sous le même titre avec un important décalage de temps : The return to philology [3]. Ce qui lie les prises de position de ces deux penseurs si différents, c’est la revendication d’une compétence philologique qui aurait permis les propos d’objectivation de chacun de leurs travaux. Comprendre leur quête d’« objectivité » comme un simple retour à une méthodologie positiviste du travail sur le langage et la structure des textes serait cependant une erreur. Elle a dans les deux cas une dimension critique et doit servir une pratique du savoir de portée politique : remise en question de l’humanisme européen sous forme d’immanence textuelle linguistique et structurelle pour P. de Man ; chez E. Saïd au contraire, affirmation de ce même humanisme en tant que pratique de lecture démocratique et éclairée qui donne à la connaissance une profonde dimension politique en plaçant les textes dans leur époque et ses structures de profondeur. La philologie devient ici une herméneutique culturelle, dont le grand modèle est l’histoire culturelle de l’Europe, fondée sur l’étude des textes [4], d’Erich Auerbach [5].
Les enjeux politiques du retour à la philologie
2 Dans son article sur le tournant philologique, Geoffrey Harpham a montré que les deux dimensions énoncées ici sont elles-mêmes déjà présentes dans la philologie du XIXe siècle [6], et que le rigoureux travail sur les structures immanentes au texte a, dès les commencements de la philologie moderne – et ensuite de manière emphatique –, suscité des effets d’interprétation culturelle [7]. Si les projets de re-philologisation veulent être plus qu’un réflexe positiviste à la crise du néo-humanisme classique, ils doivent tenir compte de cette dimension de l’excédent culturel qu’ils ne peuvent faire disparaître de leur tradition.
3 Mais c’est précisément dans la dimension herméneutique de la philologie que réside le danger de production de modèles dirigistes culturels (Leitbilder) qui sous-tend et mine l’exigence de pratique humaniste. Dans un discours – assez pessimiste (kulturpessimistisch) et dont il a rarement été fait cas – sur la situation des sciences humaines en Afrique, le spécialiste de littérature et lauréat sud-africain du prix Nobel John Coetzee conclut que l’idée eurocentriste d’un humanisme philologique universel se serait elle-même privée de sa force, devenant étrangère à la vie [8]. J. Coetzee a passé sous silence, dans ce surprenant discours, le fait que les modèles issus de la philologie n’étaient pas seulement des modèles eurocentristes, au sens d’un élitisme non valable pour l’Afrique, mais ont précisément institué une vision culturelle qui a exclu les peuples non-européens des modèles (« grecs », « aryens », etc.) et les a assujettis. Cela vaut en particulier pour les théories essentialisantes, déterministes et biologisantes des productions humaines symboliques nées de la philologie du XIXe siècle [9].
4 C’est précisément ce qu’E. Saïd, longtemps avant ses réflexions sur la dimension humaniste séculaire de la philologie comme pratique du savoir, a reconnu et dont il a démontré les mécanismes majeurs dans son livre Orientalism. Western conceptions of the Orient [10]. Le problème de cet ouvrage fondateur est qu’E. Saïd n’a pas, même par la suite, différencié la thèse du caractère hégémonique de la philologie européenne, si bien que la raison de son optimisme démocratique à l’égard de la pratique philologique est exclusivement à rechercher dans son rapport tardif à une « philologie universelle » (Weltphilologie) à la Leo Spitzer et E. Auerbach, dont l’humanisme cosmopolite s’opposerait à une pré-histoire tout à fait empoisonnée [11]. Cette appréhension se fonde sur l’idée d’un étrange hermétisme de la tradition qui ne rend justice ni à l’histoire, ni surtout à ceux des philologues qui, au XIXe siècle déjà, plaidaient pour une « ouverture » et la reconnaissance d’une différence culturelle. Car ces positions ont bel et bien existé et ce sont elles qui, les premières, donnent au modèle d’E. Auerbach la profondeur historique qu’E. Saïd avait à cœur de mettre en avant. Sur quoi se fonderait la philologie, sinon sur ces traditions d’énoncés résistants au discours décrit par E. Saïd [12] ?
5 Cette question ne saurait être comprise comme un simple retournement positif visant à minimiser les grandes ombres portées par une philologie herméneutique culturelle. Elle devra tenir compte de la judicieuse mise en garde de G. Harpham selon laquelle la recherche des origines a précisément été le principe épistémologique de la philologie qui, au XIXe siècle, a essentiellement contribué à la construction d’une tradition culturelle aux conséquences fatales [13]. Le débat sur la philologie reste par ailleurs tributaire de cette même tradition lorsqu’il fait l’impasse sur les critiques qui, à la même époque, se sont dressées contre les pratiques qui faisaient de la philologie un instrument de domination culturelle. Négliger ces résistances revient au fond à l’idée qu’il n’existait pas d’alternative à ce qui s’est imposé, ce qui est d’une grande importance pour une réflexion sur toute pratique philologique. Or la question n’est pas de sauver la « grande tradition » de la philologie à travers l’étude de ses « marges », mais de restituer ce qui, dans ces marges, peut éclairer la discussion actuelle sur les méthodes et l’épistémologie des disciplines philologiques. C’est dans cet esprit que nous proposons de revenir sur l’intrication complexe de la philologie, en tant que travail sur les langues et les textes, avec le déterminisme et le racisme du XIXe siècle.
Philologie et racisme
6 Le concept de race est très discuté jusque dans les dernières décennies du XIXe siècle. Sa définition reste floue et on ne lui reconnaît aucune vertu heuristique spécifique [14]. Ce constat vaut également pour son usage dans la philologie moderne qui, depuis la fin du XVIIIe siècle, se pose la question, dans un contexte épistémologique et social nouveau, du rapport entre les différents systèmes de langues, d’écriture et de textes, et l’homme et ses différences historiques et biologiques. Wilhelm von Humboldt, par exemple, considère que la notion de « race » ne saurait expliquer le langage et la culture textuelle. Pour lui, elle ne concerne que des critères extérieurs, alors que la différence entre les hommes réside dans le domaine de l’esprit et reste donc soumise au changement historique. La pensée de Humboldt s’écarte par conséquent d’une vision des origines de la nation [15]. Un rejet tout aussi clair de la notion de « race » se retrouve au cœur même du débat sur l’évolution biologique des années 1860. Le naturaliste August Schleicher ne veut également voir dans les « différences de race » que des aspects physiques extérieurs. Dans son cas, il ne s’agit cependant pas, comme pour Humboldt, d’une appréhension de la langue en tant que manifestation historique et culturelle du travail de l’esprit. Il considère au contraire la langue comme l’expression d’un potentiel intellectuel situé dans le cerveau, c’est-à-dire ancrée dans une fonction organique [16]. Paul Broca, de son côté, s’il considère le langage comme une aptitude cérébrale organique, explique cependant son apparition et son évolution sous forme de langues naturelles à travers leur historicité et leurs usages ; c’est pourquoi, à l’inverse de Schleicher, il considère le langage comme un point de départ inadéquat d’une description biologique ou évolutionniste de l’homme [17]. La position de Broca s’oppose aussi à la conception d’Ernest Renan [18], qui réfute un naturalisme à la Schleicher, tout en partageant avec lui l’idée que c’est surtout le langage qui permet d’avancer des hypothèses sur l’histoire des hommes. Ce seraient précisément les langues qui, en tant que conditions formelles historiques de la représentation symbolique et textuelle du monde (au sens de Gestaltungen zur Welt d’Ernst Cassirer), auraient livré des informations sur les différences du genre humain que Renan se permet en conséquence d’articuler en « races linguistiques » construites en tant que formes idéales [19]. Chez Joseph de Gobineau, enfin, se trouve l’idée d’une concordance des « races » physiques supposées avec des « races » linguistiques corrélées [20].
7 Pour résumer, la philologie n’échoue pas seulement en tant que discipline générale intégrant l’analyse scientifique des langues et des textes dans une vaste science historique de la culture. Son échec est également lié à la manière dont elle a considéré la relation entre la différence biologique et historique de l’homme et les formes symboliques que celui-ci produit. À ce titre, cet échec conduit aujourd’hui, rétrospectivement, à soulever des questions sur la façon de situer les différentes conceptions philologiques dans la formation et le développement du discours déterministe et raciste.
Race, peuple et langue dans l’épistémologie de Michel Foucault
8 Michel Foucault a proposé une approche systématique du phénomène du racisme qui est assurément centrale pour la compréhension de la culture européenne. Dans sa série de cours du Collège de France en 1975-1976, qui allait donner naissance au concept de bio-pouvoir [21], M. Foucault a consacré son intervention du 28 janvier 1976 à une généalogie du racisme. Le noyau de cette conférence porte sur l’idée que le discours des XVIe et XVIIe siècles sur les races en tant que « discours de la lutte des races » était un contre-discours pluralisant opposé à l’« histoire de la souveraineté », c’est-à-dire à l’historiographie officielle du roi [22]. La France est ici naturellement le point de départ paradigmatique de toutes les observations. L’« histoire de la lutte des races », en tant que représentation de l’histoire des communautés marginales, opprimées et non représentées socialement, apparaît pour commencer comme une histoire de la révolution et de la prophétie, qui se serait confondue avec la thématique historique religieuse de l’« Anti-Babel » et de la Réforme et aurait été un instrument de la critique du pouvoir [23]. Cette formation discursive s’est finalement transformée dans la première moitié du XIXe siècle en un discours de la lutte révolutionnaire, anti-étatique et anti-nationale : sur le fond d’une unité nationale culturelle contrainte et des nouveaux milieux nés de l’économie manufacturière, le concept élargi de « races » se contracte vers celui de « classes » [24]. La lutte des classes a toutefois amené du même coup son propre avatar, à savoir le racisme révolutionnaire qui postule une lutte des « races » et reconduit l’État au centre, contrairement à l’internationalisme socialiste [25]. C’est dans cette formation que M. Foucault repère le « racisme » moderne, parce qu’il ne vise plus une remise en question du pouvoir, mais cherche à s’accaparer entièrement le pouvoir dans le but d’édifier une société « de race pure ». C’est aussi la raison pour laquelle ce discours n’acquiert sa force politique décisive qu’avec le darwinisme, puisque c’est à partir de lui seulement que le postulat de la « lutte pour l’existence » est devenu possible dans toute sa portée [26].
9 Si ce racisme biologique politisé a été post-darwinien, il ne fait cependant aucun doute qu’il s’est considérablement nourri de dispositions épistémologiques et d’idéologèmes introduits dès le premier tiers du XIXe siècle par l’histoire, l’anthropologie et la philologie. Même si la philologie de Friedrich von Schlegel, par exemple, peut aussi être associée au « discours de la lutte des races », c’est-à-dire de l’histoire des « races » comme une « contre-histoire » et une contre-société s’opposant à l’Aufklärung et à l’universalisme français [27], son idéologie déterministe de la flexion et des langues indo-européennes est d’une importance considérable pour le racisme moderne d’un Schleicher, car elle engendre l’essentialisme culturel qui connaîtra plus tard un durcissement biologique [28]. La même remarque pourrait naturellement s’appliquer à Gobineau.
10 Le simple fait que M. Foucault voie dans la formation du racisme moderne de la première moitié du XIXe siècle un jumelage avec le marxisme ne l’a cependant pas conduit à s’interroger explicitement sur l’importance des sciences dans le développement de la pensée raciste. Hormis le marxisme, qui représente naturellement aussi l’économie moderne, il reste ici dans le domaine du discours social au sens strict du terme.
11 Or l’histoire des épistèmes, et avec elle celle des sciences, avait été le noyau même de l’intérêt de connaissance (au sens d’Habermas) de M. Foucault. Les considérations sur la philologie qu’il exposait déjà dans son Archéologie des sciences humaines en 1966 sont à cet égard révélatrices. M. Foucault y fait un parallèle entre la lutte pour la liberté des peuples, de la nation allemande en particulier, et la création de la philologie. À l’instar des nations qui se seraient exprimées politiquement, la philologie aurait représenté les langues comme l’expression historique de la vie des peuples dans laquelle l’unité organique deviendrait manifeste. Bref, l’idée de peuple serait enracinée dans l’idée d’un langage commun, si bien que la langue et la liberté seraient inséparablement liées dans la pensée du mouvement romantique. La philologie apparaît ici comme le récit d’une unité sur laquelle devrait se fonder la liberté. En tant que récit d’indépendance par rapport à un universalisme hégémonique français, elle est par conséquent d’abord encore une « contre-histoire ».
12 Mais cette tendance de M. Foucault à privilégier le concept de peuple au détriment de celui de nation montre la dimension historique à laquelle il fait appel lorsque, sur cet arrière-plan, il mentionne les implications politiques profondes de la philologie au XIXe siècle. Dans un passage de Les mots et les choses consacré à ce sujet, il écrit :
Tout comme l’organisme vivant manifeste par sa cohérence les fonctions qui le maintiennent en vie, le langage, et dans toute l’architecture de sa grammaire, rend visible la volonté fondamentale qui maintient un peuple en vie et lui donne le pouvoir de parler un langage n’appartenant qu’à lui. Du coup, les conditions de l’historicité du langage sont changées ; les mutations ne viennent plus d’en haut (de l’élite des savants, du petit groupe des marchands et des voyageurs, des armées victorieuses, de l’aristocratie d’invasion), mais elles naissent obscurément d’en bas, car le langage n’est pas un instrument, ou un produit – un ergon comme disait Humboldt –, mais une incessante activité – une energeïa. Dans une langue, celui qui parle, et qui ne cesse de parler dans un murmure qu’on n’entend pas mais d’où vient pourtant tout l’éclat, c’est le peuple. Un tel murmure, Grimm pensait le surprendre en écoutant le altdeutsche Meistergesang, et Raynouard en transcrivant les Poésies originales des troubadours. Le langage est lié non plus à la connaissance des choses, mais à la liberté des hommes : « Le langage est humain : il doit à notre pleine liberté son origine et ses progrès ; il est notre histoire, notre héritage. » [note de bas de page : J. Grimm, L’origine des langues, p. 50] Au moment où on définit les lois internes de la grammaire, on noue une profonde parenté entre le langage et le libre destin des hommes. Tout au long du XIXe siècle la philologie aura de profondes résonances politiques [29].
14 La dernière phrase est incontestablement vraie – et il est tout aussi indubitable que M. Foucault pense déjà ici au renversement de l’idée de liberté dans l’idéologie du peuple, c’est-à-dire à cette fin de la contre-histoire dans laquelle prend forme le racisme moderne. Dans le retour aux racines indo-européennes comme movens de liberté somnole déjà la tendance à l’« indomanie [30] » – et tout ce qui allait triompher en Europe sous la forme de l’idéologie aryenne [31]. Ou, pour le dire autrement, la nouvelle conception théorique de la philologie et de ses objets, les langues et les cultures de textes, correspond à un discours socio-politique lourd de conséquences.
15 Il serait, certes, difficile de contredire M. Foucault sur ce point. Mais la référence qu’il donne pour illustrer la construction du nouveau discours historique est particulièrement instructive. Il choisit précisément la pensée linguistique de Humboldt comme point culminant théorique et comme expression paradigmatique de ce qu’il décrit : l’unification de la libre expression des peuples et de la connaissance de leur généalogie linguistique et de leur origine. Le concept auquel M. Foucault a recours est le terme en effet central pour l’anthropologie linguistique de Humboldt, l’energeia.
À propos de l’historicité dans la philologie : une erreur d’interprétation instructive
16 La dimension théorique du terme energeia chez Humboldt présente certes des éléments dont rend compte la description de M. Foucault, en particulier ceux relatifs à la reconnaissance de l’historicité et de l’individualité de la langue. Mais situer Humboldt dans le courant de la linguistique historique comparée, avec toutes ses implications historiques jusqu’au discours völkisch sur la liberté, est une erreur [32], et c’est aussi historiquement fatal. Car ce rapprochement se fonde en premier lieu sur une mauvaise compréhension du terme energeia et a contrario des prémisses de la philologie historique comparée ; en second lieu – sur le plan épistémologique – sur le procédé homogénéisant de l’analyse du discours.
17 Dans la linguistique historique comparée, le langage des peuples, salué par M. Foucault comme le nouveau principe de connaissance, est en réalité un système abstrait de sons différenciés, puisqu’il s’agit pour l’essentiel de règles phonétiques et de déplacements grammaticaux structurels. À travers l’étude de ces règles, il est possible que se manifeste le cours de l’histoire [33] ou de la nature [34], mais non le langage en tant qu’activité intellectuelle et culturelle de l’homme [35]. L’homme et sa sémantique linguistique disparaissent des arbres généalogiques des langues construits par le comparatisme historique, qui fait silence sur l’acte même de parler. Sans qu’il soit nécessaire de développer plus amplement ce point, il doit être clair que la conception synchronistique humboldtienne de la langue en tant qu’energeia, en tant que « parole reprise » (jedesmaliges Sprechen), est diamétralement opposée à ce rude règne de l’histoire (de la nature) [36] : pour Humboldt, il s’agit de la manifestation de l’esprit humain dans la langue, qui ne saurait se réduire à des différences phonétiques, mais renvoie à une « vision du monde » (Weltansicht), une différence de la pensée dans laquelle l’esprit respectif des nations s’exprime en tant qu’activité vivante, et non sous la forme d’une conception du monde (« indo-européenne » par exemple) figée [37].
18 Ce rapport de la langue à l’esprit signifie une autre conception de la relativité historique que celle qui a cours dans la recherche généalogique linguistique [38], et cette différence a des implications importantes. La conception culturelle de la langue chez Humboldt, qui privilégie l’usage et non l’origine [39], représente un projet de diversité et liberté humaines.
19 Il en va différemment de la recherche généalogique qui est avant tout une recherche des origines, une recherche de l’essence. Dès les premières études de Schlegel, elle insiste sur des relations de dépendance. La question de la « race » s’annonce dans le caractère schismatique de la polygenèse, dans l’éclatement des familles linguistiques et des qualités culturelles qui leur sont attribuées [40]. L’idée de langage des peuples au sens démocratique et éclairé (aufklärerisch), qui est encore celle de Humboldt, s’abîme dans le susurrement généalogique de l’ontologie et de l’appartenance nationales : le concept de l’« Inde » imaginaire de Schlegel relève d’un nationalisme spirituel anti-français et anti-universaliste, Schlegel témoignant d’une impulsion de liberté chauvine et d’une rancune d’exclusion à l’endroit du monde non indo-européen. Humboldt a reconnu tout cela et a clairement argumenté contre les frères Schlegel [41]. Le différend ne se situe donc non pas dans le danger émanant des réceptions tardives dans la pensée völkisch, et qui a concerné Humboldt aussi bien que Schlegel [42], mais au niveau de la manifestation langagière elle-même – qui formule ce qui est dicible.
20 La question est donc de savoir quel est le nouveau mode de pensée historique dans la philologie, et quelles en sont les conséquences culturelles. La voie claire montrée par M. Foucault dans l’histoire des sciences du début du XIXe siècle, où la découverte de l’historicité sonore de la langue, la philologie en tant que recherche de la généalogie phonétique, la « parole » des peuples et du nationalisme völkisch se confondent, ne peut manifestement rester ainsi admise sans réserve [43]. L’exemple de Humboldt, requis par M. Foucault lui-même, diffère car sa voix témoigne d’une autre pensée linguistique et d’une autre pensée de la relativité historique – même si elle est naturellement l’expression d’une conception nouvelle de l’histoire, qui se distingue nettement de la « pensée supra-historique [44] » de l’Aufklärung.
21 La présence du terme energeia humboldtien dans le discours reconstruit par M. Foucault n’est ni un hasard ni un détail singulier. Elle est bien plutôt paradigmatique du regard qui vise une homogénéisation de l’analyse du discours. Dans un travail archéologique, celle-ci reconstruit les règles du parler dans un domaine du savoir et fait ressortir comme y afférant tous les aspects d’un événement du parler – ou encore, dans les concepts herméneutiques, d’un livre ou d’une « œuvre » – qui relèvent de ces règles [45]. Le reste du texte n’est plus qu’un fade excédent ou résidu de cet événement du parler. Le processus n’explique donc pas seulement comment les discours se sont formés – celui de la recherche linguistique historique comparée au XIXe siècle par exemple – mais surtout comment ils se sont imposés. La multiplicité des possibilités de modélisation du discours, les écarts et les résistances sont alors largement relégués à l’arrière-plan.
22 Chez M. Foucault, c’est intentionnel. Après avoir dû – en raison de la critique systématique de Jacques Derrida notamment – convenir de l’échec de sa tentative d’expliquer la folie comme représentation d’une raison autre, extérieure au discours rationnel [46], sa pensée fut profondément marquée par un pessimisme du pouvoir [47]. Il s’intéressa alors à l’hégémonique et aux constellations des pouvoirs qui s’imposaient [48].
23 M. Foucault a naturellement vu le problème inhérent à cette position de l’élimination des excédents, voire de l’autre-parler, de même que l’irréparable du processus historique qui s’ensuivit. Ainsi, à la question qui lui fut posée en 1979 de savoir si, par conséquent, tout soulèvement du sujet serait sans importance, il répondit que la diversité des expressions soustrairait précisément le mode d’existence humain à l’Évolution, c’est-à-dire à une force formatrice universellement valable, pour en faire l’Histoire [49] :
On se soulève, c’est un fait ; et c’est par là que la subjectivité (pas celle des grands hommes, mais celle de n’importe qui) s’introduit dans l’histoire et lui donne son souffle. Un délinquant met sa vie en balance contre des châtiments abusifs ; un fou n’en peut plus d’être enfermé et déchu ; un peuple refuse le régime qui l’opprime. Cela ne rend pas innocent le premier, ne guérit pas l’autre, et n’assure pas au troisième les lendemains promis. Nul, d’ailleurs, n’est tenu de leur être solidaire. Nul n’est tenu de trouver que ces voix confuses chantent mieux que les autres et disent le fin fond du vrai. Il suffit qu’elles existent et qu’elles aient contre elles tout ce qui s’acharne à les faire taire, pour qu’il y ait un sens à les écouter et à chercher ce qu’elles veulent dire. Question de morale ? Peut-être. Question de réalité, sûrement. Tous les désenchantements de l’histoire n’y feront rien : c’est parce qu’il y a de telles voix que le temps des hommes n’a pas la forme de l’évolution, mais celle de l’« histoire », justement [50].
25 Son projet d’une herméneutique du sujet [51] et le tournant vers le « souci de soi » dans les deuxième et troisième volumes de son Histoire de la sexualité sont assurément une réaction à ce constat [52]. Mais l’histoire des sciences de M. Foucault est restée une histoire étrangement homogène et sans résistances intérieures [53]. Dans sa célèbre Réponse à une question, son résumé laconique de l’analyse du discours se termine par la formule de Samuel Beckett : « Qu’importe qui parle ; quelqu’un a dit : qu’importe qui parle » [54].
26 Or c’est précisément là où le discours hégémonique n’est pas caractérisé comme tel mais apparaît comme une tradition d’expression universelle, que survient le danger d’une « téléologie inversée », telle qu’elle a été commentée par Wulf Oesterreicher :
Lorsque, au contraire, on s’empresse d’identifier le « Nouveau » au « changement » qui s’impose, on méconnaît les possibilités concrètes inhérentes aux situations historiques et qui constituent des formes d’innovation variées et concurrentes – la connaissance historique est alors rendue impossible [55].
28 Mais une pensée téléologique inversée est rarement aussi problématique que dans le contexte de l’histoire de la pensée raciale évoquée par M. Foucault. C’est ce que montre, plus clairement encore que la représentation de M. Foucault, le livre d’E. Saïd qui traite de domaines centraux de la culture européenne moderne ayant incontestablement joué un rôle idéologique déterminant dans l’impérialisme et le racisme [56]. Pour E. Saïd, le racisme est en cela « seulement » le noyau biologique, le renforcement d’un discours déterministe qui ramène les cultures à des essences incontournables et immuables et que l’on pourrait qualifier de « racisme culturel » [57]. Ce point de vue est, sur le plan historique, tout à fait instructif. Car, même si le concept de racisme, dans sa signification moderne de fixation biologique des caractéristiques, ne doit pas être banalisé, il reste néanmoins vrai que le critère biologique seul ne livre aucune hiérarchisation de variétés (« races »). Celle-ci survient à travers la contextualisation de la différence biologique :
Le terme de racisme est évidemment inadéquat pour un mécanisme aussi général. [...] À strictement parler, il signifierait une théorie de la différence biologique. Les nazis, après les idéologues de la traite de Noirs et de la colonisation, y ont inclus une hiérarchisation politique, morale et culturelle des groupes humains d’après leurs différences biologiques. [...] En fait, l’accusation raciste s’appuie tantôt sur une différence biologique, tantôt sur une différence culturelle. Tantôt elle part de la biologie, tantôt de la culture, pour généraliser ensuite à l’ensemble de la personnalité, de la vie et du groupe de l’accusé. Quelquefois, le trait biologique est hésitant ou même absent [58].
30 Les théories racistes ne fonctionnent que si l’on attribue à la biologie les qualités typiques supposées essentielles [59]. D’où la formule forgée par Pierre Bourdieu selon laquelle le racisme serait toujours aussi un essentialisme [60]. La contribution de la philologie au racisme moderne se situe, précisément et dans une large mesure, dans le fait d’avoir essentialisé des caractéristiques culturelles (supposées) pour les faire rentrer dans des théories organicistes. La philologie a ainsi livré au penser de la race l’argument de la détermination de la pensée. Que l’on songe à l’exemple de Schlegel qui, s’il se situe dans un discours pré-biologique, répartit néanmoins les langues pour certaines en « lumineuse circonspection » (lichte Besonnenheit) et d’autres en « torpeur animale » (thierische Dumpfheit), les plaçant ainsi dans une relation tautologique et irréfutable par rapport à leurs locuteurs [61]. Il semble par conséquent indiqué de considérer le problème du racisme dans la philologie à partir de ces dimensions déterministes et essentialisantes avant d’aborder leur ancrage dans le biologique.
Dans la tradition de M. Foucault : E. Saïd et l’orientalisme
31 La thèse avancée par E. Saïd a eu, on le sait, un effet très retentissant dans tous les domaines scientifiques d’analyse des cultures qui se fondent sur les textes [62]. E. Saïd a cherché à mettre en lumière l’arpentage intellectuel subtil des cultures « orientales » à partir de critères eurocentristes, y voyant une approche conceptuelle préliminaire et un fondement idéologique à l’arpentage cartographique du monde « oriental » et de sa colonisation [63]. Il s’agit pour lui, dans le sens de l’épistémologie esquissée par M. Foucault, du problème de la représentation du pouvoir de description de la science moderne dans le noyau de la culture européenne qui se considère comme éclairé (aufgeklärt). Son analyse du discours visait les implications épistémologiques (idéologiques) ainsi que la représentation et reproduction auto-référentielles de textes, et non pas leur intentionnalité politique. Dans sa praxis de l’analyse du pouvoir, Orientalism s’inscrit clairement dans le sillon de M. Foucault et non d’Antonio Gramsci – lequel n’avait cessé de souligner l’importance de l’abondance du matériau individuel [64] – et ceci en dépit du fait qu’E. Saïd accordait dans ses considérations théoriques une place centrale à la position d’A. Gramsci [65].
32 E. Saïd a très certainement eu raison de démontrer la part qui revient à la philologie, discipline scientifique incontestablement la plus prestigieuse de la première moitié du XIXe siècle, dans la formation et l’énonciation du discours eurocentriste, voire racial. Il a même vraisemblablement encore raison lorsqu’il voit dans ce qu’il qualifie d’orientalisme le discours hégémonique de l’Europe sur les « autres » et l’Autre. Cette évidence historique ne saurait être contredite. Le problème est seulement qu’E. Saïd n’a pas suffisamment souligné le caractère en soi hégémonique de ce discours, qui permet d’identifier « l’orientalisme », c’est-à-dire l’essentialisme culturel et racial, dans tout discours européen sur d’autres individus, langues, cultures et textes dès le XIXe siècle – ce qui revient à soumettre ce discours à une « téléologie inversée », dans laquelle tout est emporté sans nuance dans le processus discursif dominant [66]. « L’impulsion totalisante de l’argument présenté [67] » d’E. Saïd accorde trop peu de place à des résistances et des hétérogénéités. Au fond, les épisodes individuels restent des sortes de jeux, variantes et prolongements des caractéristiques du discours orientaliste, dans la mesure où l’objectif d’E. Saïd est de révéler, bien au-delà de « la position de certains sujets par rapport à l’étranger [...] le comportement de toute une civilisation, de la civilisation européenne moderne, face à ce qu’elle appréhende comme son contraire [68] ». Ceci a été vu par la recherche – mais presque exclusivement dans les imaginaires culturels plus larges que proposent la littérature, la poésie et les récits de voyages, dont la fonction critique par rapport au discours politique sur l’Orient a été soulignée. Au centre de l’observation, il conviendrait cependant de poser la question de la représentation scientifique, et plus particulièrement de la représentation philologique [69]. La lacune de la recherche reste cependant ici encore considérable [70], même si l’attention avait déjà été attirée sur le problème épistémologique de la position des auteurs à l’égard des formations discursives dans la recension de James Clifford [71]. E. Saïd s’est lui-même référé à cette recension dans son propos visant à fonder un humanisme séculier sur une pratique philologique, lorsqu’il s’agissait de relever le défi de la dimension anti-humaniste de la théorie de M. Foucault [72]. Sa réflexion ne l’a cependant pas conduit à une relecture historique de l’épistémologie et de la pratique de la philologie du XIXe siècle. Il n’a pas complété sa lecture de l’histoire de la philologie, mais lui a au contraire opposé – comme il a été mentionné au début – une « autre » philologie sous forme de rupture :
I believed then, and still believe, that it is possible to be critical of humanism in the name of humanism and that, schooled in its abuses by the experience of Eurocentrism and empire, one could fashion a different kind of humanism that was cosmopolitan and text-and-language-bound in ways that absorbed the great lessons of the past from, say, Erich Auerbach and Leo Spitzer and more recently from Richard Poirier [...] [73].
34 Cette citation montre clairement que le point de vue d’E. Saïd résulte d’une appréhension réflexive intériorisée des expériences des traumatismes de l’impérialisme et du totalitarisme, qui cherche dans l’histoire les raisons de l’échec de la civilisation. Or c’est précisément en regard de ces expériences désastreuses que les alternatives à cette réflexion sur les cultures étrangères et sur l’altérité devraient attirer l’attention. La première moitié du XIXe siècle peut ici tout à fait servir de référence en raison de la création du système philologique de la représentation en tant que science des langues, des textes et des cultures. L’hégémonie du discours décrit par E. Saïd était-elle incontournable ? Cette question remet l’individuel au centre de la problématique et invite à mettre en lumière d’autres modèles de pensée, tels qu’on en trouve non seulement dans une conception herméneutique des textes, mais aussi dans les close readings et l’analyse des pratiques textuelles [74].
Histoire critique de la discipline
35 Dans les grandes histoires d’idées du racisme moderne, qui éclairent la « scientifisation » du concept de race au XIXe siècle – chez Hannah Arendt [75], George Mosse [76] ou Léon Poliakov [77] par exemple –, la philologie, si elle n’est pas sans jouer un certain rôle, reste néanmoins tributaire du champ de l’anthropologie. Ainsi n’existe-t-il que très peu de travaux approfondis sur ce thème au-delà de quelques études éparses [78]. C’est pourquoi l’étude d’E. Saïd sur l’orientalisme reste une référence centrale. L’enjeu consiste donc à révéler la faiblesse et la contradiction interne du discours philologique. Non pour réfuter la thèse d’E. Saïd – la part qui revient à la philologie dans le racisme est indéniable et reste le douloureux « péché originel » des disciplines philologiques –, mais pour montrer qu’à l’époque même de cette intrication de l’étude des langues, des textes et des cultures avec une pensée eurocentriste, voire raciologique, différentes propositions de recherche et des critiques ouvertes de la pratique philologique ont été formulées.
36 Cette approche vise donc un autre intérêt de la connaissance que la thèse récemment proposée par Suzanne Marchand sur l’orientalisme : à la suite des grands travaux de Sabine Mangold [79] et de Pascale Rabault-Feuerhahn [80], il s’agit pour S. Marchand de placer l’orientalisme allemand, mis de côté par E. Saïd, dans une tradition d’érudition philologico-théologique remontant à l’humanisme, laquelle aurait au XIXe siècle conduit la philologie orientale allemande à aborder autrement les questions que ses collègues occidentaux [81]. Cette thèse ne peut être sérieusement discutée ici. Nous proposons simplement de prendre en compte deux réflexions qui nous paraissent centrales et peuvent permettre de dégager clairement le point en question : si la mise en perspective des « cadres » nationaux met en relief certaines singularités culturelles qui peuvent être des arguments de poids contre la tradition d’expression généralisante avancée par E. Saïd, il semble toutefois problématique, en raison des échanges personnels étroits dans la philologie du XIXe siècle, de distinguer un espace de discours spécifique à l’orientalisme germanophone qui serait opposé à la tradition d’Europe occidentale, et française en particulier, ou qui du moins en serait distinct. Cela d’autant plus que l’orientation humaniste de l’orientalisme germanophone ne met en rien celui-ci à l’abri de la tendance à développer une autorité hégémonique [82]. Le meilleur exemple est encore ici le projet « indien » de Schlegel qui, tout en se présentant comme une contribution visant une érudition et une spiritualité européennes néo-humanistes, ne peut se construire qu’à partir du postulat déterministe d’un schisme des familles linguistiques centré autour de l’indo-européen. Maurice Olender a judicieusement montré que la dimension chrétienne-humaniste de la philologie a trouvé ici une postérité obscure [83]. Le néo-humanisme romantique de Schlegel ne peut tout simplement pas être séparé d’une tendance culturelle hiérarchisante qu’E. Saïd a raison de mentionner aussi en référence aux penseurs de l’espace germanophone. L’examen de la (l’in-) dépendance des positions individuelles des conditions épistémiques de la philologie européenne – qu’E. Saïd tient pour incontournables – apparaît au moins aussi central que la mise en évidence des champs et des traditions scientifiques.
37 Il ne s’agit donc pas de revenir sur la position fondatrice de M. Foucault, visant à appréhender l’impact social des formations discursives – et une histoire de la philologie sous l’aspect critique-idéologique ne peut être entreprise que dans le sillon d’E. Saïd. Mais il convient de relativiser l’impression d’homogénéité induite par le pessimisme de pouvoir, afin que des événements de langage individuels particuliers, et donc des alternatives historiques qui ont existé, soient aussi envisagés et étudiés. En tant que variantes concurrentielles à l’intérieur du discours hégémonique, ils en déplacent le lieu et la force sociale. Ceci peut même être compris en référence au concept de discours foucaldien :
Il s’agit ici de montrer le discours comme un champ stratégique, où les éléments, les tactiques, les armes ne cessent de passer d’un camp à l’autre, de s’échanger entre les adversaires et de se retourner contre ceux-là mêmes qui les utilisent. C’est dans la mesure où il est commun que le discours peut devenir à la fois un lieu et un instrument d’affrontement [84].
39 Dans ce sens, une mise à jour historique du texte d’E. Saïd s’impose, étant entendu qu’elle inclut aussi une dimension systématique d’importance : la question centrale étant de savoir si les divergences individuelles du discours décrit par E. Saïd ne recèlent pas les prémisses de contre-discours philologiques.
Pluralité et description linguistique
40 La question de la représentation des formes symboliques des cultures étrangères, en particulier de leurs langues, ne date pas du XIXe siècle. Elle allait pourtant gagner une nouvelle pertinence au tournant des XVIIIe et XIXe siècles. Dans le contexte d’une pensée historique nouvelle s’élabore à cette époque une culture du savoir positiviste qui prend la forme d’une ethnographie empirique, d’une science des textes et d’une linguistique historique comparée, et s’institutionnalise en tant que science philologique [85]. Elle se drape d’une méthode nouvelle et prétend à une explication inédite du monde [86]. La philologie (science des langues et des textes) devient dès lors à l’intérieur de nombreuses sociétés européennes un « lieu » de l’explication des dispositions et productions humaines d’une éminente autorité [87]. Des domaines scientifiques entiers sont abordés « philologiquement », analysés sous l’aspect linguistique et textuel. Ceci vaut notamment aussi pour les disciplines orientales [88]. Ainsi le choix d’E. Saïd de commencer son livre sur l’orientalisme par le tournant du XIXe siècle s’explique-t-il tout à fait.
41 La philologie scientifique moderne se fonde, tout de même, pour une large mesure encore sur les vieux matériaux linguistiques transmis d’outre-mer. Plus une langue et une culture sont éloignées de l’Europe, plus fort et plus durable est le rôle des recueils lexicaux et grammaticaux des missionnaires [89]. Or l’examen et l’évaluation des autres langues ne sont-ils pas, en raison même des matériaux provenant du contexte de la mission, hautement problématiques, c’est-à-dire eurocentristes ? D’autant que pour la philologie moderne, l’intégration de la différence culturelle dans une histoire humaine unifiée telle que la figuraient idéalement le modèle chrétien catholique et l’histoire universelle de l’Aufklärung ne paraît plus plausible [90]. Le danger est ici dans le désenchantement du regard posé sur les systèmes symboliques qui, alors qu’ils avaient été considérés jusque-là comme uniques, peuvent dès lors être scientifiquement dissociés de la généalogie indo-européenne et qualifiés de muets, inorganiques, statiques, etc., en un mot, fondamentalement « autres ».
42 Dans la perspective eurocentriste, au fond raciste, de classification scientifique des langues étrangères, E. Saïd a, comme l’on sait, repéré le noyau de ce phénomène qu’il a nommé l’« orientalisme » : le discours de la prise de pouvoir intellectuel de l’Occident et de la légitimation culturelle du colonialisme aurait pour une large part reposé sur l’autorité de la philologie moderne. À cet endroit, E. Saïd oublie cependant cette tradition, ou peut-être conviendrait-il plus prudemment de dire ici ces « penseurs » qui, dans un assentiment emphatique à l’individualité historique, ne voulaient pas renoncer à l’idée d’universalité de l’homme comprise comme une équivalence théorique de ses productions intellectuelles. Certains chercheurs avaient parfaitement conscience du problème posé par les matériaux sur lesquels ils étaient amenés à travailler. Vers 1830 déjà, à l’époque de l’institutionnalisation et du retentissement social de la philologie, les matériaux disponibles faisaient l’objet d’observations critiques.
Jean-Pierre Abel-Rémusat
43 La critique des prémisses de la culture du savoir européen énoncée par E. Saïd avait déjà été formulée dans toute sa portée par l’un des grands protagonistes de l’époque fondatrice de la philologie moderne. Dans son « Discours sur le génie et les mœurs des peuples orientaux [91] », Jean-Pierre Abel-Rémusat (1788-1832), nommé en 1814 à la première chaire européenne de sinologie au Collège de France (Collège royal), critique la culture du savoir européen et son importance pour l’économie et la politique de manière si perspicace que l’on peut y voir une critique de l’orientalisme avant la lettre. Il est d’autant plus surprenant que les sciences européennes l’aient à ce point oublié [92].
44 Abel-Rémusat dénonce impitoyablement le caractère constructiviste de termes tels que l’« Orient » ou l’« Asiatique », décelant ces concepts essentialistes aux effets déterminants dès avant leur ancrage explicitement raciste et auxquels E. Saïd accorde un rôle central dans la construction de l’hégémonie intellectuelle : le caractère supposé inébranlable de l’Orient, son mutisme si décrié, son soi-disant manque de constitutionnalité institutionnelle. Dans ce contexte, Abel-Rémusat fait preuve d’une grande acuité dans l’analyse de la complicité d’une philologie pauvre en connaissances, mais avide d’autorité, avec le programme de mainmise sur les colonies. Ainsi décrit-il « les efforts et la persévérance des Occidentaux à les parcourir, à les subjuguer, à les dépouiller et à les décrire [93] ».
45 L’importance de la primauté taxinomique pour les puissances coloniales dans laquelle le socio-linguiste Louis-Jean Calvet a lui aussi décelé le moment déterminant de la prise de pouvoir [94] est, pour Abel-Rémusat, inséparable de la dimension politique du colonialisme. Dans sa critique fondamentale du colonialisme européen, procédures d’appropriation académique et négociations économiques vont de pair :
Que l’industrie de tous ces peuples cède le pas à celle des Occidentaux ; qu’ils renoncent en notre faveur à leurs idées, à leur littérature, à leurs langues, à tout ce qui compose leur individualité nationale ; qu’ils apprennent à penser, à sentir et à parler comme nous ; qu’ils payent ces utiles leçons par l’abandon de leur territoire et de leur indépendance ; qu’ils se montrent complaisants pour les désirs de nos académiciens, dévoués aux intérêts de nos négociants, doux, traitables et soumis. À ce prix, on leur accordera qu’ils ont fait quelques pas vers la sociabilité, et on leur permettra de prendre rang, mais à une grande distance, après le peuple privilégié, la race par excellence, à laquelle seule il a été donné de posséder, de dominer, de connaître et d’instruire. [...] Il sera trop tard pour étudier les hommes, quand il n’y aura plus sur la terre que des Européens [95].
47 Le problème de la représentation du savoir, du langage et de l’écriture des autres cultures est pour le sinologue français un problème central qui traverse toute sa pensée et ses écrits [96]. Déjà dans son premier traité scientifique, l’Essai sur la langue et la littérature chinoises [97], on note cette profonde méfiance à l’égard des mécanismes d’une représentation philologique basée sur des prémisses exogènes, c’est-à-dire eurocentristes :
On trouvera dans cet opuscule peu de choses appuyées de la seule autorité des auteurs européens ; depuis que j’ai pu déchiffrer quelques caractères, je me suis presqu’exclusivement attaché aux originaux ; j’ai évité dans les commencemens la lecture d’ouvrages où je craignais de prendre des préjugés ou des idées fausses. Je ne regarde même à présent comme certaines les connaissances puisées dans les excellens ouvrages de Fourmont, de Bayer et de Deshauterayes, qu’autant qu’elles sont vérifiées sur les originaux chinois [98].
49 On relève en particulier son souci de laisser parler elles-mêmes les autres cultures, qui se manifeste déjà dans toute une série de titres comme « Essais sur la cosmographie et la cosmogonie des bouddhistes, d’après les auteurs chinois [99] » ou « Sur un Vocabulaire philosophique en cinq langues, imprimé à Péking [100] ». Là où ce ne sont pas les « autres » qui parlent pour eux-mêmes, son regard réflexif se porte toujours sur les structures de pensée eurocentristes de la science qui est la sienne. Les réflexions d’Abel-Rémusat exposées dans son essai « Sur la transcription des mots orientaux en lettres européennes [101] » à propos du projet d’un « Alphabet » européen pour la transcription de langues non-européennes du linguiste et ethnographe Constantin-François de Volney, sont ici caractéristiques. Il loue ce projet parce qu’il complète l’insuffisance de possibilités phonétiques des écrits européens (« suppléer à ce qui nous manque ») [102], mais surtout pour le fait que l’usage d’un système de transcription aussi vaste et réglé pourrait, dans la formation linguistique des Européens, contribuer à une prononciation correcte des noms et des mots à la satisfaction des « naturels » [103]. Ce sont ici les autres cultures qui deviennent le critère de représentation linguistique. Mais Abel-Rémusat n’attend rien du projet d’universalisation d’un « alphabet » artificiel rationnel tel que le présente Volney dans un esprit despotique européen :
M. de Volney commence par exprimer le regret que les révolutions politiques qui ont tourmenté l’Asie ne lui aient pas procuré, comme à l’Europe, le bienfait d’un alphabet unique, ou du moins semblable en ses figures et en sa construction. Il déplore cette diversité persistante d’alphabet chinois, mantchou, japonais, malais, etc. En admettant ce fait comme l’expose l’auteur, en ne tirant aucune objection de l’alphabet grec, ni du russe, ni de l’irlandais [...], on pourrait encore demander si l’emploi divers que les nations européennes font du même alphabet, n’est pas un plus grand obstacle à la communication des esprits que la multiplicité des alphabets, et s’il n’est pas au moins aussi facile de se graver dans la mémoire plusieurs signes pour un seul ton, que de retenir des sons variables que chaque peuple attribue à un même signe. Mais n’attache-t-on pas ici, comme cela arrive trop souvent, même aux écrivains philosophes, une trop grande importance à ce qui nous appartient, uniquement parce que cela nous appartient [104] ?
51 On ne saurait perdre de vue l’existence d’un tel contre-discours critique en abordant l’échange épistolaire entre le spécialiste parisien de l’Asie Eugène Vincent Stanislas Jacquet (1811-1838) et Humboldt (1767-1835) sur la question de l’appréhension des matériaux linguistiques, jésuites pour la plupart. La constellation de ces deux noms n’est pas un hasard. Jacquet, l’un des remarquables élèves et jeune collègue d’Abel-Rémusat, ne pouvait qu’être très intéressé par la question de la description des langues. En ce qui concerne Humboldt, c’est au fond à Abel-Rémusat qu’il devait ses connaissances du chinois, et il partageait avec le Français la volonté de défendre cette langue en tant que culture de la langue et de l’écrit contre la focalisation de la philologie sur le sanskrit [105].
Eugène Vincent Stanislas Jacquet
52 Vers 1830, Humboldt engage une correspondance avec Jacquet sur la question de la généalogie des systèmes écrits de l’Asie du Sud-Est. Il s’agit de savoir si les écritures austronésiennes sont ou non dérivées de l’écriture indienne médiévale Devanagari, dans laquelle s’écrivait le sanscrit classique [106]. Dans le contexte de ce débat, précisément dans sa « Notice sur l’alphabet Yloc ou Ylog [107] » datée de 1831, Jacquet soulève résolument le problème des matériaux linguistiques transmis. Avant de s’intéresser aux relations de parenté du Tagala avec d’autres systèmes d’écriture philippins et malais, il y écrit :
Il est sans doute étonnant que, dans le nombre immense de grammaires et de vocabulaires de tous dialectes, de tout format et de toute date qui ont été imprimés à Manille et à Sampaloc, aucun n’ait encore donné un tableau des alphabets qui expriment ces langues dans les manuscrits originaux ; mais les Espagnols ont trouvé plus facile de dire : No se trata de los caracteres de la lengua, porque es yà raro el Indio que los sabe leer, y rarissimo el que los sabe escribir [108].
54 Et dans la note à propos du traité correspondant du Padre de Totanes, il ajoute le commentaire critique suivant :
Ceci n’est exactement vrai que de la ville et des faubourgs de Manille, où les Tagalas ont perdu toute individualité nationale. Les naturels n’y parlent qu’une espèce de lingua franca mêlée de tagala et d’espagnol. Beaucoup d’entr’eux apprennent le castillan et même le latin ; les plus instruits sont même employés dans l’administration [109].
56 Jacquet invalide, d’une part, la prétendue justification sociale des missionnaires qui n’ont pas tenu compte dans leurs retranscriptions du matériau écrit indigène, mais surtout, il critique, de l’autre, le fait même que la liste des caractères écrits du Tagala n’ait pas été établie à partir de textes et de documents philippins authentiques, et ne soit finalement que la construction d’un regard étranger. Jacquet insiste lourdement sur ce point. Il souligne ainsi que l’ensemble des signes réunis par les missionnaires comme constituant l’alphabet Tagala est, jusque dans le néologisme « Baybayin » qui le désigne, une tentative de parallélisme avec un alphabet de type latin [110]. Pour Jacquet, ceci pose problème non seulement pour des raisons de principe, mais aussi pour des raisons pragmatiques. L’absence de référence à des textes originaux pour déterminer les caractères a tout simplement conduit à des transcriptions erronées [111]. Le Tagala n’étant pas une écriture alphabétique, mais un système de consonnes ou, plus précisément, un processus syllabique, si la transcription alphabétique des missionnaires a phonétiquement donné lieu à des unités comparables, elle a le plus souvent altéré l’approche d’une lecture correcte :
Je conjecture que ces habitudes d’orthographe ont fait éprouver quelques légères altérations à la langue même ; et quelques formes doubles, comme lislis et lilis, lañgin et lañgi, m’autorisent à penser que les élisions ont souvent passé de l’écriture dans la prononciation. Bien que ces notions ne soient pas sans utilité, l’inconsistance de la méthode transcriptive des Espagnols ne nous permet pas de restituer les vocables Tagala, copiés dans leurs vocabulaires d’après des prononciations plus ou moins variables [112].
58 La question de la constitution des caractères d’écriture philippins est finalement pour le Français le prétexte à une critique fondamentale du procédé de relevé des missionnaires européens, dont il rejette la dimension d’arpentage eurocentriste, destructrice des autres langues et écritures, et dans laquelle il ne voit que trop clairement la corrélation avec le colonialisme politique :
On peut reconnaître dans cet ordre mixte des alphabets yloco-tagala rédigés par les Espagnols, cette déplorable tendance à rappeler les langues orientales aux habitudes des nôtres, et cette manie de détruire toute nationalité des peuples conquis, même dans les plus petites choses [113].
60 L’impact politique des descriptions linguistiques se situe dans cette étroite connexion inscrite dans la pensée de l’époque entre la langue et la nation comme unité culturelle. La langue étant, selon la formulation classique de Humboldt, une Weltansicht [114] ou « vision du monde » spécifique, elle représente « en quelque sorte l’apparence extérieure de l’esprit des peuples [115] », en elle s’exprime tout caractère national [116]. Altérer la langue et l’écriture, qui sont les reflets sensoriels spécifiques de la constitution intellectuelle d’une nation, est une atteinte fondamentale à l’individualité de cette nation. Pour Jacquet, la méconnaissance de la particularité linguistique par les missionnaires est culturellement liée à la violence matérielle faite aux peuples colonisés.
61 Jacquet s’est ensuite montré plus indulgent dans son jugement sur les travaux concrets des missionnaires, parce qu’il reconnaissait leurs limites épistémologiques [117]. Son appréciation conduit pourtant ensuite à la nécessité de fonder une nouvelle philologie qui tiendrait compte de deux aspects : d’une part celui de l’importance des détails et du moindre écart, et de l’autre, celui de l’importance de la description immanente de ces détails, c’est-à-dire de la description des phénomènes linguistiques, textuels et d’écriture par rapport aux singularités de la langue et de la culture analysées. Il s’agit là pour Jacquet des fondements des « études philologiques utiles [118] », à partir desquelles peuvent être risquées des remarques plus générales qui permettraient alors effectivement une ethnographie. Que Jacquet parle ici de la contribution de la philologie à la « science de l’ethnographie [119] », renvoie précisément à cette relation entre la compréhension « moderne », historicisante, de la science et l’ancrage culturel, objet de l’analyse d’E. Saïd. Une différence étant bien sûr que Jacquet distingue déjà ces relations de manière pratiquement auto-réflexive et appelle ses contemporains philologues à une remise en question de leurs prémisses analytiques. Jacquet ne peut naturellement pas quitter ici le point de vue « extérieur ». Mais il a conscience de la dimension historique de ce regard et y réagit avec le concept d’une philologie qui doit elle-même remettre en question ses catégories et références descriptives en regard des cultures observées. La philologie de Jacquet comprend ainsi les autres langues et cultures comme des entités historiques autres ; mais en elle apparaît aussi une pensée d’équivalence universelle des formes culturelles, puisqu’elle tente – du moins sur le plan épistémologique – de rompre, par un décentrement du regard analytique, avec la hiérarchie induite par la description.
Wilhelm von Humboldt
62 Humboldt lui-même allait répondre à l’écrit de Jacquet par une lettre qui est un véritable traité, et qui fut publiée en juin 1832 dans le Nouveau Journal Asiatique sous le titre « Lettre de M. le baron G. de Humboldt à M.E. Jacquet sur les alphabets de la Polynésie asiatique [120] ».
63 Humboldt avait aiguisé et articulé sa position sur le travail des missionnaires bien avant la correspondance avec Jacquet. Ainsi critique-t-il explicitement les jésuites dans son essai de 1821 intitulé Versuch einer Analyse der mexikanischen Sprache (« Essai d’analyse de la langue mexicaine »), pour la « violence faite aux langues afin de les contraindre aux carcans étroits de la grammaire latine d’Antonio von Nebrixa, ou quelque autre pédant scolastique [121] », poursuivant :
N’étant préoccupés [les missionnaires] que de la conversion des peuples sauvages, leur premier souci était d’éliminer avec les vieilles coutumes tout ce qui avait à voir avec la tradition et le souvenir national afin de bouleverser de cette manière tout le mode de pensée et de perception des peuples. Ainsi détruisirent-ils eux-mêmes en partie l’objet que l’on souhaitait voir par eux étudié, développé et représenté [122].
65 Il existe pour Humboldt un rapport entre, d’une part, le point de vue de la valeur propre de toute langue et l’idéal de multiplicité linguistique, et, d’autre part, l’idée d’un progrès universel et d’un essor culturel libéral et politique des individus [123]. Dans l’ensemble, Humboldt ébauche un programme de recherches résolument anti-chauvin et anti-raciste qui résulte de la question des « différences possibles des formations humaines, sans qu’une forme ait précisément une valeur moindre qu’une autre [124] ».
66 Il peut paraître étonnant que, dans sa réponse, Humboldt ne prenne pas fondamentalement position par rapport à l’approche programmatique de Jacquet. C’est le problème linguistique scientifique – établir et décrire les caractères austronésiens – qui semble au centre de ses préoccupations. Dès le début de son traité épistolaire, Humboldt précise même qu’il y joint des extraits de deux grammaires des moines Gaspar de S. Augustin et Domingo Ezguerra qui soutiennent la thèse fondamentale de parenté des systèmes d’écriture malais-philippins de Jacquet [125]. En même temps, Humboldt attire l’attention du Français sur le fait que les moines jésuites n’auraient pas inventé le terme « Baybayin » pour l’« alphabet » des caractères Tagala, mais indiqueraient dans leurs grammaires qu’il s’agit d’un terme indigène. L’hypothèse de la création du mot était une importante justification pour Jacquet et, en même temps, une preuve de la déformation inhérente à la méthode linguistique des missionnaires [126].
67 Mais ces premières impressions sont trompeuses. Humboldt ne vise pas une réhabilitation fondamentale des grammaires jésuites. Au contraire, non seulement il partage le programme philologique de Jacquet, mais ses développements le renforcent au fond partout où ils le peuvent. Humboldt reconnaît cependant – ce à quoi Jacquet se voit aussi finalement contraint dans son essai – que, compte tenu des mauvaises connaissances et des situations matérielles générales, les recueils linguistiques des missions et les grammaires des moines doivent aussi, pour des raisons scientifiques, être pris en compte, de manière critique, dans les recherches linguistiques et historiques de l’écrit en Asie du Sud-Est [127]. Il accorde également une valeur scientifique à certains des travaux des missions, ceux de Havestatt et Montoya par exemple [128]. En dépit de son scepticisme, Humboldt ne condamnait donc pas globalement le travail des missionnaires, mais en vérifiait et jugeait au cas par cas la validité scientifique. Le texte permet de voir facilement comment il se sert des travaux des Pères sur les questions de certains détails afin de développer des solutions plausibles pour les caractères d’écriture et leur teneur phonétique. Il essaie alors d’expliquer leurs erreurs et de corriger leurs points de vue partout où il le juge nécessaire et où de meilleurs matériaux le lui permettent [129]. La citation suivante ne laisse néanmoins planer aucun doute sur le fait que Humboldt privilégiait en tout cas les répertoires linguistiques qui se réfèrent aux écritures indigènes, voire les rendent :
M. Thomson, missionnaire danois, a commencé à imprimer à Sincapore, en types fort élégans, un vocabulaire anglais-bugis, où l’écriture indigène est placée à côté de la transcription anglaise, par exemple : Earth, Tana . Le manque de fonds nécessaires a fait abandonner l’entreprise ; mais je tiens de l’obligeance de M. Neumann la première feuille de ce vocabulaire [...] [130].
69 C’est aussi la raison pour laquelle Humboldt appuie ensuite son argumentation sur les recherches de ses contemporains William Marsden, Thomas Raffles et John Crawfurd qui, dans leurs travaux de linguistique comparée sur l’archipel malais, avaient souligné le caractère inapproprié des catégories grammaticales européennes classiques pour le recensement des langues non-européennes. Les textes de ces chercheurs constituent aussi la base déterminante de l’œuvre célèbre, bien que peu lue, de Humboldt, Über die Kawi-Sprache auf der Insel Java [131], dans laquelle il analyse le Kawi de l’ancien Java dans son environnement culturel et linguistique, et à laquelle il travaille précisément à l’époque de sa correspondance avec le Français [132]. Dans ce texte, Humboldt tire aussi méthodiquement les conséquences de la problématique de la transcription, expliquant dans une sorte de préface au premier volume sa « Méthode suivant laquelle les lettres étrangères sont écrites dans cette écriture [133] ». Il expose en détail au lecteur sa manière de procéder pour la transcription des sons de l’« alphabet sanscrit », de l’« alphabet javanais », de « ce qu’est effectivement le malais » et le « birman » [134]. Dans ce contexte, Humboldt prend, une fois de plus, clairement position :
Ainsi mon intention visait-elle toujours une représentation des alphabets étrangers telle que le lecteur puisse, en tous endroits où lui apparaît un mot, reconnaître de la manière la plus simple et la plus uniformément structurée, infailliblement et le plus précisément, la graphie originelle, à l’aide de peu de règles prises à l’orthographe de ces langues. On ne saurait jamais rien céder de cette exigence [135].
Autocritique : une autre tradition de la philologie européenne
71 Cette exigence « philologique » de recherche critique historique partagée par Jacquet et Humboldt était naturellement dans l’air du temps. Mais loin d’être simplement un écho à cet esprit du temps, la concordance des deux penseurs quant à la nécessité d’une analyse immanente, et en ce sens empathique, des langues y serait au contraire plutôt une réaction. La question de savoir si, dans leur pratique analytique, les deux philologues ont pu satisfaire en tout point à leur exigence théorique, ne peut être approfondie ici [136]. L’œuvre de chacun est en tout cas marquée par l’effort de ne pas séparer la réflexion de la pratique. Ce qui est ici déterminant, c’est qu’ils étaient parfaitement conscients du problème posé par le fait de travailler à partir des matériaux linguistiques disponibles et de la nécessité de trouver des solutions nouvelles de description et de représentation pour les structures inhérentes aux langues étrangères, écritures et textes, qui placeraient ces structures elles-mêmes au centre de l’étude. Ainsi, des penseurs comme Abel-Rémusat, Jacquet et Humboldt sont-ils, non seulement en raison des intentions ou programmes de leurs travaux écrits, mais en raison de leur pratique scientifique, et, par là, également du point de vue de l’analyse du discours, les représentants d’une autre tradition de la philologie européenne, qui a reconnu, dès les débuts, la problématique de l’hégémonie intellectuelle et de la prééminence discursive de modèles eurocentristes de représentation et l’a mise en lumière au plan épistémologique. Dans le discours orientaliste, leurs textes sont des énoncés hétérogènes qui sont restés ignorés par E. Saïd dans son analyse. C’est pourtant précisément à de tels textes que devrait se référer une philologie moderne dans l’examen de ces questions après la nécessaire et douloureuse polémique soulevée par E. Saïd.
Date de mise en ligne : 19/02/2012
Notes
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[1]
- Voir notamment Hans Ulrich GUMBRECHT, Production of presence : What meaning cannot convey, Stanford, Stanford University Press, 2004.
-
[2]
Voir ici encore Hans Ulrich GUMBRECHT, The powers of philology : Dynamics of textual scholarship, Urbana, University of Illinois Press, 2003 ; et voir aussi Geoffrey Galt HARPHAM, « Roots, races and the return to philology », Representations, 106, 2009, p. 34- 62, ici p. 53-54, qui situe H.U. Gumbrecht dans le mouvement général d’une quête de stabilité méthodologique dans les sciences textuelles qui résulterait d’une obligation de justification envers la société.
-
[3]
- Paul DE MAN, The resistance to theory, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1986, p. 3-26 ; Edward W. SAID, Humanism and democratic criticism, New York, Columbia University Press, 2004, p. 57-84.
-
[4]
- Erich AUERBACH, Mimesis. Dargestellte Wirklichkeit in der abendländischen Literatur, Tübingen, Francke, [1946] 2001.
-
[5]
- Voir E. W. SAID, Humanism and democratic criticism, op. cit., chap. « Introduction to Erich Auerbach’s Mimesis », p. 85-118.
-
[6]
- Le débat auquel il est fait allusion ici porte sur une tradition allemande de l’histoire de la philologie qui a eu une signification majeure pour la structuration des sciences textuelles dans les universités américaines. En raison de l’orientation fortement normative des « Belles-Lettres », la philologie n’a pas en France de statut culturel comparable. Voir à ce sujet Michael WERNER, « Le moment philologique des sciences historiques allemandes », in J. BOUTIER, J.-C. PASSERON et J. REVEL (dir.), Qu’est-ce qu’une discipline ?, Paris, Éd. de l’EHESS, 2006, p. 171-192. Dans le sens d’une pratique du savoir en tant que « theory of textuality as well as the history of textualized meaning » selon Sheldon POLLOCK, « Future philology ? The fate of a soft science in a hard world », Critical Inquiry, 35, 2009, p. 931-961, ici p. 934, la philologie a naturellement, en France aussi, une signification méthodologique, même si c’est peut-être plus en dehors des domaines dits « centraux », par exemple dans les philologies dites des minorités (Occitan, Breton, etc.) et dans l’orientalisme. Ceux-ci se distinguent de la critique littéraire classique surtout par la combinaison de la recherche sur la langue et les textes avec une exigence herméneutique culturelle.
-
[7]
- Voir G. G. HARPHAM, « Roots, races and the return to philology », art. cit., p. 34-41.
-
[8]
- John Coetzee ayant présenté son discours de Munich sous la forme d’une parabole, il est difficile d’en restituer le sens général par des citations ; nous proposons néanmoins ici quelques extraits de son récit à titre d’exemple : « For decades those same ex public schoolboys, with their romantic ideas of Greek antiquity, administered Zululand on behalf of the Crown. They wanted Zululand to be Sparta. They wanted the Zulus to be Greeks. So to Joseph and his father and his grandfather the Greeks aren’t remote foreign people at all. They were offered the Greeks, by their new rulers, as a model of the kind of people they ought to be and could be. They were offered the Greeks and they rejected them. [...] Come to our schools, they said, and we will teach you to be as gods. In our schools you will learn reason and the sciences that flow from reason, so that you can master the world. Master disease too, and the corruption of the flesh. We will teach you to live forever. Well, the Zulus knew better » : John M. COETZEE, The humanities in Africa, Munich, Carl-Friedrich-von-Siemens-Stiftung, 2001, p. 78-79.
-
[9]
Voir aussi G. G. HARPHAM, « Roots, races and the return to philology », art. cit., p. 41-50.
-
[10]
Edward W. SAID, Orientalism : Western conceptions of the Orient, Londres, Penguin Books, [1978] 1995.
-
[11]
- E. W. SAID, Humanism and democratic criticism, op. cit., p. 10 sq.
-
[12]
- La dimension éthique d’une philologie qui se comprend comme un travail sur les archives textuelles d’un savoir de l’homme est le point de départ de mes réflexions : Markus MESSLING, « Disziplinäres (Über-) Lebenswissen. Zum Sinn einer kritischen Geschichte der Philologie », Lendemains. Études comparées sur la France, 129, 2008, p. 102- 110 ; Id., « Zum Lebenswissen der Textwissenschaften. Für eine kritische Geschichte der Philologie », in W. ASHOLT et O. ETTE (dir.), Literaturwissenschaft als Lebenswissenschaft. Programm – Projekte – Perspektiven, Tübingen, Narr, 2010, p. 127-136.
-
[13]
- Voir G. G. HARPHAM, « Roots, races and the return to philology », art. cit., p. 54 sq.
-
[14]
- Ce n’est pas sans raison que Charles DARWIN, The descent of man, and selection in relation to sex, Londres, Murray, [1871] 1882, p. 174 sq., avance le nombre divergent des « races humaines » prétendument différentes dans les théories des races de son temps comme un argument majeur pour montrer que le concept de race n’a tout simplement aucune valeur en tant que catégorie scientifique.
-
[15]
- Markus MESSLING, Pariser Orientlektüren : zu Wilhelm von Humboldts Theorie der Schrift ; nebst der Erstedition des Briefwechsels zwischen Wilhelm von Humboldt und Jean-François Champollion le jeune (1824-1827), Paderborn/Munich/Vienne/Zurich, Schöningh, 2008, p. 238-243 et p. 266-268.
-
[16]
- August SCHLEICHER, Die Bedeutung der Sprache für die Naturgeschichte des Menschen, Weimar, Böhlau, 1865, p. 16-19.
-
[17]
Sylvain AUROUX, « Introduction : le paradigme naturaliste », Histoire Épistémologie Langage, 29-2, 2007, p. 5-15, ici p. 8.
-
[18]
- Pierre DESMET, « Abel Hovelacque et l’école de linguistique naturaliste. L’inégalité des langues permet-elle de conclure à l’inégalité des races ? », Histoire Épistémologie Langage, 29-2, 2007, p. 41-59, ici p. 45-48.
-
[19]
- Ernest RENAN, Histoire générale et système comparé des langues sémitiques. Première partie, Histoire générale des langues sémitiques, Paris, Impr. impériale, [1855] 1863.
-
[20]
- Arthur de GOBINEAU, Essai sur l’inégalité des races humaines, texte présenté, établi et annoté par J. Boissel, in J. GAULMIER (dir.), Œuvres, Paris, Gallimard, 1987, vol. I, p. 133- 1174, ici p. 315-339.
-
[21]
- Michel FOUCAULT, « Il faut défendre la société ». Cours au Collège de France (1975-1976), éd. établie sous la direction de F. Ewald et A. Fontana par M. Bertani et A. Fontana, Paris, Gallimard/Le Seuil, 1997, p. 216.
-
[22]
- Ibid., p. 57-68.
-
[23]
- Ibid., p. 63.
-
[24]
- Ibid., p. 68-70.
-
[25]
- Ibid., p. 70-73.
-
[26]
- Ibid., p. 229.
-
[27]
- Jürgen TRABANT, Mithridates im Paradies. Kleine Geschichte des Sprachdenkens, Munich, Beck, 2003, p. 241 ; Anke BOSSE, « ‘Orientalomanie’ ? Zu Friedrich Schlegels Konzeptionalisierungen von ‘Religion’ und ‘Orient’ », in A. von BORMANN (dir.), Romantische Religiosität, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2005, p. 225-242 ; et René-Marc PILLE, « À la fracture du classicisme et du romantisme : l’Inde, sujet de discorde entre Goethe et Friedrich Schlegel », in M. CLUET (dir.), La fascination de l’Inde en Allemagne 1800- 1933, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, p. 25-45.
-
[28]
Ruth RÖMER, Sprachwissenschaft und Rassenideologie in Deutschland, Munich, Fink, [1985] 1989, p. 112 sq.
-
[29]
- Michel FOUCAULT, Les mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, 1966, p. 303.
-
[30]
Au milieu du XIXe siècle, Rudolf HAYM, Wilhelm von Humboldt. Lebensbild und Charakteristik, Berlin, Gaertner, 1856, p. 582, fait déjà allusion à une « indomanie des romantiques ».
-
[31]
- Voir à ce sujet l’analyse fondamentale de l’histoire idéologique par Maurice OLENDER, Les langues du Paradis. Aryens et sémites : un couple providentiel, Paris, Gallimard/Le Seuil, 1989.
-
[32]
- Voir M. MESSLING, Pariser Orientlektüren..., op. cit., p. 43-58.
-
[33]
- Ainsi en va-t-il depuis Karl Josef WINDISCHMANN (dir.), Franz Bopp über das Conjugationssystem der Sanskritsprache in Vergleichung mit jenem der griechischen, lateinischen, persischen und germanischen Sprache : Nebst Episoden des Ramajan und Mahabharat in genauen metrischen Uebersetzungen aus dem Originaltexte und einigen Abschnitten aus den Veda’s, Francfort/Main, Andreä, 1816.
-
[34]
- August SCHLEICHER, Die Darwinsche Theorie und die Sprachwissenschaft. Offenes Sendschreiben an Herrn Dr. Ernst Häcke, Weimar, Böhlau, 1863.
-
[35]
Concernant la rupture afférente à la recherche linguistique humboldtienne, voir Brigit BENES, Wilhelm von Humboldt, Jacob Grimm, August Schleicher. Ein Vergleich ihrer Sprachauffassungen, Winterthur, Keller, 1958, p. 129.
-
[36]
- Dans son célèbre essai sur le structuralisme dans la recherche linguistique, Ernst CASSIRER, « Structuralism in modern linguistics », Word. Journal of the Linguistic Circle of New York, 1-1, 1945, p. 99-120, l’a formulé ainsi : « It is – language, a very specific human activity, not describable in terms of physics, chemistry, or biology. The best and most laconic expression of this fact was given by Wilhelm von Humboldt when he declared that language is not an ????? but an ????????. To put it shortly, we may say that language is ‘organic’, but that it is not an ‘organism’. It is organic in the sense that it does not consist of detached, isolated, segregated facts. »
-
[37]
- Jürgen TRABANT, Humboldt ou le sens du langage, Liège, Mardaga, [1986] 1992 ; Id., Traditions de Humboldt, Paris, Éd. de la MSH, [1990] 1999.
-
[38]
- J. TRABANT, Traditions de Humboldt, op. cit., p. 57-63 ; Id., Mithridates im Paradies..., op. cit., p. 260-269 ; M. MESSLING, Pariser Orientlektüren..., op. cit., p. 48-58. Contrairement à toute la tradition de recension qui met en avant le moment de l’historicité, Hans-Georg GADAMER, Wahrheit und Methode. Grundzüge einer philosophischen Hermeneutik, Tübingen, Mohr, [1960] 1972, p. 380, a précisément relevé le devenir scientifique de la recherche linguistique dans le rapport synchrone à l’esprit souligné par Johann Gottfried von Herder et Humboldt.
-
[39]
- M. MESSLING, Pariser Orientlektüren..., op. cit., p. 238-240.
-
[40]
Friedrich von SCHLEGEL, Über die Sprache und Weisheit der Indier. Ein Beitrag zur Begründung der Alterthumskunde, Amsterdam, Benjamins, [1808] 1977, p. 44-66.
-
[41]
- M. MESSLING, Pariser Orientlektüren..., op. cit., p. 243-250.
-
[42]
- En ce qui concerne Humboldt, il semble que la pensée national-socialiste désespère de pouvoir l’inclure dans une tradition de la pensée raciale sans prendre le risque d’altérer son propos, comme on le voit par exemple dans les travaux, fortement emprunts de raisonnement « völkisch », de Wilhelm Grau et Karl Ludwig Schemann. Voir à ce sujet Markus MESSLING, « L’Homme ? Destruktion des Menschen in der Humboldt-Rezeption bei Gobineau », in U. TINTEMANN et J. TRABANT (dir.), Individualität und Universalität bei Wilhelm von Humboldt, Munich, Fink, 2011, sous presse.
-
[43]
- J. TRABANT, Mithridates im Paradies..., op. cit., p. 251-252, a lui aussi souligné que « Foucault [exagère] le caractère sonore de la langue dans la linguistique historique (par rapport au caractère [Wesen] cognitif-représentatif de la langue dans le penser linguistique philosophique classique), afin de mettre en scène dramatiquement la rupture épistémique supposée ».
-
[44]
- La structure de la pensée de l’Aufklärung comme pensée supra-historique (super-historical) est décrite par Hayden WHITE, Tropics of discourse : Essays in cultural criticism, Baltimore/Londres, Johns Hopkins University Press, [1978] 1985, p. 161 sq.
-
[45]
- Voir surtout M. FOUCAULT, Les mots et les choses, op. cit. ; Id., L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969 ; Id., L’ordre du discours. Leçon inaugurale au Collège de France prononcée le 2 décembre 1970, Paris, Gallimard, 1971.
-
[46]
- Michel FOUCAULT, « Folie et déraison. Histoire de la folie à l’âge classique », thèse principale soutenue à la Sorbonne, 1961, publiée sous le titre Histoire de la folie à l’âge classique suivi de Mon corps, ce papier, ce feu ; La folie, l’absence d’œuvre, Paris, Gallimard, 1972.
-
[47]
- Roy BOYNE, Foucault and Derrida : The other side of reason, Londres, Unwin Hyman, 1990, p. 53 sq.
-
[48]
- Michel FOUCAULT, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975 ; Id., Histoire de la sexualité, t. I, La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976. Si M. Foucault a aussi mis en évidence les contre-discours contraires aux intérêts du pouvoir, par exemple avec le texte mentionné sur le « discours de la lutte des races » (voir note 21), la question reste de savoir si son intérêt ne résulte pas aussi de la force de leur imposition, rendue possible par la mutation. Cela vaut en tout cas pour le discours des races.
-
[49]
- À propos du concept de pouvoir de M. Foucault dans la dialectique de la logique évolutionniste à l’intérieur de l’espace sociétal et l’écart historique de l’individuel, on se reportera à la brillante analyse sur l’étude des rapports de forces déterminant l’évolution chez M. Foucault et Darwin de Philipp SARASIN, Darwin und Foucault. Genealogie und Geschichte im Zeitalter der Biologie, Francfort/Main, Suhrkamp, 2009, p. 211-221.
-
[50]
- Michel FOUCAULT, « Inutile de se soulever ? », Dits et écrits 1954-1988, t. II, 1976- 1988, éd. établie sous la dir. de D. Defert et F. Ewald, avec la collab. de J. Lagrange, Paris, Gallimard, 2001, p. 790-794, ici p. 793-794.
-
[51]
- Voir en particulier Michel FOUCAULT, L’herméneutique du sujet. Cours au Collège de France (1981-1982), éd. établie sous la dir. de F. Ewald et A. Fontana par F. Gros, Paris, Gallimard/Le Seuil, 2001 ; Id., Le gouvernement de soi et des autres. Cours au Collège de France (1982-1983), éd. établie sous la dir. de F. Ewald et A. Fontana par F. Gros, Paris, Gallimard/Le Seuil, 2008 ; Id., Le courage de la vérité. Cours au Collège de France (1983- 1984), éd. établie sous la dir. de F. Ewald et A. Fontana par F. Gros, Paris, Gallimard/ Le Seuil, 2009.
-
[52]
- Michel FOUCAULT, Histoire de la sexualité, t. II, L’usage des plaisirs, t. III, Le souci de soi, Paris, Gallimard, 1984. Voir Michael RUOFF, Foucault-Lexikon. Entwicklung – Kernbegriffe – Zusammenhänge, Munich, Fink, 2007, p. 54-60.
-
[53]
Les prémisses et processus retenus dans la sélection d’éléments de discours de M. Foucault n’ont cessé d’être rudement critiqués. Voir par exemple Michel FOUCAULT, « Nietzsche, Freud, Marx », Dits et écrits 1954-1988, op. cit., t. I, p. 592-607, ici p. 603, et le débat qui suivit le cours sur « Nietzsche, Freud, Marx » en 1967, à qui le philosophe français attribue les « techniques d’interprétation » modernes, et en particulier la critique de Jacob Taubes qui a renforcé l’importance de l’exégèse de la Bible et de la philosophie hégélienne contre la représentation de l’herméneutique du XIXe siècle de M. Foucault.
-
[54]
- Michel FOUCAULT, « Réponse à une question », Dits et écrits 1954-1988, op. cit., t. I, 1954-1975, p. 701-723, ici p. 723.
-
[55]
Wulf OESTERREICHER, « Die Entstehung des Neuen – Differenzerfahrung und Wissenstransformation : Projektions- und Retrospektionshorizonte frühneuzeitlicher Sprachreflexion », Mitteilungen des SFB 573 Pluralisierung und Autorität in der Frühen Neuzeit (15.-17. Jahrhundert), 1, 2005, p. 26-37, ici p. 33-34.
-
[56]
- E. W. SAID, Orientalism..., op. cit.
-
[57]
- Ibid., p. 96 sq. E. Saïd rejoint en cela le jugement de Anwar Abdel Malik.
-
[58]
Albert MEMMI, L’homme dominé. Le Noir, le colonisé, le Juif, le prolétaire, la femme, le domestique, Paris, Gallimard, 1968, p. 244-245.
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[59]
- Dans ses derniers cours, tenus au Japon et récemment publiés, Claude Lévi-Strauss a conclu à ce propos que ce seraient les formes culturelles de la différence qui auraient durablement marqué ce que l’on tient pour la différence corporelle, en sélectionnant et renforçant certaines aptitudes génétiques qui agiraient rétrospectivement. Il y aurait par conséquent une relation entre l’anthropologie sociale et génétique. Mais les formes culturelles étant soumises à une fulgurante transformation, ou du moins pouvant l’être, toute idée de fixation causale entre la marque génétique et les formes de vie ne saurait tenir. Claude LÉVI-STRAUSS, L’anthropologie face aux problèmes du monde moderne, éd. par M. Olender, Paris, Le Seuil, 2011, p. 115-122.
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[60]
- Pierre BOURDIEU, « Tout racisme est un essentialisme », Interventions (1961-2001), Marseille, Agone, 2002, p. 177.
-
[61]
- F. von SCHLEGEL, Über die Sprache und Weisheit der Indier, op. cit., p. 63-66.
-
[62]
- La critique n’a pas ménagé E. Saïd en retour ; pour un résumé d’ensemble, voir Alexander L. MACFIE (dir.), Orientalism : A reader, Le Caire, The American University in Cairo Press, 2000, ainsi que Maria do Mar CASTRO VARELA et Nikita DHAWAN, Postkoloniale Theorie. Eine kritische Einführung, Bielefeld, Transcript, 2005, p. 37-49.
-
[63]
- Pour l’édification de l’hégémonie culturelle « de l’Ouest », précisément produite par les milieux scientifiques éclairés, E. Saïd a attribué une importance considérable aux penseurs germanophones qui, au début, n’étaient pas directement impliqués dans le colonialisme : « Yet what German Orientalism had in common with Anglo-French and later American Orientalism was a kind of intellectual authority over the Orient within Western culture. This authority must in large part be the subject of any description of Orientalism [...] » (E. W. SAID, Orientalism..., op. cit., p. 19). Il est naturellement d’autant plus étonnant qu’E. Saïd ait ensuite largement épargné les penseurs allemands dans son analyse.
-
[64]
- Quant à la question de la multiplicité du matériau et des objets commentés par Antonio Gramsci, voir Klaus BOCHMANN, « Sprache als Kultur und Weltanschauung. Zur Sprachauffassung Antonio Gramscis », in A. GRAMSCI, Notizen zur Sprache und Kultur, éd. par K. Bochmann, Leipzig/Weimar, Kiepenheuer, 1984, p. 5-39, ici p. 22 sq.
-
[65]
- E. W. SAID, Orientalism..., op. cit., p. 23 : « Yet unlike Michel Foucault, to whose work I am greatly indebted, I do believe in the determining imprint of individual writers upon the otherwise anonymous collective body of texts constituting a discursive formation like Orientalism. The unity of the large ensemble of texts I analyze is due in part to the fact that they frequently refer to each other : Orientalism is after all a system for citing works and authors. » Voir aussi E. W. SAID, « Crossing the line », Asien-Afrika-Lateinamerika, 25, 1997, p. 405-416, ici p. 412 sq., où celui-ci prend aussi position quant à l’importance d’Antonio Gramsci dans sa pensée.
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[66]
- Jürgen Trabant n’a cessé de s’insurger contre ces modes de lecture indifférenciés des penseurs européens, Herder et Humboldt notamment ; voir J. TRABANT, Traditionen Humboldts..., op. cit., p. 235-241 et Id., Mithridates im Paradies..., op. cit., p. 162-165. Voir aussi la critique fondamentale au procédé d’E. Saïd chez Daniel Martin VARISCO, Reading Orientalism : Said and the unsaid, Seattle, University of Washington Press, 2007, p. 40-62.
-
[67]
- M. do Mar CASTRO VARELA et N. DHAWAN, Postkoloniale Theorie..., op. cit., p. 38.
-
[68]
Jürgen OSTERHAMMEL, « Edward W. Said und die ‘Orientalismus’ Debatte. Ein Rückblick », Asien-Afrika-Lateinamerika, 25, 1997, p. 597-607, ici p. 599.
-
[69]
- Ibid.
-
[70]
- Markus MESSLING, « Bury him ? Zum Umgang mit Edward W. Saids theoretischem Erbe », Philogie im Netz, 48, 2009, p. 61-73, ici p. 70.
-
[71]
- James CLIFFORD, « Edward W. Said : Orientalism », History and Theory, 19-2, 1980, p. 204-223. Voir aussi D. M. VARISCO, Reading Orientalism..., op. cit., p. 45.
-
[72]
- E. W. SAID, Humanism and democratic criticism, op. cit., p. 8-10.
-
[73]
- Ibid., p. 10-11.
-
[74]
Suzanne L. MARCHAND, German orientalism in the age of empire : Religion, race and scholarship, Washington/Cambridge, German Historical Institute/Cambridge University Press, 2009, p. XXII sq., arrive à une appréciation comparable.
-
[75]
- Hannah ARENDT, Elemente und Ursprünge totaler Herrschaft. Antisemitismus, Imperialismus, Totalitarismus, retraduit de l’anglais et augmenté par H. Arendt, Munich/Zurich, Piper, [1951] 2005.
-
[76]
- George L. MOSSE, Towards the final solution : A history of European racism, New York, Howard Fertig, 1978.
-
[77]
- Léon POLIAKOV, Histoire de l’antisémitisme, Paris, Éd. du Seuil, [1981] 1991.
-
[78]
- Voir notamment les travaux de Maurice OLENDER (dir.), Le racisme : mythes et sciences. Pour Léon Poliakov, Bruxelles, Éd. Complexe, 1981 ; Id., Les langues du Paradis, op. cit. ; Id., Race sans histoire, Paris, Le Seuil, [2005] 2009 ; R. RÖMER, Sprachwissenschaft und Rassenideologie, op. cit. ; Sarga MOUSSA (dir.), L’idée de « race » dans les sciences humaines et la littérature (XVIIIe et XIXe siècles), Paris, L’Harmattan, 2003 ; Philippe RÉGNIER (dir.), « Raciologiques. Littératures - arts - sciences - histoire », no spécial de Romantisme. Revue du dix-neuvième siècle, 130, 2005 ; S. MARCHAND, German orientalism..., op. cit. ; G. G. HARPHAM, « Roots, races and the return to philology », art. cit.
-
[79]
- Sabine MANGOLD, Eine « weltbürgerliche Wissenschaft ». Die deutsche Orientalistik im 19. Jahrhundert, Stuttgart, Steiner, 2004.
-
[80]
- Pascale RABAULT-FEUERHAHN, L’archive des origines. Sanskrit, philologie, anthropologie dans l’Allemagne du XIXe siècle, Paris, Éd. du Cerf, 2008.
-
[81]
- S. MARCHAND, German orientalism..., op. cit.
-
[82]
Markus MESSLING, « France-Allemagne : philologie hégémonique vs philologie érudite ? », in W. ASHOLT (dir.), France-Allemagne, regards et objets croisés. La littérature allemande vue de France – La littérature française vue d’Allemagne, Tübingen, Narr (sous presse).
-
[83]
- M. OLENDER, Les langues du Paradis..., op. cit.
-
[84]
- Michel FOUCAULT, « Le discours ne doit pas être pris comme... », Dits et écrits 1954- 1988, op. cit., vol. II, p. 123-124, ici p. 123.
-
[85]
- Erika HÜLTENSCHMIDT, « Tendenzen und Entwicklungen der Sprachwissenschaft um 1800. Ein Vergleich zwischen Frankreich und Preußen », in B. CERQUIGLINI et H. U. GUMBRECHT (dir.), Der Diskurs der Literatur- und Sprachhistorie. Wissenschaftsgeschichte als Innovationsvorgabe, Francfort/Main, Suhrkamp, 1983, p. 135-166 ; Id., « Paris oder Berlin ? Institutionalisierung, Professionalisierung und Entwicklung der vergleichenden Sprachwissenschaft im 19. Jahrhundert », in P. SCHMITTER (dir.), Zur Theorie und Methode der Geschichtsschreibung der Linguistik : Analysen und Reflexionen, Tübingen, Narr, 1987, p. 178-197 ; Wulf OESTERREICHER, « ‘Historizität’ und ‘Variation’ in der Sprachforschung der französischen Spätaufklärung – auch : ein Beitrag zur Entstehung der Sprachwissenschaft », in B. CERQUIGLINI et H. U. GUMBRECHT (dir.), Der Diskurs der Literatur- und Sprachhistorie..., op. cit., p. 167-205 ; Id., « Ère française et Deutsche Bewegung. Les Idéologues, l’historicité du langage et la naissance de la linguistique », in W. BUSSE et J. TRABANT (dir.), Les idéologues. Sémiotique, théorie et politiques linguistiques pendant la Révolution française, Amsterdam/Philadelphie, S. Benjamins, 1986, p. 97-143 ; Sylvain AUROUX, « Linguistique et anthropologie en France (1600-1900) », in B. RUPPEISENREICH (dir.), Histoires de l’anthropologie, XVIe-XIXe siècles, Paris, Klincksieck, 1984, p. 291-318 ; Id., « Quatre lois ou généralités explicatives : À propos du développement du comparatisme en Europe », in R. LIVER, I. WERLEN et P. WUNDERLI (dir.), Sprachtheorie und Theorie der Sprachwissenschaft. Geschichte und Perspektiven. Festschrift für Rudolf Engler zum 60. Geburtstag, Tübingen, Narr, 1990, p. 48-64 ; Id., « Émergence et domination de la grammaire comparée (= Introduction) », in S. AUROUX (dir.), Histoire des idées linguistiques, t. 3, L’hégémonie du comparatisme, Bruxelles, Mardaga, 2000, p. 9-22 ; Sylvain AUROUX, Gilles BERNARD et Jacques BOULLE, « Le développement du comparatisme indo-européen », ibid., p. 155-170 ; J. TRABANT, « Les langues des peuples sauvages dans quelques projets anthropologiques autour de 1800 », Revue germanique internationale, 21, 2004, p. 11-26 ; G. G. HARPHAM, « Roots, races and the return to philology », art. cit., p. 39-41.
-
[86]
- Cela s’explique notamment par le fait que la philologie – du moins en Allemagne –, depuis son émergence au début du XIXe siècle, est liée à la question philosophique de la compréhension, c’est-à-dire à une herméneutique générale ; la compréhension du texte et du monde relèvent des mêmes conditions gnoséologiques. Voir à ce sujet Michael WERNER, « À propos de la notion de philologie moderne. Problèmes de définition dans l’espace franco-allemand », in M. ESPAGNE et M. WERNER (dir.), Contribution à l’histoire des disciplines littéraires en France et en Allemagne au XIXe siècle, Paris, Éd. de la MSH, 1990, p. 11-21, ici p. 16-17.
-
[87]
- Cela vaut jusque bien au-delà de la moitié du siècle. Toutefois les implications et l’ampleur ne sont pas les mêmes pour l’Allemagne et dans d’autres sociétés européennes comme la France, l’Italie ou la Scandinavie. Dans la deuxième moitié du siècle, le rôle des sciences naturelles ne fait que croître et avec lui la différenciation des sciences modernes de la civilisation (histoire, ethnologie, droit, géographie, sciences sociales, etc.), qui va résolument à l’encontre du dessein globalisant de la philologie à devenir la « science des textes » et la « science de la culture ». Voir M. WERNER, « À propos... », art. cit., p. 19.
-
[88]
- Voir S. MANGOLD, Eine « weltbürgerliche Wissenschaft »..., op. cit., p. 78-91.
-
[89]
- Ceci est démontré dans le Beschaffungsprogramm scientifique de W. von Humboldt ; voir Kurt MUELLER-VOLLMER, Wilhelm von Humboldts Sprachwissenschaft. Ein kommentiertes Verzeichnis des sprachwissenschaftlichen Nachlasses, Paderborn/Munich/Vienne/Zurich, Schöningh, 1993, p. 60-63 ; Id., « Humboldts linguistisches Beschaffungsprogramm : Logistik und Theorie », in K. ZIMMERMANN, J. TRABANT et K. MUELLER-VOLLMER (dir.), Wilhelm von Humboldt und die amerikanischen Sprachen, Paderborn/Munich/Vienne/ Zurich, Schöningh, 1994, p. 27-42.
-
[90]
L’intégration des cultures et des techniques culturelles regardées comme rétrogrades dans la « pensée supra-historique » de l’Aufklärung relève toutefois plutôt de la théorie que de la politique, le respect philosophique au frère humain sous-développé (les sœurs n’ayant ici encore aucune place) s’accompagnant rapidement d’un universalisme totalitaire, qui apparaît sous la forme d’une conscience missionnaire nationaliste. Avant l’impérialisme napoléonien encore, le meilleur exemple en est la répression totalitaire sous prétexte universaliste de la multiplicité culturelle linguistique en France pendant la Révolution de 1789. Voir à ce propos Jürgen TRABANT, « Die Sprache der Freiheit und ihrer Feinde », Zeitschrift für Literaturwissenschaft und Linguistik, 41, 1981, p. 70-89.
-
[91]
- Jean-Pierre ABEL-RÉMUSAT, « Discours sur le génie et les mœurs des peuples orientaux », in F. LAJARD (éd.), Mélanges posthumes d’histoire et de littérature orientales, Paris, Impr. royale, 1843, p. 221-251. Ce texte soulève de nombreuses questions quant à sa datation et sa classification : curieusement, les extraits publiés du vivant d’Abel-Rémusat l’ont été de manière anonyme dans le Nouveau Journal Asiatique, 1-6, 1828, p. 27-48, sous le titre « Fragmens d’un ouvrage intitulé Considérations sur les Peuples et les Gouvernemens de l’Asie », avec la mention « traduit du danois ». Les sources des textes commentés dans le Nouveau Journal Asiatique étant par ailleurs toujours fournies, il est permis de penser que la « source » (danoise) avancée n’existait pas, mais que le texte était à ce point considéré comme « explosif » que l’on a préféré en taire la vraie source. Comme l’indique le titre de l’édition de 1843, ce texte n’a paru dans son intégralité dans un recueil de textes qu’après la mort d’Abel-Rémusat. Il n’est alors fait aucune allusion à une traduction et nulle part indiqué qu’il s’agirait du texte d’un tiers. Le texte est attribué à Abel-Rémusat. Les pages du recueil montrent par ailleurs qu’il a pris grand soin de répartir ses textes entre les intitulés « Lettre », « Essai », « Observations », etc., si bien que la mention « Discours sur le génie et les mœurs » permet par ailleurs de conclure qu’il s’est initialement agi d’un exposé. Ceci est confirmé par la répartition retenue dans le sommaire sous le titre « Discours sur la littérature orientale », en « Premier discours », « Deuxième discours », « Troisième discours », propre à la structure d’un cycle de cours (p. 471). Tous les « Discours » mentionnés ont en outre une longueur de 20 à 30 pages chacun, ce qui s’apparente à un volume d’exposés. Ces méticuleuses remarques philologiques ne sont pas vaines puisqu’elles soulignent la pertinence politique au sens large de cet écrit, si l’on présume qu’Abel-Rémusat aurait publiquement exposé ces faits au titre de membre de l’Académie royale des inscriptions et belles-lettres, ou comme secrétaire de la Société asiatique. Le manuscrit du traité étant resté introuvable dans les deux archives, aucune information plus précise n’est possible.
-
[92]
- On ne sera, par ailleurs, guère étonné de constater que le seul exemplaire de ce recueil de textes, conservé à la Bibliothèque nationale de France, porte la mention « Hors d’usage. Ne pas communiquer », en raison d’une déchirure de la couverture, et qu’il a donc de ce fait été pratiquement soustrait à toute consultation publique. D’autre part, en ce qui concerne les lieux originaux de publication des textes, la commission de l’Académie royale des inscriptions et belles-lettres chargée de l’édition (dont faisait partie Eugène Burnouf) avait déjà noté : « Le volume [...], par M. Abel Rémusat, renferme divers écrits qui, pour la plupart, avaient déjà paru du vivant de l’auteur, mais étaient disséminés dans plusieurs recueils littéraires dont quelques-uns sont devenus très-difficiles à trouver. » Voir Félix LAJARD, « Avertissement », in F. LAJARD (éd.), Mélanges posthumes..., op. cit., p. II.
-
[93]
- J.-P. ABEL-RÉMUSAT, « Discours sur le génie... », art. cit., p. 228-229.
-
[94]
Louis-Jean CALVET, Linguistique et colonialisme. Petit traité de glottophagie, Paris, Payot, 1974.
-
[95]
- J.-P. ABEL-RÉMUSAT, « Discours sur le génie... », art. cit., p. 251-252 (je souligne).
-
[96]
- Voir à ce sujet mes études sur la Übersetzungspolitik dans Contes Chinois, éd. par Abel-Rémusat, Paris, Moutardier, 1827 : Markus MESSLING, « Representation and power : Jean-Pierre Abel-Rémusat’s critical philology », The Journal of Oriental Studies (sous presse) ; Id., « Text, Darstellung und Ethik : Jean-Pierre Abel-Rémusats kritische Philologie », Romanistische Zeitschrift für Literaturgeschichte/Cahiers d’Histoire des Littératures Romanes (sous presse).
-
[97]
Jean-Pierre ABEL-RÉMUSAT, Essai sur la langue et la littérature chinoises, avec cinq Planches contenant des Textes Chinois, accompagnés de traductions, de remarques et d’un commentaire littéraire et grammatical, suivi de Notes et d’une Table alphabétique des mots chinois, Paris, Treuttel et Wurtz, 1811.
-
[98]
- Ibid., p. III-IV.
-
[99]
- F. LAJARD (éd.), Mélanges posthumes..., op. cit., p. 65.
-
[100]
- J.-P. ABEL-RÉMUSAT, Mélanges asiatiques, ou Choix de morceaux critiques et de mémoires relatifs aux religions, aux sciences, aux coutumes, à l’histoire et à la géographie des nations orientales, Paris, Dondey-Dupré, 1825-1826, vol. I, p. 153.
-
[101]
- Ibid., vol. I, p. 310-326.
-
[102]
- Ibid., vol I, p. 311.
-
[103]
- Ibid., vol I, p. 321.
-
[104]
- Ibid., vol I, p. 318-319.
-
[105]
Du point de vue linguistique théorique, Abel-Rémusat et Humboldt auraient toutefois défendu des argumentations contraires : voir Jean ROUSSEAU et Denis THOUARD (dir.), Lettres édifiantes et curieuses sur la langue chinoise. Un débat philosophico-grammatical entre Wilhelm von Humboldt et Jean-Pierre Abel-Rémusat, 1821-1831, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1999, p. 41-71, ainsi que M. MESSLING, Pariser Orientlektüren..., op. cit., p. 190-201, 258-259.
-
[106]
- Humboldt accomplit ici une petite performance philologique. Au sujet de ce débat, voir M. MESSLING, Pariser Orientlektüren..., op. cit., p. 202-225.
-
[107]
- Eugène Vincent Stanislas JACQUET, « Notice sur l’alphabet Yloc ou Ylog », Nouveau Journal Asiatique, 8, 1831, p. 3-19 et p. 20-45.
-
[108]
- Ibid., p. 4.
-
[109]
- Ibid., p. 4, note 3.
-
[110]
- E.V. S. JACQUET, « Notice sur l’alphabet Yloc ou Ylog », art. cit., p. 7 : « La réunion de ces dix-sept lettres est nommée dans les dictionnaires Tagala, baybayin (El A.B.C. Tagalo). Il est facile de s’apercevoir que ce mot est de nouvelle formation et qu’il a été imaginé par les Espagnols quand ils se sont occupés de donner des formes régulières à la grammaire et à la lexicographie de cette langue. »
-
[111]
- Ibid., p. 8-9 : « Les grammaires rédigées par les Espagnols [c’est-à-dire les missionnaires espagnols], omettant l’alphabet de ces langues, devaient, par cela même, négliger les règles orthographiques observées par les naturels quand ils emploient leurs caractères originaux. »
-
[112]
- Ibid., p. 9.
-
[113]
- Ibid., p. 8.
-
[114]
- Albert LEITZMANN et al. (dir.), Wilhelm von Humboldts Gesammelte Schriften, Berlin, Behr & Feddersen, 1903-1936, vol. IV, p. 27.
-
[115]
- Ibid., vol. VII, p. 42.
-
[116]
- Sur le rapport entre langue et nation dans la pensée de la science issue du romantisme et pour la pensée néo-historique émergente en général, voir Isaiah BERLIN, The roots of romanticism, éd. par H. Hardy, Princeton, Princeton University Press, [1965] 2001, p. 60-61 ; Andreas GARDT, « Nation und Sprache in der Zeit der Aufklärung », in A. GARDT (dir.), Nation und Sprache. Die Diskussion ihres Verhältnisses in Geschichte und Gegenwart, Berlin/New York, De Gruyter, 2000, p.169-198, ici p.192-194 ; Jochen A. BÄR, « Nation und Sprache in der Sicht romantischer Schriftsteller und Sprachtheoretiker », in A. GARDT (dir.), Nation und Sprache..., op. cit., p. 199-228, ici p. 209-216 ; et plus spécifiquement sur la réflexion linguistique de Humboldt : M. MESSLING, Pariser Orientlektüren..., op. cit., p. 238-250.
-
[117]
- E.V. S. JACQUET, « Notice sur l’alphabet Yloc ou Ylog », art. cit., p. 13-14 : « On peut bien croire qu’à cette époque, lorsque la critique philologique n’était pas encore venue, on s’attachait plus à des ressemblances illusoires qu’à des différences réelles. Je ne vois pas d’autre explication possible de cette erreur des moines espagnols... »
-
[118]
- Ibid., p. 19.
-
[119]
- Ibid.
-
[120]
- Wilhelm von HUMBOLDT, « Extrait d’une lettre de M. le baron G. de Humboldt à M.E. Jacquet sur les alphabets de la Polynésie asiatique », Nouveau Journal Asiatique, 9, 1832, p. 484-511.
-
[121]
A. LEITZMANN et al. (dir.), Wilhelm von Humboldts Gesammelte Schriften, op. cit., vol. IV, p. 237.
-
[122]
- Ibid., p. 238.
-
[123]
Voir K. MUELLER-VOLLMER, Wilhelm von Humboldts Sprachwissenschaft..., op. cit., p. 68.
-
[124]
- Wilhelm von HUMBOLDT, Briefe an Friedrich August Wolf, éd. par P. Mattson, Berlin/ New York, De Gruyter, 1990, p. 170.
-
[125]
- Voir W. von HUMBOLDT, « Extrait d’une lettre... », art. cit., p. 484.
-
[126]
- Voir E.V. S. JACQUET, « Notice sur l’alphabet Yloc ou Ylog », art. cit., p. 7-8.
-
[127]
C’est la raison pour laquelle Humboldt, malgré sa critique scientifique, collectionna et étudia systématiquement, comme nul autre confrère de son époque, des encyclopédies et des grammaires des colonies, cette somme de matériaux lui étant tout simplement indispensable pour ses recherches linguistiques : voir K. MUELLER-VOLLMER, Wilhelm von Humboldts Sprachwissenschaft..., op. cit., p. 60-63, et W. OESTERREICHER, « Die Entstehung des Neuen », art. cit., p. 31. La collection de travaux des missionnaires de Humboldt était si célèbre et remarquable que E.V. S. JACQUET, « Avertissement », Nouveau Journal Asiatique, 9, 1832, p. 481-484, écrit : « La collection qu’il a rassemblée des traités grammaticaux et lexicographiques publiés à Manille ou à Mexico par les missionnaires espagnols, est une des plus riches et des plus précieuses qui existent. »
-
[128]
- Je dois cette information à Manfred Ringmacher (Wilhelm von Humboldt-Edition, Berlin-Brandenburgische Akademie der Wissenschaften).
-
[129]
- W. von HUMBOLDT, « Extrait d’une lettre... », art. cit., p. 489 sq. Voir par exemple le débat sur la question d’une éventuelle influence de l’arabe sur les systèmes d’écriture d’Asie du Sud-Est, dans le contexte duquel Humboldt cherche à comprendre la cause de l’estimation erronée du Père Gaspar.
-
[130]
- Ibid., p. 486.
-
[131]
- Wilhelm von HUMBOLDT, Über die Kawi-Sprache auf der Insel Java, nebst einer Einleitung über die Verschiedenheit des menschlichen Sprachbaues und ihren Einfluß auf die geistige Entwickelung des Menschengeschlechts, Berlin, Königliche Akademie der Wissenschaften, 1836-1839.
-
[132]
- Voir Kurt MUELLER-VOLLMER et Volker HEESCHEN, « Wilhelm von Humboldts Bedeutung für die Beschreibung der südostasiatisch-pazifischen Sprachen und die Anfänge der Südostasien-Forschung », in P. SCHMITTER (dir.), Sprachtheorien der Neuzeit III/2, éd. par L. Roussos, Tübingen, Narr, 2007, p. 430-461, ici p. 438-441.
-
[133]
- W. V. HUMBOLDT, Über die Kawi-Sprache auf der Insel Java..., op. cit., p. XV.
-
[134]
- Ibid., p. XVI-XX.
-
[135]
- Ibid., p. XV.
-
[136]
- Pour le travail poussé de Humboldt sur le chinois, voir John E. JOSEPH, « A matter of Consequenz. Humboldt, race and the genius of the Chinese language », Historiographia Linguistica, 1-2, 1999, p. 89-148 ; ainsi que M. MESSLING : « Wilhelm von Humboldt and the ‘Orient’. On Edward W. Said’s remarks on Humboldt’s Orientalist studies », Language Sciences, 30-5, 2008, p. 482-498.