Notes
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[*]
À propos de Francesca TRIVELLATO, The familiarity of strangers : The Sephardic diaspora, Livorno, and cross-cultural trade in the early modern period, New Haven, Yale University Press, 2009.
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[1]
- Philip D. CURTIN, Cross-cultural trade in world history, Cambridge, Cambridge University Press, 1984. P. Curtin ne donne néanmoins pas de définition très précise de ce qu’il entend par culture quand il explique que le « commerce et les échanges au-delà des barrières culturelles ont joué un rôle crucial dans l’histoire humaine » (p. 1). La bibliographie sur les communautés marchandes ethno-religieuses est désormais vaste. Depuis dix ans, notons la parution de : Claude MARKOVITS, The global world of Indian merchants, 1750-1947 : Traders of Sind from Bukhara to Panama, Cambridge, Cambridge University Press, 2000 ; Scott C. LEVI, The Indian diaspora in Central Asia and its trade, 1550-1900, Leyde, Brill, 2002 ; Ina BAGHDIANTZ MCCABE, Gelina HARLAFTIS et Ioanna PEPELASIS MINOGLOU (dir.), Diaspora entrepreneurial networks : Four centuries of history, Oxford, Berg, 2005 ; Steve MURDOCH, Network North : Scottish kin, commercial and covert association in Northern Europe, 1603-1746, Leyde, Brill, 2006 ; Daviken STUDNICKI-GIZBERT, A nation upon the ocean sea : Portugal’s Atlantic diaspora and the crisis of the Spanish Empire, 1492- 1640, Oxford, Oxford University Press, 2007.
-
[2]
- Francesca TRIVELLATO, « Juifs de Livourne, Italiens de Lisbonne, hindous de Goa. Réseaux marchands et échanges interculturels à l’époque moderne », Annales HSS, 58-3, 2003, p. 581-603.
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[3]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 1-2.
-
[4]
- Yuri SLEZKINE, The Jewish century, Princeton, Princeton University Press, 2004.
-
[5]
- L’historienne s’inscrit en cela dans la lignée des travaux de Claude Markovits sur les marchands sindhi : C. MARKOVITS, The global world of Indian merchants..., op. cit., p. 20- 24. Le terme « minorités intermédiaires » est notamment emprunté à Edna BONACICH, « A theory of middleman minorities », American Sociological Review, 38-5, 1973, p. 583-594.
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[6]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 132-136.
-
[7]
- Ibid., p. 262-265.
-
[8]
- Ce thème a fait l’objet d’un intérêt renouvelé depuis les années 1980 (on pense, entre autres, aux travaux de Giovanni Levi ou de Laurence Fontaine). F. Trivellato évoque notamment l’important travail de la sociologue Julia Adams, peu connu en France si l’on en croit le portail CAIRN où il n’est cité qu’à deux reprises et n’a fait l’objet d’aucun compte rendu dans les principales revues francophones : Julia ADAMS, The familial state : Ruling families and merchant capitalism in early modern Europe, Ithaca, Cornell University Press, 2005.
-
[9]
- La maison Ergas & Silvera est moins représentative, en revanche, du point de vue de la localisation des activités commerciales, car on sait le rôle considérable des juifs livournais dans le commerce avec les Régences d’Alger et de Tunis. Sur ce commerce, voir en particulier Jean-Pierre FILIPPINI, Il porto di Livorno e la Toscana (1676-1814), Naples, Edizioni scientifiche italiane, 1999, vol. 3, et Sadok BOUBAKER, La régence de Tunis au XVIIesiècle. Ses relations commerciales avec les ports de l’Europe méditerranéenne, Marseille et Livourne, Zaghouan, CEROMA, 1987.
-
[10]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 132. Aucun contrat écrit ne fut d’ailleurs scellé entre les Ergas et les Silvera : un accord oral, la signature Ergas & Silvera au bas de la correspondance marchande ou des livres de compte, suffisaient à entériner la responsabilité collective des partenaires de la compagnie devant les tribunaux de commerce et les tribunaux civils (p. 139-140).
-
[11]
- Ibid., p. 143-144.
-
[12]
- Ibid., p. 35.
-
[13]
- Ibid., p. 39.
-
[14]
- Ibid., voir également F. TRIVELLATO, « Juifs de Livourne... », art. cit.
-
[15]
- Gedalia YOGEV, Diamonds and coral : Anglo-Dutch Jews and eighteenth-century trade, Leicester, Leicester University Press, 1978.
-
[16]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 224-250.
-
[17]
- Nathan WACHTEL, La foi du souvenir. Labyrinthes marranes, Paris, Éd. du Seuil, 2001 ; Jonathan I. ISRAEL, Diasporas within a diaspora : Jews, Crypto-Jews, and the world of maritime empires (1540-1740), Leyde, Brill, 2002 ; Arquivos do Centro cultural Calouste Gulbenkian, vol. XLVIII, La diaspora des nouveaux-chrétiens, Lisbonne/Paris, Centro cultural Calouste Gulbenkian, 2004 ; Richard L. KAGAN et Philip D. MORGAN (dir.), Atlantic diasporas : Jews, conversos, and Crypto-Jews in the age of mercantilism, 1500-1800, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2009.
-
[18]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 60-62.
-
[19]
- Robert PARIS, Histoire du commerce de Marseille. V, De 1660 à 1789. Le Levant, éd. par G. Rambert, Paris, Plon, 1957, p. 256-260.
-
[20]
- Sanjay SUBRAHMANYAM, The political economy of commerce : Southern India, 1500-1650, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, p. 298-342.
-
[21]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 249.
-
[22]
- Pour un état des lieux récent de la recherche historique sur le port toscan à l’époque moderne, voir Adriano PROSPERI (dir.), Livorno, 1606-1806. Luogo di incontro tra popoli e culture, Turin, U. Allemandi, 2009.
-
[23]
- Sur l’histoire de la culture et des activités négociantes de la communauté juive de Livourne à l’époque moderne, voir notamment : Lucia FRATTARELLI FISCHER, Vivere fuori dal ghetto. Ebrei a Pisa e Livorno, secoli XVII-XVIII, Turin, S. Zamorani, 2008 ; Renzo TOAFF, La nazione ebrea a Livorno e Pisa (1591-1700), Florence, L.S. Olschki, 1990 ; J.-P. FILIPPINI, Il porto di Livorno..., op. cit.
-
[24]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 73 et p. 97-101.
-
[25]
- Samuel Fettah, dans un article sur le « cosmopolitisme livournais », évoque dans son introduction les difficiles emplois du terme à l’époque moderne, même s’il n’hésite pas à l’utiliser par la suite en se basant, comme F. Trivellato, sur les travaux de Robert Ilbert à propos d’Alexandrie à la fin du XIXe et au début du XXe siècle (à une époque où le mot « cosmopolitisme » est employé par les acteurs) : Samuel FETTAH, « Le cosmopolitisme livournais : représentations et institutions (XVIIe-XIXe siècles) », Cahiers de la Méditerranée, 67, 2003, p. 51-60. Quitte à utiliser une expression anachronique, celle de « pluralisme religieux » utilisée par Charles Parker pour l’époque moderne nous semble plus neutre (on pourrait ajouter « communautaire » pour rendre compte de l’organisation civile) : Charles H. PARKER, « Paying for the privilege : The management of public order and religious pluralism in two early modern societies », Journal of World History, 17-3, 2006, p. 267-296.
-
[26]
- Pour une synthèse d’une partie de ces travaux, analysés sous l’angle de la transmission de l’information commerciale, sa matière, son élaboration et son exploitation, voir Pierre JEANNIN, « La diffusion de l’information », in S. CAVACIOCCHI (dir.), Fiere e mercati nella integrazione delle economie europee, secc. XIII-XVIII, Florence, Le Monnier, 2001, p. 231-262.
-
[27]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 205.
-
[28]
- Ibid., p. 209-210.
-
[29]
- Ibid., p. 221.
-
[30]
- Ibid., p. 199.
-
[31]
- Pour une histoire et une sociologie de ce courant, voir Bernard CONVERT et Johan HEILBRON, « La réinvention américaine de la sociologie économique », L’Année sociologique, 55-2, 2005, p. 329-364.
-
[32]
- Citons, entre autres, D. STUDNICKI-GIZBERT, A nation upon the ocean sea..., op. cit. ; Sebouh ASLANIAN, « Social capital, ‘trust’ and the role of networks in Julfan trade : Informal and semi-formal institutions at work », Journal of Global History, 1-3, 2006, p. 383-402 ; Quentin VAN DOOSSELAERE, Commercial agreements and social dynamics in medieval Genoa, Cambridge, Cambridge University Press, 2009 ; Oscar GELDERBLOM et Regina GRAFE, « The rise and fall of the merchant guilds : Re-thinking the comparative study of commercial institutions in premodern Europe », Journal of Interdisciplinary History, 40-4, 2010, p. 477-511.
-
[33]
- Avner GREIF, Institutions and the path to the modern economy : Lessons from medieval trade, Cambridge, Cambridge University Press, 2006. L’introduction, agrémentée d’une riche bibliographie, a été traduite en français : « Qu’est-ce que l’analyse institutionnelle ? », Tracés, 17, 2009, p. 181-210. Les premiers articles d’A. Greif sur le sujet remontent à « Reputation and coalition in Medieval trade : Evidence on the Maghribi traders », The Journal of Economic History, 49-4, 1989, p. 857-882.
-
[34]
- Oliver E. WILLIAMSON, The economic institutions of capitalism : Firms, markets, relational contracting, New York/Londres, Free Press/Collier Macmillan, 1985 ; Douglass C. NORTH, Institutions, institutional change and economic performance, Cambridge, Cambridge University Press, 1990 ; Douglass C. NORTH et Robert P. THOMAS, The rise of the Western world : A new economic history, Cambridge, Cambridge University Press, 1973. L’article de Douglass C. NORTH, « Institutions, transaction costs, and the rise of merchant empires », in J. D. TRACY (éd.), The political economy of merchant empires, Cambridge, Cambridge University Press, 1991, p. 22-40, a sans doute contribué à la popularisation des travaux de l’école néo-institutionnaliste au-delà du champ des sciences économiques, de même que son « prix Nobel d’économie » en 1993. O.E. Williamson a été lui aussi récompensé par la Banque de Suède en 2009. Sur les différentes étapes du néo-institutionnalisme, voir Avner GREIF, « Théorie des jeux et analyse historique des institutions. Les institutions économiques du Moyen Âge », Annales HSS, 53-3, 1998, p. 597-633, particulièrement p. 599-600.
-
[35]
- A. GREIF, Institutions and the path to the modern economy..., op. cit., p. 30.
-
[36]
- Ibid., p. 4. Cette question fait écho à l’agenda qu’il proposait pour l’analyse historique des institutions dans Avner GREIF, « The fundamental problem of exchange : A research agenda in historical institutional analysis », European Review of Economic History, 4, 2000, p. 251-284.
-
[37]
- Robert BOYER, « Historiens et économistes face à l’émergence des institutions du marché », Annales HSS, 64-3, 2009, p. 665-693, ici p. 668-669.
-
[38]
Timothy W. GUINNANE, « Les économistes, le crédit et la confiance », Genèses, no spécial « L’identification économique », 2, 2010, p. 6-25, ici p. 11.
-
[39]
- Pour une vue synoptique de l’ouvrage d’Avner Greif : R. BOYER, « Historiens et économistes... », art. cit., p. 614.
-
[40]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 247. Le terme de « coalition » a également été repris pour d’autres contextes, en particulier pour les Grecs de la mer Noire au XIXe siècle : Ioanna PEPELASIS MINOGLOU, « The Greek merchant house of the Russian Black Sea : A 19th century example of a traders’ coalition », International Journal of Maritime History, 10-1, 1998, p. 1-44.
-
[41]
- L’existence de cette « coalition » (et notamment la faible importance des contraintes juridiques) a vivement été débattue par Jeremy EDWARDS et Sheilagh OGILVIE, « Contract enforcement, institutions and sociales capitales : The Maghribi traders reappraised », CESIFO, working paper no 2254, 2008, http://www.cesifo.de/DocCIDL/cesifo1_wp2254.pdf. Avner GREIF a répondu en défendant le fait que les marchands maghribis ne recouraient pas aux tribunaux dans le cadre du commerce à longue distance : « Contract enforcement and institutions among the Maghribi traders : Refuting Edwards and Ogilvie », MPRA Paper, no 9610, 2008, http://mpra.ub.uni-muenchen.de/9610/. Un historien lisant ces débats ne peut qu’être frappé par l’absence étonnante de critique élémentaire des archives : l’« effet de source » n’est nullement envisagé de part et d’autre et le débat s’en tient à des analyses sans nuances sur la représentativité des documents convoqués.
-
[42]
- A. GREIF, Institutions and the path to the modern economy..., op. cit., p. 59.
-
[43]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 13-14 et p. 157.
-
[44]
- R. BOYER, « Historiens et économistes... », art. cit., p. 676.
-
[45]
- A. GREIF, Institutions and the path to the modern economy..., op. cit., p. 309-349.
-
[46]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 249.
-
[47]
- Pour une vue d’ensemble, voir Claire LEMERCIER, « Analyse de réseaux et histoire », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 52-2, 2005, p. 88-112, et « Analyse de réseaux et histoire de la famille : une rencontre encore à venir ? », Annales de démographie historique, no spécial « Histoire de la famille et analyse de réseaux », 109-1, 2005, p. 7-31. Un article désormais « classique » a contribué à diffuser cette approche, initiée surtout par les sociologues Harrison White et Mark Granovetter dans les pays anglophones : John F. PADGETT et Christopher K. ANSELL, « Robust action and the rise of the Medici, 1400- 1434 », The American Journal of Sociology, 98-6, 1993, p. 1259-1319.
-
[48]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 163.
-
[49]
- Mark S. GRANOVETTER, « The strength of weak ties », American Journal of Sociology, 78-6, 1973, p. 1360-1380 ; Id., « The strength of weak ties : A network theory revisited », Sociological Theory, 1, 1983, p. 201-233 ; pour une synthèse de cette approche, voir du même auteur, « L’influence de la structure sociale sur les activités économiques », Sociologies pratiques, 13-2, 2006, p. 9-36, et B. CONVERT et J. HEILBRON, « La réinvention américaine... », art. cit., p. 342.
-
[50]
- Oliver E. WILLIAMSON préfère le terme de calculativeness : « Calculativeness, trust, and economic organization », Journal of Law and Economics, 36-1, 1993, p. 453-486 ; Timothy W. GUINNANE a récemment repris et développé ces arguments dans « Trust : A concept too many », Cardanus. Jahrbuch für Wissenschaftsgeschichte, 1, 2005, p. 77-92 ; Id., « Les économistes, le crédit et la confiance... », art. cit.
-
[51]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 16.
-
[52]
- Ibid., p. 170-171. F. Trivellato souscrit ici aux idées formulées dans P. JEANNIN, « La diffusion de l’information », art. cit. Voir également son article : Francesca TRIVELLATO, « Merchants’ letters across geographical and social boundaries », in F. BETHENCOURT et F. EGMOND (dir.), Cultural exchange in early modern Europe. 3, Correspondence and cultural exchange in Europe, 1400-1700, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, p. 80-103.
-
[53]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 172.
-
[54]
- Ibid., p. 177-193.
-
[55]
- Ibid., p. 190-193.
-
[56]
- Ibid., p. 181 et 192.
-
[57]
- L’usage du terme « cosmopolite » par Francesca TRIVELLATO est davantage détaillé et explicité dans « A republic of merchants ? », in A. MOLHO, D. R. CURTO et N. KONIORDOS (dir.), Finding Europe : Discourses on margins, communities, images, ca. 13th-ca. 18th centuries, New York, Berghahn Books, 2007, p. 133-157.
-
[58]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 275.
-
[59]
- Ibid., p. 251-270.
-
[60]
- Lisa BERNSTEIN, « Merchant law in a merchant court : Rethinking the code’s search for immanent business norms », University of Pennsylvania Law Review, 144-5, 1996, p. 1765-1821.
-
[61]
- Edmund HERZIG, « The family firm in the commercial organization of the Julfa Armenians », in J. CALMARD (dir.), Études safavides, Paris/Téhéran, Institut français de recherche en Iran, 1993, p. 287-304 ; Id., « Venice and the Julfa Armenian merchants », in B. L. ZEKIYAN et A. FERRARI, Gli Armeni e Venezia. Dagli Sceriman a Mechitar : Il momento culminante di una consuetudine millenaria, Venise, Istituto veneto di scienze, lettere ed arti, 2004, p. 141-164 ; S. ASLANIAN, « Social capital... », art. cit. ; Id. « The circulation of men and credit : The role of the commenda and the family firm in Julfan society », Journal of the Economic and Social History of the Orient, 50-2/3, 2007, p. 124-171 ; Bhaswati BHATTACHARYA, « The ‘Book of Will’ of Petrus Woskan (1680-1751) : Some insights into the global commercial networks of the Armenians in the Indian Ocean », Journal of the Economic and Social History of the Orient, 51-1, 2008, p. 67-98.
-
[62]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 149-152.
-
[63]
- Ibid., p. 277. L’auteur développe ces enjeux dans Francesca TRIVELLATO, « Sephardic merchants in the early modern Atlantic and beyond : Toward a comparative historical approach to business cooperation », in R. L. KAGAN et P. D. MORGAN (éd.), Atlantic diasporas..., op. cit., p. 99-120. Pour une comparaison entre les réseaux marchands des juifs sépharades, des Arméniens de la Nouvelle-Djoulfa et des marchands indiens de Multan, voir Sebouh David ASLANIAN, From the Indian Ocean to the Mediterranean : The global trade networks of Armenian merchants from New Julfa, Berkeley, The University of California Press, 2010. Je remercie Olivier Raveux de m’avoir signalé la parution prochaine de cet ouvrage.
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[64]
- L’historienne s’inscrit toutefois explicitement dans la lignée des travaux de Sanjay SUBRAHMANYAM, en l’occurrence de « Connected histories : Notes towards a reconfiguration of early modern Eurasia », Modern Asian Studies, 31-3, 1997, p. 735-762.
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[65]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 7.
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[66]
- Caroline DOUKI et Philippe MINARD, « Histoire globale, histoires connectées : un changement d’échelle historiographique ? Introduction », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 54-4 bis, supplément, 2007, p. 7-21, ici p. 21. La reconnaissance des apports de la démarche microhistorienne pour une nouvelle histoire globale avait été soulignée dans « Une histoire à l’échelle globale », Annales HSS, 56-1, 2001, p. 3-4, ici p. 4.
1Comment les marchands de l’époque moderne pouvaient-ils établir des relations d’affaires durables avec de « parfaits étrangers », différents par leurs religions, leurs ethnies, leurs langues ? De quelles garanties avaient-ils besoin pour se lancer dans le commerce à longue distance ? En somme, comment fonctionnait ce que Philip Curtin a appelé, au milieu des années 1980, le « commerce interculturel » [1] ? Avec The familiarity of strangers, Francesca Trivellato, professeur à l’université de Yale, propose certainement l’une des études récentes les plus stimulantes sur ces questions, aussi bien par la variété des domaines historiographiques qu’elle aborde que par l’impressionnant travail d’archive qu’elle a mené sur plusieurs continents et dont elle avait déjà exposé, dans les pages de cette revue, les premiers résultats [2]. De « commerce interculturel » (ou « transculturel »), il est d’emblée question dans The familiarity of strangers : l’expression est utilisée pour désigner « des relations de crédit prolongées et une coopération commerciale entre des marchands qui partagent des accords implicites et explicites à propos des règles d’échange, mais qui, en raison de déterminations historiques qui leur échappent, appartiennent à des communautés distinctes, souvent séparées juridiquement [3] ». Comme chez P. Curtin, le « commerce interculturel » est étroitement lié chez F. Trivellato à l’histoire des « diasporas marchandes » (trade ou trading diasporas), mais il s’agit pour l’historienne de battre en brèche l’idée de diasporas homogènes et fonctionnant en vases clos, où les liens familiaux, religieux et culturels plus ou moins étroits expliqueraient une confiance et une cohésion inhérentes aux groupes diasporiques, facteurs d’efficacité économique. Cette critique est explicitement adressée à Yuri Slezkine qui a insisté, dans The Jewish century, sur la singularité (uniqueness) des juifs en matière de commerce : les juifs seraient ainsi des « Mercuriens » par excellence (des nomades mobiles et entreprenants, unis et solidaires) opposés aux « Apolliniens » (la majorité sédentaire et agricole) [4]. À rebours d’une telle approche qui tend à essentialiser et à ethniciser les relations de confiance, F. Trivellato critique le paradigme des « diasporas marchandes », ainsi que le rôle de « minorités intermédiaires » auquel les historiens les cantonnent trop souvent [5].
2 Elle propose ainsi une étude détaillée de la maison Ergas & Silvera, une société en nom collectif sépharade basée dans le port toscan de Livourne au début du XVIIIe siècle ; cette société lui permet de lier étroitement histoire économique et histoire de la famille, mais aussi de décrire les activités commerciales des juifs de Livourne en Méditerranée, dans l’Atlantique et dans l’océan Indien. F. Trivellato montre que ce commerce à longue distance nécessitait une pluralité de formes de coopération et que la cohésion culturelle ou ethnique, bien souvent décrite comme l’apanage des diasporas et comme un avantage comparatif essentiel sur les marchés globalisés, ne permet pas d’expliquer la complexité et la variété des relations d’affaires des maisons de commerce sépharades. La correspondance marchande d’Ergas & Silvera s’avérait un outil bien plus essentiel pour créer ou maintenir des liens de confiance avec des commissionnaires et des agents qui ne partageaient pas nécessairement des liens religieux, ethniques ou familiaux, mais qui, par leur position sur les marchés, leur accès à l’information ou leur spécialisation, offraient des opportunités économiques et des débouchés commerciaux. Le poids de la confiance dans le façonnement de réseaux commerciaux interculturels pose de manière centrale dans le livre la question du rôle des institutions dans la sécurisation des échanges à longue distance, ainsi que celle de l’émergence, à l’époque moderne, d’une culture mercantile partagée à l’échelle du globe.
Un observatoire de la diaspora sépharade : la maison Ergas & Silvera
3 Pour analyser l’entrelacs des motivations et des contraintes qui rendaient possibles les transactions marchandes interculturelles à longue distance, F. Trivellato s’attache à décrire le plus finement possible l’organisation et l’activité de la maison Ergas & Silvera. Dans le premier chapitre du livre, il s’agit de faire l’histoire de l’itinéraire diasporique des Ergas et des Silvera pour comprendre combien les alliances matrimoniales expliquent et structurent une grande partie de leurs stratégies et de leurs investissements économiques. Cette intrication entre liens familiaux et relations d’affaires n’est pas qu’un prélude généalogique à l’étude détaillée du partenariat commercial : elle permet de démontrer qu’une grande partie du capital des maisons de commerce sépharades de l’époque moderne provenait du paiement des dots (nedynya), mais aussi des douaires (tosefet) – généralement 50% de la dot – qui, fusionnés, pouvaient atteindre des sommes considérables. Les structures de parenté (en l’occurrence ici les systèmes de filiation et les échanges matrimoniaux) qui permettaient les unions entre oncles et nièces et entre cousins et cousines du premier degré et, dans une moindre mesure, le lévirat, expliquent la manière dont s’opéraient la préservation et la transmission du capital d’une même famille au fil des générations [6]. Le dernier chapitre du livre, consacré à l’histoire de la faillite d’Ergas & Silvera au milieu des années 1740, montre d’ailleurs qu’en cas d’insolvabilité, l’endogamie et le montant élevé des dots donnaient la possibilité aux familles sépharades, par le biais des actions en justice des femmes juives, de conserver d’importantes sommes à l’abri des créanciers, puisque les lois toscanes stipulaient que le marchand remette tout d’abord sa dot à sa femme, avant de payer toute dette à un tiers [7]. En réfléchissant aux relations entre structures familiales et capitalisme, et plus généralement entre parenté et économie [8], F. Trivellato cherche avant tout à éviter l’écueil d’une perspective wébérienne décrivant le progressif déclin des liens familiaux dans les sociétés de commerce européennes à partir du Moyen Âge.
4 L’histoire de la maison commerciale Ergas & Silvera est donc une histoire de famille : les Ergas sont des exilés – vraisemblablement d’origine portugaise – qui se sont réfugiés en Toscane, à Pise tout d’abord, à la fin du XVIe siècle. Les Silvera, quant à eux, sont passés de Lisbonne à Madrid autour de 1632, avant de quitter la péninsule Ibérique, notamment pour Amsterdam, suite à la chute d’Olivarès en 1643. La naissance de l’association entre les deux familles remonte à la fin du XVIIe siècle quand Esther Ergas épouse David Silvera, initiant un rapprochement qui allait être renforcé par le mariage de leur fils avec la nièce d’Esther. Comme le souligne F. Trivellato, stratégies matrimoniales et stratégies commerciales – ici analysées en détail sur deux générations – sont inextricablement liées et, en cela, l’histoire d’Ergas & Silvera est doublement représentative des activités des marchands sépharades livournais à la même époque, en raison des formes dotales de capitalisation et du type d’association commerciale privilégiée [9]. Pourquoi, en effet, une grande partie des marchands sépharades à Livourne optait-elle pour la société en nom collectif, c’est-à-dire un type de société n’ayant ni durée ni responsabilité limitées [10] ? F. Trivellato explique ce choix par le caractère relativement souple et informel de ce type de société, qui facilitait tout à la fois la délégation de pouvoirs à des associés lointains, la réorientation possible des secteurs d’activité de la compagnie en fonction des conjonctures économiques, et une plus grande flexibilité dans la sélection des agents commerciaux ; en outre, les juifs de Livourne n’avaient pas besoin, du fait de leurs dots, de leurs douaires, de l’héritage des biens et de leurs capitaux familiaux, de faire appel à des bailleurs de fonds extérieurs ou à des actionnaires qui auraient restreint leur marge de manœuvre dans le cadre légal des sociétés à responsabilité limitée de l’époque – en l’occurrence les sociétés en commandite, et les compagnies, en plein essor aux XVIe et XVIIe siècles [11]. De même, la question de la durée du partenariat ne se posait guère puisque les mariages scellaient l’union des associés sur le long terme.
5 La maison Ergas & Silvera s’occupait principalement du commerce du Levant et était en liaison étroite avec Alep, où l’un des membres de la compagnie, Elias Silvera, était parti s’installer. Cet aspect est essentiel, car, comme l’indique F. Trivellato, si les Ergas fournissaient une bonne part du capital, les Silvera permettaient à la compagnie d’avoir un pied au Levant – outre une bonne connaissance de la péninsule Ibérique et une expérience dans le commerce des pierres précieuses [12]. La compagnie importait à Livourne des matières premières de l’empire ottoman (du coton surtout), de la péninsule italienne (de la soie grège du Mezzogiorno, ainsi que des textiles en soie manufacturés d’Émilie et de Toscane) et toute une série de produits coloniaux (tabac, indigo, sucre, café, bois de braise et de campêche) obtenus grâce à différents relais, à Lisbonne, Marseille, Amsterdam et Londres en particulier [13]. Par ailleurs, Ergas & Silvera exerçaient un quasi-monopole à Livourne sur l’exportation de colliers et de bracelets de corail méditerranéen en Inde, qu’ils échangeaient contre des diamants bruts [14]. Ce négoce du diamant et du corail entre Europe et océan Indien, dans lequel étaient particulièrement actifs les marchands juifs de Londres et d’Amsterdam – sépharades puis ashkénazes –, avait été étudié pour le XVIIIe siècle par Gedalia Yogev, intéressé en particulier par la route commerciale Londres-Madras, qui supplante la connexion Lisbonne-Goa à partir des années 1730-1740 [15]. F. Trivellato inscrit le port de Livourne dans ce « commerce interculturel » à longue distance dans la première moitié du XVIIIe siècle, et étudie en détail, dans un beau chapitre consacré à la pêche et à l’acheminement du corail, les formes de l’échange des coraux méditerranéens avec les diamants indiens [16]. Ce choix chronologique lui permet d’étudier la diaspora sépharade en Méditerranée à une époque qui n’a finalement que peu intéressé les historiens spécialistes du sujet, plus tournés vers l’Atlantique et l’Amérique à partir du milieu du XVIIe siècle [17]. En outre, la cartographie du commerce des marchands sépharades rappelle la place de la Méditerranée dans les trafics transocéaniques de l’époque moderne, à un moment où la Mer intérieure retrouve une certaine vitalité économique.
6 Pour inscrire les activités de la maison Ergas & Silvera dans un contexte plus large, F. Trivellato décrit tout d’abord les contours et les caractéristiques de la diaspora sépharade en Europe, et insiste sur le fait que Livourne constituait la deuxième plus grande ville juive d’Europe après Amsterdam, et le principal hub sépharade de l’Europe méridionale. À l’orée du XVIIIe siècle, les marchands juifs aisés de Venise et de Livourne renforçaient leurs liens – à nouveau grâce à des alliances matrimoniales – avec Amsterdam et Londres, la capitale anglaise étant devenue au fil des ans un grand entrepôt de produits levantins et coloniaux, en même temps qu’un important marché de l’assurance maritime [18]. Par ailleurs, en se reportant aux archives françaises concernant Alep au XVIIIesiècle – en particulier les archives consulaires et les archives de la chambre de commerce de Marseille –, l’auteur montre comment les juifs de Livourne se plaçaient sous la protection diplomatique des consuls et des capitaines français au Levant, qui bénéficiaient des Capitulations accordées par l’empire ottoman. Avant le milieu du XVIIIe siècle en effet, aucun accord de commerce n’avait été trouvé entre la Toscane et la Porte, et la maison Ergas & Silvera collaborait donc avec la couronne de France pour ses exportations vers Alep, non sans frictions et sans heurts avec les négociants marseillais. Un jeu subtil d’alliances se mit ainsi en place : comme l’avait déjà souligné Robert Paris, les rivalités militaires et commerciales entre les différents États européens – en particulier entre Français et Britanniques au XVIIIe siècle – offraient aux marchands sépharades une position privilégiée pour négocier certains avantages et notamment une protection diplomatique au Levant [19]. Pour F. Trivellato, il s’agit surtout de prendre au sérieux les recommandations de Sanjay Subrahmanyam, exhortant à analyser de près l’armature politique dans laquelle se déployait l’activité des diasporas marchandes [20]. Ainsi, de même qu’Ergas & Silvera collaboraient avec les Français au Levant, ils s’appuyèrent à partir des années 1730 sur l’East India Company pour acheminer le corail méditerranéen dans l’océan Indien. En échange de la flotte et des structures institutionnelles (en particulier les consulats) mises à leur disposition, les marchands sépharades offraient leur expertise dans certains secteurs de niche et nolisaient les bateaux européens, renforçant par là la présence des États mercantilistes dans plusieurs parties du globe [21].
7 The familiarity of strangers revient également sur la ville nouvelle de Livourne et sur la politique des Médicis visant à faire d’un modeste port peu peuplé et insalubre à la fin du XVIe siècle une grande place de commerce ouverte aux négociants venus de divers horizons [22]. Avec la « Livornina » du 10 juin 1593, adressée à tous les marchands étrangers, mais en particulier aux juifs et aux nouveaux chrétiens chassés de la péninsule Ibérique, le Grand-duc de Toscane Ferdinand Ier octroyait un certain nombre de privilèges aux sépharades et aux marranes qui viendraient s’établir dans le port toscan – notamment le droit de retourner à la religion juive sans être inquiétés par l’Inquisition, de pratiquer le judaïsme librement sans signe distinctif particulier, ainsi qu’une large autonomie juridictionnelle communautaire. Les juifs de Livourne, sujets du Grand-duc, représentèrent toujours entre 7 et 13,5 % de la population totale de la ville à partir des années 1620 et jusqu’à la fin du XVIIIe siècle [23]. Outre les juifs, Grecs, Français, Hollandais, Anglais, Arméniens se rendirent dans le port toscan et s’organisèrent en « nations », formant peu à peu ce que F. Trivellato nomme un « cosmopolitisme communautaire [24] ». L’expression peut prêter à discussion, car si l’historienne montre bien l’hétérogénéité et les dissensions internes (sociales, économiques, religieuses) des différentes communautés comme de la diaspora sépharade dans son ensemble, le terme de « cosmopolitisme » – entendu ici comme un état d’esprit qui permet le commerce interculturel – masque quelque peu, quant à lui, l’explicitation d’une catégorie complexe moins anachronique et sans doute plus apte à décrire les spécificités de la société livournaise, à savoir la notion de « tolérance », dont les autorités politiques et les représentants des communautés négocient les seuils en fonction des conjonctures ; une « tolérance » toujours liée, sous l’Ancien Régime, à une minorité juridique et à l’idée d’un « dégoût » ou d’un « accommodement » souffert par les autorités politiques, avant que les philosophes du XVIIIesiècle ne s’en emparent pour lui donner une connotation positive [25]. Que la tolérance produise certaines formes partielles d’acculturation et qu’elle incite de nombreux étrangers à venir s’installer et à commercer ensemble à Livourne est bien certain, mais cela – comme le souligne d’ailleurs F. Trivellato – n’entraîne ni une sécularisation, ni une plus grande ouverture d’esprit : les préjugés demeurent. Notons enfin qu’à la différence des monographies existantes sur la communauté juive de Livourne, l’approche de F. Trivellato se distingue par la volonté de toujours comparer la situation des marchands sépharades de Livourne avec celle de leurs coreligionnaires dans les villes principales de la diaspora : la grande qualité de son travail à cet égard repose sur la prise en compte – qualifiée de macro-analytique – constante et conjointe des différents contextes sociaux et juridiques dans lesquels s’exercent les activités de la diaspora, ainsi que des structures de parenté et des alliances marchandes qu’elles façonnent.
Lettres, confiance et réseaux commerciaux
8 L’étude de F. Trivellato s’appuie essentiellement sur un type de source analysé en détail, à savoir la correspondance marchande d’Ergas & Silvera. À l’époque de la faillite de la société en 1746, le gouverneur de Livourne fit saisir leurs documents de commerce, et notamment les copies des lettres qu’ils envoyaient à leurs différents agents en Europe, au Levant et en Inde. Cette correspondance, conservée dans le fonds Libri di commercio e di famiglia des archives d’État de Florence, comprend 13 670 lettres écrites de 1704 à 1746 – soit une moyenne de 333 lettres par an. Ces documents permettent une analyse fine et située des rapports entre information économique et coopération commerciale et, plus généralement, offrent la possibilité de mieux cerner les stratégies marchandes des acteurs. Federigo Melis, Henri Lapeyre, Valentín Vázquez de Prada, Felipe Ruiz Martín, Shelomoh Dov Goitein, Charles Carrière, Henry Roseveare et Hilario Casado Alonso, entre autres, ont montré par le passé l’intérêt de ce type d’archives pour l’histoire et la culture des mondes marchands aux époques médiévale et moderne [26]. De fait, F. Trivellato peut ainsi cartographier les principaux relais d’Ergas & Silvera : Venise, avec plus de 4 000 lettres envoyées, constitue la principale destination. La Sérénissime conservait au début du XVIIIe siècle son rôle d’épicentre de l’information et de grand centre du luxe en Méditerranée et, en cela, offrait un marché complémentaire aux activités livournaises [27]. À Venise, Ergas & Silvera pouvaient compter sur des agents sépharades (les Baruch Carvaglio, les Belilios et les Bonfil) avec qui ils étaient liés par des unions matrimoniales. À Gênes, où ils envoyèrent plus de 3 500 lettres, Ergas & Silvera s’appuyaient également sur des agents juifs réguliers ; toutefois, pour leur commerce du corail entre autres, ils entretenaient des relations avec de riches familles chrétiennes, à l’instar des Cambiaso, pour leurs contacts à Lisbonne, ou encore des Lomellini, qui tenaient l’îlot de Tabarque [28]. Bien moins nombreuses, les lettres envoyées à Amsterdam et Londres (respectivement 596 et 552) étaient adressées à des agents coreligionnaires ; elles montrent combien Ergas & Silvera étaient réactifs pour s’adapter aux recompositions conjoncturelles des marchés, notamment quand Londres commença à supplanter Amsterdam comme entrepôt et capitale financière de l’Europe au début du XVIIIesiècle. À Marseille, en revanche, Ergas & Silvera avaient établi des liens avec des marchands chrétiens actifs dans le commerce du Levant (un peu plus de 500 lettres eurent pour destination le port français) ; de même à Lisbonne où ils se servaient d’intermédiaires catholiques italiens (en particulier un certain Paolo Girolamo Medici, dont F. Trivellato a trouvé, à la James Ford Bell Library de Minneapolis, une partie de la correspondance). Enfin, 86 lettres furent adressées à Gopala et Fondu Camotim, des marchands hindous de la caste dominante des Saraswat, à Goa. Si le chiffre peut paraître faible par rapport aux autres destinations, il faut le rapporter aux infrastructures et à la durée du trajet effectué par la lettre (environ six mois). L’historienne a utilisé également des lettres écrites et reçues par de probables descendants des Camotins à Goa dans la seconde moitié du XVIIIe siècle : les frères Mhamai Kamat.
9 L’étude des différentes destinations et du contenu des lettres montre que les juifs commerçaient bien avec des non-juifs, et que la coopération économique avec des étrangers professant d’autres religions, dans des contextes sociaux et juridiques différents, était non seulement possible, mais fréquente. On en revient ici à la critique de la diaspora d’affaires pensée en vase clos : F. Trivellato insiste sur le fait que les choix d’Ergas & Silvera obéissaient avant tout à des opportunités commerciales qui se déployaient dans des conjonctures incertaines et dans une hétérogénéité de formes de protection institutionnelles et étatiques (une forte protection dans le Levant par exemple, et une faible protection sur la route Lisbonne-Goa, plus risquée et moins contrôlée) [29]. L’examen de la correspondance amène ainsi à cette conclusion : « l’intervention d’institutions formalisées n’était pas une condition préalable au commerce interculturel [30] ». Le livre pose ici deux questions fondamentales : celle des formes de confiance établies et entretenues à l’intérieur et à l’extérieur de la diaspora d’affaires avec les différents agents et celle des outils de contrôle qui permettent de limiter les risques du commerce à longue distance. F. Trivellato cherche à y répondre en s’appuyant essentiellement sur deux types de questionnaires, l’un emprunté à l’économie et à l’école dite néo-institutionnaliste, l’autre à la sociologie, en l’occurrence à l’analyse des réseaux sociaux. Cet intérêt combiné pour l’économie néo-institutionnelle et l’analyse des réseaux apparaît aujourd’hui comme une véritable tendance de la recherche en histoire économique, impulsée entre autres par la « nouvelle sociologie économique [31] ». Si la centralité de la théorie économique dans la démonstration ou bien le degré de formalisation des réseaux peuvent fortement varier en fonction des différentes recherches, force est néanmoins de constater qu’une grande partie des débats en histoire économique des périodes préindustrielles passe par une prise de position vis-à-vis des postulats néo-institutionnalistes [32].
10 The familiarity of strangers est construit avec et contre les travaux d’Avner Greif, l’un des représentants les plus éminents de la dernière génération de l’école des économistes néo-institutionnalistes, qui intègre dans sa démarche les apports de la théorie des jeux, de la sociologie et des sciences cognitives [33]. L’intérêt des historiens pour cette branche de l’économie n’est pas nouveau, depuis les ouvrages pionniers d’Oliver Williamson et de Douglass North [34]. À partir d’un usage explicite de l’histoire pour penser à la fois l’émergence et l’évolution des institutions et leur impact sur l’économie, les néo-institutionnalistes ont trouvé chez les historiens intéressés notamment par les règles de droit et le rôle des « coûts de transaction » dans l’étude des échanges marchands des lecteurs sensibles aux questions qu’ils soulevaient. A. Greif, quant à lui, a proposé une définition élargie de l’institution, entendue comme « un système de règles, de croyances, de normes, et d’organisations qui, ensemble, génèrent une régularité de comportement (social) » [35]. À travers une « analyse institutionnelle comparative et historique », qui l’amène à étudier les marchands maghribis du XIe et XIIe siècle, les guildes du Moyen Âge, la construction de l’État à Gênes, ou encore les chartes anglaises du XIe siècle, A. Greif cherche à comprendre, entre autres choses, pourquoi et comment les acteurs suivent des « règles institutionnalisées de comportement malgré l’absence de contraintes extérieures » [36]. Il s’agit là, comme le soulignait Robert Boyer, « d’expliciter les processus qui ont permis la régularité et la prévisibilité des échanges économiques [...]. L’économiste doit toujours préciser le contexte et les règles du jeu dans lesquels opèrent les agents [37] ».
11 On retrouve ici l’une des préoccupations premières de F. Trivellato, à ceci près qu’A. Greif ne pense jamais en termes d’échanges « interculturels » ni de « diaspora marchande », et très peu en termes de « confiance » [38]. Cette différence ne pourrait être qu’anecdotique si elle ne prêtait à certains malentendus qui brouillent quelque peu la démonstration, dans la mesure où l’ouvrage d’A. Greif est utilisé à plusieurs reprises, de l’introduction à la conclusion, et qu’il est souvent adossé aux travaux de P. Curtin. F. Trivellato s’en tient surtout à la comparaison établie par A. Greif entre les marchands maghribis d’Afrique du Nord et les marchands génois, c’est-à-dire à un segment somme toute partiel de son ouvrage qui cherche avant tout à répondre à la question du changement institutionnel endogène et aux manières de le formaliser [39]. Ce faisant, elle associe l’entente commerciale des juifs de Livourne, des Italiens de Lisbonne et des hindous de Goa à ce qu’A. Greif appelle une « coalition » (en l’occurrence la coalition des marchands maghribis) [40], à savoir une « institution économique basée sur la réputation » où la collaboration des agents qui opèrent à longue distance est accrue par un partage de l’information plus que par des menaces légales ou éthiques : la communauté boycotte les agents tricheurs [41]. Alors que la coalition des marchands maghribis chez A. Greif est caractérisée par une « organisation informelle – un réseau d’affaires de membres qui appartiennent à la même communauté ethnique ou religieuse [42] », on ne comprend pas bien pourquoi ce qui semble être une relation de marché entre sépharades, Italiens et hindous est rapporté à une « coalition » (à moins de supposer que l’information marchande et les structures – étatiques, technologiques, juridiques – qui les soutiennent n’aient guère évolué entre le XIe et le XVIIIe siècle). En effet, n’empruntant qu’une partie de la définition, F. Trivellato assimile curieusement la coalition des marchands maghribis au « système de responsabilité d’une communauté » (community responsability system) [43], qui fait pourtant référence chez A. Greif, selon l’analyse de Robert Boyer, à un système où « chaque membre est responsable du défaut de paiement de tout autre membre de la communauté vis-à-vis de transactions entre communautés » [44]. La réputation compte toujours dans ce système, mais, à la différence de la « coalition », elle est étayée par les cours de justice locales [45].
12 Aussi, l’emprunt mêlé des notions de « coalition » et de « système de responsabilité d’une communauté » dans The familiarity of strangers ne permet-il guère de comprendre les règles institutionnelles qui pesaient sur l’échange du corail méditerranéen et des diamants indiens – F. Trivellato se contente à ce propos de dire que les relations entre Livourne, Lisbonne et Goa, puis entre Livourne, Londres et Madras demeuraient « tout à fait informelles [46] ». L’historienne constate que la « coalition interculturelle » qu’elle étudie ne suppose pas de liens familiaux ou ethniques, mais qu’au contraire des marchands appartenant à des communautés bien distinctes, avec des possibilités d’alliance matrimoniale quasi inexistantes, pouvaient coopérer sans contraintes juridiques. On peut par conséquent s’interroger sur l’intérêt de placer ces notions simplifiées d’A. Greif au centre de The familiarity of strangers, dans la mesure où elles ne permettent guère de spécifier la nature du commerce interculturel, ni ne semblent s’appliquer à la relation marchande entretenue par les juifs de Livourne avec les hindous de Goa. Alors que F. Trivellato convainc davantage quand elle affronte l’historiographie des diasporas d’affaires, la discussion sur les postulats néo-institutionnalistes semble quelque peu artificielle et n’éclaire finalement pas le lecteur. Pourtant, elle aurait sans doute pu être féconde si avait été abordée la distinction problématique entre « institution » et « marché » qui innerve le travail d’A. Greif, ou encore si l’intrication entre responsabilité collective et responsabilité individuelle avait davantage été questionnée.
13 Les usages de l’analyse des réseaux sociaux, qui ont fait leurs preuves en histoire [47], posent quant à eux un autre type de problème. Alors que l’auteur décrit très finement les différents types de partenariats commerciaux possibles aux XVIIe et XVIIIe siècles, le terme de « réseau » rend parfois floue la nature de la relation entre les différents associés d’Ergas & Silvera, et tend notamment à gommer les hiérarchies possibles entre agents. Ainsi, l’on ne comprend jamais vraiment si le « réseau » est une métaphore pour décrire les différents correspondants d’Ergas & Silvera, ou bien plus simplement une boîte à outils heuristique. La cartographie du « réseau » d’Ergas & Silvera s’en tient à une quantification du nombre de lettres envoyées dans différentes places marchandes, mais ne renseigne pas sur les structures relationnelles de la compagnie. Les principales sources mobilisées par F. Trivellato – la correspondance active d’Ergas & Silvera – ne se prêtent sans doute guère à une analyse structurale, dans la mesure où il est difficile d’établir si les agents des juifs livournais s’écrivaient mutuellement (ce qui aurait permis de déterminer une « centralité ») ; néanmoins, il aurait été possible de schématiser davantage, par le biais de quelques graphes simples, les liens entre correspondants et types de produits achetés ou vendus (des « réseaux » à l’intérieur du réseau), ou encore entre correspondants, alliances matrimoniales et diasporas, voire de quantifier la densité des flux d’information entre Ergas & Silvera et leurs agents. Cela étant, l’emploi de deux outils analytiques, directement empruntés à l’analyse des réseaux, s’avère plus particulièrement intéressant. D’une part, la notion de « relations multiplexes » décrit bien la polyvalence des types d’échanges relationnels au sein de la diaspora sépharade : liens de parenté, liens communautaires, partenariats commerciaux multiplient les occasions de conflits entre les différents acteurs, mais créent également des formes de solidarité et surtout des canaux multiformes de surveillance sociale. Il n’en reste pas moins que les réseaux de crédit et les canaux d’information n’épousent pas nécessairement les frontières ethniques, religieuses ou linguistiques [48]. D’autre part, liée à la notion de « multiplexité », la sociologie des « liens faibles » et des « liens forts » de Mark Granovetter aide à examiner l’éventail des rapports entretenus par Ergas & Silvera avec leurs différents correspondants, des « liens forts » avec leurs parents à Venise et à Alep, aux « liens faibles » avec les hindous de Goa. Comme M. Granovetter l’a souligné à maintes reprises, les informations neuves et les éventuelles opportunités économiques qu’elles induisent constituent bel et bien l’une des caractéristiques de la « force des liens faibles » [49].
14 Si les « liens faibles » n’expliquent certes pas totalement les prises de risque commercial des acteurs du monde marchand engagés dans le commerce à longue distance, les perspectives de gains qu’ils ouvrent en termes de débouchés commerciaux permettent en partie de comprendre pourquoi Ergas & Silvera pouvaient compter sur des agents lointains qu’ils n’avaient jamais rencontrés dans leur négoce de pierres précieuses, et pourquoi à Alep, Elias Silvera choisit de faire confiance à un juif persan qu’il connaît mal et dont il n’avait jamais éprouvé la bonne foi pour la vente d’un diamant de soixante carats. Car c’est finalement bien de confiance (de trust) dont il s’agit, malgré les réticences d’un certain nombre d’économistes à employer le terme, comme le souligne F. Trivellato en introduction [50]. L’historienne précise que la confiance se gagne et se perd et qu’elle n’est nullement un attribut stable des individus ou des groupes sociaux [51]. Par ailleurs, dans la mesure où les alliances et le maintien des partenariats commerciaux sont façonnés par la réputation, les marchands recherchent surtout des « personnes de confiance » pour mener à bien leurs activités : aussi, le champ lexical de la « confiance » et de la « loyauté », voire de « l’amitié », émaille-t-il la correspondance d’Ergas & Silvera. C’est d’ailleurs l’un des apports majeurs du livre de F. Trivellato que d’analyser précisément les fonctions de la correspondance marchande pensée à la fois comme un outil essentiel pour ouvrir des opportunités commerciales et comme un moyen de contrôler les agents lointains. Plutôt que de s’en remettre aux gazettes ou aux informations imprimées, ou encore aux différents avvisi qui circulaient en Europe, la correspondance marchande continuait au XVIIIe siècle à remplir des objectifs bien précis qui la rendait non pas obsolète, mais bien complémentaire avec les canaux de l’information économique imprimée existants [52]. L’auteur distingue ainsi quatre caractéristiques propres aux lettres manuscrites : elles certifiaient les contrats et les droits de propriété devant les tribunaux ; elles permettaient aux marchands d’informer et d’être informés sur les conditions du marché ; elles renseignaient les négociants sur les aptitudes et la fiabilité des associés, des commissionnaires ou des fournisseurs ; enfin, elles permettaient, si besoin, le secret [53]. Dans la mesure où les contrats d’Ergas & Silvera avec leurs agents n’avaient qu’une faible valeur devant les tribunaux, la circulation et la diffusion de l’information, par le biais de leur abondante correspondance, s’avéraient par conséquent un moyen efficace de diminuer les risques de fraude, et de punir les éventuels « tricheurs ».
15 L’écriture des lettres obéissait à des modèles prescriptifs, diffusés entre autres par l’Ars mercatoria et les dictionnaires bi- ou trilingues. Des Lettres communes et familières (1576) de Jean Bourlier aux Lettres marchandes (1778) de Johann Carl May, en passant par Il negoziante (1638) de Giovanni Peri, Le parfait négociant (1675) de Jacques Savary ou encore Il segretario di banco (1697) de Matthias Kramer, les manuels à l’usage des négociants et leurs multiples traductions à l’époque moderne contribuèrent à l’émergence de règles et de convenances partagées [54]. L’uniformisation progressive du langage marchand est, pour F. Trivellato, le signe d’une culture mercantile globale en formation, plurilingue, polie et de plus en plus sensible, au fur et à mesure du XVIIIe siècle, aux idées des philosophes [55]. Son analyse du vocabulaire et des conventions épistolaires ne s’en tient pas aux seuls manuels, mais bien à une lecture croisée des modèles imprimés et des lettres manuscrites d’Ergas & Silvera, de Paolo Girolamo Medici et des Mhamai Khamat. Cependant, l’on peut regretter que les lettres de marchands, qui constituent le matériau principal de The familiarity of strangers, ne soient pas retranscrites, ne serait-ce qu’à titre d’exemples ou d’illustrations, pour permettre au lecteur de mieux comprendre à quoi ressemble ce type d’archives et comment se présente la source.
16 70% des lettres d’Ergas & Silvera furent écrites en italien, et le reste, à l’attention de leurs correspondants sépharades ou hindous, en portugais, même si beaucoup de mots ou d’expressions pouvaient passer d’une langue à l’autre. Les hindous de Goa, comme la plupart des marchands en contact avec les empires européens, apprirent à maîtriser les normes et les conventions discursives de la correspondance marchande. F. Trivellato parle ainsi d’un « langage cosmopolite du commerce », qui n’implique pas pour autant une disparition des préjugés : tout partenaire commercial, peu importent ses liens de parenté ou sa religion, est un « ami » dans les lettres de négociants [56]. Parler de « langage cosmopolite » peut néanmoins surprendre quand il s’agit de décrire un processus profondément dissymétrique « d’européanisation » ou, du moins, de « standardisation » selon des critères européens du langage du commerce [57]. F. Trivellato fait cependant de cette forme d’uniformisation un révélateur et une condition du commerce interculturel tout à la fois. En effet, les conventions discursives facilitent des relations de confiance avec les inconnus, et jouent un rôle tout aussi important que les contraintes juridiques dans la constitution et la pérennité des réseaux marchands et des réseaux de crédit. Pour comprendre ainsi la stabilité d’une relation commerciale à longue distance à l’époque moderne, il faut donc imbriquer à la fois les normes sociales, les contextes juridiques et les règles de communication qui les rendaient possibles, et non se concentrer uniquement sur une seule de ces conditions [58].
17 Toutefois, la maîtrise des conventions de la correspondance marchande par les hindous de Goa pourrait quelque peu remettre en cause le présupposé d’un échange « informel » entre Livourne, Lisbonne et le comptoir indien, et pose plus généralement la question de la familiarité des Camotins avec le jus commune européen, un point que l’ouvrage de F. Trivellato n’évoque pas. Les marchands de Goa vivaient dans un comptoir portugais où l’armature normative était importée d’Europe ; ils appartenaient, en outre, à une élite locale, profondément européanisée et connaissaient le langage des obligations. En cela, le risque de commercer dans l’océan Indien pour les juifs de Livourne provenait davantage de la distance et des frais engagés par les marchands (fret et assurance maritime notamment) que du contexte institutionnel ou d’une incommensurabilité culturelle : si Ergas & Silvera ne pouvaient pas recourir directement aux tribunaux portugais de Goa, il leur était en revanche possible, pour ce faire, de s’appuyer sur leurs agents italiens de Lisbonne. En creux, se pose donc la question de la corrélation souvent inférée entre distance géographique et distance culturelle, certainement plus problématique qu’il n’y paraît au premier abord et qui interroge directement l’équivalence plus ou moins admise tout au long du livre entre commerce interculturel et commerce à longue distance.
18 Dans le dernier chapitre du livre, F. Trivellato raconte l’association malheureuse qui a conduit à la faillite d’Ergas & Silvera, et qui pose à la fois le problème de la confiance trahie et du rapport des marchands aux tribunaux [59]. À Alep, Elias Silvera a décidé de s’associer en 1738 avec un juif persan, Agah Menasseh, pour la vente d’un diamant de soixante carats, un type de diamant que la compagnie n’était pas habituée à négocier, puisque les diamants indiens étaient de petite taille. Surestimant son prix et méconnaissant le marché, Ergas & Silvera établirent un contrat incomplet avec Menasseh, et se rendirent compte trop tard que le Persan n’était pas fiable, et que l’affaire risquait de tourner mal et de mettre en péril la compagnie, d’autant plus que la conjoncture au Levant, principale zone d’activité de la maison commerciale, n’était guère favorable durant ces années. L’affare del diamante grosso – comme elle fut désignée dans les archives toscanes – montre que la prise de risque d’Elias Silvera à Alep était trop grande, car l’associé n’avait jamais été éprouvé et les mécanismes de contrôle de la réputation étaient ici trop faibles, puisque les sépharades n’avaient vraisemblablement que peu de contacts avec les juifs persans. S’ensuivit alors un ruineux « Grand Tour » long de plus de deux ans (1741-1743) à la recherche d’un acheteur, qui mena les agents d’Ergas & Silvera, accompagnés de Menasseh, de Versailles à Vienne, en passant par Londres, Amsterdam et Berlin. Les lettres qu’Ergas & Silvera envoient à leur associé Moïse Cassuto constituent ici une source intéressante pour observer la détérioration des relations entre partenaires : à mesure que la probabilité de vendre le diamant à un bon prix diminuait, et que Menasseh utilisait le veto permis par son contrat pour ne pas mettre le diamant aux enchères, le recours à une solution judiciaire devenait inévitable, malgré les réticences d’Ergas & Silvera à une telle issue, non seulement parce qu’elle était coûteuse mais aussi parce qu’elle risquait d’entacher leur réputation. F. Trivellato propose ainsi un examen des différentes stratégies et des différentes étapes judiciaires par lesquelles passent les acteurs impliqués dans cette affaire. Utilisant les travaux de la juriste Lisa Bernstein, elle distingue deux régimes normatifs : d’une part, les « normes pour préserver les relations » (relationship-preserving norms), entretenues essentiellement par la correspondance marchande et qui supposent des échanges de faveurs et de service ; d’autre part, les « normes de fin de partie » (end-game norms), utilisées par les acteurs quand ils ne souhaitent plus collaborer ensemble [60]. Le recours au tribunal marque en règle générale le passage entre les relationship-preserving norms et les end-game norms : après deux suppliques envoyées à la Cour suprême de La Haye et des tentatives d’arbitrage, d’abord avec des arbitres juifs, puis avec des arbitres chrétiens, l’affaire fut finalement transmise au tribunal civil du gouverneur de Livourne en septembre 1745. La pluralité des recours institutionnels et des appels possibles en Toscane, la faillite d’Ergas & Silvera en 1746, le jeu des dots déjà mentionné, compliquèrent et ralentirent encore considérablement le dénouement judiciaire de « l’affaire du gros diamant », vendu finalement en décembre 1749. Dix ans plus tard, faillis et considérablement appauvris, Abraham Ergas et Isaac Silvera obtiennent une licence pour exercer l’activité de courtier (sensale) à Livourne, signe de leur net déclassement.
Un programme pour l’étude des diasporas négociantes
19 En prenant pour point d’appui l’histoire d’une maison commerciale juive basée dans le port toscan de Livourne et active dans la première moitié du XVIIIe siècle, The familiarity of strangers propose tour à tour une histoire de la diaspora sépharade en Méditerranée ; une étude sur les formes d’alliance matrimoniale des communautés juives du XVIIe et XVIIIe siècle ; un éclairage sur l’histoire du port franc de Livourne et sur les liens entre les marchands sépharades et la couronne de France dans le Levant ; une explication des différents types d’association commerciale possibles à l’époque moderne ; une mise en valeur du rôle des correspondances marchandes dans le commerce à longue distance ; une analyse des échanges entre la Méditerranée et l’océan Indien au XVIIIe siècle et, enfin, un examen des multiples manières d’aborder un litige commercial à l’époque moderne. Au-delà, l’ouvrage est un plaidoyer pour l’étude des diasporas négociantes dans une perspective comparatiste ; une perspective qui vise notamment à décloisonner un type de recherche souvent « communautaire » ou « ethnique ». F. Trivellato s’attelle en partie à ce travail lorsqu’elle décrit les formes de partenariats d’affaires des marchands arméniens originaires de la Nouvelle-Djoulfa, près d’Ispahan, en s’appuyant notamment sur les travaux d’Edmund Herzig, de Sebouh Aslanian et de Bhaswati Bhattacharya [61]. Elle montre par exemple que ces marchands arméniens privilégiaient la commenda et comptaient davantage sur des agents itinérants, que sur des commissionnaires. La Nouvelle-Djoulfa fonctionnait comme le centre d’un réseau coordonné par une assemblée des marchands pourvue d’une grande autonomie administrative et juridictionnelle accordée par le pouvoir safavide. Commenda, agents voyageurs et centralisation (de l’information et de l’arbitrage) expliquent pourquoi, selon toute vraisemblance, les Arméniens ne s’engageaient que très rarement dans des relations d’affaires durables avec des non-Arméniens [62]. L’esquisse de comparaison laisse entrevoir les trois pierres angulaires d’une mise en perspective plus large des diasporas d’affaires, que F. Trivellato propose dans sa conclusion. En premier lieu, plutôt que de supposer la solidité des liens familiaux et des traditions sociales, il s’agit d’explorer les structures de parenté, les types d’alliance familiale, la démographie, les parcours migratoires, ainsi que les structures communautaires qui façonnent les formes d’associations commerciales des diasporas négociantes et favorisent plus ou moins le commerce interculturel. Ensuite, il convient d’identifier les régularités sociales, juridiques et discursives que chaque diaspora d’affaires pouvait mobiliser pour s’attacher les services aussi bien de parents que d’étrangers, nuançant par là l’idée préconçue d’un essor des marchés impersonnels comme caractéristique de la modernité économique. Enfin, l’auteur invite à déterminer le degré d’autonomie ou de dépendance vis-à-vis des États modernes dont les diasporas marchandes avaient besoin pour développer leurs activités commerciales [63].
20 Ce programme comparatiste destiné à mieux saisir les traits socioculturels, juridiques et économiques des diasporas d’affaires est, on l’aura compris, étroitement lié à une méthode et à une historiographie, en l’occurrence celle de « l’histoire connectée », ou plutôt – car F. Trivellato évite l’étiquette – à une « histoire des connexions » [64]. L’auteur qualifie sa démarche « d’histoire globale à échelle réduite » (global history on a small scale) [65] ; une démarche qui couple une micro-analyse de la maison commerciale Ergas & Silvera, active sur plusieurs continents, et une macro-analyse de la diaspora sépharade et des normes qui régissaient le commerce interculturel en Méditerranée et dans l’océan Indien de l’autre. L’histoire des échanges économiques et culturels mondialisés à l’époque moderne passe ainsi par une étude fouillée, à l’échelle micro, d’une société de commerce impliquée dans le commerce à longue distance. On retrouve dans cette articulation du micro et du macro, dans cette rencontre de la microstoria et de la world history, une ambition caractéristique de « l’histoire connectée », à savoir ce « souci de restituer à la fois l’épaisseur du jeu social et la globalité des échanges qui l’animent » [66], et de préciser la nature des connexions. Cette double focale permet à F. Trivellato de varier constamment les points de vue, de comprendre les mécanismes internes aux processus globaux, d’articuler soigneusement synchronie et diachronie, et, partant, de toujours prendre en compte les normes et la manière dont les acteurs les appréhendent et les modifient. Par la variété des domaines historiographiques abordés et la prise en compte des différents apports des sciences sociales, The familiarity of strangers invite ainsi à une histoire située et globale, à une histoire ambitieuse, comparée et collective, à même de penser la complexité des contextes sociaux.
Date de mise en ligne : 01/07/2011
Notes
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[*]
À propos de Francesca TRIVELLATO, The familiarity of strangers : The Sephardic diaspora, Livorno, and cross-cultural trade in the early modern period, New Haven, Yale University Press, 2009.
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[1]
- Philip D. CURTIN, Cross-cultural trade in world history, Cambridge, Cambridge University Press, 1984. P. Curtin ne donne néanmoins pas de définition très précise de ce qu’il entend par culture quand il explique que le « commerce et les échanges au-delà des barrières culturelles ont joué un rôle crucial dans l’histoire humaine » (p. 1). La bibliographie sur les communautés marchandes ethno-religieuses est désormais vaste. Depuis dix ans, notons la parution de : Claude MARKOVITS, The global world of Indian merchants, 1750-1947 : Traders of Sind from Bukhara to Panama, Cambridge, Cambridge University Press, 2000 ; Scott C. LEVI, The Indian diaspora in Central Asia and its trade, 1550-1900, Leyde, Brill, 2002 ; Ina BAGHDIANTZ MCCABE, Gelina HARLAFTIS et Ioanna PEPELASIS MINOGLOU (dir.), Diaspora entrepreneurial networks : Four centuries of history, Oxford, Berg, 2005 ; Steve MURDOCH, Network North : Scottish kin, commercial and covert association in Northern Europe, 1603-1746, Leyde, Brill, 2006 ; Daviken STUDNICKI-GIZBERT, A nation upon the ocean sea : Portugal’s Atlantic diaspora and the crisis of the Spanish Empire, 1492- 1640, Oxford, Oxford University Press, 2007.
-
[2]
- Francesca TRIVELLATO, « Juifs de Livourne, Italiens de Lisbonne, hindous de Goa. Réseaux marchands et échanges interculturels à l’époque moderne », Annales HSS, 58-3, 2003, p. 581-603.
-
[3]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 1-2.
-
[4]
- Yuri SLEZKINE, The Jewish century, Princeton, Princeton University Press, 2004.
-
[5]
- L’historienne s’inscrit en cela dans la lignée des travaux de Claude Markovits sur les marchands sindhi : C. MARKOVITS, The global world of Indian merchants..., op. cit., p. 20- 24. Le terme « minorités intermédiaires » est notamment emprunté à Edna BONACICH, « A theory of middleman minorities », American Sociological Review, 38-5, 1973, p. 583-594.
-
[6]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 132-136.
-
[7]
- Ibid., p. 262-265.
-
[8]
- Ce thème a fait l’objet d’un intérêt renouvelé depuis les années 1980 (on pense, entre autres, aux travaux de Giovanni Levi ou de Laurence Fontaine). F. Trivellato évoque notamment l’important travail de la sociologue Julia Adams, peu connu en France si l’on en croit le portail CAIRN où il n’est cité qu’à deux reprises et n’a fait l’objet d’aucun compte rendu dans les principales revues francophones : Julia ADAMS, The familial state : Ruling families and merchant capitalism in early modern Europe, Ithaca, Cornell University Press, 2005.
-
[9]
- La maison Ergas & Silvera est moins représentative, en revanche, du point de vue de la localisation des activités commerciales, car on sait le rôle considérable des juifs livournais dans le commerce avec les Régences d’Alger et de Tunis. Sur ce commerce, voir en particulier Jean-Pierre FILIPPINI, Il porto di Livorno e la Toscana (1676-1814), Naples, Edizioni scientifiche italiane, 1999, vol. 3, et Sadok BOUBAKER, La régence de Tunis au XVIIesiècle. Ses relations commerciales avec les ports de l’Europe méditerranéenne, Marseille et Livourne, Zaghouan, CEROMA, 1987.
-
[10]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 132. Aucun contrat écrit ne fut d’ailleurs scellé entre les Ergas et les Silvera : un accord oral, la signature Ergas & Silvera au bas de la correspondance marchande ou des livres de compte, suffisaient à entériner la responsabilité collective des partenaires de la compagnie devant les tribunaux de commerce et les tribunaux civils (p. 139-140).
-
[11]
- Ibid., p. 143-144.
-
[12]
- Ibid., p. 35.
-
[13]
- Ibid., p. 39.
-
[14]
- Ibid., voir également F. TRIVELLATO, « Juifs de Livourne... », art. cit.
-
[15]
- Gedalia YOGEV, Diamonds and coral : Anglo-Dutch Jews and eighteenth-century trade, Leicester, Leicester University Press, 1978.
-
[16]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 224-250.
-
[17]
- Nathan WACHTEL, La foi du souvenir. Labyrinthes marranes, Paris, Éd. du Seuil, 2001 ; Jonathan I. ISRAEL, Diasporas within a diaspora : Jews, Crypto-Jews, and the world of maritime empires (1540-1740), Leyde, Brill, 2002 ; Arquivos do Centro cultural Calouste Gulbenkian, vol. XLVIII, La diaspora des nouveaux-chrétiens, Lisbonne/Paris, Centro cultural Calouste Gulbenkian, 2004 ; Richard L. KAGAN et Philip D. MORGAN (dir.), Atlantic diasporas : Jews, conversos, and Crypto-Jews in the age of mercantilism, 1500-1800, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2009.
-
[18]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 60-62.
-
[19]
- Robert PARIS, Histoire du commerce de Marseille. V, De 1660 à 1789. Le Levant, éd. par G. Rambert, Paris, Plon, 1957, p. 256-260.
-
[20]
- Sanjay SUBRAHMANYAM, The political economy of commerce : Southern India, 1500-1650, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, p. 298-342.
-
[21]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 249.
-
[22]
- Pour un état des lieux récent de la recherche historique sur le port toscan à l’époque moderne, voir Adriano PROSPERI (dir.), Livorno, 1606-1806. Luogo di incontro tra popoli e culture, Turin, U. Allemandi, 2009.
-
[23]
- Sur l’histoire de la culture et des activités négociantes de la communauté juive de Livourne à l’époque moderne, voir notamment : Lucia FRATTARELLI FISCHER, Vivere fuori dal ghetto. Ebrei a Pisa e Livorno, secoli XVII-XVIII, Turin, S. Zamorani, 2008 ; Renzo TOAFF, La nazione ebrea a Livorno e Pisa (1591-1700), Florence, L.S. Olschki, 1990 ; J.-P. FILIPPINI, Il porto di Livorno..., op. cit.
-
[24]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 73 et p. 97-101.
-
[25]
- Samuel Fettah, dans un article sur le « cosmopolitisme livournais », évoque dans son introduction les difficiles emplois du terme à l’époque moderne, même s’il n’hésite pas à l’utiliser par la suite en se basant, comme F. Trivellato, sur les travaux de Robert Ilbert à propos d’Alexandrie à la fin du XIXe et au début du XXe siècle (à une époque où le mot « cosmopolitisme » est employé par les acteurs) : Samuel FETTAH, « Le cosmopolitisme livournais : représentations et institutions (XVIIe-XIXe siècles) », Cahiers de la Méditerranée, 67, 2003, p. 51-60. Quitte à utiliser une expression anachronique, celle de « pluralisme religieux » utilisée par Charles Parker pour l’époque moderne nous semble plus neutre (on pourrait ajouter « communautaire » pour rendre compte de l’organisation civile) : Charles H. PARKER, « Paying for the privilege : The management of public order and religious pluralism in two early modern societies », Journal of World History, 17-3, 2006, p. 267-296.
-
[26]
- Pour une synthèse d’une partie de ces travaux, analysés sous l’angle de la transmission de l’information commerciale, sa matière, son élaboration et son exploitation, voir Pierre JEANNIN, « La diffusion de l’information », in S. CAVACIOCCHI (dir.), Fiere e mercati nella integrazione delle economie europee, secc. XIII-XVIII, Florence, Le Monnier, 2001, p. 231-262.
-
[27]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 205.
-
[28]
- Ibid., p. 209-210.
-
[29]
- Ibid., p. 221.
-
[30]
- Ibid., p. 199.
-
[31]
- Pour une histoire et une sociologie de ce courant, voir Bernard CONVERT et Johan HEILBRON, « La réinvention américaine de la sociologie économique », L’Année sociologique, 55-2, 2005, p. 329-364.
-
[32]
- Citons, entre autres, D. STUDNICKI-GIZBERT, A nation upon the ocean sea..., op. cit. ; Sebouh ASLANIAN, « Social capital, ‘trust’ and the role of networks in Julfan trade : Informal and semi-formal institutions at work », Journal of Global History, 1-3, 2006, p. 383-402 ; Quentin VAN DOOSSELAERE, Commercial agreements and social dynamics in medieval Genoa, Cambridge, Cambridge University Press, 2009 ; Oscar GELDERBLOM et Regina GRAFE, « The rise and fall of the merchant guilds : Re-thinking the comparative study of commercial institutions in premodern Europe », Journal of Interdisciplinary History, 40-4, 2010, p. 477-511.
-
[33]
- Avner GREIF, Institutions and the path to the modern economy : Lessons from medieval trade, Cambridge, Cambridge University Press, 2006. L’introduction, agrémentée d’une riche bibliographie, a été traduite en français : « Qu’est-ce que l’analyse institutionnelle ? », Tracés, 17, 2009, p. 181-210. Les premiers articles d’A. Greif sur le sujet remontent à « Reputation and coalition in Medieval trade : Evidence on the Maghribi traders », The Journal of Economic History, 49-4, 1989, p. 857-882.
-
[34]
- Oliver E. WILLIAMSON, The economic institutions of capitalism : Firms, markets, relational contracting, New York/Londres, Free Press/Collier Macmillan, 1985 ; Douglass C. NORTH, Institutions, institutional change and economic performance, Cambridge, Cambridge University Press, 1990 ; Douglass C. NORTH et Robert P. THOMAS, The rise of the Western world : A new economic history, Cambridge, Cambridge University Press, 1973. L’article de Douglass C. NORTH, « Institutions, transaction costs, and the rise of merchant empires », in J. D. TRACY (éd.), The political economy of merchant empires, Cambridge, Cambridge University Press, 1991, p. 22-40, a sans doute contribué à la popularisation des travaux de l’école néo-institutionnaliste au-delà du champ des sciences économiques, de même que son « prix Nobel d’économie » en 1993. O.E. Williamson a été lui aussi récompensé par la Banque de Suède en 2009. Sur les différentes étapes du néo-institutionnalisme, voir Avner GREIF, « Théorie des jeux et analyse historique des institutions. Les institutions économiques du Moyen Âge », Annales HSS, 53-3, 1998, p. 597-633, particulièrement p. 599-600.
-
[35]
- A. GREIF, Institutions and the path to the modern economy..., op. cit., p. 30.
-
[36]
- Ibid., p. 4. Cette question fait écho à l’agenda qu’il proposait pour l’analyse historique des institutions dans Avner GREIF, « The fundamental problem of exchange : A research agenda in historical institutional analysis », European Review of Economic History, 4, 2000, p. 251-284.
-
[37]
- Robert BOYER, « Historiens et économistes face à l’émergence des institutions du marché », Annales HSS, 64-3, 2009, p. 665-693, ici p. 668-669.
-
[38]
Timothy W. GUINNANE, « Les économistes, le crédit et la confiance », Genèses, no spécial « L’identification économique », 2, 2010, p. 6-25, ici p. 11.
-
[39]
- Pour une vue synoptique de l’ouvrage d’Avner Greif : R. BOYER, « Historiens et économistes... », art. cit., p. 614.
-
[40]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 247. Le terme de « coalition » a également été repris pour d’autres contextes, en particulier pour les Grecs de la mer Noire au XIXe siècle : Ioanna PEPELASIS MINOGLOU, « The Greek merchant house of the Russian Black Sea : A 19th century example of a traders’ coalition », International Journal of Maritime History, 10-1, 1998, p. 1-44.
-
[41]
- L’existence de cette « coalition » (et notamment la faible importance des contraintes juridiques) a vivement été débattue par Jeremy EDWARDS et Sheilagh OGILVIE, « Contract enforcement, institutions and sociales capitales : The Maghribi traders reappraised », CESIFO, working paper no 2254, 2008, http://www.cesifo.de/DocCIDL/cesifo1_wp2254.pdf. Avner GREIF a répondu en défendant le fait que les marchands maghribis ne recouraient pas aux tribunaux dans le cadre du commerce à longue distance : « Contract enforcement and institutions among the Maghribi traders : Refuting Edwards and Ogilvie », MPRA Paper, no 9610, 2008, http://mpra.ub.uni-muenchen.de/9610/. Un historien lisant ces débats ne peut qu’être frappé par l’absence étonnante de critique élémentaire des archives : l’« effet de source » n’est nullement envisagé de part et d’autre et le débat s’en tient à des analyses sans nuances sur la représentativité des documents convoqués.
-
[42]
- A. GREIF, Institutions and the path to the modern economy..., op. cit., p. 59.
-
[43]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 13-14 et p. 157.
-
[44]
- R. BOYER, « Historiens et économistes... », art. cit., p. 676.
-
[45]
- A. GREIF, Institutions and the path to the modern economy..., op. cit., p. 309-349.
-
[46]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 249.
-
[47]
- Pour une vue d’ensemble, voir Claire LEMERCIER, « Analyse de réseaux et histoire », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 52-2, 2005, p. 88-112, et « Analyse de réseaux et histoire de la famille : une rencontre encore à venir ? », Annales de démographie historique, no spécial « Histoire de la famille et analyse de réseaux », 109-1, 2005, p. 7-31. Un article désormais « classique » a contribué à diffuser cette approche, initiée surtout par les sociologues Harrison White et Mark Granovetter dans les pays anglophones : John F. PADGETT et Christopher K. ANSELL, « Robust action and the rise of the Medici, 1400- 1434 », The American Journal of Sociology, 98-6, 1993, p. 1259-1319.
-
[48]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 163.
-
[49]
- Mark S. GRANOVETTER, « The strength of weak ties », American Journal of Sociology, 78-6, 1973, p. 1360-1380 ; Id., « The strength of weak ties : A network theory revisited », Sociological Theory, 1, 1983, p. 201-233 ; pour une synthèse de cette approche, voir du même auteur, « L’influence de la structure sociale sur les activités économiques », Sociologies pratiques, 13-2, 2006, p. 9-36, et B. CONVERT et J. HEILBRON, « La réinvention américaine... », art. cit., p. 342.
-
[50]
- Oliver E. WILLIAMSON préfère le terme de calculativeness : « Calculativeness, trust, and economic organization », Journal of Law and Economics, 36-1, 1993, p. 453-486 ; Timothy W. GUINNANE a récemment repris et développé ces arguments dans « Trust : A concept too many », Cardanus. Jahrbuch für Wissenschaftsgeschichte, 1, 2005, p. 77-92 ; Id., « Les économistes, le crédit et la confiance... », art. cit.
-
[51]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 16.
-
[52]
- Ibid., p. 170-171. F. Trivellato souscrit ici aux idées formulées dans P. JEANNIN, « La diffusion de l’information », art. cit. Voir également son article : Francesca TRIVELLATO, « Merchants’ letters across geographical and social boundaries », in F. BETHENCOURT et F. EGMOND (dir.), Cultural exchange in early modern Europe. 3, Correspondence and cultural exchange in Europe, 1400-1700, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, p. 80-103.
-
[53]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 172.
-
[54]
- Ibid., p. 177-193.
-
[55]
- Ibid., p. 190-193.
-
[56]
- Ibid., p. 181 et 192.
-
[57]
- L’usage du terme « cosmopolite » par Francesca TRIVELLATO est davantage détaillé et explicité dans « A republic of merchants ? », in A. MOLHO, D. R. CURTO et N. KONIORDOS (dir.), Finding Europe : Discourses on margins, communities, images, ca. 13th-ca. 18th centuries, New York, Berghahn Books, 2007, p. 133-157.
-
[58]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 275.
-
[59]
- Ibid., p. 251-270.
-
[60]
- Lisa BERNSTEIN, « Merchant law in a merchant court : Rethinking the code’s search for immanent business norms », University of Pennsylvania Law Review, 144-5, 1996, p. 1765-1821.
-
[61]
- Edmund HERZIG, « The family firm in the commercial organization of the Julfa Armenians », in J. CALMARD (dir.), Études safavides, Paris/Téhéran, Institut français de recherche en Iran, 1993, p. 287-304 ; Id., « Venice and the Julfa Armenian merchants », in B. L. ZEKIYAN et A. FERRARI, Gli Armeni e Venezia. Dagli Sceriman a Mechitar : Il momento culminante di una consuetudine millenaria, Venise, Istituto veneto di scienze, lettere ed arti, 2004, p. 141-164 ; S. ASLANIAN, « Social capital... », art. cit. ; Id. « The circulation of men and credit : The role of the commenda and the family firm in Julfan society », Journal of the Economic and Social History of the Orient, 50-2/3, 2007, p. 124-171 ; Bhaswati BHATTACHARYA, « The ‘Book of Will’ of Petrus Woskan (1680-1751) : Some insights into the global commercial networks of the Armenians in the Indian Ocean », Journal of the Economic and Social History of the Orient, 51-1, 2008, p. 67-98.
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[62]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 149-152.
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[63]
- Ibid., p. 277. L’auteur développe ces enjeux dans Francesca TRIVELLATO, « Sephardic merchants in the early modern Atlantic and beyond : Toward a comparative historical approach to business cooperation », in R. L. KAGAN et P. D. MORGAN (éd.), Atlantic diasporas..., op. cit., p. 99-120. Pour une comparaison entre les réseaux marchands des juifs sépharades, des Arméniens de la Nouvelle-Djoulfa et des marchands indiens de Multan, voir Sebouh David ASLANIAN, From the Indian Ocean to the Mediterranean : The global trade networks of Armenian merchants from New Julfa, Berkeley, The University of California Press, 2010. Je remercie Olivier Raveux de m’avoir signalé la parution prochaine de cet ouvrage.
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[64]
- L’historienne s’inscrit toutefois explicitement dans la lignée des travaux de Sanjay SUBRAHMANYAM, en l’occurrence de « Connected histories : Notes towards a reconfiguration of early modern Eurasia », Modern Asian Studies, 31-3, 1997, p. 735-762.
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[65]
- F. TRIVELLATO, The familiarity of strangers..., op. cit., p. 7.
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[66]
- Caroline DOUKI et Philippe MINARD, « Histoire globale, histoires connectées : un changement d’échelle historiographique ? Introduction », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 54-4 bis, supplément, 2007, p. 7-21, ici p. 21. La reconnaissance des apports de la démarche microhistorienne pour une nouvelle histoire globale avait été soulignée dans « Une histoire à l’échelle globale », Annales HSS, 56-1, 2001, p. 3-4, ici p. 4.