Notes
-
[1]
- Gabriel CHARLIAC, De l’assistance des étrangers indigents devant les tribunaux, Paris, Impr. Henri Jouve, 1905, p. 7-8.
-
[2]
- Carl SCHMITT, Parlementarisme et démocratie, 1923, cité par Gérard NOIRIEL, La tyrannie du national. Le droit d’asile en Europe, 1793-1993, Paris, Calmann-Lévy, 1991, p. 311.
-
[3]
- Catherine DAUVERGNE, Making people illegal : What globalization means for migration and law, Cambridge, Cambridge University Press, 2008.
-
[4]
- Aristide ZOLBERG, « The Great Wall against China : Responses to the first immigration crisis, 1888-1925 », in J. LUCASSEN et L. LUCASSEN (dir.), Migration, migration history, history : Old paradigms and new perspectives, Berne, Peter Lang, 1997, p. 291-315.
-
[5]
- Pour des analyses en français, voir Sandro MEZZADRA, « De la communauté d’intérêts à la lutte de classe. ‘Constitution du travail’ et migrations dans les écrits de Max Weber sur les travailleurs agricoles », Multitudes, 19, 2004, p. 103-118 ; et Michael POLLAK, « Un texte dans son contexte. L’enquête de Max Weber sur les ouvriers agricoles », Actes de la recherche en sciences sociales, 65, 1986, p. 69-75.
-
[6]
- David FELDMAN, « Migrants, immigrants and welfare from the Old Poor Law to the Welfare State », Transactions of the Royal Historical Society, 13, 2003, p. 79-104.
-
[7]
- Laurent DORNEL, La France hostile. Socio-histoire de la xénophobie, 1870-1914, Paris, Hachette littératures, 2004 ; Gérard NOIRIEL, Le massacre des Italiens. Aigues-Mortes, 17 août 1893, Paris, Fayard, 2009 ; et pour l’entre-deux-guerres, Claire ZALC, Melting shops. Une histoire des commerçants étrangers en France, Paris, Perrin, 2010.
-
[8]
- G. NOIRIEL, La tyrannie du national..., op. cit.
-
[9]
- Aristide ZOLBERG, « Managing a world on the move », Population and Development Review, 32, 2006, p. 222-253.
-
[10]
- Yasemin NUHO?LU SOYSAL, Limits of citizenship : Migrants and postnational membership in Europe, Chicago, University of Chicago Press, 1994, notamment le chapitre 8 ; Saskia SASSEN, Losing control ? Sovereignty in an age of globalization, New York, Columbia University Press, 1996.
-
[11]
- Danièle LOCHAK, Face aux migrants. État de droit ou état de siège ?, Paris, Textuel, 2007.
-
[12]
- Bertrand BADIE, Le diplomate et l’intrus. L’entrée des sociétés dans l’arène internationale, Paris, Fayard, 2007.
-
[13]
- David FELDMAN, « Was the nineteenth century a golden age for immigrants ? The changing articulation of national, local and voluntary controls », in A. FAHRMEIR, O. FARON et P. WEIL (dir.), Migration control in the North Atlantic world : The evolution of state practices in Europe and the United States from the French Revolution to the inter-war period, New York, Berghahn Books, 2003, p. 167-177.
-
[14]
- Voir la riche analyse critique de Karine MICHELET, Les droits sociaux des étrangers, Paris, L’Harmattan, 2002. Parmi les obstacles opposés à l’assimilation juridique des étrangers aux nationaux figure l’ambiguïté de certains traités internationaux qui parlent d’« origine nationale » plutôt que de « nationalité », permettant de limiter aux naturalisés l’égalisation des statuts. L’architecture édifiée par les conventions de l’Organisation internationale du travail, dont il sera beaucoup question dans cet article, évite délibérément ce biais.
-
[15]
- Antoine MATH et Alexis SPIRE, « Des emplois réservés aux nationaux ? Dispositions légales et discriminations dans l’accès à l’emploi », Informations sociales, 78, 1999, p. 50- 57 et, pour une mise à jour par les mêmes auteurs, « Emplois fermés : une ouverture timide », Plein droit, 80, 2009 : http://www.gisti.org/spip.php ?article1406.
-
[16]
- Voir la synthèse de François NEUVILLE, Le statut juridique du travailleur étranger en France au regard des assurances sociales, de l’assistance et de la prévoyance sociale, Paris, L. Chauny et L. Quinsac, 1931.
-
[17]
- L’argument est rappelé dans Les étrangers et les Assurances sociales. Guide d’application pratique à l’usage des employeurs de main-d’œuvre étrangère, Paris, Société générale d’immigration et Comité central des assurances sociales, 1930, p. 7.
-
[18]
- Par contraste, voir Pierre LASCOUMES et Patrick LE GALÈS (dir.), Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, 2004.
-
[19]
- Cette lacune est pointée par Frank CAESTECKER, « The transformation of nineteenth-century West European expulsion policy, 1880-1914 », in A. FAHRMEIR, O. FARON et P. WEIL (dir.), Migration control in the North Atlantic world..., op. cit., p. 120-137, ici p. 121. La question est en revanche bien étudiée pour les années 1930 : Philippe RYGIEL (dir.), Le bon grain et l’ivraie. La sélection des migrants en Occident, 1880-1939, La Courneuve, Aux Lieux d’Être, [2004] 2006.
-
[20]
- D. FELDMAN, « Was the nineteenth century a golden age... », art. cit.
-
[21]
- Andreas FAHRMEIR, Citizens and aliens : Foreigners and the law in Britain and the German States, 1789-1870, New York, Berghahn Books, 2000. On doit préciser qu’après plusieurs années d’installation, ces migrants interallemands perdent leur nationalité d’origine au profit de celle de l’État de résidence, disposition dont l’auteur étudie les modalités et les effets pervers.
-
[22]
- Pour prendre quelques exemples, de 1836 à 1850 la Bavière expulse 6 000 à 12 000 vagabonds étrangers par an : A. FAHRMEIR, Citizens and aliens..., op. cit., p. 191. L’Angleterre renvoie 29 000 Irlandais – qui, il est vrai, sont plus des migrants coloniaux que des étrangers – de 1845 à 1849, et 50 000 rien que par Liverpool et Londres dans les cinq années suivantes, en pleine famine de la pomme de terre : D. FELDMAN, « Was the nineteenth century a golden age... », art. cit., p. 170. De 1877 à 1879, plus de 9 500 étrangers sont éloignés de Belgique : Louis-Joseph-Delphin FÉRAUD-GIRAUD, Droit d’expulsion des étrangers. VIIIe commission de l’Institut de droit international : contribution à l’étude de la question, Aix-en-Provence, A. Makaire, 1889, p. 28 sq.
-
[23]
- Sur l’argument du coût du contrôle de la migration, voir K.M. N. CARPENTER, « ‘Beggars appear everywhere !’ Changing approaches to migration control in mid-nineteenth century Munich », in A. FAHRMEIR, O. FARON et P. WEIL (dir.), Migration control in the North Atlantic world..., op. cit., p. 92-105. Sur le mode de gestion d’un État pauvre, voir l’analyse plus générale de Reinhart KOSELLECK, « La désagrégation de la ‘maison’ comme entité de domination. Quelques remarques sur l’évolution du droit réglementant maison, famille et domesticité en Prusse entre la Révolution française et 1848 », in C. DELACROIX, F. DOSSE et P. GARCIA (dir.), Historicités, Paris, La Découverte, 2009, p. 85-104.
-
[24]
- L.-J.-D. FÉRAUD-GIRAUD, Droit d’expulsion des étrangers..., op. cit., p. 58 sq.
-
[25]
- À compter de la fin du XVIIe siècle, les villes des Provinces-Unies ont formalisé ce rôle du cercle des proches en exigeant des immigrants des « lettres de garantie » (acte van indemniteit ou acte van cautie). Voir Marco H. D. VAN LEEUWEN, « Migrants’ entitlements to poor relief in the Netherlands, XVIth-XXth centuries », communication au colloque Migrants, entitlements and welfare, 1500-2000 : Comparative perspectives, Bruxelles, 6-7 septembre 2010.
-
[26]
- Cyrille VAN OVERBERGH, L’assistance aux étrangers : la solution internationale, Bruxelles, A. Dewit, 1912, p. 196 sq.
-
[27]
- Un peu moins de 3 000 expulsions par an sont enregistrées en moyenne de 1876 à 1880 selon L.-J.-D. FÉRAUD-GIRAUD, Droit d’expulsion des étrangers..., op. cit., p. 28, pour une population immigrante d’un million environ au total. Joseph-André DARUT, De l’expulsion des étrangers : principe général, application en France, Aix-en-Provence, Impr. B. Niel, 1902, donne une idée des profils des expulsés à partir d’une série de cas sélectionnée selon son propos mais néanmoins précieuse étant donné le désintérêt de l’historiographie pour la question. Le juriste insiste sur la sévérité et l’arbitraire des sentences prononcées à l’encontre des étrangers (« les exemples abondent d’arrêtés d’expulsion pris à l’encontre d’étrangers qui n’étaient dangereux à aucun point de vue et qu’un moment d’oubli de leur part a condamnés à vivre éloignés de la France, où le plus souvent se trouvent leur famille et leurs intérêts », p. 160 sq.).
-
[28]
- Sur l’échec du projet révolutionnaire de nationaliser l’assistance et sur l’hétérogénéité qui en résulte, voir Pierre ROSANVALLON, L’État en France de 1789 à nos jours, Paris, Éd. du Seuil, 1990, p. 139 sq.
-
[29]
- Voir ÉVEILLÉ, L’assistance aux étrangers en France, Paris, Impr. Jouve et Boyer, 1899. L’auteur dénombre, pour l’année 1896, 55 209 étrangers secourus par les bureaux de bienfaisance contre 1 476 571 Français (p. 64), chiffre qui permet d’affirmer que la proportion des étrangers aidés est supérieure à celle des nationaux, mais pas de mesurer s’ils se heurtent ou non à des taux de refus différents de ceux des indigents français.
-
[30]
- Pour une étude de la transition, postérieure, d’un régime à l’autre, voir dans le cas français Françoise de BARROS, « Secours aux chômeurs et assistances durant l’entre-deux-guerres. Étatisation des dispositifs et structuration des espaces politiques locaux », Politix, 53, 2001, p. 117-144 ; et Hélène FROUARD, Du coron au HLM. Patronat et logement social, 1894-1953, Rennes, PUR, 2008.
-
[31]
- Giandomenico MAJONE, La Communauté européenne : un État régulateur, Paris, Monchrestien, 1996.
-
[32]
- Comme introduction à un long débat historiographique sur sa portée et ses effets, voir l’article séminal de James Stephen TAYLOR, « The impact of pauper settlement 1691-1834 », Past & Present, 73, 1976, p. 42-74 ; et Keith SNELL, « Pauper settlement and the right to poor relief in England and Wales », Continuity and Change, 6-3, 1991, p. 375- 415. Pour une perspective comparative, voir Leo LUCASSEN, « Eternal vagrants ? State formation, migration, and travelling groups in Western Europe, 1350-1914 », in J. LUCASSEN et L. LUCASSEN (dir.), Migration, migration history, history..., op. cit., p. 225-251.
-
[33]
- Philippe RYGIEL, « Indésirables et migrants désirés. Notes sur les pratiques de sélection des migrants dans quelques grands pays d’immigration (1850-1939) », Le bon grain et l’ivraie..., op. cit., p. 21-35.
-
[34]
- Il est ainsi établi que la France du second après-guerre avait, par l’ordonnance du 2 novembre 1945 prohibant la sélection nationale aux frontières, créé des migrants réguliers mais indésirables (les Nord-Africains) et des migrants irréguliers désirables, Italiens puis Portugais. Voir Patrick WEIL, « Racisme et discrimination dans la politique française de l’immigration, 1938-1945/1974-1995 », Vingtième Siècle, 47, 1995, p. 77-102 ; Alexis SPIRE, Étrangers à la carte. L’administration de l’immigration en France, 1945-1975, Paris, Grasset, 2005 ; Victor PEREIRA, « Une migration favorisée. Les représentations et pratiques étatiques vis-à-vis de la migration portugaise en France (1945-1974) », in M.-C. BLANC-CHALÉARD, S. DUFOIX et P. WEIL (dir.), L’étranger en questions du Moyen Âge à l’an 2000, Paris, Le Manuscrit, 2005, p. 285-323.
-
[35]
- Paul WEINDLING, « Migration, race et génocide : l’émergence d’un nouveau discours sur les droits de l’homme », in P. GONZÁLEZ-BERNALDO, M. MARTINI et M.-L. PELUS-KAPLAN (dir.), Étrangers et sociétés : représentations, coexistences, interactions dans la longue durée, Rennes, PUR, 2008, p. 265-270.
-
[36]
- Iouda TCHERNOFF, Du nouveau rôle de l’assistance internationale et le droit de séjour des étrangers, Paris, Chevalier-Marescq, 1899 (tiré à part de la Revue du droit public et de la Science politique en France et à l’étranger, 1899). Sur le milieu de référence de l’auteur, voir Dzovinar KÉVONIAN « Les juristes juifs russes en France et l’action internationale dans les années vingt », Archives Juives, 34-2, 2001, p. 72-94.
-
[37]
- Pour une présentation synthétique, voir P. CHABANEL, Le Congrès international d’assistance de Paris en 1889, Paris, Berger-Levrault, 1891 (tiré à part de la Revue générale d’administration) et, vingt ans plus tard, Nissim SAMAMA, Société internationale pour l’étude des questions d’assistance. Le problème de l’assistance aux étrangers d’après les derniers congrès internationaux, Paris, Masson, 1911.
-
[38]
- Centre des archives diplomatiques de Nantes (CADN), 579PO/1/392 : la citation est extraite d’un courrier du 7 février 1902 de l’ambassade de France à Rome au ministre des Affaires étrangères.
-
[39]
- Archives de l’Istituto Veneto di Scienze, Lettere ed Arti (IVSLA), Venise, fonds Luigi Luzzatti, 153/1. Après avoir été chargé en 1872 par le ministre des Finances, Quintino Sella, de négocier les tarifs douaniers avec « le président Thiers », Luzzatti participera pendant plus de quarante ans à toutes les négociations commerciales italiennes, dont une succession de traités de commerce avec la France.
-
[40]
- Contrepartie explicite du traité, cette création institutionnelle s’insère elle-même dans le cadre des réformes sociales du gouvernement Giolitti. Pour une présentation, voir Enzo BARTOCCI, Le politiche sociali nell’Italia liberale, 1861-1919, Rome, Donzelli, 1999.
-
[41]
- Sur son importance à la fois pour la politique intérieure et extérieure des deux pays et pour l’expansion du droit et des organismes internationaux dans le domaine social, voir Madeleine HERREN, Internationale Sozialpolitik vor dem Ersten Weltkrieg. Die Anfänge europäischer Kooperation aus der Sicht Frankreichs, Berlin, Duncker & Humblot, 1993, p. 140-145.
-
[42]
- Paul-André ROSENTAL, « Géopolitique et État-providence : le BIT et la politique mondiale des migrations dans l’entre-deux-guerres », Annales HSS, 61-1, 2006, p. 99-134.
-
[43]
- Daniel T. RODGERS, Atlantic crossings : Social politics in a progressive age, Cambridge, Belknap Press of Harvard University Press, 1998. Le terme de nébuleuse renvoie bien sûr à Christian TOPALOV (dir.), Laboratoires du nouveau siècle. La nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France, 1800-1914, Paris, Éd. de l’EHESS, 1999.
-
[44]
- Laurence FONTAINE, L’économie morale. Pauvreté, crédit et confiance dans l’Europe pré-industrielle, Paris, Gallimard, 2008.
-
[45]
- Pour un point récent sur la question voir Roberto ZAUGG, « Mercanti stranieri e giudici napoletani. La gestione dei conflitti in antico regime », Quaderni Storici, 45-1, 2010, p. 139-170.
-
[46]
- Suzanne BERGER, Notre première mondialisation. Leçons d’un échec oublié, Paris, Le Seuil, 2003.
-
[47]
- Sur le détail de ces négociations, voir CADN, Ambassade de France à Rome, 579PO/ 1/392, et IVSLA, fonds Luigi Luzzatti, 157/1, ainsi que la correspondance, carton 37, fasc. « Fontaine Arthur » : lettres d’Arthur Fontaine respectivement à Luzzatti (1er avril 1904) et à l’ambassadeur Camille Barrère (24 et 27 novembre 1904).
-
[48]
- Sur les attendus et les effets de cette conférence, voir P.-A. ROSENTAL, « Géopolitique et État-providence... », art. cit. Une présentation de ses décisions est disponible en français dans Conférence internationale de Berlin en vue d’établir une législation sur le travail des enfants et des femmes, Paris, Imprimerie nationale, 1891.
-
[49]
- Erich NOHER, Die internationalen Verträge über die Aus- und Einwanderung, Zurich, Dietrich Schindler, s. d. [1936].
-
[50]
- En 1904, l’un des arguments utilisés par les réformateurs français pour soumettre à leur gouvernement le projet d’accord franco-italien est de créer une voie juridique « latine » à la résolution juridique de la migration internationale, jusque-là dominée par le droit allemand. Cette compétition de modèle donnait à l’époque une grande importance politique à la Suisse, capable de jouer entre les deux modèles.
-
[51]
- « L’accomplissement et l’amélioration des œuvres de pitié sont une branche de cette vie sociale dont le domaine n’est pas exclusivement national, mais ne peut atteindre sa plénitude que s’il est question de l’humanité entière » (p. 3).
-
[52]
- « Ce simple fait que les peuples comprennent désormais ces secours apportés aux indigents étrangers dans les nécessités d’une assistance efficace, est une des plus grandes conquêtes contemporaines de l’idée humanitaire » (p. 4).
-
[53]
- « L’assistance est à la fois humaine, c’est-à-dire internationale, lorsqu’on n’en considère que la base normale, et nationale lorsqu’il s’agit de la réalisation immédiate et de la collaboration de tous les citoyens » (p. 4).
-
[54]
- Sur cet entrelacs, voir Marie-Claude BLAIS, La solidarité. Histoire d’une idée, Paris, Gallimard, 2007.
-
[55]
- Pour reprendre l’expression de Gérard NOIRIEL, État, nation et immigration. Vers une histoire du pouvoir, Paris, Gallimard, 2001, p. 445.
-
[56]
- Tel Lucien Baudelot (1869-1954), qui termine sa carrière à la fois comme représentant de l’Ordre des avocats au Conseil supérieur de la magistrature et comme président de l’assistance judiciaire. Je remercie Christian Baudelot pour les précisions biographiques qu’il m’a fournies à son propos.
-
[57]
« N’avons-nous pas admis les étrangers, comme nos nationaux, au bénéfice de l’assistance judiciaire ? En cas d’accidents du travail, n’ont-ils pas droit aux garanties de la loi du 9 avril 1898 ? Allons-nous maintenant, en nous donnant un démenti à nous-mêmes, exclure le prolétariat étranger qui veut prendre sa part de notre civilisation et de notre lumière ; lui dirons-nous sous l’empire d’une sorte de chauvinisme cynique : ‘Ôte-toi de notre soleil !’ » (Chambre des députés, 26 novembre 1903, no 1322).
-
[58]
- G. CHARLIAC, De l’assistance des étrangers indigents..., op. cit., p. 30. L’ensemble de ce paragraphe est issu des analyses de l’auteur.
-
[59]
- Pour reprendre l’expression du juriste Charles-Henri Vergé (1810-1890), cité par Martti KOSKENNIEMI, The gentle civilizer of nations : The rise and fall of international law, 1870-1960, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, p. 27.
-
[60]
- CADN, 579PO/1/392 : lettre du ministre du Travail et de la Prévoyance sociale, René Viviani, au ministre des Affaires étrangères, Stephen Pichon, 21 juin 1909.
-
[61]
- Ibid., rapport du 11 septembre 1919.
-
[62]
- HANNAH ARENDT, « Le déclin de l’État-nation et la fin des droits de l’homme », Les origines du totalitarisme, Paris, Gallimard, [1951] 2002, p. 576 et 593, a réservé ses sarcasmes aux « efforts des idéalistes bien intentionnés, qui s’entêtent à considérer comme ‘inaliénables’ ces droits humains dont ne jouissent que les citoyens des pays les plus prospères et les plus civilisés ». Au premier rang des « personnalités marginales » raillées par la philosophe figurent précisément, aux côtés des « philanthropes professionnels », les « juristes du droit international sans expérience politique ».
-
[63]
- Sur l’analyse de la généralisation (juridique et extra-juridique) par les sciences sociales, voir Jean-Claude PASSERON et Jacques REVEL (dir.), Penser par cas, Paris, Éd. de l’EHESS, 2005 ; ainsi que « Formes de la généralisation », no spécial des Annales HSS, 62-1, 2007.
-
[64]
- Voir la discussion par le pionnier du droit du travail (et à l’occasion négociateur de traités bilatéraux sur les migrations), William OUALID, « Pour une politique internationale des migrations de travailleurs », Revue de l’immigration, 22-2, 1930, p. 16-21.
-
[65]
- Outre Christoph RASS, « Bilaterale Wanderungsverträge und die Entwicklung eines internationalen Arbeitsmarktes in Europa, 1919-1974 », Geschichte und Gesellschaft, 35-1, 2009, p. 98-134, et P.-A. ROSENTAL, « Géopolitique et État-providence... », art. cit., pour la question des migrations, voir Christoph CONRAD (dir.), « Sozialpolitik transnational », Geschichte und Gesellschaft, 32-4, 2006 ; Kenneth BERTRAM et Sandrine KOTT (dir.), « Actions sociales transnationales », Genèses, 71, 2008 ; Aiqun HU et Patrick MANNING, « The global social insurance movement since the 1880s », Journal of Global History, 5-1, 2010, p. 125-148.
-
[66]
- Dzovinar KÉVONIAN, « Réflexions pour une Europe sociale : la question des réfugiés et le tournant des années 1929-1933 », in S. SCHIRMANN (dir.), Organisations internationales et architectures européennes, 1929-1939, Metz, CRHCEO, 2003, p. 213-228.
-
[67]
- Maurizio FERRARA, Les nouvelles frontières du social. L’intégration européenne et les transformations de l’espace politique de la protection sociale, Paris, Presses de la FNSP, 2009. Sur le processus de mutation des principes de l’OIT pendant la Seconde Guerre mondiale, voir Bernard DELPAL, « Le refuge américain de l’OIT (1940-1946). De l’esprit de Genève à l’esprit de Philadelphie, place du syndicalisme dans la stratégie de reconstruction », in I. LESPINET-MORET et V. VIET (dir.), L’Organisation internationale du Travail. Origine, développement, avenir, Rennes, PUR, 2011, p. 107-120.
-
[68]
- Voir de ce point de vue, en matière migratoire, l’exemplaire ouvrage de François MANCHUELLE, Les diasporas des travailleurs soninké (1848-1960). Migrants volontaires. Paris, Karthala, 2004.
-
[69]
- Nancy GREEN et François WEIL (dir.), Citoyenneté et émigration. Les politiques du départ, Paris, Éd. de l’EHESS, 2006.
-
[70]
- Le dépouillement et la traduction des plaintes ont été effectués à Prague par Emanuela Mackova.
-
[71]
Archives du ministère des Affaires étrangères, République de Tchécoslovaquie, Prague, Consulat de Lyon, correspondance du 19 décembre 1920.
-
[72]
- Archives du ministère des Affaires étrangères, République de Tchécoslovaquie, Prague, Ve section (administrative), partie 6, carton 456.
-
[73]
- Il est plus aisé en effet d’observer des logiques de chaînes et de filières que d’objectiver la concurrence sur des niches économiques qui se traduit souvent par la disparition des flux « perdants ». Voir toutefois Gary MORMINO, « ‘We worked hard and took care of our own’ : Oral history and Italians in Tampa », Labor History, 23-3, 1982, p. 395- 415 ; Corinne MAITTE, « Coopération et concurrence entre verriers migrants à l’époque moderne », in P. GONZÁLEZ-BERNALDO, M. MARTINI et M.-L. PELUS-KAPLAN (dir.), Étrangers et sociétés..., op. cit., p. 317-335 ; Laurence FONTAINE, « Montagnes et migrations de travail. Un essai de comparaison globale (XVe-XXe siècles) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 52-2, 2005, p. 26-48. Pour une formalisation, voir Samuel A. STOUFFER, « Intervening opportunities and competing migrants », Journal of Regional Science, 2-1, 1960, p. 1-26.
-
[74]
- CADN, Ambassade de France à Prague, 545PO/1/10, lettre du ministre des Affaires étrangères à l’ambassadeur, 15 juillet 1919 : « Il y aurait intérêt à entamer des pourparlers avec le gouvernement tchécoslovaque en l’informant que des projets de traités de travail sont à l’étude entre le Gouvernement français et différents pays étrangers. »
-
[75]
- Le contrat de travail « n’est plus une simple variante sans grand intérêt du louage en général, mais un contrat d’une grande importance sociale ayant sur le plan juridique une individualité propre vis-à-vis de tout autre type de contrat. C’est lui qui fait vivre la majorité des hommes dans tous les pays du monde [...]. Les nombreux traités internationaux conclus sous l’inspiration du Bureau International du Travail y ont beaucoup contribué », résume Kurt KRONHEIM, Les conflits de lois en matière de contrat de travail. Étude de jurisprudence comparée, Paris, Librairie technique et économique, 1938, p. 6.
-
[76]
- Les travailleurs migrants. Recrutement, placement et conditions de travail, Genève, BIT, 1936, p. 183 : « Le contrat-type de travail, cheville ouvrière du recrutement, s’intègre dans le système même du traité bilatéral et prend, lui aussi, la valeur d’un engagement international. » Permettant de compléter des traités énonçant des principes durables « par des textes précis mais plus facilement remaniables et adaptés aux circonstances [...], il constitue en quelque sorte la partie mobile du traité ».
-
[77]
Aux États-Unis, au contraire, les syndicats ont une piètre estime du contrat de travail, apanage selon eux des travailleurs migrants non qualifiés. Catherine COLLOMP, « Labour unions and the nationalisation of immigration restriction in the United States, 1880-1924 », in A. FAHRMEIR, O. FARON et P. WEIL (dir.), Migration control in the North Atlantic world..., op. cit., p. 237-252.
-
[78]
- Les travailleurs migrants..., op. cit., p. 180. Les syndicats européens entreprennent même de s’organiser sectoriellement afin d’obtenir une régulation transnationale du marché du travail, à l’image en 1923 de la Conférence internationale des travailleurs du bâtiment de France, Allemagne, Italie, Tchécoslovaquie, Hongrie, Belgique. Elle fonde un Bureau international de la main-d’œuvre étrangère en France qui entreprend le « recrutement syndical de toute main-d’œuvre des autres nationalités nécessaires » et s’efforce de lui assurer « le maximum de garanties et de sécurité possible concernant les salaires, les accidents du travail, l’hygiène, etc. » sous le contrôle de l’internationale du bâtiment (id., p. 216-217).
-
[79]
- Pour une formulation explicite de ces enjeux, W. OUALID, « Pour une politique internationale des migrations... », art. cit., p. 16-21. L’analyse est transposable aux populations les plus vulnérables si l’on observe, dans la France du XIXe siècle, la diffusion des contrats écrits d’apprentissage ou de travail dans le milieu agricole ou artisanal via le placement par l’État des enfants trouvés et pupilles de l’assistance publique. Voir Ivan JABLONKA, « Agrarisme et État-providence. Le travail des enfants abandonnés sous la Troisième République », Le Mouvement Social, 209, 2004, p. 9-24 ; et Id., Les enfants de la République. L’intégration des jeunes de 1789 à nos jours, Paris, Le Seuil, 2010. Des dynamiques similaires, mais mises en œuvre par des associations, ont été étudiées dans le cas des migrations de jeunes travailleuses par Caroline DOUKI, « Entre discipline manufacturière, contrôle sexué et protection des femmes : recrutement, encadrement et protection des jeunes migrantes italiennes vers les usines textiles européennes (France, Suisse, Allemagne) au début du XXe siècle », Migrations Société, 127, 2010, p. 89-120. De nos jours, l’écho le plus spectaculaire de ces processus est sans doute le rôle des migrants intérieurs ruraux, exclus de la pleine citoyenneté sociale, dans la mise en œuvre effective du droit social dans la Chine contemporaine : Isabelle THIREAU et Linshan HUA, « Jugements de légitimité et d’illégitimité : la vie normative dans les nouveaux lieux de travail en Chine », Revue française de sociologie, 46-3, 2005, p. 529- 558 ; Chloé FROISSART, « The rise of migrant workers’ collective action : Toward a new social contract in China », in G. GUIHEUX et K. E. KUAH-PEARCE (dir.), Social movement in China and Hong Kong : The expansion of protest space, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2009, p. 155-178.
-
[80]
- Archives nationales (AN), F10 2748, lettre du ministre de l’Agriculture, Henri Queuille, aux préfets, 23 mars 1934.
-
[81]
Catherine COLLOMP, « Immigrants, labor markets, and the state, a comparative approach : France and the United States, 1880-1930 », The Journal of American History, 86-1, 1999, p. 41-66, ici p. 62 et 66.
-
[82]
- F. NEUVILLE, Le statut juridique du travailleur étranger..., op. cit., p. 106 sq.
-
[83]
Archives du ministère des Affaires étrangères, République de Tchécoslovaquie, Prague, Ve section (administrative), partie 6, carton 486. Comme le déplore Karel Hanus, « référent social » du ministère auprès des émigrés tchécoslovaques en France, lors d’une réunion du 16 mars 1937 au ministère de l’Agriculture à Prague, la retenue salariale imposée aux ouvriers saisonniers n’a « aucun intérêt car ils n’ont droit à l’assurance sociale qu’après six mois, moment où expire leur contrat de travail et où ils rentrent en Tchécoslovaquie ».
-
[84]
- Carl STRIKWERDA, « The troubled origins of European economic integration : International iron and steel and labor migration in the era of World War I », The American Historical Review, 98-4, 1993, p. 1106-1129, observe leur importance, dès avant 1914, dans la concurrence sur la main-d’œuvre qui oppose les industriels du bassin transfrontalier situé entre France, Allemagne, Belgique et le Luxembourg.
-
[85]
- Nombreux exemples dans AN, F10 2748.
-
[86]
- Sur l’effet de la fiscalité sur les migrations interallemandes au XIXe siècle, voir Mark SPOERER, « The evolution of public finances in nineteenth-century Germany », in J. L. CARDOSO et P. LAINS (dir.), Paying for the liberal state : The rise of public finance in nineteenth-century Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 2010, p. 103-131, notamment p. 121 sq.
-
[87]
- Archives du ministère des Affaires étrangères, République de Tchécoslovaquie, Prague, Ve section (administrative), partie 6, carton 456, rapport de Karel Hanus, 27 mai 1932.
-
[88]
- F. NEUVILLE, Le statut juridique du travailleur étranger..., op. cit., p. 131.
-
[89]
- Mary D. LEWIS, The boundaries of the Republic : Migrant rights and the limits of universalism in France, 1918-1940, Stanford, Stanford University Press, 2007.
-
[90]
- Ibid., sur la supériorité relative du régime d’immigrant étranger protégé par un traité bilatéral sur la condition de travailleur colonial. Notons au passage que la question de la protection légale des travailleurs étrangers dans l’empire français reste largement à explorer, alors qu’elle est présente à l’esprit d’un réformateur comme dans IVSLA, fonds Luigi Luzzatti, 175/1, Conditions actuelles des Italiens en Tunisie, s. d. (prob. 1907), document anonyme.
-
[91]
- Victor PEREIRA, « Entre modernisateurs et conservateurs : les débats au Portugal sur l’émigration portugaise en France, 1958-1974 », Actes de l’histoire de l’immigration, 3, 2003 : http://barthes.ens.fr/clio/revues/AHI/articles/volumes/per.html, propose une dense analyse de la contradiction des intérêts au sein des élites d’un pays d’émigration, le Portugal salazariste.
-
[92]
- Le souci de protection de l’information véhiculée par les migrants qualifiés est la parfaite continuation d’une logique qui prévalait à l’époque moderne : voir Corinne MAITTE, Les chemins de verre. Les migrations des verriers d’Altare et de Venise, XVIe-XIXe siècles, Rennes, PUR, 2009, p. 214 sq.
-
[93]
- Archives du ministère des Affaires étrangères, République de Tchécoslovaquie, Prague, Ve section (administrative), partie 6, carton 456, résumé des négociations franco-tchèques depuis 1920 sur l’assistance aux indigents malades et, du côté français, AN, F10 2749.
-
[94]
- Rapport présenté le 3 juin 1937 par Jean Neyret (groupe de l’Union démocratique et radicale) au nom de la commission sénatoriale de l’hygiène, de l’assistance, de l’assurance et de la prévoyance sociales (Sénat, no 322).
-
[95]
- En examinant les plaintes et sollicitations soumises au député Édouard Daladier par les habitants du Vaucluse, Frédéric MONIER, La politique des plaintes. Clientélisme et demandes sociales dans le Vaucluse d’Édouard Daladier (1890-1940), Paris, La Boutique de l’Histoire, 2007, p. 231 sq., débouche sur une interrogation similaire.
-
[96]
- A. SPIRE, Étrangers à la carte..., op. cit., p. 46 sq.
-
[97]
- Caroline DOUKI, David FELDMAN et Paul-André ROSENTAL, « Pour une histoire relationnelle du ministère du Travail en France, en Italie et au Royaume-Uni dans l’entre-deux-guerres : le transnational, le bilatéral et l’interministériel en matière de politique migratoire », in A. CHATRIOT, O. JOIN-LAMBERT et V. VIET (dir.), Les politiques du travail, 1906-2000. Acteurs, institutions, réseaux, Rennes, PUR, 2006, p. 143-159.
-
[98]
- Archives du BIT, Genève, L4/13/1. Comme le conclut, dans un rapport interne, le représentant du BIT, Jacques Legouis, à la conférence internationale sur les cartes de transit organisée en juin 1929 par la SDN à Genève, « les compagnies de navigation deviennent de plus en plus de véritables agents des autorités, responsables envers celles-ci de l’observation des règlements d’immigration et de transit, et constituent en quelque sorte des cautions mises à profit dans les cas d’infractions commises aussi bien par l’émigrant ou des tiers que par leurs propres employés. De plus en plus elles prolongent considérablement l’action des services officiels en matière de recrutement, sélection, examen médical, assistance pendant le déplacement, contrôle de toute sorte, rapatriement, etc. ». Cette tentative de délégation de souveraineté est observable dès la fin du XIXe siècle, voir Katja WÜSTENBECKER, « Hamburg and the transit of East European emigrants », in A. FAHRMEIR, O. FARON et P. WEIL (dir.), Migration control in the North Atlantic world..., op. cit., p. 227-234, notamment p. 228 sq. Voir aussi l’article de Caroline Douki dans le présent dossier.
-
[99]
- Stéphane DE TAPIA, « La route turque des Balkans, itinéraire principal et variantes des années 1950 à nos jours », Relations Internationales, 96, 1998, p. 431-449, montre notamment avec quelle rapidité les itinéraires terrestres d’acheminement des migrants turcs en Europe occidentale ont pu être réadaptés aux phases successives des guerres des Balkans dans les années 1980 et 1990.
-
[100]
- Manuela MARTINI et Philippe RYGIEL (dir.), « Genre, filières migratoires et marché du travail. Acteurs et institutions de la société civile en Europe au XXe siècle », Migration Société, 127, 2010.
-
[101]
- Archives du ministère de la Prévoyance sociale, République de Tchécoslovaquie, Prague, fonds 367, 2423/E3/e-14/1784 : on en prendra pour exemple la demande relayée le 24 janvier 1930 par la Ceska kolonizacni spol (Société tchèque de colonisation) : la Société Theg à Hénin-Liétard souhaite recruter deux cimentiers célibataires et quatre mariés, quatre maçons célibataires, quatre planchéieurs célibataires, deux plieurs de fer célibataires et un chef maçon marié sans sa famille. La demande n’est pas isolée : les archives du ministère tchécoslovaque de l’Agriculture (83/2/545) contiennent par exemple un formulaire-type de « Demande pour le recrutement d’une famille de maîtres-valets » qui, en 1922, permet aux exploitants français de préciser non seulement les qualifications qu’ils attendent des immigrants mais aussi « si possible » la composition de leur ménage (nombre maximum d’hommes, de femmes et d’enfants).
-
[102]
- Sur les conditions d’embauche des Polonais en France, voir Janine PONTY, Polonais méconnus. Histoire des travailleurs immigrés en France dans l’entre-deux-guerres, Paris, Publications de la Sorbonne, 1988 ; et sur l’immigration agricole, voir Ronald HUBSCHER, L’immigration dans les campagnes françaises, XIXe-XXe siècle, Paris, Odile Jacob, 2005.
-
[103]
- AN, F10 2749, Rapport sur la sélection médicale en Tchécoslovaquie, 2 septembre 1932.
-
[104]
- Archives du ministère de l’Agriculture, Prague, 83/2/545. Dans les interminables listes de plaintes que relaie le ministère de l’Agriculture français à son homologue tchécoslovaque, il est fréquent que l’écart entre les compétences déclarées et l’expérience réelle paraisse considérable. C’est le cas de la protestation reçue le 2 avril 1924 de l’infortuné Lencauchez au sujet du ménage slovaque qu’il comptait employer dans sa vacherie : « ces gens d’une incompétence absolue [...] sortent sûrement d’une ville où ils n’ont vu des vaches que sur des images ».
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[105]
- Archives du ministère de la Prévoyance sociale, Prague, fonds 367, 2423/E3/e-14/ 1784. Par son degré de précision, la correspondance entre les ministères français et les institutions tchécoslovaques (consulats et, le cas échéant, remontée dans les ministères à Prague) confirme la contribution du contrôle administratif de la migration à la codification du marché du travail. Ainsi, le 14 décembre 1929, le consulat général de Tchécoslovaquie relaie à la direction (française) du Travail la plainte de deux ouvriers d’une entreprise de bâtiment ne touchant que 3,50 F de l’heure au lieu des 5 F garantis dans leur contrat. Dans sa réponse datée du 27 février 1930, l’administration française rétorque, après avoir effectué une enquête sur les lieux, que la plupart des ouvriers tchécoslovaques employés par l’entreprise « n’ont pu justifier de leur qualification professionnelle et ont été rémunérés suivant leurs capacités véritables [...]. Les autres ouvriers dont les essais ont été satisfaisants touchent les 5 F de l’heure prévus au contrat ».
-
[106]
- Laura Lee DOWNS, L’inégalité à la chaîne. La division sexuée du travail dans l’industrie métallurgique en France et en Angleterre, 1914-1930, Paris, Albin Michel, [1995] 2002, chap. 3.
-
[107]
- Ce modèle n’est pas sans rapport avec celui que propose, pour l’époque moderne, Wolfgang KAISER dans plusieurs travaux, dont Le commerce des captifs. Les intermédiaires dans l’échange et le rachat des prisonniers en Méditerranée, XVe-XVIIesiècles, Rome, École française de Rome, 2008.
-
[108]
- Clifford ROSENBERG, Policing Paris : The origins of modern immigration control between the wars, Ithaca, Cornell University Press, 2006.
-
[109]
- Anne-Sophie BRUNO et al., « Jugés sur pièces. Le traitement des dossiers de séjour et de travail des étrangers en France (1917-1984) », Population, 61-5/6, 2006, p. 737-762.
-
[110]
- AN, F10 2749. Comme le conclut, le 18 septembre 1930, le mémoire relatif à la suppression du passeport envisagée pour les ouvriers agricoles tchécoslovaques se rendant en France de la Mission du ministère de l’Agriculture français à Prague, « l’obligation du passeport, et les difficultés qui en résultent, mettent effectivement les recrutements pour la France, par rapport à certains pays, dans une situation défavorable. La suppression apporterait certainement des avantages appréciables aux ouvriers, aux employeurs et au Service de la main-d’œuvre et de l’immigration agricole au ministère français de l’agriculture ».
-
[111]
- C. DOUKI, D. FELDMAN et P.-A. ROSENTAL, « Pour une histoire relationnelle du ministère du Travail... », art. cit., p. 151 sq.
-
[112]
- Sandro RINAURO, Il cammino della speranza. L’emigrazione clandestina degli Italiani nel secondo dopoguerra, Turin, Einaudi, 2009.
-
[113]
F. CAESTECKER, « The transformation of nineteenth-century West European expulsion policy... », art. cit., p. 120.
-
[114]
- Caroline DOUKI, « L’État libéral italien face à l’émigration de masse (1860-1914) », in N. GREEN et F. WEIL (dir.), Citoyenneté et émigration..., op. cit., p. 95-117. Pour un modèle d’analyse de ce type de configuration (mais appréhendée à partir des professionnels du droit), voir Liora ISRAËL, « Usages militants du droit dans l’arène judiciaire : le cause lawyering », Droit et société, 49, 2001, p. 793-824.
-
[115]
- Brian BARBOUR et Brian GORLICK, « Embracing the ‘responsibility to protect’ : A repertoire of measures including asylum for potential victims », International Journal of Refugee Law, 20-4, 2008, p. 533-566.
-
[116]
- B. BADIE, Le diplomate et l’intrus..., op. cit.
-
[117]
Charles W. KEGLEY et Gregory A. RAYMOND, Exorcising the ghost of Westphalia : Building world order in the new millenium, Upper Saddle River, Prentice Hall, 2002.
-
[118]
Andreas OSIANDER, « Sovereignty, international relations, and the Westphalian myth », International Organization, 55-2, 2001, p. 251-287. Sur les usages politiques ultérieurs de ce traité, voir aussi Claire GANTET, « La paix de Westphalie », in É. FRANÇOIS et H. SCHULZE (dir.), Mémoires allemandes, Paris, Gallimard, [2001] 2007, p. 121-142.
-
[119]
- Christophe DUHAMELLE, La frontière au village. Une identité catholique allemande au temps des Lumières, Paris, Éd. de l’EHESS, 2010, p. 203 sq. Sur la discussion de ce problème par les contemporains, voir Guillaume GARNER, « La question douanière dans le discours économique en Allemagne (seconde moitié du XVIIIesiècle) », Histoire, économie & société, 23-1, 2004, p. 39-54.
-
[120]
- Voir la synthèse récente d’Angelo TORRE (dir.), Per vie di terra. Movimenti di uomini e di cose nelle società di antico regime, Milan, F. Angeli, 2007.
-
[121]
- Voir C. DUHAMELLE, La frontière au village..., op. cit., notamment chap. 8 et 10, sur ce jeu entre tensions quotidiennes et « coexistence dans le cadre de la paix publique perpétuelle » (p. 205). On peut avec profit comparer le traitement de la question en Inde, où les pèlerinages constituent une question politique majeure. Voir la première partie de l’ouvrage dirigé par Frédéric LANDY et Véronique DUPONT (dir.), Circulation et territoires dans le monde indien contemporain, Paris, Éd. de l’EHESS, 2010.
-
[122]
- Sur la longue histoire – elle commence dès la création de la Confédération – de la négociation d’un traité migratoire entre États allemands, voir A. FAHRMEIR, Citizens and aliens..., op. cit., p. 32 sq.
-
[123]
- Angela GROPPI, Il welfare prima del welfare. Assistenza alla vecchiaia e solidarietà tra generazioni a Roma in età moderna, Rome, Viella, 2010.
-
[124]
- Voir L.-J.-D. FÉRAUD-GIRAUD, Droit d’expulsion des étrangers..., op. cit., p. 61 sq.
-
[125]
- Il en va ainsi d’un épisode de décembre 1892 discuté par Robert CUGNIN, L’expulsion des étrangers, Nancy, Impr. A. Crépin-Leblond, 1912, p. 109 : « La gendarmerie du Grand-Duché de Luxembourg a refoulé, pour rapine et mendicité, quarante-cinq nomades (Russes et Espagnols pour la plupart) expulsés par la France ; aussi celle-ci les réexpulsa-t-elle le lendemain ; alors les gendarmes luxembourgeois les conduisirent en Lorraine annexée pour les diriger, sur leur demande, vers la Suisse ; mais la gendarmerie allemande les ramena au Luxembourg, d’où ils furent, le lendemain, encore une fois reconduits en Allemagne, et de nouveau, d’Allemagne en Luxembourg, de sorte qu’ils restèrent campés à cheval sur la frontière et furent nourris par les autorités du Grand-Duché en attendant que leur cas fût tranché. »
-
[126]
- Ce sont ici non seulement les travaux de Marc Augé qui sont convoqués mais leur application aux zones de transit, qui de nos jours prennent la forme de zones de détention cantonnant et isolant du reste de la société les candidats au droit d’asile : Michel AGIER, « Quel temps aujourd’hui en ces lieux incertains ? », L’Homme, 185-186, 2008, p. 105-120.
-
[127]
- C. VAN OVERBERGH, L’assistance aux étrangers..., op. cit., p. 4. Du grand livre de M. KOSKENNIEMI, The gentle civilizer of nations..., op. cit., sur l’élaboration du droit international, il reste à écrire le pendant à l’échelle des pratiques : la place des juristes internationalistes dans la rédaction des traités bilatéraux et donc dans la création d’une architecture légale transnationale est encore mal connue. Son étude tempérerait sans doute le constat d’un échec relatif dressé par le Finlandais.
-
[128]
- Le député radical-socialiste Félix Defontaine le concède avec regret dans sa proposition de loi du 20 novembre 1903 sur la protection du travail national : la loi de 1893 « a été votée sous le coup des objections que nous avons énumérées plus haut, c’est-à-dire lorsqu’il parut établi par la discussion que les traités internationaux s’opposaient à ce que les étrangers fussent frappés d’une taxe ; [...] la conclusion qu’on en a tirée est qu’on ne pouvait arriver à protéger le travail national que d’une façon indirecte, c’est-à-dire par une loi de police intérieure » (Chambre des députés, no 1308). Le 6 mai 1893, le ministre des Affaires étrangères, Jules Develle, était intervenu devant la Chambre des députés pour écarter l’idée d’une taxation des ouvriers étrangers au nom des nombreux traités garantissant aux États cosignataires la clause de la nation la plus favorisée. Voir aussi Nicolas DELALANDE, Les batailles de l’impôt. Consentement et résistances de 1789 à nos jours, Paris, Le Seuil, 2011, p. 98 sq.
-
[129]
Sur la portée méthodologique plus générale des phénomènes migratoires, voir Andreas WIMMER et Nina GLICK SCHILLER, « Methodological nationalism, the social sciences, and the study of migration : An essay in historical epistemology », International Migration Review, 37-3, 2003, p. 576-610.
-
[130]
- Michel AGIER, Gérer les indésirables. Des camps de réfugiés au gouvernement humanitaire, Paris, Flammarion, 2008.
-
[131]
- Gérard NOIRIEL, Réfugiés et sans papiers. La République et le droit d’asile, XIXe-XXe siècle, Paris, Hachette, 1998. Il est à noter que le nouvel intitulé ramenait l’aire couverte par l’ouvrage de l’Europe à la France.
-
[132]
- M. KOSKENNIEMI, The gentle civilizer of nations..., op. cit.
-
[133]
- Kay HAILBRONNER, « Readmission agreements and the obligation of states under public international law to readmit their own and foreign nationals », Zeitschrift für ausländisches öffentliches Recht und Völkerrecht, 57, 1997, p. 1-49.
-
[134]
- Imke KRUSE, « EU readmission policy and its effects on transit countries : The case of Albania », European Journal of Migration and Law, 8, 2006, p. 115-142, ici p. 120 sq. L’auteur dénombre à la fin 1999 cent trente accords de réadmission conclus entre les 15 pays de l’Union européenne (étendue à l’Islande et à la Norvège) d’une part, 58 pays tiers d’autre part et ajoute, selon un raisonnement comparable à celui des juristes internationaux du XIXe siècle : « Il existe une dualité à l’œuvre dans la souveraineté étatique. Si un État est tenu de réadmettre ses ressortissants expulsés des pays tiers, cette obligation elle-même découle du droit de ces pays d’expulser leurs étrangers. Par souci de la crédibilité de la souveraineté, les États membres de l’Union européenne revendiquent régulièrement le respect des décisions des autorités d’immigration y compris lorsqu’elles refusent à des étrangers le droit de séjour, en insistant sur leur responsabilité dans la sauvegarde du régime international des réfugiés. »
-
[135]
- Ce travail, que je dédie à Bruno Karsenti pour son amitié, a été réalisé grâce au soutien de la Mission Recherche du ministère des Affaires sociales, du Programme Vulnérabilités de l’ANR et du Projet-Phare P 11-1 de l’Ined. Au cours des années, il a impliqué Élise Boscherel, Marjorie Bourdelais, Davina El-Baze, Charles de Froment, Emanuela Mackova et Giovanni Sbordone. Je remercie pour leurs commentaires et suggestions Frédéric Audren, Alain Chatriot, Renaud Dehousse, Caroline Douki, Nicolas Delalande, David Feldman, Ivan Jablonka, Jean Leca, Élodie Richard et Vincent Viet. J’ai également bénéficié des stimulantes discussions qui ont suivi la présentation de cette recherche dans des colloques et séminaires organisés successivement par Wolfgang Kaiser et Claudia Moatti à l’ENS-Ulm, Steve King à l’université d’Oxford-Brookes, Dieter Gosewinkel au WzB Berlin, Bruno Latour à Sciences Po, Martin Lengwiler à l’université de Bâle, ainsi qu’au séminaire du groupe Esopp, aux colloques Actualité d’Abdelmalek Sayad en 2006, Identities in Europe de l’université de Londres Queen Mary en 2006, Migrants, entitlements and welfare de l’Académie royale flamande de Belgique en 2010 et aux Journées du Centre de recherches historiques en 2009.
Parmi les idées morales dont le XIXe siècle a vu [...] un développement considérable, il en est deux qui semblent occuper, de plus en plus, les esprits depuis quelques années. La première est un souci constant de l’amélioration du sort des plus pauvres et des devoirs de l’État envers eux. La deuxième est la tendance, chaque jour plus marquée, à considérer comme injuste toute incapacité, toute inégalité entre les individus basée sur des considérations de frontières ou de nationalités. C’est la disparition de la vieille « haine de l’Étranger » remplacée de plus en plus, à mesure que décroît le prestige de la guerre, et que se développe le commerce international, par un traitement égal pour le national et pour l’étranger [1]. La force politique d’une démocratie se manifeste à sa capacité d’écarter ou de tenir éloigné l’étranger et le non-semblable, celui qui menace son homogénéité [2].
1 Le tournant policier et répressif que connaissent les politiques migratoires de l’Europe contemporaine depuis deux décennies [3] corrobore l’idée d’une « nationalisation » et d’une bureaucratisation croissantes des flux de mobilité internationale depuis la fin du XIXe siècle. Dans les années 1880 et 1890, en effet, fut mis en place un contrôle étatique objectivé par des procédures d’identification de plus en plus serrées et contraignantes.
2 Ce mouvement ne faisait qu’institutionnaliser l’ample tournant nationaliste et xénophobe qui était alors en train de se produire. L’Amérique et les pays du Pacifique initiaient ou accentuaient des mesures de contrôle de l’immigration asiatique [4]. En Europe, l’Allemagne unifiée expulsait plusieurs dizaines de milliers de Polonais et de juifs au nom d’un processus de germanisation que le jeune Max Weber prit la peine de justifier [5]. En Angleterre, la transposition, en 1905, du système de protection sociale de l’échelle locale à l’échelle nationale projetait sur les immigrants, généralement juifs, d’Europe orientale, le rôle de repoussoir dévolu jusqu’alors aux migrants internes dénués de ressources [6]. La France multipliait les violences et les lois xénophobes, à une époque où son marché du travail ainsi que l’accès à la protection sociale se restructuraient autour de l’opposition entre nationaux et étrangers [7].
3 De ce nouveau régime migratoire, la modélisation qui a été donnée peut être qualifiée, en référence au titre de l’ouvrage fondateur de Gérard Noiriel [8], de « tyrannie du national », même si elle ne se limite pas à la France ni à l’Europe [9]. Ce régime continue dans une large mesure à régner de nos jours, non sans provoquer des contestations qui semblent de plus en plus profondes. Certains politistes voient dans la période actuelle la lutte inédite entre la toute-puissance traditionnelle des États et une aspiration nouvelle de la société civile à ce que l’on pourrait appeler un principe de « citoyenneté transnationale », construction à la fois identitaire (l’identité de la personne ne se réduit plus à l’appartenance à un pays) [10], juridique (les États doivent lever les restrictions aux franchissements des frontières) [11] et politique (face aux États, les organisations non gouvernementales de défense des immigrants font intrusion sur la scène diplomatique internationale) [12].
4 Le scénario de la tyrannie du national embrasse indéniablement un aspect essentiel de l’histoire des politiques migratoires depuis un siècle, ce qui s’est traduit du reste, en France comme à l’étranger, par son impressionnante fécondité historiographique. Vingt ans après ses premières formulations, la question posée concerne donc moins sa pertinence que son univocité. De même que l’historien britannique David Feldman examina, il y a quelques années, si le XIXe siècle avait été – avant l’ère des contrôles aux frontières – un âge d’or pour les migrants [13], on peut se demander si les 130 dernières années ont marqué un durcissement unilatéral de leur condition.
5 Par comparaison avec la fin du XIXe siècle, on constate en effet, au moins dans les pays européens, et sans même parler de la quasi-assimilation des « communautaires » aux nationaux, l’extension des droits des immigrants étrangers sur des points aussi essentiels que l’émergence du droit au regroupement familial, devenu le principal canal d’immigration légale dans les pays industrialisés ; et la quasi-égalité – au moins sur le plan juridique – des droits sociaux entre migrants et nationaux. Celle-ci apparaît aujourd’hui comme une évidence mais cette « normalité » s’est construite par un siècle de droit international, avec une solidité suffisante pour nous faire perdre le souvenir de la discrimination juridique qui prévalait jusqu’à la Seconde Guerre mondiale à l’encontre des étrangers.
6 Une partie de ces protections est théorique ou minimisée, voire bafouée, dans leur administration quotidienne [14]. Mais les occulter ou les réduire à des droits formels empêche de rappeler la situation dans laquelle se trouvaient les migrants il y a un siècle : il n’est que de constater sur ce point le contraste entre le droit social et les régulations professionnelles, qui continuent à exclure les non-nationaux de secteurs entiers du marché du travail [15]. Les grandes lois d’assistance en France du tournant du XXe siècle (loi de 1893 sur l’assistance médicale ; loi de 1905 sur l’assistance obligatoire aux infirmes et aux incurables privés de ressources) écartent les étrangers de leurs dispositions, la seconde excluant même délibérément que des traités bilatéraux puissent venir en tempérer la rigueur. À cotisation égale aux fonds d’assurances sociales et à défaut de dispositions négociées par leur pays d’origine, la France jusqu’aux années 1930 verse aux travailleurs étrangers des prestations moindres car amputées de la part directement alimentée par l’État et par les employeurs. Elle en suspend le versement s’ils cessent de résider sur le territoire français [16]. Les étrangers qui ont été naturalisés au-delà de cinquante ans sont même exclus des bonifications publiques et patronales au régime des Retraites ouvrières et paysannes de 1910, afin de leur ôter « toute intention de se faire, à l’aide d’une naturalisation opportune, une rente viagère avec l’argent du Trésor français [17] ».
7 La question posée est, dès lors, non pas d’opposer mais de penser conjointement un mouvement de deux forces contraires, l’une alourdissant sans cesse les conditions d’arrivée et d’installation dans un nouveau pays – le sort des sans-papiers et des réfugiés en attente de régularisation en témoigne aujourd’hui –, l’autre restreignant les différences entre étrangers et nationaux. Cet article formulera cette interrogation à l’échelle de l’Europe, entendue à la fois comme un espace de comparaison mais aussi et surtout comme un espace transnational, animé par des interactions politiques dont certaines ont eu pour but, précisément, de faire advenir un ordre continental. Après être revenu sur la signification du tournant des années 1880, il examinera la façon dont ont été attribués les droits sociaux aux migrants étrangers. L’optique retenue ne se limitera pas à compléter par ce biais la riche historiographie des droits liés à la citoyenneté politique : j’étudierai au contraire comment l’avènement, au XXe siècle, de régimes nationaux d’assurances sociales obligatoires ouverts progressivement aux étrangers interroge la notion même de souveraineté étatique. Et si l’analyse porte au premier chef sur les migrants de travail, elle amènera à revenir au final sur les fondements du droit des réfugiés, qui concentre une partie importante de la réflexion contemporaine sur la migration.
La liberté et sa sanction : la migration au XIXe siècle
8 À partir de l’instauration des quotas d’immigration américains dans les années 1920 – ou plus exactement de leur transposition aux populations blanches – s’est rétrospectivement imposée l’idée d’un XIXe siècle laissant toute liberté à la migration internationale : c’est par contraste qu’apparaît tyrannique l’ère des contrôles aux frontières et des papiers d’identité. Or, l’interprétation de la césure des années 1880, entre autres biais, renvoie à une conception trop limitée de l’action publique [18] – et accessoirement à un déficit d’études historiques de l’expulsion [19]. Hors de France, l’historiographie contemporaine a montré que le filtrage des flux d’entrée n’est pas le seul instrument à la disposition de l’État. L’Angleterre du XIXe siècle, apôtre de la liberté de déplacement, compte sur les obstacles administratifs et financiers qui s’imposent aux migrants du continent comme outils de dissuasion et de sélection – notamment lorsqu’ils doivent transiter par des pays tiers pour accéder à un port d’embarquement. Quant aux ratés de ce contrôle de facto, c’est-à-dire au basculement d’une partie des étrangers dans l’indigence, ils sont régulés par l’expulsion ou plus exactement le rapatriement, d’une manière d’autant plus discrète et efficace que l’État « libéral » s’en décharge sur les associations d’originaires [20]. Même instrument – mais géré cette fois par les corporations professionnelles jusqu’au début du XIXe siècle puis par la police – dans les États de la Confédération germanique dont il faut se rappeler qu’ils traitent comme étrangers (Ausländer, et non pas Fremde), et donc comme expulsables, les nombreux ressortissants des autres États allemands présents sur leur sol [21].
9 Replacé dans un cadre comparatif, le tournant des années 1880-1890 ne signifie donc nullement que le XIXe siècle laissait les migrants libres de leurs déplacements. Les États européens intervenaient déjà de manière directe et répressive dans la gestion des flux migratoires par le biais de l’expulsion dont la première cible, tant dans le droit que par l’importance démographique, était les indigents [22]. Cette disposition elle-même s’intégrait dans une politique migratoire cohérente. Pour leurs savoir-faire spécifiques, leur contribution au marché du travail et au marché de consommation, leur rôle dans le cantonnement des salaires, éventuellement leur apport en capital, les États européens voyaient dans les immigrants une source de prospérité potentielle. Qu’ils missent peu de freins à l’entrée sur leur territoire faisait partie, dans une perspective utilitariste, d’une stratégie à faible risque de minimisation des coûts [23] : les migrants qui ne parvenaient pas à s’intégrer dans le système productif étaient juridiquement expulsables.
10 Pour l’essentiel en Europe, la fin du XIXe siècle marque donc moins l’avènement du contrôle migratoire que son changement de régime : la régulation par filtrage initial succède alors à la régulation par la sanction de l’échec social. Se déplace du même coup la ligne de fracture au sein de la population immigrante. Dans sa version initiale, la dichotomie essentielle est celle qui oppose migrants domiciliés et migrants non domiciliés. Les premiers, installés de longue date dans une commune, ne sont pas expulsables [24]. Leur stabilité est considérée comme un signe d’insertion économique et elle assure que, jouissant des droits de citoyenneté locale, ils bénéficieront en cas de difficulté d’une prise en charge par la commune ou la paroisse. À rebours, le vagabondage est dans une logique policière un indicateur commode pour repérer les migrants qui sont mal insérés et risquent de tomber à la charge d’une communauté – locale ou nationale – à la prospérité de laquelle ils n’ont pas contribué, la hantise des autorités étant de leur offrir une assistance que leur pays d’origine devrait prendre en charge.
11 La plupart des droits européens du XIXe siècle formalisent l’association étroite ainsi établie entre protection sociale et expulsion. La Suède est sans doute l’État qui en donne la version la plus claire et, si l’on peut dire, la plus pure : les communes y engagent les frais d’assistance aux étrangers indigents et se font ensuite rembourser par leurs « garants » – généralement des apparentés – selon un principe classique de subsidiarité [25]. Mais si la solidarité familiale est défaillante, l’État dédommage les communes et organise, après procédure judiciaire, le rapatriement de l’immigrant ou de l’immigrante [26].
12 La France au contraire représente un cas assez spécifique en Europe. Certes, l’expulsion y frappe comme ailleurs les étrangers indigents et ceux qui sont accusés d’avoir troublé l’ordre public [27]. Mais un flou juridique entoure la question de l’accès des étrangers à l’assistance. En ce qui concerne l’hospitalisation, si la loi du 24 vendémiaire an XI autorise tout malade, domicilié ou non, à se faire admettre par l’établissement le plus proche, la loi du 7 août 1851 reste silencieuse sur un éventuel critère de nationalité. Une même imprécision règne, mais cette fois tout au long du XIXe siècle, en matière de secours à domicile. Dans un cas comme dans l’autre, elle donne lieu aux interprétations les plus diverses dans la jurisprudence et dans les circulaires ministérielles. Beaucoup de juristes considèrent que sa résolution est du ressort des institutions d’assistance, alors même que, les atermoiements de la Révolution ayant permis aux particularités locales de l’Ancien Régime de se projeter en plein XIXe siècle, la protection sociale française repose largement sur l’initiative locale et privée [28]. En pratique, malgré des plaintes occasionnelles d’élus locaux sur l’engorgement des hôpitaux par les étrangers malades, il ne paraît pas que les immigrants étrangers ont été écartés des hôpitaux ni des bureaux de bienfaisance [29].
13 L’ensemble de ces singularités explique l’intensité du tournant des années 1890. Comme en témoignent les dispositions restrictives de la loi d’assistance de 1893 déjà évoquée, l’intervention budgétaire croissante de l’État et des départements dans les formules d’assistance rend insupportable aux contemporains l’idée d’une égalité de traitement entre nationaux et immigrants. Mais il s’agit là d’une mutation plus que d’un point de départ. Si les États européens ne s’impliquent que modérément dans la mise en œuvre administrative et financière de l’assistance avant le XXesiècle, ils n’en constituent pas moins les régulateurs en dictant leur norme aux communes [30] : ne pas y voir une politique publique est un biais de perception fondé sur une vision univoque – et normative – de ce qu’est l’action étatique [31]. Le lien organique entre État, protection sociale et contrôle des migrations est en place bien avant la fin du XIXe siècle mais avec une force nationalement variable. Minimal en France, il atteint sans doute sa forme la plus marquée en Angleterre, dont le système des poor laws, anciennement formalisé, implique des modes de coordination entre les communes en les sanctionnant au besoin sur le plan judiciaire, et pose la question des droits à l’assistance des migrants (internes) à travers la loi dite de settlement de 1662 [32].
14 Replacée dans une perspective comparative, l’innovation de la fin du XIXe siècle ne consiste ni à inventer des distinctions au sein des étrangers ni à creuser l’écart entre étrangers et nationaux, mais à donner un contenu nouveau à ces dichotomies. Au clivage entre étrangers domiciliés et non domiciliés se substitue désormais celui qui distingue immigrants « réguliers », c’est-à-dire légalement admis sur le territoire du pays d’accueil, et immigrants « irréguliers ». Notons au passage que cette dualité légale correspond à une dualité politique (l’opposition entre migrants « désirables » et « indésirables » [33]) mais qu’elle ne s’y superpose pas systématiquement [34].
15 Il en découle par rebond un réajustement progressif de la distance légale avec les nationaux. La bureaucratisation croissante du filtrage aux frontières va de pair avec un mécanisme qui va assimiler progressivement les migrants réguliers aux citoyens du pays d’accueil, les mécanismes et statuts d’exclusion se concentrant pour leur part sur les migrants irréguliers : l’avènement, dans l’Europe de la fin du XXe siècle, de la catégorie des « migrants communautaires » dotés des mêmes droits que les nationaux n’en est qu’une forme-limite. L’évolution sémantique, qui au cours du XXe siècle fait s’estomper dans le langage courant la notion d’« étranger » [35] et promeut celle de « sans-papiers », objective ce double mouvement apparemment contraire de tyrannie croissante du national et d’assimilation des étrangers aux nationaux, une dialectique qui n’a pas échappé aux contemporains les plus sagaces. Le théoricien (immigré) du droit Iouda Tchernoff en donne dès 1899 l’une des formulations les plus claires : « L’étranger, une fois admis à fixer son domicile dans un pays, ne manquera pas d’y acquérir tous les droits. C’est la personne humaine qui, une fois entrée dans la sphère légale de l’action d’un gouvernement, s’impose à ce dernier, et celui-ci, prévoyant à l’avance l’obligation que peut mettre à sa charge le séjour des étrangers, fait un triage entre ceux qui viennent solliciter son hospitalité. Aussi ne faut-il pas se tromper sur la valeur et la portée des restrictions que les États apportent à l’immigration : ce n’est pas un recul en arrière, c’est un acheminement vers l’assimilation plus complète des étrangers aux nationaux [36]. » La prophétie va pour partie s’accomplir mais prend à rebours une partie de l’historiographie contemporaine et requiert à ce titre discussion.
La migration et la diffusion des droits sociaux
16 Le commentaire de Tchernoff prend place dans le cadre d’une large discussion portée par d’innombrables libelles et balisée par les congrès internationaux consacrés à l’assistance dans les deux décennies qui précèdent la Première Guerre mondiale [37]. Pour en comprendre la teneur, on peut se tourner vers un petit article, « Notes sur le traité de travail entre la France et l’Italie », publié le 15 janvier 1916 dans la revue Nuova Antologia. Son auteur, Luigi Luzzatti (1841-1927), est une grande figure de la vie politique et économique italienne. Ministre du Trésor à trois reprises et même président du Conseil de 1910 à 1911, il s’agit à l’origine d’un juriste constitutionnaliste rompu à l’économie politique, qui a également fondé et présidé la Banque populaire de Milan. L’homme n’a rien d’un profane en matière migratoire : son article de 1916 constitue en fait un retour sur un important traité de circulation franco-italien dont il a été l’artisan en 1904. Les considérations sur lesquelles s’ouvre l’article font directement écho avec celles qui seront, 75 ans plus tard, au fondement du modèle de la tyrannie du national. Les progrès de la législation ouvrière – en d’autres termes le droit du travail et l’avènement des assurances sociales – ont « modifié [...] l’égalité juridique entre étrangers et indigènes ». On peut même relever « comme un constant phénomène des législations sociales plus évoluées, l’intensification de certaines différences pour les étrangers ». Mais loin de se contenter de la dénoncer, Luzzatti entend la combattre en recourant au droit international.
17 Au début 1902, la France et l’Italie avaient entrepris de surmonter l’insurmontable : dépasser le principe de stricte réciprocité en accordant aux immigrants italiens en France, malgré le déséquilibre des flux entre les deux pays, des droits sociaux comparables aux nationaux. Les deux nations y étaient incitées par l’émotion provoquée par l’exploitation des enfants italiens en France et le souci de contenir les « conflits si fréquents entre les ouvriers italiens et les travailleurs indigènes », mais aussi par le souci de prendre de vitesse la Suisse et l’Allemagne suspectées de réfléchir à une formule juridique comparable [38]. La solution trouvée était d’élargir le cadre de la transaction en y incluant des éléments asymétriques – une méthode directement transposée de la négociation des traités de commerce et que Luzzatti, fort d’une expérience de plusieurs décennies, résumera en 1898 par une formule lapidaire : « distribuer avec équité le mécontentement [39] ».
18 À l’égalisation des droits entre immigrants et nationaux concédée par la France allait faire pendant la mise à niveau des charges pesant sur les entreprises des deux pays : l’Italie s’engageait à imposer à ses employeurs des obligations sociales accrues – en l’espèce la mise en place d’une inspection du travail [40]. Le traité de 1904 allait prendre valeur matricielle [41]. Dans les décennies à venir, traités bilatéraux et, à partir de la création de l’Organisation internationale du travail (OIT) en 1919, conventions internationales allaient permettre l’extension des droits sociaux au nom d’une logique de concurrence équitable sur le marché ainsi, comme on va le voir, que d’un effort des États d’immigration pour attirer les flux de main-d’œuvre issus de pays jugés désirables. Mon propos n’est pas de revenir ici sur la dynamique, contre-intuitive aujourd’hui, de construction de la protection sociale au nom du libéralisme économique, que j’ai analysée dans des travaux précédents [42]. Je voudrais plutôt en examiner la charpente puis évaluer dans quelle mesure elle est parvenue à contrecarrer le processus de nationalisation croissante des migrations avec lequel elle n’a cessé de s’entrechoquer.
Le traité migratoire franco-italien de 1904 : portée historique d’une innovation diplomatique
19 Luzzatti, on l’aura deviné, est l’un des représentants de la « nébuleuse réformatrice » internationale qui, à la fin du XIXe siècle, s’efforce de construire la protection sociale en repoussant dos-à-dos libéralisme incontrôlé et socialisme révolutionnaire [43]. Organisée en associations internationales, tirant parti de son quasi-monopole sur l’information juridique et statistique internationale pour créer un cercle vertueux d’élargissement des droits sociaux, elle joue à plein de ses positions au sein des élites politiques, administratives, économiques et universitaires. De ces processus, le traité de 1904 constitue l’exemple parfait. En premier lieu, il se sert de la migration comme d’un levier pour transposer à l’Italie les mesures sociales récemment adoptées par la France, tel l’élargissement des attributions de l’inspection du travail sous l’effet de la réforme de 1892 et, plus indirectement, de la loi sur les accidents du travail en 1898.
20 En deuxième lieu, en tant que grande figure de l’économie coopérative, Luzzatti incarne par excellence cette intégration entre marché et protection sociale dont Laurence Fontaine a récemment réhabilité l’importance historique même après le « désencastrement » polanyien [44]. Significative est ici son expérience, déjà mentionnée, des négociations commerciales. Depuis l’époque moderne, les droits dont disposent les étrangers sont dans une large mesure définis par les traités de commerce. Clauses de la nation la plus favorisée, voire assimilation juridique aux nationaux, se négocient dans le cadre de politiques commerciales bilatérales dont la mise en œuvre dépend également des instances judiciaires de régulation du marché [45].
21 Enfin, la modalité de négociation du traité montre l’importance des réseaux transnationaux de la réforme sociale à l’ère de la « première mondialisation » [46]. Après avoir initié la démarche en 1901 à la Chambre, Luzzatti trouve sans peine des interlocuteurs français qui partagent la même sensibilité : l’homme d’État et théoricien Léon Bourgeois, le responsable mutualiste et directeur du musée social Léopold Mabilleau, et surtout le directeur du Travail, Arthur Fontaine, avec qui il s’entretient dès septembre 1902 à Cologne lors du congrès de l’Association internationale pour la protection légale des travailleurs [47]. Ici s’incarne la puissance politique croissante d’un milieu, pour ne pas dire d’un réseau, international en pleine expansion. L’un des traits marquants de l’article de 1916 est du reste la foi de son auteur en l’avenir. Luzzatti ne doute pas une seconde que ses vues triompheront, un jugement qui, loin de se réduire à un enthousiasme messianique ou à une prophétie auto-réalisatrice, repose sur une analyse politique de la situation.
Créer un cercle vertueux
22 Cette confiance repose en effet sur une véritable doctrine élaborée par le milieu réformateur international depuis les années 1890 afin, à la fois, d’étendre aux migrants les droits que sont en train de conquérir les nationaux et de faire de la migration un levier pour diffuser ces droits dans les pays industrialisés. L’ouvrage du baron Friedrich von Reitzenstein (1834-1897), vice-président de la Société allemande d’assistance et de bienfaisance, L’assistance des étrangers en Allemagne, qui date de 1893, en fournit une bonne explicitation, sans qu’il y ait lieu de l’ériger en précurseur. Issu d’une lignée qui jusqu’alors a eu plutôt tendance à s’illustrer dans les armées souabes, Reitzenstein est un représentant typique de cette « nébuleuse réformatrice » qui, aux lendemains de l’échec de la conférence diplomatique de Berlin de 1890 à jeter les bases d’un droit social international, est amenée à repenser l’ensemble de sa stratégie [48]. Rétrospectivement, la précocité de l’opuscule confirme la continuité de pensée et d’action du milieu réformateur. Son horizon politique et ses prédictions varieront peu et continueront à guider, dans l’entre-deux-guerres, la constitution d’un droit social international des migrants par la multiplication des traités bilatéraux et des conventions internationales – leur mode opératoire s’inventant et se transformant pour sa part au cours du temps [49]. Autre intérêt de l’ouvrage de Reitzenstein, il porte une ambition universelle à partir d’un point d’observation situé, l’Allemagne, dont on verra qu’elle revêt une importance cruciale dans ce domaine [50].
23 Au total, le contenu du traité de Reitzenstein est suffisamment cohérent et représentatif de la pensée réformatrice pour que l’on se penche sur le véritable modèle qui s’y exprime, modèle qui se développe schématiquement autour de six propositions.
- L’assistance est un droit. Elle ne saurait dès lors être soumise à une approche paternaliste ou discrétionnaire mais doit dépendre de « règles fixes ».
- Ce droit découle à la fois de principes éthiques (« moralité publique » et « reconnaissance de la personnalité humaine ») et de considérations d’intérêt. « Il s’agit là d’une loi morale à laquelle tous doivent obéir dans l’intérêt de tous. »
- Le droit à l’assistance inclut pleinement les migrants en vertu d’un principe d’humanité entendu dans le double sens du terme : unité et interdépendance de l’espèce humaine d’une part [51] ; humanitarisme d’autre part [52].
- Si le principe d’humanité transcende ainsi celui du national, les deux n’ont pas vocation à s’opposer mais à s’articuler [53].
- La migration est l’agent de cette articulation. C’est par son biais que pourra s’effectuer la transformation des systèmes nationaux d’assistance, appelés à devenir obligatoires.
- Cette mutation s’effectuera selon un processus transnational cumulatif : « Plus grand est le nombre des peuples parvenus à la vie civilisée, et plus large – tant au point de vue des assistants que des assistés – est le domaine sur lequel pourront se réaliser les considérations théoriques sur l’accomplissement de ce devoir et la solution des problèmes de la misère » (p. 3).
25 Comme chez Tchernoff, les droits que Reitzenstein s’efforce de construire concernent moins le franchissement des frontières que le sort des migrants dans leur pays de destination : il revendique pour eux un principe d’égalité avec les nationaux. Ce souci ne ressortit nullement de la philanthropie ; il relève bel et bien du droit. Comme nombre de réformateurs sociaux de son époque Reitzenstein ancre cet éthos dans le « commandement chrétien de l’amour du prochain » mais il existe bien entendu au même moment des voies laïques pour parvenir à une même prémisse [54]. Cette affirmation éthique présente une particularité marquante : prodiguer l’assistance tout en traitant de la même manière nationaux et étrangers est affaire de moralité et de calcul. C’est ce double ressort, humanitaire et utilitariste, qui doit produire le cercle vertueux annoncé par Reitzenstein. La circulation migratoire favorisera un véritable processus de civilisation : non seulement il se caractérisera par une égalisation des droits entre nationaux et migrants, mais ces derniers y joueront un rôle moteur. La transformation espérée n’est pas moindre sur le plan du droit international. Il s’agit d’aller au-delà du seul principe, mécanique, de réciprocité, qui constitue la base des traités bilatéraux, sans s’arrêter à la construction d’un « universel national [55] ».
Les droits sociaux sont-ils un attribut significatif de la condition migrante ?
La mise en place d’un ordre juridique international
26 1890, conférence de Berlin. 1904, traité franco-italien sur la migration. Cette quinzaine d’années censée marquer uniquement le début de la tyrannie du national est en réalité travaillée simultanément par le souci de prodiguer des droits aux migrants et de les assimiler aux nationaux. Elle marque en particulier le point d’aboutissement d’un précédent qui a débuté une génération plus tôt : la généralisation du droit à l’assistance judiciaire pour les indigents étrangers. Peu étudiée par l’historiographie contemporaine, cette cause mobilise tout un milieu d’avocats humanistes [56] qui, sur ce point circonscrit, visent à « prodiguer des droits aux sans-droits » pour transposer la formule célèbre de Hannah Arendt. Significativement, le député Auguste Mas, rapporteur radical socialiste de la Commission du travail chargée en 1903 d’examiner plusieurs propositions de lois sur la « protection du travail national », en fait l’un des deux précédents justifiant au contraire une approche libérale envers l’immigration ouvrière [57].
27 La question de l’assistance judiciaire lie étroitement migration et assistance, dans une perspective analogue à celle que reprendra Reitzenstein : passer du registre discrétionnaire à la garantie d’un droit dont la charge financière incombe à l’État. Autre raison de son importance, elle interroge, depuis l’instauration des Codes civils dans plusieurs pays européens, l’égalité d’accès aux droits civils pour les étrangers, en montrant du même coup la prégnance de la catégorisation juridique nationale bien avant la fin du XIXe siècle.
28 Dans les premières décennies du XIXe siècle, la question se règle en recourant au principe de réciprocité. À partir de 1822, avec les Pays-Bas et la Prusse, les États conviennent par des traités bilatéraux de prodiguer l’assistance judiciaire à leurs ressortissants respectifs. Mais le traité franco-italien du 19 février 1870 – une Italie dont le Code civil est particulièrement égalitaire face au critère de nationalité – marque une rupture juridique : il assimile pleinement les migrants des deux pays aux nationaux. Cet accord faisant l’objet d’une transposition large et rapide à une série de traités bilatéraux, se pose bientôt la nécessité de « codifier ce droit commun en fusionnant toutes ces conventions diverses (conventions d’assistance judiciaire et clauses spéciales des traités de commerce) en un texte unique [58] ». Pendant vingt ans, des tentatives respectives des gouvernements italien et néerlandais échouent à convoquer une conférence internationale à ce propos. Un précédent extra-européen leur fournit pourtant un argument : entre 1877 et 1889, les États sud-américains jettent les bases d’une harmonisation juridique à l’échelle de leur continent par des conventions internationales en matière de droit civil, droit commercial, droit pénal et propriété intellectuelle. Fort de cet antécédent, La Haye réunit en 1893 puis 1894 la majorité des puissances européennes, Russie comprise, mais à l’exception du Royaume-Uni. Les délégués adoptent de nombreux projets communs en matière notamment de droit civil mais, face à la difficulté de les faire adopter par chacun des États concernés, les Pays-Bas se focalisent sur les projets consensuels : c’est ainsi qu’aux côtés de la compétence judiciaire et de la procédure, l’assistance judiciaire fait l’objet d’une convention le 14 novembre 1896.
29 Accord entre deux pays ouvrant une brèche juridique, multiplication des traités bilatéraux modelés sur son exemple, puis convention internationale : c’est ce processus en trois stades, qui permet de passer du principe de réciprocité à l’assimilation juridique des étrangers aux nationaux, que cherchent à reproduire les réformateurs sociaux. Il ne se réduit pas pour autant à une mécanique de diffusion automatique. Les réformateurs sont conscients que le développement et l’application du droit supposent une constante agency politique, reposant à la fois sur des stratégies de mobilisation de l’opinion, « reine du monde [59] », et sur des considérations d’intérêt économique.
30 En 1906 à Berne, ils atteignent pour la première fois leur objectif central : la signature d’une convention internationale, qui prohibe le travail de nuit des femmes et l’emploi du phosphore blanc dans les usines d’allumettes. Comment convaincre Rome de la ratifier ? Deux ans après la signature du traité migratoire avec L. Luzzatti, la réponse du Quai d’Orsay est dénuée d’ambiguïté en en faisant une condition de l’extension des droits des jeunes ouvriers italiens en France [60]. De fait, cette articulation entre modalités bi- et transnationales de diffusion du droit social exerce ses effets sur l’Italie dans la décennie qui suit la signature du traité de 1904 : la réduction de la durée du travail des femmes dans l’industrie ou la loi sur le repos hebdomadaire et les jours fériés en sont, selon Luzzatti, les conséquences directes.
31 Ce bilan flatteur n’est pas simplement le fruit d’un biais de perception idéologiquement orienté. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le directeur de l’assistance et de l’hygiène publiques au ministre de l’Intérieur, Charles Valette, indique dans un rapport à son ministre ce que la négociation des traités de travail en cours avec plusieurs pays européens doit aux questions « agitées d’abord dans des congrès de philanthropie [puis] portées sur le terrain diplomatique [61] ». Loin de l’idéalisme angélique que raillera Arendt un demi-siècle plus tard [62], le milieu réformateur transnational, conscient de la faiblesse du droit international face aux États, élabore au cas par cas des formules opératoires dont certaines peuvent être appliquées à d’autres situations à condition de pouvoir s’appuyer sur la mobilisation politique de la société civile [63]. La conception du traité de 1904 avait surmonté l’obstacle de la non-réciprocité directe : sa mise en œuvre vient pour sa part répondre à la question de la puissance souveraine de l’État. La solution retenue ouvre en effet une piste juridiquement nouvelle. Jusque-là, accords bilatéraux et conventions internationales étaient le plus souvent pensés comme les deux branches d’une alternative entre lesquelles la doctrine publiciste comme la diplomatie des États, étaient sommées de choisir. Les articuler en faisant levier sur les premiers pour construire les secondes permet de combiner l’objectif global de la diffusion des droits par les conventions, et les intérêts liés aux conditions particulières de chaque flux migratoire.
32 Cette combinaison, malgré ses difficultés et ses limites, à commencer par l’absence d’une instance supranationale de contrôle [64], devient décisive dans l’entre-deux-guerres. Créé en 1919, le Bureau international du Travail (BIT) vient en quelque sorte instituer l’architecture internationale que prônait la « nébuleuse réformatrice internationale ». Contribution décisive à la constitution des futurs « État-providence », l’extension des assurances sociales et du droit du travail au nom des principes de marché s’effectue par le biais de 67 conventions internationales votées avant 1940, processus dans lequel les problèmes spécifiques posés par les migrations de travail ont joué un rôle essentiel. Nous n’avons pas à résumer plus longuement une histoire désormais bien défrichée [65]. Notre propos a plutôt été jusqu’ici d’expliciter le modèle politique de traitement des migrants par l’État sur la base duquel elle a pu se déployer. Mais se pose désormais une question nouvelle : peut-on considérer que ce modèle a été structurant au point de faire pendant à celui de la « nationalisation » de la migration ? C’est ici la question de la portée effective des traités encadrant la migration qui est posée.
Droits formels ou droits réels ?
33 On peut avoir quelques scrupules à poser dans des termes aussi réducteurs que l’opposition entre droits formels ou droits réels la question de la portée des accords internationaux sur la condition sociale des migrants. Mais le faible crédit accordé au droit international peut amener à douter que conventions bilatérales ou internationales aient importé aux yeux des migrants et qu’elles aient amélioré leur sort. Est en cause ici l’effet durable des cauchemars des années 1930, perçues comme l’ère triomphale de la violence de l’État-nation [66]. Ce scepticisme, auquel H. Arendt aura en quelque sorte donné ses lettres de noblesse, est sous-jacent aux innombrables travaux qui, occultant le demi-siècle précédant la Seconde Guerre mondiale, confondent point de départ et point d’arrivée en s’imaginant que les élaborations transnationales naissent avec la Déclaration universelle des droits de l’homme ou la construction européenne [67].
34 Une autre raison de compléter l’approche que nous avons suivie jusqu’à maintenant par une démarche d’histoire sociale est de pouvoir ainsi nous placer du point de vue des migrants et examiner à la fois les abus de droits qu’ils subissent mais aussi leur capacité à y répondre. Comment objectiver une situation de domination sans tomber dans le paternalisme méthodologique ? Malgré les leçons d’un E.P. Thompson, la question demeure souvent incertaine en histoire sociale [68]. Dans le cas des migrants s’ajoute un obstacle particulier : pour des raisons à la fois documentaires et cognitives, il est plus aisé de les saisir dans leur pays d’arrivée que dans leur rapport avec leur pays d’origine. L’historiographie a mis beaucoup de temps à corriger ce biais en prenant au sérieux les politiques de protection de leurs ressortissants mises en œuvre par les États d’émigration [69]. Pour aller plus loin, il importe d’examiner les pratiques des migrants eux-mêmes. Je me référerai ici à l’étude d’un flux migratoire, celui qui s’oriente de la Tchécoslovaquie vers la France dans l’entre-deux-guerres.
35 À première vue, il est typique d’un courant de mobilité « fabriqué » par un État, la France qui, après la saignée de la Première Guerre mondiale, va chercher à l’étranger (et dans l’empire) une main-d’œuvre adaptable à la conjoncture économique. Le matériau considéré est constitué des plaintes que les migrants tchécoslovaques adressent à leurs consulats, et qui remontent ensuite dans l’appareil administratif du ministère des Affaires étrangères à Prague : dans quelle mesure sont-ils informés de leurs droits, les font-ils valoir, et portent-ils attention aux traités internationaux qui pour partie les fondent [70] ? Je mettrai ces documents en regard avec les archives administratives françaises relatives à l’encadrement de la migration tchécoslovaque.
36 La première conclusion de l’étude est l’abondance même du matériau conservé à Prague. Plusieurs dizaines de cartons sont consacrées à la seule migration vers la France, ce qui empêche de dénombrer le recours aux plaintes. Cette richesse archivistique rend encore plus frappante son absolue virginité, laquelle confirme la difficulté paradoxale de penser la dimension transnationale du phénomène migratoire.
37 Les plaintes des migrants tchécoslovaques sont le plus souvent adressées à titre personnel mais aussi sous une forme collective. L’opposition entre les deux n’est pas tranchée, puisque l’on voit indirectement apparaître le rôle des associations d’originaires qui incitent leurs concitoyens à réclamer justice. L’analyse du contenu de l’ensemble de ces documents fait clairement apparaître l’importance que présentent les accords bilatéraux aux yeux de tous les acteurs concernés. Même si un représentant du consulat tchèque à Lyon en 1920 concède sans élégance que son pays « ne peut tout de même pas déclarer la guerre si les ouvriers sont mal logés, traités de Tsiganes, moins appréciés que les Nègres ou les Chinois [71] », les accords bilatéraux et les conventions internationales constituent un souci majeur non seulement pour les différents ministères concernés à Prague (Prévoyance sociale, Agriculture, Affaires étrangères) mais aussi pour les associations de migrants en France. Leur extension ou ratification figure au premier rang des revendications que les consulats font remonter au palais ?ernínsky?. La plupart établissent une comparaison précise entre le statut juridique des salariés tchécoslovaques en France et celui des travailleurs des autres pays d’émigration, à commencer par le grand rival polonais [72]. Cette préoccupation renvoie à un mécanisme de compétition parfois sous-estimé par la littérature consacrée aux migrations mais pourtant décisif [73]. En 1919, le Quai d’Orsay a joué de ses négociations en cours avec d’autres pays sur des traités migratoires pour inciter la Tchécoslovaquie, à peine créée, à suivre le mouvement sous peine d’écarter ses émigrants potentiels de la destination française [74].
Protection sociale et marché du travail
38 Les traités bilatéraux et conventions internationales concernant les droits sociaux des migrants ne sont pas seulement une affaire de protection sociale. Dans l’entre-deux-guerres, une France exsangue, dont le patronat préfère l’immigration au recrutement des femmes ou à la « réadaptation » des grands blessés et des mutilés de guerre, réinterprète la formule des traités bilatéraux pour canaliser vers elle des flux de main-d’œuvre « désirable ». Mais au-delà, ceux-ci établissent des dispositions concrètes qui façonnent directement le contrat de travail – prestations sociales certes mais aussi salaire, conditions de travail, hébergement, alimentation [75]. Leur définition implique à la fois, au niveau bi- ou transnational, une négociation constante entre les chancelleries [76], et à l’échelle nationale une interaction institutionnelle entre représentants des employeurs et des salariés. Généralement mise en œuvre en Europe par les ministères du Travail, cette interaction contribue à donner aux syndicats un pouvoir de représentation officiel et un rôle dans l’organisation de la production [77], au moment où le congrès ouvrier mondial des migrations revendique en juin 1926 à Londres « l’égalité de traitement avec les ouvriers nationaux en ce qui concerne le salaire et les conditions de travail », ainsi que leur accès aux assurances sociales [78]. C’est ici – et l’intention était délibérée de la part de la « nébuleuse réformatrice » internationale et de ses instruments ultérieurs comme le Bureau international du Travail – que la gestion des migrations de travail a exercé un effet indirect sur ce que l’on pourrait appeler la « fabrication » de la société, en se répercutant sur la régulation à la fois du marché du travail et des tensions sociales [79].
39 Cette liaison entre politique, économique et social n’est pas isolée : les traités migratoires prévoyant une égalité de salaires entre immigrants et nationaux, le ministère de l’Agriculture met en place un salaire minimum pour les salariés étrangers, fixé et révisé à l’échelle départementale en collaboration avec les Chambres d’agriculture – une mesure qui sera rapportée en 1934 sous la pression des exploitants [80]. Cette solution, outre sa valeur matricielle dans l’histoire des politiques salariales, corrobore l’analyse que faisait Tchernoff au tournant du siècle sur les avantages, pour les immigrants eux-mêmes, des régulations aux frontières. « C’est quand l’immigration était la plus libre et la moins organisée par l’État que les réactions xénophobes étaient les plus violentes et fréquentes », écrit Catherine Collomp en comparant sur ce point la France, soumise à la nécessité d’interactions diplomatiques avec ses voisins, et les États-Unis, moins contraints dans leur traitement de la main-d’œuvre étrangère : « la gestion française de la migration comme une fonction du besoin de main-d’œuvre a été fondamentale pour intégrer les immigrants dans la classe ouvrière », mais aussi par effet de retour « la classe ouvrière dans la nation » [81].
40 La couverture maladie des migrants n’est pas davantage une affaire exclusivement « sociale », ce qui s’observe par l’omniprésence des réclamations qu’elle suscite dans les archives tchèques. Sont en jeu l’accès à l’assistance médicale gratuite qui, selon les dispositions de la loi française de 1893, suppose un accord bilatéral avec le pays d’origine ; et les modalités d’application aux étrangers du régime d’assurance sociale maladie instauré par les réformes de 1928 et 1930. Être bien protégés, comme le sont les migrants polonais mais aussi italiens et belges dans l’entre-deux-guerres en vertu des accords entre leurs pays respectifs et l’État français, signifie que ce dernier leur doit assistance dès le sixième jour d’arrêt maladie, et que dans les années 1930 leurs droits en matière d’assurance-maladie sont assimilables à ceux des nationaux. Par contraste, en vertu du traité de 1920, les frais de logement, d’alimentation, de soins médicaux et pharmaceutiques des Tchécoslovaques malades restent à la charge de leurs employeurs durant huit semaines.
41 Ce différentiel de protection rend les migrants tchèques moins attractifs à l’embauche et plus sujets au licenciement en cas de mauvaise conjoncture économique, malgré la possibilité offerte à l’employeur de contracter une assurance récupérable sur le salaire pour un montant pouvant atteindre 2 % de celui-ci [82]. Il entraîne même des conséquences en amont sur leur mode de recrutement. Pour les petits entrepreneurs industriels et les exploitants agricoles, leur prise en charge éventuelle en cas de maladie représente un risque financier considérable. Ceux qui n’y réagissent pas en se tournant vers l’embauche de nationalités mieux protégées font appel aux réseaux personnels de leurs employés tchèques qui ont déjà fait leurs preuves plutôt qu’aux canaux officiels d’acheminement de migrants. L’accès des étrangers aux assurances sociales, admis par les réformes de 1928 et 1930 au nom du principe d’obligation de cotisation, ne suffit pas à régler le problème, voire l’aggrave du fait de la crise. Faute d’une convention bilatérale favorable, ce droit, qui suppose notamment une durée minimale cumulée de présence en France (trois mois) et de cotisation (soixante jours au cours du trimestre qui précède le sinistre), laisse à l’écart les migrants temporaires tchèques qui ne peuvent pas pleinement profiter de la demande de travail toujours forte dans l’agriculture [83].
42 Cet entrelacs entre considérations sociales et économiques ne joue pas seulement au niveau de l’interaction entre l’employeur français et ses salariés migrants. À l’échelle globale de l’acheminement des flux, l’importance croissante des assurances sociales fait entrer les politiques migratoires dans des logiques que l’on pourrait qualifier d’actuarielles. La gestion de l’immigration ne s’effectue pas seulement par les procédures de contrôle des frontières (passeports et régulations diverses comme les visites médicales) mais par l’incitation fine que permet le jeu sur les dispositions sociales [84]. Ce que montre le cas tchécoslovaque, c’est comment on peut jouer sur les dispositions bilatérales pour inciter à une migration d’individus, de couples ou de familles, d’hommes ou de femmes, d’ouvriers ou de paysans, d’individus atomisés ou de grappes de migrants en réseaux [85]. Encore ne parle-t-on ici que de dispositions sociales, sans même évoquer celles qui ont trait à la fiscalité ou aux transferts d’argent [86] : il y a bien construction d’un segment du marché du travail par la régulation sociale, construction négociée conjointement par les administrations des deux pays. La temporalité des besoins de main-d’œuvre y joue un rôle essentiel : les sources respectives des ministères du Travail et de l’Agriculture en France, et de leurs homologues à Prague, montrent le poids de la migration comme variable d’ajustement quasi immédiate au marché du travail dans les secteurs les plus flexibles et réactifs à la demande, phénomène qui correspond bien aux théories économiques contemporaines de la segmentation du marché du travail.
43 Autre élément issu de l’analyse des sources, l’importance des dispositions bilatérales, et donc l’écart d’attractivité sur le marché du travail qu’elles créent entre migrants, varie selon les droits sociaux considérés. Elle est plus systématique pour la couverture médicale que pour le soutien aux chômeurs qui, durant l’entre-deux-guerres, reste à la discrétion des communes. Mais, même dans ce domaine, s’impose la hiérarchisation des nationalités par les traités bilatéraux : à défaut de dispositions en faveur des chômeurs tchèques, il est fréquent qu’au nom du financement croissant de l’État dans les caisses municipales de chômage, les préfets dissuadent les mairies de leur prêter secours, par contraste avec les nationalités bien protégées [87]. Avec de fortes variations régionales, cette fragilité fait entrer dans les années 1930 les chômeurs tchèques dans une véritable spirale infernale. Non seulement ils sont dépendants pour leur secours de la bonne volonté de leur commune de résidence ou des faibles moyens de leur principale association de défense, la Colonie tchèque, mais la perte de travail les empêche de remplir les conditions de délai de cotisation qui les rendraient éligibles à l’assurance-maladie, ce qui, en vertu du mécanisme exposé précédemment, dissuade les employeurs de les embaucher. Les plus anciennement établis font alors face à un impitoyable dilemme : basculer dans l’indigence (voire dans la maladie) sans le moindre droit à l’assistance, ou rentrer au pays en perdant leurs droits acquis en matière de retraite – sans du reste avoir la moindre garantie d’y être mieux pris en charge.
Les décalages des années 1930
44 Dès juillet 1928, la Tchécoslovaquie avait indiqué, dans un traité commercial, son souhait de renégocier avec la France une prise en charge plus favorable de ses ressortissants. Mais les discussions qui s’ouvrent à la fin 1932 prennent place dans une conjoncture économique devenue défavorable : le directeur français du Travail, Charles Picquenard, déclarera bientôt que la Tchécoslovaquie a raté le coche dans les premières années d’après-guerre, où elle aurait pu aisément obtenir une convention plus généreuse.
45 Comme s’en étonne un juriste, « il est étrange que les négociateurs tchécoslovaques n’aient pas suivi [le chemin tracé par les autres pays] car le nombre d’immigrants de ce pays était assez élevé à l’époque de la signature de la convention pour que cette importante question fût prise en considération [88] ». Or, si l’historiographie a observé que les accords bilatéraux créaient des hiérarchies entre les migrants en fonction de leur nationalité [89], elle s’est peu interrogée sur leur origine, ce qui confirme sa difficulté à traiter symétriquement pays d’immigration (implicitement considérés comme actifs et contrôleurs) et pays d’émigration (implicitement placés dans un rôle passif et dominé, ou résumés à un vague principe de solidarité mécanique envers leurs ressortissants). Expliquer cette « étrangeté » suppose d’entrer dans les stratégies de négociation des traités par les pays d’origine. Tout en établissant une distinction majeure entre migrations internationales et migrations coloniales [90], elles sont d’autant plus importantes pour notre objet qu’elles confirment la contradiction d’intérêts qui règne au sein des appareils étatiques, et qu’elles reposent sur une anticipation des calculs des émigrants potentiels qui, eux non plus, ne sont pas traités comme des individus privés d’initiative.
46 Bonne illustration d’un dosage incertain entre des intérêts incompatibles [91], la Tchécoslovaquie est motivée, dans la négociation dès l’indépendance de son accord avec la France, par une double considération financière. D’une part, elle craint que, faute d’un degré suffisant de protection, le seul recours qui soit laissé à ses émigrants soit de solliciter la naturalisation qui, redoute-t-elle, les dissuaderait de continuer à envoyer des remises à leurs parents restés sur place. D’autre part, une protection insuffisante en France serait susceptible d’obliger les migrants à rentrer au pays pour y être pris en charge. Mais trouver le bon équilibre n’a rien ici d’automatique car, dans le sens inverse, la Tchécoslovaquie redoute que des accords bilatéraux trop généreux ne sécrètent vers la France un flux de mobilité trop élevé en nombre, mais aussi en termes de qualification professionnelle : ce sont les artisans verriers qui sont ici en jeu, non seulement pour leurs compétences propres, mais aussi par crainte qu’ils ne transfèrent à la concurrence étrangère le secret de leurs procédures de fabrication [92].
47 Non seulement le traité de 1920 est la résultante de cet équilibre précaire, mais sa mise en œuvre n’a rien d’homogène. À l’image de nombreux pays européens, en Europe centrale et orientale mais aussi ailleurs comme en Irlande, la Tchécoslovaquie entend discrètement se servir de l’émigration pour se débarrasser de ses citoyens les moins valorisés, délinquants et militants politiques, mais aussi minorités indésirables. Les sources révèlent ainsi comment les Slovaques, en particulier, font l’objet d’une moindre attention consulaire que leurs concitoyens originaires de Bohême et Moravie.
48 La crise des années 1930 met à mal le dosage initial du gouvernement tchécoslovaque en réévaluant à la hausse ses attentes tout en affaiblissant son pouvoir de pression. Les renégociations avec la France en matière de chômage (arrangement du 17 avril 1934), d’assistance gratuite aux indigents malades (projet de convention du 5 novembre 1934) et d’assurances sociales (protocole du 29 octobre 1937) achoppent chaque fois sur l’opposition du ministère des Finances, même lorsqu’après Munich, par un courrier du 15 décembre 1938 à son homologue Georges Bonnet, le ministre des Affaires étrangères tchécoslovaque fait référence aux « tristes événements du mois de septembre » pour demander « un geste du gouvernement français » [93].
49 Ces échecs successifs sont peu surprenants pour une période qui combine inquiétude économique, augmentation des besoins d’assistance et xénophobie intense du discours politique. Il serait cependant trompeur de s’arrêter à ce constat. Le 18 février 1937, la Chambre des députés a ratifié l’arrangement sur l’assistance aux chômeurs tchécoslovaques et cet accord, réciproque malgré l’asymétrie des flux de mobilité entre les deux pays, s’inspire explicitement de la convention de l’OIT sur le chômage qui date de 1919. Non seulement l’articulation entre traité bilatéral et convention internationale continue ainsi à opérer dans la pire des conjonctures, mais elle est désormais justifiée par un argumentaire dépassant l’intérêt bien entendu qui fondait, jusqu’aux années 1920, les accords internationaux en la matière.
50 Il est intéressant d’observer les motifs du soutien qu’apporte ensuite au projet de loi la commission sénatoriale saisie de son examen. Outre le souci – quelque peu euphémique – d’« apaisement entre les relations parfois si tendues entre nations », elle formule une obligation de principe : « il y a un devoir d’humanité à secourir un travailleur étranger privé de travail, alors que dans une autre période il a été fait appel à ses services. Ce secours lui est d’autant plus indispensable que souvent ce travailleur est isolé dans son pays d’adoption, et ne peut compter ni sur sa famille, ni sur ses amis pour lui venir en aide dans une période difficile » [94]. Quelles que soient les motivations politiques de l’argumentaire, sa nouveauté mérite attention. Il n’est plus de l’ordre ni de l’utilitarisme ni d’une morale abstraite, mais fait appel à l’idée d’un droit acquis par le travail. Sans en surcharger l’interprétation, le plaidoyer appelle à explorer, sous l’avalanche xénophobe des années 1930, une transformation du sens de la justice qui rende plus compréhensible, à la Libération, la naturalité de l’extension des bénéfices de la Sécurité sociale aux ouvriers étrangers, la question étant de déterminer dans quelle mesure la formalisation des droits sociaux a fini par produire un sens, plus général, du droit à l’assistance et à la protection sociale [95].
Un État pleinement souverain ?
51 L’analyse des motivations des États français et tchécoslovaque est d’autant plus fondée que la migration, comme une bonne partie des politiques sociales, fait partie de ces objets dont les gouvernements se sont saisis relativement tard. Son émergence comme objet de politique publique est loin d’exprimer une souveraineté déterminée et univoque : ce sont plutôt les conflits d’intérêts frontaux qui dominent les rapports entre les ministères [96].
Les limites du contrôle migratoire étatique
52 Dans un pays d’immigration comme la France, le souci du contrôle politique ou ethnique par le ministère de l’Intérieur s’oppose à l’usage diplomatique que fait de la politique migratoire le ministère des Affaires étrangères, tandis que le ministère du Travail et le ministère de l’Agriculture se disputent directement les flux de mobilité. Ce jeu est d’autant plus compliqué qu’il se déroule sur un échiquier binational. Des jeux d’alliances ou d’antagonismes se déploient entre certains ministères et leurs homologues étrangers, à l’image des tensions entre le ministère de l’Agriculture français et le ministère de la Prévoyance sociale tchécoslovaque par exemple. Loin d’être l’attribut par excellence de la volition de l’État, la migration est un objet à vocation interministérielle sur lequel il est difficile aux gouvernements de dégager une ligne stable. L’histoire comparative longue confirme que ce schéma est général. En France mais aussi en Italie ou au Royaume-Uni, la création de structures administratives de coordination de la migration (commissariats, secrétariats d’État, voire ministères), ou tout simplement la domination d’un ministère et d’une priorité de politique publique, ne survivent jamais longtemps à des conjonctures économiques ou politiques particulières [97].
53 Un autre élément est l’importance du rôle des entreprises dans la conduite et la mise en œuvre des politiques migratoires. La France de l’entre-deux-guerres est ici un terrain d’observation révélateur. Au lendemain de la Première Guerre mondiale qui, nécessités de main-d’œuvre aidant, avait vu l’État mettre en œuvre un important appareil administratif de pilotage des flux, est mise en œuvre une politique délibérée de sous-traitance par le secteur privé. Les grandes entreprises de main-d’œuvre agricoles, minières et industrielles créent des services en charge d’acheminer dans leurs exploitations la main-d’œuvre étrangère. Ils fusionnent au milieu des années 1920 sous la forme de véritables compagnies qui, à l’image de la Société générale d’immigration agricole et industrielle, encadrent des flux de mobilité qui sont parmi les plus massifs du monde : de ressource pour les industries, la migration est devenue industrie. Loin d’en faire un objectif central de sa politique, l’État délègue massivement les attributs de sa souveraineté : les bureaux de recrutement qui se multiplient dans les pays d’Europe centrale et orientale associent les représentants de ces compagnies aux personnels consulaires. Dans les autres pays d’Europe, ce sont généralement les compagnies maritimes auxquelles les États tentent de confier la plus large part possible de l’administration des flux, et en particulier la prise en charge des problèmes juridiques spécifiques liés à la prise en charge des migrants de transit [98].
54 L’expérience française, avec en 1945 la création d’un Office national de l’immigration (ONI) censé assurer la reprise en main étatique, pourrait laisser penser que cette forme de subsidiarité dans la politique migratoire est propre à la période de l’entre-deux-guerres, mais la réalité est plus complexe. Durant les trente glorieuses, l’ONI est en effet largement impuissant à imposer sa loi aux grandes entreprises, qui conservent leur prééminence dans la fabrication des flux en jouant notamment sur les statuts coloniaux. La quasi-fermeture de la migration de travail à partir du milieu des années 1970 elle-même ne fait pas exception. Le rôle des passeurs dans l’immigration clandestine et leur réactivité aux différentes contraintes politiques qui leur sont opposées [99] confirment la centralité d’un phénomène que l’historiographie française a été longue à prendre pleinement en compte : le rôle structurant des intermédiaires pour une partie majeure des flux migratoires, celle qui ne peut compter ni sur des réseaux interpersonnels, ni sur des spécialisations professionnelles recherchées [100].
Les faux-semblants d’une politique de migrations choisies
55 Politique étatique à la cohérence toujours incertaine d’un côté, enjeux financiers d’un marché gigantesque de l’autre, tantôt légal tantôt illégal : la combinaison de ces forces opère selon des modalités variables dans le temps, mais qui ne peuvent se réduire à l’idée d’un contrôle d’État. L’observation des migrations de travail de la Tchécoslovaquie vers la France dans l’entre-deux-guerres fournit là encore une bonne illustration de l’écart entre un discours officiel et une pratique. Nous sommes en théorie dans l’expression extrême d’une politique que l’on qualifierait aujourd’hui de « migration choisie ». Les employeurs français adressent à la préfecture un état détaillé de leurs besoins en main-d’œuvre, en croisant un fin degré de précision sur les qualifications requises avec des préférences non moins arrêtées sur la situation de famille des migrants demandés [101].
56 Les demandes sont ensuite centralisées au ministère du Travail et au ministère de l’Agriculture qui, non sans concurrence directe, les répercutent dans les antennes de recrutement installées en Europe. En collaboration avec les autorités locales souvent soucieuses de lutter contre le chômage, celles-ci identifient sur place les travailleurs désirés et les font acheminer en France jusqu’à l’exploitation qui sollicitait leur embauche, après leur avoir fait passer tests de qualification et visite médicale. En arrière-plan de ce schéma se généralise dans les années 1930 un discours d’« expertise » fondé sur la psychologie des peuples, qui s’efforce en sus de trouver la correspondance optimale entre les prédispositions prêtées à telle ou telle origine nationale et les « qualités » attribuées aux diverses régions françaises [102].
57 Le contraste est d’autant plus marqué avec la mise en œuvre de cette politique à visée rationnelle. Chacun de ses maillons fait en effet l’objet de tentatives de récupération et de contournement par les acteurs concernés. Les cadences imposées aux visites médicales et tests de sélection permettent aux candidats tchécoslovaques à la migration de dissimuler leurs qualifications professionnelles réelles ou leur état de santé. On voit une femme à la veille de la délivrance dissimuler avec succès sa grossesse sous les « larges jupes du costume national [103] », et même un unijambiste traverser sans encombre l’épreuve de la visite médicale. Les tromperies sur les compétences sont un motif non moins récurrent de plaintes de la part des employeurs. Que leurs récriminations apparaissent rétrospectivement comme sujettes ou non à caution, elles participent là encore, au-delà d’anecdotes parfois cocasses [104], d’un mouvement beaucoup plus large en France à la même époque de codification des liens entre poste de travail, niveau de qualification et niveau de salaire [105], d’une « épistémologie du savoir-faire » selon l’heureuse désignation, par Laura Downs, d’un processus qui s’est accéléré pendant la Première Guerre mondiale [106]. Le gouvernement tchèque n’hésite pas à apporter sa contribution à ce qui constitue à ses yeux une politique de sélection inverse : se débarrasser des travailleurs non qualifiés et frappés de plein fouet par le chômage, et a fortiori des délinquants et agitateurs politiques, présente pour lui le même intérêt que la politique de sélection ethnique que nous avons déjà mentionnée.
58 Le maillon le plus faible est la stabilisation de la main-d’œuvre acheminée aux frais de l’employeur : pour beaucoup de migrants, le passage par l’exploitation prévue est une première et brève étape avant de s’installer dans une grande ville ou de partir s’embaucher auprès d’un établissement plus rémunérateur. Le débauchage par la concurrence de migrants acheminés à leurs frais pousse du reste les employeurs à réclamer une politique étatique de régulation des contrats de travail : dans ce domaine comme dans d’autres, c’est du patronat plutôt que de l’administration qu’émane la demande de procédures de contrôle.
59 Loin d’être assimilables à des manipulations cyniques, les actions des migrants sont plutôt le fruit de microstratégies s’efforçant de s’accommoder de ressources limitées en jouant des contradictions ou des lacunes d’un système administré. Une part des fraudes provient par exemple de couples séparés qui tentent de se retrouver, tâche plus ardue encore en cas d’absence d’union légitime. Le passage éphémère par une exploitation rurale avant de monter à Paris est un pis-aller quand on connaît le coût élevé de la migration, la modestie des moyens et les risques encourus. De plus, les comportements de fuite par rapport aux employeurs constituent la réponse la plus immédiate aux spoliations dont sont victimes les migrants. L’analyse des innombrables plaintes déposées auprès des consulats révèle l’étonnante inventivité qui peut exister dans la gamme des exactions commises envers les migrants. Dans ce domaine comme dans les autres, le droit ne garantit pas un respect des règles mais la possibilité, pour les victimes, d’objectiver les abus et de se tourner vers des canaux institutionnels permettant de les dénoncer.
60 La description d’un flux migratoire comme un système de manipulations de tous types qui dépasse largement les capacités de contrôle des pays de destination [107] permet de saisir l’État, non pas comme une entité cohérente et surplombante, mais comme une hiérarchie et un enchevêtrement de structures, dont les contradictions d’intérêts proviennent de leurs interactions différentielles avec les acteurs de la société civile – au premier rang desquels figurent les entreprises – et des missions diverses qu’elles se donnent. La question des procédures d’identification en est un bon exemple. L’historiographie a montré comment le contrôle des migrations a servi de support à une véritable pulsion étatique en la matière, qui elle-même s’est traduite par des actes de xénophobie institutionnelle [108]. Mais dans le même temps, sans même parler des employeurs [109], ces réglementations n’ont pas cessé de gêner le fonctionnement des services ministériels de main-d’œuvre [110], en ralentissant leurs réactions aux demandes exprimées par les industriels et les exploitants agricoles. Ces administrations, du reste, ne les ont parfois que mollement appliquées [111], quand elles ne les ont pas violées en favorisant l’immigration clandestine [112].
61 Frank Caestecker, il y a quelques années déjà, déplorait que les historiens se fussent « davantage intéressés aux intentions des responsables des politiques migratoires au XXe siècle qu’au degré auquel elles se sont réalisées [113] ». L’étude des politiques migratoires en actes permet de saisir l’État dans la mise en œuvre de quatre fonctions dont les contradictions engendrent des conflits permanents en son sein : identifier et contrôler ; assurer une régulation sociale ; régler le fonctionnement du marché ; s’insérer au mieux dans la « société internationale ». Là encore, il importe de substituer à une vision univoque un modèle multiple qui pense simultanément la précarité de la condition des migrants, leur situation de marge dotée seulement en dernier ressort des mêmes droits que les nationaux, mais aussi le rôle de levier lié à la singularité de leur condition transnationale et à sa codification progressive par le droit.
De l’assistance aux migrants au droit international des réfugiés
62 Si les traités bilatéraux et conventions internationales ont joué un rôle majeur dans le mouvement que l’on vient d’évoquer, la force du droit ne s’est évidemment pas imposée d’elle-même. Victimes par excellence des violations du droit du travail, affectés aux conditions d’emploi et de logement les plus dures, traités parfois avec méfiance par les syndicats, les migrants de travail ont à la fois soulevé des questions prioritaires pour le droit international et constitué des acteurs importants pour sa diffusion et son application. La pression des États d’origine et des organisations internationales, le rôle des associations d’originaires et de défense des droits de l’homme, les protestations et plaintes individuelles, l’engagement de professionnels dans la mise en œuvre de leurs droits (que l’on songe aux avocats qui se sont spécialisés dans l’assistance judiciaire), mais aussi l’intérêt bien compris des employeurs et des syndicats, ont en effet contribué au rapport de force politique qui était indispensable à l’activation des dispositions du droit international [114].
Souveraineté de l’État vs citoyenneté transnationale : les limites du « paradigme westphalien »
63 Ce processus interroge l’étendue et les limites de la souveraineté étatique. De nos jours, la « citoyenneté transnationale » ne constitue pas seulement un idéal humaniste abstraitement opposé au principe de souveraineté voire de tyrannie du national. Elle a acquis toute son importance politique en réaction aux grandes catastrophes humanitaires qui se sont succédé depuis une vingtaine d’années, des guerres des Balkans au drame du Darfour en passant par le génocide rwandais. L’Organisation des Nations unies (ONU), elle-même, a récemment reconnu un principe qui se rapproche de ce que l’on appelle usuellement le droit d’ingérence, par une résolution adoptée lors de son sommet mondial en 2005 et reprise par l’Assemblée générale puis le Conseil de sécurité. La souveraineté d’État, affirme la doctrine R2P (pour responsibility to protect), « est inséparable de la responsabilité de protéger les gens vivant sur son territoire et ne peut se réduire à une forme de contrôle, la communauté internationale ayant le devoir de mettre en œuvre l’action appropriée lorsque cette responsabilité est négligée ou violée [115] ».
64 La R2P, invoquée en cette année 2011 à l’appui de l’intervention militaire internationale en Lybie, est considérée comme une norme légale émergente, qui peut s’appuyer sur une poignée de notions juridiques internationales – les notions de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre notamment. Cette doctrine présente deux intérêts directs pour ce qui nous concerne. Le premier est de souligner par comparaison l’importance juridique du droit au regroupement familial. Si le fait, pour un migrant ou une migrante de nationalité étrangère, de faire venir les membres de sa parenté proche dans son pays de destination est une pratique pour ainsi dire indissociable de la circulation migratoire, sa reconnaissance par le droit s’est construite relativement tardivement, dans la seconde moitié du XXe siècle, et par des logiques transnationales. Qu’elle constitue à ce jour l’une des dispositions juridiques les plus consistantes du principe de « citoyenneté transnationale » atteste la signification historique du droit international des migrations dont nous avons évoqué, dans cet article, l’évolution.
65 En second lieu, la justification « transnationale » du droit d’ingérence est volontiers présentée par la science politique et les théories contemporaines des relations internationales comme une nouveauté radicale, de même que la configuration sociologique dont elle s’accompagne, l’irruption des organisations non gouvernementales dans l’arène diplomatique face à la toute-puissance des États [116]. Le fondement historique en est l’affirmation d’une rupture avec le principe dit « de Westphalie », du nom des accords qui, en mettant fin en 1648 à la guerre de Trente Ans, sont censés avoir promu l’État en entité souveraine aux dépens de l’empire allemand [117]. Or l’histoire montre l’anachronisme de cette doxa. Fabriquée par étapes depuis le XIXe siècle pour promouvoir, précisément, le culte de l’État-nation, elle occulte notamment le fait que les États allemands, quoiqu’insérés dans un empire effectivement faible – mais il l’était avant la guerre de Trente Ans –, n’étaient pas pour autant souverains en matière constitutionnelle, religieuse ou judiciaire [118] : il faut plutôt se les représenter comme inscrits dans un réseau d’interdépendances mutuelles dans le cadre du Reich, puis du Bund.
66 Remettre en cause l’usage mécanique du « paradigme westphalien » est d’autant plus crucial que l’espace germanique a joué un rôle décisif dans la manière d’articuler juridiquement souveraineté et mobilité. L’une des hypothèses du modèle de la tyrannie du national est que les migrations de masse sont apparues à la fin du XIXe siècle. Ce constat est exact si l’on réduit la mobilité à la migration, c’est-à-dire à une intention de transplantation durable. Mais une partie des dispositions juridiques internationales intéressant les questions de mobilité se sont élaborées à propos de formes beaucoup plus larges et diverses de circulation des hommes. L’empire allemand a figuré ici en première ligne, sous l’effet d’une accumulation de circonstances dont la première est un facteur territorial : du fait de la superficie souvent réduite des États qui le composaient, une très grande partie des échanges de personnes et de biens étaient mécaniquement des échanges interétatiques [119]. L’historiographie rend désormais compte de la diversité des motifs de déplacement qui caractérisaient l’époque moderne et des masses d’individus qu’ils mettaient ainsi en mouvement [120]. Mais ces remues d’hommes étaient compliquées dans l’empire par une circonstance politique particulière, à savoir le climat de guerre religieuse froide (et parfois chaude) qui y régnait depuis la Réforme. Nombre des déplacements en effet étaient précisément liés à une logique confessionnelle : on considère aujourd’hui que les pèlerinages jetaient au XVIIIe siècle des centaines de milliers de personnes par an sur les routes, selon des trajets qui traversaient fréquemment des États des deux confessions. Les sources de tension qui en découlaient ont précocement placé les États devant l’obligation de régulations plus ou moins formelles dont l’historiographie commence tout juste à prendre la mesure [121]. Il est vrai que cet imbroglio religieux ne faisait que rajouter à la question plus proprement sociale de la mobilité des indigents non domiciliés : nationaux ou non, les autres bénéficiaient de l’assistance communale au nom d’un principe de citoyenneté locale, la Stadtbürgerlichkeit, qui en général était liée à l’ancienneté de la résidence. Commune, on l’a vu, à une bonne partie de l’Europe moderne, cette formule d’assistance exerçait elle aussi des conséquences spécifiques dans un espace germanique politiquement émietté. Que faire des pauvres de passage issus d’un autre État allemand et d’une autre confession, notamment lorsqu’ils tombaient malades et, plus encore, lorsqu’ils décédaient – la prise en charge des coûts afférant à l’enterrement ou au rapatriement des cadavres ayant joué un grand rôle dans la mise en évidence de la nécessité d’une coordination interétatique en matière migratoire ?
L’autolimitation de la souveraineté étatique et les limites du « nationalisme méthodologique »
67 Davantage que la création de la Confédération germanique en 1815, c’est l’intensification des échanges de personnes et de biens au cours du premier XIXe siècle, mais aussi la multiplication des impasses légales (cas d’Allemands qui se retrouvaient sans nationalité par exemple) et l’expérimentation permise par les traités bilatéraux pour les résoudre, qui devaient amener à une solution juridique systématique [122]. Le traité de Gotha du 15 juillet 1851 puis la convention d’Eisenach du 11 juillet 1853 attribuent aux pauvres de passage dénués de la Stadtbürgerlichkeit le recours à la protection liée à la Staatsbürgerlichkeit, c’est-à-dire à l’assistance fournie par l’État où ils séjournent au moment du sinistre.
68 L’accord de Gotha n’établit nullement un droit à l’assistance mais s’en tient à un principe de subsidiarité dominant depuis l’époque moderne [123] – et que l’on a vu initialement à l’œuvre dans le cas suédois. L’État n’attribue de protection systématique qu’aux individus qui ne peuvent pas faire appel aux obligations de solidarité de leur parenté : contre les autres et leur famille, il peut au contraire agir en recouvrement. Aussi, c’est dans l’assimilation explicite des étrangers (allemands) aux nationaux que la convention innove : « L’État du séjour actuel doit assurer les secours et le traitement à l’indigent sur les mêmes bases qu’à ses nationaux et ne peut réclamer les sommes dépensées pour ces secours ou pour l’enterrement à la commune ou autres caisses publiques de l’État dont l’indigent est originaire. » En réalité, le traité de Gotha ne protège les migrants interallemands que pour libérer leurs États d’origine de tout remboursement des frais d’assistance qui leur seraient prodigués par un État tiers : ce caractère restrictif continue, quarante ans plus tard, à définir pour Reitzenstein l’horizon politique qu’il convient de dépasser.
69 Malgré ses limites, l’accord de Gotha constitue un moment essentiel dans l’élaboration du droit international de la migration et demeure une référence obligée, quoique mal comprise, dans la littérature contemporaine. Sa façon d’articuler protection sociale municipale et nationale dans un espace transnational intégré, la Confédération, confirme l’inconvénient de réduire l’histoire des migrations à un scénario évolutionniste centré sur l’émergence de l’État-nation et de « l’État social ». Sous des formes différentes au cours du temps, c’est plutôt dans un triple jeu d’échelles – locale, nationale, transnationale – que se comprend l’articulation entre l’histoire de la protection sociale et celle des migrations, ce qui permet du reste de considérer l’Union européenne comme une formule politique qui ne constitue ni une exception, ni une anomalie, ni une fin de l’histoire.
70 Deuxième raison de la centralité du traité de Gotha, c’est qu’il permet de penser de concert les mouvements apparemment contraires de nationalisation des migrations d’une part, d’expansion des droits des migrants « réguliers » d’autre part, depuis la fin du XIXe siècle. L’accord ne se résume en effet nullement à une formule angélique qui serait celle de l’affirmation d’un droit nouveau en faveur des indigents interallemands non domiciliés. Il affirme explicitement que la protection qui leur est concédée est un problème. Elle ne peut leur être prodiguée que « tant qu’ils ne peuvent être transportés sans dommage pour leur santé dans l’État obligé à la réintégration ». Le texte de la convention fait donc apparaître une double restriction supplémentaire au droit à l’assistance : il sera non seulement subsidiaire mais aussi temporaire, sa solution définitive ne pouvant être que le rapatriement forcé.
71 Protection et expulsion : il est significatif des priorités politiques posées historiquement par la mobilité que le premier grand traité transnational (et pas simplement bilatéral) relatif à la migration relie étroitement ces deux questions. Malgré l’objet le plus apparent du traité, l’innovation la plus marquante de Gotha ne concerne pas véritablement l’assistance. Il est certes original par son échelle, en tant que convention engageant un grand nombre d’États, mais il se contente de généraliser un principe de réciprocité dont on a rappelé qu’il est le mécanisme classique des accords diplomatiques. Ce qui est plus déterminant est, paradoxalement, la question du rapatriement forcé. Elle pourrait sembler aller de soi dans un système juridique européen où la pauvreté non domiciliée constitue la cause la plus systématique d’expulsion. Mais l’équation est plus complexe. L’expulsion d’un étranger illégal est certes une expression par excellence de la souveraineté étatique et de sa tyrannie mais elle en représente aussi la limite puisqu’elle suppose l’accord de l’État d’origine et, le cas échéant, celui des États de transit.
72 Déjà, la disparition juridique du bannissement à l’aube du XIXe siècle et son remplacement par des peines d’emprisonnement avaient eu pour justification les tensions qu’il provoquait entre États, qui s’accusaient mutuellement de se débarrasser à bon compte de leurs indésirables [124]. Cette friction dialectique entre des souverainetés étatiques à la fois absolues et impuissantes s’est reproduite tout au long du XIXe siècle : le refus successif des États d’accepter les étrangers indésirables finit, de refoulement en refoulement, par les repousser dans un non-lieu [125], au sens de l’anthropologie contemporaine [126] comme au sens juridique. L’interaction des souverainetés annihile la souveraineté, car aucune loi supérieure à celle des États ne permet de trancher, et aucune instance supra-étatique ne permet de faire appliquer les régulations formalisées par le droit international.
73 C’est ici que réside la portée véritable de Gotha : la convention représente en réalité, de la part des États allemands, un engagement à accepter de réintégrer sur leur territoire leurs ressortissants pauvres qui, sans pouvoir bénéficier de l’assistance liée à la citoyenneté locale, auront connu des vicissitudes dans d’autres États de la Confédération. C’est par cet aspect qu’au-delà de l’affirmation d’un principe de réciprocité, Gotha constitue un accord d’autolimitation de la souveraineté étatique, comme l’atteste son usage contemporain dans les politiques relatives aux réfugiés. Tout autant que la bureaucratisation et l’imposition du national à la société civile, et en partie par réaction à celles-ci, ce processus d’autolimitation constitue l’une des spécificités du XXe siècle et interroge la nature des États.
74 Dès 1912, un pays comme la Belgique est lié « dans le domaine du droit international, [par] plus de 700 conventions ou ententes, dont 448 en matière de droit commercial, 70 de droit civilisateur, 80 de droit pénal [127] ». L’effet de ce tissu de liens et d’obligations, dont le royaume n’a évidemment pas l’apanage, reste pour l’essentiel à étudier. En France, même durant le tournant chauvin du XXe siècle, la politique migratoire est canalisée par ces obligations internationales qui, durant toute la période précédant la Première Guerre mondiale, empêchent les parlementaires xénophobes d’imposer une taxation légale des étrangers. Même la loi de 1893 instituant une obligation d’immatriculation des ouvriers immigrés, symbole de la pulsion identificatoire naissante de l’État, est interprétable comme une mesure par défaut, « de police intérieure », destinée à éviter aux ressortissants français à l’étranger de subir les « représailles » qu’entraînerait mécaniquement l’application du principe diplomatique de réciprocité [128]. Certes, d’un strict point de vue juridique, ces traités ne restreignent en rien la souveraineté absolue des États, qui ne font que contracter entre eux. Mais il existe un fossé entre l’importance de leurs implications effectives sur les politiques « nationales » et l’intérêt limité que l’historiographie leur a porté [129].
75 Ce hiatus s’applique particulièrement à la saisie de la question des réfugiés, centrale depuis vingt ans avec le retour des conflits armés en Europe dans les Balkans puis le Caucase, les déplacements de populations massifs occasionnés par les guerres internationales ou civiles dans les pays du Sud, mais aussi la tentative de faire reconnaître la notion de demande d’asile économique, ainsi que la gestion hors-sol de la migration sous forme de camps de transit, en passe de devenir un élément permanent de la condition humaine [130]. Le livre de G. Noiriel sur La tyrannie du national, réédité sept ans plus tard sous le titre de Réfugiés et sans-papiers, s’était saisi de manière pionnière de la question en 1991 [131].
76 Or, le troisième grand intérêt du retour sur le traité de Gotha est sa mobilisation contemporaine dans les politiques transnationales envers les réfugiés. Il confirme aussi le biais créé par une relégation au second plan de l’analyse des droits sociaux des migrants, par opposition à celle de leur statut politique. La distinction entre migrants de travail et réfugiés ou demandeurs d’asile masque en effet une réflexion plus générale sur la force qui lui donne sens, à savoir la souveraineté étatique. La supposer absolue empêche de comprendre l’équation à laquelle font face les États : pour qu’ils puissent refouler ou renvoyer les migrants qu’ils jugent indésirables ou qu’ils construisent juridiquement comme illégaux, ils doivent pouvoir compter sur leur réintégration par les États d’origine ou sur leur admission par des États tiers, ce qui suppose en retour qu’ils s’engagent à réintégrer leurs ressortissants émigrés, limitant ainsi leur propre souveraineté. En d’autres termes, la souveraineté étatique est assimilable non pas à l’autorité absolue d’un individu autonome comme l’a décrite la philosophie politique depuis Jean Bodin et Thomas Hobbes, mais à un jeu de négociations dont le principe de régulation n’est pas moins problématique.
77 Ce changement de métaphore est fondateur du droit international au milieu du XIXe siècle. Mais qu’il ait rêvé d’édifier ce principe sur une base informelle (normes de bons comportements dans une « société internationale »), légale (établissement de traités bilatéraux ou internationaux, comme on l’a vu ici en matière de droit social) ou morale (liste de droits humains servant de standards aux législations nationales), celui-ci a toujours buté sur l’impossibilité de s’appuyer sur une instance de contrôle supranationale [132]. Du même coup, la solution trouvée à Gotha est, par défaut, restée active. Elle guide depuis plus d’un siècle et demi les accords bilatéraux ou multilatéraux par lesquels les États s’engagent à réadmettre sur leur sol leurs ressortissants – ou, de plus en plus depuis 1945, ceux de pays tiers – refoulés ou expulsés [133].
78 La montée en puissance des questions liées au droit d’asile lui a donné une nouvelle vigueur [134]. Le traité de Gotha constitue l’une des assises juridiques à peu près stables du droit international des réfugiés, tout en maintenant son ambiguïté fondatrice : ce n’est qu’en acceptant le jeu de la « société internationale » que les États peuvent faire valoir leur souveraineté. C’est de même la contradiction inhérente à la souveraineté étatique – la difficulté en droit international, sans même mentionner l’opposition d’une partie de la société civile, de refouler et d’expulser – qui explique le souci de l’Europe de tenir les demandeurs d’asile à distance de ses frontières maritimes et terrestres. Sa traduction policière passe par un système d’accords bilatéraux avec les pays d’émigration ou de transit (États côtiers de la Méditerranée et de l’Atlantique) rendant possible l’arraisonnement des candidats à l’immigration clandestine au prix d’une violation des principes constitutionnels européens les plus fondamentaux qui, précisément, garantissent la possibilité de solliciter le droit d’asile. Là encore, on ne peut penser les méfaits de l’excès de souveraineté étatique sans en comprendre simultanément les failles, ni les violations des statuts politiques des migrants en reléguant au second plan la question de leurs droits sociaux [135].
Mise en ligne 01/07/2011
Notes
-
[1]
- Gabriel CHARLIAC, De l’assistance des étrangers indigents devant les tribunaux, Paris, Impr. Henri Jouve, 1905, p. 7-8.
-
[2]
- Carl SCHMITT, Parlementarisme et démocratie, 1923, cité par Gérard NOIRIEL, La tyrannie du national. Le droit d’asile en Europe, 1793-1993, Paris, Calmann-Lévy, 1991, p. 311.
-
[3]
- Catherine DAUVERGNE, Making people illegal : What globalization means for migration and law, Cambridge, Cambridge University Press, 2008.
-
[4]
- Aristide ZOLBERG, « The Great Wall against China : Responses to the first immigration crisis, 1888-1925 », in J. LUCASSEN et L. LUCASSEN (dir.), Migration, migration history, history : Old paradigms and new perspectives, Berne, Peter Lang, 1997, p. 291-315.
-
[5]
- Pour des analyses en français, voir Sandro MEZZADRA, « De la communauté d’intérêts à la lutte de classe. ‘Constitution du travail’ et migrations dans les écrits de Max Weber sur les travailleurs agricoles », Multitudes, 19, 2004, p. 103-118 ; et Michael POLLAK, « Un texte dans son contexte. L’enquête de Max Weber sur les ouvriers agricoles », Actes de la recherche en sciences sociales, 65, 1986, p. 69-75.
-
[6]
- David FELDMAN, « Migrants, immigrants and welfare from the Old Poor Law to the Welfare State », Transactions of the Royal Historical Society, 13, 2003, p. 79-104.
-
[7]
- Laurent DORNEL, La France hostile. Socio-histoire de la xénophobie, 1870-1914, Paris, Hachette littératures, 2004 ; Gérard NOIRIEL, Le massacre des Italiens. Aigues-Mortes, 17 août 1893, Paris, Fayard, 2009 ; et pour l’entre-deux-guerres, Claire ZALC, Melting shops. Une histoire des commerçants étrangers en France, Paris, Perrin, 2010.
-
[8]
- G. NOIRIEL, La tyrannie du national..., op. cit.
-
[9]
- Aristide ZOLBERG, « Managing a world on the move », Population and Development Review, 32, 2006, p. 222-253.
-
[10]
- Yasemin NUHO?LU SOYSAL, Limits of citizenship : Migrants and postnational membership in Europe, Chicago, University of Chicago Press, 1994, notamment le chapitre 8 ; Saskia SASSEN, Losing control ? Sovereignty in an age of globalization, New York, Columbia University Press, 1996.
-
[11]
- Danièle LOCHAK, Face aux migrants. État de droit ou état de siège ?, Paris, Textuel, 2007.
-
[12]
- Bertrand BADIE, Le diplomate et l’intrus. L’entrée des sociétés dans l’arène internationale, Paris, Fayard, 2007.
-
[13]
- David FELDMAN, « Was the nineteenth century a golden age for immigrants ? The changing articulation of national, local and voluntary controls », in A. FAHRMEIR, O. FARON et P. WEIL (dir.), Migration control in the North Atlantic world : The evolution of state practices in Europe and the United States from the French Revolution to the inter-war period, New York, Berghahn Books, 2003, p. 167-177.
-
[14]
- Voir la riche analyse critique de Karine MICHELET, Les droits sociaux des étrangers, Paris, L’Harmattan, 2002. Parmi les obstacles opposés à l’assimilation juridique des étrangers aux nationaux figure l’ambiguïté de certains traités internationaux qui parlent d’« origine nationale » plutôt que de « nationalité », permettant de limiter aux naturalisés l’égalisation des statuts. L’architecture édifiée par les conventions de l’Organisation internationale du travail, dont il sera beaucoup question dans cet article, évite délibérément ce biais.
-
[15]
- Antoine MATH et Alexis SPIRE, « Des emplois réservés aux nationaux ? Dispositions légales et discriminations dans l’accès à l’emploi », Informations sociales, 78, 1999, p. 50- 57 et, pour une mise à jour par les mêmes auteurs, « Emplois fermés : une ouverture timide », Plein droit, 80, 2009 : http://www.gisti.org/spip.php ?article1406.
-
[16]
- Voir la synthèse de François NEUVILLE, Le statut juridique du travailleur étranger en France au regard des assurances sociales, de l’assistance et de la prévoyance sociale, Paris, L. Chauny et L. Quinsac, 1931.
-
[17]
- L’argument est rappelé dans Les étrangers et les Assurances sociales. Guide d’application pratique à l’usage des employeurs de main-d’œuvre étrangère, Paris, Société générale d’immigration et Comité central des assurances sociales, 1930, p. 7.
-
[18]
- Par contraste, voir Pierre LASCOUMES et Patrick LE GALÈS (dir.), Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, 2004.
-
[19]
- Cette lacune est pointée par Frank CAESTECKER, « The transformation of nineteenth-century West European expulsion policy, 1880-1914 », in A. FAHRMEIR, O. FARON et P. WEIL (dir.), Migration control in the North Atlantic world..., op. cit., p. 120-137, ici p. 121. La question est en revanche bien étudiée pour les années 1930 : Philippe RYGIEL (dir.), Le bon grain et l’ivraie. La sélection des migrants en Occident, 1880-1939, La Courneuve, Aux Lieux d’Être, [2004] 2006.
-
[20]
- D. FELDMAN, « Was the nineteenth century a golden age... », art. cit.
-
[21]
- Andreas FAHRMEIR, Citizens and aliens : Foreigners and the law in Britain and the German States, 1789-1870, New York, Berghahn Books, 2000. On doit préciser qu’après plusieurs années d’installation, ces migrants interallemands perdent leur nationalité d’origine au profit de celle de l’État de résidence, disposition dont l’auteur étudie les modalités et les effets pervers.
-
[22]
- Pour prendre quelques exemples, de 1836 à 1850 la Bavière expulse 6 000 à 12 000 vagabonds étrangers par an : A. FAHRMEIR, Citizens and aliens..., op. cit., p. 191. L’Angleterre renvoie 29 000 Irlandais – qui, il est vrai, sont plus des migrants coloniaux que des étrangers – de 1845 à 1849, et 50 000 rien que par Liverpool et Londres dans les cinq années suivantes, en pleine famine de la pomme de terre : D. FELDMAN, « Was the nineteenth century a golden age... », art. cit., p. 170. De 1877 à 1879, plus de 9 500 étrangers sont éloignés de Belgique : Louis-Joseph-Delphin FÉRAUD-GIRAUD, Droit d’expulsion des étrangers. VIIIe commission de l’Institut de droit international : contribution à l’étude de la question, Aix-en-Provence, A. Makaire, 1889, p. 28 sq.
-
[23]
- Sur l’argument du coût du contrôle de la migration, voir K.M. N. CARPENTER, « ‘Beggars appear everywhere !’ Changing approaches to migration control in mid-nineteenth century Munich », in A. FAHRMEIR, O. FARON et P. WEIL (dir.), Migration control in the North Atlantic world..., op. cit., p. 92-105. Sur le mode de gestion d’un État pauvre, voir l’analyse plus générale de Reinhart KOSELLECK, « La désagrégation de la ‘maison’ comme entité de domination. Quelques remarques sur l’évolution du droit réglementant maison, famille et domesticité en Prusse entre la Révolution française et 1848 », in C. DELACROIX, F. DOSSE et P. GARCIA (dir.), Historicités, Paris, La Découverte, 2009, p. 85-104.
-
[24]
- L.-J.-D. FÉRAUD-GIRAUD, Droit d’expulsion des étrangers..., op. cit., p. 58 sq.
-
[25]
- À compter de la fin du XVIIe siècle, les villes des Provinces-Unies ont formalisé ce rôle du cercle des proches en exigeant des immigrants des « lettres de garantie » (acte van indemniteit ou acte van cautie). Voir Marco H. D. VAN LEEUWEN, « Migrants’ entitlements to poor relief in the Netherlands, XVIth-XXth centuries », communication au colloque Migrants, entitlements and welfare, 1500-2000 : Comparative perspectives, Bruxelles, 6-7 septembre 2010.
-
[26]
- Cyrille VAN OVERBERGH, L’assistance aux étrangers : la solution internationale, Bruxelles, A. Dewit, 1912, p. 196 sq.
-
[27]
- Un peu moins de 3 000 expulsions par an sont enregistrées en moyenne de 1876 à 1880 selon L.-J.-D. FÉRAUD-GIRAUD, Droit d’expulsion des étrangers..., op. cit., p. 28, pour une population immigrante d’un million environ au total. Joseph-André DARUT, De l’expulsion des étrangers : principe général, application en France, Aix-en-Provence, Impr. B. Niel, 1902, donne une idée des profils des expulsés à partir d’une série de cas sélectionnée selon son propos mais néanmoins précieuse étant donné le désintérêt de l’historiographie pour la question. Le juriste insiste sur la sévérité et l’arbitraire des sentences prononcées à l’encontre des étrangers (« les exemples abondent d’arrêtés d’expulsion pris à l’encontre d’étrangers qui n’étaient dangereux à aucun point de vue et qu’un moment d’oubli de leur part a condamnés à vivre éloignés de la France, où le plus souvent se trouvent leur famille et leurs intérêts », p. 160 sq.).
-
[28]
- Sur l’échec du projet révolutionnaire de nationaliser l’assistance et sur l’hétérogénéité qui en résulte, voir Pierre ROSANVALLON, L’État en France de 1789 à nos jours, Paris, Éd. du Seuil, 1990, p. 139 sq.
-
[29]
- Voir ÉVEILLÉ, L’assistance aux étrangers en France, Paris, Impr. Jouve et Boyer, 1899. L’auteur dénombre, pour l’année 1896, 55 209 étrangers secourus par les bureaux de bienfaisance contre 1 476 571 Français (p. 64), chiffre qui permet d’affirmer que la proportion des étrangers aidés est supérieure à celle des nationaux, mais pas de mesurer s’ils se heurtent ou non à des taux de refus différents de ceux des indigents français.
-
[30]
- Pour une étude de la transition, postérieure, d’un régime à l’autre, voir dans le cas français Françoise de BARROS, « Secours aux chômeurs et assistances durant l’entre-deux-guerres. Étatisation des dispositifs et structuration des espaces politiques locaux », Politix, 53, 2001, p. 117-144 ; et Hélène FROUARD, Du coron au HLM. Patronat et logement social, 1894-1953, Rennes, PUR, 2008.
-
[31]
- Giandomenico MAJONE, La Communauté européenne : un État régulateur, Paris, Monchrestien, 1996.
-
[32]
- Comme introduction à un long débat historiographique sur sa portée et ses effets, voir l’article séminal de James Stephen TAYLOR, « The impact of pauper settlement 1691-1834 », Past & Present, 73, 1976, p. 42-74 ; et Keith SNELL, « Pauper settlement and the right to poor relief in England and Wales », Continuity and Change, 6-3, 1991, p. 375- 415. Pour une perspective comparative, voir Leo LUCASSEN, « Eternal vagrants ? State formation, migration, and travelling groups in Western Europe, 1350-1914 », in J. LUCASSEN et L. LUCASSEN (dir.), Migration, migration history, history..., op. cit., p. 225-251.
-
[33]
- Philippe RYGIEL, « Indésirables et migrants désirés. Notes sur les pratiques de sélection des migrants dans quelques grands pays d’immigration (1850-1939) », Le bon grain et l’ivraie..., op. cit., p. 21-35.
-
[34]
- Il est ainsi établi que la France du second après-guerre avait, par l’ordonnance du 2 novembre 1945 prohibant la sélection nationale aux frontières, créé des migrants réguliers mais indésirables (les Nord-Africains) et des migrants irréguliers désirables, Italiens puis Portugais. Voir Patrick WEIL, « Racisme et discrimination dans la politique française de l’immigration, 1938-1945/1974-1995 », Vingtième Siècle, 47, 1995, p. 77-102 ; Alexis SPIRE, Étrangers à la carte. L’administration de l’immigration en France, 1945-1975, Paris, Grasset, 2005 ; Victor PEREIRA, « Une migration favorisée. Les représentations et pratiques étatiques vis-à-vis de la migration portugaise en France (1945-1974) », in M.-C. BLANC-CHALÉARD, S. DUFOIX et P. WEIL (dir.), L’étranger en questions du Moyen Âge à l’an 2000, Paris, Le Manuscrit, 2005, p. 285-323.
-
[35]
- Paul WEINDLING, « Migration, race et génocide : l’émergence d’un nouveau discours sur les droits de l’homme », in P. GONZÁLEZ-BERNALDO, M. MARTINI et M.-L. PELUS-KAPLAN (dir.), Étrangers et sociétés : représentations, coexistences, interactions dans la longue durée, Rennes, PUR, 2008, p. 265-270.
-
[36]
- Iouda TCHERNOFF, Du nouveau rôle de l’assistance internationale et le droit de séjour des étrangers, Paris, Chevalier-Marescq, 1899 (tiré à part de la Revue du droit public et de la Science politique en France et à l’étranger, 1899). Sur le milieu de référence de l’auteur, voir Dzovinar KÉVONIAN « Les juristes juifs russes en France et l’action internationale dans les années vingt », Archives Juives, 34-2, 2001, p. 72-94.
-
[37]
- Pour une présentation synthétique, voir P. CHABANEL, Le Congrès international d’assistance de Paris en 1889, Paris, Berger-Levrault, 1891 (tiré à part de la Revue générale d’administration) et, vingt ans plus tard, Nissim SAMAMA, Société internationale pour l’étude des questions d’assistance. Le problème de l’assistance aux étrangers d’après les derniers congrès internationaux, Paris, Masson, 1911.
-
[38]
- Centre des archives diplomatiques de Nantes (CADN), 579PO/1/392 : la citation est extraite d’un courrier du 7 février 1902 de l’ambassade de France à Rome au ministre des Affaires étrangères.
-
[39]
- Archives de l’Istituto Veneto di Scienze, Lettere ed Arti (IVSLA), Venise, fonds Luigi Luzzatti, 153/1. Après avoir été chargé en 1872 par le ministre des Finances, Quintino Sella, de négocier les tarifs douaniers avec « le président Thiers », Luzzatti participera pendant plus de quarante ans à toutes les négociations commerciales italiennes, dont une succession de traités de commerce avec la France.
-
[40]
- Contrepartie explicite du traité, cette création institutionnelle s’insère elle-même dans le cadre des réformes sociales du gouvernement Giolitti. Pour une présentation, voir Enzo BARTOCCI, Le politiche sociali nell’Italia liberale, 1861-1919, Rome, Donzelli, 1999.
-
[41]
- Sur son importance à la fois pour la politique intérieure et extérieure des deux pays et pour l’expansion du droit et des organismes internationaux dans le domaine social, voir Madeleine HERREN, Internationale Sozialpolitik vor dem Ersten Weltkrieg. Die Anfänge europäischer Kooperation aus der Sicht Frankreichs, Berlin, Duncker & Humblot, 1993, p. 140-145.
-
[42]
- Paul-André ROSENTAL, « Géopolitique et État-providence : le BIT et la politique mondiale des migrations dans l’entre-deux-guerres », Annales HSS, 61-1, 2006, p. 99-134.
-
[43]
- Daniel T. RODGERS, Atlantic crossings : Social politics in a progressive age, Cambridge, Belknap Press of Harvard University Press, 1998. Le terme de nébuleuse renvoie bien sûr à Christian TOPALOV (dir.), Laboratoires du nouveau siècle. La nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France, 1800-1914, Paris, Éd. de l’EHESS, 1999.
-
[44]
- Laurence FONTAINE, L’économie morale. Pauvreté, crédit et confiance dans l’Europe pré-industrielle, Paris, Gallimard, 2008.
-
[45]
- Pour un point récent sur la question voir Roberto ZAUGG, « Mercanti stranieri e giudici napoletani. La gestione dei conflitti in antico regime », Quaderni Storici, 45-1, 2010, p. 139-170.
-
[46]
- Suzanne BERGER, Notre première mondialisation. Leçons d’un échec oublié, Paris, Le Seuil, 2003.
-
[47]
- Sur le détail de ces négociations, voir CADN, Ambassade de France à Rome, 579PO/ 1/392, et IVSLA, fonds Luigi Luzzatti, 157/1, ainsi que la correspondance, carton 37, fasc. « Fontaine Arthur » : lettres d’Arthur Fontaine respectivement à Luzzatti (1er avril 1904) et à l’ambassadeur Camille Barrère (24 et 27 novembre 1904).
-
[48]
- Sur les attendus et les effets de cette conférence, voir P.-A. ROSENTAL, « Géopolitique et État-providence... », art. cit. Une présentation de ses décisions est disponible en français dans Conférence internationale de Berlin en vue d’établir une législation sur le travail des enfants et des femmes, Paris, Imprimerie nationale, 1891.
-
[49]
- Erich NOHER, Die internationalen Verträge über die Aus- und Einwanderung, Zurich, Dietrich Schindler, s. d. [1936].
-
[50]
- En 1904, l’un des arguments utilisés par les réformateurs français pour soumettre à leur gouvernement le projet d’accord franco-italien est de créer une voie juridique « latine » à la résolution juridique de la migration internationale, jusque-là dominée par le droit allemand. Cette compétition de modèle donnait à l’époque une grande importance politique à la Suisse, capable de jouer entre les deux modèles.
-
[51]
- « L’accomplissement et l’amélioration des œuvres de pitié sont une branche de cette vie sociale dont le domaine n’est pas exclusivement national, mais ne peut atteindre sa plénitude que s’il est question de l’humanité entière » (p. 3).
-
[52]
- « Ce simple fait que les peuples comprennent désormais ces secours apportés aux indigents étrangers dans les nécessités d’une assistance efficace, est une des plus grandes conquêtes contemporaines de l’idée humanitaire » (p. 4).
-
[53]
- « L’assistance est à la fois humaine, c’est-à-dire internationale, lorsqu’on n’en considère que la base normale, et nationale lorsqu’il s’agit de la réalisation immédiate et de la collaboration de tous les citoyens » (p. 4).
-
[54]
- Sur cet entrelacs, voir Marie-Claude BLAIS, La solidarité. Histoire d’une idée, Paris, Gallimard, 2007.
-
[55]
- Pour reprendre l’expression de Gérard NOIRIEL, État, nation et immigration. Vers une histoire du pouvoir, Paris, Gallimard, 2001, p. 445.
-
[56]
- Tel Lucien Baudelot (1869-1954), qui termine sa carrière à la fois comme représentant de l’Ordre des avocats au Conseil supérieur de la magistrature et comme président de l’assistance judiciaire. Je remercie Christian Baudelot pour les précisions biographiques qu’il m’a fournies à son propos.
-
[57]
« N’avons-nous pas admis les étrangers, comme nos nationaux, au bénéfice de l’assistance judiciaire ? En cas d’accidents du travail, n’ont-ils pas droit aux garanties de la loi du 9 avril 1898 ? Allons-nous maintenant, en nous donnant un démenti à nous-mêmes, exclure le prolétariat étranger qui veut prendre sa part de notre civilisation et de notre lumière ; lui dirons-nous sous l’empire d’une sorte de chauvinisme cynique : ‘Ôte-toi de notre soleil !’ » (Chambre des députés, 26 novembre 1903, no 1322).
-
[58]
- G. CHARLIAC, De l’assistance des étrangers indigents..., op. cit., p. 30. L’ensemble de ce paragraphe est issu des analyses de l’auteur.
-
[59]
- Pour reprendre l’expression du juriste Charles-Henri Vergé (1810-1890), cité par Martti KOSKENNIEMI, The gentle civilizer of nations : The rise and fall of international law, 1870-1960, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, p. 27.
-
[60]
- CADN, 579PO/1/392 : lettre du ministre du Travail et de la Prévoyance sociale, René Viviani, au ministre des Affaires étrangères, Stephen Pichon, 21 juin 1909.
-
[61]
- Ibid., rapport du 11 septembre 1919.
-
[62]
- HANNAH ARENDT, « Le déclin de l’État-nation et la fin des droits de l’homme », Les origines du totalitarisme, Paris, Gallimard, [1951] 2002, p. 576 et 593, a réservé ses sarcasmes aux « efforts des idéalistes bien intentionnés, qui s’entêtent à considérer comme ‘inaliénables’ ces droits humains dont ne jouissent que les citoyens des pays les plus prospères et les plus civilisés ». Au premier rang des « personnalités marginales » raillées par la philosophe figurent précisément, aux côtés des « philanthropes professionnels », les « juristes du droit international sans expérience politique ».
-
[63]
- Sur l’analyse de la généralisation (juridique et extra-juridique) par les sciences sociales, voir Jean-Claude PASSERON et Jacques REVEL (dir.), Penser par cas, Paris, Éd. de l’EHESS, 2005 ; ainsi que « Formes de la généralisation », no spécial des Annales HSS, 62-1, 2007.
-
[64]
- Voir la discussion par le pionnier du droit du travail (et à l’occasion négociateur de traités bilatéraux sur les migrations), William OUALID, « Pour une politique internationale des migrations de travailleurs », Revue de l’immigration, 22-2, 1930, p. 16-21.
-
[65]
- Outre Christoph RASS, « Bilaterale Wanderungsverträge und die Entwicklung eines internationalen Arbeitsmarktes in Europa, 1919-1974 », Geschichte und Gesellschaft, 35-1, 2009, p. 98-134, et P.-A. ROSENTAL, « Géopolitique et État-providence... », art. cit., pour la question des migrations, voir Christoph CONRAD (dir.), « Sozialpolitik transnational », Geschichte und Gesellschaft, 32-4, 2006 ; Kenneth BERTRAM et Sandrine KOTT (dir.), « Actions sociales transnationales », Genèses, 71, 2008 ; Aiqun HU et Patrick MANNING, « The global social insurance movement since the 1880s », Journal of Global History, 5-1, 2010, p. 125-148.
-
[66]
- Dzovinar KÉVONIAN, « Réflexions pour une Europe sociale : la question des réfugiés et le tournant des années 1929-1933 », in S. SCHIRMANN (dir.), Organisations internationales et architectures européennes, 1929-1939, Metz, CRHCEO, 2003, p. 213-228.
-
[67]
- Maurizio FERRARA, Les nouvelles frontières du social. L’intégration européenne et les transformations de l’espace politique de la protection sociale, Paris, Presses de la FNSP, 2009. Sur le processus de mutation des principes de l’OIT pendant la Seconde Guerre mondiale, voir Bernard DELPAL, « Le refuge américain de l’OIT (1940-1946). De l’esprit de Genève à l’esprit de Philadelphie, place du syndicalisme dans la stratégie de reconstruction », in I. LESPINET-MORET et V. VIET (dir.), L’Organisation internationale du Travail. Origine, développement, avenir, Rennes, PUR, 2011, p. 107-120.
-
[68]
- Voir de ce point de vue, en matière migratoire, l’exemplaire ouvrage de François MANCHUELLE, Les diasporas des travailleurs soninké (1848-1960). Migrants volontaires. Paris, Karthala, 2004.
-
[69]
- Nancy GREEN et François WEIL (dir.), Citoyenneté et émigration. Les politiques du départ, Paris, Éd. de l’EHESS, 2006.
-
[70]
- Le dépouillement et la traduction des plaintes ont été effectués à Prague par Emanuela Mackova.
-
[71]
Archives du ministère des Affaires étrangères, République de Tchécoslovaquie, Prague, Consulat de Lyon, correspondance du 19 décembre 1920.
-
[72]
- Archives du ministère des Affaires étrangères, République de Tchécoslovaquie, Prague, Ve section (administrative), partie 6, carton 456.
-
[73]
- Il est plus aisé en effet d’observer des logiques de chaînes et de filières que d’objectiver la concurrence sur des niches économiques qui se traduit souvent par la disparition des flux « perdants ». Voir toutefois Gary MORMINO, « ‘We worked hard and took care of our own’ : Oral history and Italians in Tampa », Labor History, 23-3, 1982, p. 395- 415 ; Corinne MAITTE, « Coopération et concurrence entre verriers migrants à l’époque moderne », in P. GONZÁLEZ-BERNALDO, M. MARTINI et M.-L. PELUS-KAPLAN (dir.), Étrangers et sociétés..., op. cit., p. 317-335 ; Laurence FONTAINE, « Montagnes et migrations de travail. Un essai de comparaison globale (XVe-XXe siècles) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 52-2, 2005, p. 26-48. Pour une formalisation, voir Samuel A. STOUFFER, « Intervening opportunities and competing migrants », Journal of Regional Science, 2-1, 1960, p. 1-26.
-
[74]
- CADN, Ambassade de France à Prague, 545PO/1/10, lettre du ministre des Affaires étrangères à l’ambassadeur, 15 juillet 1919 : « Il y aurait intérêt à entamer des pourparlers avec le gouvernement tchécoslovaque en l’informant que des projets de traités de travail sont à l’étude entre le Gouvernement français et différents pays étrangers. »
-
[75]
- Le contrat de travail « n’est plus une simple variante sans grand intérêt du louage en général, mais un contrat d’une grande importance sociale ayant sur le plan juridique une individualité propre vis-à-vis de tout autre type de contrat. C’est lui qui fait vivre la majorité des hommes dans tous les pays du monde [...]. Les nombreux traités internationaux conclus sous l’inspiration du Bureau International du Travail y ont beaucoup contribué », résume Kurt KRONHEIM, Les conflits de lois en matière de contrat de travail. Étude de jurisprudence comparée, Paris, Librairie technique et économique, 1938, p. 6.
-
[76]
- Les travailleurs migrants. Recrutement, placement et conditions de travail, Genève, BIT, 1936, p. 183 : « Le contrat-type de travail, cheville ouvrière du recrutement, s’intègre dans le système même du traité bilatéral et prend, lui aussi, la valeur d’un engagement international. » Permettant de compléter des traités énonçant des principes durables « par des textes précis mais plus facilement remaniables et adaptés aux circonstances [...], il constitue en quelque sorte la partie mobile du traité ».
-
[77]
Aux États-Unis, au contraire, les syndicats ont une piètre estime du contrat de travail, apanage selon eux des travailleurs migrants non qualifiés. Catherine COLLOMP, « Labour unions and the nationalisation of immigration restriction in the United States, 1880-1924 », in A. FAHRMEIR, O. FARON et P. WEIL (dir.), Migration control in the North Atlantic world..., op. cit., p. 237-252.
-
[78]
- Les travailleurs migrants..., op. cit., p. 180. Les syndicats européens entreprennent même de s’organiser sectoriellement afin d’obtenir une régulation transnationale du marché du travail, à l’image en 1923 de la Conférence internationale des travailleurs du bâtiment de France, Allemagne, Italie, Tchécoslovaquie, Hongrie, Belgique. Elle fonde un Bureau international de la main-d’œuvre étrangère en France qui entreprend le « recrutement syndical de toute main-d’œuvre des autres nationalités nécessaires » et s’efforce de lui assurer « le maximum de garanties et de sécurité possible concernant les salaires, les accidents du travail, l’hygiène, etc. » sous le contrôle de l’internationale du bâtiment (id., p. 216-217).
-
[79]
- Pour une formulation explicite de ces enjeux, W. OUALID, « Pour une politique internationale des migrations... », art. cit., p. 16-21. L’analyse est transposable aux populations les plus vulnérables si l’on observe, dans la France du XIXe siècle, la diffusion des contrats écrits d’apprentissage ou de travail dans le milieu agricole ou artisanal via le placement par l’État des enfants trouvés et pupilles de l’assistance publique. Voir Ivan JABLONKA, « Agrarisme et État-providence. Le travail des enfants abandonnés sous la Troisième République », Le Mouvement Social, 209, 2004, p. 9-24 ; et Id., Les enfants de la République. L’intégration des jeunes de 1789 à nos jours, Paris, Le Seuil, 2010. Des dynamiques similaires, mais mises en œuvre par des associations, ont été étudiées dans le cas des migrations de jeunes travailleuses par Caroline DOUKI, « Entre discipline manufacturière, contrôle sexué et protection des femmes : recrutement, encadrement et protection des jeunes migrantes italiennes vers les usines textiles européennes (France, Suisse, Allemagne) au début du XXe siècle », Migrations Société, 127, 2010, p. 89-120. De nos jours, l’écho le plus spectaculaire de ces processus est sans doute le rôle des migrants intérieurs ruraux, exclus de la pleine citoyenneté sociale, dans la mise en œuvre effective du droit social dans la Chine contemporaine : Isabelle THIREAU et Linshan HUA, « Jugements de légitimité et d’illégitimité : la vie normative dans les nouveaux lieux de travail en Chine », Revue française de sociologie, 46-3, 2005, p. 529- 558 ; Chloé FROISSART, « The rise of migrant workers’ collective action : Toward a new social contract in China », in G. GUIHEUX et K. E. KUAH-PEARCE (dir.), Social movement in China and Hong Kong : The expansion of protest space, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2009, p. 155-178.
-
[80]
- Archives nationales (AN), F10 2748, lettre du ministre de l’Agriculture, Henri Queuille, aux préfets, 23 mars 1934.
-
[81]
Catherine COLLOMP, « Immigrants, labor markets, and the state, a comparative approach : France and the United States, 1880-1930 », The Journal of American History, 86-1, 1999, p. 41-66, ici p. 62 et 66.
-
[82]
- F. NEUVILLE, Le statut juridique du travailleur étranger..., op. cit., p. 106 sq.
-
[83]
Archives du ministère des Affaires étrangères, République de Tchécoslovaquie, Prague, Ve section (administrative), partie 6, carton 486. Comme le déplore Karel Hanus, « référent social » du ministère auprès des émigrés tchécoslovaques en France, lors d’une réunion du 16 mars 1937 au ministère de l’Agriculture à Prague, la retenue salariale imposée aux ouvriers saisonniers n’a « aucun intérêt car ils n’ont droit à l’assurance sociale qu’après six mois, moment où expire leur contrat de travail et où ils rentrent en Tchécoslovaquie ».
-
[84]
- Carl STRIKWERDA, « The troubled origins of European economic integration : International iron and steel and labor migration in the era of World War I », The American Historical Review, 98-4, 1993, p. 1106-1129, observe leur importance, dès avant 1914, dans la concurrence sur la main-d’œuvre qui oppose les industriels du bassin transfrontalier situé entre France, Allemagne, Belgique et le Luxembourg.
-
[85]
- Nombreux exemples dans AN, F10 2748.
-
[86]
- Sur l’effet de la fiscalité sur les migrations interallemandes au XIXe siècle, voir Mark SPOERER, « The evolution of public finances in nineteenth-century Germany », in J. L. CARDOSO et P. LAINS (dir.), Paying for the liberal state : The rise of public finance in nineteenth-century Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 2010, p. 103-131, notamment p. 121 sq.
-
[87]
- Archives du ministère des Affaires étrangères, République de Tchécoslovaquie, Prague, Ve section (administrative), partie 6, carton 456, rapport de Karel Hanus, 27 mai 1932.
-
[88]
- F. NEUVILLE, Le statut juridique du travailleur étranger..., op. cit., p. 131.
-
[89]
- Mary D. LEWIS, The boundaries of the Republic : Migrant rights and the limits of universalism in France, 1918-1940, Stanford, Stanford University Press, 2007.
-
[90]
- Ibid., sur la supériorité relative du régime d’immigrant étranger protégé par un traité bilatéral sur la condition de travailleur colonial. Notons au passage que la question de la protection légale des travailleurs étrangers dans l’empire français reste largement à explorer, alors qu’elle est présente à l’esprit d’un réformateur comme dans IVSLA, fonds Luigi Luzzatti, 175/1, Conditions actuelles des Italiens en Tunisie, s. d. (prob. 1907), document anonyme.
-
[91]
- Victor PEREIRA, « Entre modernisateurs et conservateurs : les débats au Portugal sur l’émigration portugaise en France, 1958-1974 », Actes de l’histoire de l’immigration, 3, 2003 : http://barthes.ens.fr/clio/revues/AHI/articles/volumes/per.html, propose une dense analyse de la contradiction des intérêts au sein des élites d’un pays d’émigration, le Portugal salazariste.
-
[92]
- Le souci de protection de l’information véhiculée par les migrants qualifiés est la parfaite continuation d’une logique qui prévalait à l’époque moderne : voir Corinne MAITTE, Les chemins de verre. Les migrations des verriers d’Altare et de Venise, XVIe-XIXe siècles, Rennes, PUR, 2009, p. 214 sq.
-
[93]
- Archives du ministère des Affaires étrangères, République de Tchécoslovaquie, Prague, Ve section (administrative), partie 6, carton 456, résumé des négociations franco-tchèques depuis 1920 sur l’assistance aux indigents malades et, du côté français, AN, F10 2749.
-
[94]
- Rapport présenté le 3 juin 1937 par Jean Neyret (groupe de l’Union démocratique et radicale) au nom de la commission sénatoriale de l’hygiène, de l’assistance, de l’assurance et de la prévoyance sociales (Sénat, no 322).
-
[95]
- En examinant les plaintes et sollicitations soumises au député Édouard Daladier par les habitants du Vaucluse, Frédéric MONIER, La politique des plaintes. Clientélisme et demandes sociales dans le Vaucluse d’Édouard Daladier (1890-1940), Paris, La Boutique de l’Histoire, 2007, p. 231 sq., débouche sur une interrogation similaire.
-
[96]
- A. SPIRE, Étrangers à la carte..., op. cit., p. 46 sq.
-
[97]
- Caroline DOUKI, David FELDMAN et Paul-André ROSENTAL, « Pour une histoire relationnelle du ministère du Travail en France, en Italie et au Royaume-Uni dans l’entre-deux-guerres : le transnational, le bilatéral et l’interministériel en matière de politique migratoire », in A. CHATRIOT, O. JOIN-LAMBERT et V. VIET (dir.), Les politiques du travail, 1906-2000. Acteurs, institutions, réseaux, Rennes, PUR, 2006, p. 143-159.
-
[98]
- Archives du BIT, Genève, L4/13/1. Comme le conclut, dans un rapport interne, le représentant du BIT, Jacques Legouis, à la conférence internationale sur les cartes de transit organisée en juin 1929 par la SDN à Genève, « les compagnies de navigation deviennent de plus en plus de véritables agents des autorités, responsables envers celles-ci de l’observation des règlements d’immigration et de transit, et constituent en quelque sorte des cautions mises à profit dans les cas d’infractions commises aussi bien par l’émigrant ou des tiers que par leurs propres employés. De plus en plus elles prolongent considérablement l’action des services officiels en matière de recrutement, sélection, examen médical, assistance pendant le déplacement, contrôle de toute sorte, rapatriement, etc. ». Cette tentative de délégation de souveraineté est observable dès la fin du XIXe siècle, voir Katja WÜSTENBECKER, « Hamburg and the transit of East European emigrants », in A. FAHRMEIR, O. FARON et P. WEIL (dir.), Migration control in the North Atlantic world..., op. cit., p. 227-234, notamment p. 228 sq. Voir aussi l’article de Caroline Douki dans le présent dossier.
-
[99]
- Stéphane DE TAPIA, « La route turque des Balkans, itinéraire principal et variantes des années 1950 à nos jours », Relations Internationales, 96, 1998, p. 431-449, montre notamment avec quelle rapidité les itinéraires terrestres d’acheminement des migrants turcs en Europe occidentale ont pu être réadaptés aux phases successives des guerres des Balkans dans les années 1980 et 1990.
-
[100]
- Manuela MARTINI et Philippe RYGIEL (dir.), « Genre, filières migratoires et marché du travail. Acteurs et institutions de la société civile en Europe au XXe siècle », Migration Société, 127, 2010.
-
[101]
- Archives du ministère de la Prévoyance sociale, République de Tchécoslovaquie, Prague, fonds 367, 2423/E3/e-14/1784 : on en prendra pour exemple la demande relayée le 24 janvier 1930 par la Ceska kolonizacni spol (Société tchèque de colonisation) : la Société Theg à Hénin-Liétard souhaite recruter deux cimentiers célibataires et quatre mariés, quatre maçons célibataires, quatre planchéieurs célibataires, deux plieurs de fer célibataires et un chef maçon marié sans sa famille. La demande n’est pas isolée : les archives du ministère tchécoslovaque de l’Agriculture (83/2/545) contiennent par exemple un formulaire-type de « Demande pour le recrutement d’une famille de maîtres-valets » qui, en 1922, permet aux exploitants français de préciser non seulement les qualifications qu’ils attendent des immigrants mais aussi « si possible » la composition de leur ménage (nombre maximum d’hommes, de femmes et d’enfants).
-
[102]
- Sur les conditions d’embauche des Polonais en France, voir Janine PONTY, Polonais méconnus. Histoire des travailleurs immigrés en France dans l’entre-deux-guerres, Paris, Publications de la Sorbonne, 1988 ; et sur l’immigration agricole, voir Ronald HUBSCHER, L’immigration dans les campagnes françaises, XIXe-XXe siècle, Paris, Odile Jacob, 2005.
-
[103]
- AN, F10 2749, Rapport sur la sélection médicale en Tchécoslovaquie, 2 septembre 1932.
-
[104]
- Archives du ministère de l’Agriculture, Prague, 83/2/545. Dans les interminables listes de plaintes que relaie le ministère de l’Agriculture français à son homologue tchécoslovaque, il est fréquent que l’écart entre les compétences déclarées et l’expérience réelle paraisse considérable. C’est le cas de la protestation reçue le 2 avril 1924 de l’infortuné Lencauchez au sujet du ménage slovaque qu’il comptait employer dans sa vacherie : « ces gens d’une incompétence absolue [...] sortent sûrement d’une ville où ils n’ont vu des vaches que sur des images ».
-
[105]
- Archives du ministère de la Prévoyance sociale, Prague, fonds 367, 2423/E3/e-14/ 1784. Par son degré de précision, la correspondance entre les ministères français et les institutions tchécoslovaques (consulats et, le cas échéant, remontée dans les ministères à Prague) confirme la contribution du contrôle administratif de la migration à la codification du marché du travail. Ainsi, le 14 décembre 1929, le consulat général de Tchécoslovaquie relaie à la direction (française) du Travail la plainte de deux ouvriers d’une entreprise de bâtiment ne touchant que 3,50 F de l’heure au lieu des 5 F garantis dans leur contrat. Dans sa réponse datée du 27 février 1930, l’administration française rétorque, après avoir effectué une enquête sur les lieux, que la plupart des ouvriers tchécoslovaques employés par l’entreprise « n’ont pu justifier de leur qualification professionnelle et ont été rémunérés suivant leurs capacités véritables [...]. Les autres ouvriers dont les essais ont été satisfaisants touchent les 5 F de l’heure prévus au contrat ».
-
[106]
- Laura Lee DOWNS, L’inégalité à la chaîne. La division sexuée du travail dans l’industrie métallurgique en France et en Angleterre, 1914-1930, Paris, Albin Michel, [1995] 2002, chap. 3.
-
[107]
- Ce modèle n’est pas sans rapport avec celui que propose, pour l’époque moderne, Wolfgang KAISER dans plusieurs travaux, dont Le commerce des captifs. Les intermédiaires dans l’échange et le rachat des prisonniers en Méditerranée, XVe-XVIIesiècles, Rome, École française de Rome, 2008.
-
[108]
- Clifford ROSENBERG, Policing Paris : The origins of modern immigration control between the wars, Ithaca, Cornell University Press, 2006.
-
[109]
- Anne-Sophie BRUNO et al., « Jugés sur pièces. Le traitement des dossiers de séjour et de travail des étrangers en France (1917-1984) », Population, 61-5/6, 2006, p. 737-762.
-
[110]
- AN, F10 2749. Comme le conclut, le 18 septembre 1930, le mémoire relatif à la suppression du passeport envisagée pour les ouvriers agricoles tchécoslovaques se rendant en France de la Mission du ministère de l’Agriculture français à Prague, « l’obligation du passeport, et les difficultés qui en résultent, mettent effectivement les recrutements pour la France, par rapport à certains pays, dans une situation défavorable. La suppression apporterait certainement des avantages appréciables aux ouvriers, aux employeurs et au Service de la main-d’œuvre et de l’immigration agricole au ministère français de l’agriculture ».
-
[111]
- C. DOUKI, D. FELDMAN et P.-A. ROSENTAL, « Pour une histoire relationnelle du ministère du Travail... », art. cit., p. 151 sq.
-
[112]
- Sandro RINAURO, Il cammino della speranza. L’emigrazione clandestina degli Italiani nel secondo dopoguerra, Turin, Einaudi, 2009.
-
[113]
F. CAESTECKER, « The transformation of nineteenth-century West European expulsion policy... », art. cit., p. 120.
-
[114]
- Caroline DOUKI, « L’État libéral italien face à l’émigration de masse (1860-1914) », in N. GREEN et F. WEIL (dir.), Citoyenneté et émigration..., op. cit., p. 95-117. Pour un modèle d’analyse de ce type de configuration (mais appréhendée à partir des professionnels du droit), voir Liora ISRAËL, « Usages militants du droit dans l’arène judiciaire : le cause lawyering », Droit et société, 49, 2001, p. 793-824.
-
[115]
- Brian BARBOUR et Brian GORLICK, « Embracing the ‘responsibility to protect’ : A repertoire of measures including asylum for potential victims », International Journal of Refugee Law, 20-4, 2008, p. 533-566.
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[116]
- B. BADIE, Le diplomate et l’intrus..., op. cit.
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[117]
Charles W. KEGLEY et Gregory A. RAYMOND, Exorcising the ghost of Westphalia : Building world order in the new millenium, Upper Saddle River, Prentice Hall, 2002.
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[118]
Andreas OSIANDER, « Sovereignty, international relations, and the Westphalian myth », International Organization, 55-2, 2001, p. 251-287. Sur les usages politiques ultérieurs de ce traité, voir aussi Claire GANTET, « La paix de Westphalie », in É. FRANÇOIS et H. SCHULZE (dir.), Mémoires allemandes, Paris, Gallimard, [2001] 2007, p. 121-142.
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[119]
- Christophe DUHAMELLE, La frontière au village. Une identité catholique allemande au temps des Lumières, Paris, Éd. de l’EHESS, 2010, p. 203 sq. Sur la discussion de ce problème par les contemporains, voir Guillaume GARNER, « La question douanière dans le discours économique en Allemagne (seconde moitié du XVIIIesiècle) », Histoire, économie & société, 23-1, 2004, p. 39-54.
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[120]
- Voir la synthèse récente d’Angelo TORRE (dir.), Per vie di terra. Movimenti di uomini e di cose nelle società di antico regime, Milan, F. Angeli, 2007.
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[121]
- Voir C. DUHAMELLE, La frontière au village..., op. cit., notamment chap. 8 et 10, sur ce jeu entre tensions quotidiennes et « coexistence dans le cadre de la paix publique perpétuelle » (p. 205). On peut avec profit comparer le traitement de la question en Inde, où les pèlerinages constituent une question politique majeure. Voir la première partie de l’ouvrage dirigé par Frédéric LANDY et Véronique DUPONT (dir.), Circulation et territoires dans le monde indien contemporain, Paris, Éd. de l’EHESS, 2010.
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[122]
- Sur la longue histoire – elle commence dès la création de la Confédération – de la négociation d’un traité migratoire entre États allemands, voir A. FAHRMEIR, Citizens and aliens..., op. cit., p. 32 sq.
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[123]
- Angela GROPPI, Il welfare prima del welfare. Assistenza alla vecchiaia e solidarietà tra generazioni a Roma in età moderna, Rome, Viella, 2010.
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[124]
- Voir L.-J.-D. FÉRAUD-GIRAUD, Droit d’expulsion des étrangers..., op. cit., p. 61 sq.
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[125]
- Il en va ainsi d’un épisode de décembre 1892 discuté par Robert CUGNIN, L’expulsion des étrangers, Nancy, Impr. A. Crépin-Leblond, 1912, p. 109 : « La gendarmerie du Grand-Duché de Luxembourg a refoulé, pour rapine et mendicité, quarante-cinq nomades (Russes et Espagnols pour la plupart) expulsés par la France ; aussi celle-ci les réexpulsa-t-elle le lendemain ; alors les gendarmes luxembourgeois les conduisirent en Lorraine annexée pour les diriger, sur leur demande, vers la Suisse ; mais la gendarmerie allemande les ramena au Luxembourg, d’où ils furent, le lendemain, encore une fois reconduits en Allemagne, et de nouveau, d’Allemagne en Luxembourg, de sorte qu’ils restèrent campés à cheval sur la frontière et furent nourris par les autorités du Grand-Duché en attendant que leur cas fût tranché. »
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[126]
- Ce sont ici non seulement les travaux de Marc Augé qui sont convoqués mais leur application aux zones de transit, qui de nos jours prennent la forme de zones de détention cantonnant et isolant du reste de la société les candidats au droit d’asile : Michel AGIER, « Quel temps aujourd’hui en ces lieux incertains ? », L’Homme, 185-186, 2008, p. 105-120.
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[127]
- C. VAN OVERBERGH, L’assistance aux étrangers..., op. cit., p. 4. Du grand livre de M. KOSKENNIEMI, The gentle civilizer of nations..., op. cit., sur l’élaboration du droit international, il reste à écrire le pendant à l’échelle des pratiques : la place des juristes internationalistes dans la rédaction des traités bilatéraux et donc dans la création d’une architecture légale transnationale est encore mal connue. Son étude tempérerait sans doute le constat d’un échec relatif dressé par le Finlandais.
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[128]
- Le député radical-socialiste Félix Defontaine le concède avec regret dans sa proposition de loi du 20 novembre 1903 sur la protection du travail national : la loi de 1893 « a été votée sous le coup des objections que nous avons énumérées plus haut, c’est-à-dire lorsqu’il parut établi par la discussion que les traités internationaux s’opposaient à ce que les étrangers fussent frappés d’une taxe ; [...] la conclusion qu’on en a tirée est qu’on ne pouvait arriver à protéger le travail national que d’une façon indirecte, c’est-à-dire par une loi de police intérieure » (Chambre des députés, no 1308). Le 6 mai 1893, le ministre des Affaires étrangères, Jules Develle, était intervenu devant la Chambre des députés pour écarter l’idée d’une taxation des ouvriers étrangers au nom des nombreux traités garantissant aux États cosignataires la clause de la nation la plus favorisée. Voir aussi Nicolas DELALANDE, Les batailles de l’impôt. Consentement et résistances de 1789 à nos jours, Paris, Le Seuil, 2011, p. 98 sq.
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[129]
Sur la portée méthodologique plus générale des phénomènes migratoires, voir Andreas WIMMER et Nina GLICK SCHILLER, « Methodological nationalism, the social sciences, and the study of migration : An essay in historical epistemology », International Migration Review, 37-3, 2003, p. 576-610.
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[130]
- Michel AGIER, Gérer les indésirables. Des camps de réfugiés au gouvernement humanitaire, Paris, Flammarion, 2008.
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[131]
- Gérard NOIRIEL, Réfugiés et sans papiers. La République et le droit d’asile, XIXe-XXe siècle, Paris, Hachette, 1998. Il est à noter que le nouvel intitulé ramenait l’aire couverte par l’ouvrage de l’Europe à la France.
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[132]
- M. KOSKENNIEMI, The gentle civilizer of nations..., op. cit.
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[133]
- Kay HAILBRONNER, « Readmission agreements and the obligation of states under public international law to readmit their own and foreign nationals », Zeitschrift für ausländisches öffentliches Recht und Völkerrecht, 57, 1997, p. 1-49.
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[134]
- Imke KRUSE, « EU readmission policy and its effects on transit countries : The case of Albania », European Journal of Migration and Law, 8, 2006, p. 115-142, ici p. 120 sq. L’auteur dénombre à la fin 1999 cent trente accords de réadmission conclus entre les 15 pays de l’Union européenne (étendue à l’Islande et à la Norvège) d’une part, 58 pays tiers d’autre part et ajoute, selon un raisonnement comparable à celui des juristes internationaux du XIXe siècle : « Il existe une dualité à l’œuvre dans la souveraineté étatique. Si un État est tenu de réadmettre ses ressortissants expulsés des pays tiers, cette obligation elle-même découle du droit de ces pays d’expulser leurs étrangers. Par souci de la crédibilité de la souveraineté, les États membres de l’Union européenne revendiquent régulièrement le respect des décisions des autorités d’immigration y compris lorsqu’elles refusent à des étrangers le droit de séjour, en insistant sur leur responsabilité dans la sauvegarde du régime international des réfugiés. »
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[135]
- Ce travail, que je dédie à Bruno Karsenti pour son amitié, a été réalisé grâce au soutien de la Mission Recherche du ministère des Affaires sociales, du Programme Vulnérabilités de l’ANR et du Projet-Phare P 11-1 de l’Ined. Au cours des années, il a impliqué Élise Boscherel, Marjorie Bourdelais, Davina El-Baze, Charles de Froment, Emanuela Mackova et Giovanni Sbordone. Je remercie pour leurs commentaires et suggestions Frédéric Audren, Alain Chatriot, Renaud Dehousse, Caroline Douki, Nicolas Delalande, David Feldman, Ivan Jablonka, Jean Leca, Élodie Richard et Vincent Viet. J’ai également bénéficié des stimulantes discussions qui ont suivi la présentation de cette recherche dans des colloques et séminaires organisés successivement par Wolfgang Kaiser et Claudia Moatti à l’ENS-Ulm, Steve King à l’université d’Oxford-Brookes, Dieter Gosewinkel au WzB Berlin, Bruno Latour à Sciences Po, Martin Lengwiler à l’université de Bâle, ainsi qu’au séminaire du groupe Esopp, aux colloques Actualité d’Abdelmalek Sayad en 2006, Identities in Europe de l’université de Londres Queen Mary en 2006, Migrants, entitlements and welfare de l’Académie royale flamande de Belgique en 2010 et aux Journées du Centre de recherches historiques en 2009.