Notes
-
[1]
- Jan T. GROSS, Fear : Anti-semitism in Poland after Auschwitz : An essay in historical interpretation, New York, Random House, 2006.
-
[2]
- Voir le compte rendu de ce livre dans Annales HSS, 60-6, 2005, p. 1456-1459.
-
[3]
- Jan T. GROSS, Strach. Antysemityzm w Polsce tuz? po wojnie : historia moralnej zapas?ci, Cracovie, Wydawn. Znak, 2008, p. 317. Sauf indication contraire, les citations de l’ouvrage proviennent toutes de la version polonaise, puisque c’est essentiellement celle-ci qui fut débattue dans le pays. Les traductions en français sont de moi.
-
[4]
- Czes?aw MADAJCZYK, Polityka III Rzeszy w okupowanej Polsce, Varsovie, PWN, 1970. Cette histoire politique a été renouvelée ces dernières années par les publications de W?odimierz Borodziej, spécialiste de la résistance polonaise et de la politique nazie, dont l’ouvrage sur l’insurrection de Varsovie a été rédigé en allemand et traduit en anglais : W?odimierz BORODZIEJ, Der Warschauer Aufstand 1944, Francfort, Fischer, 2001.
-
[5]
- Sur la vie quotidienne dans Varsovie occupée, voir l’ouvrage pionnier de Tomasz SZAROTA, Okupowanej Warszawy dzien? powszedni, Varsovie, Czytelnik, 1973.
-
[6]
- Jan T. GROSS, Polish society under German occupation : The Generalgouvernement, 1939- 1944, Princeton, Princeton University Press, 1979 ; Id., Revolution from abroad : The Soviet conquest of Poland’s western Ukraine and western Belorussia, Princeton, Princeton University Press, 1988.
-
[7]
- Journal publié initialement en Pologne en 1958 et récemment traduit en anglais : Zygmunt KLUKOWSKI, Diary from the years of occupation, 1939-44, Urbana, University of Illinois Press, 1993.
-
[8]
- Sur les szmalcownicy ou maîtres chanteurs, voir le livre de Jan GRABOWSKI, « Je le connais, c’est un Juif ! ». Varsovie 1939-1943, le chantage contre les Juifs, Paris, Calmann-Lévy, 2008. Voir également les publications du Centre de recherche sur la Shoah de l’Institut de philosophie et de sociologie de l’Académie des sciences, notamment la revue annuelle Zag?ada Z?ydów, où est originellement parue l’étude d’Alina SKIBIN?SKA et Jakub PETELEWICZ, « The participation of Poles in crimes against Jews in the S?wie?tokrzyskie region », Yad Vashem Studies, 35, 2007, p. 5-48. De ce même centre de recherche, voir l’étude collective sur le sort des Juifs dans la région de Varsovie, coécrit par trois chercheurs, respectivement psychologue, professeur de littérature et historien : Barbara ENGELKING, Jacek LEOCIAK et Dariusz LIBIONKA, Prowincja Noc. Z?ycie i zag?ada Z?ydów w dystrykcie warszawskim, Varsovie, Wydawnictwo Instytutu Filozofii i Socjologii PAN, 2007. Un autre ouvrage important sur les violences antijuives contemporaines et voisines de celles commises à Jedwabne : Andrzej Z?BIKOWSKI, U genezy Jedwabnego. Z?ydzi na Kresach Pó?nocno-Wschodnich II Rzeczypospolitej, wrzesien? 1939-lipiec 1941, Varsovie, Institut d’histoire juive, 2006.
-
[9]
- Un aperçu de ces récents travaux vient d’être traduit en français dans le recueil d’articles : Jean-Charles SZUREK et Annette WIEVIORKA (dir.), Juifs et Polonais, 1939- 2008, Paris, Albin Michel, 2009.
-
[10]
- Voir par exemple les études sur les milieux juifs polonais d’après-guerre et le rôle des partis sioniste et communiste : Natalia ALEKSIUN, Doka?d dalei ? Ruch syjonistyczny w Polsce (1944-1950), Varsovie, Trio, 2000 ; August GRABSKI, Dzia?alnos?? komunistów ws?ród Z?ydów w Polsce (1944-1949), Varsovie, Trio/Z?IH, 2004, qui évoquent surtout les réactions politiques juives. Voir également l’ouvrage de Krystyna Kersten qui replace les événements dans le contexte politique de l’époque, insistant sur les attentes divergentes des différents acteurs : Krystyna KERSTEN, Polacy, Z?ydzi, komunizm. Anatomia pó?prawd, 1939-1968, Varsovie, Niez?alezna Oficyna Wydawnicza, 1992.
-
[11]
- Le pogrome de Cracovie a fait l’objet d’une monographie : Anna CICHOPEK, Pogrom Z?ydów w Krakowie 11 sierpnia 1945, Varsovie, Z?IH, 2000. La bibliographie la plus imposante concerne toutefois le pogrome de Kielce (voir note 13).
-
[12]
- L’article de l’historienne et dissidente K. Kersten, publié durant l’époque de Solidarité, tout en accréditant la thèse du complot communiste, redonnait sa place à l’antisémitisme social comme moteur des violences. Voir Krystyna KERSTEN, « Kielce – 4 VII 1946 r. », Tygodnik Solidarnos??, 36, 1981, p. 8-9.
-
[13]
- La première monographie utilisant les archives ouvertes depuis 1989 est celle de Boz?ena SZAYNOK, Pogrom Z?ydów w Kielcach, 4 lipca 1946, Varsovie/Wroc?aw, Bellona/ Ossolineum, 1992. Pour une bibliographie exhaustive sur le pogrome de Kielce, voir ?ukasz KAMIN?SKI et Jan Z?ARYN (dir.), Wokó? pogromu kieleckiego, Varsovie, IPN, 2006, p. 510- 513. L’ouvrage combine articles scientifiques, documents d’archives sur le pogrome et actes relatifs à l’enquête menée par l’Institut de la mémoire nationale entre 1991 et 2004. L’enquête a conclu à l’impossibilité d’établir la preuve d’une quelconque instigation menée par un groupe politique ou par le pouvoir et n’a mis en accusation aucune autre personne que celles déjà jugées entre 1946 et 1950.
-
[14]
- J. Gross s’appuie notamment sur le recueil de documents sur le pogrome de Kielce publié par Stanis?aw MEDUCKI et Zenon WRONA, Antyz?ydowskie wydarzenia kieleckie 4 lipca 1946 roku. Dokumenty i materia?y, Kielce, KTN, 1992, et sur le rapport confidentiel sur le pogrome rédigé par l’évêque de Kielce et transmis le 1er septembre 1946 à l’ambassadeur des États-Unis en Pologne – publié initialement par John MICGIEL, « Kos?ció? katolicki i pogrom kielecki », Niepodleg?os??, 25, 1992, p. 134-172.
-
[15]
- C’est notamment l’interprétation de Jan Z?aryn, qui va même plus loin en reprenant à son compte les légitimations données alors par l’Église à ces violences : Jan Z?ARYN, « Hierarchia Kos?cio?a katolickiego wobec relacji polsko-z?ydowskich », in ?. KAMIN?SKI et J. Z?ARYN (dir.), Wokó? pogromu kieleckiego, op. cit., p. 75-110. C’est surtout contre cet historien et l’institution où il travaille, l’Institut de la mémoire nationale, que J. Gross se dresse en traitant de la question de l’attitude de l’Église.
-
[16]
- Sur l’histoire de ce mythe, voir notamment André GERRITS, « Anti-semitism and anti-communism : The myth of ‘Judeo-Communism’ in eastern Europe », East European Jewish Affairs, 25-1, 1995, p. 49-72.
-
[17]
-On retrouve de semblables interprétations dans les travaux de Jan Z?aryn, mais également de Jan Marek Chodakiewicz, historien polonais travaillant aux États-Unis : Jan Marek CHODAKIEWICZ, After the Holocaust : Polish-Jewish conflict in the wake of World War II, New York, Columbia University Press, 2003.
-
[18]
- Sur l’influence du communisme sur une génération de jeunes Juifs polonais, voir l’étude sociologique de Jaff SCHATZ, The generation : The rise and fall of the Jewish communists of Poland, Berkeley, University of California Press, 1991.
-
[19]
- Plusieurs historiens ont fait le décompte du pourcentage de Juifs au sein de la police politique durant la période stalinienne en Pologne. Ils aboutissent à une effective surreprésentation – de l’ordre de 30 % pour les bureaux centraux –, mais les minorités biélorusse ou lituanienne étaient également surreprésentées par rapport à leurs effectifs réels dans la population, sans même mentionner les Russes, à tous les postes clefs. Voir Andrzej PACZKOWSKI, « Z?ydzi w UB : próba werifikacji stereotypu », in T. SZAROTA (dir), Komunizm. Ideologia, system, ludzie, Varsovie, Neriton-IH PAN, 2001, p. 196-197 ; Krzysztof SZWAGRZYK, « Z?ydzi w kierownictwie UB. Stereotyp czy rzeczywistos?? ? », Biuletyn Instytutu Pami?eci Narodowej, 11, 2005, p. 37-42.
-
[20]
- Pour certains historiens comme A. GRABSKI, Dzia?alnos?? komunistów..., op. cit., cette libéralité était spécifique à la minorité juive, favorisée par rapport aux autres. Pour Boz?ena Szaynok, au contraire, il ne s’agit que d’une réponse conjoncturelle à la situation spécifique de cette minorité et non d’un privilège : Boz?ena SZAYNOK, « Komunis?ci w Polsce (PPR/PZPR) wobec ludnos?ci z?ydowskiej (1945-1953) », Pami?e? i sprawiedliwos??, 6-2, 2004, p. 185-203.
-
[21]
- J. GROSS, Strach..., op. cit., p. 305.
-
[22]
- Les principales voix du débat ont été reprises et publiées dans le recueil de Mariusz G?DEK (éd.), Wokó? Strachu. Dyskusja o ksia?z?ce Jana T. Grossa, Cracovie, Znak, 2008.
-
[23]
- Au cours d’un débat télévisé avec l’auteur de Fear, l’historien Andrzej Paczkowski dit que le but de J. Gross, « de type missionnaire », est « que les Polonais admettent qu’ils ne furent pas tous des héros et des victimes par le passé ». Débat reproduit dans l’hebdomadaire Tydognik Powszechy, « Gross – Historyk z misja?. Debata ‘Tygodnika Powszechnego i TVN24 o ksia?z?ce Jana Tomasza Grossa Strach’ », in M. G?DEK (éd.), Wokó? Strachu..., op. cit., p. 302-311. Mais J. Gross lui-même dans l’introduction de son livre avoue avoir délibérément choisi « une formulation plus radicale » de ses propos pour la version polonaise.
-
[24]
- Marcin KULA, « Obron?cy swoich », Gazeta Wyborcza, 15 février 2008.
-
[25]
- L’historien des idées Jerzy Jedlicki recense les livres publiés sur les relations polono-juives ces dernières années et constate que le style et la radicalité des thèses de J. Gross expliquent en partie le scandale suscité par son livre : Jerzy JEDLICKI, « Tylko tyle i az? tyle », Tygodnik Powszechny, 4, 2008, reproduit dans M. G?DEK (éd.), Wokó? Strachu..., op. cit., p. 180-188.
-
[26]
- J. GROSS, Strach..., op. cit., p. 315 : « En tant qu’autorité morale de l’institution qu’ils représentaient, les ecclésiastiques, en ne disant pas que la formule ecce homo s’applique à chaque Juif, ont placé l’Église catholique dans le rôle du collaborateur par abandon. »
-
[27]
- Ibid., p. 57 et 296.
-
[28]
- Pawe? MACHCEWICZ, « Odcienie czerni », Wi?ez?, 2/3, 2008, reproduit dans M. G?DEK (éd.), Wokó? Strachu..., op. cit., p. 147-158, ici p. 151, rappelle que les expulsions des Allemands après-guerre ont effectivement fait plusieurs centaines de milliers de victimes, mais à l’échelle de l’Europe, tandis qu’on estime à 200 le nombre d’Ukrainiens tués dans l’opération Wisla – déplacements forcés de cette minorité organisés entre 1947 et 1950.
-
[29]
- Marcin ZAREMBA, « Sa?d nieostateczny », Polityka, 3, 2008, reproduit dans M. G?DEK (éd.), Wokó? Strachu..., op. cit., p. 159-167. Voir également Id., « Mit mordu rytualnego w powojennej Polsce. Archeologia i hipotezy », Kultura i Spoleczen?stwo, 2, 2007, p. 91-135. Ce sociologue et historien de l’université de Varsovie prépare un mémoire d’habilitation sur la peur sous le communisme en Pologne. Cet article est l’un des chapitres de ce mémoire à paraître.
-
[30]
- Voir notamment K. KERSTEN, « Kielce – 4 VII 1946 r. », art. cit.
-
[31]
- Entretien de Dariusz STOLA accordé au quotidien Gazeta Wyborcza, 19-20 janvier 2008, reproduit dans M. G?DEK (éd.), Wokó? Strachu..., op. cit., p. 266-273.
-
[32]
- J. GROSS, Strach..., op. cit., p. 315.
-
[33]
- Ibid., p. 298 : TACITE, Vie d’Agricola, XLII, 5 : « Proprium humani ingenii est odisse quem laeseris. »
-
[34]
- Selon le concept développé par George Lachmann MOSSE, De la Grande Guerre au totalitarisme : la brutalisation des sociétés européennes, Paris, Hachette, [1990] 1999.
-
[35]
- Instytut Pamie?ci Narodowej. Cet institut abrite notamment des archives datant de la Seconde Guerre mondiale et celles de la police politique sous le communisme.
-
[36]
- Plusieurs commentateurs du livre ont insisté sur cette dimension politique du débat. Voir notamment l’entretien accordé par le sociologue et ancien député Pawe? S?PIEWAK à l’édition polonaise de Newsweek en 2008, reproduit dans M. G?DEK (éd.), Wokó? Strachu..., op. cit., p. 295-301.
-
[37]
- Expression du porte-parole de l’archevêché de Cracovie, le père Robert N?CEK, « Strach jest jak fa?szywa moneta », Rzczepospolita, 21 janvier 2008, reproduit dans M. G?DEK (éd.), Wokó? Strachu..., op. cit., p. 79-82.
-
[38]
- « Lettre ouverte du cardinal Stanislaw Dziwisz », 12 janvier 2008, reproduit dans M. G?DEK (éd.), Wokó? Strachu..., op. cit., p. 74-75.
-
[39]
- Mgr Józef Z?ycin?ski : « Ksia?z?ka Grossa rani i dzieli, ale nie jest tematem dla prokuratury. » Dépêche de l’agence polonaise de presse (PAP), reproduite dans Gazeta Wyborcza, 13 janvier 2008.
-
[40]
- Piotr SEMKA, « Strach cofna?? dialog o ca?a? epoke? », Rzeczpospolita, 16 janvier 2008, reproduit dans M. G?DEK (éd.), Wokó? Strachu..., op. cit., p. 104-109.
-
[41]
- Jan Marek CHODAKIEWICZ, Po zag?adzie. Stosunki polsko-z?ydowskie 1944–1947, Varsovie, IPN, 2008. Cet ouvrage est la traduction de son livre initialement paru en anglais, After the Holocaust..., op. cit.
-
[42]
- Code pénal polonais, article 132a. Cet article figurait initialement dans une loi sur l’IPN qui modifiait les conditions d’accès aux archives de la police politique (article 55a). Son introduction dans le Code pénal permet à tout procureur – et non plus seulement à celui de l’IPN – d’ordonner une enquête.
-
[43]
- On retrouve cette formulation dans des journaux tels que le New York Times, The Guardian, Die Welt ou Haaretz. La diplomatie polonaise traque chaque occurrence dans les médias du monde entier depuis 2005 et proteste officiellement auprès des pays concernés.
-
[44]
- Comme l’ont souligné à l’époque le chercheur Dariusz Stola dans un article publié dans Gazeta Wyborcza le 8 septembre 2006, ainsi qu’une pétition pour le retrait de cette loi signée par de nombreux scientifiques en Pologne et à l’étranger.
-
[45]
- Je souscris ici aux analyses de Jerzy JEDLICKI, « Bezradnos?? », Gazeta Wyborcza, 27- 28 juin 2009, p. 22.
-
[46]
- On peut citer notamment les travaux de Maria JANION, Bohater, spisek, s?mier?. Wyk?ady z?ydowskie, Varsovie, WAB, 2009, qui revisite les clichés antisémites dans la littérature polonaise du XIXe siècle, ou ceux de l’anthropologue Joanna TOKARSKA-BAKIR, Legendy o krwi, antropologia przesa?du, Varsovie, WAB, 2008, qui explore la persistance des croyances au meurtre rituel attribué aux Juifs dans la Pologne contemporaine.
1 L’histoire s’invite régulièrement dans le débat public en Pologne. Limités dans la possibilité d’écrire et de discuter librement de leur passé durant la période communiste, les Polonais semblent aujourd’hui avides d’informations sur l’histoire de leur pays, longtemps objet de manipulations politiques. Des événements jusqu’ici présents dans la mémoire collective, mais peu discutés publiquement tel le massacre de Katyn? ou l’insurrection de la ville de Varsovie en 1944, sont à présent abondamment décrits et commémorés, sinon utilisés dans la « politique historique » réclamée par de nombreux acteurs politiques. De multiples zones d’ombre sont aussi portées sur la place publique : compromission de certains avec la police politique, sort des minorités allemande et ukrainienne dans l’immédiat après-guerre... Dans cette longue liste, la question des rapports polono-juifs et de l’antisémitisme occupe une place de choix, comme le montre le débat très important du début de l’année 2008 à l’occasion de la parution de la version polonaise du livre de Jan Gross, Fear [1].
2 L’auteur n’en est pas à son coup d’essai. Déjà en 2000, ce sociologue de formation, professeur à l’université de Princeton, avait fait grand bruit en publiant Les Voisins, ouvrage dans lequel il montrait que des Polonais avaient tué leurs voisins juifs dans la bourgade de Jedwabne en juillet 1941. Le grand public découvrait alors qu’une partie de la population polonaise n’avait pas été simplement victime de la guerre, mais également bourreau, tandis que le débat sur l’antisémitisme était posé [2]. Cette fois-ci, J. Gross a écrit son livre d’abord en anglais et avec un important appareil de notes, sans doute pour parer aux critiques sur le caractère insuffisamment scientifique de son précédent ouvrage. Salué par la presse et les historiens aux États-Unis, le livre était attendu avec impatience en Pologne. Et dès la sortie en libraire de la version polonaise, le 11 janvier 2008, le débat fit effectivement rage. Pendant plus de deux mois, le livre fut commenté quasi quotidiennement dans tous les médias et ses présentations en présence de l’auteur faisaient salle comble. Les 25 000 premiers exemplaires furent vendus en une semaine.
3 Pourquoi un tel retentissement ? Après tout, contrairement à son premier ouvrage, ce livre ne dévoile aucun fait nouveau pour les historiens et ceux qui s’intéressent aux rapports polono-juifs. Il a pour cadre l’immédiat après-guerre en Pologne et les violences antijuives culminant avec le pogrome de Kielce, le 4 juillet 1946, qui fit une quarantaine de victimes parmi les rescapés juifs de la Shoah. L’audace réside dans l’interprétation proposée pour répondre à une énigme : « Comment ce qui est arrivé a-t-il pu se produire ? », autrement dit comment des Polonais ont-ils pu tuer certains de leurs compatriotes juifs après la Shoah [3] ? À cette question, J. Gross répond que c’est la peur de voir des Juifs revenir réclamer leurs biens qui a poussé certains Polonais au meurtre et analyse cet « effondrement moral », sous-titre de l’ouvrage dans sa version polonaise.
4 Le débat autour de ce livre, attendu, immédiat et très vif, a porté aussi bien sur son contenu que sur sa forme, mais a également dépassé le cercle des spécialistes en prenant des accents tantôt politiques, tantôt moraux et même judiciaires avec l’assignation en justice de l’auteur pour outrage à la nation. Les traditionnelles tensions entre histoire universitaire et mémoire collective étaient rendues particulièrement vives par la situation politique de la Pologne, et notamment par les tentatives récentes de politisation de l’histoire – qu’il s’agisse du réexamen du rôle d’anciens opposants au régime communiste ou de la volonté gouvernementale de proposer une nouvelle histoire nationale. Avant d’éclairer les différentes facettes du débat, il semble important de revenir sur les thématiques soulevées par le livre lui-même, leur place dans l’historiographie de ces questions et les méthodes d’analyse de l’auteur.
Un « essai d’interprétation historique »
5 C’est le sous-titre – qui n’est pas repris dans la version polonaise – que J. Gross donne à son livre. Son but est en effet moins de décrire des faits déjà connus que de les analyser. Partant du constat étrange que de nombreux Polonais ayant caché des Juifs sous l’occupation ont eu peur de le faire savoir après la guerre par peur du jugement et des réactions négatives de leurs voisins, il cherche à comprendre cette animosité qui s’est traduite par des violences mortelles contre plusieurs centaines ou milliers de survivants juifs après-guerre. Ce livre ne dresse donc pas toute l’histoire des relations polono-juives, mais se concentre sur l’antisémitisme de l’immédiat après-guerre. Il effectue pour cela la synthèse des recherches effectuées sur cette période, notamment en Pologne depuis l’ouverture des archives, tout en mettant en avant des documents et des témoignages peu connus hors du cercle des spécialistes. Ce faisant, son ouvrage aborde plusieurs thématiques controversées qui ont, ces dernières années, fait l’objet d’un profond renouveau historiographique.
Les relations polono-juives durant la Seconde Guerre mondiale
6 Souhaitant démontrer que l’hostilité envers les Juifs est une des conséquences de l’expérience de la société polonaise durant la guerre, J. Gross commence par un premier chapitre décrivant les attitudes des populations devant le sort des Juifs exterminés sous leurs yeux. Le chercheur s’écarte des descriptions de la Pologne en guerre qui privilégient une approche politique, insistant sur la politique des occupants nazis ou soviétiques envers la population polonaise, à la suite des travaux fondateurs de Czes?aw Madajczyk dans les années 1970, ou sur la Résistance dans le pays ou en émigration [4]. Son analyse se rapproche davantage des travaux d’histoire sociale du quotidien qui se sont développés parallèlement mais plus modestement [5]. Surtout, il complète le tableau qu’il avait déjà dressé de la société polonaise sous les occupations nazie et soviétique dans ses premiers livres [6]. Il se concentre cette fois sur l’expérience vécue par les Juifs – en citant longuement des témoignages recueillis immédiatement après la guerre – ou par des témoins non juifs, comme le saisissant journal de bord de Zygmunt Klukowski, directeur d’hôpital d’une petite ville près de Zamos?? [7]. L’accent est mis sur ce que nombre de Polonais ont vu jour après jour – la destruction de leurs voisins juifs – et les profits, notamment matériels, qu’ils ont pu en tirer. Ce faisant, J. Gross renvoie à des recherches sur ces zones d’ombres des relations polono-juives durant la Seconde Guerre mondiale, menées en Pologne depuis son livre sur Jedwabne. Qu’il s’agisse des études sur les maîtres chanteurs qui dénonçaient les Juifs pendant la guerre ou des enquêtes détaillées sur les relations polono-juives au plan local, menées dans les archives et grâce à des enquêtes orales par une nouvelle génération de chercheurs en Pologne, tout un ensemble de travaux est entrepris par des chercheurs venus de plusieurs disciplines, travaillant notamment à l’Institut d’histoire juive ou à l’Académie des sciences [8]. J. Gross s’inscrit dans la lignée de ces études, auxquelles il apporte une visibilité nouvelle [9].
Les violences antijuives de l’immédiat après-guerre
7 Le cœur du livre est consacré à l’immédiat après-guerre. Là encore, l’angle d’approche est celui des survivants juifs et leur difficile retour dans leur foyer. Ces derniers furent en effet le plus souvent en proie à l’hostilité de la population comme des autorités locales. Cette situation était connue et présentée dans les grandes lignes dans toutes les études sur la Pologne d’après-guerre, mais J. Gross choisit d’exposer le ressenti des victimes pour lui-même et non comme facteur d’explication à l’émigration juive massive des années 1945-1948 [10]. En outre, il met l’accent sur des éléments moins développés dans les ouvrages traitant de cette période, comme le problème de l’antisémitisme des autorités locales ou les expériences difficiles des enfants juifs à l’école. Enfin, il rappelle les principaux épisodes de violences antijuives, ceux qui ont déjà fait l’objet de monographies en Pologne, mais aussi ceux moins connus, comme le quasi-pogrome de Rzeszów en juin 1945 [11].
8 Mais l’attention et l’analyse de J. Gross portent essentiellement sur la plus importante manifestation de violence antijuive de l’immédiat après-guerre polonais, le pogrome de Kielce, au cours duquel, suite à la rumeur de l’enlèvement d’un enfant par les Juifs de la ville, les habitants s’en prennent aux rescapés, devant des forces de l’ordre impuissantes voire complices. Il s’intéresse particulièrement aux réactions contemporaines de l’événement dans trois sphères distinctes : les intellectuels, le Parti et l’Église. En ce sens, il replace cet épisode de violence dans le cadre politique, tel qu’il l’a été dès l’origine. En effet, l’écho de ce pogrome doit beaucoup au fait qu’il a été l’objet d’une instrumentalisation politique immédiate par tous les acteurs, empêchant pour longtemps de se pencher sur les raisons véritables de cette violence. Durant des décennies, cet épisode fut interprété uniquement de manière intentionnaliste comme une « provocation » politique. Pour le régime communiste, c’était l’œuvre de l’opposition et de l’Église accusées de semer le désordre pour empêcher le camp socialiste de l’emporter ; pour les opposants, les communistes auraient sciemment provoqué ces violences pour mieux pouvoir désigner les anti-communistes comme des réactionnaires antisémites. Ce dualisme réducteur a été brisé timidement depuis les années 1980 avec les travaux de Krystyna Kersten, et définitivement après l’ouverture des archives en 1989 [12]. Les historiens polonais concluent alors majoritairement à l’impossibilité de prouver l’existence d’un tel complot, d’un côté ou de l’autre [13]. L’originalité de J. Gross est de sortir de cette lecture exclusivement politique, notamment lorsqu’il analyse les réactions contemporaines de l’événement. Il montre que de nombreux intellectuels ont su voir les manifestations de l’antisémitisme social à l’œuvre dans ces violences, mais que leurs voix sont restées isolées face à un Parti qui ne voulait pas le reconnaître officiellement. Il décrit aussi longuement la position de l’Église et son silence sur les violences antijuives, montrant qu’à l’exception de quelques voix isolées, la hiérarchie catholique n’a pas clairement condamné ces violences, voire parfois les justifia – les Juifs étant considérés comme les alliés du nouveau régime [14]. Alors que certains historiens ont essayé d’excuser cette attitude en raison du contexte politique – l’Église ne pouvait condamner les violences sans que cela ne soit interprété comme un soutien au nouveau régime [15] –, J. Gross au contraire accuse clairement l’Église d’avoir collaboré par son silence.
Le mythe du complot judéo-communiste
9 Le dernier chapitre du livre est consacré à la réfutation de l’explication de la violence par le politique. Pour J. Gross, les Juifs n’ont pas été tués en raison de leur proximité avec le nouveau régime communiste honni. Il aborde ainsi la question controversée du « judéo-communisme » ou z?ydokomuna, qui a donné lieu à une abondante littérature [16]. Ce slogan a un passé et donc une teinte accusatoire et antisémite assez évidente, mais l’on trouve encore plusieurs chercheurs qui se servent de cette notion, tout en se défendant – officiellement du moins – de toute arrière-pensée [17]. J. Gross, suivant en cela la plupart des études sur cette question, tend à minorer le lien entre Juifs et communisme : l’idéologie communiste ne concerna qu’une faible minorité des Juifs en Pologne, avant-guerre surtout [18] ; la surreprésentation des Juifs dans les instances communistes était du même ordre que celle des autres minorités nationales et n’avait pas de signification particulière car les Juifs ne se désignaient ni n’agissaient en tant que Juifs [19].
10 Mais l’auteur attaque surtout le mythe par le biais du parti communiste, en montrant que celui-ci n’a pas été spécifiquement bienveillant envers la minorité juive, au contraire – ce qui invalide de facto la thèse selon laquelle les Juifs auraient été influents en son sein ou y auraient défendu des intérêts communautaires. Il prend le contre-pied des analyses traditionnelles de l’attitude du Parti face à la « question juive » durant cette période, qui préfèrent souligner le traitement alors plutôt bienveillant à l’égard de la minorité juive : liberté des organisations juives, libre accès à tous les postes publics, émigration pas vraiment contrôlée... [20]. Il avance la thèse selon laquelle, en vertu d’un accord non verbalisé, le Parti aurait accepté que la société polonaise se débarrasse des rescapés juifs gênants pour tous, afin de s’assurer une légitimité politique auprès d’elle : « pour vous le pouvoir, pour nous les biens juifs et une amnistie de facto de toutes les formes de participation à la purification ethnique mise en place par l’occupant [21] ».
11 Le livre de J. Gross soulève donc de nombreux autres thèmes que celui de la violence antijuive : l’attitude des Polonais face aux Juifs durant la guerre, la responsabilité de l’Église, l’étude des rapports entre les Juifs et le communisme. Autant de questions sensibles, récemment renouvelées par l’historiographie, qui ont davantage alimenté le débat que son analyse des violences. Mais c’est surtout la façon dont J. Gross avance ses thèses et la méthode qu’il utilise pour présenter ses arguments qui ont été débattues et critiquées, avec plus ou moins de pertinence.
Un débat historiographique
12 Dès la sortie du livre en librairie, les chercheurs polonais ont été priés par la presse de donner leur avis, en qualité d’experts. Les voix des historiens, sociologues, ethnologues ou philosophes se mêlent à celle des journalistes, écrivains ou hommes d’Église pour commenter le fond et la forme de l’ouvrage de J. Gross [22]. Le champ scientifique est divisé, mais l’on peut distinguer deux éléments qui dominent les débats. D’une part, les critiques convergent vers les questions soulevées par l’écriture d’un livre grand public et engagé. D’autre part, le débat porte sur l’interprétation des violences antisémites et sur l’attitude de l’Église, entre partisans d’une explication par le contexte et la multicausalité et ceux, qui comme J. Gross, privilégient l’argument de la responsabilité morale individuelle et collective.
Jan Gross, chercheur « missionnaire » [23] ?
13 Les critiques méthodologiques du livre de J. Gross n’ont cessé de fuser, même chez ceux qui défendaient l’interprétation proposée par l’ouvrage. La plupart se résument à celles qui peuvent émerger à la lecture d’un livre à destination du grand public : ouvrage de synthèse plutôt que recherche de première main, conclusions trop généralisatrices et surtout non démontrées efficacement, style trop engagé.
14 Certaines de ces critiques doivent se comprendre dans le contexte du paysage scientifique polonais. Il est vrai, la forme du livre de J. Gross, synthèse à l’américaine, est peu pratiquée par ses homologues en Pologne, surtout chez les historiens contemporanéistes. La production historique de ces dernières années privilégie, à côté de l’abondante publication de sources et de témoignages, une histoire analytique où dominent l’histoire politique, les études locales et les monographies descriptives. J. Gross au contraire puise aussi bien dans l’histoire que dans la socio-logie, dans l’ethnographie ou dans la psychologie et fait plutôt une synthèse des dernières recherches sur des questions longtemps demeurées taboues et peu explorées. Le recours aux archives est ponctuel et non systématique. Cette rupture avec les méthodes traditionnelles du monde académique polonais explique certaines critiques et leur virulence. Pourtant, comme l’a souligné l’historien Marcin Kula qui s’est inscrit en porte-à-faux contre le reproche d’un style peu académique : un livre d’histoire n’a pas besoin d’être ennuyeux pour être intéressant [24]. L’écriture de J. Gross permet plutôt à son livre de faire mouche, contrairement aux ouvrages évoqués précédemment, passés inaperçus bien qu’abordant les mêmes sujets [25].
15 Au-delà de ces reproches, se pose en filigrane la question de la posture du chercheur face à son objet d’étude. Plusieurs chercheurs accusent implicitement J. Gross de sortir de la neutralité scientifique pour lancer des assertions exagérées ou de choisir ses sources pour construire une démonstration à charge au lieu de dresser un bilan nuancé. J. Gross affirme notamment que « la participation des Polonais catholiques dans la persécution et le meurtre de leurs concitoyens juifs fut un phénomène répandu dans tout le pays » durant la guerre, sans en apporter aucune preuve concrète, lui reprochent ses détracteurs [26]. Ailleurs, J. Gross estime que « [les communistes] ont achevé la purification ethnique commencée par l’incommensurable crime de l’occupant nazi », faisant « plusieurs centaines de milliers de morts » [27]. Outre le fait qu’il conviendrait de justifier l’emploi de l’expression de « purification ethnique » pour qualifier les déplacements forcés des minorités ethniques dans la Pologne de l’immédiat après-guerre, le nombre de victimes est exagérément grossi, souligne l’historien Pawe? Machcewicz [28].
16 Il est vrai que le livre de J. Gross n’est pas exempt de formules radicales relevant plus du jugement que de la démonstration. Au-delà de la polémique, ces formulations soulèvent une question importante : l’historien a-t-il le droit de raisonner aussi par intuition ? Lorsque J. Gross ne démontre pas intégralement les propos qu’il affirme, sont-ils invalidés pour autant ? Pour le chercheur américain, la démonstration se construit à partir d’un faisceau d’exemples conduisant à la formulation d’un énoncé, non sous la forme d’une hypothèse mais d’une conclusion. Les affirmations de J. Gross ne sont pas nécessairement fausses, mais mériteraient d’être corroborées par des études plus approfondies. Surtout, J. Gross sort de la seule description ou analyse pour adopter une posture normative dans l’interprétation des faits, jugeant le comportement de la société polonaise au vu des actes plutôt que de chercher à les expliquer longuement.
Responsabilité morale versus contextualisation
17 Le principal reproche historiographique adressé à J. Gross réside dans la formulation de sa thèse fondamentale. Pour celui-ci, c’est la peur des Polonais d’avoir à rendre des comptes sur leur comportement durant la guerre qui est le facteur essentiel des violences antijuives. Effrayés à l’idée de devoir restituer des biens spoliés ou d’être confrontés à un voisin qu’ils ont dénoncé, certains Polonais vont jusqu’à commettre des crimes contre les rescapés juifs ou bien approuvent tacitement les violences commises contre eux. Le problème n’est pas que cette thèse soit fausse, c’est même l’acquis majeur de cet ouvrage que de souligner que ce facteur peut aussi expliquer certaines violences antijuives de l’immédiat après-guerre. Mais cette explication monocausale éclipse d’autres facteurs que J. Gross ne prend pas la peine d’étudier.
18 Le sociologue Marcin Zaremba, par ailleurs auteur d’une brillante étude sur les violences antijuives d’après-guerre, en dresse la liste [29]. Selon lui, si J. Gross a raison de pointer l’antisémitisme comme une clef majeure pour comprendre le comportement d’une partie de la société polonaise après-guerre, il ne fait pas assez de place aux traces laissées par la guerre. La Pologne de 1945 est un pays où les liens sociaux ont été brisés par les nombreuses pertes civiles, les déportations et déplacements forcés de population dus aux changements de frontière : un élément pouvant aussi expliquer « l’effondrement moral » constaté par J. Gross. En outre, les élites ayant été décimées et l’autorité n’ayant pas été encore rétablie dans le climat de quasi-guerre civile qui règne alors dans le pays, le contrôle de la population est presque impossible. Si l’on ajoute à cela l’extrême fragilité psychologique de la population, qu’attestent plusieurs enquêtes sociologiques réalisées dans l’immédiat après-guerre, et sa très grande pauvreté, particulièrement dans la région de Kielce, on s’étonne moins du contexte de régression civilisationelle dans laquelle elle se trouve. Des conditions qui rendent possible toutes les croyances – celle du crime rituel attribué aux Juifs ou celle de leur complicité dans l’établissement d’un régime communiste répressif honni – et abolissent les barrières morales vis-à-vis du vol, du banditisme et même du crime.
19 On touche ici au cœur du débat historiographique entre les spécialistes polonais de cette période et J. Gross. Pour les premiers, suivant les études pionnières de K. Kersten sur le pogrome de Kielce et les relations polono-juives après la guerre [30], d’autres facteurs que l’antisémitisme doivent être soulignés pour expliquer les violences antijuives – comme le banditisme généralisé dans le pays, les luttes politiques contre les communistes, mais également le contexte de l’antisémitisme régnant en Pologne avant-guerre et l’isolement des Juifs polonais, même les plus assimilés d’entre eux. Le sociologue Dariusz Stola attire justement l’attention sur l’erreur de raisonnement dans le syllogisme qu’énonce J. Gross selon lequel, puisque les antisémites peuvent tuer des Juifs et que des Polonais ont tué des Juifs après-guerre, alors ces Polonais sont antisémites [31]. Plusieurs chercheurs estiment également qu’il est indispensable d’étudier ces violences dans le contexte plus général d’anomie et de désorganisation de la société polonaise. Les mêmes remarques sont formulées à l’égard de l’interprétation de l’attitude de l’Église : selon certains, J. Gross ne tient pas assez compte du contexte de l’époque et le fait de qualifier de « collaboration » le silence de l’Église sur les violences antijuives est démesuré [32]. Le débat oppose finalement une explication psychologique, qui tourne à la critique morale, et une explication davantage sociologique.
20 Mais pour J. Gross, ces arguments sont insuffisants. D’une part, les explications par le contexte de l’époque ne servent qu’à diluer la responsabilité individuelle et s’inscrivent dans un type de narration martyrologique permettant facilement d’excuser des comportements moralement répréhensibles. La pauvreté et la démoralisation d’une société ne suffisent pas à expliquer le passage à l’acte meurtrier. En outre, le but de J. Gross n’est pas de présenter un panorama complet de la société polonaise d’après-guerre. Il assume parfaitement le choix de privilégier, par les sources, le point de vue des victimes juives, quand ses autres livres ont déjà abordé le point de vue polonais non juif. En revanche, a-t-il raison de n’aborder que certains des aspects du traumatisme de la guerre subi par les Polonais – la détestation de celui à qui l’on a fait du mal [33] – en omettant de parler de l’accoutumance à la violence observée au quotidien durant la guerre, de la « brutalisation » [34] qui pourrait adéquatement rendre compte de l’état d’une société toute entière soumise au spectacle de la violence ?
21 Les questions méthodologiques soulevées par le livre de J. Gross ont une portée plus large : quelle est la part respective des différents facteurs permettant d’expliquer le passage à l’acte dans le cas des violences antijuives ? J. Gross assumant le fait de se poser en moraliste et d’écrire à destination d’un large public, il était presque inévitable que les discussions autour de son livre sortent largement du cadre scientifique pour toucher à des questions morales, politiques et, de façon plus inattendue, judiciaires.
Les dérives politico-judiciaires du débat
22 À de nombreuses reprises dans son livre, J. Gross quitte l’exploration du passé pour porter des jugements sur la situation présente de la Pologne et sur d’autres analystes de la société polonaise. L’auteur critique ouvertement la politique du gouvernement des frères Kaczyn?ski, qui ont placé en leur temps nombre de leurs soutiens dans les médias et à l’Institut de la mémoire nationale (IPN) [35], créé en 2000 pour permettre d’enquêter sur les crimes commis en Pologne sous l’occupation nazie puis sous le communisme et devenu également un centre influent en matière de recherche sur l’histoire de la Pologne au XXe siècle. J. Gross dénonce surtout l’historiographie, menée notamment par des historiens de l’IPN, de la « politique historique » prônée par le gouvernement polonais. Celle-ci vise à agir sur la manière d’écrire et d’enseigner l’histoire nationale, pour épurer la Pologne des symboles de la période communiste et rappeler aux citoyens polonais et au monde entier les pages glorieuses du passé de ce pays. D’après les tenants de cette politique, la « véritable » histoire polonaise a été occultée ou travestie, non seulement sous le communisme, mais aussi durant les années 1990 quand régnait plutôt le « patriotisme critique », moment où les zones d’ombre du passé polonais furent portées à la connaissance du grand public, culminant en 2000 avec le débat sur Les Voisins. J. Gross s’oppose donc explicitement à cette politique et prône une autre vision de la Pologne et de son passé, dirigeant dès lors les discussions sur la manière d’écrire l’histoire mais également de faire de la politique dans ce pays [36].
23 Dès la sortie du livre, plusieurs représentants de l’Église ainsi que des laïcs proches des milieux catholiques ont fait part de leurs inquiétudes. Selon eux, le livre de J. Gross est une « menace pour le dialogue » polono-juif par son radicalisme et ses généralisations [37]. Le cardinal Dziwisz, archevêque de Cracovie, écrit une lettre ouverte au directeur des éditions Znak qui ont publié J. Gross et qui se définissent comme une maison d’édition d’inspiration catholique mais ouverte à la culture universelle. Il reproche à ce dernier d’avoir « éveillé les démons de l’antipolonisme et de l’antisémitisme », ce qu’il juge indigne de l’héritage éthique de cet éditeur [38]. D’autres clercs sont toutefois plus modérés. Ainsi, l’archevêque de Lublin dit que l’ouvrage « blesse et divise, souvent sans raison », mais estime inutiles les poursuites judiciaires pour diffamation [39]. Ces déclarations orientent ainsi le débat entre historiens, déjà évoqué, sur le rôle de l’Église durant la guerre.
24 Plus largement, au-delà des déclarations de l’Église, c’est tout un courant composé d’historiens mais surtout de publicistes qui protestent contre les thèses de J. Gross. Les colonnes du quotidien conservateur Rzeczpospolita hébergent ces critiques, dont certaines sont de pures attaques ad hominem contre le chercheur. Le journaliste Piotr Semka fait ainsi allusion aux origines juives de l’auteur pour discréditer son objectivité [40]. L’IPN attaqué répond par la publication simultanée d’un autre livre sur les mêmes questions, rédigé par Jan Marek Chodakiewicz [41]. Or les thèses et les méthodes de cet historien qui défend la réalité de l’existence du judéo-communisme sont elles-mêmes sujettes à caution et très controversées. Dans cette opération, l’IPN se discrédite en tant qu’institution à prétention scientifique, mais dans le débat public le livre de J. M. Chodakiewicz est souvent présenté comme une juste réponse au radicalisme de J. Gross. Au-delà de cette affaire, la campagne diffamatoire contre ce dernier témoigne de la présence non négligeable en Pologne d’un courant de pensée ultranationaliste et intolérant. Force est de constater que ce sont les mêmes groupes, sociaux et politiques, qui expriment tout à la fois un antisémitisme à peine voilé et leur haine des féministes ou des homosexuels. En ce sens, le débat sur le livre de J. Gross est révélateur des clivages politiques polonais, mettant face à face les partisans d’une Pologne soucieuse de son héritage multiculturel et les tenants d’une conception ethnique et religieuse de la nation. Enfin, cette politisation du débat l’a mené sur le terrain judiciaire. À la suite d’une demande formulée par des sénateurs de droite au moment de la sortie du livre en anglais, le procureur du parquet de Cracovie ordonne une enquête sur la version polonaise de l’ouvrage dès sa sortie en librairie. Il s’agit de vérifier si J. Gross peut être poursuivi en vertu de plusieurs articles du Code pénal – incitation à la haine raciale, outrage à la nation polonaise et surtout l’article 132a, introduit à l’automne 2006, selon lequel « quiconque impute à la nation polonaise la complicité, l’organisation ou la responsabilité de crimes communistes ou nazis encourt une peine de privation de liberté pouvant aller jusqu’à trois ans [42] ». Les défenseurs de cet article justifiaient son bien-fondé par la nécessité de disposer d’armes juridiques face aux propagateurs – étrangers – de l’expression fautive de « camps de concentration polonais », insinuant que la Pologne aurait elle-même construit les infrastructures du génocide juif. Cette formule, régulièrement utilisée dans certains articles de la presse internationale comme un raccourci pour indiquer la localisation des centres de mises à morts installés par les Nazis sur le sol polonais, est perçue comme étant une manifestation d’hostilité antipolonaise, conduisant à donner une fausse image du rôle de ce pays durant la Seconde Guerre mondiale [43].
25 Pourtant, il était évident que cet ajout aurait pu directement viser J. Gross, et plus largement empêcher les historiens de faire leur travail [44]. Au terme d’un mois d’enquête, le parquet de Cracovie conclut à l’abandon des poursuites, faute d’éléments probants. Depuis, le 19 septembre 2008, le commissaire polonais pour les droits de l’homme, saisi d’une demande d’examen de la constitutionnalité de cette loi, s’est prononcé pour son retrait – non toutefois en raison de son contenu mais des modalités non constitutionnelles de son introduction dans le Code pénal, ce qui n’exclut pas un possible réexamen de la proposition par les députés à l’avenir. Il reste que ce versant judiciaire a donné une dimension sulfureuse au débat et posé la question de l’intervention du politique dans l’écriture du passé et le travail des historiens, à l’instar des débats français autour des « lois mémorielles ». Le livre de J. Gross et le débat qu’il a suscité sont révélateurs des tensions toujours vives en Pologne sur la question de l’antisémitisme et plus largement sur la vision de la société polonaise sur elle-même. Mais on peut s’interroger également sur la démarche et l’argumentation développée. J. Gross propose un essai d’interprétation des violences antijuives d’après-guerre intellectuellement stimulant et offre de nouvelles pistes de réflexion méritant d’être approfondies. Le motif psychologique de la peur d’avoir à rendre des comptes aux rescapés couplée à l’appât du gain gagnerait à être pris en considération et à être vérifié pour un ensemble plus large de cas d’exactions commises contre des Juifs dans les années 1944-1947. Néanmoins, il est regrettable que dans sa présentation générale du mécanisme de ces violences, J. Gross tende à minimiser les autres facteurs, conjoncturels et sociologiques notamment. Surtout, son raisonnement se concentre à mon sens exagérément sur le seul traumatisme de la guerre, omettant d’inscrire dans la longue durée les expressions de croyances antisémites en tant que vision constitutive du monde, présentes dans la société polonaise longtemps avant l’irruption du second conflit mondial. En ce sens, l’explication psychologique avancée par J. Gross, mais également les autres facteurs sociologiques ou contextuels que lui opposent ces contradicteurs, n’ont pu déclencher cette vague de violences irrationnelles perpétrées dans un relatif consensus général que parce que l’antisémitisme était devenu un code culturel largement partagé [45]. Les travaux récents de spécialistes de la littérature ou d’anthropologues polonais le confirment et devraient constituer des précieuses sources d’inspiration pour les historiens et les sociologues [46].
26 Quant à l’opportunité de publier un livre-choc pour susciter une réflexion encore timide en Pologne sur ces questions, judicieuse en 2000 pour Les Voisins, elle paraît moins nécessaire aujourd’hui, face à une recherche polonaise dynamique et abordant les sujets les plus sensibles. Dans l’état actuel de l’historiographie et du débat public, des études peut-être moins ambitieuses, mais plus soucieuses de présenter les faits dans toute leur complexité, peuvent tout autant participer, à plus long terme, à la réflexion morale et éthique que J. Gross cherche à susciter.
Mise en ligne 10/11/2009
Notes
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[1]
- Jan T. GROSS, Fear : Anti-semitism in Poland after Auschwitz : An essay in historical interpretation, New York, Random House, 2006.
-
[2]
- Voir le compte rendu de ce livre dans Annales HSS, 60-6, 2005, p. 1456-1459.
-
[3]
- Jan T. GROSS, Strach. Antysemityzm w Polsce tuz? po wojnie : historia moralnej zapas?ci, Cracovie, Wydawn. Znak, 2008, p. 317. Sauf indication contraire, les citations de l’ouvrage proviennent toutes de la version polonaise, puisque c’est essentiellement celle-ci qui fut débattue dans le pays. Les traductions en français sont de moi.
-
[4]
- Czes?aw MADAJCZYK, Polityka III Rzeszy w okupowanej Polsce, Varsovie, PWN, 1970. Cette histoire politique a été renouvelée ces dernières années par les publications de W?odimierz Borodziej, spécialiste de la résistance polonaise et de la politique nazie, dont l’ouvrage sur l’insurrection de Varsovie a été rédigé en allemand et traduit en anglais : W?odimierz BORODZIEJ, Der Warschauer Aufstand 1944, Francfort, Fischer, 2001.
-
[5]
- Sur la vie quotidienne dans Varsovie occupée, voir l’ouvrage pionnier de Tomasz SZAROTA, Okupowanej Warszawy dzien? powszedni, Varsovie, Czytelnik, 1973.
-
[6]
- Jan T. GROSS, Polish society under German occupation : The Generalgouvernement, 1939- 1944, Princeton, Princeton University Press, 1979 ; Id., Revolution from abroad : The Soviet conquest of Poland’s western Ukraine and western Belorussia, Princeton, Princeton University Press, 1988.
-
[7]
- Journal publié initialement en Pologne en 1958 et récemment traduit en anglais : Zygmunt KLUKOWSKI, Diary from the years of occupation, 1939-44, Urbana, University of Illinois Press, 1993.
-
[8]
- Sur les szmalcownicy ou maîtres chanteurs, voir le livre de Jan GRABOWSKI, « Je le connais, c’est un Juif ! ». Varsovie 1939-1943, le chantage contre les Juifs, Paris, Calmann-Lévy, 2008. Voir également les publications du Centre de recherche sur la Shoah de l’Institut de philosophie et de sociologie de l’Académie des sciences, notamment la revue annuelle Zag?ada Z?ydów, où est originellement parue l’étude d’Alina SKIBIN?SKA et Jakub PETELEWICZ, « The participation of Poles in crimes against Jews in the S?wie?tokrzyskie region », Yad Vashem Studies, 35, 2007, p. 5-48. De ce même centre de recherche, voir l’étude collective sur le sort des Juifs dans la région de Varsovie, coécrit par trois chercheurs, respectivement psychologue, professeur de littérature et historien : Barbara ENGELKING, Jacek LEOCIAK et Dariusz LIBIONKA, Prowincja Noc. Z?ycie i zag?ada Z?ydów w dystrykcie warszawskim, Varsovie, Wydawnictwo Instytutu Filozofii i Socjologii PAN, 2007. Un autre ouvrage important sur les violences antijuives contemporaines et voisines de celles commises à Jedwabne : Andrzej Z?BIKOWSKI, U genezy Jedwabnego. Z?ydzi na Kresach Pó?nocno-Wschodnich II Rzeczypospolitej, wrzesien? 1939-lipiec 1941, Varsovie, Institut d’histoire juive, 2006.
-
[9]
- Un aperçu de ces récents travaux vient d’être traduit en français dans le recueil d’articles : Jean-Charles SZUREK et Annette WIEVIORKA (dir.), Juifs et Polonais, 1939- 2008, Paris, Albin Michel, 2009.
-
[10]
- Voir par exemple les études sur les milieux juifs polonais d’après-guerre et le rôle des partis sioniste et communiste : Natalia ALEKSIUN, Doka?d dalei ? Ruch syjonistyczny w Polsce (1944-1950), Varsovie, Trio, 2000 ; August GRABSKI, Dzia?alnos?? komunistów ws?ród Z?ydów w Polsce (1944-1949), Varsovie, Trio/Z?IH, 2004, qui évoquent surtout les réactions politiques juives. Voir également l’ouvrage de Krystyna Kersten qui replace les événements dans le contexte politique de l’époque, insistant sur les attentes divergentes des différents acteurs : Krystyna KERSTEN, Polacy, Z?ydzi, komunizm. Anatomia pó?prawd, 1939-1968, Varsovie, Niez?alezna Oficyna Wydawnicza, 1992.
-
[11]
- Le pogrome de Cracovie a fait l’objet d’une monographie : Anna CICHOPEK, Pogrom Z?ydów w Krakowie 11 sierpnia 1945, Varsovie, Z?IH, 2000. La bibliographie la plus imposante concerne toutefois le pogrome de Kielce (voir note 13).
-
[12]
- L’article de l’historienne et dissidente K. Kersten, publié durant l’époque de Solidarité, tout en accréditant la thèse du complot communiste, redonnait sa place à l’antisémitisme social comme moteur des violences. Voir Krystyna KERSTEN, « Kielce – 4 VII 1946 r. », Tygodnik Solidarnos??, 36, 1981, p. 8-9.
-
[13]
- La première monographie utilisant les archives ouvertes depuis 1989 est celle de Boz?ena SZAYNOK, Pogrom Z?ydów w Kielcach, 4 lipca 1946, Varsovie/Wroc?aw, Bellona/ Ossolineum, 1992. Pour une bibliographie exhaustive sur le pogrome de Kielce, voir ?ukasz KAMIN?SKI et Jan Z?ARYN (dir.), Wokó? pogromu kieleckiego, Varsovie, IPN, 2006, p. 510- 513. L’ouvrage combine articles scientifiques, documents d’archives sur le pogrome et actes relatifs à l’enquête menée par l’Institut de la mémoire nationale entre 1991 et 2004. L’enquête a conclu à l’impossibilité d’établir la preuve d’une quelconque instigation menée par un groupe politique ou par le pouvoir et n’a mis en accusation aucune autre personne que celles déjà jugées entre 1946 et 1950.
-
[14]
- J. Gross s’appuie notamment sur le recueil de documents sur le pogrome de Kielce publié par Stanis?aw MEDUCKI et Zenon WRONA, Antyz?ydowskie wydarzenia kieleckie 4 lipca 1946 roku. Dokumenty i materia?y, Kielce, KTN, 1992, et sur le rapport confidentiel sur le pogrome rédigé par l’évêque de Kielce et transmis le 1er septembre 1946 à l’ambassadeur des États-Unis en Pologne – publié initialement par John MICGIEL, « Kos?ció? katolicki i pogrom kielecki », Niepodleg?os??, 25, 1992, p. 134-172.
-
[15]
- C’est notamment l’interprétation de Jan Z?aryn, qui va même plus loin en reprenant à son compte les légitimations données alors par l’Église à ces violences : Jan Z?ARYN, « Hierarchia Kos?cio?a katolickiego wobec relacji polsko-z?ydowskich », in ?. KAMIN?SKI et J. Z?ARYN (dir.), Wokó? pogromu kieleckiego, op. cit., p. 75-110. C’est surtout contre cet historien et l’institution où il travaille, l’Institut de la mémoire nationale, que J. Gross se dresse en traitant de la question de l’attitude de l’Église.
-
[16]
- Sur l’histoire de ce mythe, voir notamment André GERRITS, « Anti-semitism and anti-communism : The myth of ‘Judeo-Communism’ in eastern Europe », East European Jewish Affairs, 25-1, 1995, p. 49-72.
-
[17]
-On retrouve de semblables interprétations dans les travaux de Jan Z?aryn, mais également de Jan Marek Chodakiewicz, historien polonais travaillant aux États-Unis : Jan Marek CHODAKIEWICZ, After the Holocaust : Polish-Jewish conflict in the wake of World War II, New York, Columbia University Press, 2003.
-
[18]
- Sur l’influence du communisme sur une génération de jeunes Juifs polonais, voir l’étude sociologique de Jaff SCHATZ, The generation : The rise and fall of the Jewish communists of Poland, Berkeley, University of California Press, 1991.
-
[19]
- Plusieurs historiens ont fait le décompte du pourcentage de Juifs au sein de la police politique durant la période stalinienne en Pologne. Ils aboutissent à une effective surreprésentation – de l’ordre de 30 % pour les bureaux centraux –, mais les minorités biélorusse ou lituanienne étaient également surreprésentées par rapport à leurs effectifs réels dans la population, sans même mentionner les Russes, à tous les postes clefs. Voir Andrzej PACZKOWSKI, « Z?ydzi w UB : próba werifikacji stereotypu », in T. SZAROTA (dir), Komunizm. Ideologia, system, ludzie, Varsovie, Neriton-IH PAN, 2001, p. 196-197 ; Krzysztof SZWAGRZYK, « Z?ydzi w kierownictwie UB. Stereotyp czy rzeczywistos?? ? », Biuletyn Instytutu Pami?eci Narodowej, 11, 2005, p. 37-42.
-
[20]
- Pour certains historiens comme A. GRABSKI, Dzia?alnos?? komunistów..., op. cit., cette libéralité était spécifique à la minorité juive, favorisée par rapport aux autres. Pour Boz?ena Szaynok, au contraire, il ne s’agit que d’une réponse conjoncturelle à la situation spécifique de cette minorité et non d’un privilège : Boz?ena SZAYNOK, « Komunis?ci w Polsce (PPR/PZPR) wobec ludnos?ci z?ydowskiej (1945-1953) », Pami?e? i sprawiedliwos??, 6-2, 2004, p. 185-203.
-
[21]
- J. GROSS, Strach..., op. cit., p. 305.
-
[22]
- Les principales voix du débat ont été reprises et publiées dans le recueil de Mariusz G?DEK (éd.), Wokó? Strachu. Dyskusja o ksia?z?ce Jana T. Grossa, Cracovie, Znak, 2008.
-
[23]
- Au cours d’un débat télévisé avec l’auteur de Fear, l’historien Andrzej Paczkowski dit que le but de J. Gross, « de type missionnaire », est « que les Polonais admettent qu’ils ne furent pas tous des héros et des victimes par le passé ». Débat reproduit dans l’hebdomadaire Tydognik Powszechy, « Gross – Historyk z misja?. Debata ‘Tygodnika Powszechnego i TVN24 o ksia?z?ce Jana Tomasza Grossa Strach’ », in M. G?DEK (éd.), Wokó? Strachu..., op. cit., p. 302-311. Mais J. Gross lui-même dans l’introduction de son livre avoue avoir délibérément choisi « une formulation plus radicale » de ses propos pour la version polonaise.
-
[24]
- Marcin KULA, « Obron?cy swoich », Gazeta Wyborcza, 15 février 2008.
-
[25]
- L’historien des idées Jerzy Jedlicki recense les livres publiés sur les relations polono-juives ces dernières années et constate que le style et la radicalité des thèses de J. Gross expliquent en partie le scandale suscité par son livre : Jerzy JEDLICKI, « Tylko tyle i az? tyle », Tygodnik Powszechny, 4, 2008, reproduit dans M. G?DEK (éd.), Wokó? Strachu..., op. cit., p. 180-188.
-
[26]
- J. GROSS, Strach..., op. cit., p. 315 : « En tant qu’autorité morale de l’institution qu’ils représentaient, les ecclésiastiques, en ne disant pas que la formule ecce homo s’applique à chaque Juif, ont placé l’Église catholique dans le rôle du collaborateur par abandon. »
-
[27]
- Ibid., p. 57 et 296.
-
[28]
- Pawe? MACHCEWICZ, « Odcienie czerni », Wi?ez?, 2/3, 2008, reproduit dans M. G?DEK (éd.), Wokó? Strachu..., op. cit., p. 147-158, ici p. 151, rappelle que les expulsions des Allemands après-guerre ont effectivement fait plusieurs centaines de milliers de victimes, mais à l’échelle de l’Europe, tandis qu’on estime à 200 le nombre d’Ukrainiens tués dans l’opération Wisla – déplacements forcés de cette minorité organisés entre 1947 et 1950.
-
[29]
- Marcin ZAREMBA, « Sa?d nieostateczny », Polityka, 3, 2008, reproduit dans M. G?DEK (éd.), Wokó? Strachu..., op. cit., p. 159-167. Voir également Id., « Mit mordu rytualnego w powojennej Polsce. Archeologia i hipotezy », Kultura i Spoleczen?stwo, 2, 2007, p. 91-135. Ce sociologue et historien de l’université de Varsovie prépare un mémoire d’habilitation sur la peur sous le communisme en Pologne. Cet article est l’un des chapitres de ce mémoire à paraître.
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[30]
- Voir notamment K. KERSTEN, « Kielce – 4 VII 1946 r. », art. cit.
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[31]
- Entretien de Dariusz STOLA accordé au quotidien Gazeta Wyborcza, 19-20 janvier 2008, reproduit dans M. G?DEK (éd.), Wokó? Strachu..., op. cit., p. 266-273.
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[32]
- J. GROSS, Strach..., op. cit., p. 315.
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[33]
- Ibid., p. 298 : TACITE, Vie d’Agricola, XLII, 5 : « Proprium humani ingenii est odisse quem laeseris. »
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[34]
- Selon le concept développé par George Lachmann MOSSE, De la Grande Guerre au totalitarisme : la brutalisation des sociétés européennes, Paris, Hachette, [1990] 1999.
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[35]
- Instytut Pamie?ci Narodowej. Cet institut abrite notamment des archives datant de la Seconde Guerre mondiale et celles de la police politique sous le communisme.
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[36]
- Plusieurs commentateurs du livre ont insisté sur cette dimension politique du débat. Voir notamment l’entretien accordé par le sociologue et ancien député Pawe? S?PIEWAK à l’édition polonaise de Newsweek en 2008, reproduit dans M. G?DEK (éd.), Wokó? Strachu..., op. cit., p. 295-301.
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[37]
- Expression du porte-parole de l’archevêché de Cracovie, le père Robert N?CEK, « Strach jest jak fa?szywa moneta », Rzczepospolita, 21 janvier 2008, reproduit dans M. G?DEK (éd.), Wokó? Strachu..., op. cit., p. 79-82.
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[38]
- « Lettre ouverte du cardinal Stanislaw Dziwisz », 12 janvier 2008, reproduit dans M. G?DEK (éd.), Wokó? Strachu..., op. cit., p. 74-75.
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[39]
- Mgr Józef Z?ycin?ski : « Ksia?z?ka Grossa rani i dzieli, ale nie jest tematem dla prokuratury. » Dépêche de l’agence polonaise de presse (PAP), reproduite dans Gazeta Wyborcza, 13 janvier 2008.
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[40]
- Piotr SEMKA, « Strach cofna?? dialog o ca?a? epoke? », Rzeczpospolita, 16 janvier 2008, reproduit dans M. G?DEK (éd.), Wokó? Strachu..., op. cit., p. 104-109.
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[41]
- Jan Marek CHODAKIEWICZ, Po zag?adzie. Stosunki polsko-z?ydowskie 1944–1947, Varsovie, IPN, 2008. Cet ouvrage est la traduction de son livre initialement paru en anglais, After the Holocaust..., op. cit.
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[42]
- Code pénal polonais, article 132a. Cet article figurait initialement dans une loi sur l’IPN qui modifiait les conditions d’accès aux archives de la police politique (article 55a). Son introduction dans le Code pénal permet à tout procureur – et non plus seulement à celui de l’IPN – d’ordonner une enquête.
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[43]
- On retrouve cette formulation dans des journaux tels que le New York Times, The Guardian, Die Welt ou Haaretz. La diplomatie polonaise traque chaque occurrence dans les médias du monde entier depuis 2005 et proteste officiellement auprès des pays concernés.
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[44]
- Comme l’ont souligné à l’époque le chercheur Dariusz Stola dans un article publié dans Gazeta Wyborcza le 8 septembre 2006, ainsi qu’une pétition pour le retrait de cette loi signée par de nombreux scientifiques en Pologne et à l’étranger.
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[45]
- Je souscris ici aux analyses de Jerzy JEDLICKI, « Bezradnos?? », Gazeta Wyborcza, 27- 28 juin 2009, p. 22.
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[46]
- On peut citer notamment les travaux de Maria JANION, Bohater, spisek, s?mier?. Wyk?ady z?ydowskie, Varsovie, WAB, 2009, qui revisite les clichés antisémites dans la littérature polonaise du XIXe siècle, ou ceux de l’anthropologue Joanna TOKARSKA-BAKIR, Legendy o krwi, antropologia przesa?du, Varsovie, WAB, 2008, qui explore la persistance des croyances au meurtre rituel attribué aux Juifs dans la Pologne contemporaine.