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Article de revue

Gouverner le « progrès génétique »

Biopolitique et métrologie de la construction d'un standard variétal dans la France agricole d'après-guerre

Pages 1305 à 1340

Notes

  • [1]
    Georges CANGUILHEM, Le normal et le pathologique, Paris, PUF, [1966] 1979, p. 177.
  • [2]
    On distinguera dans cet article, conformément à l’usage agronomique courant, la « semence » comme ensemble de graines mises en terre en vue d’une récolte, et la « variété » comme catégorie se référant à la constitution génétique d’une semence. Les parallèles souvent faits depuis 1945 entre génétique et information ont conduit à comparer la semence à des disquettes et la variété au software porté par ces disquettes.
  • [3]
    Christophe BONNEUIL, « Producing identity, industrializing purity : Elements for a cultural history of genetics », in S. MÜ LLER-WILLE et H.-J. RHEINBERGER (dir.), A cultural history of heredity, t. IV, Heredity in the century of the gene, Berlin, Max-Planck-Institut für Wissenschaftsgeschichte, preprint 343,2008, p. 81-110.
  • [4]
    Edmund RUSSELL, « Evolutionary history : Prospectus for a new field », Environmental History, 8-2,2003, p. 204-228.
  • [5]
    Le terme de « clone » est proposé en 1903 pour la première fois par un chercheur agronome américain. Voir C. BONNEUIL, « Producing identity, industrializing purity... », art. cit.; Jean-Pierre BERLAN, « Les cloneurs », Écologie et Politique, 31,2005, p. 59-70.
  • [6]
    Laurent THÉVENOT, « Les investissements de forme », Cahiers du centre d’études de l’emploi, 29,1986, p. 21-71.
  • [7]
    Pierre MULLER, Le technocrate et le paysan. Essai sur la politique française de modernisation de l’agriculture, de 1945 à nos jours, Paris, Les Éditions ouvrières, 1984.
  • [8]
    Richard F. KUISEL, « L’american way of life et les missions françaises de productivité », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 17,1988, p. 21-38.
  • [9]
    Henri MENDRAS, La fin des paysans : suivi d’une réflexion sur la fin des paysans; Vingt ans après, Arles/Lausanne, Actes Sud/L’Aire, [1967] 1992; Michel GERVAIS, Marcel JOLLIVET et Yves TAVERNIER, La fin de la France paysanne, de 1914 à nos jours, Paris, Éd. du Seuil, 1976.
  • [10]
    Voir notamment Pierre MULLER, Le technocrate et le paysan..., op. cit.; Isabel BOUSSARD, Vichy et la Corporation paysanne, Paris, Presses de la FNSP, 1980; et pour des contributions récentes, Pierre CORNU et Jean-Luc MAYAUD (dir.), Au nom de la terre. Agrarismes et agrariens en France et en Europe du XIXe siècle à nos jours, Paris, La Boutique de l’Histoire, 2007.
  • [11]
    Voir Gilles ALLAIRE et Robert BOYER (dir.), La grande transformation de l’agriculture. Lectures conventionnalistes et régulationnistes, Paris, INRA /Economica, 1995; Gilles ALLAIRE, « Émergence d’un nouveau système productif en agriculture », Canadian Journal of Agricultural Economics, 44-4,1996, p. 461-479; Id., « L’économie de la qualité, en ses secteurs, ses territoires et ses mythes », Géographie, Économie, Société, 4-2,2002, p. 155-180. Cette lecture n’est pas très éloignée de celle de l’historienne et sociologue Harriet Friedmann qui distingue trois « régimes agroalimentaires » depuis le dernier tiers du XXe siècle. Au « modèle productiviste » de G. Allaire correspond chez H. Friedmann le régime « mercantiliste-industriel » des années 1930-1970, caractérisé par la constitution de l’agriculture en domaine majeur d’intervention publique, contrairement à la période d’internationalisation plus strictement marchande du régime « colonial-diasporique » précédent, mais également au régime « marchand-environnemental » de ces dernières décennies. Voir Harriet FRIEDMANN et Philip MC MICHAEL, « Agriculture and the state system : The rise and decline of national agricultures, 1870 to the present », Sociologia ruralis, XXIX-2,1989, p. 93-117; Harriet FRIEDMANN, « From colonialism to green capitalism : Social movements and emergence of food regimes », Research in Rural Sociology and Development, 11,2005, p. 229-267.
  • [12]
    Claude SERVOLIN, L’agriculture moderne, Paris, Éd. du Seuil, 1989; G. ALLAIRE et R. BOYER (dir.), La grande transformation..., op. cit.; Alessandro STANZIANI, Histoire de la qualité alimentaire ( XIXe - XXe siècles), Paris, Le Seuil, 2005.
  • [13]
    Luc BOLTANSKI et Laurent THÉVENOT, De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991.
  • [14]
    Voir aussi sur ce point Franck SANSELME, « Le Nouveau Larousse agricole (1952) et la ‘gestion rationnelle des entreprises’: une tentative d’introduction du modèle de l’entreprise capitaliste industrielle en agriculture », in P. CORNU et J.-L. MAYAUD (dir.), Au nom de la terre..., op. cit., p. 205-221.
  • [15]
    Steven L. KAPLAN, Le pain maudit. Retour sur la France des années oubliées, 1945-1958, Paris, Fayard, 2008, p. 67-70.
  • [16]
    Jean BUSTARRET, « Organisation de la production des semences de céréales », Bulletin technique d’information des ingénieurs des services agricoles, 17-18,1947, p. 69-72.
  • [17]
    Christophe BONNEUIL et Frédéric THOMAS, Gènes, pouvoirs et profits. La recherche publique dans les transformations des régimes de production des savoirs en génétique végétale de Mendel aux OGM, Paris, Quae, 2009, chap. 1, sous presse.
  • [18]
    Henri ROUSSO, « L’organisation industrielle de Vichy (perspectives de recherche) », Revue d’Histoire de la Deuxième Guerre Mondiale, 116,1979, p. 27-44.
  • [19]
    Loi du 11 octobre 1941, relative à l’organisation du marché des semences, Journal Officiel de l’État Français, 12 octobre 1941, p. 4406-4407.
  • [20]
    Décret du 24 février 1942 et arrêté du 10 mars 1942, Journal Officiel de l’État Français, 12 mars 1942, p. 999-1000.
  • [21]
    Sur le fonctionnement de l’ONIC, voir S. L. KAPLAN, Le pain maudit..., op. cit.
  • [22]
    Arrêté du 10 mars 1942, Journal Officiel de l’État Français, ici p. 1000.
  • [23]
    Journal Officiel de l’État Français, 10 juin 1942, p. 2023.1
  • [24]
    C. BONNEUIL et F. THOMAS, Gènes, pouvoirs et profits..., op. cit., chap. 3-5.
  • [25]
    Jean BUSTARRET, « Variétés et variations », Annales agronomiques, 14,1944, p. 336-362, ici p. 340.
  • [26]
    Ibid., p. 346.
  • [27]
    Christophe BONNEUIL, « Mendelism, plant breeding and experimental cultures : Agriculture and the development of genetics in France », Journal of the History of Biology, 39-2,2006, p. 281-308. 1
  • [28]
    Ronald A. FISHER, The design of experiments, Édimbourg/Londres, Oliver and Boyde, 1935.
  • [29]
    Pierre JONARD, « Commentaires sur la législation du commerce des semences en France », Bulletin technique d’information des ingénieurs des services agricoles, 157,1961, p. 207-213, ici p. 209.
  • [30]
    J. BUSTARRET, « Variétés et variations », art. cit., p. 353.
  • [31]
    Union pour la protection des obtentions végétales ( UPOV ), Actes des conférences internationales pour la protection des obtentions végétales 1957-1961-1972, Genève, UPOV, 1974. J. Bustarret préside le comité technique de la Convention.
  • [32]
    G. WEIBULL, Plant breeders’ rights in development of seed production and the seed trade in Europe, Paris, EPA/OCDE, 1955, p. 111-123.
  • [33]
    C. BONNEUIL, « Producing identity, industrializing purity... », art. cit.
  • [34]
    Archives du CTPS ( GEVES ), section Céréales, voir notamment le procès-verbal du 18 août 1945.
  • [35]
    Robert MAYER, Pierre JONARD et Gérard DE FOSSEUX, « Comportement en champs d’essai des principales variétés cultivées dans la région parisienne, la Normandie et le Nord de la France », Bulletin technique d’information des ingénieurs des services agricoles, 72, 1952, p. 471-508, ici p. 472. 1
  • [36]
    Archives du CTPS ( GEVES ), section Céréales, procès-verbal du 4 novembre 1954.
  • [37]
    Voir notamment : David GOODMAN, Bernardo SORJ et John WILKINSON, From farming to biotechnology : A theory of agro-industrial development, Oxford/New York, Basil Blackwell, 1987; Jack R. KLOPPENBURG, First the seed : The political economy of plant biotechnology, 1492-2000, Cambridge/New York, Cambridge University Press, 1988; Jean-Pierre BERLAN, « Recherches sur l’économie politique d’un changement technique. Les mythes du maïs hybride », thèse d’État, Université Aix-Marseille II, 1987; Deborah K. FITZGERALD, « Farmers deskilled : Hybrid corn and farmers’work », Technology & Culture, 34-2,1991, p. 324-343; Robin PISTORIUS et Jeoren VAN WIJK, The exploitation of plant genetic information : Political strategies in crop development, New York, CABI Pub, 1999.
  • [38]
    James C. SCOTT, Seeing like a state : How certain schemes to improve the human condition have failed, New Haven, Yale University Press, 1998.
  • [39]
    Robert MAYER, « Les orientations nouvelles en matière de sélection », Journées nationales d’études théoriques et pratiques « Semences », Paris-Toulouse, 21-22-23 mai 1964, Paris, Union nationale des coopératives agricoles et céréalières, 1964, p. 17-25.
  • [40]
    Émile SCHRIBAUX, « La qualité des blés indigènes et le problème du bon pain », Le Sélectionneur français, VII-1,1938, p. 41-55, ici p. 45.
  • [41]
    Michael FLITNER, « Genetic geographies : A historical comparison of agrarian modernization and eugenic thought in Germany, the Soviet Union, and the United States », Geoforum, 34-2,2003, p. 175-186.
  • [42]
    Christophe BONNEUIL, « ‘Pénétrer l’indigène’. Arachide, paysans, agronomes et administrateurs au Sénégal (1897-1950) », Études Rurales, 151-152,1999, p. 199-223.
  • [43]
    Sur les tensions et les liens indissociables entre eugénisme positif et eugénisme négatif, et sur les spécificités propres à la biopolitique du milieu du XXe siècle, voir Nikolas ROSE, « The politics of life itself », Theory, Culture & Society, 18-6,2001, p. 1-30.
  • [44]
    Cet impératif de « modernisation » agricole apparaît s’inscrire dans ce que Luc BOLTANSKI et Laurent THÉVENOT, De la justification..., op. cit., ont caractérisé comme la « cité industrielle », où la terre serait vue comme un outil de production, gérée selon un principe d’efficacité productive, et non plus comme un capital de grands propriétaires rentiers (« cité marchande ») ni comme un attachement à un lieu et une histoire (« cité domestique »).
  • [45]
    Archives nationales ( AN ) F10 5136, Corporation Paysanne 1940-1944, « Activité du groupe spécialisé de la pomme de terre au cours de l’année écoulée », mai 1944; AN F10 5278 Pomme de terre.
  • [46]
    Sur les groupes et projets en concurrence à la création de l’INRA, voir C. BONNEUIL et F. THOMAS, Gènes, pouvoirs et profits..., op. cit., chap. 1.
  • [47]
    Archives du CTPS ( GEVES ), section Céréales, procès-verbaux du 3 novembre 1942, du 12 juillet 1944, du 11 mai 1948, du 17 décembre 1949, du 20 juillet 1954.
  • [48]
    Arrêté du 15 septembre 1955, Journal Officiel, 27 octobre 1955, p. 10619; Ibid., 20 août 1955, p. 8394.
  • [49]
    Conseil d’État, arrêt no 37.019,15 juillet 1959.
  • [50]
    Voir le projet initial du décret et les discussions au CTPS dans les archives de la section blé du CTPS et le fonds Jean Marrou récemment versé aux Archives nationales, dossier CTPS passé-avenir, « Projet de décret relatif au catalogue des espèces et variété », note de B. Imbaud, chef de service des améliorations agricoles, au directeur général de l’Agriculture, 23 décembre 1957.
  • [51]
    Jean BUSTARRET, « Le catalogue des espèces et variétés et le Comité technique permanent de la sélection », Bulletin technique d’information des ingénieurs des services agricoles, 157,1961, p. 201-206, ici p. 205.
  • [52]
    Michel SIMON, « Les variétés de blé tendre cultivées en France au cours du vingtième siècle et leurs origines génétiques », Comptes Rendus de l’Académie d’Agriculture de France, 85-8,1999, p. 5-26.
  • [53]
    Sophie CHAUVEAU, « Genèse de la ‘sécurité sanitaire’: les produits pharmaceutiques en France aux XIXe et XXe siècles », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, 51-2,2004, p. 88-117.
  • [54]
    Sur le déclin et le retour en vogue des variétés de pays, voir Christophe BONNEUIL et Élise DEMEULENAERE, « Vers une génétique de pair à pair ? L’émergence de la sélection participative », in F. CHARVOLIN, A. MICOUD et L. K. NYHART, (dir.), Des sciences citoyennes ? La question de l’amateur dans les sciences naturalistes, La Tour d’Aigues, Éd. de l’Aube, 2007, p. 122-147.
  • [55]
    L’expression de « remise en ordre » est tirée de J. BUSTARRET, « Le catalogue des espèces et variétés... », art. cit., ici p. 204. On la retrouve sous la plume d’autres généticiens de l’INRA des années 1960.
  • [56]
    Alain DESROZIÈRES, La politique des grands nombres. Histoire de la raison statistique, Paris, La Découverte, 1993.
  • [57]
    L. THÉVENOT, « Les investissements de forme », art. cit.
  • [58]
    Bruno LATOUR, La science en action, Paris, La Découverte, 1989.
  • [59]
    Ronald A. FISHER et John WISHART, The arrangement of field experiments and the statistical reduction of the results, Harpenden, Imperial Bureau of Soil Science/Rothamsted Experimental Station, 1930.
  • [60]
    Charles CRÉPIN, Pierre JONARD et René FRIEDBERG, « Essais comparatifs de variétés de blé en Seine-et-Oise (1937-1938) », Le Sélectionneur français, VII-3,1938, p. 119-147.
  • [61]
    AGPB, « Journée d’étude du blé à Grignon », Bulletin de documentation sur le marché du blé, 9 août 1947, p. 4.
  • [62]
    AGPB, « Action des sections départementales de céréales », Bulletin de documentation sur le marché du blé, 22 avril 1948, p. 4-6.
  • [63]
    Il est l’ancêtre de l’actuel Groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences ( GEVES, créé en 1971 et détaché par la suite de l’INRA ).
  • [64]
    Robert MAYER, Pierre JONARD et Gérard DE FOSSEUX, « Essais de blé d’automne dans la région parisienne, la Normandie et le Nord de la France », Bulletin technique d’information des ingénieurs des services agricoles, 53,1950, p. 623-638, ici p. 624.
  • [65]
    Jean BUSTARRET, Robert MAYER et Pierre JONARD, « Expérimentation de variétés de blé d’automne dans la moitié Nord de la France », Bulletin technique d’information des ingénieurs des services agricoles, 17-18,1947, p. 23-37.
  • [66]
    « Comptes rendus des réseaux d’essais dans la région parisienne, la Normandie et le Nord, en Alsace, dans le Centre de la France, dans les régions méridionales et dans l’Ouest », Bulletin technique d’information des ingénieurs des services agricoles, 72,1952, p. 471-578.
  • [67]
    AGPB, « Le rôle du technicien semences à la coopérative », Bulletin de documentation sur le marché du blé, 31 mai 1950, p. 3.
  • [68]
    Robert MAYER et Pierre JONARD, « Résultats des essais conduits par les stations d’amélioration des plantes de l’INRA sur les variétés de céréales », Bulletin technique d’information des ingénieurs des services agricoles, 114,1956, p. 573-576, ici p. 575.
  • [69]
    Ibid.
  • [70]
    On retrouve ici la thèse dite du spill-over, remise en question ces dernières années par des recherches sur l’importance de la sélection in situ pour les conditions extensives et marginales.
  • [71]
    Robert MAYER, « Comment apprécier la valeur culturale d’une variété », Journées nationales d’études théoriques et pratiques « Semences », 18-19 mai 1953, Paris/Versailles, Union nationale des coopératives agricoles et céréalières, 1953, p. 30-32.
  • [72]
    Vu la diversité des milieux, on estime en 1956 qu’il faut dix ans d’expérimentation dans six sites-essais dans chaque région pédoclimatique pour obtenir un classement des variétés qui soit fiable dès lors que les différences mesurées entre deux variétés dépassent 7 %. G. DE FOSSEUX et al., « Détermination de la valeur agricole des variétés de blé d’automne et de printemps, cultivés dans le Bassin Parisien et le Nord-Est de la France », Bulletin technique d’information des ingénieurs des services agricoles, 114,1956, p. 577-607, ici p. 580.
  • [73]
    Henri NURET, « À propos de l’extensimètre Chopin », Bulletin des anciens élèves de l’École de Meunerie, 55,1937, p. 2-6. La force boulangère ainsi mesurée exprime certaines qualités physiques et mécaniques du gluten du blé. Une farine de blé de force, au cours de la panification, absorbe plus d’eau, réagit mieux au pétrissage et fournit un pain plus léger.
  • [74]
    Archives du CTPS ( GEVES ), section Céréales, procès-verbal du 29 septembre 1954, p. 3.
  • [75]
    INRA, Station centrale d’amélioration des plantes, « Sélection », comptes rendus des travaux effectués au cours de l’année, 1950, p. 3.
  • [76]
    INRA, Station centrale d’amélioration des plantes, « Étude des collections et recherches de géniteurs », comptes rendus des travaux effectués au cours de l’année 1950.
  • [77]
    Robert MAYER, Pierre JONARD et Gérard de FOSSEUX, « Comportement en champs d’essai... », art. cit.
  • [78]
    J. BUSTARRET et al., « Expérimentation de variétés... », art. cit., p. 29.
  • [79]
    Archives du CTPS ( GEVES ), section Céréales, procès-verbal du 4 novembre 1954.
  • [80]
    Pour un exemple de controverse sur la rigueur nécessaire des essais entre un chercheur de l’INRA et un ingénieur des Services agricoles, voir Robert MAYER, « Comment apprécier la valeur culturale d’une variété », Journées nationales d’études théoriques et pratiques « Semences », 18-19 mai 1953, Paris/Versailles, Union nationale des coopératives agricoles et céréalières, 1953, p. 30-32, face à Philippe JUSSIAUX, « De l’efficacité de la vulgarisation en matière de céréales », ibid., p. 43-55, notamment p. 47.
  • [81]
    Harry MARKS, La médecine des preuves. Histoire et anthropologie des essais cliniques (1900-1990), Le Plessis-Robinson, Synthélabo, 1999.
  • [82]
    G. DE FOSSEUX et al., « Détermination de la valeur agricole... », art. cit., p. 590.
  • [83]
    L’histoire de la standardisation du réseau télégraphique au XIXe siècle et celle des diagnostics médicaux au début du XXe présentent une situation analogue, où l’universalité de la mesure s’appuie sur la circulation de dispositifs de calibrage, instituant les unités standards comme référence dans une multiplicité de situations locales : Joseph O’CONNELL, « Metrology : The creation of universality by the circulation of particulars », Social Studies of Science, 23-1,1993, p. 129-173.
  • [84]
    La force boulangère du témoin Vilmorin 27 varie ainsi de 64 à 156, entre 1945 et 1949, soit une fluctuation de 200 % : Robert MAYER, « Les facteurs de la qualité du blé », Bulletin des anciens élèves de l’École de Meunerie, 118,1950, p. 118-122.
  • [85]
    « Comptes rendus des réseaux d’essais dans l’Ouest, dans le Centre et dans le Sud-Ouest », Bulletin technique d’information des ingénieurs des services agricoles, 17-18,1947, p. 39-64; R. MAYER, P. JONARD et G. DE FOSSEUX, « Comportement en champs d’essai... », art. cit., p. 471.
  • [86]
    François DAGOGNET, Réflexions sur la mesure, La Versanne, Encre Marine, 1993.
  • [87]
    Madeleine AKRICH, « La description des objets techniques », Techniques et Culture, 9,1987, p. 49-64, et Id., « Les objets techniques et les utilisateurs, de la conception à l’action », in B. CONEIN, N. DODIER et L. THÉVENOT (dir.), Les objets dans l’action, Éd. de l’EHESS, 1993, p. 35-57.1
  • [88]
    G. ALLAIRE, « Émergence d’un nouveau système productif... », art. cit.
  • [89]
    J. BUSTARRET et al., « Expérimentation de variétés... », art. cit., p. 29.
  • [90]
    Félicien BŒUF, intervention à l’Académie d’Agriculture suite à la communication de C. JACOB sur « La recherche scientifique et l’agriculture », Comptes rendus des séances de l’Académie d’Agriculture de France, séance du 4 mars 1942, p. 303-311, ici p. 309.
  • [91]
    Archives du CTPS ( GEVES ), section Céréales, nouveau protocole d’inscription « blé tendre », réunion du CTPS du 10 janvier 1969.
  • [92]
    Cette variété très précoce adaptée aux régions méridionales se comporte bien aussi au Nord ce qui permet de l’y expérimenter, et d’y tester ainsi l’écart de comportement entre variétés tardives et précoces.
  • [93]
    Entretien avec Michel Simon (ancien ingénieur du Service de l’expérimentation de l’INRA ), mars 2008.
  • [94]
    Wendy N. ESPELAND et Mitchell L. STEVENS, « Commensuration as a social process », Annual Review of Sociology, 24,1998, p. 313-343, ici p. 331.
  • [95]
    Michel FOUCAULT, Surveiller et punir : naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975; Id., Histoire de la sexualité, Paris, Gallimard, 3 vol., 1976-1992; Id., Le gouvernement de soi et des autres : cours au Collège de France, 1982-1983, éd. par F. Gros, sous la dir. de F. Ewald et A. Fontana, Paris, Gallimard/Le Seuil, 2008.
  • [96]
    Michel FOUCAULT, « Le jeu de Michel Foucault », Dits et Écrits : 1954-1988, t. 2. 1976-1988, éd. sous la dir. de D. Defert et F. Ewald, avec la coll. de J. Lagrange, Paris, Gallimard, 2001, p. 301.
  • [97]
    Robert CHEVALIER, « Échaudage et problèmes connexes », Journées nationales d’études théoriques et pratiques « Semences », 2-3-4 juin 1959, Paris/Montpellier, Union nationale des coopératives agricoles et céréalières, 1959, p. 11-33, ici p. 25.
  • [98]
    AGPB, « Revaloriser la qualité : oui ! Mais ne pas prendre prétexte du ‘facteur qualité’ pour fausser le prix du blé », Bulletin de documentation sur le marché du blé, 18 janvier 1950, p. 4-5.
  • [99]
    Jean KOLLER, « La qualité des blés français », Bulletin des anciens élèves de l’École de Meunerie, 123,1951, p. 98-102.
  • [100]
    Archives du CTPS ( GEVES ), section Céréales, procès-verbal du 29 septembre 1954, p. 4.
  • [101]
    Archives du CTPS ( GEVES ), section Céréales, procès-verbal du 27 juillet 1955, p. 5-6.
  • [102]
    S. KAPLAN, Le pain maudit..., op. cit., p. 158-181; Christine CÉSAR, « Les métamorphoses des idéologues de l’agriculture biologique : la voix de La Vie Claire (1946-1981) », in P. CORNU et J.-L. MAYAUD (dir.), Au nom de la terre..., op. cit., p. 335-347.
  • [103]
    Archives du CTPS ( GEVES ), section Céréales, procès-verbal du 20 juillet 1954. De même, l’hiver 1955-1956 extrêmement rude amène aussi quelques sélectionneurs de variétés de printemps, remises au goût du jour cette année-là, à se plaindre du mode de calcul et de la note éliminatoire de qualité boulangère. Ainsi, l’un d’eux déplore le rejet de sa variété de printemps pour force boulangère insuffisante alors qu’elle aurait offert en 1956 un rendement supérieur aux variétés d’hiver inscrites : Archives du CTPS ( GEVES ), section Céréales, procès-verbal du 31 juillet 1956.
  • [104]
    Christian REMÉSY, Que mangerons-nous demain ?, Paris, Odile Jacob, 2005.
  • [105]
    Archives du CTPS ( GEVES ), section Céréales, procès-verbal du 22 septembre 1959.
  • [106]
    François HOCHEREAU, « Du productivisme à l’agriculture durable. Les vicissitudes de la prise en compte des résistances variétales dans la sélection du blé », in C. BONNEUIL, G. DENIS et J.-L. MAYAUD (dir.), Les chercheurs et l’agriculture. Science et agriculture en France depuis la fin du XIXe siècle, Paris, L’Harmattan/Quae, 2008, sous presse.
  • [107]
    Michel SIMON, « Incidences des règlements sur l’évolution des assortiments variétaux », Comptes rendus de l’Académie d’Agriculture de France, 78,1992, p. 3-19.
  • [108]
    François DELBARD, « Spécificité des arbres fruitiers et des plantes ornementales dans le domaine de la réglementation variétale », ibid., p. 21-32, citations p. 24 et 25.
  • [109]
    G. ALLAIRE, « Émergence d’un nouveau système productif... », art. cit.
  • [110]
    La crise de ce standard variétal est analysée dans Christophe BONNEUIL et al., « Innover autrement ? La recherche face à l’avènement d’un nouveau régime de production et de régulation des savoirs en génétique végétale », Dossier de l’environnement de l’INRA, 30,2006, p. 29-53.1
  • [111]
    Pour ne citer que quelques travaux étrangers les plus notables, on mentionnera : William CRONON, Nature’s metropolis : Chicago and the Great West, New York, W. W. Norton, 1991; Andreas DIX et Ernst LANGTHALER (dir.), Grüne Revolutionen. Agrarsysteme und Umwelt im 19. und 20. Jahrhundert, Jahrbuch für Geschichte des Ländlichen Raumes, Innsbruck, Studienverlag, 2006; Deborah K. FITZGERALD, Every farm a factory : The industrial ideal in American agriculture, New Haven, Yale University Press, 2003; Edmund RUSSELL, War and nature : Fighting humans and insects with chemicals from World War I to Silent Spring, New York/Cambridge, Cambridge University Press, 2001.

1« Normer, normaliser, c’est imposer une exigence à une existence, à un donné, dont la variété, le disparate s’offrent, au regard de l’exigence, comme un indéterminé hostile plus encore qu’étranger » affirmait Georges Canguilhem dans Le normal et le pathologique[1]. À la croisée de l’histoire de la « modernisation » agricole, de la construction des marchés et des qualités, de la sociologie de la mesure et de l’histoire des sciences et des techniques, cet article documente la forme historique particulière d’existence imprimée aux variétés [2] de plantes cultivées dans la France d’après-guerre.

2Les variétés ont en effet une histoire. Jusqu’au premier tiers du XIXe siècle, la variété agricole n’existe pas dans la pensée agronomique. Si la catégorie, importée de la botanique pour désigner des régularités d’un niveau taxinomique inférieur à celui de l’espèce, est parfois présente dans les traités d’horticulture, on ne la trouve guère dans les traités agronomiques sur les céréales. Pour les espèces de grande culture, la variété n’entre dans le discours savant que dans la seconde moitié du XIXe siècle, en même temps que se développent les premières entreprises de sélection. La sélection généalogique (ou pedigree) que celles-ci initient marque la naissance d’une génétique situant l’hérédité dans une structure (le génotype) combinatoire enclavée et protégée de toute action du « milieu ». La variété-lignée pure, qui en résulte, est ainsi conçue au début du XXe siècle comme un invariant génétique, non susceptible de se modifier sous l’action de l’environnement et des pratiques; c’est un concept marqueur de la coupure entre inné et acquis, entre nature et culture, entre sélection scientifique et empirisme [3]. Après 1945 en France, des investissements théoriques, expérimentaux, réglementaires, économiques, institutionnels et professionnels vont contribuer à définir les contours d’une biopolitique nouvelle dont les populations végétales cultivées dans l’Hexagone sont les objets.

3Cette nouvelle biopolitique, conduite sous l’impulsion d’un État devenu « phytogénéticien », mériterait l’attention d’une histoire environnementale qui entreprendrait de constituer pleinement la biodiversité (ici cultivée) comme objet d’histoire [4]. Mais nous nous limiterons ici à analyser le gouvernement des flux génétiques et de la constitution variétale des paysages français sous l’angle d’une histoire sociale et culturelle, ainsi que d’une sociohistoire de la mesure et de l’évaluation des variétés. Nous chercherons à embrasser conjointement les opérations de mise en forme produites par la réglementation, la certification, la constitution de filières, des statuts et des groupes professionnels et d’instances et d’arènes de négociation, le travail de mise en équivalence et de mesure par des outils, protocoles expérimentaux, barèmes, codages statistiques ou taxinomiques, etc. Dans cette perspective, ce qui frappe dans les formes de gouvernement du « progrès génétique » d’après-guerre, c’est l’articulation étroite et dialectique d’un dispositif technique, étatique, fortement instrumenté et appuyé sur une norme « dure » de preuve (les essais variétaux préalables à la mise sur le marché), d’un dispositif social de cogestion de la régulation du secteur semences et variétés avec la profession semencière et agricole (le Comité technique permanent de la sélection), et d’un appareil d’intervention publique sur les pratiques et marchés agricoles (Office des céréales, vulgarisation des services agricoles, etc.). C’est dans l’entrelacement continuel d’objectivations techniques, de négociations sociales et d’interventions publiques que se consolident les normes sur « la variété qui convient » (ou ne convient plus) dans la France des années 1945-1970, avec comme exigences :

  • la « fixité » (le clone comme idéal [5] ) et la bonne « valeur culturale » et technologique des variétés, éprouvées dans un dispositif expérimental public, devenant indispensables à toute autorisation de leur mise sur le marché;
  • la codification et la mesure numérique des caractéristiques culturales et technologiques des variétés, permettant d’évaluer la conformité de chaque variété à l’aune d’un idéotype variétal supposé réaliser le compromis idéal entre différentes attentes en termes de productivité et de qualité;
  • un cadre national d’existence et de comparabilité des variétés, caractérisé par une gouvernance sectorielle partagée entre la profession (semencière et agricole) et un État « phytogénéticien », à la fois organisateur de filières, producteur de normes, créateur de variétés et rempart contre l’irruption des innovations variétales étrangères (jugées « impures »). Ce cadre est le garant de l’accessibilité de tout agriculteur au « progrès génétique », incarné par les variétés inscrites au catalogue officiel national suite à leur évaluation au sein du réseau d’expérimentation d’envergure nationale;
  • un régime de propriété intellectuelle, assis sur les épreuves de « fixité » et de « distinction », qui préserve néanmoins les intérêts des agriculteurs, en autorisant la reproduction à la ferme de semences d’une variété inscrite (ce qui limite le monopole de son obtenteur initial), et des autres sélectionneurs, en leur permettant de faire entrer gratuitement cette nouvelle variété comme parente de leurs propres obtentions.

4Nous nous proposons d’analyser la genèse de ce standard variétal, que nous nommerons le standard fordiste-républicain, d’en présenter les arènes et les épreuves dans lesquelles il s’est négocié et solidifié, et de mettre en lumière son rôle non seulement pour construire la semence comme bien marchand, mais aussi pour construire une forme politique particulière de gouvernement du « progrès génétique ». La première partie décrit la genèse d’un « modernisme génétique » impulsé par un État devenant pilote (en lien avec les acteurs du secteur des semences) des flux variétaux dans l’Hexagone. La seconde analyse le dispositif d’expérimentation et de mesure des variétés et les « investissements de forme » opérés pour s’accorder sur « la variété qui convient », c’est-à-dire l’ensemble des opérations (coûteuses) de mise en forme des semences et variétés agricoles ayant pour but d’établir des équivalences, des relations, des régularités et des hiérarchies, qui assurent une stabilité des échanges entre les acteurs [6]. On éclairera alors la façon dont les normes de preuve, les protocoles d’essai et les modalités de codification et d’évaluation des variétés, participent du modèle productiviste de modernisation de l’agriculture française adopté durant les trente glorieuses.

Planifier les flux génétiques

La semence, cheval de Troie de la « modernisation » agricole

5Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le monde rural, pris comme secteur agricole, devient un enjeu majeur de politique publique. Pensée par les modernisateurs (planistes, jeunes agriculteurs, agents d’encadrement et chercheurs agronomes) dans un « référentiel de modernisation » [7], l’agriculture se doit d’évoluer, tout comme les autres secteurs productifs [8], vers une rationalisation accélérée de ses structures, ses activités et ses moyens de production pour alimenter le marché français et européen. Certaines analyses sociologiques ou historiques de ces transformations, dans le sillage d’Henri Mendras, ont mis l’accent sur la recomposition de l’identité paysanne autour de la figure de l’exploitant agricole embrassant la modernité technique et économique et sur la disparition des sociétés paysannes [9]. D’autres se sont intéressées aux relations entre la compétition politique, les modes d’intervention de l’État et le monde agricole et sa représentation. On a ainsi proposé, puis nuancé, la thèse que, dans le pilotage et l’encadrement du secteur agricole par un tandem État-profession, le curseur se serait déplacé, notamment avec les lois Pisani, en faveur de cette dernière, conduisant à la fameuse « cogestion » [10]. Un troisième ensemble de travaux, dans le sillage de l’école de la régulation en économie, a entrepris de caractériser le modèle productif agricole des trente glorieuses, ou « modèle productiviste », en le reliant au « modèle fordiste » prévalant alors dans les autres secteurs de l’économie [11]. Dans la même veine, de nombreux travaux d’histoire et sociologie économique ont mis en lumière les multiples formes d’institutions, d’interventions, de réglementations, de conventions et de normes qui règlent les qualités, les volumes, les flux et les prix agricoles [12]. Un éclairage supplémentaire du « modèle productiviste » nous est offert par les travaux de Luc Boltanski et Laurent Thévenot, qui proposent une grammaire de six « cités », ou systèmes de justifications [13]. Avec son souci d’une prévisibilité et d’une stabilité des performances et sa conception de la terre comme un outil de production à gérer selon un principe d’efficacité productive – et non plus comme un capital de grands propriétaires rentiers (« cité marchande ») ni comme un patrimoine ou un attachement à un lieu et une histoire (« cité domestique ») –, l’imaginaire de la « modernisation » agricole relève en effet principalement de la « cité industrielle » de ces auteurs [14].

6La « modernisation » variétale et semencière constitue pour l’historien une fenêtre d’observation privilégiée de la « modernisation » agricole des trente glorieuses. L’étude du passage de l’autoproduction de semences à la ferme à un marché semencier piloté de façon sectorielle éclaire et nourrit en effet chacun des trois axes dégagés dans l’historiographie. Si l’on s’intéresse au lien entre modernisation technique et mutation des sociétés paysannes, il n’est pas anodin de noter qu’H. Mendras avait en partie construit sa thèse à partir du cas de l’adoption du maïs hybride dans le Béarn, suggérant ainsi un lien entre « la fin des paysans » et la perte des savoir-faire et des sociabilités associés à la reproduction du vivant au sein de la ferme. En second lieu, le cas du secteur semences et variétés apporte un éclairage sur la façon dont s’articulent un mode colbertiste et un mode corporatiste dans la « cogestion ». Enfin, l’importance attachée à la prévisibilité et à la stabilité des performances conduit à déplacer la reproduction des semences et l’appréciation des variétés de la ferme vers de nouveaux espaces d’expertise, et à faire des semences et variétés, vues comme facteurs de production, des leviers de l’intervention modernisatrice et des clés de voûte du modèle productiviste.

7Ainsi, en 1946-1947, année noire de crise frumentaire (avec son cortège de rationnements, de troubles sociaux et de sanctions infligées aux boulangers servant au noir du pain blanc à leurs clients aisés [15] ), lorsque la commission de modernisation de la production végétale du Plan cherche les moyens d’augmenter et de sécuriser rapidement la production nationale de céréales, la question des semences et des variétés apparaît comme l’une des priorités de l’action publique. Jean Bustarret, à la tête du Service de génétique et d’amélioration des plantes du jeune Institut national de la recherche agronomique ( INRA ), convainc aisément la commission qu’une action déterminée sur le facteur semence (filière de semences de bonne qualité, promotion des variétés améliorées, passage du taux d’usage de semences certifiées de ces variétés de 3 % à 10 %) pourrait très vite accroître la production nationale de céréales de 10 % [16]. Après s’être affirmé au sein du dirigisme agricole de Vichy [17], le projet des ingénieurs-chercheurs phytogénéticiens, qui prennent la direction de l’INRA créé en 1946 (tels Charles Crépin, directeur, et J. Bustarret, futur directeur), rencontre celui des planistes pour considérer la semence comme l’input le plus rapidement perfectible du système productif agricole. Plus aisément accessible à l’intervention administrative, la semence va devenir le cheval de Troie d’une transformation globale des pratiques agricoles. Les variétés « modernes » (maïs hybrides, blés Cappelle ou Étoile de Choisy, etc.) sont en effet sélectionnées pour valoriser les intrants chimiques (car la rigidité de leur paille permet des apports accrus d’azote) et mécaniques (l’homogénéisation des variétés cultivées favorisant la mécanisation des récoltes).

8Sous la IIIe République, l’action publique en matière de semences se limitait à une police du marché par l’imposition d’exigences réglementaires sur la pureté et la qualité des semences, l’établissement d’un registre et d’un catalogue des plantes cultivées et la mise en place des premières commissions de contrôle des semences. Mais à l’époque, la majorité des semences reste multipliée à la ferme. Un premier tournant s’opère avec le régime de Vichy qui crée les structures permettant un encadrement de la production des semences : plans de multiplication de variétés prescrites (encadrés par les chercheurs et par les techniciens de la Corporation Paysanne), associés aux cultures obligatoires, organisation du secteur sous la houlette du Groupement national interprofessionnel des semences ( GNIS, 1941), et du Comité technique permanent de la sélection ( CTPS créé en 1942). Reconduisant ces structures, qui articulent un dirigisme impulsé par les phytogénéticiens et une cogestion du secteur par les représentants des filières agricoles et semencière, l’État accélère la structuration du secteur à la Libération. Les chercheurs de l’INRA participent à l’établissement de filières « semences » et favorisent une division du travail entre la création variétale (métier des obtenteurs patentés), la multiplication des semences (par les coopératives) et leur utilisation par les agriculteurs. Aux entreprises de sélection et à l’INRA, l’innovation (rémunérée par des licences); aux coopératives (privilégiées après-guerre par rapport aux négociants privés), la multiplication et la distribution; aux simples agriculteurs, le bénéfice du progrès génétique associé; à l’État, la répartition de la rente globale qui en résulte. Tels sont les termes du compromis fordiste qui se noue dans l’immédiat après-guerre.

9C’est dans ce cadre que le marché des semences sélectionnées prend son envol, pour atteindre 3,3 milliards de francs en 1980. Entre 1946 et 1980, le taux d’utilisation de semences sélectionnées par les agriculteurs (qui, en grande culture, n’était important avant-guerre que pour la betterave, spéculation d’une minorité d’agriculteurs) bondit de quelque 3 % à 50 % pour le blé tendre, de 10 % à 50 % pour la pomme de terre, et de 0 % à près de 100 % pour le maïs et le colza (fig. 1). On estime généralement que l’adoption de variétés « élites » par les agriculteurs compterait pour au moins un tiers des gains de rendements réalisés depuis 1945.

Figure 1

L’essor du secteur semences

Figure 1
Figure 1 – L’essor du secteur semences V entes des semences et plants en France 1950 1960 1970 1980(en millions de Francs 1980 constants) Céréales à paille 180 390 590 950 Maïs et sorgho 6 120 460 790 Fourragères 400 490 330 410 Betteraves 120 110 260 230 Pommes de terre 300 320 230 250 Oléagineux – – 70 100 Potagères et florales 550 530 530 570 Total 1 556 1 960 2 470 3 300 Source : Pierre-Benoît JOLY et Chantal DUCOS, Les artifices du vivant, stratégie d’innovation dans l’industrie des semences, Paris, Inra/Economica, 1993, p. 167.

L’essor du secteur semences

Pierre-Benoît JOLY et Chantal DUCOS, Les artifices du vivant, stratégie d’innovation dans l’industrie des semences, Paris, Inra/Economica, 1993, p. 167.

Un gouvernement sectoriel cogéré du secteur « semences et variétés »

10Ce marché des innovations variétales et des semences est régulé par des instances sectorielles nationales créées dans les années 1940 (fig. 2) : l’INRA en amont mène des recherches génériques, développe et commercialise de nouvelles variétés et évalue l’ensemble des variétés dans son réseau expérimental; le GNIS, créé le 11 octobre 1941, fédère les filières « semences » sous la double houlette des champions du secteur et de l’État [18], en regroupant les obtenteurs de variétés (entreprises de sélection), les multiplicateurs de semences et plants (sélectionneurs, pépiniéristes, coopératives) et les distributeurs (sélectionneurs, négociants, coopératives) [19]. Le métier de sélectionneur devient alors étroitement réglementé par le décret du 24 février 1942 et l’arrêté du 10 mars, qui en excluent les non-Français et précisent que (art. 1 de l’arrêté) :

11

sont réunies sous la dénomination des sélectionneurs les personnes, collectivités ou sociétés qui 1) pratiquent soit la recherche de variétés nouvelles, soit la sélection de variétés anciennes en vue de maintenir leur pureté variétale et leur bon état sanitaire; 2) appliquent dans ce but les méthodes reconnues appropriées par chacune des sections du comité [...] La simple multiplication et l’amélioration de la pureté des semences par triage mécanique ne seront en aucun cas considérées comme sélection.

Figure 2

La filière variétés, semences et plants

Figure 2
Figure 2 – La filière variétés, semences et plants

La filière variétés, semences et plants

12L’article 3 confie au CTPS la charge de donner son avis sur l’attribution par le GNIS de cartes professionnelles aux sélectionneurs et pépiniéristes, voire d’en demander le retrait en cas d’infraction [20]. Les organismes multiplicateurs (négociants ou coopératives passant des contrats de multiplication avec des agriculteurs) voient également leur activité conditionnée par la possession d’une carte professionnelle. Loin d’être abrogées, ces dispositions corporatistes et dirigistes sont maintenues à la Libération. Mieux, dans le cas du blé, le décret du 11 août 1955 (et l’arrêté du 21 septembre 1955) érige l’Office national interprofessionnel des céréales ( ONIC, créé en 1936, qui organise le marché des blés et des farines selon un modèle d’économie dirigée [21] ) en tuteur légal des multiplicateurs de semences de blé, avec une délégation de pouvoir pour instruire, avec le CTPS, l’attribution des cartes professionnelles. Celle-ci se fait alors de façon extrêmement restrictive, réservant l’obtention et la multiplication de semences à deux clubs de professionnels patentés sur la conformité de leurs pratiques et de leurs produits aux normes de la période. L’arrêté du 21 septembre 1955 limite ainsi l’activité d’agriculteur semencier, autorisé à vendre des semences, aux seuls agriculteurs disposant d’au moins 5 hectares de production de semences, qui ne sont ni meuniers ou boulangers, qui disposent d’installations de triage appropriées, d’un plan de charge spécifiant les différentes variétés multipliées, et surtout qui bénéficient d’un avis favorable de la direction des services agricoles, de la Commission départementale des céréales et de l’ONIC. Cette procédure lourde va naturellement exclure les petites fermes peu équipées et consacre la délégation de la production de semences à une minorité.

13Au-delà de la fermeture des métiers semenciers, bien d’autres aspects de la régulation du marché variétal relèvent du CTPS, de la mise en place de filières de multiplication à l’encouragement de la création variétale, en passant par le criblage des innovations pouvant être mises sur le marché puisque c’est au CTPS que revient de proposer au ministère « l’homologation des variétés nouvelles [...] ainsi que la fixation et la modification des normes adoptées pour cette homologation [22] ».

14L’arrêté du 27 mai 1942 fixe la composition du CTPS : outre quatre agents du secrétariat d’État, on compte quatre chercheurs des stations de recherche en amélioration des plantes (dont C. Crépin et J. Bustarret), quatre « notabilités scientifiques » (dont Félicien Bœuf, premier titulaire d’une chaire de génétique à l’Institut national agronomique, qui présidera le CTPS jusqu’en 1950), douze « représentants des entreprises de sélection » (telles Vilmorin, Benoist, Clause, Tourneur, Tézier et surtout Florimond Desprez, qui préside le GNIS ) et deux « représentants des agriculteurs ou horticulteurs, utilisateurs des produits considérés » [23]. Cette composition, tout en restant globalement paritaire entre État et profession, subira peu à peu quelques inflexions (fig. 3) : ce ne sont plus les sélectionneurs privés qui dominent la représentation professionnelle, mais les représentants de la profession agricole et des coopératives semencières. Ces inflexions illustrent la volonté politique de la IVe République de confier la filière semence au secteur coopératif plutôt qu’aux entreprises de sélection ou au négoce privé. La Fédération nationale des agriculteurs multiplicateurs de semences ( FNAMS ) est créée en 1955 à l’initiative de l’Association générale des producteurs de blé ( AGPB ) et de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles ( FNSEA). Dirigée par les grandes coopératives, elle obtient en 1963 la vice-présidence d’un GNIS autrefois contrôlé par les seules entreprises de sélection. L’affirmation de la FNAMS témoigne donc de l’émergence d’un nouveau groupe social au sein du monde agricole, d’un nouveau groupe d’intérêt coopératif, désireux, comme les obtenteurs auxquels il s’allie, de voir chuter l’usage des semences autoproduites à la ferme (les « semences de ferme ») et grimper le taux d’utilisation de semences certifiées commercialisées par les obtenteurs et les coopératives.

Figure 3

Évolution de la composition du Comité technique permanent de la sélection

Figure 3
Figure 3 – Évolution de la composition du Comité technique permanent de la sélection 1942 1960 1970 1979 Représentants de l’administration et de la recherche publique 12 10 17 19 Représentants des entreprises de sélection 11 5 5 7 Représentants des organismes multiplicateurs 1 2 5 5 Représentants des agriculteurs ou horticulteurs « utilisateurs de semences ou plants » 2 3 5 5 Représentants ès qualités du GNIS 2 Total 26 20 34 36 Sources : Arrêtés des 27 mai 1942,23 septembre 1960,16 avril 1970 (le décompte n’inclut pas les présidents des Commissions officielles de certification des semences qui sont membres ès qualités du CTPS ), et du 2 juillet 1979.

Évolution de la composition du Comité technique permanent de la sélection

Arrêtés des 27 mai 1942,23 septembre 1960,16 avril 1970 (le décompte n’inclut pas les présidents des Commissions officielles de certification des semences qui sont membres ès qualités du CTPS ), et du 2 juillet 1979.

15Cette gouvernance sectorielle soude solidement les acteurs de la filière autour d’objectifs partagés légitimés par l’impératif du redressement national. Dans cette culture de mobilisation, l’arbitrage étatique de confier la multiplication et la distribution des semences aux coopératives plutôt qu’aux entreprises de sélection ou aux négociants, et de donner à la recherche publique une place clé sur le marché de l’obtention variétale, notamment pour les cultures en plein essor sur lesquelles les obtenteurs privés n’avaient pas de positions acquises (l’INRA détient les 3/4 du marché variétal de maïs et de colza dans les années 1960), n’est guère contesté. Cette solide organisation co-gestionnaire du secteur « semences et variétés » remplit une importante fonction protectionniste : que ce soit face aux maïs hybrides américains dans les années 1950 ou aux variétés allemandes de colza dans les années 1960, les normes et décisions du CTPS servent maintes fois d’obstacle à la pénétration du marché français par des variétés étrangères [24].

Un paradigme industriel de la variété pure et stable

16C’est dans ce contexte que se stabilise un paradigme scientifique concevant la variété homogène et stable comme l’unité « naturelle » de la génétique végétale. Cet investissement de forme pour fixer l’identité variétale des semences contribue à la fois à asseoir la propriété intellectuelle, à singulariser un métier, à renforcer une culture épistémique et ses normes de preuves, et à standardiser des pratiques agricoles. Dans un article de 1944, J. Bustarret expose en effet ce qui constituera le cadre cognitif et normatif de la recherche et de la réglementation en matière de variétés pendant un quart de siècle. Balayant les concepts botaniques de la variété et éloignant pour longtemps l’INRA des avancées en génétique des populations, il propose de définir la variété « du point de vue du phytotechnicien et de l’agronome », lequel distingue trois types de variétés : « la variété-lignée pure, la variété clone et la variété population [25] ». Son concept de variété est avant tout technique puisqu’il découle du mode d’obtention : la sélection généalogique (« variétéslignées pures » et hybrides F1), la reproduction végétative (« variétés-clones »), la sélection naturelle et massale (« variétés-populations »), et qu’il privilégie l’homogénéité comme garante de la prévisibilité et stabilité de la valeur agronomique et technologique d’une variété. J. Bustarret trace une coupure forte entre lignées, hybrides F1 et clones d’une part, et d’autre part le monde imprévisible des variétéspopulations. Ces variétés-populations présentent selon lui deux inconvénients majeurs : hétérogènes, elles sont « beaucoup plus difficiles à décrire et à caractériser » que les lignées pures, et elles sont « susceptibles de varier dans l’espace et dans le temps ». Aussi se félicite-t-il qu’« on cultive [...] sur des surfaces de plus en plus restreintes, ce qu’on appelle des blés, des avoines ou des orges ‘de pays’». Il considère ces variétés-populations comme « des écotypes, issus de populations à l’intérieur desquelles a joué, pendant de très nombreuses générations successives cultivées dans le même milieu, la sélection naturelle [26] ». Le choix des mots est révélateur. En parlant de « sélection naturelle » plutôt que de sélection massale par les paysans, J. Bustarret occulte le travail anthropique d’élaboration des variétés de pays. Dans cet article, les agriculteurs, peu présents, ne sont pas reconnus comme acteurs de la variété. Le concept de variété-lignée pure, mis en avant par J. Bustarret, permet donc de démarquer les phytogénéticiens des botanistes mais aussi de délimiter un nouveau champ d’expertise professionnelle, en naturalisant une division du travail entre les obtenteurs des innovations variétales et les agriculteurs désormais cantonnés à un rôle d’usager.

17Dans ce paradigme – héritier d’une tradition physiologique de la biologie française insistant sur l’unité de l’organisme [27] –, le gène n’est pas le niveau pertinent d’analyse et d’expérimentation (contrairement au mendélisme et, plus tard, aux biotechnologies). La culture épistémique des généticiens-améliorateurs des plantes est plutôt caractérisée par une quête d’optimisation de caractères quantitatifs (très polygéniques) tels que le rendement, une démarche analytico-expérimentale en conditions extrêmement contrôlées des stations, avec des protocoles faisant jouer un à un les facteurs dans des dispositifs randomisés et des traitements statistiques issus des travaux de Ronald Fisher [28]. Cette représentation scientifique de la variété participe enfin du cadrage industriel de l’agriculture d’après-guerre. La variété fixée (lignée pure, clone ou hybride F1) devient un facteur de production isolable et standardisé, un input dans une agriculture pensée comme un système industriel de production : « L’avantage de la variété stable (lignée pure) est la possibilité d’en fixer théoriquement une fois pour toutes les réactions au milieu, aux techniques culturales et, par voie de conséquence, d’en obtenir le rendement maximum » explique un collègue de J. Bustarret [29]. Le paradigme fixiste de la variété, qui va longtemps dominer la recherche et la réglementation, permet en somme de quitter l’espace-temps de l’évolution, des terroirs, des agriculteurs comme copilotes du vivant, pour entrer dans celui de la production moderne, c’est-à-dire industrielle, prévisible par le Plan et rationalisable par la science.

18J. Bustarret voyait en la variété-lignée pure « la forme la plus ‘parfaite’ de la variété » et introduisait les notions d’« homogénéité », de « stabilité » et de « caractères distinctifs » [30]. Une exigence de distinction-homogénéité-stabilité ( DHS ) sera alors imposée au CTPS pour la mise sur le marché d’une variété. Cette norme va constituer le support d’un dispositif de propriété intellectuelle sur les variétés et de constitution de la semence comme produit marchand bien identifiable. En singularisant chaque innovation variétale par des épreuves de fixité et de nouveauté, la norme DHS permet un droit de propriété qui se construit peu à peu, d’abord au moyen de la marque déposée, puis par un accord interprofessionnel (accords Lequertier entre multiplicateurs et obtenteurs réunis dans le GNIS obligeant tout multiplicateur ou distributeur d’une variété à payer des droits de licence à son obtenteur) et enfin, de façon plus formelle et internationale, par un Certificat d’obtention végétale ( COV ). C’est d’ailleurs sous l’égide de J. Bustarret que la Convention de Paris consacre le COV comme instrument international en 1961 [31]. Il aura fallu pour cela qu’il fasse accepter aux représentants des pays d’Europe du Nord sa conception fixiste de la variété (et les normes DHS associées) comme étant la seule qui permette une caractérisation suffisante des variétés pour les protéger. « The concept of a variety is different in different countries. France, for example, claims that a new variety should be practically a pure line, while Scandinavian varieties are often populations consisting of a number of lines » notait encore un sélectionneur suédois en 1955 à l’encontre de la vision de J. Bustarret [32].

19À la croisée d’une idéologie industrielle de la pureté imprégnant la génétique moderne [33], de préoccupations de répression des fraudes ou de prévention des maladies végétales, de protection des obtenteurs contre le démarquage et de la constitution de la semence comme produit marchand bien identifiable, la semence monovariétale composée d’individus génétiquement rigoureusement identiques devient la norme, encadrée par la réglementation et la discipline professionnelle.

Un perfectionnement indéfini de la « valeur agronomique et technologique »

20La conformité aux normes DHS est une condition nécessaire mais non suffisante aux yeux des phytogénéticiens de l’INRA. Ceux-ci entendent aussi faire du catalogue officiel un outil de criblage des seules variétés, pour ne retenir que celles qui apportent un réel progrès génétique en termes de valeur d’utilisation (rendement, résistance aux maladies ou au froid, qualité pour la transformation, etc.), afin qu’elles seules soient accessibles aux agriculteurs. Le CTPS devient le lieu d’une évaluation sectorielle centrale de la « valeur agronomique et technologique » ( VAT ) des variétés, dont les premiers critères sont introduits dès 1945 pour le blé tendre (ils concernent la résistance à la maladie de la rouille jaune, et la force boulangère). L’existence de seuils éliminatoires soulève cependant la réprobation des sélectionneurs privés, mais ces derniers plient face à l’autorité de F. Bœuf et des chercheurs de l’INRA, appuyés par les représentants de l’administration de l’ONIC et de l’AGPB [34]. Sous l’impulsion des chercheurs de l’INRA, ces critères seront bientôt durcis et étendus à d’autres caractères. En sus de la DHS, une nouvelle « épreuve » s’impose donc aux variétés candidates à l’inscription au catalogue national des plantes sélectionnées autorisant leur mise sur le marché. En 1952, un premier règlement technique est codifié pour le blé. La cotation des variétés est une note sur 100, construite avec un barème qui accorde 35 % de la note au rendement, 20 % à la « qualité » (principalement la « force boulangère »), et 45 % pour des critères de régularité tels que la résistance au froid, la précocité, la résistance à la verse et la résistance à diverses maladies fongiques [35]. Chaque caractère, noté de 1 à 10, est affecté d’un coefficient plus ou moins important, aboutissant à cette note globale qui doit dépasser une valeur seuil pour prétendre à l’inscription au catalogue. Le seuil est de 51 points en 1952, ce qui est le score de la variété prise comme témoin (Vilmorin 27), mais il est jugé insuffisant par les représentants de l’État (la première année d’application du règlement technique de 1952,11 variétés sur 16 présentées aux essais VAT sont acceptées). Ces derniers plaident donc pour son rehaussement de 5 points, correspondant à la note de la variété Cappelle (1946), mais les sélectionneurs freinent un tel durcissement (le seuil ne sera augmenté que de 1 point). De la même façon, les chercheurs s’efforcent d’accroître les seuils de résistance à la rouille jaune ou de force boulangère, se heurtant là encore à l’opposition des sélectionneurs [36]. L’arrivée d’épidémies très virulentes dans les années 1950 favorisera cependant un durcissement des seuils. Globalement, les cotations CTPS, capitalisant en aval le travail des sélectionneurs, vont progressivement s’aligner sur la note des variétés les plus cultivées, c’est-à-dire les plus productives de l’époque comme Cappelle, les innovations variétales « inférieures » étant écartées.

21En exigeant que les nouvelles variétés candidates soient supérieures aux meilleures du marché (selon les critères retenus au CTPS ) et en permettant la radiation de celles qui « décrochent » (obsolescence réglementaire), l’État phytogénéticien instaure une course permanente au « progrès génétique », accentuant la concurrence entre les innovations variétales. Après le blé, les épreuves VAT s’étendront, tout comme les normes DHS, à de nombreuses espèces dans les années 1950 et 1960 : autres céréales à paille, maïs, vigne, colza, tournesol, etc.

Vers une histoire culturelle du modernisme phytogénétique

22L’historiographie de la recherche en amélioration des plantes et des réglementations semencières depuis 1870 a maintes fois souligné les investissements réalisés, notamment par la recherche et l’action publique, pour faire des semences une marchandise, constituer un marché des innovations variétales et déqualifier les agriculteurs pour professionnaliser les savoirs sur le vivant entre les mains de spécialistes [37]. Sans remettre en question cette trame interprétative, on voudrait pointer l’incomplétude d’une explication du modernisme phytogénétique du XXe siècle trop exclusivement centrée sur la dimension économique, et mettre ici l’accent sur ses dimensions politiques, épistémiques, culturelles et idéologiques. L’effort de recherche en génétique végétale fut non seulement corrélatif de la construction d’un marché des semences et variétés, mais aussi de celle des semences et des variétés comme objets de savoir et d’intervention de l’État. Pendant tout le XXe siècle, et en particulier dans la France des années 1940-1970, l’essor de la génétique des plantes cultivées, celui du marché semencier et la construction politique d’un État phytogénéticien vont donc étroitement de pair. Construire cette nouvelle figure de l’État implique d’édifier une base de connaissances qui permette de connaître et de piloter les flux génétiques des laboratoires jusqu’aux campagnes, instituant par là un nouveau mode de gouvernement à distance des semences et des activités associées (en cela, on peut reprendre le terme foucaldien de biopolitique). Avec Michel Foucault, c’est sans doute l’historien James Scott qui a le plus clairement analysé l’enjeu que représente la mise en lisibilité des sociétés et des milieux pour leur gouvernement [38]. Après avoir constitué le facteur « variétal » comme une composante dure de l’identité et de la performance des semences, et mené l’inventaire et la mise en synonymie des variétés (période 1840-1920), il s’agit au milieu du XXe siècle de collecter les informations sur la valeur et la répartition des variétés (outre la mise en place d’un réseau national d’expérimentation, des « enquêtes variétales » seront conduites par l’ONIC et le service statistique du ministère de l’Agriculture). « De nouveaux et graves problèmes se posent à l’agriculture », avance encore en 1964 Robert Mayer, qui dirige le Département de génétique et amélioration des plantes à l’INRA, « [...] si elle veut subsister dans notre pays, elle ne pourra le faire qu’en s’industrialisant totalement. Il faut, notamment, qu’elle soit capable de prévoir, sans erreur, le tonnage et la qualité de ses productions. Elle doit être soustraite, dans toute la mesure du possible, aux aléas que les variations imprévisibles du milieu font peser sur elle » [39]. La production agricole doit être prévisible en artificialisant le milieu, de façon à ce que la production puisse se déduire du rendement des diverses variétés cultivées. Dans une telle logique, la réduction du nombre des variétés cultivées en France à quelques variétés productives devient un objectif majeur. « Le catalogue officiel des blés cultivés en France [...] en compte 385 », pestait déjà Émile Schribaux, chef de file des phytogénéticiens des stations publiques avant la guerre, « vous entendez bien, 385, sans compter de nombreux synonymes ! Cette profusion de variétés est un fléau pour tout le monde [...] Voilà des années que nous recommandons en vain de porter la hache dans la forêt touffue des blés français, et d’y pratiquer des coupes sombres [...] c’est une douzaine, une quinzaine de blés au plus qui suffiraient pour toute l’étendue du territoire [40]. »

23S’inspirant des politiques allemande et italienne en la matière (l’ordonnance nazie de 1934 sur les semences met hors la loi les trois quarts des variétés de blés existantes [41] ) mais aussi d’expériences de dirigisme semencier dans les périphéries coloniales (notamment en Tunisie sous l’impulsion de F. Bœuf ou au Sénégal [42] ), le gouvernement de Vichy donne aux chercheurs le champ libre pour constituer l’Hexagone en un espace de mise à l’épreuve et d’élimination systématique des variétés ne méritant pas d’être perpétuées. L’ambition d’un eugénisme végétal est alors clairement affichée. Celle-ci lie étroitement un eugénisme positif (sélectionner et diffuser les innovations variétales, en élevant le niveau d’exigence requis pour leur commercialisation) et un eugénisme négatif (radier d’anciennes variétés du catalogue, durcir les critères d’inscription des variétés en diffusant une propagande contre la culture de celles jugées inaptes à la « modernisation » de la ferme France) [43]. Si cette double activité d’amélioration et d’élimination faisait depuis longtemps partie des pratiques individuelles des agriculteurs, en étant associée à une métaphore pastorale ancienne (relevant de la cité domestique de L. Boltanski et L. Thévenot), elle va devenir, à l’occasion de l’organisation dirigiste du ravitaillement sous Vichy, une affaire d’État, justifiée dans les cadres de la cité industrielle[44]. Suite à la loi du 9 février 1941 ordonnant le contingentement de certaines denrées, le Service de la recherche et de l’expérimentation de C. Crépin met en place, avec la Corporation Paysanne, un vaste dispositif d’expérimentation variétale (98 champs d’essais) et de multiplication de plants de pommes de terre. La circulaire du 5 juillet 1943 dresse la liste des départements autorisés à produire des pommes de terre de semence ainsi que la liste limitative des variétés autorisées comme semences (une quinzaine), les autres (dont la célèbre Rosa) devenant indésirables pour des raisons de rendement ou de sensibilité aux viroses. Dès 1943,265 000 ha sont supervisés par un millier de contrôleurs [45], dessinant ainsi à la faveur des cultures imposées de pomme de terre les contours d’un dirigisme variétal et semencier. Celui-ci sera reconduit après-guerre et systématisé aux principales espèces cultivées, car il s’agit d’accroître rapidement la production agricole pour résorber la pénurie alimentaire. Si le premier Plan de 1946 reprend l’idée d’encadrer les agriculteurs dans leur choix de semences, avec la constitution de « listes régionales » limitées à quelques variétés par espèce, et si c’est à C. Crépin et à J. Bustarret que le gouvernement confie la direction de l’INRA plutôt qu’à d’autres, c’est parce que le modèle de couplage entre recherche scientifique et intervention administrative sur les pratiques agricoles, qu’ils ont mis en place autour des semences, est celui qui se montre le plus en phase avec les cadrages de la « modernisation » agricole voulue par les planistes [46].

24Ainsi, dans le cas précurseur du blé, les phytogénéticiens de l’INRA, avec l’appui de l’administration, de l’ONIC, et souvent des représentants de la profession céréalière, vont-ils œuvrer à éliminer du catalogue du CTPS les variétés de blé présentant un rendement médiocre, une trop grande sensibilité aux rouilles ou une faible qualité boulangère. Toutefois, ni le décret de 1932 instituant un catalogue et un registre, ni celui de 1942 créant le CTPS n’autorisent légalement l’État à radier une variété, une fois celle-ci inscrite. Les premières radiations se font donc seulement avec l’accord des obtenteurs ou bien visent des variétés étrangères ou des variétés de pays que personne ne défend vraiment au sein du CTPS : 17 variétés anciennes radiées sous Vichy, 21 en 1945,22 en 1949 (dont le fameux blé Rouge de Bordeaux), puis encore 23 en 1954 [47]. Il est en revanche beaucoup plus difficile de radier des variétés de sélectionneurs présents dans le « club » que constitue le CTPS. Ainsi, en 1954, lorsque J. Bustarret propose au nom de l’ONIC et du ministère, et avec l’appui de l’AGPB, d’éliminer du catalogue toutes les variétés de blé dont la force boulangère est inférieure à 60, les sélectionneurs André de Vilmorin et Ernest Tourneur protestent. Mais les pouvoirs publics passent outre, en décidant de radier unilatéralement seize variétés à faible valeur boulangère, dont certaines (Hybride de Bersée, Picardie, Blé des Yvelines et Vilmorin 23) sont des produits des entreprises de sélection les plus puissantes du moment (Vilmorin, Blondeau, Benoist et Desprez) [48]. Ces dernières déposent alors un recours au Conseil d’État qui, le 15 juillet 1959, annule l’arrêté de radiation [49]. Mais les phytogénéticiens de l’INRA et le ministère n’en restent pas là : ils répliquent en modifiant la réglementation. Pour légaliser la radiation « des variétés qui ne correspondent plus à l’évolution de la technique » [50], sortes de boulets génétiques freinant la marche du « progrès génétique » dans l’esprit des modernisateurs, le décret du 22 janvier 1960 limite à 10 ans la durée de l’inscription des variétés au catalogue, en renforçant les épreuves d’admission. Pour J. Bustarret, « l’application du décret va permettre maintenant de faire du nouveau catalogue un véritable instrument de progrès. En effet, seules resteront inscrites les variétés présentant un intérêt certain pour l’agriculture nationale [51] ». En une quinzaine d’années, l’État phytogénéticien a ainsi réussi à trier et discipliner les obtenteurs, en imposant les seuils de valeur agronomique et technologique à atteindre pour les variétés commercialisables.

25Par cette élimination des variétés de pays et des sélections anciennes, on passe de près de 400 variétés de blé tendre inscrites au début des années 1930 à 131 en 1955, puis à 65 en 1966, période d’étiage de la diversité disponible au catalogue [52]. Dès 1955, il ne reste déjà plus que 5 variétés de pays au catalogue et celles-ci ont totalement disparu du nouveau catalogue établi en 1960. Cette élimination réglementaire de variétés jugées « périmées » sera accompagnée de mesures visant à les faire effectivement disparaître du paysage agricole. Le décret du 11 juin 1949 interdit ainsi la vente, en tant que semence, des graines issues d’une variété qui ne serait pas inscrite au catalogue officiel. S’il reste encore possible de cultiver des variétés radiées, elles ne peuvent plus sortir de la ferme. L’inscription au catalogue devient donc un impératif de commercialisation, analogue au « visa » mis en place à partir de 1941 pour le marché des médicaments, tant par les perspectives industrialistes et corporatistes qui le motivent que par les procédures technico-réglementaires qui le supportent [53]. Dans le même temps, par la conduite de champs de démonstration et l’affichage de listes recommandées, les services départementaux du ministère de l’Agriculture et l’AGPB mènent une promotion active de quelques variétés performantes, comme Capelle (inscrite en 1946) dans le Nord ou Étoile de Choisy (inscrite en 1950) dans le Sud. En 1951, l’ONIC lance une « aide-semence » qui propose à des milliers de petits agriculteurs l’échange standard de leurs semences de ferme de variétés de pays (ou de lignées anciennes) contre des semences de variétés « modernes ». Au cours des années 1950 puis 1960, le rôle de prescription et de distribution joué par les directions départementales des services agricoles du ministère, puis par les coopératives, accentuera encore l’alignement des choix variétaux autour de quelques variétés phares. Ces mesures, ajoutées à la tendance lourde de la « fin des paysans » (aussi bien statistique que culturelle), diagnostiquée par H. Mendras dès 1967, et de celle des savoirs et sociabilités liées aux semences de ferme et leur échange, rayent de la carte végétale les anciennes variétés de pays. Ainsi ne reste-t-il plus dans les années 1970 (avant le retour en vogue des années 2000) que des cultivateurs « archaïques » âgés et quelques agriculteurs biologiques pour cultiver des variétés de pays de blé, dont certaines sont recherchées par quelques meuniers et boulangers artisanaux pour leur qualité [54].

26Le modernisme phytogénétique des années 1940-1970 organise donc une réduction drastique de la diversité génétique cultivée avec un objectif clair de simplification, de « remise en ordre » du paysage variétal [55]. Il s’agit au nom du « progrès génétique » de constituer le territoire agricole français en un espace isomorphe d’expérimentation et d’intervention sur la valeur génétique des populations cultivées, au sein duquel opèrent conjointement une amélioration génétique positive et une sélection négative, conduites sous l’impulsion d’un État devenu phytogénéticien (ou phyto-eugéniste). Ce modernisme génétique ne saurait donc se comprendre uniquement en termes économiques de marchandisation de la semence. Certes, la recherche et la réglementation concourent à déblayer le terrain et produire les standards attendus par le marché, mais cette « remise en ordre » moderniste des flux génétiques est également un projet politique, car il s’agit pour les phytogénéticiens de rendre possible le gouvernement à distance du « progrès génétique ».

Mesurer les variétés : métrologie, normes de preuve et modèle productiviste

27Si le concept de variété résulte d’un travail conventionnel pour faire de la variété un objet aux qualités stables permettant un gouvernement sectoriel centralisé, sa robustesse s’éprouve au travers de la possibilité de faire converger les évaluations effectuées au moment de leur inscription au catalogue du CTPS avec le jugement effectivement opéré à l’usage par les agriculteurs et sur le marché des semences. Le concept de variété renvoie simultanément à des plantes réelles que l’on rassemble, mesure et évalue dans un espace expérimental donné, et à des semences que l’on multiplie, vend et cultive. Les arènes de discussions sur la fiabilité des opérations de mesure et d’évaluation qui sont réalisées ne sont alors pas exemptes de controverses du fait des enjeux qu’elles sous-tendent. C’est à l’analyse de cet espace de la mesure variétale que nous nous attellerons ici. Ouvrir la boîte noire des protocoles d’expérimentation, des critères de mesure et des grilles d’évaluation permet de déplacer la question de l’objectivité de l’évaluation variétale vers celle du travail de mesure qui en est fait. On peut ainsi lire la manière dont les façons de mesurer et les standards partagés de la « variété qui convient » incorporent les contraintes, les configurations sociotechniques et les visions du monde et de l’agriculture du moment. La mesure apparaît comme le produit de conventions portant sur la définition de l’objet et des procédures de codage et de mise en équivalence, et comme le produit d’une série de mises en forme successives [56]. Cela conduit à s’intéresser aux « investissements de forme [57] » qui font exister ces conventions d’équivalence constitutives de la mesure et instituent les objets qu’elles qualifient, en leur assurant une stabilité dans le temps, une validité suffisamment étendue dans l’espace et un caractère plus ou moins instrumenté, objectivé, contraignant.

Durcissement de la preuve variétale et enclavement de l’expérimentation

28Mais comment s’assurer d’un classement fiable et convainquant des variétés pour chaque grande région ? Comment obtenir des preuves solides sur « l’effet variété » alors que tant d’autres facteurs (l’état du sol, le climat, les bio-agresseurs, les conduites techniques) conditionnent le rendement et la qualité d’une récolte ? Comment donner de la précision et de la robustesse à des épreuves qui engagent des entités vivantes dans des environnements éminemment variables dans le temps et l’espace ? Ces difficultés de la mesure de la performance variétale renvoient à une histoire longue de l’expérimentation agronomique. Entre le début du XVIIIe et le milieu du XIXe siècle, c’est dans ces espaces hybrides, situés entre le laboratoire de chimie et l’activité agricole, que sont la « ferme expérimentale », la « station agronomique » ou le « champ d’essais » que naît la recherche agronomique. Pour que le « théâtre de la preuve » agronomique fonctionne, cette hybridité est essentielle [58], car il s’agit d’abord de retranscrire les conditions de la pratique agricole usuelle, sans quoi on reprocherait aux expériences d’être sans intérêt pour les agriculteurs. Mais à trop se situer dans les conditions ordinaires de l’agriculture et leurs aléas, on prend le risque d’émousser la robustesse de la preuve apportée. La fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle sont ainsi riches de perfectionnements, par l’homogénéisation des essais, l’adoption de conduites de culture standardisées, la mécanisation, l’organisation taylorisée du travail agricole dans les stations, l’analyse systématique des données d’essai, etc. La première moitié du XXe siècle apporte ainsi, avec notamment les travaux de R. Fisher, de nouvelles avancées avec le suivi statistique de l’expérimentation agronomique, avec la constitution de bandes appariées puis de blocs aléatoires avec répétition, autorisant le traitement statistique des résultats d’essai [59]. Ces méthodes vont être activement intégrées au dispositif d’expérimentation mis en place, en station puis au champ, par les phytogénéticiens français durant l’entre-deux-guerres. La quête d’une robustesse des mesures effectuées va faire de la station, plus que la ferme, le lieu légitime d’établissement de la preuve sur la valeur des variétés.

29Alors que dans les années 1920 et 1930, le réseau d’essais du sélectionneur privé Vilmorin était plus dense que celui des stations publiques d’amélioration des plantes, une première initiative d’expérimentation variétale multilocale est lancée en 1937 par la station de Versailles, en collaboration avec les coopératives de Seine-et-Oise. Outre les essais en station, 52 agriculteurs sont mobilisés pour expérimenter 25 variétés de blé. Chaque agriculteur expérimente 3 à 6 variétés sur un champ d’essai découpé en grandes bandes, dans des conditions voisines de sa pratique habituelle. La mesure s’appuie sur la comparaison avec une variété témoin systématiquement placée à côté des variétés étudiées, car l’hétérogénéité des sols ne permet pas en effet la comparaison de deux variétés trop éloignées l’une de l’autre. Chaque essai est ainsi composé de bandes « appariées » : TABTCDTABTCDTABTCDT, où T est le témoin, toujours accolé à une des variétés testées, A, B, C ou D. Si les données recueillies dans les essais apportent des éléments d’information sur les qualités et les défauts de nombreuses variétés de blé, les aléas de la culture et l’hétérogénéité des pratiques des agriculteurs affaiblissent la valeur des résultats obtenus. Ainsi, on ne retient finalement pour l’analyse que 18 des 52 essais du fait d’accidents de culture ou de densités de semis jugées insuffisantes et trop variables par les chercheurs [60].

30Ce type d’expérimentation est étendu en 1943 en vue de couvrir toute la France. Elle est supervisée par le Service des recherches agronomiques et d’expérimentations dirigé par C. Crépin, en lien avec l’AGPB qui embauche un personnel technique d’encadrement grâce à la taxe de 0,25 F au quintal instaurée par Vichy. Le dispositif est renforcé après 1945 avec l’appui de l’ONIC et des financements du Fond de progrès agricole. Il implique alors plusieurs stations de l’INRA, des écoles nationales et régionales d’agriculture, elles-mêmes supervisant les essais chez une centaine d’agriculteurs. En juillet 1947, une journée d’étude du blé rassemble les représentants de l’AGPB et de l’INRA, pour convenir de la mise en place d’un réseau de champs d’essais comparatifs de variétés de céréales sous l’autorité du CTPS, en vue d’éliminer du catalogue les variétés les moins performantes et faire multiplier par les coopératives celles reconnues comme étant les meilleures [61]. Un programme de formation par l’INRA de techniciens « semences » de ces coopératives est même défini, afin de « guider et surveiller les multiplicateurs de semences et conseiller les adhérents en vue de l’utilisation optimale des semences obtenues » [62]. Enfin, le Service national d’expérimentation [63] est créé en 1948 pour coordonner centralement ce vaste réseau d’essais pour le compte du CTPS.

31Mais ce réseau peine à se constituer. Il comporte ainsi de sérieuses lacunes dans les années 1950 du fait de la difficulté de « trouver des agriculteurs prêts à faire les essais avec soin [64] ». En effet, l’exploitation des données collectées implique de pouvoir limiter et raisonner les écarts à la moyenne des rendements observés, sans quoi de nombreux essais doivent être écartés au moment du traitement des résultats. Ces difficultés conduisent les chercheurs à systématiser le dispositif des « blocs de Fisher » (blocs répétés avec répartition aléatoire de neuf variétés par bloc) sur des petites parcelles. Ce dispositif plus complexe et soigné permet, au lieu de comparer les différentes variétés à un témoin, de les mesurer directement les unes aux autres de façon plus fiable sur une surface moins importante [65]. D’abord mis en œuvre dans les essais en station, ce dispositif remplace progressivement celui des bandes appariées pour couvrir l’ensemble du réseau en 1952 [66]. Cela suppose de n’impliquer dans les essais que les agriculteurs les plus « en pointe », les plus intensifs et les mieux équipés. Les techniciens « semences » des coopératives, formés par les stations d’amélioration des plantes de l’INRA, vont jouer un rôle clé dans la mise en place de ces nouveaux types d’essais en liaison avec les directions régionales des services agricoles [67]. Le choix des agriculteurs expérimentateurs est « conditionné surtout par leurs qualités professionnelles, en sorte que les essais, s’ils sont conduits dans les conditions de la pratique agricole, sont d’ordinaire établis dans des fermes bien cultivées [68] ». Mais alors comment garantir que les résultats obtenus seront valides chez les agriculteurs moins « en pointe » ? On retrouve ici la tension entre précision et domaine de validité d’un savoir expérimental. La réponse des expérimentateurs de l’INRA est la suivante : « Ceci n’enlève rien à la valeur pratique des renseignements obtenus par les essais [...] en culture médiocre, toutes les variétés, quelles que soient leurs possibilités, ont des rendements analogues. Seule une culture soignée, utilisant avec précision les meilleures techniques, qu’il s’agisse de la préparation du sol, du mode de semis, de la fourniture d’engrais azotés au bon moment, permet de tirer d’une variété le rendement économiquement le meilleur [69]. » L’argument est double. Premièrement, il est proposé d’aligner à terme l’ensemble des pratiques agricoles sur les pratiques les plus intensives, puisqu’elles seules permettent la meilleure valorisation économique des variétés « élites ». Deuxièmement, il est postulé qu’un milieu de culture « médiocre » écraserait les différences génétiques entre variétés, alors qu’un milieu riche les valoriserait mieux [70].

32De nouvelles normes plus « dures » d’administration de la preuve, une certaine définition de la compétence professionnelle, une certaine conception du progrès en agriculture et une vision particulière des interactions entre génotype et environnement se conjuguent donc pour aligner les essais chez les agriculteurs sur les conditions de culture intensives et sur les protocoles expérimentaux adoptés dans les stations d’amélioration des plantes de l’INRA. Les chercheurs, qui rêvent de preuves toujours plus solides acquises dans des dispositifs toujours plus purs, critiquent souvent la rigueur des essais de démonstration mis en place localement par les directions des services agricoles ou les coopératives [71]. Mais il est matériellement impossible pour eux d’étendre leur empire expérimental à un nombre suffisant de lieux pour pouvoir se passer totalement des essais chez les agriculteurs [72]. Aussi les essais VAT de rendement chez les agriculteurs, de plus en plus triés sur le volet, vont-ils perdurer tout au long des années 1960 et 1970. En revanche, la qualité boulangère et les « facteurs de régularité du rendement » (résistance aux maladies, au froid, à la verse, etc.) seront essentiellement évalués en station et en laboratoire. Pour la qualité, la « force boulangère » est évaluée au moyen de l’alvéographe Chopin au sein du laboratoire de l’École française de meunerie [73]. Ce laboratoire, une fois les variétés étalonnées dans l’ensemble du réseau d’essais par comparaison à un témoin, opère bientôt exclusivement à partir des échantillons de farine issus des essais des stations et non plus des essais chez les agriculteurs [74]. De même, l’estimation des facteurs de régularité s’effectue dans des « stations d’épreuve », créées à la fin des années 1940 à la Chaux-des-Prés (Jura) pour la résistance au froid, et à Versailles pour la résistance aux maladies (rouilles, charbon, etc.) désormais testée par infection artificielle en serre et au champ [75]. Chaque variété se voit alors attribuer une note de 1 à 10, étalonnée par des valeurs fixes attribuées à des témoins de sensibilité connus, selon sa résistance à tel ou tel facteur limitant. Les fortes attaques de maladies fongiques en 1949 et 1950 sont l’occasion de collecter et d’identifier les principales races, et de constituer des mélanges de spores servant de réactifs normalisés à inoculer dans les parcelles d’essais [76]. Ainsi, la manifestation des effets sur les variétés des facteurs limitants (froid, maladies) n’est plus attestée dans les champs des agriculteurs, mais dans l’espace confiné de la station d’épreuve. Le premier règlement technique du CTPS de 1952, en attribuant un coefficient de 45 % aux mesures sur les facteurs limitants et de 20 % à celles de la qualité boulangère, entérine l’importance attribuée aux notations effectuées en laboratoire et dans les stations d’essai [77]. D’importants investissements de forme sont alors opérés par les expérimentateurs, afin de relativiser les données de rendement collectées dans le réseau d’expérimentation. Selon eux, on ne peut établir la valeur d’une variété sur la seule base des résultats obtenus sur deux ou trois ans d’essais; il convient donc de dégager de nouvelles grandeurs permettant d’inférer, de façon plus fiable, le potentiel des variétés. Aussi les chercheurs de l’INRA proposent-ils la notion de « productivité » en la dissociant de celle de « rendement » : « La productivité d’une variété correspond à sa capacité de rendement dans les conditions de milieu les plus favorables. La production, exprimée par le rendement, n’est que l’extériorisation de ce caractère dans des conditions données [78] ». Dans cet échafaudage conceptuel, le rendement devient le phénomène superficiel et secondaire alors que la « productivité », qui gomme les aléas liés à l’influence des milieux de culture pour refléter une propriété de la variété elle-même, devient la grandeur réellement pertinente vers laquelle doit porter l’effort de mesure, ceci justifiant alors le déplacement de cette mesure vers l’expérimentation confinée dans le microcosme de la station d’essai.

33Ce mouvement de construction d’une métrologie dure et centrale d’évaluation des variétés se heurte cependant à des résistances. Par exemple, l’objectivation de la sensibilité des diverses variétés au charbon et aux différentes rouilles à la station de Versailles reste longtemps controversée. En 1954, un sélectionneur privé critique ces essais en microparcelles, en notant que « le comportement d’une variété vis-à-vis du charbon dans les conditions d’infection naturelle ne concorde pas toujours avec celui observé lors d’infections artificielles ». Un autre poursuit en soulignant que la période de sensibilité varie selon les variétés alors que, dans l’essai conduit à Versailles, l’infection artificielle n’est réalisée qu’au moment de la floraison. J. Bustarret doit jouer de toute son autorité scientifique pour faire taire ces critiques, en affirmant que c’est bien lors de la floraison que la rouille attaque habituellement et que c’est donc le bon moment pour l’inoculation expérimentale [79]. Ce qui se négocie dans cet épisode (parmi beaucoup d’autres qui affleurent dans les procès-verbaux du CTPS ), c’est la commensurabilité entre les conditions des essais standardisés en station et les conditions usuelles d’utilisation des variétés.

34Par l’extension d’un dispositif expérimental national, par le durcissement de la preuve variétale et par le déplacement de son lieu de manifestation vers l’espace confiné de la station, on assiste donc à la marginalisation des agriculteurs, mais aussi des sélectionneurs et des ingénieurs de vulgarisation des services agricoles départementaux [80], dans la production du jugement légitime sur la « variété qui convient », et à la constitution d’un monopole de la preuve détenu par le cercle étroit de phytogénéticiens spécialistes de l’expérimentation contrôlée. Cette « phytogénétique des preuves » s’apparente à la « médecine des preuves » analysée par l’historien Harry Marks, à propos de l’affirmation des essais thérapeutiques randomisés dans les années 1945 à 1970, dans laquelle la rigueur du protocole et le traitement statistique avaient pour mission de supplanter un jugement clinique vu comme idiosyncrasique pour l’évaluation des traitements et médicaments avant leur diffusion [81]. De la même façon, l’expérimentation variétale contrôlée impose aux acteurs agricoles et aux semenciers une « épreuve » instrumentée pour statuer sur « la sécurité de rendement que l’on est en droit d’attendre des variétés [82] ». Dans les deux cas, la métrologie qui se met en place :

  • construit un marché (avec des seuils d’entrée et une codification accrue des attributs techniques);
  • confère l’autorité de la science à la volonté des pouvoirs publics d’assurer la sécurité des traitements thérapeutiques ou de l’approvisionnement alimentaire (les difficultés de la guerre et la crise frumentaire de 1947 restant dans toutes les mémoires), en garantissant aux consommateurs (agriculteurs, patients) un accès aux produits les plus efficaces;
  • affirme un groupe social dans la production et la qualification des innovations : ici, les généticiens de l’INRA et les sélectionneurs de pointe plutôt que les petits sélectionneurs et les agriculteurs; là, les statisticiens médicaux plutôt que les pharmaciens, herboristes et cliniciens.

Isomorphiser l’espace : le calibrage du réseau d’expérimentation via la circulation d’étalons de mesure

35L’alignement des jugements sur la valeur des variétés suppose cependant l’homogénéisation des référentiels de mesure et d’évaluation en tout point du dispositif expérimental. Une telle universalité de jugement va être construite par la circulation de témoins de mesure qui agissent comme autant d’éléments de calibrage des perceptions et des pratiques locales [83]. Le témoin est alors un repère non seulement dans une même zone pédoclimatique, mais entre les zones et d’une année sur l’autre. C’est grâce à lui que l’évaluation variétale n’est plus attachée à un lieu ou à un moment, mais devient universelle. Il devient une référence pour tous, à la condition cependant de conserver une stabilité spatiale (en tous lieux) et une permanence temporelle (sur plusieurs années) de son comportement cultural. Le choix de l’étalon se porte ainsi sur la variété Vilmorin 27, expérimentée depuis le début des années 1930 dans de nombreux essais, ce qui accroît la valeur de la référence qu’il constitue. Sa bonne productivité est aussi un gage de pérennité (elle ne va pas être trop rapidement dépassée par de nouvelles variétés plus productives) et sa grande « souplesse » lui permet de maintenir ses performances dans différents contextes pédoclimatiques. Il permet ainsi de « tamponner » l’hétérogénéité radicale des sols et des climats qui entrave la comparaison, en traduisant le comportement « absolu » (mais variable) des variétés en un comportement « relatif » (plus régulier) par rapport à lui. Ce rapport, exprimé sous forme numérique, permet une comparaison précise des rendements à travers différents types de sols, différentes régions et différentes années. De la même façon, la « force boulangère » des variétés, qui varie du simple au double pour une même variété selon les lieux et les années [84], n’est plus exprimée par une mesure absolue mais en performance relative par rapport au témoin Vilmorin 27. Ce rapport, là encore plus stable, autorise une hiérarchisation exhaustive des variétés entre elles. Par ce stratagème, la valeur boulangère, bien que fort dépendante du milieu et des conditions de culture, peut désormais être constituée en une propriété génétique intrinsèque des variétés.

36De nombreuses critiques contestent néanmoins l’universalité apparente de la mesure ainsi produite, arguant de son incapacité à refléter la réalité variétale dans toute sa profondeur. Le témoin choisi (Vilmorin 27) se révélerait inadapté à certains milieux faiblement fertiles, trop sensible au froid pour le Massif Central ou à la sécheresse au Sud, ou encore trop sensible aux maladies, notamment le charbon en 1949 et le piétin-verse en 1950 [85]. Cela conduit les responsables de l’expérimentation à introduire des témoins secondaires, afin de pallier les défaillances potentielles de Vilmorin 27. On enrichit ainsi la référence de mesure, en compensant les accidents de culture possibles du témoin principal par un témoin secondaire judicieusement choisi pour rester stable (on choisira une variété résistante au froid pour l’Est, une précoce pour le Sud, une résistante aux maladies pour l’Ouest). La connaissance du rapport de rendement entre témoin principal et secondaire, suite à une accumulation préalable de données, permet alors d’inférer un témoin théorique stable sur lequel appuyer la mesure.

Investissements de forme dans l’évaluation des variétés et modèle productiviste

37Actes de connaissance, d’évaluation et de prescription sont inextricablement liés dans l’expérimentation variétale. On mesure pour connaître, pour juger et pour prendre des décisions (criblage des innovations mises ou non sur le marché, orientation des choix variétaux des agriculteurs, etc.). Nous avons vu comment s’opérait un processus de captation des informations sur les performances variétales dans différents milieux de culture, ainsi qu’une procédure cognitive de mise en forme pour réduire une réalité multiple à un petit nombre de caractéristiques comparables. La mesure ne saurait contenir toute chose dans ses multiples dimensions; elle n’en est jamais le reflet complet, et c’est ce qui lui confère une « portabilité » dans des arènes de jugement et d’action hétérogènes [86]. Il ne s’agit donc pas de critiquer cette réduction en soi, mais plutôt d’analyser les formes particulières, historiquement situées, de réduction et de mise en commensurabilité de l’univers foisonnant des variétés et des milieux, que les protagonistes de l’État phytogénéticien et de la filière semence d’après-guerre choisissent spécifiquement d’opérer dans la mesure.

38Comme l’a montré Madeleine Akrich, la forme stabilisée des objets techniques renvoie à l’instauration d’une série de compromis entre les différentes personnes impliquées dans leur conception, qui cristallise une prescription de leurs usages, des rôles et des représentations des utilisateurs concernés [87]. De fait, la définition de la « bonne variété » par le CTPS véhicule des « scripts », c’est-à-dire des scénarios d’orientation de la sélection et des usages qui attribuent des compétences, des intérêts et des rôles particuliers à chacun des acteurs humains et des entités non humaines mobilisés dans la marche du « progrès génétique ». C’est par le dispositif d’évaluation préalable à toute mise sur le marché que les multiples possibles de l’amélioration des plantes sont cadrés par le projet et les visions de l’agriculture dominant la période, qui construisent et anticipent les besoins de l’agriculteur modèle (un entrepreneur familial mécanisé et ‘chimisé’, produisant pour nourrir et enrichir la France) ainsi que ceux des autres acteurs, transformateurs, distributeurs et consommateurs (production de qualité supérieure à un seuil, donc peu différenciée, pour un marché de masse national et international). Le grand examen national des variétés qui s’instaure après-guerre repose sur une double réduction : les épreuves ne portent que sur quelques grandeurs entre lesquelles on cherche un compromis standard, et elles gomment la diversité des milieux (par la circulation de témoins, l’artificialisation et la standardisation des conduites de culture et par des procédures d’agrégation des données qui moyennent les environnements). Ces deux types de réduction ont ainsi pour effet de tirer des moyennes vers le haut, plutôt que d’explorer des pics de performance pour divers usages ou environnements spécifiques, et participent ainsi à la visée standardisatrice du modèle agricole productiviste caractérisé par Gilles Allaire [88].

Des variétés passe-partout pour de vastes aires de culture

39Une première caractéristique du dispositif d’évaluation variétale est de privilégier un petit nombre de variétés à rendement élevé et stable sur une aire de culture élargie. Le criblage des innovations variétales opéré par l’expérimentation VAT vise à optimiser la stabilité d’un nombre réduit de génotypes sur de vastes zones de cultures. Dans cette vision du « progrès génétique », il ne s’agit pas de rechercher les variétés les mieux adaptées à chaque condition pédoclimatique particulière, mais plutôt d’identifier des variétés « passe-partout ».

40Cette polarisation de l’innovation vers des variétés à performance élevée et homogène sur une aire de culture très étendue est un moyen de concilier l’exigence de DHS, impliquant une homogénéité génétique, potentiellement préjudiciable à l’adaptation des génotypes à des conditions variées, et la nécessité d’ouvrir des marchés larges aux innovations, plutôt que de multiples niches locales. Les généticiens de l’INRA inventent ainsi le concept de « souplesse » pour qualifier cette propriété de large adaptation géographique qu’ils valorisent [89]. La constitution, par les normes d’évaluation variétale, d’un marché homogénéisé favorable aux variétés dites « souples » répond bien à une logique d’économie d’échelle par la standardisation des qualités sur un marché alimentaire de masse. Le criblage des innovations en amont et en aval et une propagande agricole centrée sur la promotion de quelques variétés « élites » concourent à fournir aux agriculteurs des variétés adaptées à des itinéraires techniques intensifs et standards promus par la vulgarisation et à apporter aux meuniers (et à l’exportation) des lots homogènes de blés aux qualités uniformes pour soutenir la concurrence des blés étrangers. Cette option standardisatrice est d’autant plus activement promue par les « modernistes génétiques » (tant chercheurs que fonctionnaires ou opérateurs de la filière semence) qu’elle apparaît également comme un moyen de simplifier et de rendre lisible le paysage variétal pour permettre un pilotage national des flux génétiques vers les champs, un gouvernement central du « progrès génétique ». À peine porté à la tête du CTPS, F. Bœuf proposait ainsi de viser « le choix de variétés à aire de culture très étendue, ce qui amènerait la réduction du nombre des variétés cultivées, sans décision arbitraire et sans contrainte administrative [90] ».

41Le succès commercial de variétés phares, comme Vilmorin 27 (Vilmorin, 1927) puis Cappelle (Desprez, 1946) dans la moitié nord de la France, et d’Étoile de Choisy ( INRA, 1950) dans la moitié sud, conforte et naturalise cette option. Ces variétés, du fait de leur souplesse, sont utilisées comme témoins des essais variétaux et permettent d’uniformiser encore plus le jugement sur les variétés. L’hégémonie de ces variétés est permise par l’intensification de l’agriculture. La spécialisation (déclin de la culture du blé dans les zones moins propices) et l’artificialisation des milieux (engrais, pesticides, préparation et désherbage mécanique du sol) tendent en effet à rendre moins saillantes les variations liées au milieu et à conférer une apparence universelle aux rendements élevés de ces variétés « modernes ». Les protocoles expérimentaux d’évaluation cristallisent cette codétermination de l’innovation et de son milieu associé. En blé, les essais VAT s’opèrent à des doses d’engrais azotés croissantes entre 1944 et les années 1970 et à des densités de semis croissantes. Cette artificialisation permet une simplification considérable des dispositifs d’expérimentation (limitant les coûts importants de l’expérimentation publique) et des façons de qualifier les aptitudes des variétés. Ainsi, au début des années 1950, les essais de rendement différencient-ils six contextes régionaux distincts (Ouest, Centre, Sud, Est, Nord et Bassin Parisien) et, dans chaque région, trois types de sols (terres riches, terres moyennes et terres pauvres). Cette distinction va progressivement s’estomper pour ne plus conserver qu’une zone sud et une vaste zone nord allant de la Loire au Rhin et à la Meuse [91]. On passe donc en quelques années de dix-huit conditions pédoclimatiques à l’alignement sur deux conditions dans les essais. La norme de preuve « dure » qui s’affirme va de pair avec cette standardisation : l’adoption des blocs de Fisher, qui permet d’augmenter la précision et la signification des résultats, ne peut en effet s’opérer qu’au prix d’un alourdissement des essais, inconvénient que l’on cherche alors à compenser par la limitation des conditions d’expérimentation et par la réduction du nombre de variétés mises en test. L’usage de témoins secondaires dans les essais favorise aussi la standardisation des itinéraires de culture des essais. Comme l’explique un ancien responsable de l’expérimentation : « Plutôt que de faire deux conduites pour les variétés précoces et pour les variétés tardives, on s’est dit que l’on pouvait regrouper les essais en choisissant un témoin précoce (en l’occurrence l’Étoile de Choisy[92] ) en parallèle du témoin principal (qui est alors Cappelle, plutôt tardive) » [93].

42Gommant la diversité des pratiques et environnements locaux, les choix réalisés dans les protocoles d’essais participent bien de la construction d’une hégémonie de quelques variétés phares sur un marché peu différencié et pour un modèle technique « intensif » unique. Les témoins choisis jouent un rôle clé dans cet alignement, cette uniformisation du jugement qui transcende les subjectivités individuelles des différentes parties prenantes (chercheurs des stations d’amélioration des plantes, sélectionneurs privés, ingénieurs des directions des services agricoles, de l’ONIC, techniciens « semences » des coopératives, etc.). Cette mise en commensurabilité fournit en quelque sorte une « objectivité mécanique », fondée sur l’adoption systématique de règles quantitatives qui s’avère particulièrement précieuse pour accorder les acteurs entre eux, surtout lorsque la prise de décision est dispersée, qu’elle mobilise différents groupes aux intérêts parfois contradictoires, comme c’est le cas de la gouvernance publique du « progrès génétique » dans un marché unifié [94].

43Une fois les catégories de jugement instituées par le réseau d’expérimentation, le comportement des acteurs dominants de la filière s’y conforme de plus en plus par le pouvoir disséminé d’une « discipline » de plus en plus volontaire. Le réseau d’expérimentation se situe de fait à l’interface d’une production de savoirs (sur les variétés) et de pouvoirs (sur leur choix), qui se déploient par toute une série de repères cognitifs (témoins) constituant autant « d’appareils spécifiques de gouvernement » [95]. Il constitue somme toute un « dispositif » caractérisé par des stratégies et des rapports de force supportant certaines formes de connaissance, et supportés par elles, dispositif qui ne permet pas tant de séparer le vrai du faux que l’inqualifiable du scientifiquement qualifiable [96].

44Les individus sont rendus gouvernables et les mesures s’auto-justifient en guidant autant les caractéristiques variétales que les modalités de leur usage. Ce double criblage standardisateur, extrêmement contraignant, n’est cependant pas sans provoquer des résistances et des controverses, comme lorsque des variétés adaptées à telle zone « marginale » se retrouvent écartées. Un ingénieur de l’INRA de Montpellier proteste ainsi en 1959 contre le refus du CTPS de maintenir au catalogue la variété Cheyenne, très adaptée au climat chaud du sud de la France :

45

Le CTPS est tellement hanté par les conceptions de productivité et de force boulangère, que s’est amenuisée dans son esprit l’importance de notions telles que [...] l’adaptation régionale à des conditions sévères très particulières. Joignez à cela l’habitude [...] de comparer les nouveautés à des champions de productivité, tels Cappelle et Étoile de Choisy, et de pratiquer l’expérimentation [...] un peu au hasard des situations en nombre trop restreint que comporte le réseau de chaque région, même s’il s’agit de conditions fort éloignées de celles où convient la variété en instance d’inscription. [...] Obnubilé par une optique, non pas Versaillaise comme disent certains sélectionneurs, mais plutôt Nordique, oserais-je dire, le CTPS est passé maître dans la fabrication d’un véritable Lit de Procuste où enfermer les nouveautés et, chef-d’œuvre d’inconscience, paraît travailler en vase clos et tourner le dos aux réalités[97].

46Mais ces protestations d’acteurs périphériques au système portent peu, et le nombre de variétés de blé inscrites au catalogue atteint son étiage au milieu des années 1960.

Des variétés pour un usage moyen et un marché indifférencié

47Un second cadrage uniformisant du système d’expérimentation et de cotation des variétés s’opère également par l’arbitrage qui est fait entre plusieurs caractéristiques attendues des variétés, qui peuvent être contradictoires. Le cas de la tension entre qualité boulangère et productivité est à ce titre révélateur.

48Si la productivité reste la grandeur majeure du « jugement pour l’échange », qui sous-tend l’acte d’achat des semences de telle ou telle variété, deux années de production exceptionnelles (1948,1949) et l’autosuffisance définitivement atteinte au début des années 1950 (la France devient alors exportatrice) infléchissent les préoccupations vers la qualité. Comme l’a montré Steven Kaplan, en temps de pénurie, les pouvoirs publics étaient bien peu regardants sur la qualité des blés, des farines et du pain. Mais, « pour devenir exportateur de blé, explique Léon Vally, ministre de l’Agriculture, il faut avoir autant le souci de la qualité que celui de la quantité, [les meuniers étrangers] ayant des exigences quant au poids spécifique, au degré d’humidité, à la valeur boulangère » [98]. Une enquête de la Direction de la production agricole révélera ainsi que seule 29 % de la superficie totale en blé cultivée en 1950 l’est avec des variétés de bonne force boulangère (supérieure ou égale à Vilmorin 27), alors que les variétés jugées de « mauvaise » force boulangère couvrent 43 % de la sole de blé [99].

49Pourquoi la « force boulangère » devient-elle une question de plus en plus déterminante pour la valeur marchande des blés tout au long du XXe siècle ? C’est que la boulangerie connaît un mouvement d’industrialisation de la panification : extinction du pain fait maison, panification mécanisée avec un pétrissage plus court et plus intensif exigeant des glutens toujours plus « durs » (c’est-à-dire de farines de plus grande force boulangère). Les blés français ne peuvent rester en retrait de leurs concurrents étrangers sur ce point comme ils l’étaient dans l’entre-deux-guerres. L’ONIC et les chercheurs de l’INRA, avec le soutien de l’AGPB, poussent alors le CTPS à relever le seuil éliminatoire de force boulangère à l’inscription, initialement fixé à 40, puis même à radier du catalogue toutes les variétés de force boulangère inférieure à 60 [100]. Nombreux sont les sélectionneurs à s’opposer à ces évolutions, que ce soit pour défendre la carrière d’une de leurs variétés un peu ancienne ou parce qu’ils dénoncent un décalage entre le jugement du consommateur et les exigences du CTPS : en l’absence de prime à l’achat de blés de meilleure force boulangère, le choix de l’agriculteur ne privilégiera-t-il pas toujours le rendement ? En 1955, l’élimination d’une variété pour valeur boulangère trop faible, bien qu’elle ait totalisé l’excellent score de 57,8 points, suscite ainsi la controverse au CTPS [101].

50Le système de cotation VAT est multicritère et périodiquement renégocié, donnant en principe une grande flexibilité à l’évaluation variétale. Mais selon la façon d’agréger les notes obtenues sur les différents critères, il peut ainsi soit appuyer une économie de la qualité, en se contentant de caractériser les points forts et faibles de chaque variété pour des niches distinctes de marché, soit au contraire chercher à standardiser les variétés en agrégeant les performances différentes en une seule note moyenne. C’est cette dernière logique qui prime aprèsguerre et l’on aboutit à la construction d’un standard variétal, à un compromis unidimensionnel. Entre rendement et force boulangère, on cherche en quelque sorte à concilier la chèvre et le chou, plutôt que de laisser diverger les trajectoires d’innovation avec, comme cela adviendra à partir des années 1970, une filière à forte valeur boulangère (blé de force), une filière à bon rendement et bonne valeur boulangère, et une filière de blé hautement productif purement fourrager. On confère donc à un dispositif centralisé la tâche d’établir le point unique d’équilibre entre les intérêts des consommateurs, meuniers, agriculteurs et obtenteurs. Les promoteurs de l’agriculture biologique et de l’alimentation naturelle, rassemblés notamment autour de Raoul Lemaire et Jean Boucher dans le Groupement des agriculteurs biologiques de l’Ouest et du magazine La Vie Claire, dénoncent la piètre qualité des blés français qui seraient à l’origine d’un affaiblissement de la population et du recul de la consommation du pain [102]. Le sélectionneur R. Lemaire va ainsi tenter en vain d’obtenir que ses variétés à haute force boulangère soient inscrites au nom de leur seul intérêt boulanger et nutritif, sans que des exigences de pureté ( DHS ) ou de rendement ( VAT ) leur soient opposées [103]. Mais le standard fordiste-républicain unique d’un blé à la fois productif (enjeu de sécurité frumentaire et de balance commerciale) et de force boulangère élevée (pour répondre aux besoins liés à l’industrialisation de la boulangerie) tient bon face à ces acteurs marginaux. Il ne sera remis en question qu’avec l’harmonisation européenne des années 1970, et surtout l’émergence d’une « économie de la qualité » dans les années 1990.

51Le mode de cotation des variétés des années 1950 et 1960 cristallise finalement le projet, éclairé par les phytogénéticiens, de construire une filière blé de qualité standard en tirant simultanément plusieurs critères vers le haut. Cette filière se constitue en marché de masse, faiblement segmenté, où existent peu de différences de prix entre les blés destinés à l’alimentation animale et ceux destinés à l’homme, et donc où seule l’intensification paye pour l’agriculteur. Du côté des consommateurs, après la pénurie de la guerre et de l’immédiat après-guerre, vient l’âge d’or du pain blanc réputé plus noble. Le modèle productif est alors cohérent avec le modèle de consommation et la régulation de l’innovation variétale participe à ce bouclage. L’homogénéisation des goûts vers le pain blanc et léger implique l’élimination du son au profit de la seule farine blanche, qui permet – les résidus toxiques étant éliminés avec l’enveloppe au cours de la transformation – l’intensification des pratiques agricoles avec l’usage croissant des herbicides et insecticides puis des fongicides, et qui exige des blés de force boulangère toujours plus élevée pour tolérer le pétrissage mécanique intensif et la levure chimique entrant dans la fabrication des pains « légers ». Tout cela concourt à focaliser le CTPS sur le compromis entre force boulangère et rendement (en condition intensive), détournant alors la recherche en génétique des questions de propriétés nutritionnelles de l’enveloppe du grain (la plus riche en fibres et micronutriments), de digestibilité ou allergénéicité des glutens, ou d’adaptation à des conditions de cultures peu gourmandes en intrants [104]. Cette option le conduit ainsi, en 1959, à supprimer les notes éliminatoires pour trop forte sensibilité aux maladies dans le règlement technique d’inscription, autorisant ainsi la commercialisation des variétés sensibles mais productives [105]. Ce relâchement des exigences sur la résistance génétique aux maladies au profit de variétés productives, couplées à des pratiques intensives, se renforcera ensuite avec l’adoption des traitements fongicides dans les protocoles standards d’expérimentation CTPS, conduisant à une « contre-sélection » de variétés « rustiques » à rendement un peu moindre mais intéressantes économiquement, du fait des fortes réductions d’engrais et de traitements fongicides qu’elles acceptent [106]. Par sa dynamique d’intensification et de consommation croissante d’intrants et par son caractère de masse, non différencié, le marché du blé est bien un archétype d’un modèle productiviste d’une filière agricole, tel que l’a caractérisé G. Allaire.

52Ce constat est confirmé par le contre-exemple d’espèces agricoles dont les marchés ne seront massifiés que plus tard, et où la promotion d’un standard variétal et d’un régime d’évaluation centralisée se heurtera à des résistances insurmontables. Ainsi, les plantes potagères (catalogue créé en 1952) et les arbres fruitiers (1961) échappent aux critères VAT [107]. Cette différence de traitement réglementaire reflète des configurations de marché et filières contrastées. Pour les espèces de grande culture, la production est relativement standardisée sur des marchés vastes où la qualité est aisément codifiable dans des catégories pérennes. Pour les plantes potagères ou fruitières, au contraire, les marchés sont dans les années 1960 plus éclatés et les qualités reconnues par les consommateurs, les collecteurs et les transformateurs, plus diverses et instables. De très nombreux caractères entrent en ligne de compte pour déterminer l’avenir d’une variété : « bien malin est celui qui peut prédire son succès ou son échec compte tenu de la multitude des niches techniques ou commerciales et de l’évolution du goût des consommateurs ». Aussi les pépiniéristes vont-ils s’opposer violemment aux normes d’inscription des variétés fruitières, imposées par les chercheurs de l’INRA dans les années 1960. L’inscription requérait initialement des essais pendant 5 ans (ce qui retarde d’autant la mise sur le marché des variétés) et une notation de type VAT distinguant une « classe 1 » de « variétés recommandées pour la production » et une « classe 2 » pour les autres variétés. Les obtenteurs voyaient dans cette VAT « un jugement de valeur [...] qui ne peut tenir compte de tous les facteurs économiques ou de marché ». Dans cette filière structurée par une économie de la demande plutôt que par la standardisation fordiste des grandes cultures, c’est la légitimité et la capacité d’un dispositif centralisé à jauger pertinemment les variétés qui sont questionnées. Finalement les rubriques et classes du catalogue seront mises au second plan, et les années 1970 verront l’abandon de fait des exigences de VAT pour les variétés fruitières [108].

53La comparaison du cas des cultures fruitières et du blé permet de saisir combien l’affirmation d’un dispositif sectoriel centralisé et fortement instrumenté de fixation de la qualité variétale va de pair, pour les grandes cultures (céréales, oléagineux, betteraves, etc.), avec la construction de filières longues régies par une forte division du travail, des économies d’échelle et un marché de masse peu diversifié, où la qualité est aisément codifiable et où la concurrence porte sur le rendement, configuration que G. Allaire a analysée comme caractéristique du modèle productif productiviste des trente glorieuses [109]. Toutefois, ce standard variétal d’après-guerre, s’il reste encore un héritage chargé d’inertie, se trouve de plus en plus remis en question par l’évolution des normes de jugement de la « variété qui convient » depuis les années 1970 [110].

54Bien que l’exigence de fixité et d’homogénéité reste centrale, au travers de la persistance de l’épreuve de la DHS, elle a été aménagée notamment pour permettre l’accès au marché de formules variétales profitables (variétés hybrides composites), assouplie du fait de l’harmonisation européenne (catalogue commun depuis 1970), et elle fait l’objet d’une contestation scientifique et sociale intense avec la montée de la question de la biodiversité.

55Quant à la mesure d’une « valeur agronomique et technologique », jamais consensuelle pour les espèces fruitières et potagères, elle se trouve ébranlée également en grande culture depuis les années 1990 par l’éclatement du marché variétal, lié à l’entrée de l’agro-alimentaire dans une économie des qualités, avec par exemple le développement spécifique d’innovations variétales pour les blés biscuitiers, blés amidonniers, pour un bon comportement en congélation-décongélation, des farines label rouge, et un retour en vogue des variétés anciennes et locales..., ainsi que la dérogation offerte aux variétés à usages industriels réservés depuis 1994. Les barèmes et protocoles d’essai du CTPS sont ainsi critiqués de toute part pour leur caractère trop standardisé, ne répondant ni aux besoins spécifiques de l’agriculture biologique ni à ceux des industries transformatrices en quête de différenciation des qualités.

56De même, le cadre national d’existence des variétés et de régulation sectorielle du marché s’érode du fait de la dimension internationale du marché des semences, de plus en plus dominé par quelques multinationales, d’une libéralisation accrue des échanges dictée par les accords internationaux, mais aussi de la montée de régulations plus locales (les produits de terroirs sous label d’indication géographique peuvent impliquer une définition locale de la « variété qui convient ») et d’une quête (dans les zones marginales non touchées par la révolution verte, aussi bien qu’en France pour l’agriculture biologique ou à très bas niveau d’intrants) de pics locaux d’adaptation de variétés à leur environnement spécifique plutôt que de variétés standards. Le dispositif sectoriel de cogestion des innovations variétales se trouve donc mis en cause au sein d’une multitude d’arènes où de nouveaux acteurs participent à la redéfinition des contours de la « variété qui convient » : constitution des semences en « problème public » présent dans les grands médias et mobilisant les associations environnementales; procès de faucheurs d’OGM amenant les juges à se prononcer sur les variétés transgéniques; organisme de règlement des différends de l’OMC; chartes de qualité proposées par les producteurs ou la distribution; débats et politiques publiques relatifs à la biodiversité ou au changement climatique, etc.

57Enfin, un basculement du régime de propriété intellectuelle, avec la brevetabilité des composants de niveau inférieur à la variété (les gènes), se traduit par un recul de la mutualisation des innovations entre obtenteurs et de menaces sur le droit de l’agriculteur à ressemer sa récolte, déplaçant la façon dont les dividendes du « progrès génétique » sont répartis entre les différents acteurs.

58Ce bref tableau des évolutions postérieures à 1970 suffit à mettre en exergue le caractère situé dans le temps et l’espace de la façon de normer, de mesurer et de gouverner les variétés dans la France de l’après-guerre. Cette nouvelle biopolitique, conduite sous l’impulsion d’un État devenu phytogénéticien, a constitué la semence et la variété simultanément en biens marchands et en objets d’un gouvernement du « progrès génétique ». On ne saurait donc trop insister sur les limites d’une explication qui serait par trop centrée sur la dimension économique, et souligner les dimensions politiques, épistémiques, culturelles, et idéologiques du modernisme phytogénétique du milieu du XXe siècle. Enfin, ouvrir la boîte noire des sciences et techniques et des activités métrologiques nous a permis d’appréhender la façon dont les normes de preuve du moment, les protocoles d’essai et les modalités de cotation des variétés, incorporaient, jusque dans leurs détails les plus techniques, le « script » du modèle productiviste de modernisation de l’agriculture française dominant les trente glorieuses, et de mieux cerner toute sa non-évidence et son historicité profonde. Au-delà du cas des semences, il y a là une piste plus générale pour l’histoire de l’agriculture et des sociétés rurales de la période contemporaine.

59La montée des enjeux environnementaux qui traversent les activités agricoles se traduit notamment par des controverses publiques, des normes et des critères d’excellence renouvelés, et par une écologisation des politiques publiques depuis quelques décennies, ce qui rend plus visible la nécessité d’un profond renouvellement de l’histoire rurale du XXe siècle. Or, contrairement aux travaux de l’espace anglo-saxon ou germanique notamment [111], l’historiographie française de la « modernisation » agricole est trop souvent restée prisonnière des catégories d’analyse héritées des acteurs dominants de l’après-guerre, sans vraiment s’interroger sur le caractère socialement construit des sciences et innovations agronomiques. L’attention à l’historicité des savoirs, des pratiques et objets techniques, des formes de gestion du vivant, etc., offre alors des perspectives fécondes à l’histoire culturelle des imaginaires modernisateurs et à une nouvelle histoire environnementale de l’agriculture.


Mise en ligne 01/02/2009

Notes

  • [1]
    Georges CANGUILHEM, Le normal et le pathologique, Paris, PUF, [1966] 1979, p. 177.
  • [2]
    On distinguera dans cet article, conformément à l’usage agronomique courant, la « semence » comme ensemble de graines mises en terre en vue d’une récolte, et la « variété » comme catégorie se référant à la constitution génétique d’une semence. Les parallèles souvent faits depuis 1945 entre génétique et information ont conduit à comparer la semence à des disquettes et la variété au software porté par ces disquettes.
  • [3]
    Christophe BONNEUIL, « Producing identity, industrializing purity : Elements for a cultural history of genetics », in S. MÜ LLER-WILLE et H.-J. RHEINBERGER (dir.), A cultural history of heredity, t. IV, Heredity in the century of the gene, Berlin, Max-Planck-Institut für Wissenschaftsgeschichte, preprint 343,2008, p. 81-110.
  • [4]
    Edmund RUSSELL, « Evolutionary history : Prospectus for a new field », Environmental History, 8-2,2003, p. 204-228.
  • [5]
    Le terme de « clone » est proposé en 1903 pour la première fois par un chercheur agronome américain. Voir C. BONNEUIL, « Producing identity, industrializing purity... », art. cit.; Jean-Pierre BERLAN, « Les cloneurs », Écologie et Politique, 31,2005, p. 59-70.
  • [6]
    Laurent THÉVENOT, « Les investissements de forme », Cahiers du centre d’études de l’emploi, 29,1986, p. 21-71.
  • [7]
    Pierre MULLER, Le technocrate et le paysan. Essai sur la politique française de modernisation de l’agriculture, de 1945 à nos jours, Paris, Les Éditions ouvrières, 1984.
  • [8]
    Richard F. KUISEL, « L’american way of life et les missions françaises de productivité », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 17,1988, p. 21-38.
  • [9]
    Henri MENDRAS, La fin des paysans : suivi d’une réflexion sur la fin des paysans; Vingt ans après, Arles/Lausanne, Actes Sud/L’Aire, [1967] 1992; Michel GERVAIS, Marcel JOLLIVET et Yves TAVERNIER, La fin de la France paysanne, de 1914 à nos jours, Paris, Éd. du Seuil, 1976.
  • [10]
    Voir notamment Pierre MULLER, Le technocrate et le paysan..., op. cit.; Isabel BOUSSARD, Vichy et la Corporation paysanne, Paris, Presses de la FNSP, 1980; et pour des contributions récentes, Pierre CORNU et Jean-Luc MAYAUD (dir.), Au nom de la terre. Agrarismes et agrariens en France et en Europe du XIXe siècle à nos jours, Paris, La Boutique de l’Histoire, 2007.
  • [11]
    Voir Gilles ALLAIRE et Robert BOYER (dir.), La grande transformation de l’agriculture. Lectures conventionnalistes et régulationnistes, Paris, INRA /Economica, 1995; Gilles ALLAIRE, « Émergence d’un nouveau système productif en agriculture », Canadian Journal of Agricultural Economics, 44-4,1996, p. 461-479; Id., « L’économie de la qualité, en ses secteurs, ses territoires et ses mythes », Géographie, Économie, Société, 4-2,2002, p. 155-180. Cette lecture n’est pas très éloignée de celle de l’historienne et sociologue Harriet Friedmann qui distingue trois « régimes agroalimentaires » depuis le dernier tiers du XXe siècle. Au « modèle productiviste » de G. Allaire correspond chez H. Friedmann le régime « mercantiliste-industriel » des années 1930-1970, caractérisé par la constitution de l’agriculture en domaine majeur d’intervention publique, contrairement à la période d’internationalisation plus strictement marchande du régime « colonial-diasporique » précédent, mais également au régime « marchand-environnemental » de ces dernières décennies. Voir Harriet FRIEDMANN et Philip MC MICHAEL, « Agriculture and the state system : The rise and decline of national agricultures, 1870 to the present », Sociologia ruralis, XXIX-2,1989, p. 93-117; Harriet FRIEDMANN, « From colonialism to green capitalism : Social movements and emergence of food regimes », Research in Rural Sociology and Development, 11,2005, p. 229-267.
  • [12]
    Claude SERVOLIN, L’agriculture moderne, Paris, Éd. du Seuil, 1989; G. ALLAIRE et R. BOYER (dir.), La grande transformation..., op. cit.; Alessandro STANZIANI, Histoire de la qualité alimentaire ( XIXe - XXe siècles), Paris, Le Seuil, 2005.
  • [13]
    Luc BOLTANSKI et Laurent THÉVENOT, De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991.
  • [14]
    Voir aussi sur ce point Franck SANSELME, « Le Nouveau Larousse agricole (1952) et la ‘gestion rationnelle des entreprises’: une tentative d’introduction du modèle de l’entreprise capitaliste industrielle en agriculture », in P. CORNU et J.-L. MAYAUD (dir.), Au nom de la terre..., op. cit., p. 205-221.
  • [15]
    Steven L. KAPLAN, Le pain maudit. Retour sur la France des années oubliées, 1945-1958, Paris, Fayard, 2008, p. 67-70.
  • [16]
    Jean BUSTARRET, « Organisation de la production des semences de céréales », Bulletin technique d’information des ingénieurs des services agricoles, 17-18,1947, p. 69-72.
  • [17]
    Christophe BONNEUIL et Frédéric THOMAS, Gènes, pouvoirs et profits. La recherche publique dans les transformations des régimes de production des savoirs en génétique végétale de Mendel aux OGM, Paris, Quae, 2009, chap. 1, sous presse.
  • [18]
    Henri ROUSSO, « L’organisation industrielle de Vichy (perspectives de recherche) », Revue d’Histoire de la Deuxième Guerre Mondiale, 116,1979, p. 27-44.
  • [19]
    Loi du 11 octobre 1941, relative à l’organisation du marché des semences, Journal Officiel de l’État Français, 12 octobre 1941, p. 4406-4407.
  • [20]
    Décret du 24 février 1942 et arrêté du 10 mars 1942, Journal Officiel de l’État Français, 12 mars 1942, p. 999-1000.
  • [21]
    Sur le fonctionnement de l’ONIC, voir S. L. KAPLAN, Le pain maudit..., op. cit.
  • [22]
    Arrêté du 10 mars 1942, Journal Officiel de l’État Français, ici p. 1000.
  • [23]
    Journal Officiel de l’État Français, 10 juin 1942, p. 2023.1
  • [24]
    C. BONNEUIL et F. THOMAS, Gènes, pouvoirs et profits..., op. cit., chap. 3-5.
  • [25]
    Jean BUSTARRET, « Variétés et variations », Annales agronomiques, 14,1944, p. 336-362, ici p. 340.
  • [26]
    Ibid., p. 346.
  • [27]
    Christophe BONNEUIL, « Mendelism, plant breeding and experimental cultures : Agriculture and the development of genetics in France », Journal of the History of Biology, 39-2,2006, p. 281-308. 1
  • [28]
    Ronald A. FISHER, The design of experiments, Édimbourg/Londres, Oliver and Boyde, 1935.
  • [29]
    Pierre JONARD, « Commentaires sur la législation du commerce des semences en France », Bulletin technique d’information des ingénieurs des services agricoles, 157,1961, p. 207-213, ici p. 209.
  • [30]
    J. BUSTARRET, « Variétés et variations », art. cit., p. 353.
  • [31]
    Union pour la protection des obtentions végétales ( UPOV ), Actes des conférences internationales pour la protection des obtentions végétales 1957-1961-1972, Genève, UPOV, 1974. J. Bustarret préside le comité technique de la Convention.
  • [32]
    G. WEIBULL, Plant breeders’ rights in development of seed production and the seed trade in Europe, Paris, EPA/OCDE, 1955, p. 111-123.
  • [33]
    C. BONNEUIL, « Producing identity, industrializing purity... », art. cit.
  • [34]
    Archives du CTPS ( GEVES ), section Céréales, voir notamment le procès-verbal du 18 août 1945.
  • [35]
    Robert MAYER, Pierre JONARD et Gérard DE FOSSEUX, « Comportement en champs d’essai des principales variétés cultivées dans la région parisienne, la Normandie et le Nord de la France », Bulletin technique d’information des ingénieurs des services agricoles, 72, 1952, p. 471-508, ici p. 472. 1
  • [36]
    Archives du CTPS ( GEVES ), section Céréales, procès-verbal du 4 novembre 1954.
  • [37]
    Voir notamment : David GOODMAN, Bernardo SORJ et John WILKINSON, From farming to biotechnology : A theory of agro-industrial development, Oxford/New York, Basil Blackwell, 1987; Jack R. KLOPPENBURG, First the seed : The political economy of plant biotechnology, 1492-2000, Cambridge/New York, Cambridge University Press, 1988; Jean-Pierre BERLAN, « Recherches sur l’économie politique d’un changement technique. Les mythes du maïs hybride », thèse d’État, Université Aix-Marseille II, 1987; Deborah K. FITZGERALD, « Farmers deskilled : Hybrid corn and farmers’work », Technology & Culture, 34-2,1991, p. 324-343; Robin PISTORIUS et Jeoren VAN WIJK, The exploitation of plant genetic information : Political strategies in crop development, New York, CABI Pub, 1999.
  • [38]
    James C. SCOTT, Seeing like a state : How certain schemes to improve the human condition have failed, New Haven, Yale University Press, 1998.
  • [39]
    Robert MAYER, « Les orientations nouvelles en matière de sélection », Journées nationales d’études théoriques et pratiques « Semences », Paris-Toulouse, 21-22-23 mai 1964, Paris, Union nationale des coopératives agricoles et céréalières, 1964, p. 17-25.
  • [40]
    Émile SCHRIBAUX, « La qualité des blés indigènes et le problème du bon pain », Le Sélectionneur français, VII-1,1938, p. 41-55, ici p. 45.
  • [41]
    Michael FLITNER, « Genetic geographies : A historical comparison of agrarian modernization and eugenic thought in Germany, the Soviet Union, and the United States », Geoforum, 34-2,2003, p. 175-186.
  • [42]
    Christophe BONNEUIL, « ‘Pénétrer l’indigène’. Arachide, paysans, agronomes et administrateurs au Sénégal (1897-1950) », Études Rurales, 151-152,1999, p. 199-223.
  • [43]
    Sur les tensions et les liens indissociables entre eugénisme positif et eugénisme négatif, et sur les spécificités propres à la biopolitique du milieu du XXe siècle, voir Nikolas ROSE, « The politics of life itself », Theory, Culture & Society, 18-6,2001, p. 1-30.
  • [44]
    Cet impératif de « modernisation » agricole apparaît s’inscrire dans ce que Luc BOLTANSKI et Laurent THÉVENOT, De la justification..., op. cit., ont caractérisé comme la « cité industrielle », où la terre serait vue comme un outil de production, gérée selon un principe d’efficacité productive, et non plus comme un capital de grands propriétaires rentiers (« cité marchande ») ni comme un attachement à un lieu et une histoire (« cité domestique »).
  • [45]
    Archives nationales ( AN ) F10 5136, Corporation Paysanne 1940-1944, « Activité du groupe spécialisé de la pomme de terre au cours de l’année écoulée », mai 1944; AN F10 5278 Pomme de terre.
  • [46]
    Sur les groupes et projets en concurrence à la création de l’INRA, voir C. BONNEUIL et F. THOMAS, Gènes, pouvoirs et profits..., op. cit., chap. 1.
  • [47]
    Archives du CTPS ( GEVES ), section Céréales, procès-verbaux du 3 novembre 1942, du 12 juillet 1944, du 11 mai 1948, du 17 décembre 1949, du 20 juillet 1954.
  • [48]
    Arrêté du 15 septembre 1955, Journal Officiel, 27 octobre 1955, p. 10619; Ibid., 20 août 1955, p. 8394.
  • [49]
    Conseil d’État, arrêt no 37.019,15 juillet 1959.
  • [50]
    Voir le projet initial du décret et les discussions au CTPS dans les archives de la section blé du CTPS et le fonds Jean Marrou récemment versé aux Archives nationales, dossier CTPS passé-avenir, « Projet de décret relatif au catalogue des espèces et variété », note de B. Imbaud, chef de service des améliorations agricoles, au directeur général de l’Agriculture, 23 décembre 1957.
  • [51]
    Jean BUSTARRET, « Le catalogue des espèces et variétés et le Comité technique permanent de la sélection », Bulletin technique d’information des ingénieurs des services agricoles, 157,1961, p. 201-206, ici p. 205.
  • [52]
    Michel SIMON, « Les variétés de blé tendre cultivées en France au cours du vingtième siècle et leurs origines génétiques », Comptes Rendus de l’Académie d’Agriculture de France, 85-8,1999, p. 5-26.
  • [53]
    Sophie CHAUVEAU, « Genèse de la ‘sécurité sanitaire’: les produits pharmaceutiques en France aux XIXe et XXe siècles », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, 51-2,2004, p. 88-117.
  • [54]
    Sur le déclin et le retour en vogue des variétés de pays, voir Christophe BONNEUIL et Élise DEMEULENAERE, « Vers une génétique de pair à pair ? L’émergence de la sélection participative », in F. CHARVOLIN, A. MICOUD et L. K. NYHART, (dir.), Des sciences citoyennes ? La question de l’amateur dans les sciences naturalistes, La Tour d’Aigues, Éd. de l’Aube, 2007, p. 122-147.
  • [55]
    L’expression de « remise en ordre » est tirée de J. BUSTARRET, « Le catalogue des espèces et variétés... », art. cit., ici p. 204. On la retrouve sous la plume d’autres généticiens de l’INRA des années 1960.
  • [56]
    Alain DESROZIÈRES, La politique des grands nombres. Histoire de la raison statistique, Paris, La Découverte, 1993.
  • [57]
    L. THÉVENOT, « Les investissements de forme », art. cit.
  • [58]
    Bruno LATOUR, La science en action, Paris, La Découverte, 1989.
  • [59]
    Ronald A. FISHER et John WISHART, The arrangement of field experiments and the statistical reduction of the results, Harpenden, Imperial Bureau of Soil Science/Rothamsted Experimental Station, 1930.
  • [60]
    Charles CRÉPIN, Pierre JONARD et René FRIEDBERG, « Essais comparatifs de variétés de blé en Seine-et-Oise (1937-1938) », Le Sélectionneur français, VII-3,1938, p. 119-147.
  • [61]
    AGPB, « Journée d’étude du blé à Grignon », Bulletin de documentation sur le marché du blé, 9 août 1947, p. 4.
  • [62]
    AGPB, « Action des sections départementales de céréales », Bulletin de documentation sur le marché du blé, 22 avril 1948, p. 4-6.
  • [63]
    Il est l’ancêtre de l’actuel Groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences ( GEVES, créé en 1971 et détaché par la suite de l’INRA ).
  • [64]
    Robert MAYER, Pierre JONARD et Gérard DE FOSSEUX, « Essais de blé d’automne dans la région parisienne, la Normandie et le Nord de la France », Bulletin technique d’information des ingénieurs des services agricoles, 53,1950, p. 623-638, ici p. 624.
  • [65]
    Jean BUSTARRET, Robert MAYER et Pierre JONARD, « Expérimentation de variétés de blé d’automne dans la moitié Nord de la France », Bulletin technique d’information des ingénieurs des services agricoles, 17-18,1947, p. 23-37.
  • [66]
    « Comptes rendus des réseaux d’essais dans la région parisienne, la Normandie et le Nord, en Alsace, dans le Centre de la France, dans les régions méridionales et dans l’Ouest », Bulletin technique d’information des ingénieurs des services agricoles, 72,1952, p. 471-578.
  • [67]
    AGPB, « Le rôle du technicien semences à la coopérative », Bulletin de documentation sur le marché du blé, 31 mai 1950, p. 3.
  • [68]
    Robert MAYER et Pierre JONARD, « Résultats des essais conduits par les stations d’amélioration des plantes de l’INRA sur les variétés de céréales », Bulletin technique d’information des ingénieurs des services agricoles, 114,1956, p. 573-576, ici p. 575.
  • [69]
    Ibid.
  • [70]
    On retrouve ici la thèse dite du spill-over, remise en question ces dernières années par des recherches sur l’importance de la sélection in situ pour les conditions extensives et marginales.
  • [71]
    Robert MAYER, « Comment apprécier la valeur culturale d’une variété », Journées nationales d’études théoriques et pratiques « Semences », 18-19 mai 1953, Paris/Versailles, Union nationale des coopératives agricoles et céréalières, 1953, p. 30-32.
  • [72]
    Vu la diversité des milieux, on estime en 1956 qu’il faut dix ans d’expérimentation dans six sites-essais dans chaque région pédoclimatique pour obtenir un classement des variétés qui soit fiable dès lors que les différences mesurées entre deux variétés dépassent 7 %. G. DE FOSSEUX et al., « Détermination de la valeur agricole des variétés de blé d’automne et de printemps, cultivés dans le Bassin Parisien et le Nord-Est de la France », Bulletin technique d’information des ingénieurs des services agricoles, 114,1956, p. 577-607, ici p. 580.
  • [73]
    Henri NURET, « À propos de l’extensimètre Chopin », Bulletin des anciens élèves de l’École de Meunerie, 55,1937, p. 2-6. La force boulangère ainsi mesurée exprime certaines qualités physiques et mécaniques du gluten du blé. Une farine de blé de force, au cours de la panification, absorbe plus d’eau, réagit mieux au pétrissage et fournit un pain plus léger.
  • [74]
    Archives du CTPS ( GEVES ), section Céréales, procès-verbal du 29 septembre 1954, p. 3.
  • [75]
    INRA, Station centrale d’amélioration des plantes, « Sélection », comptes rendus des travaux effectués au cours de l’année, 1950, p. 3.
  • [76]
    INRA, Station centrale d’amélioration des plantes, « Étude des collections et recherches de géniteurs », comptes rendus des travaux effectués au cours de l’année 1950.
  • [77]
    Robert MAYER, Pierre JONARD et Gérard de FOSSEUX, « Comportement en champs d’essai... », art. cit.
  • [78]
    J. BUSTARRET et al., « Expérimentation de variétés... », art. cit., p. 29.
  • [79]
    Archives du CTPS ( GEVES ), section Céréales, procès-verbal du 4 novembre 1954.
  • [80]
    Pour un exemple de controverse sur la rigueur nécessaire des essais entre un chercheur de l’INRA et un ingénieur des Services agricoles, voir Robert MAYER, « Comment apprécier la valeur culturale d’une variété », Journées nationales d’études théoriques et pratiques « Semences », 18-19 mai 1953, Paris/Versailles, Union nationale des coopératives agricoles et céréalières, 1953, p. 30-32, face à Philippe JUSSIAUX, « De l’efficacité de la vulgarisation en matière de céréales », ibid., p. 43-55, notamment p. 47.
  • [81]
    Harry MARKS, La médecine des preuves. Histoire et anthropologie des essais cliniques (1900-1990), Le Plessis-Robinson, Synthélabo, 1999.
  • [82]
    G. DE FOSSEUX et al., « Détermination de la valeur agricole... », art. cit., p. 590.
  • [83]
    L’histoire de la standardisation du réseau télégraphique au XIXe siècle et celle des diagnostics médicaux au début du XXe présentent une situation analogue, où l’universalité de la mesure s’appuie sur la circulation de dispositifs de calibrage, instituant les unités standards comme référence dans une multiplicité de situations locales : Joseph O’CONNELL, « Metrology : The creation of universality by the circulation of particulars », Social Studies of Science, 23-1,1993, p. 129-173.
  • [84]
    La force boulangère du témoin Vilmorin 27 varie ainsi de 64 à 156, entre 1945 et 1949, soit une fluctuation de 200 % : Robert MAYER, « Les facteurs de la qualité du blé », Bulletin des anciens élèves de l’École de Meunerie, 118,1950, p. 118-122.
  • [85]
    « Comptes rendus des réseaux d’essais dans l’Ouest, dans le Centre et dans le Sud-Ouest », Bulletin technique d’information des ingénieurs des services agricoles, 17-18,1947, p. 39-64; R. MAYER, P. JONARD et G. DE FOSSEUX, « Comportement en champs d’essai... », art. cit., p. 471.
  • [86]
    François DAGOGNET, Réflexions sur la mesure, La Versanne, Encre Marine, 1993.
  • [87]
    Madeleine AKRICH, « La description des objets techniques », Techniques et Culture, 9,1987, p. 49-64, et Id., « Les objets techniques et les utilisateurs, de la conception à l’action », in B. CONEIN, N. DODIER et L. THÉVENOT (dir.), Les objets dans l’action, Éd. de l’EHESS, 1993, p. 35-57.1
  • [88]
    G. ALLAIRE, « Émergence d’un nouveau système productif... », art. cit.
  • [89]
    J. BUSTARRET et al., « Expérimentation de variétés... », art. cit., p. 29.
  • [90]
    Félicien BŒUF, intervention à l’Académie d’Agriculture suite à la communication de C. JACOB sur « La recherche scientifique et l’agriculture », Comptes rendus des séances de l’Académie d’Agriculture de France, séance du 4 mars 1942, p. 303-311, ici p. 309.
  • [91]
    Archives du CTPS ( GEVES ), section Céréales, nouveau protocole d’inscription « blé tendre », réunion du CTPS du 10 janvier 1969.
  • [92]
    Cette variété très précoce adaptée aux régions méridionales se comporte bien aussi au Nord ce qui permet de l’y expérimenter, et d’y tester ainsi l’écart de comportement entre variétés tardives et précoces.
  • [93]
    Entretien avec Michel Simon (ancien ingénieur du Service de l’expérimentation de l’INRA ), mars 2008.
  • [94]
    Wendy N. ESPELAND et Mitchell L. STEVENS, « Commensuration as a social process », Annual Review of Sociology, 24,1998, p. 313-343, ici p. 331.
  • [95]
    Michel FOUCAULT, Surveiller et punir : naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975; Id., Histoire de la sexualité, Paris, Gallimard, 3 vol., 1976-1992; Id., Le gouvernement de soi et des autres : cours au Collège de France, 1982-1983, éd. par F. Gros, sous la dir. de F. Ewald et A. Fontana, Paris, Gallimard/Le Seuil, 2008.
  • [96]
    Michel FOUCAULT, « Le jeu de Michel Foucault », Dits et Écrits : 1954-1988, t. 2. 1976-1988, éd. sous la dir. de D. Defert et F. Ewald, avec la coll. de J. Lagrange, Paris, Gallimard, 2001, p. 301.
  • [97]
    Robert CHEVALIER, « Échaudage et problèmes connexes », Journées nationales d’études théoriques et pratiques « Semences », 2-3-4 juin 1959, Paris/Montpellier, Union nationale des coopératives agricoles et céréalières, 1959, p. 11-33, ici p. 25.
  • [98]
    AGPB, « Revaloriser la qualité : oui ! Mais ne pas prendre prétexte du ‘facteur qualité’ pour fausser le prix du blé », Bulletin de documentation sur le marché du blé, 18 janvier 1950, p. 4-5.
  • [99]
    Jean KOLLER, « La qualité des blés français », Bulletin des anciens élèves de l’École de Meunerie, 123,1951, p. 98-102.
  • [100]
    Archives du CTPS ( GEVES ), section Céréales, procès-verbal du 29 septembre 1954, p. 4.
  • [101]
    Archives du CTPS ( GEVES ), section Céréales, procès-verbal du 27 juillet 1955, p. 5-6.
  • [102]
    S. KAPLAN, Le pain maudit..., op. cit., p. 158-181; Christine CÉSAR, « Les métamorphoses des idéologues de l’agriculture biologique : la voix de La Vie Claire (1946-1981) », in P. CORNU et J.-L. MAYAUD (dir.), Au nom de la terre..., op. cit., p. 335-347.
  • [103]
    Archives du CTPS ( GEVES ), section Céréales, procès-verbal du 20 juillet 1954. De même, l’hiver 1955-1956 extrêmement rude amène aussi quelques sélectionneurs de variétés de printemps, remises au goût du jour cette année-là, à se plaindre du mode de calcul et de la note éliminatoire de qualité boulangère. Ainsi, l’un d’eux déplore le rejet de sa variété de printemps pour force boulangère insuffisante alors qu’elle aurait offert en 1956 un rendement supérieur aux variétés d’hiver inscrites : Archives du CTPS ( GEVES ), section Céréales, procès-verbal du 31 juillet 1956.
  • [104]
    Christian REMÉSY, Que mangerons-nous demain ?, Paris, Odile Jacob, 2005.
  • [105]
    Archives du CTPS ( GEVES ), section Céréales, procès-verbal du 22 septembre 1959.
  • [106]
    François HOCHEREAU, « Du productivisme à l’agriculture durable. Les vicissitudes de la prise en compte des résistances variétales dans la sélection du blé », in C. BONNEUIL, G. DENIS et J.-L. MAYAUD (dir.), Les chercheurs et l’agriculture. Science et agriculture en France depuis la fin du XIXe siècle, Paris, L’Harmattan/Quae, 2008, sous presse.
  • [107]
    Michel SIMON, « Incidences des règlements sur l’évolution des assortiments variétaux », Comptes rendus de l’Académie d’Agriculture de France, 78,1992, p. 3-19.
  • [108]
    François DELBARD, « Spécificité des arbres fruitiers et des plantes ornementales dans le domaine de la réglementation variétale », ibid., p. 21-32, citations p. 24 et 25.
  • [109]
    G. ALLAIRE, « Émergence d’un nouveau système productif... », art. cit.
  • [110]
    La crise de ce standard variétal est analysée dans Christophe BONNEUIL et al., « Innover autrement ? La recherche face à l’avènement d’un nouveau régime de production et de régulation des savoirs en génétique végétale », Dossier de l’environnement de l’INRA, 30,2006, p. 29-53.1
  • [111]
    Pour ne citer que quelques travaux étrangers les plus notables, on mentionnera : William CRONON, Nature’s metropolis : Chicago and the Great West, New York, W. W. Norton, 1991; Andreas DIX et Ernst LANGTHALER (dir.), Grüne Revolutionen. Agrarsysteme und Umwelt im 19. und 20. Jahrhundert, Jahrbuch für Geschichte des Ländlichen Raumes, Innsbruck, Studienverlag, 2006; Deborah K. FITZGERALD, Every farm a factory : The industrial ideal in American agriculture, New Haven, Yale University Press, 2003; Edmund RUSSELL, War and nature : Fighting humans and insects with chemicals from World War I to Silent Spring, New York/Cambridge, Cambridge University Press, 2001.
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