Notes
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[1]
ELIZABETH EISENSTEIN, La revolució n de la imprenta en la Edad moderna europea, Madrid, Akal, 1994.
-
[2]
L’histoire qui entoura l’impression, en 1537, du Cymbalum Mundi, attribué à Bonaventure Des Périers, est peut-être un exemple précoce de ces conflits.
-
[3]
ABY WARBURG, Images from the Region of the Pueblo Indians of the North America, Ithaca, Cornell University Press, 1995 (traduction et essai interprétatif par Michael Steinberg); PHILIPPE-ALAIN MICHAUD, Aby Warburg et l’image en mouvement, Paris, Macula, 1998; CARLO SEVERI, « Warburg anthropologue, ou le Déchiffrement d’une utopie. De la biologie des images à l’anthropologie de la mémoire », L’homme, 165,2003, pp. 77-128; GEORGES DIDI-HUBERMAN, L’image survivante. Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, Paris, Éditions de Minuit, 2002.
-
[4]
ABY WARBURG, Le rituel du serpent. Art et anthropologie, Paris, Macula, [1988] 2003, pp. 74-75. Voir JOSÉ EMILIO BURUCÚ A, Historia, arte, cultura. De Aby Warburg a Carlo Ginzburg, Buenos Aires, Fondo de Cultura Econó mica, 2003, pp. 22-28.
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[5]
Biblia en lengua Españ ola traduzida palabra por palabra dela verdad Hebraica por muy excelentes letrados vista y examinada por el officio de la Inquisicion, Ferrare, Yom Tob Atias y Abraham Usque, 1553.
-
[6]
H KAINH DIAQHKH. Novum Iesu Christi D. N. Testamentum, Paris, Ioann. Benenatum, 1584.
-
[7]
Voir THOMAS HERBERT DARLOW et HORACE FREDERICK MOULE, Historical Catalogue of the Printed Editions of Holy Scripture in the Library of the British and Foreign Bible Society, Londres, The Bible House, 1911, vol. II, t. 3, no 8467, pp. 1427-1428.
-
[8]
Ibid., vol. II, t. 3, no 8472, pp. 1431-1432.
-
[9]
SAMUEL USQUE, Consolaçao às Tribulaçoes de Israel. Ediçao de Ferrara, 1533, édité et présenté par Yosef Yahim Yerushalmi et José V. de Pina Martins, Lisbonne, Fundaçao Calouste Gulbenkian, 1989.
-
[10]
YOSEF YAHIM YERUSHALMI, Introduction à S. USQUE, Consolaçao..., op. cit., pp. 82-85.
-
[11]
Sur la vie aventureuse de cette femme extraordinaire, se reporter à la biographie que lui consacra Maria Giuseppina Muzzarelli, « Beatriz de Luna, viuda de Mendes, Ilamada doña Gracia Nasi : una hebrea influyente (1510-c. 1569) », publiée dans OTTAVIA NICCOLI (éd.), La mujer del Renacimiento, Madrid, Alianza Editorial, 1993, pp. 115-147, ici p. 128, pour l’analyse de son rôle dans la publication de la Bible. En 1553, Gracia s’installa définitivement à Constantinople, où elle y développa ses activités commerciales et joua un rôle diplomatique de dimension internationale au service du sultan; elle continua, par sa fortune et ses initiatives philanthropiques à protéger les Juifs réfugiés de la péninsule Ibérique.
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[12]
Y. Y. YERUSHALMI, Introduction à S. USQUE, Consolaçao..., op. cit., pp. 89-90.
-
[13]
T. H. DARLOW et H. F. MOULE, Historical Catalogue..., op. cit., vol. II, t. 3, no 8646, pp. 1466-1467. Il est possible que notre scholar fasse référence à la Bible imprimée par Alfonso Fernández et Lambart Palmart à Valence en 1477-1478, qui est une traduction en catalan, dans sa forme valencienne, mentionnée dans l’Exhortació n qui ouvre la Biblia españ ola, que es, los sacros libros del viejo y nuevo testamento de 1602, écrite par le réformé espagnol Cipriano de Valera qui a complété la traduction faite par Casiodoro de Reina.
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[14]
Ibid., vol. II, t. 2, no 6108, pp. 924-925.
-
[15]
Ibid., vol. II, t. 3, no 8657, p. 1469.
-
[16]
Y. Y. YERUSHALMI, Introduction à S. USQUE, Consolaçao..., op. cit., p. 92.
-
[17]
Biblia en dos colunas Hebrayco y Españ ol. En la primera coluna el original Hebraico, con todas las perfecciones en las letras, puntos y Taamim, con las anotaciones de Or Torá, poniendo cada coza en su lugar. En la segunda coluna la traduccion en la lengua Españ ola; y buscamos la palabra mas propia en aquella lengua, para exprimir el sentido del texto; para lo qual añ adimos a las vezes alguna palabra inter () lineas para mayor coareza, Amsterdam, Joseph, Iacob et Abraham Proops, 5522 (1760-1761), souligné dans le texte.
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[18]
T. H. DARLOW et H. F. MOULE, Historical Catalogue..., op. cit., vol. II, t. 3, no 8947, pp. 1528-1530.
-
[19]
Ibid., vol. II, t. 1, no 1422, pp. 9-12.
-
[20]
Ibid., vol. II, t. 1, no 1412, p. 4.
-
[21]
Dans l’introduction de la Bible des frères Proops, il est dit : « Ezrá ordonna, pour que le peuple comprît ce qu’ils lisaient dans les Livres de la Loi, que l’on traduisît dans la langue Chaldayca; de sorte qu’il y avait deux lecteurs, un qui disait le verset par le Sepher Torá, et un autre qui le paraphrasait en Chaldaico. Il est certain que, elle non plus, la langue Chaldayca, n’est pas aujourd’hui communément comprise, bien que cela soit de notre devoir de lire la Parassá de la semaine une fois en Chaldaico après l’avoir dite deux fois en hébreu [...]. »
-
[22]
T. H. DARLOW et H. F. MOULE, Historical Catalogue..., op. cit., vol. II, t. 1, no 1423, p. 13.
-
[23]
JOSÉ EMILIO BURUCÚ A, Corderos y elefantes. La sacralidad y la risa en la modernidad clá sica – siglos XV a XVII, Buenos Aires-Madrid, Miño y Dávila, 2001, pp. 90-91; NICOLÁ S DE CUSA, Sobre la paz de la fe, introd. de Lucio Adrián et José Emilio Burucú a, Buenos Aires, Cálamo, 2000, pp. 59-69.
-
[24]
Voir FRANCES A. YATES, La filosofía oculta en la época isabelina, Mexico, Fondo de Cultura Econó mica, [1979] 1982, ici pp. 55-69 et 163-188; ID., El iluminismo e rosacruz, Mexico, Fondo de Cultura Econó mica, 1981, pp. 13-59; ID., Ensayos reunidos. Il Renacimiento y Reforma : La contribució n italiana, Mexico, Fondo de Cultura Econó mica, 1991, pp. 262-390.
-
[25]
ID., La filosofía oculta..., op. cit., pp. 189-228 et 279-310.
-
[26]
ID., Astraea. The Imperial Theme in the Sixteenth Century, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1975, pp. 121-126 et 173-207.
-
[27]
FRANÇOIS GEORGE, L’harmonie du monde, divisée en trois cantiques [...] plus L’Heptaple de Jean Picus comte de la Mirande [...], Paris, Jean Macé, 1578.
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[28]
Guy se réfère ici à son poème inachevé L’Encycle des secrets de l’Éternité, publié à Anvers en 1571.
-
[29]
F. GEORGE, L’harmonie du monde..., op. cit., p. a vii v.
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[30]
Ibid., p. a vi r.
-
[31]
Ruppert, abbé bénédictin de Deutz, mort en 1135, « le Bienheureux », est l’auteur d’un commentaire de l’Apocalypse et d’un traité, De victoria verbi Dei. Son œuvre fut souvent réimprimée depuis la fin du XVe et pendant le XVIe siècle à la demande de l’abbé Trithemius.
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[32]
J’ai retrouvé deux ouvrages qui portent ce titre : le premier, attribué à J. Ebser, évêque de Chiemsee, et publié à Cologne en 1531, identifie « la charge » de l’Église en ses sept états, avec les plus graves abus commis lors de chacun et les calamités futures; le second, publié également en 1531, reporte cette charge aux Fins dernières qui approchent en raison de l’offensive des Turcs.
-
[33]
F. GEORGE, L’harmonie du monde..., op. cit., p. a vi r-v.
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[34]
Dans le colophon à la fin de la Dedicatio figurent les dates du 31 octobre 1583 et du 29 mai de la même année.
-
[35]
Patrologiae Cursus completus seu Bibliotheca Universalis, integra, uniformis, commoda, oeconomica Omnium SS. Patrum, Doctorum, Scriptorumque Ecclesiasticorum, sive latinorum, sive graecorum, « Patrologiae Graecae-LII », S. Ioannes Chrysostomus, Paris, Migne, 1862, cc. 618-619.
-
[36]
H KAINH DIAQHKH..., op. cit., pp. III-XX.
-
[37]
Pour cette section, nous avons utilisé l’édition Plantin de la Vulgate clémentine de 1608 : Biblia Sacra Vulgatae Editionis Sixti Qunti Pon.t. Max. iussu recognita atque edita, Anvers, Plantin-Moretus, 1608. Le décret tridentin est retranscrit à la page A 3 v°. Voir T. H. DARLOW et H. F. MOULE, Historical Catalogue..., op. cit., vol. II, t. 2, no 6197, p. 968.
-
[38]
The Canons and Decrees of the Council of Trent, trad. par H. J. Schroeder, Rockford, TAN Books and Publishers, 1978, pp. 18-20.
-
[39]
Ce décret conciliaire est cité in ibid., vol. II, t. 2, no 6181, p. 958.
-
[40]
Ibid., no 6129, pp. 936-937, et no 6161, pp. 949-950.
-
[41]
Ibid., no 6181, pp. 958-960.
-
[42]
Ibid., no 6184, pp. 961-963. L’in-octavo de 1608, que nous avons consulté, conserve encore le dessin. Le titre est entouré, de haut en bas, par des scènes de la Création, du péché originel, des scènes de la vie de Noé et de Moïse, par les figures de Moïse et David debout, par les quatre évangélistes assis à gauche et à droite d’un médaillon où l’on voit le Christ en croix dont le sang, source du salut, sourd de son côté transpercé.
-
[43]
Thomas James, bibliothécaire de Bodley, publia en 1600 un libelle sur le sujet : Bellum Papale, d’où est extraite la citation (voir T. H. DARLOW et H. F. MOULE, Historical Catalogue..., op. cit., vol. II, t. 2, no 6184, p. 962).
« L’érudition est trompeuse, la mer, elle, n’est pas sourde. »
1On sait que les livres ne produisent pas les révolutions sociales dont nous rêvons, mais il n’y a aucun doute qu’ils contribuent au premier chef à miner le sacré, les hiérarchies, les prestiges, l’ordre et les hégémonies sur lesquels reposent l’oppression et l’inégalité. Les puissants d’Ancien Régime, face à la multiplication extraordinaire de ces objets grâce à l’invention de l’imprimé, ont rapidement compris la force culturelle des textes ainsi matérialisés et reproduits à grande échelle. En effet, derrière chaque livre percent des choix économiques, sociaux et politiques qui ont seulement besoin du déploiement des processus de lecture pour se convertir en actions explicites qui agissent au cœur de la réalité humaine. Cent ans ne s’étaient pas écoulés depuis la Bible de Gutenberg que déjà les Églises et les États européens organisaient les mécanismes de contrôle et de censure destinés à mettre un frein aux risques que comportait la nouvelle industrie de l’imprimerie [1]. Dans le même temps, et peut-être plus vite encore que les institutions dominantes qui se dotèrent de nouveaux moyens de contrainte intellectuelle, les auteurs et les imprimeurs, qui cherchaient et fortune et renommée, ainsi que, pourquoi pas, à s’engager pour des causes qu’ils croyaient justes, ou servir la vérité à partir de la critique sociale et politique, mirent au point des tactiques inédites pour déjouer et mettre à mal la vigilance des puissants [2]. Que les tensions suscitées par l’imposition, toujours plus forte après l’échec politique de la bourgeoisie entre 1450 et 1550, d’un système rigide d’ordres et de classes dans les nations européennes, et que les résistances opposées par des groupes menacés par des formes nouvelles d’inclusion ou d’exclusion forcées dans leur combat pour sauvegarder d’anciens droits et privilèges, et pour préserver de vieilles identités naguère socialement reconnues – ce que nous appelons aujourd’hui des « altérités culturelles » –, se soient traduites, de manière toutes deux exacerbées, dans le champ de la production livresque, de part et d’autre des lignes de l’affrontement, il n’y a pas lieu de s’en étonner.
2Il est certain que les livres, comme tout bien culturel, et peut-être plus que d’autres, similaires (peintures, sculptures, pièces musicales ou de théâtre), condensent inévitablement des représentations et gardent l’empreinte des forces psychiques et sociales antagoniques, surtout quand il s’agit de cas survenus pendant la révolution de l’imprimerie. Or, la théorie de la culture, dans les termes en lesquels Michael Steinberg, Philippe-Alain Michaud, Carlo Severi et surtout Georges Didi-Huberman ont relu les fondements épistémologiques des essais de Aby Warburg et de son projet « Mnemosyne » [3], vaut pour les livres également. Ils sont en effet non seulement des lieux d’indétermination sémantique du texte, propices à une multitude de réceptions possibles, mais, à la surface apparente de leur matérialité concrète, c’est-à-dire en raison même de leur existence en tant qu’objet, et, plus encore, dans les traces qu’y laissèrent les négociations, les échanges physiques, psychiques et intellectuels entre les personnes et les groupes qui participèrent à leur production, transparaissent également les conditions objectives à partir desquelles les lecteurs et ceux qui manipulent les livres réactualisent les significations, les ambiguïtés comme les tensions psycho-sociales de l’époque où ils furent fabriqués. Les livres sont ainsi porteurs de la matrice schizoïde propre à tout système culturel [4] dans lequel ils sont nés. Ils sont aussi des inducteurs privilégiés de sa reproduction ou, pour parler comme Warburg, du Nachleben des conflits, savoirs et émotions des hommes du passé (auteurs, traducteurs, éditeurs, libraires, lecteurs, commentateurs) qui firent ces livres, et en usèrent d’hier à aujourd’hui. Tous leurs fantasmes renaissent chaque fois que nous ouvrons, explorons et lisons un livre. En ce sens, l’histoire de son apparition, de ses disparitions, éclipses et réapparitions successives enrichit sans cesse le contenu du Nachleben qu’implique quelque contact que ce soit avec un objet de la tradition. Comment l’acte de lire, aussi fantasmatique qu’il soit, puisqu’il viole le déroulement tranquille d’un temps linéaire en réactualisant, ici et maintenant, les conflits passés, ne produirait-il pas un trouble, un certain vertige ? Ne découvre-t-on pas en effet que, en lisant, nous rééditons à distance les drames de l’histoire pour les inclure dans les perplexités schizoïdes du présent ?
3Seront analysés ici deux cas, d’une certaine manière antagoniques, où la production de livres pendant la seconde moitié du XVIe siècle manifeste des objectifs éditoriaux en rapport avec des phénomènes d’exclusion/inclusion socio-culturelles. Ils permettent de découvrir quelques aspects paradoxaux dans chacune des deux entreprises. La première est une traduction de l’Ancien Testament de l’hébreu à l’espagnol, plus connue sous le nom de Bible de Ferrare, publiée dans cette cité italienne en 1553 [5]; la seconde est une édition polyglotte du Nouveau Testament, dans sa version Peshitta syriaque-araméenne en caractères hébreux, avec les versions canoniques (grecque et latine) dans les marges, accompagnée d’une traduction littérale latine interlignée de l’original Peshitta, véritable prouesse éditoriale, qui fut publiée à Paris en 1584 sous le contrôle de Guy Le Fèvre de La Boderie [6].
4Une confrontation finale du malentendu qui entoura ces deux ouvrages et des circonstances qui ont entouré la publication de la Vulgate de l’Église catholique dans les dernières années du XVIe siècle nous amènera à établir la distance radicale qui sépare ce que l’on pourrait appeler les expériences éditoriales de tolérance et d’intégration de sens différents et un programme opposé de délimitation et de strict contrôle des significations du texte biblique; elle permettra de prouver aussi que cette opération de fermeture sémantique, objectif des éditions sixtine et clémentine de la Bible, n’est pas restée indemne de tensions, glissements et chocs, qui se manifestèrent au cœur même du processus de recherche philologique et d’impression, bien qu’il fût l’un des plus régulés, contrôlés et contraignants de l’histoire. Encore d’autres paradoxes.
La Bible de Ferrare
5La bibliographie sur la première œuvre est immense [7]. Les avatars de ses promoteurs et le sort qu’ont connus le livre et son contenu ont attiré l’attention des érudits dès le XVIe siècle. Ils continuent de le faire. Dans l’« avertissement au lecteur » qui précédait sa traduction espagnole des saintes Écritures, publiée à Basilea en 1569, le réformé espagnol Casiodoro de Reina parlait de conception « frauduleuse » (fraudulenta), fruit de « la haine à l’égard du Christ », lorsqu’il se référait à la Bible de Ferrare [8]. Récemment, Yosef Yerushalmi lui a consacré de belles pages dans l’étude introductive à une nouvelle édition de la Consolaçao às Tribulaçoes de Israel [9], un texte judéo-portugais publié la même année et chez le même imprimeur que la Bible de Ferrare. Yerushalmi précise un certain nombre de points qui méritent d’être signalés.
6Au début de la seconde moitié du XVIe siècle, la communauté des Juifs ibériques exilés à Ferrare disposait de plusieurs imprimeries très bien dotées et fort efficaces pour l’édition des textes sacrés, liturgiques et dévotionnels [10]. Alors que la maison de Samuel Zarfati l’emportait dans le secteur des livres imprimés en caractères hébraïques, Yom Tom Atias et Abraham Usque dominaient celui des éditions en langues vernaculaires, espagnol et portugais. C’est à la collaboration de ces derniers que l’on doit ce titre de gloire livresque que représente la Biblia en lengua Españ ola, une entreprise soutenue et financée par Gracia Nasi, la richissime veuve de Francisco Benveniste-Mendes. Marrane baptisée sous le nom de Beatriz de Luna, elle abandonna le Portugal en 1540 et réussit à gagner Anvers, puis Venise en 1544 pour s’installer finalement à Ferrare en 1549 [11]. Dans la capitale du duché d’Este, où la famille princière garantissait aux Juifs ayant fuit Sefarad une existence à l’abri de toutes menaces et les protégeait, doñ a Beatriz reprit son nom hébreu, Gracia Nasi, et conçut le projet d’aider ses compatriotes dans la tâche de récupération des croyances ancestrales tombées en désuétude, voire dans l’oubli. Elle s’engagea fermement dans la production de livres juifs, les rendant accessibles à la majorité des membres de la communauté par leur prix et la langue. C’est ainsi que la Bible espagnole éditée par Atias et Usque devint l’un des éléments du programme de récupération religieuse et culturelle du judaïsme parmi les marranes réfugiés à Ferrare et dans le reste de l’Italie.
7Bien que la bienveillance des ducs d’Este à l’égard des Juifs parût sûre, les éditeurs de l’Ancien Testament en espagnol durent agir avec prudence. Ils élaborèrent à cette fin une complexe et subtile stratégie de publication. D’abord, ils obtinrent le « privilège », c’est-à-dire le droit et l’autorisation du duc Hercules II, à qui ils dédièrent l’ouvrage, mais pas dans sa totalité. Seule une partie des volumes imprimés (la « variante B » de la Bible de Ferrare) porte en effet la dédicace ducale que Atias et Usque signèrent par ailleurs de leur nom de nouveaux-chrétiens : Jerónimo de Vargas et Duarte Pinel. Pour avoir effectué un « travail si éloigné de nos forces », écrivaient-ils, ils voulaient marquer par cette expression qu’ils avaient été les traducteurs du texte biblique ou au moins les compilateurs et les correcteurs de traductions antérieures. La motivation de leur entreprise était que « la Bible se trouve en toutes les langues, et manque seulement en l’espagnole alors qu’elle est si abondamment utilisée dans la plus grande partie de l’Europe et dans quelques provinces en dehors d’elle ». La « sublime » faveur de Hercules II prémunissait contre les dangers de faire connaître (sacar a luz) la traduction d’une œuvre si « souveraine et divine » (soberana y divina), avec les risques qu’elle perde ainsi « la gravité et la grâce qu’elle a dans [la langue] originale ». La protection princière garantissait une navigation sereine « sur la mer tempétueuse que les langues dénigrées peuvent soulever », qui s’appuyait elle-même sur l’examen que « ses lettrés et l’inquisiteur » avaient fait de l’ouvrage, c’est-à-dire les érudits de la cour de Ferrare. Ces allusions aux tribulations et calomnies, ainsi qu’à un inquisiteur, peut-être un théologien ou un clerc, en tout cas un intellectuel de l’entourage du duc, étaient confortées en couverture par l’image gravée d’un navire aux prises avec la tempête et par la référence à l’« office de l’Inquisition » dans le titre. En réalité, Yerushalmi considère que le Saint-Office, en tant que tel, n’est pas intervenu dans le projet; le livre, en effet, n’a pas obtenu l’imprimatur que l’on avait l’habitude d’ajouter sur une page à part, lorsqu’il s’agissait de la publication du texte sacré par excellence du christianisme ou de l’un de ses composants majeurs [12]. Il est donc permis de penser que l’ensemble des paratextes, qui accompagne plusieurs des volumes de l’édition de la Biblia en lengua Españ ola et se concentre sur l’intérêt philologique et humaniste d’offrir la traduction d’une œuvre fondamentale en espagnol, avait pour but de dissimuler une autre partie des exemplaires édités qui visaient une fin autre et étaient destinés à la communauté juive de Ferrare.
8Cette autre partie existe, en effet, et c’est celle que l’on a l’habitude d’appeler la « variante A » de la Bible de Ferrare. La couverture est identique; pourtant la dédicace n’est pas adressée au duc mais « à la magnifique doña Gracia Naci » (sic). On la voit en train de signer pour les éditeurs, désignés par leur nom juif : Yom Tob Atias et Abraham Usque. Une « œuvre si rare et jusqu’à notre époque jamais vue encore » ne pouvait être adressée à nulle autre qu’à une personne qui, en raison de ses mérites, occupait « la plus sublime place », qui « toujours a favorisé ceux qui sollicitèrent son aide jusqu’à nos jours », dont la « noblesse est naturellement coutumière de ces offices », « parce que la nature elle-même et l’amour de la patrie nous impose cette obligation si nécessaire ». Cet amour pour la patrie doit être identifié avec le sentiment d’appartenance à l’ancien Sefarad, abandonné par la force mais maintenant récupéré par le fait de mettre dans la langue connue et cultivée par tous les exilés, l’espagnol, la sainte Écriture, le Livre que Dieu a révélé à son peuple.
9L’avertissement au lecteur, présent dans les deux variantes de la Bible de Ferrare, revient sur les motifs de l’une et l’autre des deux dédicaces, et les développe dans un entrelacs d’une étonnante subtilité rhétorique. La rédaction de cette page et demie est écrite à la première personne du singulier, comme s’il s’agissait d’un traducteur-compilateur unique, qui revient au début sur les arguments de l’humanisme savant à propos du bienfait que l’on peut attendre des ouvrages, extraite du De Officiis de Cicéron, et en se référant aux traductions de la Bible déjà publiées en italien, français, flamand, allemand, anglais et « jusqu’en Catalogne de notre Espagne on a traduit et imprimé dans la langue catalane elle-même », dit l’auteur du prologue [13]. Mais son patriotisme espagnol ne s’arrête pas là. Il ajoute : « Et puisque dans toutes les provinces d’Europe et d’ailleurs la langue espagnole est la plus répandue et la plus appréciée : j’ai ainsi fait en sorte que cette nôtre Bible, en étant dans la langue Castillane, fût la plus proche de la vérité Hébraïque qui puisse être. » À ce point, et sans transition, la fierté pour l’universalisme hispanique cède le pas à la conscience de la suprématie religieuse du judaïsme, car cette vérité hébraïque est « la source et la véritable origine dont toutes [les autres] procédèrent ». Ensuite, et pour écarter les objections et les menaces, une « pirouette » renvoie à une autorité scripturaire sur laquelle est fondée cette Bible espagnole, version à la fois « aussi conforme à la lettre Hébraïque et aussi acceptée et appréciée à la Curie Romaine » que l’est la traduction en latin du Dr Pagnino de Lucca, la première en cette langue qui ait été faite à partir des originaux hébreux de l’Ancien Testament et grecs du Nouveau, éditée à Lyon en 1528 par Antoine du Ry [14]. Le traducteur-compilateur reconnaissait dans le même temps le recours à d’autres « traductions anciennes et modernes, ainsi que des Hébraïques, des plus anciennes que l’on puisse avoir entre les mains », affirmation dont les recherches postérieures ont démontré l’exactitude. Il s’avère en effet que le Pentateuque de la Bible de Ferrare, par exemple, provient du texte espagnol inclus dans le manuscrit appelé Biblia del duque de Alba, lequel se fonde à son tour sur la traduction réalisée entre 1422 et 1430 par le rabbin Moses Arragel el Experto, qui l’aurait effectuée à la demande de Luis de Guzmán, le grand maître de l’ordre de Calatrava [15]. De telles sources « ont amené à suivre le langage que les anciens Hébreux espagnols utilisaient », mais ceci a permis aussi, selon l’auteur du prologue, de rendre en espagnol « le style et la phrase » de la langue hébraïque. « Et là réside toute la gravité qu’a l’antiquité », et l’on obtient ainsi, par ailleurs, le ton juste des saintes Écritures pour susciter jusqu’à dix leçons avant d’en comprendre le sens, chose ô combien nécessaire, bien que la langue qui en résulte paraisse « barbare et étrange » à qui « présume de sa finesse » ou « aux oreilles des courtisans et fins esprits ». De telle sorte que les fréquentes et contradictoires contorsions du prologue se résolvent en une subtile apologie de la prosodie hébraïque du texte biblique, qui a imprégné l’écriture espagnole, ce qui revenait à revendiquer de manière dissimulée la valeur si particulière de l’expérience juive de Sefarad et à consolider les bases historico-religieuses d’une vigoureuse altérité qui se refusait à disparaître. La Bible de Ferrare est l’instrument de ce sauvetage culturel dans l’Italie de la Renaissance tardive, mais, dans le même temps, l’usage qui est fait de l’espagnol, de la langue parlée et écrite de ceux qui persécutaient les marranes et les crypto-juifs, implique la reconnaissance paradoxale d’un certain universalisme à travers lequel la vérité d’un peuple particulier resplendit mieux. Yerushalmi suggère une semblable oscillation lorsqu’il observe l’étrange insertion d’une sphère armillaire à la proue du navire gravée sur la couverture de notre Bible, ce qui confère à l’objet une double signification symbolique : l’expansion universelle des Portugais et l’espérance pour les Juifs d’un refuge après la tourmente qui les contraignit à l’errance et à la souffrance [16].
10Encore en 1760-1761 (l’an 5522 de l’ère mosaïque), les frères Proops, « Imprimeurs et Marchands de Livres, Hébraïques et Espagnols, à Amsterdam », publiaient le texte espagnol de la Bible de Ferrare, sur deux colonnes, avec le texte hébreu en regard. Dans l’introduction adressée au lecteur, ils reprenaient presque littéralement les arguments de Atias et Usque, en justifiant pour la énième fois l’usage qui était fait de la version castillane : « Il est juste que pour une plus grande Intelligence de la Bible, on ait chaque fois la traduction dans la lengua Materna; c’est la raison pour laquelle on a Imprimé souvent la Biblia españ ola avec une grande exactitude, car elle est la Traduction la plus propre à en rendre la Lettre, ne remplaçant pas un Mot par un autre, ni sautant non plus des mots; puisque la Parole de Dieu est parfaite, il est donc bien mieux de la suivre dans la traduction telle qu’elle est dans l’original [17]. » La Biblia hispano-hébraïque des frères Proops put voir le jour, comme celle de Ferrare, grâce à la générosité d’un mécène, Abraham Mendes de Castro, habitant de Curaçao. Comme sa devancière, la Bible bilingue de l’an 5522 est le résultat raffiné du travail d’une imprimerie fondée par le père des frères Proops, Salomon, « que nous avons, par la grâce de D., hérité du glorieux et Bien-heureux Notre père et Seigneur dont l’imprimerie fut si louée, qu’on la considérait comme le nec plus ultra De La Perfection ».
11Si nous recherchons la matrice schizoïde warburguienne dans la Bible de Ferrare, considérée dans sa matérialité symptomatique, un simple contact avec cet objet livre suffit pour que le lecteur perçoive des suggestions et une pléiade de significations qui lui apparaissent à première vue étranges : l’autorisation incomplète de la censure inquisitoriale, l’énigmatique emblème de la gravure du frontispice, l’ambiguïté des propos dans les deux dédicaces, l’apologie combinée des traditions scripturaires et des innovations philologiques, l’universalisme superposé de la religion et de la langue. Ces significations invitent à un effort d’intégration et d’harmonisation des mobiles présentés dans le paratexte. Les lecteurs juifs et chrétiens du XVIe siècle (ceux-ci étant visés par la dédicace au duc de Ferrare et l’inclusion du large cercle cultivé des philologues) pouvaient chacun dérouler les fils de l’argumentation pour donner une cohérence à la trame complexe des finalités de l’ouvrage. Il paraît certain que la communauté juive de Hollande au XVIIIe siècle n’avait plus besoin d’avancer à mots couverts par le biais de la simulation et de la reconnaissance authentique de quelque grandeur politique que ce soit, comme celui qu’impliquaient les allusions de l’exemplaire de Ferrare à l’universalisme hispanique ou au prince du lieu. En cela, les Proops pouvaient libérer leur objet culturel de grandes ambiguïtés, même si la consécration expressément réitérée du texte révélé du judaïsme dans la langue castillane introduisait encore un caractère schizoïde dans l’ouvrage de 1760-1761, d’une manière incontournable, tout comme la force de la gravitation universelle régit le mouvement des corps.
La Peshitta
12On appelle syriaque la langue de la ville et de la région d’Édesse, branche orientale de la langue araméenne qui était parlée dans le nord de la Syrie et en haute Mésopotamie entre le IIe siècle avant et le Ve siècle après J.-C. Elle est encore en usage dans certaines Églises chrétiennes du Proche-Orient, à des fins liturgiques. La première traduction du Nouveau Testament en syriaque, attribuée à Rabbule, évêque d’Édesse, aurait été effectuée vers 400. Elle est connue sous le nom de version Peshitta des Évangiles et des Actes des Apôtres, ainsi que des épîtres pauliniennes. La première édition imprimée de la Peshitta fut réalisée à Vienne, en 1555, par l’érudit Johann Albrecht Wildmanstädter, avec l’aide du moine syrien Moïse de Mardin, sous les auspices de l’archiduc Ferdinand de Habsbourg [18]. En 1569, Henri Étienne publia à Genève un in-folio comportant le Nouveau Testament en grec, la Vulgate, la Peshitta en caractères hébraïques et une traduction de celle-ci en latin due à Emmanuele Tremellio. L’ensemble est disposé de manière synoptique, sauf pour les passages qui font défaut dans la Peshitta. En 1571, Benito Arias Montano inclut le texte de celle-ci dans la seconde grande Bible polyglotte qu’édita Cristophe Plantin à Anvers. Le volume cinq de cette œuvre gigantesque, dont le principal maître d’œuvre fut Guy Le Fèvre de La Boderie, comporte le Nouveau Testament en quatre colonnes sur deux pages, la première correspondant à la Peshitta en caractères jacobites, la deuxième à la traduction latine de celle-ci, la troisième à la Vulgate et la quatrième à la version grecque canonique; dans la partie inférieure des pages, fut ajouté le texte syriaque en caractères hébraïques [19]. En 1584, Le Fèvre publia à Paris une variante du travail qu’il avait réalisé pour la Bible polyglotte. C’est la deuxième œuvre, dont il est intéressant de comparer le contexte idéologico-culturel avec celui de la Bible de Ferrare. Toute l’attention a été concentrée sur la Peshitta, dans sa transcription en écriture hébraïque, qui comporte, en interlignage, la traduction littérale en latin. De la sorte, la composition lui fait occuper l’espace principal de la page, et non pas la marge inférieure d’une double page comme dans la Bible anversoise, alors que les textes canoniques grecs et latins furent situés, le premier dans la partie inférieure, le second, dans les marges extérieures, à la manière des gloses du bas Moyen  ge. Une telle disposition typographique s’éloigne clairement – et de manière significative – des solutions adoptées dans les deux grandes Bibles polyglottes sorties des ateliers de Cristophe Plantin, et dans l’édition trilingue du Nouveau Testament que l’on doit à Henri Étienne et à Tremellio. Dans ces trois éditions prévaut un double mode de lecture : vertical, suivant la colonne du texte dans une seule langue, ou linéaire, pour comparer les différentes versions entre elles. Le cardinal Cisneros avait établi une interprétation allégorique d’une telle distribution à propos des volumes I à IV de la Bible polyglotte, qui comportait ainsi, de gauche à droite, le texte hébreu de l’Ancien Testament, la Vulgate, la Septante et une traduction latine littérale interlignée. Le cardinal-éditeur disait, dans le prologue du premier volume : « Nous avons mis au milieu, au centre des autres versions, la traduction latine de saint Jérôme comme entre la Synagogue et l’Église orientale, tout comme Jésus fut placé entre les deux larrons et comme l’est, placée, l’Église latine Romaine. Seule celle-ci est édifiée sur une pierre solide et reste toujours immobile, pendant que les autres dévient parfois de la compréhension juste de l’écriture [20]. »
13Il n’est donc pas totalement absurde de faire l’hypothèse que, dans l’organisation typographique du Nouveau Testament choisie par Le Fèvre, il y a un effet voulu et une intention recherchée, une stratégie culturelle que nous allons tenter de dévoiler. Premièrement, il est probable que le lecteur idéal que l’éditeur avait présent à l’esprit était un connaisseur de l’alphabet hébreu, familier en outre de la langue araméenne, c’est-à-dire un rabbi ou un érudit juif. Parmi les exégètes juifs, on sait que l’araméen, appelé chaldéen au XVIe siècle, était une langue fréquentée dans les textes et la liturgie [21]. Deuxièmement, Le Fèvre a peut-être également voulu mettre en évidence, dans cette œuvre qu’il réédita lui-même en 1586 [22], le résultat définitif de son travail et la preuve de sa maîtrise des langues orientales, auxquelles il avait consacré trente ans de sa vie. Il n’est pas inutile de rappeler quelques éléments de la biographie du personnage. Né en 1541, il étudia plusieurs langues dès son adolescence, ce qui lui valut d’être sollicité par Guillaume Postel, aux temps où ce fantasque et pittoresque philosophe écrivait des textes sur la « république des Turcs » et se proposait de convaincre le roi de France d’assumer un rôle quasi messianique et hégémonique par le biais d’un programme politique et culturel destiné à obtenir la concorde universelle [23]. Le Fèvre de La Boderie réalisa dans ce cadre une traduction latine de la Peshitta, ce qui lui valut une grande réputation parmi les cercles des érudits bibliques; et c’est le pape Pie IV lui-même qui demanda à Charles IX d’accorder à Guy l’autorisation de s’installer à Anvers et de participer à l’édition de la Bible polyglotte dirigée par Arias Montano. La Boderie s’exécuta et resta à Anvers de 1556 à 1571. À son retour à Paris, il voulut devenir le « poète chrétien » par excellence de la Cour et il occupa le rôle d’apologiste de la cause catholique. Il traduisit en français plusieurs œuvres fondamentales du néoplatonisme de la Renaissance : l’Oratio de Pic de La Mirandole, le De Christiana religione, le De Triplici vita et le commentaire au Banquet de Platon, écrits par Marsile Ficin, et le De Harmonia mundi totius de Francesco Giorgio. Il s’intéressa à la comète de 1572 et composa un long poème scientifique : La Galliade, ou de la révolution des arts et sciences, où il considérait que ces disciplines étaient revenues, après un long exil et bien des infortunes, vers leur patrie naturelle, la France. Le Fèvre mourut en son château de La Boderie en 1598.
14Nous sommes donc en présence d’un homme qui a dû partager le programme culturel – déjà séculier – du néoplatonisme florentin, un courant de pensée fondé sur l’idée de l’unité intime et finaliste de la civilisation humaine depuis l’Égypte jusqu’à l’époque moderne, et qui cherchait à convertir cette harmonie fondamentale en une concorde pacifique entre les nations. Un tel projet eut ses variantes protestante et catholique à partir du concile de Trente, et Le Fèvre a milité aux côtés de l’Église de Rome [24]. Mais, pour tous les néoplatoniciens, de part et d’autre de la barrière confessionnelle, la reconnaissance de l’héritage juif et les possibilités concrètes de la conversion volontaire de ce peuple au christianisme représentaient un enjeu crucial qui permettaient de comprendre l’histoire de l’humanité, de lui conférer une signification univoque et de nouer ensemble le passé et le futur [25]. Comme dans le cas de Postel, le rôle du roi de France dans cette destinée commune de l’humanité devait jouer un rôle déterminant et bénéfique. Frances A. Yates a envisagé cette question et proposé l’idée qu’il a pu exister un accord secret entre catholiques et protestants qui aurait mis un terme aux controverses et rassemblé ces hommes dans une confrérie occulte et clandestine, la « Famille de l’Amour », une secte qui aurait contrôlé l’édition plantine de la Bible polyglotte et qui, précisément dans les années 1583 et 1584 où La Boderie éditait la Peshitta en caractères hébraïques, était engagée dans un rapprochement politique entre les monarchies française et anglaise afin de freiner l’expansionnisme impérial des Habsbourg. F. A. Yates insiste sur l’importance que les membres de cette « Famille » ont dû accorder à la totale réhabilitation de l’hébraïsme au sein d’un christianisme refondé et purifié [26].
15Une analyse des paratextes de la traduction que fit Guy Le Fèvre du De Harmonia mundi totius, écrite par le franciscain Francesco Giorgio et publiée à Venise en 1525, met en évidence plusieurs connexions entre le néoplatonisme de la fin du XVIe siècle, le vœu de pacification d’une Europe déchirée par les haines confessionnelles, l’attente apocalyptique et le salut des Juifs. Le plus intéressant, ici, est que l’on retrouve cette même séquence d’arguments, programmes et émotions dans l’édition boderienne de la Peshitta, dans un rapport étroit avec les problèmes que pose la philologie biblique. Le Fèvre édita son Harmonie du Monde en 1578 [27], accompagnée d’une traduction française de l’Heptaplus, écrite par son frère Nicolas Le Fèvre de La Boderie. Après qu’un exemplaire de l’œuvre de Giorgio, à son retour d’Anvers une fois achevée l’impression de la Bible polyglotte, lui passa entre les mains, il déclare que :
[...] l’ayant leu, me pleut tellement, tant pour son incorrompable doctrine, belle disposition, et ordonnance, que pour y recognoistre les mesmes Idées et Conceptions que j’avois desseignées en mon Encyclie des secrets de l’Éternité [28], que tout soubdain je me senty épris de le traduire en notre langue Françoise, pour ouvrir aux notres les Cabinets et le Sacraire, où peu d’hommes paradventure ont encor eu entrée, et pour tousjours continuer le service que je veux rendre et à l’Église Catholique, et à ce royaume jadis orné de faict comme du titre et nom de Treschretien [29].
17Ces propos, qui se trouvent à la fin de l’épître de la dédicace de l’édition de L’harmonie à Monsieur Des Prez, « gentil-homme de Paris », résument en réalité ses appréciations, présentes dans la même lettre, sur les conséquences du travail de Giorgio et trouvent un écho dans d’autres livres de Guy lui-même, La Galliade et les Hymnes ecclésiastiques. Les deux auteurs coïncident pour mettre en parallèle l’harmonie et l’hyménée du ciel et de la terre avec la concorde entre la famille d’Israël et celle, apostolique, de Jésus-Christ; le Messie a uni les extrémités cosmiques et réuni « toutes choses en soy en perfection [30] ». Le Fèvre aurait obtenu de plus grands honneurs et acquis une plus grande réputation s’il s’était consacré uniquement aux traductions de l’hébreu, du syriaque et du chaldéen, qui étaient sa spécialité, mais il préféra s’occuper de L’harmonie du monde au bénéfice et au profit du royaume de France. Car, dans cette concorde entre les « maison de Jacob et Église d’Israël », d’une part, et la famille apostolique, d’autre part, on retrouve le secret de toute la « Theologie revolutive et prophetique » que développa l’abbé Joachim Calabrois (Joachim de Flore) et que cultivèrent également l’abbé Ruppert [31], « le docte cardinal de Cusa », le comte Pic de La Mirandole et l’auteur du livre intitulé Onus Ecclesiae ou la charge de l’Église [32]. Nous allons voir jusqu’à quel point les références de Guy dans son Harmonie du monde correspondent aux auteurs qui sont mentionnés dans le prologue de son édition de la Peshitta. Signalons seulement que Le Fèvre projette sur le texte de Giorgio la même teneur de régénérescence millénariste qui prévalait dans son esprit au moment de publier le Nouveau Testament dans sa version trilingue. Le passage qui suit l’épître à Des Prez réunit les courants du néoplatonisme et de l’herméneutique biblique pour hâter la venue d’une paix fondée sur la réconciliation universelle des croyances :
[...] Et de vray qui entendra bien sa concordance du vieil et nouveau Testament, et ensemble la concorde de l’Astronomie avec la Geographie pourra facilement penetrer en la rec[h]erche et cognoissance des plus profonds secrets et mysteres de l’escripture saincte, voire paradventure flairer comme de loing, et veoir comme d’une haute eschauguette quelques Ombres et obscures apparences du restablissement de l’Église tant desiré de tous les gens de bien [33].
19Le Nouveau Testament édité par Le Fèvre en 1584 [34] est adressé à Henri III de France et de Pologne, Rex cristianissimus, « protecteur et libérateur de la religion chrétienne ». Sa longue dédicace traite de « quelques conjectures certaines quant aux signes qui précéderont l’ultime venue du Fils de l’homme ». Ce ton apocalyptique et messianique, dont, probablement, La Boderie suggère d’imprégner la lecture du texte de la Peshitta et des versions grecque et latine mises entre les mains de l’hypothétique destinataire juif auquel nous avons fait allusion, reçoit confirmation dans la citation grecque qui sert d’incipit à l’ensemble de l’œuvre : une phrase extraite de la Theophilestate Diakoro Olympiadi, Epistolè, écrite par saint Jean Chrysostome en 404 [35], où le saint byzantin fait l’éloge de la veuve qui, suivant le récit qu’en donne l’Évangile selon saint Luc (21,1-4), offrit tout son pécule de deux oboles et, par cette charité sans calcul, surpassa tous les riches quant à la compensation et à la faveur divine qu’elle pouvait en attendre. Remarquons que ces versets de l’évangéliste, à leur tour, précèdent une longue péricope (21,5-36) dans laquelle le Christ lui-même parle des temps apocalyptiques, de la destruction du Temple de Jérusalem, de la venue imminente du règne de Dieu et des signes précurseurs de la manifestation du Fils de l’homme. La Dedicatio est un long argumentaire historique et politique qui cherche à connaître le nombre d’années qui nous sépare de la Fin des temps, bien que Le Fèvre accepte, en principe, les objections de saint Augustin contre cette obsession fautive, signe de l’orgueil de l’homme qui aspire à connaître les décrets divins, de multiplier les calculs pour savoir si ces Temps sont près d’advenir [36]. Mais, d’un autre côté, notre éditeur croit qu’il serait sot et dangereux de nier l’existence de tous ces signes qui se sont multipliés dans les années immédiatement antérieures à son entreprise éditoriale, en même temps qu’il égrène les noms des grands saints, hommes et femmes de l’Église chrétienne, qui ont fourni des précisions et des indications dignes de foi sur les épisodes apocalyptiques, depuis saint Matthieu au chapitre XXIV de son Évangile, les Pères grecs et latins des premiers siècles du christianisme, jusqu’aux modernes comme l’abbé Joachim de Flore, sainte Brigitte de Suède, le cardinal de Cuse, Savonarole, Pic de La Mirandole et Francisco Giorgio.
20Les prophéties de l’abbé Joachim méritent un examen détaillé, car elles peuvent être mises en relation avec l’analyse de la situation du christianisme dans le monde du XVIe siècle. Le bénédictin avait annoncé, quatre cents ans auparavant, que l’Église subirait trois fléaux, qui la frapperaient aussi bien dans le domaine spirituel, ses biens séculiers que dans la chair même de ses ministres. Le premier renvoie à la présence d’hérétiques et de schismatiques. Au vu des événements contemporains de Le Fèvre, la prophétie s’est réalisée, puisque l’on trouve plus de soixante sectes chrétiennes en Europe, bien qu’elles aspirent toutes à se regrouper sous « l’unique colombe de l’Église », ajoute-t-il, pour terminer sur une note optimiste. Le deuxième châtiment s’est également avéré exact; il est même la conséquence du premier, en raison des abus que commirent les ecclésiastiques. Mais il est raisonnable de penser que l’Église sortira purifiée pour l’avenir de ce dépouillement qu’elle a subi; c’est en tout cas l’espoir de La Boderie. L’heure de la troisième calamité ne semble pas encore être échue, puisque la prophétie allait jusqu’à annoncer la captivité du souverain pontife et des plus hauts dignitaires de l’Église entre les mains des musulmans. Ici, l’éditeur considère qu’il est possible de conjurer, par la pénitence et la prière, la réalisation d’un tel malheur; il est donc raisonnable d’espérer une prochaine régénération de l’Église, capable d’éloigner pour ses ministres le péril de la prison.
21Les guerres qui déchirent l’Europe depuis la rébellion de Luther constituent le meilleur ensemble de signes qui annoncent la Parousie. Le venin de la Réforme s’est propagé au nord et à l’est du continent et, au sud, où ces hérésies n’ont pu prendre racine solidement, ou bien il est resté des traces de la domination séculière des Maures, que l’Inquisition est obligée d’extirper, ou bien « les dogmes séduisants d’Aristote et d’Averroès sont écoutés parfois avec plus de délectation que les lois de Moïse ou l’Évangile du Christ ». Pour ce qui est de l’Asie et de l’Afrique, seule l’Éthiopie est restée chrétienne et a échappé à la « peste musulmane », idolâtrie dont les modernes navigateurs ont retrouvé des traces jusqu’en Extrême-Orient et dans l’Amérique indigène. Le Fèvre signale donc au roi Henri combien est encore éloigné l’espoir d’une réunion de l’humanité sous les auspices de l’Évangile, de voir un seul troupeau derrière un unique pasteur. Il y a malgré tout quelques signes encourageants, comme l’expansion du christianisme au Nouveau Monde et la survie de l’Empire romain, institution qui n’a pas disparu grâce au secours apporté par le royaume des Francs à l’Église catholique. Sur toutes ces questions, la position – présente et future – du souverain français incarne les plus hautes promesses; son règne et son rôle dans une Europe divisée par le schisme et menacée par l’islam mèneront à bien l’équitable réconciliation et la mission libératrice qui conduira de nouveau le christianisme jusqu’à Jérusalem.
22Vient ensuite dans la Dedicatio un passage en revue des traces dispersées par toute la Terre, qui démontrent l’existence de communications fluides et pacifiques entre toutes les parties du monde depuis les époques les plus reculées : défilent ainsi les vestiges archéologiques, les toponymes, les informations des voyageurs, les légendes hagiographiques, les coïncidences découvertes par la philologie, les prodiges naturels, les preuves qu’il a bien existé une unité du genre humain qui doit culminer avec la conversion finale de tous les peuples à la foi chrétienne. À ce moment de la Dedicatio, on comprend que les travaux linguistiques réalisés par les humanistes et les érudits, qui consacraient leurs efforts à la recherche des meilleurs manuscrits bibliques en langues orientales, à la publication des versions les plus pures à la lumière de la Tradition dans les Bibles polyglottes, ont élaboré les outils parfaits pour lancer l’offensive universelle, finale et triomphante, qui obtiendra l’union définitive de l’humanité au christianisme. La Boderie ne regarde pas pour autant avec dédain les signes célestes, comme l’apparition de la supernova de Cassiopée, phénomène astral qui réédite celui de l’étoile qui guida les Rois mages vers le Christ, de telle sorte que le monde paraît prêt à recevoir sa seconde venue. Après ce long excursus, cet « interprète des langues pèlerines » revient à l’œuvre dédiée au Roi très chrétien, la Peshitta en caractères hébraïques, qui, même sans les signes habituellement en usage dans l’écriture de l’hébreu ou du chaldéo-araméen, est « candidate à sa plus large diffusion » parmi les Juifs. Le syriaque, selon Guy, fut la langue « parlée et vernaculaire » dans laquelle le Christ a prêché et les apôtres ont transmis son évangile (remarquons que les adjectifs sont ceux-là mêmes qu’utilise Tremellio, ce qui pourrait laisser à penser que Le Fèvre connaissait la version de Emmanuele, s’il ne la cite pas), celle également dans laquelle s’est faite l’Annonciation et dans laquelle s’exprimait la Vierge (Tremellio ne suggère jamais que la langue syriaque fut en relation avec Marie, peut-être pour marquer son intransigeance protestante). Surtout, le syriaque est parfaitement compréhensible pour les Juifs modernes, de telle sorte qu’ils « liront et comprendront » sans difficulté, « dans les termes mêmes et dans la langue populaire de leurs ancêtres, l’Évangile de Jésus, le Messie véritable », et seront prêts à faire partie « du troupeau de tous les peuples ». Jésus-Christ purifiera alors les consciences des hommes et fera de celles-là, comme il le fit pour les saints, sa demeure pour toujours.
23La Peshitta éditée par La Boderie a développé, dans une certaine mesure, un paradoxe inverse de celui que nous avons mis en évidence avec la Bible de Ferrare. En plaçant au centre du processus de lecture le texte en caractères hébraïques, il cherchait à obtenir une conversion qui en finirait avec l’identité jusque-là irréductible du peuple juif, mais reconnaissait, dans le même temps, l’antique grandeur de l’écriture sacrée qu’inventèrent les pères de ces négateurs du rôle messianique du Christ dans l’histoire. Faisons jouer à nouveau la matrice que nous avons proposée au début de cette étude. Le Nouveau Testament de 1584 admettait, en principe, autant de lecteurs qu’il comportait de textes, ou plutôt de traductions syriaques et latines correspondant à un proto-texte, celui-ci écrit en grec, qui fut aussi imprimé selon les mêmes règles de correspondance. En d’autres termes, des lecteurs du grec, du latin ou du syriaque, soit ce public capable de lire une seule de ces langues écrites ou de manier le latin et le grec, le latin et le syriaque, le grec et le syriaque, voire les trois langues à la fois. Les combinaisons concernaient sans doute un public d’érudits fort restreint, que l’on pense au syriaque ou à ceux qui étaient capables de comprendre les trois versions. Mais, en vérité, on peut penser qu’il y avait au moins deux types de lecteur idéal que visait l’éditeur : d’une part, le lecteur juif, pour qui le texte syriaque fut placé au centre de la double page du livre ouvert; d’autre part, le lecteur majoritairement chrétien, qui se serait attardé certainement sur le texte latin du prologue, de la plume du même auteur, avant de s’affronter aux Écritures. Il est donc possible que le dessein d’offrir aux Juifs le Nouveau Testament dans une langue écrite, presque entièrement accessible à leur savoir et à leur expérience, était dissocié des buts manifestés dans l’exposition messianique du prologue. On aurait de la sorte une forte tension explicite ab initio entre les usages que les lecteurs idéaux pouvaient faire de l’ouvrage. Il est probable que La Boderie a joué de cette tension et fait en sorte que du conflit des réceptions induites surgisse l’espace propice à la convergence rêvée des religions en un christianisme sublimé.
24Alors que tout le contexte signalait ces livres comme de puissants vecteurs intellectuels des impitoyables mécanismes de contrôle de l’exclusion-inclusion dans l’ordre social de la première et implacable modernité européenne, le fait que deux ouvrages édités au XVIe siècle soient devenus, en raison même de la vigueur des échos que leur présence matérielle et culturelle suscita, des instruments paradoxaux d’une tolérance humaine taillée en pièces, encore inconcevable en ces temps tragiques de guerres et de haines religieuses, ne laisse pas de surprendre et d’alimenter nos propres espérances quant à l’avenir. La comparaison des deux cas considérés avec celui des Bibles sixtine et clémentine est sans doute à même d’offrir un contrepoint fort, elles qui furent réalisées sous l’impulsion de l’autorité ecclésiastique suprême et avec un zèle vigilant afin d’établir au contraire l’univocité du texte et de sa signification.
Les Bibles sixtine et clémentine
25Dans sa IVe session du 8 avril 1546, le concile de Trente avait établi le canon biblique, « pour que l’on ne puisse pas avoir l’ombre d’un doute sur la question de savoir quels sont les livres sacrés acceptés par ce Synode », qui font tous partie de « l’ancienne édition vulgata latine ». Ce même décret jetait l’anathème sur ceux qui n’accepteraient pas le caractère sacré et canonique des textes qui y étaient énumérés [37], mais il ne donnait pas plus de précision sur l’édition à laquelle se référer. Un décret voté lors de la même session [38] « sur l’édition et l’usage des livres sacrés » ne clarifiait pas davantage ce point, puisqu’il se limitait à dire que « l’on tiendra pour authentique l’ancienne et vulgata édition elle-même, éprouvée par le long usage qui en fut fait à travers les siècles dans l’église, les lectures publiques, les controverses, prédications et expositions, pour que personne n’ose ou s’avise de la rejeter sous aucun prétexte ». Il semblait clair que les prélats réunis à Trente avaient à l’esprit la traduction latine réalisée au Ve siècle par saint Jérôme. Pourtant, cette fois, le concile ordonnait « haec ipsa vetus et vulgata editio quam emendatissime imprimatur [39] ». De sorte que, à compter de la clôture de l’assemblée conciliaire en 1563, le monde catholique est resté dans l’attente d’un décret pontifical qui résolve le problème de savoir laquelle des éditions imprimées qui circulaient avec l’autorisation de la censure ecclésiastique (nombre d’entre elles présentaient les garanties exigées par le « emendatissime »), ou bien quelle nouvelle édition, préparée et supervisée par le Saint-Siège, devait être considérée comme le texte officiel du christianisme romain. Le problème tarda tant à être résolu que nombreux furent les évêques qui adoptèrent dans la pratique l’une des deux versions de la Bible de Louvain, éditées en 1547 et en 1574, avec l’intervention des docteurs de la faculté de théologie de l’université de cette ville, parmi lesquels se détachait Jean Vermeulen de Louvain, dit Molanus [40]. Pendant ce temps, le roi Philippe II encourageait la grande entreprise de la Polyglotte d’Anvers, avec le secret espoir, peut-être, de faire de ce monument d’érudition scripturaire et humaniste le texte canonique définitif.
26Cependant, sous le pontificat de Sixte Quint (1585-1590), le cardinal Antonio Caraffa fut nommé président de la commission chargée d’accomplir ab ovo l’injonction du concile : on commença donc à travailler intensément sur les manuscrits réunis à la Bibliothèque vaticane, on installa une imprimerie spéciale dans le palais du pape, placée sous la direction de Alde Manuce le Jeune, et Sixte Quint lui-même aux tâches d’édition, consultant documents et révisant les épreuves. Enfin, en 1590, la Biblia Sacra vit le jour, expurgée « selon la prescription du concile de Trente ». Connue sous le nom d’« édition sixtine de la Vulgate [41] », elle était précédée du texte de la bulle Aeternus ille, dans laquelle on exaltait l’œuvre du pape et de ses érudits conseillers, et qui ordonnait que cette Vulgate fût la seule qui puisse être considérée comme « vraie, légitime, authentique et indubitable, dans tous les débats, toutes les lectures, prédications et explications, publiques et privées » de la Chrétienté. L’adjectif « privé » manifestait une intromission explicite (inédite même) dans l’intimité du fidèle. Il serait difficile d’en trouver des exemples plus radicaux, du fait que la bulle insistait sur le fait que « pas même la plus infime partie » de cette Bible ne pouvait être « changée, ajoutée ou retranchée », sans que le téméraire ne fût objet de l’« indignation du Dieu Tout-Puissant et des saints apôtres Pierre et Paul ». L’obéissance aux ordres conciliaires était si stricte que la bulle Aeternus ille indiquait explicitement que l’on avait également écarté de l’édition sixtine les troisième et quatrième Livres d’Esdras, le troisième Livre des Maccabées et la Prière de Manassé, inclus dans des éditions de la Bible approuvées jusqu’alors, mais rejetés par le décret de 1546.
27Mais voilà que l’édition sixtine suscita les critiques les plus passionnées à l’intérieur même du Vatican, peu après la mort de son inspirateur, Sixte Quint, le 27 août 1590. On fit remarquer qu’il y avait de manifestes erreurs dans le travail, que les érudits en charge du travail avaient eux-mêmes repérées et corrigées à la main dans les exemplaires déjà imprimés de la Biblia Sacra. On dit que nombreuses et sensibles étaient les disparités entre ce texte et celui en usage dans la liturgie des milliers de paroisses dispersées à travers l’immensité géographique de la catholicité, si grandes que cela aurait représenté un travail gigantesque que d’adapter à la désormais unique édition « vera, legitima, authentica et indubitata » ces passages lus et commentés chaque jour. Les jésuites, en particulier, se montrèrent sans pitié à l’égard de l’œuvre, peut-être parce que l’on avait fait obstacle à leur participation dans la commission au temps de Sixte. Quoi qu’il en soit, en 1591, une nouvelle commission fut désignée, sous la présidence du cardinal Marco Antonio Colonna, qui comptait avec la participation très active de Robert Bellarmin, le plus illustre théologien de la Compagnie. À la fin de 1592, Clément VIII étant pontife (1592-1601), une seconde Biblia Sacra fut imprimée, cette fois définitive, qui serait appelée l’« édition sixto-clémentine » ou, plus simplement, la « Clémentine ». La « Préface au lecteur », non signée, comme s’il s’agissait de l’attribuer à l’ensemble de la commission d’érudits, bien que l’on reconnaisse le style et l’intelligence sibylline de Bellarmin, est un petit chef-d’œuvre de manipulation politico-éditoriale d’un texte singulier, le « Texte des textes », en fin de compte, pour toutes les civilisations chrétiennes. S’y combinent l’opération de fermeture et de contrôle de la signification à côté de l’acceptation de libertés qui pourraient être faites de sa lecture, l’anathème répété et la légitimation ingénieuse de sa violation. C’est sur l’analyse de cette préface que nous achèverons cette étude.
28Cette entrée en matière commence par un éloge du concile, car, de tous les bénéfices qu’il a légués à l’Église, le moindre n’est pas celui d’avoir achevé le travail d’établissement d’une version authentique et sûre des saintes Écritures, qui dissipera les confusions générées par toutes les variantes en circulation et détruira les distorsions que lui ont fait subir les modernes hérétiques. Le panorama n’était pas très différent aux origines du christianisme, car c’est seulement quand Augustin et, plus tard, Grégoire ont reconnu la supériorité inspirée de la Vulgate, œuvre de Jérôme, que la nouvelle religion eut à sa disposition le texte sacré en un latin clair et sûr. Non seulement le rôle de l’édition clémentine à la fin du XVIe siècle pouvait se comparer à celui qu’avait joué la Vulgate, mais il signifiait également un retour à l’œuvre de saint Jérôme et son apothéose, vénérée par toute la tradition de l’Église romaine depuis Bède le Vénérable jusqu’à saint Bonaventure. Que le temps eût fait son œuvre ne pouvait être nié : des interprètes audacieux y avaient apporté des corrections sans justification aucune et, au cours du siècle qui suivit l’invention de Gutenberg, s’y ajouta « l’incurie des imprimeurs »; de sorte qu’une telle entreprise était nécessaire, rappelée et appelée de ses vœux par le concile tridentin à ses débuts. Après 1560, les évêques accrurent leur vigilance pour empêcher la témérité des imprimeurs et réfréner les libertés qu’ils prenaient. Le pape Pie IV (1559-1565) poussa à l’extrême ses mesures, en même temps qu’il commençait à rassembler à Rome les experts, théologiens et biblistes, qui allaient préparer l’« haec ipsa vetus [et] vulgata editio [...] emendatissime ». Pie V (1566-1572) poursuivit ces efforts, et c’est finalement Sixte Quint qui réussit à publier la version authentique tant attendue.
29Aucun de ces détails, au sujet de l’édition sixtine, ne semble avoir été vrai; on suspecte que c’est bien plutôt une invention des éditeurs clémentins pour justifier qu’une nouvelle commission pontificale de cardinaux et de docteurs, nommés par Urbain VII pendant son bref pontificat en 1591, passe outre les anathèmes lancés dans la bulle Aeternus ille et produise une nouvelle Bible, qui comportait de nombreuses divergences par rapport à la Sixtine. Que le titre officiel, quelque peu étrange prima facie, du livre fût Biblia Sacra Vulgatae Editionis Sixti Quinti Pont. Max. iussu recognita atque edita, sans aucune référence au pape régnant, Clément VIII, et que le dessin de la couverture fût exactement le même que celui de l’édition sixtine, manifesteraient d’autres stratégies consacrées pour le contournement de cet anathème [42]. Les exégètes protestants ont très vite pointé cette contradiction, quasi scandaleuse, entre les deux Bibles catholiques et se moquèrent de la manœuvre qu’ils attribuèrent au mauvais génie des jésuites : « Telle est la constitution qui devait être perpétuelle, promulguée par le pouvoir de l’autorité Apostolique, qui tint à peine trois années [43]. » De toute manière, l’auteur du prologue tenait la version de 1592 pour une version « corrigée avec la plus grande diligence », « la mieux expurgée, la plus pure de toutes celles qui sont utilisées jusqu’à ce jour », et non pour une nouvelle version au sens strict du terme : « Propositum non fuit, novam aliquam editionem cudere », mais « purgée des erreurs, rétablie dans l’intégrité et dans la pureté originelles » de la Vulgate de Jérôme. Les va-et-vient de l’argumentation entre rigueur et respect de la Tradition (quelque peu factice quant à la référence à l’édition sixtine immédiatement antérieure), d’un côté, et nouveauté des précisions et trouvailles philologiques, de l’autre, entre vigilance réitérée et licence concédée, s’étendent au problème du canon, puisque les livres controversés ne sont pas rejetés, mais imprimés à part de la série canonique. En ce qui concerne les notes marginales de la concordance et les préfaces explicatives à chacun des livres des deux testaments, si la Clémentine de 1592 les écarte, l’auteur du prologue laisse clairement la porte ouverte à leur libre inclusion dans les impressions ultérieures; de fait, l’exemplaire Plantin de 1608 incorpore les concordances, le prologue « Praefatio ad lectorem » et, à chaque livre, les introductions écrites par saint Jérôme.
30La comparaison des deux éditions de la Bible, celle de Atias-Usque et celle de Guy Le Fèvre de La Boderie, avec les éditions sixtine et clémentine fait apparaître de forts contrastes. Les deux premières s’inscrivent explicitement dans des contextes précis et ne valent que pour un temps et une circonstance déterminés; elles manifestent donc une certaine liberté interprétative. Au contraire, les deux dernières, bien encadrées par l’orthodoxie, se veulent les versions définitives des saintes Écritures, pour l’éternité si l’on ose dire. Pourtant, il semble que les éditions pontificales, fruits d’une farouche volonté d’uniformité et d’un contrôle idéologique intraitable, n’échappèrent pas, dès le moment de leur production, aux incertitudes sémantiques et aux querelles d’interprétation. Une nouvelle fois, et au cœur même d’une opération d’enfermement du signifié et de refoulement des ambiguïtés dont le bilan semble pencher du côté de l’efficacité, nous rencontrons le caractère irréductiblement schizoïde de l’objet culturel de nos dévoilements. Liber semper liberat.
31 Traduit par Jacques Poloni-Simard
Mise en ligne 01/12/2003
Notes
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[1]
ELIZABETH EISENSTEIN, La revolució n de la imprenta en la Edad moderna europea, Madrid, Akal, 1994.
-
[2]
L’histoire qui entoura l’impression, en 1537, du Cymbalum Mundi, attribué à Bonaventure Des Périers, est peut-être un exemple précoce de ces conflits.
-
[3]
ABY WARBURG, Images from the Region of the Pueblo Indians of the North America, Ithaca, Cornell University Press, 1995 (traduction et essai interprétatif par Michael Steinberg); PHILIPPE-ALAIN MICHAUD, Aby Warburg et l’image en mouvement, Paris, Macula, 1998; CARLO SEVERI, « Warburg anthropologue, ou le Déchiffrement d’une utopie. De la biologie des images à l’anthropologie de la mémoire », L’homme, 165,2003, pp. 77-128; GEORGES DIDI-HUBERMAN, L’image survivante. Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, Paris, Éditions de Minuit, 2002.
-
[4]
ABY WARBURG, Le rituel du serpent. Art et anthropologie, Paris, Macula, [1988] 2003, pp. 74-75. Voir JOSÉ EMILIO BURUCÚ A, Historia, arte, cultura. De Aby Warburg a Carlo Ginzburg, Buenos Aires, Fondo de Cultura Econó mica, 2003, pp. 22-28.
-
[5]
Biblia en lengua Españ ola traduzida palabra por palabra dela verdad Hebraica por muy excelentes letrados vista y examinada por el officio de la Inquisicion, Ferrare, Yom Tob Atias y Abraham Usque, 1553.
-
[6]
H KAINH DIAQHKH. Novum Iesu Christi D. N. Testamentum, Paris, Ioann. Benenatum, 1584.
-
[7]
Voir THOMAS HERBERT DARLOW et HORACE FREDERICK MOULE, Historical Catalogue of the Printed Editions of Holy Scripture in the Library of the British and Foreign Bible Society, Londres, The Bible House, 1911, vol. II, t. 3, no 8467, pp. 1427-1428.
-
[8]
Ibid., vol. II, t. 3, no 8472, pp. 1431-1432.
-
[9]
SAMUEL USQUE, Consolaçao às Tribulaçoes de Israel. Ediçao de Ferrara, 1533, édité et présenté par Yosef Yahim Yerushalmi et José V. de Pina Martins, Lisbonne, Fundaçao Calouste Gulbenkian, 1989.
-
[10]
YOSEF YAHIM YERUSHALMI, Introduction à S. USQUE, Consolaçao..., op. cit., pp. 82-85.
-
[11]
Sur la vie aventureuse de cette femme extraordinaire, se reporter à la biographie que lui consacra Maria Giuseppina Muzzarelli, « Beatriz de Luna, viuda de Mendes, Ilamada doña Gracia Nasi : una hebrea influyente (1510-c. 1569) », publiée dans OTTAVIA NICCOLI (éd.), La mujer del Renacimiento, Madrid, Alianza Editorial, 1993, pp. 115-147, ici p. 128, pour l’analyse de son rôle dans la publication de la Bible. En 1553, Gracia s’installa définitivement à Constantinople, où elle y développa ses activités commerciales et joua un rôle diplomatique de dimension internationale au service du sultan; elle continua, par sa fortune et ses initiatives philanthropiques à protéger les Juifs réfugiés de la péninsule Ibérique.
-
[12]
Y. Y. YERUSHALMI, Introduction à S. USQUE, Consolaçao..., op. cit., pp. 89-90.
-
[13]
T. H. DARLOW et H. F. MOULE, Historical Catalogue..., op. cit., vol. II, t. 3, no 8646, pp. 1466-1467. Il est possible que notre scholar fasse référence à la Bible imprimée par Alfonso Fernández et Lambart Palmart à Valence en 1477-1478, qui est une traduction en catalan, dans sa forme valencienne, mentionnée dans l’Exhortació n qui ouvre la Biblia españ ola, que es, los sacros libros del viejo y nuevo testamento de 1602, écrite par le réformé espagnol Cipriano de Valera qui a complété la traduction faite par Casiodoro de Reina.
-
[14]
Ibid., vol. II, t. 2, no 6108, pp. 924-925.
-
[15]
Ibid., vol. II, t. 3, no 8657, p. 1469.
-
[16]
Y. Y. YERUSHALMI, Introduction à S. USQUE, Consolaçao..., op. cit., p. 92.
-
[17]
Biblia en dos colunas Hebrayco y Españ ol. En la primera coluna el original Hebraico, con todas las perfecciones en las letras, puntos y Taamim, con las anotaciones de Or Torá, poniendo cada coza en su lugar. En la segunda coluna la traduccion en la lengua Españ ola; y buscamos la palabra mas propia en aquella lengua, para exprimir el sentido del texto; para lo qual añ adimos a las vezes alguna palabra inter () lineas para mayor coareza, Amsterdam, Joseph, Iacob et Abraham Proops, 5522 (1760-1761), souligné dans le texte.
-
[18]
T. H. DARLOW et H. F. MOULE, Historical Catalogue..., op. cit., vol. II, t. 3, no 8947, pp. 1528-1530.
-
[19]
Ibid., vol. II, t. 1, no 1422, pp. 9-12.
-
[20]
Ibid., vol. II, t. 1, no 1412, p. 4.
-
[21]
Dans l’introduction de la Bible des frères Proops, il est dit : « Ezrá ordonna, pour que le peuple comprît ce qu’ils lisaient dans les Livres de la Loi, que l’on traduisît dans la langue Chaldayca; de sorte qu’il y avait deux lecteurs, un qui disait le verset par le Sepher Torá, et un autre qui le paraphrasait en Chaldaico. Il est certain que, elle non plus, la langue Chaldayca, n’est pas aujourd’hui communément comprise, bien que cela soit de notre devoir de lire la Parassá de la semaine une fois en Chaldaico après l’avoir dite deux fois en hébreu [...]. »
-
[22]
T. H. DARLOW et H. F. MOULE, Historical Catalogue..., op. cit., vol. II, t. 1, no 1423, p. 13.
-
[23]
JOSÉ EMILIO BURUCÚ A, Corderos y elefantes. La sacralidad y la risa en la modernidad clá sica – siglos XV a XVII, Buenos Aires-Madrid, Miño y Dávila, 2001, pp. 90-91; NICOLÁ S DE CUSA, Sobre la paz de la fe, introd. de Lucio Adrián et José Emilio Burucú a, Buenos Aires, Cálamo, 2000, pp. 59-69.
-
[24]
Voir FRANCES A. YATES, La filosofía oculta en la época isabelina, Mexico, Fondo de Cultura Econó mica, [1979] 1982, ici pp. 55-69 et 163-188; ID., El iluminismo e rosacruz, Mexico, Fondo de Cultura Econó mica, 1981, pp. 13-59; ID., Ensayos reunidos. Il Renacimiento y Reforma : La contribució n italiana, Mexico, Fondo de Cultura Econó mica, 1991, pp. 262-390.
-
[25]
ID., La filosofía oculta..., op. cit., pp. 189-228 et 279-310.
-
[26]
ID., Astraea. The Imperial Theme in the Sixteenth Century, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1975, pp. 121-126 et 173-207.
-
[27]
FRANÇOIS GEORGE, L’harmonie du monde, divisée en trois cantiques [...] plus L’Heptaple de Jean Picus comte de la Mirande [...], Paris, Jean Macé, 1578.
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[28]
Guy se réfère ici à son poème inachevé L’Encycle des secrets de l’Éternité, publié à Anvers en 1571.
-
[29]
F. GEORGE, L’harmonie du monde..., op. cit., p. a vii v.
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[30]
Ibid., p. a vi r.
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[31]
Ruppert, abbé bénédictin de Deutz, mort en 1135, « le Bienheureux », est l’auteur d’un commentaire de l’Apocalypse et d’un traité, De victoria verbi Dei. Son œuvre fut souvent réimprimée depuis la fin du XVe et pendant le XVIe siècle à la demande de l’abbé Trithemius.
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[32]
J’ai retrouvé deux ouvrages qui portent ce titre : le premier, attribué à J. Ebser, évêque de Chiemsee, et publié à Cologne en 1531, identifie « la charge » de l’Église en ses sept états, avec les plus graves abus commis lors de chacun et les calamités futures; le second, publié également en 1531, reporte cette charge aux Fins dernières qui approchent en raison de l’offensive des Turcs.
-
[33]
F. GEORGE, L’harmonie du monde..., op. cit., p. a vi r-v.
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[34]
Dans le colophon à la fin de la Dedicatio figurent les dates du 31 octobre 1583 et du 29 mai de la même année.
-
[35]
Patrologiae Cursus completus seu Bibliotheca Universalis, integra, uniformis, commoda, oeconomica Omnium SS. Patrum, Doctorum, Scriptorumque Ecclesiasticorum, sive latinorum, sive graecorum, « Patrologiae Graecae-LII », S. Ioannes Chrysostomus, Paris, Migne, 1862, cc. 618-619.
-
[36]
H KAINH DIAQHKH..., op. cit., pp. III-XX.
-
[37]
Pour cette section, nous avons utilisé l’édition Plantin de la Vulgate clémentine de 1608 : Biblia Sacra Vulgatae Editionis Sixti Qunti Pon.t. Max. iussu recognita atque edita, Anvers, Plantin-Moretus, 1608. Le décret tridentin est retranscrit à la page A 3 v°. Voir T. H. DARLOW et H. F. MOULE, Historical Catalogue..., op. cit., vol. II, t. 2, no 6197, p. 968.
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[38]
The Canons and Decrees of the Council of Trent, trad. par H. J. Schroeder, Rockford, TAN Books and Publishers, 1978, pp. 18-20.
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[39]
Ce décret conciliaire est cité in ibid., vol. II, t. 2, no 6181, p. 958.
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[40]
Ibid., no 6129, pp. 936-937, et no 6161, pp. 949-950.
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[41]
Ibid., no 6181, pp. 958-960.
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[42]
Ibid., no 6184, pp. 961-963. L’in-octavo de 1608, que nous avons consulté, conserve encore le dessin. Le titre est entouré, de haut en bas, par des scènes de la Création, du péché originel, des scènes de la vie de Noé et de Moïse, par les figures de Moïse et David debout, par les quatre évangélistes assis à gauche et à droite d’un médaillon où l’on voit le Christ en croix dont le sang, source du salut, sourd de son côté transpercé.
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[43]
Thomas James, bibliothécaire de Bodley, publia en 1600 un libelle sur le sujet : Bellum Papale, d’où est extraite la citation (voir T. H. DARLOW et H. F. MOULE, Historical Catalogue..., op. cit., vol. II, t. 2, no 6184, p. 962).