Notes
-
[1]
Voir, à titre d’exemples, les études de Mary Ellen L AMB, « The Sociality of Margaret Hoby’s Reading Practices and the Representation of Reformation Interiority » (sur le journal tenu par une puritaine, Margaret Hoby, entre 1599 et 1605), et de Ramona WRAY, « Recovering the Reading of Renaissance English Women : Deployments of Autobiography » (sur le journal et le récit de vie rédigé par Mary Rich, comtesse de Warwick, entre 1666 et 1678), Critical Survey, 12-2,2000, pp. 17-32 et 33-48.
-
[2]
Eve Rachel SANDERS, Gender and Literacy on Stage in Early Modern England, Cambridge, Cambridge University Press, 1998, p. 169.
-
[3]
Alfred MESSERLI et Roger CHARTIER (dir.), Lesen und Schreiben in Europa 1500-1900. Vergleichende Perspektiven / Perspectives comparées / Perspettive comparate, Bâle, Schwabe & Co AG, 2000.
-
[4]
Roger CHARTIER et Guglielmo CAVALLO (dir.), Histoire de la lecture dans le monde occidental, Paris, Le Seuil, 1997 (première édition en italien, Storia della lettura nel mondo occidentale, Rome-Bari, Laterza, 1995).
-
[5]
L’œuvre fondatrice est ici celle de Hans Robert JAUSS, Literaturgeschichte als Provokation, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp Verlag, 1974 (trad. fr., Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, 1978).
-
[6]
Donald F. MC KENZIE, Bibliography and the Sociology of Texts, The Panizzi Lectures 1985, Londres, The British Library, 1986 (trad. fr., La bibliographie et la sociologie des textes, Paris, Éditions du Cercle de la Librairie, 1991).
-
[7]
Roger CHARTIER (dir.), Histoires de la lecture. Un bilan des recherches, Paris, IMEC Éditions/Éditions de la MSH, 1995, et James RAVEN, Helen SMALL et Naomi TADMOR (dir.), The Practice and Representation of Reading in England, Cambridge, Cambridge University Press, 1996.
-
[8]
Armando PETRUCCI, La Scrittura. Ideologia e rappresentazione, Turin, Einaudi, 1986 (trad. fr., Jeux de lettre. Formes et usages de l’inscription en Italie, 11e -20e siècles, Paris, Éditions de l’EHESS, 1993).
-
[9]
Armando PETRUCCI, Le Scritture ultime. Ideologia della morte e strategie dello scrivere nella tradizione occidentale, Turin, Einaudi, 1995.
-
[10]
Antonio CASTILLO GÓ MEZ, Escrituras y escribientes. Prá cticas de la cultura escrita en una ciudad del Renacimiento, Las Palmas, Gobierno de Canarias/Fundació n de Enseñ anza Superior a Distancia, 1997.
-
[11]
Cf. les anthologies d’articles de Armando PETRUCCI, Writers and Readers in Medieval Italy. Studies in the History of Written Culture, New Haven-Londres, Yale University Press, 1995, et Alfabetismo, escritura, sociedad, Barcelone, Gedisa editorial, 1999.
-
[12]
Jean HÉBRARD, « La scolarisation des savoirs élémentaires », Histoire de l’éducation, 38, 1988, pp. 7-58.
-
[13]
Cf. Yvonne VERDIER, Façons de dire, façons de faire, Paris, Gallimard, 1979, et Coutume et destin. Thomas Hardy et autres essais, Paris, Gallimard, 1995.
-
[14]
Marina ROGGERO, L’alfabeto conquistato. Apprendere e insegnare nell’Italia tra Sette e Ottocento, Bologne, Il Mulino, 1999, et Gabriella ZARRI (dir.), Per Lettera. La scrittura epistolare feminile tra archivio e tipografia, secoli XV-XVII, Rome, Viella, 1999.
-
[15]
Jean HÉBRARD, « Tenir un journal. L’écriture personnelle et ses supports », Récits de vie et médias, Nanterre, Université Paris X, 1999, pp. 9-50.
-
[16]
On peut citer, à titre d’exemples d’étude des écritures populaires, Carlo MACAGNI, « Leggere, scrivere e disegnare. La “ scienza volgare” », Scrittura e Civiltà, 15,1991, pp. 267-288 ; Écritures ordinaires, Daniel FABRE (dir.), Paris, POL, 1993, ou la série des Memories i diaris personals de la Catalunya moderna, Barcelone, Curial Edicions Catalanes (19 volumes parus).
-
[17]
Lodovica BRAIDA, « Dall’almanacco all’agenda. Lo spazio per le osservazioni del lettore nelle “ guide del tempo” italiane ( XVIII-XIX secolo) », Acme. Annali della Facoltà di Lettere e Filosofia dell’Università degli Studi di Milano, vol. LI, fascicolo III, 1998, pp. 137-167.
-
[18]
James AMELANG, The Flight of Icarus. Artisan Autobiography in Early Modern Europe, Stanford, Stanford University Press, 1998.
-
[19]
Daniel FABRE, « Le berger des signes », in ID. (dir.), Écritures ordinaires, op. cit., pp. 269-313.
-
[20]
Roger CHARTIER, « Des “ secrétaires” pour le peuple ? Les modèles épistolaires de l’Ancien Régime entre littérature de cour et livre de colportage », in ID (dir.), La correspondance. Les usages de la lettre au XIXe siècle, Paris, Fayard, 1991, pp. 159-207. Se reporter également à Cécile DAUPHIN, Prête-moi ta plume... Les manuels épistolaires au XIXe siècle, Paris, Éditions Kimé, 2000.
-
[21]
Francisco M. GIMENO BLAY, « “ Missivas, mensageras, familiares...”. Instrumentos de comunicació n y de gobierno en la Españ a del Quinientos », in A. CASTILLO GÓ MEZ (dir.), Escribir y leer en el siglo de Cervantes, Barcelone, Gedisa editorial, 1999, pp. 193-209.
-
[22]
Sur cette ambivalence de la relation des pouvoirs à l’écrit, voir Fernando BOUZA, Imagen y propaganda. Capítulos de historia cultural del reinado de Felipe II, Madrid, Akal, 1998.
-
[23]
Maria Pia FANTINI, « Citati in giudizio : orazioni, scongiuri, libri di segreti. Modena 1580-1620 », in A. MESSERELI et R. CHARTIER (dir.), Lesen und Schreiben in Europa..., op. cit., pp. 265-281.
-
[24]
Paul S. SEAVER, Wallington’s World. A Puritan Artisan in Seventeenth-Century London, Stanford, Stanford University Press, 1985.
-
[25]
Christine MÉTAYER, « Humble métier et métier des humbles : l’écrivain public à Paris aux XVIIe - XVIIIe siècles », Scrittura e Civiltà, XVIII, 1994, pp. 325-349, et son livre Au tombeau des secrets. Écrivains publics du Paris populaire : Cimetière des Saints-Innocents XVIe - XVIIIe siècle, Paris, Albin Michel, 2000.
-
[26]
Arlette FARGE, La chambre à deux lits et le cordonnier de Tel-Aviv, Paris, Le Seuil, 2000, pp. 30-32.
-
[27]
Adam FOX, « Ballads, Libels, and Popular Ridicule in Jacobean England », Past and Present, 145,1994, pp. 47-83, et ID., Oral and Literate Culture in England 1500-1700, Oxford, Clarendon Press, 2000 ; « Los muros tienen la palabra ». Materiales para una historia de los graffiti, Francisco M. GIMENO BLAY et María Luz MANDINGORA LLAVATA (dir.), Valence, Semi-nario Internacional de Estudios sobre la Cultura Escrita, 1997, et Antonio CASTILLO GÓ MEZ, « “Amanecieron en todas las partes pú blicas...”. Un viaje al país de las denuncias », in ID. (dir.), Escribir y leer..., op. cit., pp. 143-191.
-
[28]
Laura ANTONUCCI, « La scrittura giudicata. Perizie grafiche in procesi romani del primo Seicento », Scrittura e Civiltà, XIII, 1989, pp. 489-534, et Claudia EVANGELISTI, « “Libelli famosi” : processi per scritte infamanti nella Bologna di fine ’500 », Annali della Fondazione Einaudi, vol. XXVII, 1992, pp. 181-239.
-
[29]
Armando PETRUCCI, « Per una strategia della mediazione grafica nel Cinquecento italiano », Archivo Storico Italiano, I, 1986, pp. 97-112.
-
[30]
H. R. WOUDHUYSEN, Sir Philip Sidney and the Circulation of Manuscripts, 1558-1640, Oxford, Clarendon Press, 1996.
-
[31]
Harold LOVE, Scribal Publication in Seventeenth-Century England, Oxford, Clarendon Press, 1993 (rééd. The Culture and Commerce of Texts. Scribal Publication in Seventeenth-Century England, Amherst, University of Massachusetts Press, 1998).
-
[32]
Jean HÉBRARD, « Des écritures exemplaires. L’art du maître écrivain en France entre XVIe et XVIIIe siècle », Mélanges de l’École française de Rome. Italie et Méditerranée, 107-2, 1995, pp. 473-523.
-
[33]
Armando PETRUCCI, « Scrivere per gli altri », Scrittura e Civiltà, XIII, 1989, pp. 475-487.
-
[34]
Judy KALMAN, Writing on the Plaza. Mediated Literacy Practice Among Scribes and Clients in Mexico City, Cresskill, Hampton Press, 1998.
-
[35]
Jean HÉBRARD, « La lettre représentée. Les pratiques épistolaires populaires dans les récits de vie ouvriers et paysans », in R. CHARTIER (dir.), La correspondance..., op. cit., pp. 279-365.
-
[36]
Cf. les relations entre usages de l’écrit et différence entre les sexes dans Love’s Labour’s Lost, Hamlet et Richard III, telles que les analyse Eve Rachele SANDERS, Gender and Literacy..., op. cit., pp. 48-56,68-87 et 146-164.
-
[37]
William SHAKESPEARE, Henry VI, 2e partie, Acte IV, scène 2, David BEVINGTON (éd.), New York, The Bantam Shakespeare, 1988, pp. 233-234 (trad. fr. présentée et traduite par Victor BOURGY, Œuvres complètes, Histoires II, Paris, Robert Laffont, 1997, pp. 343-345.
-
[38]
Ibid., Acte IV, scène 7, pp. 242-243 : « Traître, tu as horriblement corrompu la jeunesse du royaume en édifiant un collège, et alors que nos aïeux, dans le temps, ne connaissaient en fait de livres que le coche et la taille, tu as fait passer l’imprimerie dans les mœurs, et au grand dam de la couronne et de la dignité royales tu as construit un moulin à papier. [...] Tu as nommé des juges de paix pour qu’ils fassent comparaître de pauvres diables à propos de choses sur lesquelles ils étaient incapables de répondre. De plus, tu les as mis en prison, et du fait qu’ils ne savaient pas lire, tu les as fait pendre, alors qu’en vérité rien que pour cela ils méritaient pleinement de vivre » (pp. 355-357).
-
[39]
Ibid., Acte IV, scène 2, op. cit., p. 233 : « N’est-il pas lamentable que la peau d’un agneau innocent serve à faire du parchemin ? Et que le parchemin, une fois gribouillé, puisse ruiner un homme ? Certains prétendent que l’abeille blesse avec son dard, mais moi je dis que c’est avec sa cire, car je n’ai qu’une fois apposé mon cachet de cire à un document, et je n’ai jamais plus été mon maître depuis » (p. 343).
-
[40]
Marta MADERO, « Savoirs féminins et contruction de la vérité. Les femmes dans la preuve judiciaire en Castille au XIIIe siècle », Crime, histoire et sociétés, 3,1999, pp. 5-21 (en particulier p. 8).
-
[41]
Brigitte Miriam BEDOS-REZAK, « Medieval Identity : A Sign and a Concept », American Historical Review, 105-5,2000, pp. 1489-1533.
-
[42]
Christopher MARLOWE, The troublesome raigne and lamentable death of Edward the second, king of England : with the tragicall fall of proud Mortimer, in ID., The Complete Works, Fredson Bowers (éd.), Cambridge, Cambridge University Press, 1973, vol. II (trad. fr., Édouard II, Jean-Michel Déprats, Paris, Gallimard, 1996).
-
[43]
Roger CHARTIER, « Lectures et lecteurs “populaires” de la Renaissance à l’âge classique », in G. CAVALLO et R. CHARTIER (dir.), Histoire de la lecture dans le monde occidental, Paris, Le Seuil, 1997, pp. 315-330.
-
[44]
Tessa WATT, Cheap Print and Popular Piety, 1550-1640, Cambridge, Cambridge University Press, 1991.
-
[45]
Jean-François BOTREL, « Les aveugles colporteurs d’imprimés en Espagne, 1, La confrérie des aveugles de Madrid et la vente des imprimés du monopole à la liberté du commerce (1581-1836) et 2, Les aveugles considérés comme mass-média », Mélanges de la Casa de Velá zquez, t. IX, 1973, pp. 417-482 et t. X, 1974, pp. 233-271.
-
[46]
Victor INFANTES, « Los pliegos sueltos poéticos : constitució n tipográ fica y contenido literario (1482-1600) », in ID., En el Siglo de Oro. Estudios y textos de literatura aurea, Potomac, Scripta humanistica, 1992, pp. 47-58.
-
[47]
Margit FRENK, « Vista, oído y memoria en el vocabulario de la “lectura” : Edad media y Renacimiento », in Discursos y representaciones en la Edad media (Actas de las VI Jornadas Medievales), Mexico, Universidad Nacional Autó noma de México/El Colegio de México, 1999, pp. 13-31. Cf. aussi Margit FRENK, Entre la voz y el silencio (La lectura en tiempos de Cervantes), Alcalá de Henares, Centro de Estudios Cervantinos, 1997.
-
[48]
Jean-François BOTREL, Libros, prensa y lectura en la España del siglo XIX, Madrid, Fundació n Germá n Sá nchez Ruipérez, 1993.
-
[49]
Adele DAVIDSON, « “Some by Stenography”? Stationers, Shorthand, and the Early Shakespearean Quartos », The Papers of the Bibliographical Society of America, 90-4,1996, pp. 417-449.
-
[50]
Roger CHARTIER, Publishing Drama in Early Modern Europe, The Panizzi Lectures 1998, Londres, The British Library, 1999, pp. 28-50.
-
[51]
Ibid., pp. 62-68.
-
[52]
Cf. Donald F. MC KENZIE, « Speech-Manuscript-Print », Library Chronicle of the University of Texas at Austin, 20,1990, pp. 86-109 et Fernando BOUZA, Comunicació n, conocimiento y memoria en la España de los siglos XVI y XVII, Salamanque, Publicaciones del SEMYR, 1999.
-
[53]
Voir pour le théâtre élisabéthain les articles de Peter STALLYBRASS, « Shakespeare, the Individual, and the Text », in L. GROSSBERG, C. NELSON et P. A. TREICHLER (dir.), Cultural Studies, New York-Londres, Routledge, 1992, pp. 539-612, et Margreta de GRAZIA et Peter STALLYBRASS, « The Materiality of the Shakespearean Text », Shakespeare Quarterly, 44-3, 1993, pp. 255-283 ; pour la littérature du Siècle d’Or, l’essai de Francisco RICO, « Lecturas en conflicto : de ecdó tica y crítica textual », in Homenaje a Germá n Orduna, à paraître, et son livre El texto del Quijote, à paraître, et, pour la littérature grecque, Jean BOLLACK, Sens contre sens. Comment lit-on ? Entretiens avec Patrick Lored, Aubenas, Éditions de la Passe du vent, 2000.
-
[54]
Fernando BOUZA ÁLVAREZ, « ¿ Para que imprimir ? De autores, pú blico, impresores y manuscritos en el Siglo de Oro », Cuadernos de Historia Moderna, 18,1997, pp. 31-50.
1La première question posée par les différents essais réunis dans ce numéro des Annales est celle des relations entre les pratiques de l’écrit, la conscience de soi et l’expression de l’expérience intime. Une telle interrogation est particulièrement aiguë dans le cas des femmes dont l’expérience doit s’énoncer, sans écart, en conformité avec les modèles que proposent les discours chrétiens et l’ordre patriarcal. Les écrits personnels, journaux ou autobiographies, rédigés par certaines femmes entrées en écriture montrent qu’il n’en est pas toujours ainsi [1]. D’une part, loin d’être le résultat d’une expérience solitaire, l’exploration et l’expression de l’intimité et de l’identité féminine supposent, le plus souvent, la relation à l’autre, ou aux autres : au sein de la maison, dans le dialogue avec un directeur de conscience ou dans la compagnie d’autres femmes de la communauté. D’autre part, l’écriture des expériences les plus secrètes, réelles ou rêvées, ne peut être séparée de la lecture des œuvres d’imagination. Les fables fournissent les modèles narratifs et les situations qui permettent à la lectrice de se penser et montrer, ne serait-ce qu’à ses propres yeux, comme une héroïne de fiction. Grâce à la littérature, la vie racontée devient le récit idéal de ce qu’aurait dû être l’existence — et non la relation de ce qu’elle a été. Le contraste entre les insatisfactions qu’énonce l’écriture au quotidien du journal et les mises en scène romanesques des récits de vie illustre les liens complexes et subtils entretenus entre les différentes formes de l’écriture du moi et la lecture des œuvres littéraires.
2Un tel écart marque le possible renversement du modèle pédagogique et social qui fonde la domination masculine sur la maîtrise de l’écriture et qui n’enseigne aux femmes que la seule capacité de lecture. Eve Rachele Sanders caractérise parfaitement cette opposition entre le pouvoir masculin, qui est à la fois pouvoir sur l’écriture et pouvoir de l’écriture, et l’infériorité féminine traduite et renforcée par le seul apprentissage de la lecture lorsqu’elle écrit : « Une femme dont l’alphabétisation était limitée à la lecture était en général vouée à la seule assimilation de textes de piété imprimés en gothique. Une femme sachant écrire, même si sa connaissance des différentes écritures était très inférieure à celle de son frère, disposait d’une compétence qui lui permettait de se libérer des contraintes régissant sa relation au monde [2]. »
3La conquête de l’écriture par les femmes ne permet donc pas seulement un rapport avec le monde soustrait aux contrôles exercés par les hommes de la maison (père, frères ou mari), mais aussi la possibilité d’écrire, donc de lire, sa propre vie et, ainsi, de se définir en tant que personne. Dans ce processus, la lecture des romans ou l’assistance aux représentations théâtrales jouent un rôle essentiel. Les œuvres de fiction proposent, en effet, des modèles de comportement et des rôles féminins qui déplacent ou subvertissent ceux que l’enseignement dispensé aux jeunes filles a charge d’inculquer. Elles donnent à voir, sur la scène ou dans le livre, d’autres existences possibles où les femmes ne sont pas seulement lectrices de livres de dévotion et éducatrices de leurs enfants. Les intrigues des fables imprimées ou représentées offrent ainsi des figures d’identification qui autorisent de prendre une distance, par l’imagination ou dans le vécu lui-même, avec les contraintes imposées par les discours dominants.
Les deux alphabétisations
4Porter l’attention sur les formes les plus fréquentes de l’é criture féminine — le journal, le livre de raison, le récit de vie, la lettre — permet d’approfondir la réflexion sur les liens entre lecture et écriture [3]. Jusqu’ici, le partage a été net entre histoire de la lecture et histoire de l’écriture. La première, née comme un prolongement naturel de l’histoire du livre, a d’abord pris la mesure des niveaux d’alphabétisation (ou d’illettrisme) et de l’inégale présence du livre dans une société donnée, puis elle s’est attachée à reconstituer les manières de lire et les révolutions de la lecture [4]. Dans la perspective de l’histoire littéraire, elle a été comprise comme une histoire de la réception des textes, toujours située à la rencontre entre les propositions esthétiques des œuvres et les catégories interprétatives qui forment les horizons d’attente de leurs lecteurs [5]. Enfin, pour une approche issue de la bibliographie, transformée en une sociologie des textes, l’histoire de la lecture a privilégié l’é tude des formes matérielles des objets imprimés qui, à la fois, délimitent les publics possibles et contraignent la construction du sens [6]. Appuyée sur ces trois traditions, l’histoire de la lecture a privilégié les écarts entre les compétences et les pratiques, les modalités de l’appropriation des textes et la culture de l’imprimé [7].
5Parallèlement, une autre histoire s’est développée à partir de la notion de « culture graphique » qui désigne, pour un temps et un lieu donnés, l’ensemble des objets écrits et des pratiques dont ils sont issus. Il s’agit alors de comprendre les liens existant entre les différentes formes de l’écriture (manuscrite, épigraphique, peinte, imprimée) et d’inventorier la pluralité des usages (politiques, administratifs, religieux, littéraires, privés, etc.) dont l’é crit, en ses diverses matérialités, se trouve investi. Les approches qui ont illustré ce déplacement de l’histoire des écritures à l’histoire de leurs usages ont pris des formes diverses : morphologique, avec l’étude d’un type particulier d’écriture (par exemple les écritures monumentales, ou « exposées », situées à l’intérieur ou à l’extérieur des édifices publics) [8]; typologique, lorsque l’attention s’est attachée à une catégorie d’écritures définie non par sa forme mais par sa fonction (ainsi celles destinées à perpétuer le souvenir des morts parmi les vivants) [9]; ou micro-historique, avec la reconstitution de l’ensemble des traces et témoignages écrits repérables dans un même site [10]. Si l’histoire, ou plutôt les histoires de la lecture sont nées au sein des traditions de l’histoire culturelle ou de la critique textuelle allemande, anglaise et française, celle des productions et des pratiques de l’é crit s’est bâtie à l’intérieur de la paléographie italienne [11] et, plus récemment, espagnole. De ce fait, et durablement, lecture et écriture ont constitué des domaines d’étude séparés, mobilisant des savoirs spécifiques et des traditions largement étrangères les unes aux autres.
6Certes, lecture et écriture ont durablement caractérisé deux modèles distincts de l’alphabétisation et de l’acculturation à l’écrit [12]. Le savoir lire répondait aux volontés des Églises, soucieuses de faire intérioriser par les fidèles les plus nombreux, grâce à la lecture des catéchismes, des guides spirituels et des ouvrages de piété, ou, en terre protestante, de la Bible elle-même, les exigences d’un christianisme réformé — ou contre-réformé. Le savoir écrire, d’abord limité aux officiers et aux administrateurs, qui étaient les agents de la construction des États modernes, et au monde des marchands, devint une exigence des communautés et des individus qui en attendaient une meilleure maîtrise des relations avec les autres et une gestion plus efficace de leur temps, de leur activité ou de leur patrimoine. Chacun des deux apprentissages a eu ses lieux propres (l’école paroissiale ou la boutique du maître écrivain), ses techniques spécifiques (l’épellation ou la copie) et ses fins particulières : d’un côté, la soumission, supposée passive, à l’autorité du texte et, de l’autre, la possibilité, jugée dangereuse, d’une communication soustraite aux censures et aux contrôles. De là, l’attitude des pouvoirs religieux et politiques, qui ont considéré comme suffisante pour les milieux populaires une alphabétisation du lire seulement, et la représentation, largement partagée, qui donne une force durable à un modèle éducatif limitant les lectures des filles aux livres de dévotion, les tient en lisière de l’é criture et leur transmet les savoirs propres à leur sexe et à ses rôles — ainsi la couture et la cuisine qui constituent, tout ensemble, des apprentissages domestiques et des rites de passage féminins [13]. Mais de là également les efforts tenaces des exclues de l’écriture pour conquérir et exercer une compétence que les autorités leur déniaient [14].
Écritures ordinaires
7L’alphabétisation féminine n’est que l’une des modalités du processus plus ample par lequel les dominés se sont efforcés d’acquérir le savoir écrire. Dans toute l’Europe, si les désignations changent, les genres de ces écritures ordinaires sont identiques : contrats sous seing privé, quittances et reconnaissances de dettes, recueils de secrets de métier, livres de raison, registres de comptes ou de titres de propriété, livres de famille, récits de vie. D’une forme à l’autre, les passages sont aisés, produisant souvent des objets mixtes, transmis de génération en génération, où se mêlent le souci de l’économie domestique, la chronique familiale et l’enregistrement des événements, menus ou majeurs, qui tissent la trame du quotidien [15].
8Ces objets écrits, mentionnés dans les inventaires après décès ou conservés dans les archives familiales et publiques, témoignent pour une pratique de l’é criture en milieux populaires beaucoup plus répandue qu’on ne l’a longtemps pensé [16]. Ils indiquent, à la fois, les exigences nouvelles d’une économie artisanale et boutiquière, qui requiert de plus en plus l’enregistrement écrit des procédés techniques ou des transactions commerciales, et le désir des individus, soucieux d’avoir une meilleure prise sur le temps par une écriture du présent, produite au jour le jour, et par la mémoire, confiée à l’écrit, d’un passé plus ou moins lointain. Au XVIIIe siècle, de nouveaux objets imprimés organisent de manière plus systématique les relations existant entre les découpages calendaires et quotidiens qui s’imposent à tous (années, mois, jours, moments de la journée) et les gestes ou les pensées de l’individu : ainsi les almanachs dans lesquels sont interfoliées des pages vierges, ou les agendas qui proposent à leur acheteur des espaces laissés en blanc où il peut noter ce qu’il a fait ou devra faire [17].
9Deux formes majeures de l’écriture « ordinaire » — au double sens d’une écriture produite par des gens ordinaires, sans titre ni qualité, et d’une écriture sans finalité esthétique ni destinataires autres que celui qui écrit et ceux qui lui sont étroitement liés — ont plus particulièrement retenu l’attention. L’autobiographie est la première d’entre elles [18]. À l’époque moderne les supports matériels (livres de comptes, livres de raison, journaux) tout comme les modèles narratifs (relation de voyage, chronique, récit de vie) en sont très divers. La catégorie générique d’écriture autobiographique masque de multiples différences qui tiennent à l’écart temporel entre l’é criture et les événements rapportés, au répertoire choisi pour raconter sa vie, aux intentions qui poussent à écrire, du regard rétrospectif porté sur une trajectoire sociale peu commune à l’inquiétude devant la possible disparition du nom et de la lignée.
10Si les autobiographes de l’Ancien Régime sont d’origines très variées, deux conditions, dans les milieux populaires, semblent prédisposer à l’écriture de l’existence. Le berger, qui est maître des marques, des comptes et du calendrier, constitue dans le monde rural une figure exemplaire de « l’illettré savant ». La compétence professionnelle fonde, à la fois, les représentations littéraires des bergers, tenus pour déchiffreurs des signes et des secrets, et leurs pratiques effectives d’é criture — qui ne sont pas seulement autobiographiques [19]. En ville, c’est dans les ateliers typographiques que se rencontre l’archétype de l’autobiographe populaire. Familiers de l’é crit par état, grands lecteurs par obligation, compositeurs et imprimeurs semblent, en effet, plus enclins que d’autres à prendre la plume pour narrer leur existence.
11La lettre est une autre forme privilégiée de l’écriture « ordinaire ». Même s’il faut se garder de conclure trop vite de la circulation des recueils de règles et de modèles de lettres à leur utilité pratique [20], il n’en reste pas moins que la multiplication, à partir du XVe siècle, des traités d’écriture et des manuels épistolaires accompagne un rôle socialement élargi de la communication écrite [21]. Une première typologie des usages de la correspondance montre qu’au-delà de l’utilité économique et de la gestion du lien familial, la pratique épistolaire s’insinue dans la relation avec le pouvoir, sous la forme de la lettre au prince, comme dans l’expérience religieuse, avec les lettres adressées aux saints, à la Vierge ou au Christ.
12Les conquêtes de l’é pistolarité ne sont qu’une manifestation de deux phénomènes de plus grande ampleur. Le premier est le recours croissant à l’é criture comme instrument de gouvernement et d’administration. Il est vrai que les pouvoirs d’Ancien Régime se méfient de l’é crit et, de diverses manières, s’efforcent de le censurer et contrôler. Mais il est vrai aussi qu’ils appuient de plus en plus leur gestion des territoires et des populations sur la correspondance administrative, la constitution d’archives et la propagande imprimée [22]. Les formes nouvelles des procédures judiciaires, de la publication des actes d’autorité ou de la certification de la preuve (par exemple de noblesse) multiplient les obligations d’écriture.
13La seconde évolution qui caractérise en profondeur les siècles de la première modernité est le lien étroit noué entre expérience religieuse et usage de l’écrit. Nombreuses sont les traces laissées par cette écriture inspirée : visions et prophéties, voyages mystiques, prières et conjurations, autobiographies spirituelles. En terre catholique, mais pas seulement, ces expressions de la foi ne sont pas sans inquiéter les autorités ecclésiastiques qui tentent de les contenir et, lorsqu’elles leur semblent excéder les bornes de l’orthodoxie, de les interdire [23]. En terre réformée, le récit de la vie sous le regard de Dieu fonde, pour les hommes et les femmes, le premier et plus essentiel des rapports à l’é crit [24].
14De tels constats ne vont pas sans un apparent paradoxe puisqu’ils repèrent une très forte présence d’objets écrits, manuscrits ou imprimés, dans des sociétés encore largement analphabètes — du moins pour ce qui est de la maîtrise de l’écriture. La participation à la culture écrite de ceux qui ne savent ni écrire ni lire suppose des médiateurs de plume ou de lecture [25], mais elle renvoie plus fondamentalement à la soumission inquiète devant le texte écrit, le plus souvent émané d’une autorité lointaine et redoutée, et qui garantit une propriété, un droit ou une identité. Dans toute l’Europe, même les plus humbles portent sur eux des papiers que souvent ils ne peuvent déchiffrer, mais qui sont leur sauvegarde, ou leur secret [26].
15En certaines circonstances, ceux et celles qui ne maîtrisent que mal l’é criture peuvent devenir, à leur tour, producteurs d’é crits, affichés, peints ou gravés sur les murs et les objets. Certaines de ces inscriptions, rédigées en langue vulgaire et mêlant lettres capitales et minuscules, affirment une dévotion ou une présence : ainsi les tableaux d’ex-voto ou les pierres commémoratives des corporations dans les sanctuaires, les enseignes des boutiques dans les rues, ou encore, dans les maisons des particuliers, les noms propres ou les brèves formules gravés sur les portes et les fenêtres, sur les meubles et les objets du quotidien. D’autres écritures exposées (affiches, libelles, pasquins, graffiti, etc.) sont investies d’un contenu subversif : elles diffament les particuliers, ridiculisent les puissants, dénoncent les pouvoirs [27]. Elles traduisent les aspirations d’une population semi-alphabéti-sée qui dispute aux autorités le monopole sur l’écriture visible, et elles constituent, pour les plus démunis, une manière d’exprimer leurs haines et de rendre publique leurs plaintes. Anonymes et infamantes, ces écritures constituent des délits condamnés par les cours de justice, une fois établie, grâce aux experts, l’identité de ceux qui les ont tracées [28].
Les professionnels de l’écrit
16Les graphies maladroites des inscriptions populaires ignorent les normes fixées par les professionnels de l’écriture. Leur « déviance » désigne ainsi un problème plus général : l’écart, toujours présent, mais accru à l’âge moderne, entre la calligraphie, définie et enseignée comme un art, et les pratiques ordinaires de l’écriture, à distance des règles et des modèles. C’est la dignité, liée à la définition et la transmission des règles de l’art d’écrire, qui fonde entre les XVIe et XVIIIe siècles les prétentions des communautés de maîtres écrivains. À Paris, ils entendent contrôler la réforme de l’écriture « nationale » et détenir un monopole sur l’enseignement de l’écriture et l’expertise devant les tribunaux. Les conflits noués autour de la revendication de ce triple rôle ne sont pas propres à la situation française. Partout en Europe de rudes compétitions opposent les différentes catégories de scribes à propos de l’enseignement ou de l’expertise. Dans l’Italie du Cinquecento, par exemple, la définition de la norme graphique est l’objet d’une âpre concurrence entre différents acteurs [29]. Dans le premier quart du XVIe siècle, elle est fixée par les maîtres d’écriture dont certains publient des manuels destinés tant aux jeunes gens qui veulent entrer comme secrétaires dans une chancellerie qu’aux marchands et artisans. Avec les années 1540, le contrôle des écritures passe des professionnels de l’écrit (scribes de chancellerie, maîtres écrivains) aux calligraphes savants, qui connaissent la culture graphique antique et figurent parmi les rénovateurs de l’épigraphie monumentale. À la fin du siècle, le modèle de référence change une fois encore. Désormais, il s’articule étroitement à la pratique bureaucratique quotidienne, en particulier la rédaction des correspondances. De ce fait, il assigne la compétence sur l’écriture, non plus aux maîtres écrivains, non plus aux érudits, mais aux secrétaires. Le contrôle de la norme graphique se déplace, ainsi, de l’espace public des cités au monde clos des administrations et des bureaux.
17Une semblable diversité ou compétition se retrouve dans l’Angleterre du XVIIe siècle, où les différents copistes qui travaillent à la demande de commanditaires particuliers ou de libraires de la Stationer’s Company proviennent de multiples horizons. Aux copistes professionnels, héritiers des scribes et calligraphes médiévaux, s’opposent des concurrents qui ont un autre champ d’activité : l’enseignement pour les maîtres écrivains, la pratique juridique pour les scriveners qui ont compétence sur la rédaction et la certification des documents légaux, ou l’administration royale et le service des Grands pour les secrétaires [30]. Ce sont eux qui alimentent les différentes formes de la publication manuscrite : livres d’auteur ou entreprises commerciales — ainsi pour les textes politiques et satiriques, les recueils poétiques ou les partitions musicales [31].
18L’enseignement de l’écriture est, lui aussi, l’objet de sévères conflits qui se nouent autour de l’exercice fondamental de l’apprentissage et, souvent, de la pratique même de l’écriture : la copie. Le geste est situé au cœur de l’enseignement des maîtres d’écriture dont l’outil fondamental est constitué par les recueils manuscrits où se trouvent calligraphiées les lignes d’exemples que leurs élèves doivent imiter. À Paris, au XVIIe siècle, la rédaction et l’utilisation de tels formulaires destinés à la copie constituent un enjeu essentiel dans les conflits qui opposent la communauté des maîtres écrivains et tous ceux qui prétendent, en violation de son monopole, avoir droit à enseigner l’écriture — par exemple les maîtres des petites écoles qui dépendent du chantre du chapitre de la cathédrale ou les maîtres des écoles de charité. Pour résister, les maîtres écrivains conviennent entre eux de nouveaux modèles d’écriture qui seuls doivent être utilisés dans leur enseignement et qui ont pour objectif de permettre le rétablissement de l’orthodoxie graphique. Contre les empiétements des autres maîtres, ils tentent de limiter sévèrement le nombre de lignes que ceux-ci peuvent faire copier à leurs élèves [32]. Mais leurs efforts seront vains face à la demande d’écriture sociale qui brise tant leur monopole sur l’enseignement que leur idéal calligraphique.
19Les spécialistes de l’écrit se disputent également l’expertise des mains qui ont produit de faux documents ou des textes infamants. Dès le XVIe siècle, la diffusion de la capacité à écrire dans les milieux de plus en plus larges pose un problème inédit : celui des écritures contrefaites. À Paris, en 1570, c’est d’ailleurs une affaire de faux (en l’occurrence, une accusation lancée contre un secrétaire du roi, soupçonné d’avoir imité la main privée de son maître) qui conduit à la constitution de la « communauté des maîtres experts et jurés écrivains ». Auparavant réalisées par divers praticiens de l’écrit (notaires, greffiers, clercs, copistes), les expertises graphiques demandées par le Parlement pour décider de l’authenticité ou de la falsification de documents légaux (contrats, testaments, lettres de change, etc.) ou de signatures deviennent ainsi du ressort exclusif d’une communauté professionnelle. La vérification des écritures ou, comme l’on disait au XVIIIe siècle, « la preuve par comparaison d’écritures », obéit à une démarche inverse de celle de l’enseignement puisqu’il s’agit non pas de décomposer tous les gestes qui permettent d’obtenir un tracé idéal, mais de remonter des écritures observées sur les documents aux caractéristiques propres des mains qui les ont produites. L’opération suppose, à l’évidence, l’existence d’une norme calligraphique par rapport à laquelle les écarts individuels prennent un sens. Mais, à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, avec la diversification des écritures cursives, la sûreté des expertises graphiques est fortement mise en doute et l’autorité des maîtres de la communauté sévèrement ébranlée. En un temps où les écritures ordinaires se sont radicalement émancipées des règles de la calligraphie, la compétence et le pouvoir traditionnellement reconnus aux gardiens et praticiens de l’art ancien ne pouvaient qu’être effrités.
20Un dernier enjeu des compétitions à propos de l’écriture est donné par l’acte de la délégation d’écriture. En effet, dans les sociétés anciennes, et ce jusqu’au XIXe ou XXe siècle, pour ceux qui ne maîtrisent pas, ou pas assez, l’écriture, recourir à un médiateur de plume est une nécessité. À partir de l’exemple de l’Italie, Armando Petrucci a formulé l’hypothèse selon laquelle le recours à des professionnels de l’écrit, souvent rétribués pour leurs services, succéderait à une délégation d’écriture effectuée à l’intérieur du même milieu social et professionnel [33]. Au XVIe siècle, ceux qui écrivent pour ceux qui ne savent pas appartiennent en majorité au monde des artisans et des petits marchands. Ils sont donc socialement et culturellement très proches de ceux auxquels ils prêtent leur plume. La seule différence entre les uns et les autres tient à l’âge : les plus jeunes étant, le plus souvent, de meilleurs « écrivains » que leurs aînés. Au XVIIe siècle, les choses paraissent changer. Pour les catégories sociales laissées en dehors du processus d’alphabétisation (journaliers, marchands ambulants, travailleurs agricoles installés dans la ville ou dans ses faubourgs, etc.), trouver un délégué d’écriture parmi les proches n’est pas chose facile. De là, le nécessaire appel aux professionnels : copistes, secrétaires ou écrivains publics.
21L’écrivain public demeure durablement, et jusqu’à aujourd’hui [34], une figure classique de la sociabilité urbaine, autorisant les échanges épistolaires entre des correspondants analphabètes. Au XIXe siècle, toutefois, les progrès de la scolarisation et de l’alphabétisation rendent largement possible un retour de la délégation d’écriture à l’intérieur du même milieu social. Les récits de vie populaires (émanés d’artisans, d’ouvriers, de paysans) mettent souvent en scène le moment où l’écriture est déléguée à un proche, soit que l’enfant scolarisé écrive pour ses parents analphabètes, soit que, à l’armée, un conscrit mieux alphabétisé rédige les lettres de ses camarades [35].
22Ces différents constats obligent à repenser et reformuler des oppositions trop simples. L’écriture n’est pas tout entière du côté de l’ordre imposé, des stratégies des puissants, de la coercition et de la discipline. Elle peut être aussi, en dehors des autorités ou contre elles, un recours pour les plus démunis, une ressource mobilisable pour que soient moins inquiétant le cours des choses, moins périlleux les aléas de la vie. L’écriture est un apprentissage difficile — et sa pratique plus encore —, mais sa conquête est riche de promesses, offrant à qui la maîtrise un meilleur contrôle sur sa propre existence.
Appropriations littéraires
23Présents dans les archives, désignés par les autorités, évoqués dans les écrits personnels, les différents objets de la culture écrite et imprimée (livres, lettres, documents officiels ou légaux, papiers privés, etc.) sont également mis en littérature. Si la composition comme la compréhension des œuvres suppose toujours un processus de négociation (pour reprendre un terme cher au New Historicism), qui définit la création esthétique comme une appropriation créatrice de langages ou d’objets ordinaires, un semblable processus s’empare, en premier lieu, de ceux propres au monde de l’écrit. Les œuvres théâtrales introduisent ainsi, dans la fiction, la présence d’objets ou la mise en scène de pratiques qui permettent de caractériser une situation, un personnage, une relation à la culture écrite [36].
24Soit deux exemples élisabéthains. Dans la représentation qu’offre Shakespeare de la révolte de Jack Cade dans la seconde partie d’Henri VI, la connaissance de l’écriture et (avec quelque anachronisme pour un événement survenu en 1450, c’est-à-dire avant l’introduction de la première presse en Angleterre) la participation à la culture imprimée sont des motifs suffisants pour déchaîner l’ire des rebelles populaires. C’est sa capacité à écrire qui conduit le « clerk of Chartham » à la potence après un jugement expéditif :
SMITH : The clerk of Chartham. He can write and read and cast accounts.
CADE : O, monstrous !
SMITH : We took him setting of boy’s copies.
CADE : Here’s a villain.
SMITH [le tisserand] : H’as a book in his pocket with red letters in’t [c’est-à-dire un livre avec des rubriques marginales ou des titres à l’encre rouge].
CADE : Nay, then, he is a conjurer.
DICK [le boucher] : Nay, he can make obligations and write court hand [qui était l’écriture des documents légaux].
CADE : I am sorry for’t. The man is a proper man, of mine honor; unless I find him guilty, he shall not die. Come hither, sirrah, I must examine thee. What is thy name.
CLERK : Emmanuel [littéralement : « Dieu soit avec nous », qui était la formule habituellement placée au commencement de lettres ou des documents légaux].
DICK : They use to write it on the top of letter. ’Twill go hard with you.
CADE : Let me alone. — Dost thou use to write thy name ? Or hast thou a mark to thyself, like an honest, plain-dealing man ?
CLERK : Sir, I thank God, I have been so well brought up that I can write my name.
ALL : He hath confessed. Away with him ! He is a villain and a traitor.
CADE : Away with him, I say ! Hang him with his pen and inkhorn about his neck [37].
LE TISSERAND : C’est l’instituteur de Chartham. Il sait lire, écrire et calculer.
CADE : Ah ! Le monstre !
LE TISSERAND : On l’a surpris en train de faire des modèles d’écriture pour les gamins.
CADE : En voilà un scélérat !
LE TISSERAND : Il a en poche un livre avec des lettres rouges.
CADE : Mais alors, c’est un sorcier !
LE BOUCHER : Bien pire : il sait rédiger un contrat et écrire en grosse.
CADE : C’est bien dommage. L’homme ne présente pas mal, sur mon honneur ! Si je ne le reconnais pas coupable, il aura la vie sauve. Approche, l’ami, que je t’interroge. Quel est ton nom ?
L’INSTITUTEUR : Emmanuel.
LE BOUCHER : C’est ce qu’on met en tête des lettres — ça va mal aller pour toi.
CADE : Laissez-moi faire. As-tu l’habitude d’écrire ton nom, ou bien est-ce que tu fais une croix à la place, comme tout citoyen droit et honnête ?
L’INSTITUTEUR : Dieu merci, Monsieur, j’ai été assez bien élevé pour être capable d’écrire mon nom.
TOUS LES PARTISANS DE CADE : Il avoue ! Emmenez-le ! Le scélérat ! Le traître !
CADE : Qu’on l’emmène, dis-je, et qu’on le pende avec son écritoire au cou !
26Quant à Lord Saye, l’un des partisans du roi, c’est son rôle dans la fondation des écoles latines, l’introduction (anachronique) de l’imprimerie et la transformation des procédures judiciaires qui justifient sa condamnation par Cade :
Thou hast most traitorously corrupted the youth of the realm in erecting a grammar school; and whereas, before, our forefathers had no other book but the score and the tally [c’est-à-dire les tailles de bois dont les encoches indiquaient au créancier et au débiteur l’état de leurs comptes], thou hast caused printing to be used, and, contrary to the King his crown and dignity, thou hast built a paper mill. [...] Thou hast appointed jutices of peace to call poor men before them about matters they were not able to answer. Moreover, thou hast put them in prison, and because they could not read thou hast hanged them, when indeed only for that cause they have been most worthy to live [38].
28Ainsi coupable, Lord Saye est décapité par les hommes du chef rebelle.
29L’âge d’or promis par la réforme de Jack Cade est un monde sans monnaie, sans propriété, sans écrit : « Is not this a lamentable thing, that of the skin of an innocent lamb should be made parchment ? That parchment, being scribbled o’er, should undo a man ? Some say the bee stings, but I say ’tis the bee’s wax; for I did but seal once to a thing, and I was never mine own man since [39]. » Dans ce monde, personne ne croira plus dans la peau d’un animal mort (« the skin of an innocent lamb », comme écrit Shakespeare, déplaçant ainsi la formule attribuée à Innocent IV) [40]; personne ne sera plus soumis à l’autorité d’un sceau de cire [41]. Dans l’imaginaire dramatique, Jack Cade est ainsi le prophète dérisoire et cruel d’un impossible avenir, en un temps où les plus humbles — et parmi eux les spectateurs du théâtre — s’approprient, avec peine et difficulté, le pouvoir de l’écriture.
30Dans Édouard II de Marlowe, la progression de l’intrigue est scandée par les relations nouées autour et par les objets écrits [42]. Et d’abord, la lettre. « A street in London. Enter Gaveston reading a letter » : telle est l’indication scénique qui ouvre la tragédie. Neuf lettres sont ainsi dictées, lues ou résumées au cours de la pièce. La situation la plus fréquemment représentée est celle de la missive lue en silence par son destinataire qui en résume le contenu pour ses interlocuteurs. Il en va ainsi avec les lettres qui transmettent des ordres (ainsi celle signée par Mortimer et le Conseil de la reine, qui ordonne à Leicester d’abandonner la garde du roi et que déchire Édouard : « I rent his name that rends my hear » (Je peux bien déchirer son nom puisqu’il déchire mon cœur — acte V, sc. 1) ou celles qui communiquent des informations (par exemple l’annonce à Mortimer de la capture de son oncle par les Écossais — acte II, sc. 2 —, ou les messages, portés par Levune, « a Frenchman », qui informent Édouard de la conquête de la Normandie par le roi de France — acte III, sc. 2). Dans d’autres situations, la lecture est faite à haute voix, soit pour les autres (à l’acte IV, sc. 3, Younger Spenser, à la demande du roi, lit ainsi la lettre arrivée de France), soit pour soi-même — et le public — comme dans les deux premiers vers de la pièce, lorsque Gaveston lit le pli que lui adresse le roi : « My father is deceas’d. Come, Gaveston, / And share the kingdom with thy dearest friend » (Mon père est décédé; viens, Gaveston, / partager le royaume avec ton ami le plus cher). Dans une des scènes, la première de l’acte II, Marlowe associe la représentation des deux lectures, silencieuse et à haute voix pour soi-même. La nièce du roi, seule femme dans ce monde où les échanges épistolaires sont monopolisés par les hommes, a reçu deux lettres portées par un messager de la cour. Elle a lu l’une d’elles en silence, et avec délice, comme l’indique Younger Spenser, qui fut témoin de sa lecture : « As she read, she smil’d; which marks me think / It is about her lover Gaveston » (En la lisant, elle a souri, ce qui me fait penser / Qu’il s’agit de son fiancé, Gaveston). Entrée en scène, elle lit, ou plutôt relit les mots de Gaveston : « I will not long be from thee, though I die » (Je ne serai pas longtemps loin de toi, dussé-je en mourir), « When I forsake thee, death seize on my heart » (Quand je te délaisserai, que la mort prenne mon cœur) puis, après avoir mis la lettre de son bien-aimé sur son sein, elle lit silencieusement le courrier du roi et le résume en énonçant à haute voix, mais pour elle-même, les pensées qu’il lui inspire : « He will me to repair unto the court, / And meet my Gaveston. Why do I stay, / Seeing that he talks thus of my marriage day ? » (Il veut que je me rende à la Cour, / Pour y accueillir mon Gaveston ; mais pourquoi m’attarder ici / Alors qu’il me parle du jour de mes noces). Selon les nécessités dramatiques, Marlowe joue ainsi avec diverses manières de lire les lettres et les différentes fonctions de la communication épistolaire : transmettre un ordre, donner une information, exprimer un sentiment.
31La lettre n’est pas le seul objet écrit transféré par Marlowe, matériellement ou métaphoriquement, du monde social à la scène. Il en est beaucoup d’autres. Ainsi la « forme » qui bannit Gaveston et qui, signée par les nobiles du royaume l’est aussi par Édouard, contraint par l’archevêque de Canterbury, légat du pape (« Instead of ink, I’ll write it with tears » — Au lieu d’encre, je signerai avec mes larmes —, déclare le roi à la scène 4 de l’acte I). Ou les libelles et chansons dont l’évocation par Mortimer (« Libels are cast again thee in the street; / Ballads and rhymes made of thy overthrow » — Des pamphlets contre toi circulent dans les rues, / Ballades et chansons prophétisent ta chute — acte II, sc. 2) permet d’inscrire les conflits qui déchirent la Cour dans un espace plus vaste : celui de la culture politique de la place publique où les actes officiels sont proclamés — celui qui bannit Gaveston doit être « publié dans les rues » — mais où, également, sont distribués, chantés et affichés les pamphlets qui dénoncent et menacent le mauvais roi. Ou encore le message d’une seule ligne donné par Mortimer à Lightborne et qui est l’instrument d’une triple mort : celle d’Édouard empalé, celle de son meurtrier assassiné par Gurney et celle de Mortimer lui-même, écartelé et décapité sur l’ordre du nouveau roi. Marlowe joue là, comme beaucoup d’autres poètes ou dramaturges élisabéthains, sur l’indécision du sens d’un texte « unpointed », sans ponctuation, puisque l’ordre rédigé comme « Edwardum occidere nolite timere bonum est » pourra être lu soit comme « Edwardum occidere nolite timere, bonum est », c’est-à-dire, suivant la traduction fournie par Mortimer lui-même, « Feare not to kill the king, ’tis good he die » (Ne craignez pas de tuer le roi, il est bon qu’il meure), ou comme « Edwardum occidere nolite, timere bonum est », c’est-à-dire « Kill not the king, ’tis good to feare the worst » (Ne tuez pas le roi, il est bon de craindre le pire — acte V, sc. 4). La lettre est interprétée pour le pire par Matrevis, en charge de la garde du roi déchu (« That is the meaning ») qui laisse Lightborne tuer Édouard. Elle confondra finalement Mortimer dont « the hand », la main, est reconnaissable sur l’ordre remis au meurtrier d’Édouard. Ouverte par la lecture d’une lettre d’amour qui conduit Gaveston à la mort, la tragédie se clôt ainsi sur le constat de la signification ambiguë de l’écrit qui dissimule et révèle, déguise et expose, sauve ou condamne.
32Les discours, les pratiques, les objets de la culture écrite procurent un matériau que peuvent s’approprier les représentations esthétiques. Mais la trajectoire n’est pas à sens unique. Les textes, à leur tour, dans leur littéralité et leur matérialité, construisent le monde social. À l’idée classique selon laquelle les créations artistiques répondraient à des attentes préalablement définies, il faut opposer l’analyse des processus dynamiques par lesquels les répertoires textuels et les formes de leur publication inventent leurs publics. Dans tous les pays européens et leurs colonies circulent des genres imprimés qui partagent les mêmes caractéristiques : une fabrication au plus bas coût possible, la vente par les colporteurs, la publication de textes destinés aux compétences et aux attentes des lecteurs les plus nombreux. Partout existe un lien étroit entre une formule éditoriale, un corpus de textes et un public populaire [43]. Mais, selon les temps et les lieux, cette association prend des formes diverses.
33Dans l’Angleterre des XVIe et XVIIe siècles, se trouvent associés le répertoire des ballades, religieuses ou séculières, une forme spécifique d’objet typographique, les broadsides, et une clientèle, celle des colporteurs qui, comme Autolycus, vendent chansons et mercerie [44]. Dans la Castille du Siècle d’Or, la marchandise imprimée que distribuent auprès des lecteurs les plus populaires les colporteurs aveugles, les ciegos organisés en confréries [45], lie étroitement une série de genres textuels (les romances, les relaciones de sucesos, les comedias) avec un objet imprimé strictement défini, le pliego, qui correspond à une feuille d’imprimerie pliée deux fois (soit un in-quarto de huit pages) [46].
Oralité et écriture
34Dans tous ces cas, l’entrée en littérature des lecteurs les plus humbles et les plus nombreux repose sur l’acquisition de la capacité à lire individuellement ou sur l’écoute des textes lus à haute voix. Dans l’Espagne du Siècle d’Or, le verbe leer ne désigne que rarement la lecture faite en silence. Ses significations premières sont lire à voix haute, réciter de mémoire ou écouter. Si leer indique le plus souvent la lecture faite pour l’autre ou pour les autres, il en va de même pour recitar et decir qui n’ont pas seulement le sens de raconter ou réciter hors toute présence d’un texte écrit. Ces deux derniers verbes, ainsi d’ailleurs que hablar, pouvaient signifier également le fait de mettre par écrit, l’écriture étant pensée comme l’inscription de la parole dans le texte [47]. Mais cette transmission au plus grand nombre de la culture imprimée par la voix suppose, comme condition première, l’invention de formules éditoriales qui mettent au service des genres en langue vulgaire des formes imprimées auxquelles leur faible prix et leur diffusion par colportage assurent une large circulation dans les villes, les bourgs et, dans les pays les mieux alphabétisés, les campagnes. Au XVIIIe siècle, et plus encore ensuite, la rigidité de ces différentes formes éditoriales semble moins forte, comme le prouvent la variété des formats et des longueurs des livres de la Bibliothèque bleue et la diversité des genres qui composent le répertoire de la literatura de cordel [48]. Avant même les concurrences des nouveaux types d’imprimés qui apparaissent au XIXe siècle, les catalogues des librairies de colportage entrent dans l’âge de la diversité, dénouant les liens qui unissaient étroitement des formats et des textes.
35Entre l’écriture et l’oralité, la relation n’est pas seulement celle d’une transmission par la voix d’un texte écrit. Elle peut être aussi, à l’inverse, transcription de la parole vive : celle du prédicateur à l’église, du législateur dans l’assemblée, ou des acteurs sur la scène de théâtre. Même si la pratique n’a guère laissé de traces directes, elle peut être reconstruite à partir des éditions imprimées soit que, comme dans le cas de nombreux sermons publiés en Angleterre, elles indiquent sur la page de titre que le texte a été « taken by characterie » (c’est-à-dire à partir d’une sténographie du texte), soit que, comme dans le cas des pièces de théâtre, les anomalies ou les variantes du texte ne peuvent être comprises que comme des erreurs dues à une mauvaise transcription de l’œuvre, aidée ou non par l’emploi de l’une des méthodes d’écriture rapide dont le nombre a été multiplié, au moins en Angleterre, entre 1580 et 1630 [49]. Les reconstructions mémorielles des pièces, appuyées ou non sur les techniques sténographiques, seraient ainsi à l’origine des manuscrits qui ont servi à l’édition des bad quartos shakespeariens ou des éditions de Molière, piratées avant même l’édition autorisée — il en va ainsi avec Sganarelle ou le Cocu imaginaire et, pour l’une de ses éditions, de George Dandin [50].
36Si cette première trajectoire conduit de la scène ou de la chaire à la transcription manuscrite puis à la page imprimée, il est aussi un chemin inverse qui règle l’organisation des performances orales, et, tout particulièrement, des représentations théâtrales, à partir d’un texte manuscrit ou, dans certains cas privilégiés, d’un exemplaire annoté d’une édition imprimée. À l’époque élisabéthaine, le prompt book ou livre du souffleur, attestait la propriété de la troupe sur la pièce et l’autorisation qu’elle avait de la jouer, mais il servait aussi à marquer les indications scéniques nécessaires à la représentation : passages coupés, entrées et sorties des acteurs, objets à placer sur la scène, musiques, etc. Si ces prompt books n’ont survécu le plus souvent qu’à l’état de fragments, des exemplaires d’éditions imprimées utilisés comme prompt book par les directeurs de troupes et comme acting copy par les comédiens révèlent les rapports complexes noués entre texte imprimé, annotations à la main et représentations scéniques. Il en va ainsi, par exemple, des différentes formes d’interventions manuscrites portées dans les années 1740 sur un exemplaire de l’édition de 1676 de Hamlet [51]. Elles relèvent de deux dispositifs : d’une part, l’organisation de la représentation par la mention des lieux scéniques, des entrées ou des objets ; d’autre part, la préparation du rôle de Hamlet par le comédien qui le jouait. Celui-ci a substitué à la ponctuation imprimée du texte, fort rudimentaire, une ponctuation manuscrite toute différente, qui porte une véritable interprétation (au double sens du mot) du texte grâce à un système diversifié de pauses, plus riche que les seules conventions typographiques fixées depuis le XVIe siècle, et l’introduction de nouveaux supports pour l’intonation, tel le point d’interrogation. Cette double trajectoire, de la parole à l’écrit et de l’imprimé à la voix, illustre les rapports qui lient, plus qu’ils ne les séparent, les trois formes d’inscription et de transmission des textes : l’oralité, le manuscrit, l’imprimé [52].
Matérialité de l’écrit et sens des textes
37Plusieurs intentions gouvernent la possible réévaluation des relations entre la culture écrite, entendue comme l’ensemble des objets et des pratiques d’écriture propres à un temps et un lieu, et la littérature, définie, même si le terme est anachronique pour le premier âge moderne, comme le corpus des productions écrites et des expériences esthétiques soustraites aux exigences et aux urgences qui commandent les usages ordinaires de l’écrit. Une telle réévaluation suppose, en premier lieu, de mettre en question la dissociation entre la signification des textes et la matérialité des objets écrits.
38L’histoire du livre a, en effet, durablement — et paradoxalement — séparé l’étude des conditions techniques et matérielles de production ou diffusion des objets imprimés et celle des textes qu’ils transmettent, tenus pour des entités dont les différentes formes n’altéraient pas la stabilité linguistique et sémantique. Il y a dans la tradition occidentale de fortes raisons pour une telle dissociation : la force perdurable de l’opposition entre la pureté de l’idée et sa corruption par la matière, l’invention du copyright qui établit la propriété de l’auteur sur un texte toujours identique à lui-même, quel que soit son support, ou encore la définition d’une esthétique qui considère les œuvres indépendamment de leurs formes particulières et successives. Les possibilités de la reproductibilité offerte par l’imprimerie tout comme la dispersion du texte en de multiples états ont conduit, dans les raisonnements néoplatoniciens, les justifications de la propriété littéraire ou les catégories du jugement de goût, à l’abstraction des discours.
39Les deux approches critiques contemporaines qui ont plaidé plus fortement pour la prise en compte des modalités matérielles de l’inscription du langage ont, par un nouveau paradoxe, renforcé et non pas contrebattu ce processus d’abstraction textuelle. La bibliographie descriptive et analytique a mis l’examen minutieux et formalisé des différents états d’une même œuvre (éditions, émissions, exemplaires) au service de l’établissement d’un texte idéal, épuré de toutes les déformations apportées par le processus de publication et fidèle à l’œuvre telle que l’a écrite, dictée, pensée ou rêvée son auteur. De là, l’obsession pour les manuscrits perdus dans une discipline exclusivement vouée à la confrontation d’objets imprimés et la séparation radicale entre le texte en son identité parfaite et ses multiples incarnations, toujours fautives et défaillantes.
40L’approche déconstructionniste a, elle aussi, mais d’une autre manière, insisté sur la matérialité de l’écriture, sur les différentes formes d’inscription du langage. Mais, dans sa volonté d’annuler les oppositions les plus immédiates (entre oralité et écriture, entre singularité des actes de parole et reproduction de l’écrit), elle a construit des notions englobantes (archiécriture, itérabilité) qui ne peuvent qu’éloigner de la perception des différences qu’elles subsument. De là, le nécessaire effacement des matérialités textuelles au sein de catégories conceptuellement définies à distance des évidences empiriques.
41C’est contre cette dématérialisation des textes qu’il faut rapporter toute production écrite, quels qu’en soient le genre ou le statut, aux catégories d’assignation, de désignation et de classement des discours propres au temps et au lieu qui sont les siens et, en même temps, aux formes matérielles de son inscription et de sa transmission. Oublier cette double historicité de l’écrit, c’est risquer l’anachronisme qui impose aux textes anciens des formes et des significations qui leur étaient tout à fait étrangères. La leçon vaut pour les œuvres littéraires, dénaturées par une projection rétrospective de catégories élaborées par l’esthétique préromantique et la philologie savante [53], mais elle vaut aussi pour les écrits les plus humbles dont changent avec le temps les désignations, les supports et les usages.
42Comprendre cette « culture graphique » partagée exige de situer les pratiques qui la produisent, à la fois dans leur autonomie créatrice et dans les limites qui les contraignent. Toujours, les significations imposées par les textes, les objets, les normes sont déplacées, débordées, réinterprétées. Mais toujours, aussi, l’invention est bridée par des compétences, des normes, des disciplines, des censures. Contre une vision trop simple qui suppose l’asservissement des lecteurs aux messages inculqués, il faut rappeler que la réception est création, et la consommation, production. Mais, contre la perspective symétrique, qui postule l’absolue liberté des individus et la force des imaginations sans limites, il faut rappeler que toute appropriation est enserrée dans des conditions de possibilité historiquement variables et socialement inégales. Il faut donc repérer comment, dans des contextes divers et pour des pratiques différentes, s’établit le croisement paradoxal entre contraintes transgressées et libertés bornées.
43C’est une telle tension qui fonde l’importance de la production et de la circulation des textes écrits à la main à l’âge de l’imprimé. L’invention de Gutenberg n’a fait disparaître ni l’activité des copistes ni la publication manuscrite, loin de là. Pour certains genres et dans certaines communautés de lecteurs, le manuscrit, qui permet un meilleur contrôle du texte, de sa circulation et de son interprétation, demeure une modalité privilégiée de la communication et du partage de l’écrit en un temps où très aiguë est la conscience des corruptions introduites par la technique de l’imprimerie et le commerce de librairie [54]. Les écrits « ordinaires » prennent place, à leur manière, dans cette écriture pour la lecture, puisque ceux qui les ont rédigés, copiés ou dictés pouvaient y retrouver l’histoire de leur lignée, l’état de leurs affaires et la trace des souffrances et des bonheurs.
Date de mise en ligne : 01/10/2001.
Notes
-
[1]
Voir, à titre d’exemples, les études de Mary Ellen L AMB, « The Sociality of Margaret Hoby’s Reading Practices and the Representation of Reformation Interiority » (sur le journal tenu par une puritaine, Margaret Hoby, entre 1599 et 1605), et de Ramona WRAY, « Recovering the Reading of Renaissance English Women : Deployments of Autobiography » (sur le journal et le récit de vie rédigé par Mary Rich, comtesse de Warwick, entre 1666 et 1678), Critical Survey, 12-2,2000, pp. 17-32 et 33-48.
-
[2]
Eve Rachel SANDERS, Gender and Literacy on Stage in Early Modern England, Cambridge, Cambridge University Press, 1998, p. 169.
-
[3]
Alfred MESSERLI et Roger CHARTIER (dir.), Lesen und Schreiben in Europa 1500-1900. Vergleichende Perspektiven / Perspectives comparées / Perspettive comparate, Bâle, Schwabe & Co AG, 2000.
-
[4]
Roger CHARTIER et Guglielmo CAVALLO (dir.), Histoire de la lecture dans le monde occidental, Paris, Le Seuil, 1997 (première édition en italien, Storia della lettura nel mondo occidentale, Rome-Bari, Laterza, 1995).
-
[5]
L’œuvre fondatrice est ici celle de Hans Robert JAUSS, Literaturgeschichte als Provokation, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp Verlag, 1974 (trad. fr., Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, 1978).
-
[6]
Donald F. MC KENZIE, Bibliography and the Sociology of Texts, The Panizzi Lectures 1985, Londres, The British Library, 1986 (trad. fr., La bibliographie et la sociologie des textes, Paris, Éditions du Cercle de la Librairie, 1991).
-
[7]
Roger CHARTIER (dir.), Histoires de la lecture. Un bilan des recherches, Paris, IMEC Éditions/Éditions de la MSH, 1995, et James RAVEN, Helen SMALL et Naomi TADMOR (dir.), The Practice and Representation of Reading in England, Cambridge, Cambridge University Press, 1996.
-
[8]
Armando PETRUCCI, La Scrittura. Ideologia e rappresentazione, Turin, Einaudi, 1986 (trad. fr., Jeux de lettre. Formes et usages de l’inscription en Italie, 11e -20e siècles, Paris, Éditions de l’EHESS, 1993).
-
[9]
Armando PETRUCCI, Le Scritture ultime. Ideologia della morte e strategie dello scrivere nella tradizione occidentale, Turin, Einaudi, 1995.
-
[10]
Antonio CASTILLO GÓ MEZ, Escrituras y escribientes. Prá cticas de la cultura escrita en una ciudad del Renacimiento, Las Palmas, Gobierno de Canarias/Fundació n de Enseñ anza Superior a Distancia, 1997.
-
[11]
Cf. les anthologies d’articles de Armando PETRUCCI, Writers and Readers in Medieval Italy. Studies in the History of Written Culture, New Haven-Londres, Yale University Press, 1995, et Alfabetismo, escritura, sociedad, Barcelone, Gedisa editorial, 1999.
-
[12]
Jean HÉBRARD, « La scolarisation des savoirs élémentaires », Histoire de l’éducation, 38, 1988, pp. 7-58.
-
[13]
Cf. Yvonne VERDIER, Façons de dire, façons de faire, Paris, Gallimard, 1979, et Coutume et destin. Thomas Hardy et autres essais, Paris, Gallimard, 1995.
-
[14]
Marina ROGGERO, L’alfabeto conquistato. Apprendere e insegnare nell’Italia tra Sette e Ottocento, Bologne, Il Mulino, 1999, et Gabriella ZARRI (dir.), Per Lettera. La scrittura epistolare feminile tra archivio e tipografia, secoli XV-XVII, Rome, Viella, 1999.
-
[15]
Jean HÉBRARD, « Tenir un journal. L’écriture personnelle et ses supports », Récits de vie et médias, Nanterre, Université Paris X, 1999, pp. 9-50.
-
[16]
On peut citer, à titre d’exemples d’étude des écritures populaires, Carlo MACAGNI, « Leggere, scrivere e disegnare. La “ scienza volgare” », Scrittura e Civiltà, 15,1991, pp. 267-288 ; Écritures ordinaires, Daniel FABRE (dir.), Paris, POL, 1993, ou la série des Memories i diaris personals de la Catalunya moderna, Barcelone, Curial Edicions Catalanes (19 volumes parus).
-
[17]
Lodovica BRAIDA, « Dall’almanacco all’agenda. Lo spazio per le osservazioni del lettore nelle “ guide del tempo” italiane ( XVIII-XIX secolo) », Acme. Annali della Facoltà di Lettere e Filosofia dell’Università degli Studi di Milano, vol. LI, fascicolo III, 1998, pp. 137-167.
-
[18]
James AMELANG, The Flight of Icarus. Artisan Autobiography in Early Modern Europe, Stanford, Stanford University Press, 1998.
-
[19]
Daniel FABRE, « Le berger des signes », in ID. (dir.), Écritures ordinaires, op. cit., pp. 269-313.
-
[20]
Roger CHARTIER, « Des “ secrétaires” pour le peuple ? Les modèles épistolaires de l’Ancien Régime entre littérature de cour et livre de colportage », in ID (dir.), La correspondance. Les usages de la lettre au XIXe siècle, Paris, Fayard, 1991, pp. 159-207. Se reporter également à Cécile DAUPHIN, Prête-moi ta plume... Les manuels épistolaires au XIXe siècle, Paris, Éditions Kimé, 2000.
-
[21]
Francisco M. GIMENO BLAY, « “ Missivas, mensageras, familiares...”. Instrumentos de comunicació n y de gobierno en la Españ a del Quinientos », in A. CASTILLO GÓ MEZ (dir.), Escribir y leer en el siglo de Cervantes, Barcelone, Gedisa editorial, 1999, pp. 193-209.
-
[22]
Sur cette ambivalence de la relation des pouvoirs à l’écrit, voir Fernando BOUZA, Imagen y propaganda. Capítulos de historia cultural del reinado de Felipe II, Madrid, Akal, 1998.
-
[23]
Maria Pia FANTINI, « Citati in giudizio : orazioni, scongiuri, libri di segreti. Modena 1580-1620 », in A. MESSERELI et R. CHARTIER (dir.), Lesen und Schreiben in Europa..., op. cit., pp. 265-281.
-
[24]
Paul S. SEAVER, Wallington’s World. A Puritan Artisan in Seventeenth-Century London, Stanford, Stanford University Press, 1985.
-
[25]
Christine MÉTAYER, « Humble métier et métier des humbles : l’écrivain public à Paris aux XVIIe - XVIIIe siècles », Scrittura e Civiltà, XVIII, 1994, pp. 325-349, et son livre Au tombeau des secrets. Écrivains publics du Paris populaire : Cimetière des Saints-Innocents XVIe - XVIIIe siècle, Paris, Albin Michel, 2000.
-
[26]
Arlette FARGE, La chambre à deux lits et le cordonnier de Tel-Aviv, Paris, Le Seuil, 2000, pp. 30-32.
-
[27]
Adam FOX, « Ballads, Libels, and Popular Ridicule in Jacobean England », Past and Present, 145,1994, pp. 47-83, et ID., Oral and Literate Culture in England 1500-1700, Oxford, Clarendon Press, 2000 ; « Los muros tienen la palabra ». Materiales para una historia de los graffiti, Francisco M. GIMENO BLAY et María Luz MANDINGORA LLAVATA (dir.), Valence, Semi-nario Internacional de Estudios sobre la Cultura Escrita, 1997, et Antonio CASTILLO GÓ MEZ, « “Amanecieron en todas las partes pú blicas...”. Un viaje al país de las denuncias », in ID. (dir.), Escribir y leer..., op. cit., pp. 143-191.
-
[28]
Laura ANTONUCCI, « La scrittura giudicata. Perizie grafiche in procesi romani del primo Seicento », Scrittura e Civiltà, XIII, 1989, pp. 489-534, et Claudia EVANGELISTI, « “Libelli famosi” : processi per scritte infamanti nella Bologna di fine ’500 », Annali della Fondazione Einaudi, vol. XXVII, 1992, pp. 181-239.
-
[29]
Armando PETRUCCI, « Per una strategia della mediazione grafica nel Cinquecento italiano », Archivo Storico Italiano, I, 1986, pp. 97-112.
-
[30]
H. R. WOUDHUYSEN, Sir Philip Sidney and the Circulation of Manuscripts, 1558-1640, Oxford, Clarendon Press, 1996.
-
[31]
Harold LOVE, Scribal Publication in Seventeenth-Century England, Oxford, Clarendon Press, 1993 (rééd. The Culture and Commerce of Texts. Scribal Publication in Seventeenth-Century England, Amherst, University of Massachusetts Press, 1998).
-
[32]
Jean HÉBRARD, « Des écritures exemplaires. L’art du maître écrivain en France entre XVIe et XVIIIe siècle », Mélanges de l’École française de Rome. Italie et Méditerranée, 107-2, 1995, pp. 473-523.
-
[33]
Armando PETRUCCI, « Scrivere per gli altri », Scrittura e Civiltà, XIII, 1989, pp. 475-487.
-
[34]
Judy KALMAN, Writing on the Plaza. Mediated Literacy Practice Among Scribes and Clients in Mexico City, Cresskill, Hampton Press, 1998.
-
[35]
Jean HÉBRARD, « La lettre représentée. Les pratiques épistolaires populaires dans les récits de vie ouvriers et paysans », in R. CHARTIER (dir.), La correspondance..., op. cit., pp. 279-365.
-
[36]
Cf. les relations entre usages de l’écrit et différence entre les sexes dans Love’s Labour’s Lost, Hamlet et Richard III, telles que les analyse Eve Rachele SANDERS, Gender and Literacy..., op. cit., pp. 48-56,68-87 et 146-164.
-
[37]
William SHAKESPEARE, Henry VI, 2e partie, Acte IV, scène 2, David BEVINGTON (éd.), New York, The Bantam Shakespeare, 1988, pp. 233-234 (trad. fr. présentée et traduite par Victor BOURGY, Œuvres complètes, Histoires II, Paris, Robert Laffont, 1997, pp. 343-345.
-
[38]
Ibid., Acte IV, scène 7, pp. 242-243 : « Traître, tu as horriblement corrompu la jeunesse du royaume en édifiant un collège, et alors que nos aïeux, dans le temps, ne connaissaient en fait de livres que le coche et la taille, tu as fait passer l’imprimerie dans les mœurs, et au grand dam de la couronne et de la dignité royales tu as construit un moulin à papier. [...] Tu as nommé des juges de paix pour qu’ils fassent comparaître de pauvres diables à propos de choses sur lesquelles ils étaient incapables de répondre. De plus, tu les as mis en prison, et du fait qu’ils ne savaient pas lire, tu les as fait pendre, alors qu’en vérité rien que pour cela ils méritaient pleinement de vivre » (pp. 355-357).
-
[39]
Ibid., Acte IV, scène 2, op. cit., p. 233 : « N’est-il pas lamentable que la peau d’un agneau innocent serve à faire du parchemin ? Et que le parchemin, une fois gribouillé, puisse ruiner un homme ? Certains prétendent que l’abeille blesse avec son dard, mais moi je dis que c’est avec sa cire, car je n’ai qu’une fois apposé mon cachet de cire à un document, et je n’ai jamais plus été mon maître depuis » (p. 343).
-
[40]
Marta MADERO, « Savoirs féminins et contruction de la vérité. Les femmes dans la preuve judiciaire en Castille au XIIIe siècle », Crime, histoire et sociétés, 3,1999, pp. 5-21 (en particulier p. 8).
-
[41]
Brigitte Miriam BEDOS-REZAK, « Medieval Identity : A Sign and a Concept », American Historical Review, 105-5,2000, pp. 1489-1533.
-
[42]
Christopher MARLOWE, The troublesome raigne and lamentable death of Edward the second, king of England : with the tragicall fall of proud Mortimer, in ID., The Complete Works, Fredson Bowers (éd.), Cambridge, Cambridge University Press, 1973, vol. II (trad. fr., Édouard II, Jean-Michel Déprats, Paris, Gallimard, 1996).
-
[43]
Roger CHARTIER, « Lectures et lecteurs “populaires” de la Renaissance à l’âge classique », in G. CAVALLO et R. CHARTIER (dir.), Histoire de la lecture dans le monde occidental, Paris, Le Seuil, 1997, pp. 315-330.
-
[44]
Tessa WATT, Cheap Print and Popular Piety, 1550-1640, Cambridge, Cambridge University Press, 1991.
-
[45]
Jean-François BOTREL, « Les aveugles colporteurs d’imprimés en Espagne, 1, La confrérie des aveugles de Madrid et la vente des imprimés du monopole à la liberté du commerce (1581-1836) et 2, Les aveugles considérés comme mass-média », Mélanges de la Casa de Velá zquez, t. IX, 1973, pp. 417-482 et t. X, 1974, pp. 233-271.
-
[46]
Victor INFANTES, « Los pliegos sueltos poéticos : constitució n tipográ fica y contenido literario (1482-1600) », in ID., En el Siglo de Oro. Estudios y textos de literatura aurea, Potomac, Scripta humanistica, 1992, pp. 47-58.
-
[47]
Margit FRENK, « Vista, oído y memoria en el vocabulario de la “lectura” : Edad media y Renacimiento », in Discursos y representaciones en la Edad media (Actas de las VI Jornadas Medievales), Mexico, Universidad Nacional Autó noma de México/El Colegio de México, 1999, pp. 13-31. Cf. aussi Margit FRENK, Entre la voz y el silencio (La lectura en tiempos de Cervantes), Alcalá de Henares, Centro de Estudios Cervantinos, 1997.
-
[48]
Jean-François BOTREL, Libros, prensa y lectura en la España del siglo XIX, Madrid, Fundació n Germá n Sá nchez Ruipérez, 1993.
-
[49]
Adele DAVIDSON, « “Some by Stenography”? Stationers, Shorthand, and the Early Shakespearean Quartos », The Papers of the Bibliographical Society of America, 90-4,1996, pp. 417-449.
-
[50]
Roger CHARTIER, Publishing Drama in Early Modern Europe, The Panizzi Lectures 1998, Londres, The British Library, 1999, pp. 28-50.
-
[51]
Ibid., pp. 62-68.
-
[52]
Cf. Donald F. MC KENZIE, « Speech-Manuscript-Print », Library Chronicle of the University of Texas at Austin, 20,1990, pp. 86-109 et Fernando BOUZA, Comunicació n, conocimiento y memoria en la España de los siglos XVI y XVII, Salamanque, Publicaciones del SEMYR, 1999.
-
[53]
Voir pour le théâtre élisabéthain les articles de Peter STALLYBRASS, « Shakespeare, the Individual, and the Text », in L. GROSSBERG, C. NELSON et P. A. TREICHLER (dir.), Cultural Studies, New York-Londres, Routledge, 1992, pp. 539-612, et Margreta de GRAZIA et Peter STALLYBRASS, « The Materiality of the Shakespearean Text », Shakespeare Quarterly, 44-3, 1993, pp. 255-283 ; pour la littérature du Siècle d’Or, l’essai de Francisco RICO, « Lecturas en conflicto : de ecdó tica y crítica textual », in Homenaje a Germá n Orduna, à paraître, et son livre El texto del Quijote, à paraître, et, pour la littérature grecque, Jean BOLLACK, Sens contre sens. Comment lit-on ? Entretiens avec Patrick Lored, Aubenas, Éditions de la Passe du vent, 2000.
-
[54]
Fernando BOUZA ÁLVAREZ, « ¿ Para que imprimir ? De autores, pú blico, impresores y manuscritos en el Siglo de Oro », Cuadernos de Historia Moderna, 18,1997, pp. 31-50.