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Article de revue

Les massacres d’Oradour et du pont Lasveyras (1944)

Pages 147 à 169

Commémoration et mémoires

1 La succession des anniversaires présente au moins l’avantage de remettre les affrontements guerriers au cœur de la relation franco-allemande. Non pas qu’il faille glorifier rétrospectivement ces derniers, mais il est indispensable de se souvenir d’où l’on vient pour apprécier l’œuvre de paix qui a suivi. Il est important de connaître les phases, les problèmes, les structures et les acteurs de la coopération politique, économique et culturelle franco-allemande après 1945, à condition de ne pas oublier l’héritage du passé à travers sa dimension historique. Les occasions de se souvenir se sont multipliées depuis 2012. La visite du président François Hollande et la chancelière Angela Merkel à Reims, rappelait le 50e anniversaire de la rencontre De Gaulle / Adenauer, le 8 juillet 1962, dans une ville devenue le symbole des affrontements puis de la coopération franco-allemande. Les nombreuses manifestations autour du 50e anniversaire de la signature du traité de l’Élysée (22 janvier 1963) ont mis en valeur le bilan positif d’une coopération diversifiée mais qui pourrait être encore plus développée. Le contraste avec le passé guerrier est saisissant. De 1870 à 1945, au cours d’une période de 75 ans, la France et l’Allemagne ont guerroyé trois fois l’une contre l’autre, avec les conséquences désastreuses que l’on connaît ; depuis 1945, cela fait maintenant 69 ans, elles unissent leurs efforts pour construire une Europe démocratique et pacifique. L’année 2014 est riche en rendez-vous mémoriels avec le 70e anniversaire du Débarquement anglo-américain en Normandie, le 100e anniversaire du début de la Première Guerre mondiale et le 25e anniversaire de la chute du Mur de Berlin. Ce passé des années 1914-1945, que l’on avait tendance à occulter pour ne s’intéresser qu’à l’actualité et à l’avenir, est ainsi extrêmement présent. L’engouement pour le 100e anniversaire de 1914 est tout à fait révélateur.

2 La coopération et l’amitié franco-allemandes ne doivent pas faire oublier les aspects les plus sombres d’un affrontement qui a coûté tant de vies humaines. L’occupation allemande en France, entre mai 1940 et fin 1944, s’accompagne malheureusement d’un cortège sanglant de massacres de civils, de résistants et de maquisards. Selon certaines estimations, parmi les résistants 20 000 auraient été tués au combat, 20 000 seraient morts en déportation et 25 000 auraient été fusillés par les Allemands. Le sacrifice des civils est encore plus impressionnant : 10 000 victimes de l’épuration sauvage, 40 000 décès en Allemagne dans le cadre du STO, 58 000 décès dans les opérations terrestres, 67 000 morts dans les bombardements et 76 000 morts en déportation (juifs et tsiganes). Les militaires ont également payé un lourd tribut : 31 000 Alsaciens et Lorrains enrôlés dans l’armée allemande morts au combat, 45 000 prisonniers décédés en Allemagne et 160 000 soldats tués. Ces trois groupes déplorent ensemble 552 000 morts (65 000 résistants, 251 000 civils et 236 000 militaires). Source : Réviser son bac avec Le Monde. Histoire Terminale L, ES. Paris, Le Monde, 2014, page 9. Des chiffres à utiliser avec précaution. Dans la même publication, quatre pages plus loin il n’y aurait plus que 4 520 personnes fusillées en France pendant la guerre, dont 80 % à 90 % de communistes, le PCF s’étant présenté après 1945 comme « le parti des 75 000 fusillés ». L’auteur, Michel Lefebvre (Le Monde, 10.12.2006) se réfère au livre de Jean-Pierre Besse et Thomas Pouty, Les Fusillés, répression et exécutions pendant l’Occupation 1940-1944, éd. L’Atelier, 2006.

3 Cet article portera sur deux massacres survenus au premier semestre 1944, différents par leur ampleur mais proches par la volonté d’anéantir avec une cruauté inouïe deux communautés dont l’une ne présentait aucune menace vis-à-vis des troupes allemandes en France (Oradour-sur-Glane) l’autre, liée au refus du Service du Travail Obligatoire en Allemagne (Moulin du Pont Lasveyras, en Dordogne) regroupait des réfractaires non formés militairement et très mal équipés en armes. Les unités de la Waffen-SS, qui ont commis ces crimes, avaient derrière elles un passé sanglant en Europe de l’Est et aux Balkans. Sans chercher d’excuses à des crimes impardonnables, il ne faut pas oublier aussi que la perspective de la défaite militaire du Reich hitlérien rendait les troupes allemandes encore plus féroces, d’autant que le harcèlement par les résistants à partir du début de l’année 1944 devenait plus pressant. Le but des Allemands était de réduire le maquis, d’effectuer des expéditions punitives contre la population pour couper celle-ci de la Résistance. Quelle a été l’ampleur des deux massacres et de quelle façon leur mémoire est-elle entretenue ? Comment expliquer que le massacre et la destruction d’Oradour-sur-Glane, le sommet de la barbarie nazie en France, mondialement connu, soit devenu un symbole de la réconciliation franco-allemande ? Pourquoi le massacre du Pont Lasveyras, peu connu hors de la Dordogne et du Limousin, totalement inconnu en Allemagne, suscite-t-il des tensions entre Français, encore plus dans la perspective d’un rapprochement avec la République fédérale d’Allemagne ? Le cas d’Oradour-sur-Glane sera évoqué en premier car la visite des présidents de la République française et allemande, le 4 septembre 2013, a eu lieu avant la commémoration du 70e anniversaire du massacre du Pont Lasveyras, le 16 février 2014. Servant de référence, la visite à Oradour-sur-Glane a indirectement influencé le climat de cette dernière commémoration.

Oradour-sur-Glane

4 Après le débarquement des Alliés le 6 juin 1944, des troupes du IIIe Reich stationnées dans le sud-ouest de la France, et particulièrement à Toulouse et Montauban, reçoivent l’ordre de rejoindre la Normandie, tout en réduisant, voire en éliminant sur leur passage l’emprise des forces de la Résistance. Freinées dans leur progression lors de la traversée du Limousin, une région de collines boisées propice aux embuscades, les soldats allemands commirent de nombreuses atrocités. Les 7 et 8 juin, la ville de Tulle (Corrèze) est libérée par les résistants, à la suite de combats au cours desquels la garnison allemande de la ville subit des pertes en hommes. Le 8 juin au soir, remontant de Montauban (suite au rapport Lammerding du 5 juin puis à l’ordre du 8 juin) une unité de la division Waffen-SS Das Reich prend possession de Tulle. Les représailles sont terribles : 99 hommes sont pendus en ville, 144 sont déportés dans des camps de concentration, le nombre total des victimes s’élève à 218. Le 9 juin, jour des massacres à Tulle, près de 70 personnes (femmes et enfants et une douzaine de résistants FFI) sont massacrés dans les rues d’Argenton-sur-Creuse, dans l’Indre ; d’autres tueries ont lieu le même jour.

5 À 23 kilomètres au sud-ouest de Limoges (Haute-Vienne), la commune d’Oradour-sur-Glane, avec son bourg et ses villages, comptait 1 574 habitants au recensement de 1936 (la rivière la Glane a été immortalisée par le peintre Jean-Baptiste Corot). Elle accueillait, dès janvier 1939, des travailleurs espagnols et, à partir de septembre 1940, des réfugiés alsaciens et des expulsés mosellans. Le samedi 10 juin 1944, en début d’après-midi, quelque 150 soldats de la Waffen-SS encerclent et occupent Oradour sous prétexte d’un contrôle d’identité et de recherche de caches d’armes. Tous les habitants sont réunis sur le champ de foire (les grabataires et les personnes malades sont abattus sur place) ; un enfant mosellan, Roger Godfrin, réussit à s’enfuir (il sera le seul rescapé de toute sa famille). Dirigés vers des granges, les hommes sont fusillés, achevés au revolver, puis brûlés avec des fagots et de la paille. Les femmes et les enfants, conduits à l’église Saint-Martin, sont également mitraillés et brûlés vifs. Jusque dans la soirée la bourgade est pillée et incendiée.

6 Malgré leurs graves blessures une femme et cinq hommes survivent à ce terrible massacre. Madame Marguerite Rouffanche, 47 ans, se sauve en sautant par une des fenêtres arrière de l’église ; blessée, elle ne sera découverte qu’un jour plus tard. Elle a perdu dans la tuerie son mari, son fils, ses deux filles et son petit-fils âgé de sept mois. Unique témoin du massacre dans l’église, elle meurt en 1988. Les cinq survivants de la grange Laudy, malgré de graves blessures, doivent leur salut à une bonne connaissance des lieux. Il y aura au total 642 victimes : 205 enfants, 240 femmes et 197 hommes ; 52 personnes seulement sont identifiées. Parmi les survivants, deux vivent en 2014, Jean-Marcel Darthout et Robert Hébras, dont il sera question plus loin. Les 44 victimes originaires de Charly (et de Montoy-Flanville), représentent près du quart de la population de cette petite commune de Moselle qui en 1950 a ajouté Oradour à son nom et construit un grand monument ; elle commémore tous les ans, le 10 juin, le souvenir du massacre. Des dizaines de milliers de Mosellans furent expulsés par les Allemands vers la zone libre, une partie étant accueillie dans le Limousin.

7 Les auteurs des atrocités appartenaient à la 3e compagnie du 1er bataillon de Panzergrenadier (cette unité d’infanterie de division blindée est commandée par le major Adolf Dickmann) du régiment de SS « Der Führer », lequel faisait partie de la 2e division de chars « Das Reich ». Tué dans les combats de Normandie, Dickmann est enterré dans le cimetière militaire allemand de La Cambe/ Calvados où reposent plus de 22 200 soldats allemands. La division blindée « Das Reich », tristement connue pour ses exactions en Europe de l’Est, est commandée par le général Heinz Lammerding qui fera une belle carrière d’entrepreneur en Allemagne de l’ouest et terminera paisiblement sa vie en 1971 sur les bords d’un lac bavarois. On ne connaît pas les raisons exactes de l’intervention contre Oradour, une bourgade paisible et facile à réduire. Le harcèlement des troupes allemandes par les FFI ne pouvait manquer de provoquer des réactions de la part de l’occupant. Le rapport Lammerding du 5 juin, accepté par l’état-major allemand, proposait de s’en prendre aux « bandes », c’est-à-dire aux « résistants » par des actions violentes et arbitraires propres à les couper de la population.

Les procès (Bordeaux, Berlin-Est et Dortmund)

8 Huit ans et demi après le massacre, le procès contre ses auteurs s’ouvre à Bordeaux le 12 janvier 1953, sous la responsabilité du Tribunal militaire des forces armées. Le PCF avait fait voter en 1948 une « lex Oradour », une loi adoptée sans débats, qui renversait la charge de la preuve et fut abolie par les parlementaires en plein procès. Les chefs SS sont absents car le gouvernement de Bonn et les Alliés (États-Unis et Grande-Bretagne) refusent de les extrader. Sur 65 accusés, 21 comparaissent. L’opinion découvre avec stupeur que sur ces 21 personnes, il n’y a que 7 Allemands (dont un sous-officier) et 14 Alsaciens (13 incorporés de force, appelés « Malgré-nous », et un sergent volontaire). La tragédie franco-allemande devient ainsi une pénible affaire franco-française. Les accusés sont poursuivis non pas comme criminels de guerre mais comme criminels de droit commun. Le verdict tombe le 13 février 1953. Sur les 7 accusés allemands, un seul est acquitté (le tribunal a reconnu qu’il n’était pas à Oradour), le sous-officier est condamné à mort, des peines de prison ou de travaux forcés de 5 à 12 ans sont infligés aux 5 autres soldats. 42 Allemands, jugés par contumace (dont Lammerding), sont condamnés à mort, mais aucune de ces peines ne sera exécutée. Parmi les 14 Alsaciens, il y a une condamnation à mort (pour le sergent entré volontairement dans la Waffen-SS), 4 peines de prison et 9 travaux forcés ; en réalité ces peines ne seront pas purgées.

9 Le verdict de Bordeaux provoque de vives réactions contradictoires. L’opinion publique et les élus d’Alsace se mobilisent si fortement en faveur de « leurs enfants » qu’une loi d’amnistie, adoptée à une large majorité (319 voix pour, 211 contre et 83 abstentions) est publiée dès le 21 février 1953. Les Alsaciens et cinq Allemands quittent aussitôt la prison, les peines de mort sont commuées en travaux forcés, les derniers Allemands sont libérés en 1959. Cette amnistie provoque une rupture entre Oradour et l’État. La commune limousine renvoie la Croix de guerre, décernée en 1947, et la Légion d’honneur attribuée en 1949 à l’Association Nationale des Familles des martyrs ; l’Association et la commune refusent la présence de l’État aux cérémonies commémoratives (à l’exception du Général de Gaulle, en 1962). À l’entrée du village une plaque reproduit les noms des députés qui ont voté l’amnistie, elle ne sera enlevée qu’au milieu des années 1960. La commune refuse également le transfert des cendres des martyrs dans le mémorial financé par l’État. La brouille durera jusque dans les années 1980, les échanges reprenant prudemment sous la présidence de François Mitterrand ; ce dernier, qui avait voté l’amnistie en 1953, se rendra deux fois à Oradour (3 mai 1982 et 10 juin 1994). Les visites suivantes, celles de Jacques Chirac le 16 juillet 1999 et de François Hollande, le 4 septembre 2013, ont fortement contribué à atténuer la brouille franco-française et à consolider la réconciliation franco-allemande. Les autres présidents de la République, Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing et Nicolas Sarkozy ne se sont pas rendus à Oradour.

10 Un des participants allemands du massacre d’Oradour, le sous-lieutenant Heinz Barth, est arrêté en 1981 en RDA. Lors de son procès à Berlin-Est, il est tout surpris d’être confronté à deux survivants (en l’occurrence Jean-Marcel Darthout et Robert Hébras) tant il était persuadé que toute la population avait été exterminée. Condamné à la perpétuité, il est libéré après la réunification allemande et meurt dix ans plus tard à l’âge de 86 ans. Après la disparition de la RDA, l’exploitation des archives de la police secrète appelée Stasi (Staatssicherheit/Sécurité d’État) a permis au procureur spécial du parquet de Dortmund, Andreas Brendel, d’ouvrir en 2011 une enquête contre 6 Allemands et un Autrichien, des anciens SS nés en 1925 ou 1926. Il agit dans le cadre des activités du Bureau central pour la poursuite des crimes de guerre. En janvier 2013 un adjoint de M. Brendel se rend à Oradour-sur-Glane, accompagné du chef du pôle « Crimes contre l’humanité » du parquet de Paris et d’enquêteurs de la section recherche de la gendarmerie française. Indépendamment de la pertinence des éventuelles accusations, les procès ne pourront peut-être pas se tenir en raison du grand âge et de l’état de santé des personnes incriminées.

La mémoire d’Oradour et ses acteurs

11 Que faire d’une bourgade détruite par le feu et dont la population a été massacrée ? Fallait-il faire disparaître le symbole des crimes contre l’humanité accomplis par la barbarie nazie ? Le général de Gaulle, président du gouvernement provisoire, installé à Paris depuis la fin août 1944, décide dès novembre de conserver les ruines et d’en faire un lieu de mémoire. En mars 1945, il se rend à Oradour et annonce qu’une nouvelle cité sera construite à côté de l’ancienne ; commencés en 1947, les travaux s’achèvent en 1953. La commune d’Oradour (bourgade et villages compris) qui, selon le recensement comptait 1 574 habitants en 1936, en aura 1 145 en 1946 et 2 325 en 2011. Propriété de l’État, les ruines sont gérées par le ministère de la Culture qui accorde une subvention annuelle pour l’entretien de celles-ci. Avec l’usure du temps et des intempéries, la conservation des ruines devient problématique ; les lieux de supplice (granges et église) ainsi que la rue principale seront sauvegardées à tout prix. Le nouvel Oradour est reconstruit dans le pur style limousin ; un monument est élevé dans le groupe scolaire à la mémoire des 152 élèves massacrés.

12 Soucieux de la mémoire d’Oradour, des acteurs locaux interviennent très rapidement. Un Comité du souvenir se propose fin 1944 de réaliser un mémorial et de conserver les ruines. Fondée le 16 novembre 1944, l’Association des sinistrés et rescapés d’Oradour veut défendre les intérêts matériels et moraux des survivants. De la fusion des deux organismes va naître le 11 mars 1945 l’Association Nationale des Familles des Martyrs d’Oradour-sur-Glane (ANFMOG) qui veut mieux faire connaître le massacre du 10 juin 1944 et poursuivre ses auteurs. Elle réédite régulièrement son livre officiel « Oradour-sur-Glane, vision d’épouvante » (cf. bibliographie) et participe à la fondation du Centre de la Mémoire. Comme la commune, elle est le partenaire de l’État pour l’organisation des cérémonies officielles (les ruines sont propriété de l’État qui en a la conservation et l’entretien). Elle compte quelque 500 adhérents, dont la commune de Charly-Oradour.

13 Présenté en 1989 sous forme de projet au président de la République, François Mitterrand, le Centre de la Mémoire d’Oradour, CMO, dont les travaux sont lancés en 1992 par le Conseil général de la Haute-Vienne, avec plusieurs soutiens financiers (ministères de la Culture et des Anciens Combattants, Région Limousin, Union européenne…), est inauguré le 16 juillet 1999 par Jacques Chirac, président de la République, quatre ans, jour pour jour, après son célèbre discours du Vel’d’hiv à Paris par lequel il reconnaissait pour la première fois la responsabilité de la France dans la Shoah. Doté d’une architecture sobre mais tourmentée, qui traduit les bouleversements de l’histoire, le CMO fait le lien entre les parties anciennes et nouvelles de la bourgade. Dans son intervention, le président Chirac souligne qu’Oradour s’inscrit dans la longue liste des atrocités commises par les hommes tout au long de l’histoire. L’objectif du CMO sera de conserver le souvenir du 10 juin 1944 et de faire d’Oradour le symbole des villages martyrs de toutes les guerres, y compris celles toutes récentes de l’ancienne Yougoslavie et du Rwanda. Pour illustrer la volonté de réconciliation entre Oradour et l’Alsace, le président de la République était accompagné de deux personnalités socialistes, Catherine Trautman (ancien maire de Strasbourg et à l’époque ministre de la Culture du gouvernement Jospin) et Roland Ries, député-maire de Strasbourg (invité également du président Hollande le 4 septembre 2013).

14 Le directeur du CMO, Richard Jezierski, et son équipe d’une trentaine de personnes, accueillent quelque 130 000 personnes par an (dont près de 60 000 scolaires français et étrangers pour des voyages d’information d’une journée). Le site du village martyr est visité annuellement par environ 300 000 personnes. Le CMO contribue à l’actualisation des connaissances des élèves du second degré. En 2008-2009, l’OFAJ a subventionné une rencontre internationale de jeunes dédiée aux lieux de mémoire difficiles. Organisateur d’expositions, de rencontres et de débats, le CMO se préoccupe également de l’actualisation de la recherche et de la documentation. Il ne se contente pas de perpétuer le souvenir des victimes, il informe et fait œuvre pédagogique pour que les massacres de populations civiles ne se reproduisent pas. Sortant du cadre purement régional et national, il place son action dans la perspective de la coopération franco-allemande et de la construction européenne. Aussi travaille-t-il avec d’autres centres de la mémoire en Europe.

Deux survivants : Jean-Marcel Darthout et Robert Hébras

15 Parmi les rares survivants du 10 juin 1944, deux d’entre eux se sont véritablement engagés pour qu’Oradour soit mieux connu en France et à l’étranger et devienne un lieu de mémoire qui favorise le dialogue et la rencontre. Né le 12 avril 1924 à Saint-Victurnien (Haute-Vienne), Jean-Marcel Darthout a survécu au massacre de la grange Laudy, mais sa mère et son épouse périrent dans l’église. Sa carrière professionnelle à Paris de 1946 à 1984 ne l’a pas empêché de suivre attentivement les activités de l’ANFMOG. Après son retour à Oradour, il est élu vice-président (1987-91) puis président (1992-2000) de l’Association. Il collabore au film « Oradour, les voix de la douleur », réalisé en 1988 par Michel Follin et Marc Wilmart. Il fait avancer la construction du CMO. Il est élevé au rang d’officier de la Légion d’honneur. À l’occasion de la visite du président de la République fédérale d’Allemagne, il dira : « Nous sommes en Europe, la haine du boche est passée ».

16 Bien qu’il s’approche de 90 ans, son ami Robert Hébras est un bénévole remarquablement actif, au service d’Oradour, de la cause franco-allemande en Europe et de la paix. Né le 29 juin 1925 à Oradour, il travaille comme apprenti mécanicien dans un garage à Limoges depuis 1940. Le 10 juin 1944, à la veille de ses dix-neuf ans, il est fusillé dans la grange Laudy ; malgré le feu et ses blessures il parvient à se sauver par une porte dérobée, mais sa mère et ses deux sœurs périssent dans la tuerie de l’église. En juillet 1944, il rejoint le maquis de Cieux (Haute Vienne) ; engagé dans l’Armée française de la libération, il participe aux combats de Lorient. Démobilisé en septembre 1945, il reçoit la croix du combattant. En 1950, il ouvre un garage dans la nouvelle bourgade d’Oradour. Dès 1945, il apporte son soutien à l’ANFMOG dont il sera le président de 1987 à 1991 ; lui aussi milite activement pour la fondation du CMO. En 2006, il est élu vice-président de l’Office National des Anciens Combattants et victimes de guerre (ONAC), présidé au niveau départemental par le préfet. Le prix autrichien pour la Mémoire lui est attribué en 2008. Officier de la Légion d’honneur en 2010, il reçoit la Croix fédérale allemande du mérite en septembre 2012.

17 Après avoir difficilement surmonté le traumatisme du 10 juin 1944, Robert Hébras a compris qu’il fallait dépasser le deuil et la haine et ouvrir Oradour vers l’extérieur, sans ne rien oublier du terrible passé. Qui entretiendra le souvenir quand les derniers témoins auront disparu ? Le déclic vient peut-être d’une conférence de la paix, organisée en 1985 à Nuremberg par l’ancien chancelier Willy Brandt, à l’époque président du SPD et de l’Internationale socialiste, Prix Nobel de la paix en 1971. Par son engagement personnel, puis par le biais des activités du CMO, à l’occasion de débats et de conférences, il apporte en France, en Allemagne et dans d’autres pays son témoignage dans un langage simple qui va droit au cœur et à la raison. Il reçoit des élèves, des classes, des journalistes, montre des documentaires, informe et fait réfléchir, sans jamais développer de propos haineux. En 1992, il fait paraître son propre récit du massacre : « Oradour-sur-Glane, Le drame heure par heure » ; avec André Desourteaux, il publie en 2001 le livre intitulé « Notre village assassiné ». En 2011, il participe avec Jean-Marcel Darthout au documentaire de Patrick Séraudie, « Une vie avec Oradour » ; « La douleur, la révolte et la dignité imprègnent ce film » écrira le quotidien Le Monde, « D’une sobriété exemplaire, sans pathos » dira Libération. Des entretiens avec Laurent Borderie, journaliste au Populaire du Centre (Limoges) nourrissent son dernier livre, Avant que ma voix ne s’éteigne (cf. bibliographie).

Robert Hébras et les Malgré-nous

18 Un passage du livre de Robert Hébras, « Oradour-sur-Glane, Le drame heure par heure » met en doute le caractère forcé de l’incorporation des Alsaciens dans la Waffen-SS. Dans cette publication de 1992, il écrit à propos des participants au massacre du 10 juin 1944 : « …parmi les hommes de main, il y avait quelques Alsaciens enrôlés soit-disant de force dans les unités SS ». Cette appréciation, qui suscite des polémiques parmi les Malgré-nous, est plus nuancée dans la réédition de 2004 de la part d’un auteur soucieux de réconciliation. Par erreur de l’éditeur, la réédition de 2008 reprend le texte incriminé de 1992. Deux associations de Malgré-nous portent plainte en diffamation. Déboutées en première instance par le tribunal de Strasbourg (octobre 2010), elles obtiennent satisfaction devant le tribunal de Colmar, le 14 septembre 2012. Robert Hébras et son éditeur sont condamnés à verser un euro symbolique et 10 000 euros au titre des frais de justice. La cour d’appel considère que l’auteur « a outrepassé les limites de la liberté d’expression en mettant en doute le caractère forcé et non volontaire de l’incorporation des jeunes Alsaciens dans les unités allemandes de la Waffen-SS ». Elle estime que Robert Hébras ne pouvait pas se prévaloir de sa qualité de témoin car à l’époque du massacre « il n’avait pas distingué les Allemands nazis des Alsaciens portant le même uniforme » et qu’il était « encore moins témoin de l’incorporation de force des Alsaciens dans les unités allemandes ». La cour d’appel souligne que l’incorporation de force est une « vérité historiquement et judiciairement établie ». Très affecté par cette décision, Robert Hébras se pourvoit en cassation et un comité de soutien se forme pour le soutenir.

19 Il est choquant que Robert Hébras, victime ainsi que sa famille du massacre d’Oradour, perpétré avec la participation de Malgré-nous, soit condamné pour avoir émis un doute sur le caractère de l’enrôlement de ces derniers ; en outre on ne doit pas oublier que des Mosellans comptent aussi parmi les victimes. Une entente à l’amiable était possible, surtout dans la mesure où Robert Hébras, s’expliquant sur son erreur d’appréciation lors d’une manifestation publique à Strasbourg, le 22 novembre 2011, insiste sur sa volonté d’entente avec les Malgré-nous : « Pendant longtemps j’ai cru que ces jeunes Alsaciens étaient tous des engagés volontaires. Il y avait cette croyance que la SS ne comptait que des volontaires. Je m’excuse d’avoir pensé cela à une époque de ma vie. Aujourd’hui je sais que, vous comme moi, nous avons beaucoup souffert ; serrons-nous la main » (Dernières Nouvelles d’Alsace, DNA, 18.09.2013). Effectivement la plupart des membres de la Waffen-SS n’étaient pas des volontaires, ils avaient été affectés directement à ce type d’unités.

20 De 1942 à 1944, il y aurait eu 100 000 Alsaciens et 30 000 Mosellans enrôlés de force dans l’armée allemande, y compris dans la Waffen-SS, la branche militaire de la SS. Ces soldats ont participé à de durs combats en URSS ou en Normandie (poche de Falaise). Il y eut de nombreux tués, blessés, invalides et disparus ; les soldats français, prisonniers des Soviétiques conservent un souvenir épouvanté du camp de Tambov. Le massacre de Ballersdorf (Haut-Rhin), entre Belfort et Mulhouse, n’est pas oublié. Dix-huit incorporés de force, dont douze de la localité de Ballersdorf, refusent de servir l’armée allemande et tentent de s’enfuir ; seize d’entre eux sont repris et fusillés. Fondée en 1981 à la suite d’un accord entre le président Valéry Giscard d’Estaing et le chancelier Helmut Schmidt, la Fondation Entente Franco-Allemande, dont le siège est à Strasbourg, a reçu une importante dotation de 250 millions de marks (D.M.) de la part de l’État fédéral allemand ; une partie de cet argent vise à indemniser les incorporés de force, le reste est consacré au développement des relations franco-allemandes.

21 Lors de leur visite à Oradour-sur-Glane, le 4 septembre 2013, les présidents de la République, française et allemande, abordent différemment le problème des Malgré-nous. François Hollande reconnaît les tensions : « Il a fallu des décennies, toujours, pour que soit aussi reconnu le drame des incorporés de force et que le Limousin et l’Alsace fassent la paix ». Il souligne que « …seule la vérité fonde la réconciliation ». Joachim Gauck évacue la question dans la mesure où il rappelle que les crimes du 10 juin 1944 ont été commis par des soldats sous commandement allemand. Après cette cérémonie très émouvante, les deux présidents de la République entourant affectueusement et avec beaucoup de compassion Robert Hébras, on s’interrogeait sur la teneur de l’arrêt de la Cour de cassation, attendu le 16 octobre. La paix est-elle faite ? Patrick Fluckiger, correspondant du bureau de Paris des DNA, relève que « si la réconciliation franco-allemande a franchi un nouveau pas, les plaies restent à vif entre le Limousin et l’Alsace » (DNA, 18.09.2013).

22 Devant la Cour de cassation, Maître Françoise Thouin-Palat, avocate de Robert Hébras, plaide la bonne foi de son client qui n’est « ni journaliste, ni historien, ni écrivain, mais témoin » ; il est tenu à une obligation de sincérité, pas d’objectivité. Il n’a évoqué que le cas des SS d’Oradour, sans jamais remettre en cause la réalité de l’incorporation de force en Alsace-Moselle. L’avocat général, Christian Mellottée, se prononce aussi pour la cassation, au nom du respect de la liberté d’expression auquel la Cour européenne est très attentive ; s’exprimant sans esprit de haine, Robert Hébras a le droit d’émettre des doutes. Selon les DNA, l’avocat général précise sa propre position : « Concernant l’histoire, je suis partisan d’une liberté totale. Ce n’est pas avec des lois mémorielles comme la loi Gayssot et avec la censure que l’on fait progresser la vérité ». Cette loi du 13 juillet 1990 tend à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe ; elle qualifie de délit la contestation de l’existence des crimes contre l’humanité. Contrairement à son confrère, Maître Jean-Pierre Chevallier, au nom des Malgré-nous, considère que la cassation laisserait « entière la dérive de la réalité historique et judiciaire », risquant même d’« ouvrir la boite de Pandore ». Monsieur Hébras a été témoin du drame d’Oradour mais pas de l’incorporation de force. La loi d’amnistie de 1953, dont ont bénéficié les 13 Malgré-nous condamnés à Bordeaux, précise qu’ils ont été incorporés contre leur gré. Toujours dans le même numéro des DNA, le journaliste Christian Bach évoque en ces termes le drame des incorporés de force : « Vaincus dans tous les cas. Et associés aux bourreaux, parfois. C’était leur lot. »

23 Les universitaires apportent leur point de vue. Claire Vitoux, Maître de conférences à l’université de Haute-Alsace (Mulhouse), se dit surprise par la création d’un comité de soutien en faveur de Robert Hébras. Elle condamne le double négationnisme qui, selon elle, empêche la réconciliation :

24

  • En Alsace certaines personnes finissent par nier que des Alsaciens-Lorrains ont participé à un crime de guerre, en prétendant que les femmes et les enfants sont morts dans l’église d’Oradour le 10 juin 1944 par la faute des résistants.
  • Dans le Limousin, d’autres personnes ont nié l’incorporation de force. (Note d’H.M : il faut toutefois souligner que ceci n’est plus vrai des jeunes générations, plus dégagées de l’émotion et mieux informées par l’Histoire)

25 La vérité selon Madame Vitoux : le crime de guerre est établi car les SS ont mis le feu à l’église et mitraillé femmes et enfants. Cette dernière se prononce pour « un récit partagé » des faits, par des historiens des deux régions, sans lequel il n’y aura pas de réconciliation. Elle rappelle que le président Sarkozy a déclaré le 8 mai 2010 à Colmar que les incorporés de force « ne furent pas des traîtres mais au contraire les victimes d’un véritable crime de guerre » ; l’historienne regrette qu’il n’ait pas été entendu par la nation toute entière. Il faudrait des déclarations symboliques, comme celle du président Chirac, au Vel’d’hiv le 16 juillet 1995, à propos de la Shoah (DNA, 18.09.2013)

26 Jean-Laurent Vonau, historien et auteur d’un livre sur « Le procès de Bordeaux. Les Malgré-nous et le drame d’Oradour » indique que l’indemnité versée par l’État fédéral allemand à la Fondation Entente Franco-Allemande (Strasbourg) ne vaut pas reconnaissance de l’incorporation de force comme crime de guerre. Il relève même un paradoxe. « Les Alsaciens ont demandé au président de la République (française) de reconnaître l’incorporation de force alors que ce sont les Allemands qui en sont les auteurs » (Le Républicain Lorrain, 01.09.2013).

27 Le 16 octobre 2013, l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation donne finalement raison à Robert Hébras et casse la décision du tribunal de Colmar. Elle relève que les propos litigieux « s’ils ont pu heurter, choquer ou inquiéter les associations demanderesses, ne faisaient qu’exprimer un doute sur une question historique objet de polémique, de sorte qu’ils ne dépassaient pas la liberté d’expression » (Le Populaire du Centre, 17.10.2013). Maître Thouin-Palat publie un communiqué à propos de son client : « M. Hébras, qui ne nourrit pour sa part aucune querelle personnelle contre les Alsaciens enrôlés de force dans l’armée allemande, se réjouit de cette décision qui, dans la ligne constante de la jurisprudence, contribue à renforcer la liberté d’expression dans notre pays ». Une décision effectivement très importante car elle fera jurisprudence. L’association fondée pour soutenir Robert Hébras dans ses démêlés judiciaires est maintenue. Elle veut poursuivre l’engagement mémoriel de Robert Hébras et défendre l’exactitude historique concernant le drame du 10 juin 1944, face aux risques de dérives négationnistes. « Oradour. Histoire, Vigilance et Réconciliation », est présidée par une ancienne professeure d’histoire, Madame Bernadette Malinvaud (oradour.hvr@laposte.net).

François Hollande et Joachim Gauck à Oradour (4 septembre 2013)

28 Les premières personnalités allemandes à se rendre à Oradour depuis la fin des années 1990 venaient de Bavière. On peut citer Reinhold Bocklet (ministre du gouvernement bavarois), Madame Gerda Hasselfeldt (député fédéral, ancien ministre fédéral et ancienne vice-présidente du Bundestag), Paul Fischer (conseiller des chefs de gouvernement bavarois). Le Bezirk de Moyenne Franconie à Ansbach et tout particulièrement un de ses élus, Fritz Körber, SPD, ainsi que le service des jumelages ont activement soutenu les échanges avec le Limousin auxquels Oradour a participé. Ni le président de la République fédérale, ni le chef du gouvernement fédéral n’avaient encore osé entreprendre un déplacement à Oradour, jugé prématuré, voire risqué. La visite du président de la République, Joachim Gauck, le 4 septembre 2013, dans le cadre de sa visite d’État du 3 au 5 septembre, avec Paris et Marseille comme autres étapes, constituait un puissant symbole pour le rapprochement franco-allemand et la paix en Europe. En dehors des jumelages, cette visite avait été préparée en amont par le travail de réconciliation effectué par Robert Hébras, le Centre de la Mémoire d’Oradour (dirigé par Richard Jezierski) et l’infatigable Raymond Frugier, ancien intendant de l’Éducation nationale, maire d’Oradour de 1995 à 2014, qui a reçu en 2013 le prix Montgelas décerné à Munich par la Société pour la promotion de la coopération franco-bavaroise. Raymond Frugier se réjouit tout particulièrement d’avoir contribué à la réconciliation entre Oradour et l’Alsace. Le consulat général allemand à Bordeaux (Hans-Werner Bussmann, consul général) et l’Ambassade d’Allemagne à Paris (Suzanne Wasum-Rainer, Ambassadeur) ont également joué un rôle positif.

29 La personnalité même de Joachim Gauck ne pouvait prêter à contestation à Oradour. Né à Rostock en 1940, pasteur connu pour son engagement critique contre le régime communiste de la RDA, porte-parole du mouvement de dissidents Nouveau Forum lors de la chute du Mur de Berlin, député de Rostock en 1990, il est désigné comme délégué fédéral aux archives de la STASI (la police secrète de la RDA), le 3 octobre 1990, jour de l’unité allemande. Jusqu’en 2010 son rôle est de sauvegarder et d’exploiter des documents qui révèlent la vraie nature du régime communiste ; Joachim Gauck s’identifie si bien à ce travail que l’on parlera, même après son départ de « l’administration Gauck ». Toujours préoccupé par les problèmes de la mémoire et de la démocratie, il est élu en 2003 président de l’association « Contre l’oubli – Pour la démocratie ». Après une vaine tentative en 2010, il est brillamment élu président de la République fédérale le 18 mars 2012 avec 88 % des suffrages. Comme aucun autre président de la République fédérale, il tient à exprimer sympathie et compassion aux pays qui ont le plus souffert des atrocités du IIIe Reich : Pologne, Hollande et République tchèque (Lidice) en 2012, Italie (Sant’Anna di Stazzema) et France en 2013, Grèce début mars 2014.

30 Dans le discours prononcé le mardi 3 septembre 2013 au Palais de l’Élysée, à Paris, Joachim Gauck insiste beaucoup sur l’importance de la mémoire et sur les lieux de mémoire franco-allemands comme Reims, Ludwigsburg, Verdun, Douaumont. Il n’esquive pas la question de la culpabilité et de la responsabilité. Selon lui, les Allemands savent « combien il est important de garder le souvenir des chapitres les plus noirs de notre histoire, d’analyser sincèrement notre culpabilité et d’assumer notre responsabilité ». Se référant à la chute du Mur de Berlin en 1989, il se réjouit que les Allemands sachent aussi faire la révolution. Puis il livre un vibrant plaidoyer en faveur de la coopération franco-allemande et de l’unité européenne. Nous ne pouvons « assumer l’avenir de l’Europe qu’ensemble et non les uns contre les autres ». Dans un entretien avec la radio Europe 1, il indique que le but de son voyage est de tendre la main aux victimes de 1944, de leur montrer qu’il est à leur côté, et de dire aux survivants et aux descendants des victimes que les Allemands sont conscients de ce qu’ils ont fait.

Oradour-sur-Glane, mercredi 4 septembre 2013. Programme officiel des Présidents de la République. François Hollande et Joachim Gauck

14.15Accueil républicain à l’aéroport de Limoges des Présidents François Hollande et Joachim Gauck et de leurs conjoints
14.30Visite du village martyr d’Oradour-sur-Glane en présence de
MM. Raymond Frugier, Maire
Claude Milord, Président de l’Association des familles des victimes et des rescapés
MM. Robert Hébras et Jean-Marcel Darthoux, survivants
Dépôt de gerbes au tombeau des martyrs
Signature du Livre d’or de la Mairie d’Oradour-sur-Glane
Et de l’Association des Familles des victimes et des rescapés
15.10Visite du Centre de la Mémoire (CMO) d’Oradour-sur-Glane
15.30Allocution des deux chefs d’État
Dévoilement d’une plaque commémorative
Échanges avec les familles des victimes et des écoliers d’Oradour-sur-Glane
Source : Palais de l’Élysée

Oradour-sur-Glane, mercredi 4 septembre 2013. Programme officiel des Présidents de la République. François Hollande et Joachim Gauck

31 À Oradour, Joachim Gauck s’indigne que des Allemands aient refoulé ou simplement ignoré le passé nazi et que trop de crimes barbares soient restés sans suites sur le plan judiciaire. « Je partage votre amertume quand des assassins ne doivent pas rendre de comptes et que les crimes les plus graves restent impunis ». Aussi fait-il l’éloge des contestataires allemands de 1968 qui ont posé avec insistance la question de l’attitude des parents et grands parents à l’égard du nazisme. En signant le Livre d’or, il fait part de l’épouvante, de l’émotion et de l’horreur que lui inspire le massacre commis par des soldats sous commandement allemand. Saluant la volonté de réconciliation des Français, il a accepté avec « humilité » et « reconnaissance » l’invitation du président Hollande. Heureusement les choses ont changé. « Je témoigne aujourd’hui de l’existence d’une autre Allemagne pacifique et solidaire ». Une autre Allemagne qu’il se réjouit de représenter. En se confrontant sérieusement avec cette histoire amère, les Allemands ont acquis la force de faire de leur pays « un bon pays ». Le Président promet que l’Allemagne n’oubliera ni Oradour, ni les autres lieux de l’horreur nazie en Europe.

32 Déjà lors de la conférence des ambassadeurs français à Paris, fin août 2013, le président François Hollande avait souligné l’importance de la visite de Joachim Gauck à Oradour et l’esprit dans lequel elle allait se dérouler. « Ne rien oublier et être capable en même temps de construire un avenir commun. Ce sera une nouvelle démonstration de ce qu’est la force de cette amitié franco-allemande ». Le côté allemand avait souligné que la poursuite des relations franco-allemandes, essentielle pour l’avenir de l’Europe, ne peut se passer de la vérité historique. Dans son discours du 4 octobre à Oradour, François Hollande considère que la venue de Joachim Gauck constitue « un événement exceptionnel ». Et il ajoute : « Vous êtes la dignité de l’Allemagne d’aujourd’hui, capable de regarder en face la barbarie nazie d’hier ». Puis il développe deux thèmes, Oradour et l’amitié franco-allemande.

33 Pour François Hollande, Oradour est « le lieu où l’horreur fut commise » et « où la mémoire est scrupuleusement gardée ». Il dénonce le crime, « le pire des crimes, un crime contre l’humanité », une « abomination » commise par des « barbares ». Il regrette, lui aussi, que les chefs SS n’aient pas été condamnés. Il constate que des années ont été nécessaires pour créer le Centre de la Mémoire qui va transmettre « aux générations suivantes le récit de ce drame ». Il se réfère à l’autre drame, celui des incorporés de force, qui a troublé les relations entre l’Alsace et le Limousin.

34 Depuis le général de Gaulle et Konrad Adenauer (Colombey-les-Deux-Églises en 1958 et Ludwigsburg en 1962) puis avec François Mitterrand et Helmut Kohl (Verdun, 1984) la France et l’Allemagne ont eu le courage « de partager leur avenir en surmontant le passé ». La visite de Joachim Gauck à Oradour confirme que « l’amitié entre nos deux pays est un défi à l’histoire, mais aussi un exemple pour le monde entier ». Cette amitié nous dépasse et nous oblige. « Elle fonde le projet européen ». En cessant de se faire la guerre, les Européens « ont bâti une belle maison accueillante : l’Europe ». Cette Europe, synonyme de paix, nous a donné également la démocratie, la défense des droits de l’Homme et « le refus de l’inacceptable ». Il faut honorer ces promesses, « nous le devons aux suppliciés du 10 juin 1944 ». François Hollande cite une des sept strophes du poème sur Oradour, paru en 1944 dans un journal clandestin, écrit par Jean Tardieu (1903-95), traducteur de Goethe et d’Hölderlin.

35

Oradour n’a plus de femmes
Oradour n’a plus un homme
Oradour n’a plus de feuilles
Oradour n’a plus de pierres
Oradour n’a plus d’Église
Oradour n’a plus d’enfants
Oradour n’est plus qu’un cri.

36 Il achève son allocution par ces mots : « Et bien ce cri, Monsieur le Président, je l’entends encore et je l’entendrai toujours quand il y aura d’autres massacres dans le monde ». Il revient sur l’idée du cri en signant le Livre d’or : « Oradour est un cri que j’entends chaque fois qu’un massacre est commis dans le monde » Selon François Hollande, les deux présidents sont venus dans le Limousin exprimer « leur confiance dans la liberté, leur espérance dans la démocratie et leur attachement à la paix ».

Le moulin du pont Lasveyras

37 Le 16 février 1944, un peu moins de quatre mois avant l’anéantissement d’Oradour et à quelque 70 kilomètres au sud, le moulin du Pont Lasveyras est le témoin d’un massacre, qui, en dehors de l’impact local, est étrangement ignoré en France et en Allemagne. Peut-être en raison de la multiplication des atrocités avant et après le Débarquement des forces alliées en Normandie, le 6 juin de cette même année. Il s’agit pourtant du massacre, parmi les plus importants, de réfractaires du Service du Travail Obligatoire que la France ait connu. 34 jeunes Français sont tués, 5 des douze déportés dans les camps de concentration sont morts (39 au total), il n’y a que 3 survivants. Les archives des troupes allemandes, stationnées à Limoges, qui ont commis le forfait, ont été en grande partie détruites par les Allemands eux-mêmes lors de la libération de la ville au cours de l’été 1944, celles qui se trouvent dans les archives militaires allemandes (Berlin, Coblence, Fribourg, Ludwigsburg) apportent peu d’éclaircissements. Le manque d’informations et d’explications sur les causes, le déroulement et les suites directes du massacre, ainsi que sur le sort de l’un des réfractaires disparu entre les camps de concentration de Dachau et d’Auschwitz posent encore des questions dérangeantes. Celles-ci nourrissent des tensions et des polémiques qui se sont manifestées publiquement lors du 70e anniversaire de ce triste événement.

Le moulin du Docteur Dutheil

38 Au fond d’une vallée boisée, escarpée et difficile d’accès, où coule la rivière appelée l’Auvézère, un moulin désaffecté et le pont Lasveyras se situent sur les communes de Beyssenac (Corrèze) et de Payzac (Dordogne), à la limite de trois départements (Corrèze, Dordogne et Haute-Vienne). Le moulin se trouve en amont de ce vieux pont moyenâgeux, classé monument historique. Il appartenait à un médecin de Limoges, le docteur Lucien Adolphe Dutheil, connu pour son engagement à l’extrême droite. Dirigeant local du Parti Populaire Français, PPF, lancé en 1936 par Jacques Doriot, il était aussi trésorier départemental de la Légion des Volontaires Français ; créée en juillet 1941 la LVF a combattu sur le front soviétique aux côtés des troupes allemandes. Il entretenait de bons rapports avec la Milice, une formation paramilitaire fondée par le régime de Vichy (Pierre Laval et Joseph Darnand) en janvier 1943, sur le principe du volontariat et à condition de ne pas être juif. Là aussi, aux côtés des Allemands, elle intervenait contre les juifs et les résistants. La Milice remplaçait le Service d’Ordre Légionnaire, SOL, institué le 14 août 1941. Les effectifs de la Milice sont évalués de façon très imprécise entre 10 000 et 25 000 personnes. Celle-ci participe aux grandes batailles de l’armée allemande contre la Résistance au premier semestre 1944 comme le Plateau des Glières et le Vercors dans les Alpes et le Mont Mouchet dans le Massif Central.

39 On peut supposer, sans pouvoir produire des preuves irréfutables, que le docteur Dutheil a prévenu la Milice ou le commandement allemand à Limoges de l’utilisation clandestine de son moulin. Il était en contact avec le capitaine Barthels, adjoint du colonel August Meier, chef de la Gestapo à Limoges. Disparu à la Libération, il est condamné à mort par contumace le 25 juin 1946, par la Cour de Justice de Limoges. Il se serait réfugié en Amérique du sud (Argentine) où il se livrait à des trafics peu recommandables. Il est toutefois amnistié le 21 septembre 1960 en application de l’article 6 de l’Ordonnance du 31 janvier 1959 par un décret du président de la République, le Général de Gaulle, sous prétexte qu’il serait intervenu pendant la guerre auprès des autorités allemandes de sa ville en faveur de détenus français.

Résistance et STO

40 L’occupation clandestine du Moulin du Pont Lasveyras était une des conséquences du STO. Le dirigeant nazi Fritz Sauckel (1894-1946) est chargé, depuis mars 1942, de l’emploi de la main-d’œuvre étrangère au profit de l’Allemagne. Comme le départ des jeunes sur la base du volontariat ne donne pas satisfaction, il impose le travail obligatoire, introduit en France par une décision du conseil des ministres à Vichy, le 24 février 1943. Trois sortes de Français travaillent pour l’Allemagne en guerre. 1- Les ouvriers français employés dans les entreprises françaises mais dont la production est destinée à l’Allemagne. 2- Des prisonniers de guerre et des déportés des camps de concentration en Allemagne. 3- Les jeunes Français appelés depuis 1942 à se rendre volontairement en Allemagne (leur départ facilitait le retour d’un nombre limité de prisonniers dans le cadre de « la relève »), puis contraints de le faire à partir de 1943. Le 24 décembre 1943, 25 Français sont exécutés à Rennes pour avoir fait sauter les sièges de la LVF et du bureau du recrutement des travailleurs français pour l’Allemagne. Avec l’URSS et la Pologne, la France sera un des principaux fournisseurs de main-d’œuvre du Reich, et même le premier fournisseur en ouvriers qualifiés.

41 Selon des estimations d’historiens, il y aurait eu 7,5 millions de travailleurs étrangers en Allemagne en 1944, dont 2 millions de Français en fin d’année : 1 million de prisonniers de guerre, 200 000 anciens prisonniers de guerre avec statut de travailleurs libres, 600 000 travailleurs du STO, 40 000 travailleurs plus ou moins volontaires, 130 000 Malgré-nous et 65 000 déportés. Responsable de l’emploi de cette main-d’œuvre étrangère dans des conditions souvent inhumaines, Sauckel sera condamné à mort au procès de Nuremberg en 1946. Contrainte d’appeler davantage d’hommes sous les drapeaux en raison de ses défaites, l’Allemagne doit recourir plus massivement aux travailleurs étrangers dans l’industrie. À tel point que Sauckel exige au début de l’année 1944 une augmentation de la contribution française, avec un million de prisonniers au service de l’Allemagne et un million de jeunes Français dans le cadre du STO. Ces objectifs ne seront jamais atteints. Les jeunes Français, qui refusent de rejoindre le STO, se cachent par leurs propres moyens ou bien ils rejoignent les maquis des régions boisées, difficiles d’accès (Alpes, Massif Central, Pyrénées). Les réfractaires se réfugient auprès des mouvements de la Résistance qui veulent bien les accueillir, à ces derniers de trouver les moyens de les héberger, de les nourrir et de les préparer au harcèlement des forces d’occupation.

42 Après l’appel historique lancé par le Général de Gaulle à Londres le 18 juin 1940, divers mouvements de résistance se constituent en France dès l’automne. La guerre de l’Allemagne contre l’URSS, lancée le 22 juin 1941, suscite l’entrée des communistes français dans la résistance, avec leur propre organisation, les Francs Tireurs et Partisans Français, FTPF. D’autres événements comme l’occupation de la zone libre le 11 novembre 1942, l’introduction du STO et les défaites militaires du IIIe Reich renforcent les rangs de la Résistance. Malgré la mise en place de structures de coordination (Mouvements Unis de la Résistance en mars 1943 dans la zone sud et Conseil National de la Résistance, créé en 1943 sous la présidence de Jean Moulin pour fédérer l’ensemble des organisations) des rivalités importantes subsistent. De nombreuses tensions existent entre gaullistes et antigaullistes, communistes, anticommunistes et non-communistes, entre partisans des sabotages et de la lutte armée immédiate (comme les FTPF) et ceux qui recommandent la prudence pour épargner des représailles à la population civile.

43 Malgré les conflits entre les divers groupes et le manque de moyens, l’existence de la Résistance se traduit par des actions de propagande (tracts, journaux clandestins), des sabotages (voies ferrées empruntées par les trains à destination de l’Allemagne ou usines françaises travaillant pour l’Allemagne), des recueils de renseignements sur les troupes allemandes en France, des sauvetages de pilotes anglais et des attentats contre des Allemands et des personnes au service de Vichy. Fin 1943 et début 1944, le préfet de la Dordogne ne cesse de signaler à sa hiérarchie des actions « terroristes » de plus en plus fréquentes, comme des attentats, des sabotages, des vols de produits alimentaires, mais également des vols d’argent, d’essence et de voitures.

44 Le nord-ouest de la Dordogne est sous l’influence de deux grands organismes de la Résistance. L’Armée Secrète d’obédience gaulliste est constituée en 1942, sous la direction du général Delestraint, par les militaires qui n’acceptaient pas la convention d’armistice franco-allemande signée à Rethondes le 22 juin 1940 ; les FTPF (les formations de combat du parti communiste français) sont fondés la même année. Les luttes intestines conduisent parfois à des règlements de compte. Le camp du Pont Lasveyras accueille une centaine de jeunes depuis la fin de l’année 1943 ; il est placé sous l’autorité de l’Armée Secrète Dordogne-nord, commandée par Charles Serre, qui sera arrêté le 22 janvier 1944. Ce dernier est remplacé par Rodolphe Cézard (RAC), désigné comme responsable du mouvement jusqu’au débarquement. Malgré les qualités des responsables, l’emplacement du camp du Pont Lasveyras était considéré comme inapproprié, voire dangereux car difficile à défendre, aussi un déménagement était-il envisagé. La présence de dizaines de réfractaires, contraints de se déplacer dans les fermes environnantes pour se nourrir, ne pouvait passer inaperçue. Les jeunes accueillis au moulin étaient peu armés et pas encore préparés au combat militaire, comme l’ensemble des groupes de la Résistance à l’époque.

45 Le 27 juin, les FFI créent la brigade RAC composée de trois bataillons, le troisième s’appelant Bataillon Violette. La brigade RAC devient en août 1944 le 50e RI qui s’illustrera dans les combats pour la libération de Périgueux, Saintes, Angoulème et Royan. Parmi les chefs militaires, il y a une personnalité charismatique, René Tallet, dit Violette. Né en 1919 à Angoisse (Dordogne), il s’était engagé dans l’aviation en 1939 pour devenir pilote de chasse, mais la guerre se termina avant la fin de ses stages. Pendant la guerre, il joue un rôle important dans la partie Nord de la Dordogne. Une des associations pour la défense des victimes du Pont Lasveyras porte le nom de Violette.

Le massacre du 16 février 1944

46 Les forces de sécurité allemandes venues de Limoges (Sicherheitspolizei et Sicherheitsdienst/ police de sécurité et service de sécurité) étaient placées depuis avril 1943 sous la direction de l’Obersturmbannführer August Meier. Né à Mayence en 1900, ce dernier fut affecté fin 1944 au SD de Breslau, puis de Wiesbaden ; il s’est suicidé le 13 mai 1960 dans une cellule de la prison de Bayreuth, en Bavière.

47 L’objectif des troupes allemandes, estimées à 250 hommes, est de surprendre et d’anéantir totalement les maquisards de l’AS installés au moulin du Pont Lasveyras ; elles ont l’avantage du nombre, de l’entraînement et de la qualité de l’armement. Le 16 février 1944 au matin, elles encerclent et attaquent le moulin où se trouvent une cinquantaine de maquisards de 19 à 25 ans (un groupe important, engagé dans des actions extérieures, n’est heureusement pas sur place). Après des échanges de coups de feu et des morts du côté français, le bilan de ce combat inégal est désastreux :

48

  • 34 réfractaires sont tués ou exécutés,
  • 12 sont déportés dans des camps de concentration (5 ne reviendront pas),
  • 1 blessé survivra à la balle allemande tirée dans la nuque,
  • 2 hommes s’échappent en se jetant dans la rivière glacée. Le dernier survivant du massacre, André Cubertafon, est décédé le 5 mars 2014 à l’âge de 90 ans.

49 Informé du massacre, les FTPF et l’AS lancent le jour même des actions de commando contre les Allemands qui subissent des pertes. Avant de se retirer, ces derniers pillent les fermes aux alentours sous prétexte d’aide aux réfractaires. Cette action et les conséquences qui en découlent pour la population civile suscitent des tensions entre l’Armée Secrète et les FTPF.

50 Qui a trahi les maquisards ? Trois hypothèses au moins sont envisageables.

51

  • Le Docteur Dutheil, de Limoges, propriétaire du moulin, est fortement soupçonné en raison de son engagement dans les rangs de l’extrême droite pétainiste.
  • Deux jeunes Français, infiltrés parmi les réfractaires, auraient trahi ces derniers et donné des informations sur l’emplacement des deux sentinelles qui furent égorgées.
  • Par dépit amoureux, une jeune religieuse sœur Philomène, aurait livré des secrets à la Milice. Arrêtée à Bergerac par des responsables de l’Armée Secrète, elle fut exécutée un peu plus tard.

52 Par lettre du 17 février 1944, le commandement allemand à Limoges, l’Hauptsturmführer Ulbing, indique au préfet de la Dordogne, M. Popineau, que les obsèques devront se dérouler au cimetière de Payzac dans « un silence absolu », avec tout au plus la présence du clergé. Prétextant la présence de « terroristes et autres éléments subversifs », il ajoute : « Je ne saurais admettre que des parents de bandits participent éventuellement aux obsèques ». Suite aux demandes françaises, et par crainte de troubles, les autorités allemandes autorisent finalement la présence de deux parents, « sous réserve que l’ordre public soit rigoureusement observé et qu’il n’y ait aucun attroupement ». Sinon les autorités occupantes appliqueront des « sanctions extrêmement graves ». Le traumatisme subi par les familles des maquisards tués a été profond et durable. Plusieurs mères ont perdu la raison, d’autres ont été épuisées de chagrin. L’une d’entre elles, Madame Bartou, ouvrait la porte dès qu’elle entendait un bruit et demandait : « C’est André qui revient ? ».

Deux associations et des élus au service de la mémoire

53 Deux associations se consacrent, parfois en se disputant, à la défense de la mémoire des victimes du massacre du Pont Lasveyras. L’Amicale des Anciens Maquisards Résistants et Amis du Bataillon Violette, Brigade RAC 50e RI (siège social à la Mairie de 24270 Lanouaille) est fondée en 1946. Elle veut affirmer, selon ses propres termes, les liens de solidarité entre les maquisards de tous grades, développer leur esprit de camaraderie, d’estime et de soutien réciproque. Il lui importe de rappeler le rôle de la Résistance dans la libération de la France, de veiller au respect de la mémoire des résistants, en transmettant aux générations présentes et futures le devoir de la mémoire. L’Association a fait ériger en Dordogne et dans le Limousin des stèles ou donner des noms de rue, en souvenir du Pont Lasveyras et des actions du bataillon Violette. La grande stèle à proximité du Moulin de la Résistance reproduit le nom des réfractaires tués sur place ou morts en déportation. Elle a été corrigée en 2009 grâce aux preuves fournies par l’autre association, l’AFAV et validées par le Musée de la Résistance au Pont Lasveyras. Aujourd’hui on peut lire l’inscription suivante en grosses lettres :

54

Aux victimes de la barbarie nazie
Au Pont Lasveyras
Massacre du 16 février 1944
34 exécutés sur place
5 morts en déportation

55 Un chemin de la mémoire a été aménagé autour du Moulin. Dix panneaux encadrent le site, avec à côté de chacun d’eux de petits reposoirs, pour mieux lire les textes et méditer. L’ardoise, la pierre et le fer forment une heureuse alliance. Les panneaux donnent des informations sur la Résistance en France et dans la région.

56 Beaucoup plus récente, l’Amicale des Familles et Amis des Victimes du Nazisme en Limousin et au Périgord (AFAV) a été fondée le 6 février 2010 ; son siège est également à la mairie de Lanouaille. Sa principale animatrice, Nikolina Grimalt, est une interprète, ancienne ingénieure d’origine bulgare, qui consacre sa retraite au Pont Lasveyras. Son engagement vise à « défendre et perpétuer la mémoire des victimes du nazisme en Limousin et en Périgord ». En liaison avec les Archives départementales de la Dordogne, son premier souci a été, à partir de 2005, de rechercher, trier et sauvegarder des documents. Ainsi a-t-elle pu organiser dès 2009 l’exposition permanente du Musée sur le massacre du 16 février 1944. À l’aide de documents, de témoignages et de DVD elle contribue à l’éducation civique des jeunes. Son propre film documentaire est souvent utilisé dans les établissements scolaires. Elle publie un bulletin de liaison fort utile et milite aussi pour la mise en place de stèles à la mémoire des réfractaires.

57 L’AFAV coopère avec l’Association limousine franco-allemande (animée par Agnès Lecointre), qui veut développer les relations franco-allemandes dans le Limousin, l’Association franco-allemande de Fribourg, la Mairie et l’ancien camp de concentration de Dachau. Pour ses recherches sur les atrocités des troupes allemandes à Limoges et sur le sort des maquisards déportés, elle est entrée en contact avec les principaux centres d’archives militaires en France et en Allemagne. L’AFAV met la documentation qu’elle réunit à la disposition du Musée de la Résistance du Pont de Lasveyras, elle a contribué à identifier plusieurs réfractaires considérés comme « inconnus », tenant ainsi à jour la liste des victimes. Elle a fait poser une stèle à Payzac et donné le nom d’un réfractaire à une rue de Saint-Yrieix-la-Perche. Au terme de recherches parfois fastidieuses, elle publie dans son bulletin la biographie des victimes du massacre. Elle essaie par exemple d’élucider l’itinéraire d’un des déportés du Pont Lasveyras qui, de façon surprenante, a travaillé légalement quatre mois dans une boulangerie de Nuremberg, avant d’être envoyé au camp de concentration de Dachau, et dont la trace se perd dans un convoi vers Auschwitz. La famille de la boulangerie dans laquelle il a travaillé en 1944, et où il aurait laissé un bon souvenir, a été retrouvée à la même adresse en 2013. L’AFAV a fait inscrire le massacre du Pont Lasveyras sur le site allemand « Contre l’oubli » : http://www.gedenkorte-europa.eu/content /list/603/

58 En dehors des associations, il convient de souligner le rôle positif des élus. Le moulin a été acheté par la Communauté de communes de Saint-Yrieix (Haute-Vienne) en 2006, afin de préserver et de faire connaître ce lieu de mémoire. En 2008 est créé un syndicat intercommunal du Moulin de la Résistance et de la Mémoire du Pont Lasveyras, porté par trois communautés de communes (Pays de Saint-Yrieix/ Haute-Vienne, Lanouaille/ Dordogne et Pompadour/ Corrèze). Le syndicat est présidé par Francis Comby, maire UMP de Beyssenac/ Corrèze et conseiller régional du Limousin. En liaison avec les associations, le Moulin a été rénové et aménagé ; les abords sont entretenus et un parking accueille les visiteurs. Ces travaux mettent en valeur « le chemin de la mémoire » avec ses dix panneaux. Des visites guidées ont lieu pendant la bonne saison, des visites sur place sont possible tout au long de l’année. Le site du Pont Lasveyras a l’avantage de s’inscrire dans un parcours de randonnée et de sentier botanique qui incite à la promenade et à la réflexion.

Polémiques autour du 70e anniversaire

59 La préparation de la cérémonie du 70e anniversaire suscite bien des polémiques. L’Amicale du Bataillon Violette apprécie certes les recherches et le travail d’archive réalisé par l’AFAV, ainsi que ses efforts pour retrouver le nom des inconnus, mais elle redoute le surgissement de vérités dérangeantes (par exemple les cas de collaboration et de trahison au sein de la Résistance) ou de faits désagréables. Elle ne souhaite pas aller plus loin par crainte, selon ses propres termes, « de remettre en cause la mémoire et la loyauté des anciens du Bataillon Violette ». Les recherches de Madame Grimalt et de son équipe fâchent car elles font naître des doutes, elles sont considérées comme inutilement provocatrices.

60 Au conflit sur la question de savoir s’il faut se contenter d’une vérité officielle établie une fois pour toutes se greffe une seconde source de dissension, la participation, pour la première fois, d’une délégation allemande à la cérémonie du 70e anniversaire, le 16 février 2014. L’initiative vient de l’AFAV qui a même l’idée de faire intervenir publiquement une des personnalités allemandes. Le bureau de l’Amicale du Bataillon Violette condamne violemment une telle perspective. Une lettre ouverte à Madame Grimalt, présidente de l’AFAV, reproche à cette dernière d’aller trop loin, « c’est une provocation sans précédent ». Relayée par des journaux régionaux comme La Montagne et Sud-Ouest, la polémique prend de l’ampleur. Le président de l’Amicale, le docteur Dominique Sardin d’Enjoy, reconnaît ultérieurement que, dicté sous le coup de l’émotion, ce texte était excessif.

61 La lettre ouverte du 11 février 2014 poursuit en ces termes : « Le Moulin n’est pas un outil de communication et encore moins de rapprochement franco-allemand. Pourquoi faire ? Dans quel but ? C’est le dernier endroit où une personne sensée viendrait imaginer ce rapprochement. Cette démarche prouve votre méconnaissance du vécu local.

62 Cette démarche est intolérable, inhumaine et d’une grossièreté insultante à la mémoire des victimes. Vous devez respecter nos souffrances qui sont légitimes… Vous ne comprenez pas nos sensibilités, vous voulez rassembler des personnes qui ne peuvent pas s’entendre… Laissez-nous vivre avec notre histoire, notre mémoire et nos sensibilités, dont vous n’avez, visiblement, toujours pas saisi la mesure.

63 Si nous sommes convaincus de l’importance du rapprochement franco-allemand – rapprochement qui n’a plus à faire ses preuves – le Pont Las Veyras ne peut pas en être le lieu. Au Pont Las Veyras coule le sang des résistants ! La fracture est bien trop profonde. Le 70e anniversaire ne doit pas être l’occasion de balayer la sensibilité de nos anciens et la nôtre avec des propos et des gestes discordants. Je pense que nous devons nous excuser auprès des invités allemands car comme Monsieur Körber l’évoque dans le texte qu’il propose, nous ne sommes pas disposés à les entendre »

64 La « Lettre ouverte » fait bien sentir à Madame Grimalt qu’elle est une étrangère à la région (« votre méconnaissance du vécu local », « vous ne comprenez pas nos sensibilités »). Il lui est reproché de se « mettre en avant en semant la zizanie, dénonçant à tort, semant la pagaille ». Trois idées fortes se dégagent du texte.

65

  • Il reconnaît l’importance du rapprochement franco-allemand, mais refuse de faire du Pont Las Veyras un lieu de rapprochement car le sang y a coulé.
  • Braver cet interdit correspond à une démarche intolérable et inhumaine, d’une grossièreté insultante pour la mémoire des victimes.
  • Au nom de l’histoire, de la mémoire et des sensibilités le rapprochement franco-allemand est impossible au Pont Lasveyras car la fracture est bien trop profonde.

66 La délégation allemande s’est bien rendue à la cérémonie du Pont Lasveyras le 16 février 2014, mais sans prononcer le discours préparé à l’avance et dont le texte avait été communiqué au préalable aux responsables. Cette délégation était conduite par Hans-Werner Bussmann, consul général de la République fédérale à Bordeaux, et Fritz Körber, un ancien élu SPD bavarois, artisan du jumelage entre la Moyenne Franconie et le Limousin. Fritz Körber était accompagné de son ami Robert Hébras, un des deux derniers survivants du massacre d’Oradour qui, malgré la mort de 642 victimes innocentes, a trouvé la voie du rapprochement avec l’Allemagne, sans faire de concessions à la vérité historique. La présence de la délégation allemande n’a finalement donné lieu à aucun incident.

67 Une foule nombreuse et recueillie, assistait à la cérémonie du 70e anniversaire dont le programme comportait pas moins de neuf points. 1 : Chant « Ma terre » par Barbara ; 2 : Dépôt de gerbes ; 3 : Appel des victimes du massacre ; 4 : Sonnerie aux morts ; 5 : Minute de silence ; 6. Allocution de M. Comby ; 7 : Chant des partisans ; 8 : Marseillaise chantée par une chorale d’enfants ; 9 : Salut aux porte-drapeaux. En 2004 un musicien limousin, Bernard Delfigeas, avait écrit une chanson « Ma terre, Ma terre, Ma terre », en hommage « aux enfants de Lasveyras », interprétée par une jeune femme prénommée Barbara. Les deux premières des sept strophes commencent ainsi :

Ils ne connaissaient des grandes batailles,Ma terre se souvient de ce matin-là
Que celles, histoires vécues, de leurs aînés.Quelques rafales et pire que ça,
Ceux qui se couvrirent d’honneur et de gloire,Ont rougi l’eau de ma rivière ;
D’une guerre précédente, ils racontaientMa terre n’oubliera pas ces instants-là,
En retenant parfois un sanglot,Tous ces enfants, ces faux soldats,
Comment ils avaient pu sauver leur peau.Qui ne verraient plus la lumière…

68 Pour couper court aux polémiques entre les deux associations, le maire de Beyssenac et président du syndicat mixte du Moulin de la Résistance, Francis Comby, qui avait « crié halte au feu » (Sud-Ouest, 14.02.2014) décide qu’il n’y aura qu’un seul discours, le sien. Trois points se dégagent de son intervention. 1. Il lance un appel « au calme et à la sérénité », jugeant qu’il n’est pas opportun d’ouvrir une discussion sur les différentes hypothèses qui ont pu conduire au massacre. 2. Il souligne l’importance du travail de mémoire. Il faut garder en mémoire ce qui s’est passé le 16 février 1944 pour que les jeunes générations sachent se souvenir « pour la paix, pour assurer la liberté de l’esprit de fraternité et de tolérance ». 3. Très désireux d’effacer les rancœurs, Francis Comby se réfère à la réalité de l’amitié franco-allemande et à la continuité de la main tendue. Il juge que le rapprochement franco-allemand va dans le sens de l’histoire. Faisant allusion à la visite de François Hollande et de Joachim Gauck à Oradour-sur-Glane, cinq mois plus tôt, il souligne que l’exemple est donné « au plus haut sommet de l’État » ; la référence sera désormais cette cérémonie.

69 Selon le gros titre de « La Montagne » (17.02.2014), la cérémonie de la veille, avec pour la première fois la présence d’une délégation allemande et le discours de Francis Comby, doit être ressentie comme « une main tendue ». Le journaliste Frédéric Rabiller a été frappé par l’« atmosphère particulière » qui régnait. « Il y avait le souvenir à perpétuer, les polémiques entre associations entretenant la mémoire à atténuer et l’émotion à partager ». Dans le même numéro du quotidien il reproduit un extrait de son entretien avec Hans-Werner Bussmann, consul général d’Allemagne à Bordeaux : « C’est bien que les Français nous offrent la possibilité de cette réconciliation. Pour nous c’est toujours une démarche difficile, mais elle reste nécessaire. Il faut convaincre la jeunesse de ne pas oublier ce qui s’est passé ici pour qu’un événement comme celui-ci ne se reproduise plus ».

70 Invité par l’AFAV à la manifestation du 16 février 2014, le président de la République, François Hollande, fait savoir, le 7 janvier 2014, par une lettre de son chef de cabinet, Isabelle Sima, que les contraintes de son agenda ne lui permettent pas de prendre part à cet événement. Il tient cependant à saluer l’engagement des responsables « en faveur de la transmission du souvenir des sacrifices de ces hommes qui refusèrent de mettre leur jeunesse au service de l’occupant nazi ». François Hollande s’était rendu au Pont Lasveyras en 2009 ; il connaît bien le département de la Corrèze pour y avoir gagné ses mandats de député, maire et président du Conseil général ; il a été maire de Tulle de 2001 à 2008, une ville victime de la Waffen-SS le 9 juin 1944, un jour avant Oradour.

De l’utilité des commémorations

71 Le souvenir des massacres commis en France entre 1940 et 1944 par les différentes forces allemandes (Wehrmacht, Waffen-SS et SIPO/SD) reste très vif en raison de leur nombre, de l’ampleur des atrocités, des traumatismes causés aux familles, aux descendants et à la population. Les lieux des massacres restent à jamais marqués par ce terrible héritage. Les exemples d’Oradour-sur-Glane et du Pont Lasveyras incitent à faire des comparaisons et à tirer quelques enseignements.

72 Près de 70 kilomètres seulement séparent le Pont Lasveyras et Oradour, les massacres s’étant déroulés à moins de quatre mois d’intervalle. Le moulin du Pont Lasveyras n’était qu’un bâtiment désaffecté, Oradour, au contraire constituait une bourgade vivante et assez prospère. Dans les deux cas des forces allemandes interviennent avec surprise et tuent systématiquement, avec une volonté délibérée d’anéantir totalement toute une communauté humaine, quels que soient le nombre et la qualité des personnes présentes, des hommes jeunes au Pont Lasveyras, des hommes de tous les âges mais aussi des femmes et des enfants à Oradour. Il y aura de trop rares survivants à Oradour et des jeunes du Pont Lasveyras seront envoyés en camp de concentration, tous ne reviendront pas. Les maisons d’Oradour sont pillées et incendiées, le moulin du Pont Lasveyras est curieusement épargné, peut être en raison des convictions politiques de son propriétaire. Sans vouloir disculper la Wehrmacht, les massacres ne sont pas l’œuvre de cette dernière, mais de la Waffen-SS et du SIPO/SD stationnés à Limoges.

73 Ces massacres suscitent un malaise franco-allemand durable car les criminels de guerre qui les ont commis, et surtout leurs chefs, n’ont que rarement eu des comptes à rendre à la justice. Aucune poursuite n’a pu être engagée contre les membres des forces intervenues au Pont Lasveyras. Le procès de Bordeaux, à propos d’Oradour, a été pollué par la question des Malgré-nous, si bien que la tragédie franco-allemande se doublait d’une sévère querelle franco-française. Les massacres conduisent à s’interroger sur les différentes dimensions de la collaboration en France (collaboration d’État, collaboration économique), mais aussi sur les délations et les trahisons. Le STO, à l’origine du massacre du Pont Lasveyras, a été accepté par le gouvernement Laval qui a jeté des centaines de milliers de jeunes dans une situation désespérée. La Milice a fait le lien entre Vichy et les forces allemandes. La Résistance a sauvé l’honneur de la France, mais on a vu aussi que de sérieux conflits opposaient souvent ses différentes composantes. Pour comprendre la spécificité des massacres, il est indispensable de se référer à la situation interne de la France et au contexte européen dominé par un impérialisme allemand d’autant plus féroce qu’il se sent sérieusement menacé.

74 Comment entretenir la mémoire de telles atrocités ? Dans les deux cas, les lieux où ont péri les martyrs ont été soigneusement conservés et mis en état pour accueillir un vaste public, remplissant ainsi une véritable fonction pédagogique. Malgré une dotation modeste, le Moulin de la Résistance du Pont Lasveyras a parfaitement réussi cette métamorphose. Bénéficiant de moyens plus conséquents, le Centre de la Mémoire d’Oradour développe des activités qui dépassent largement le cadre local et même national. Il est essentiel que des bénévoles, des associations et des élus fassent vivre ce patrimoine, donnant ainsi un bon exemple d’une coopération réussie entre la société civile et l’État. L’action de Robert Hébras à Oradour en faveur de la réconciliation et de la coopération franco-allemandes en Europe est tout à fait exemplaire et mérite de susciter des émules.

75 La question des rapports avec le pays d’origine des anciens bourreaux est capitale. À Oradour le rapprochement a commencé grâce aux échanges de jeunes et d’enseignants puis il s’est diversifié et approfondi avec les jumelages entre le Limousin, la Moyenne-Franconie et le reste de la Bavière. Des deux côtés du Rhin il faut qu’il y ait des structures, du personnel, des moyens financiers et des projets pour faite vivre cette communauté franco-allemande. Le travail du service des jumelages du Bezirk de Moyenne Franconie, à Ansbach, mérite les éloges les plus vifs. On ne peut pas attendre des Allemands qu’ils connaissent les lieux de massacres en France si nous n’allons pas à leur rencontre en Allemagne, d’autant qu’au cours de l’histoire la France n’a pas laissé que de bons souvenirs dans ce pays. Ce double courant d’échanges a été couronné à Oradour par la visite historique des présidents français et allemand, le 4 septembre 2013. Le symbole de la barbarie nazie, est ainsi devenu un des lieux emblématiques de la réconciliation et de l’amitié franco-allemande. Les crispations constatées à l’occasion du 70e anniversaire du massacre du Pont Lasveyras devraient s’atténuer, des contacts amicaux et prometteurs existent désormais avec l’Allemagne, l’exemple d’Oradour fera réfléchir.

76 L’optimisme n’est pas déplacé car les cérémonies d’Oradour et même celles du Pont Lasveyras (malgré des dissensions) ont confirmé que le rapprochement franco-allemand est une réalité incontournable et indispensable pour la construction de l’Europe. Les deux présidents de la République se sont clairement exprimés dans ce sens. François Hollande propose de « partager l’avenir en surmontant le passé ». Pour Joachim Gauck l’amitié franco- allemande est certes un défi de tous les jours mais aussi un exemple pour le reste du monde. L’avantage des anniversaires et commémorations depuis 2012 est de mieux intégrer le passé au dialogue franco-allemand et aux réflexions sur la situation actuelle et sur l’avenir. Les acteurs impliqués dans le travail de mémoire à Oradour comme au Pont Lasveyras n’ont de cesse d’expliquer que la confrontation avec le sacrifice des martyrs de 1944 doit aider les jeunes d’aujourd’hui à s’approprier des valeurs essentielles comme la démocratie, la liberté et la paix, mais également la fraternité et la tolérance. Le travail de mémoire ne consiste pas à dénoncer, il doit avant tout aller à la recherche des faits, sans les couper de leur contexte.

77 L’optimisme doit être tempéré par une constatation amère, il ne suffit malheureusement pas d’inciter les jeunes à se souvenir des crimes passés pour prévenir plus tard des crimes de la même gravité. La France, si souvent victime des crimes nazis, n’a aucune raison de se dresser en donneuse de leçons. Le 8 mai 1945, elle fête la capitulation du IIIe Reich mais le même jour à Sétif, en Algérie, l’armée française réprime sauvagement une manifestation nationaliste qui déplore de nombreux morts. Les mêmes causes provoquent les mêmes effets à Madagascar (fin mars 1947) et lors des guerres coloniales d’Indochine (1946-54) et d’Algérie (1954-62). En Europe, en Afrique, en Asie, en Amérique latine, en réalité sur tous les continents, la machine à broyer des vies humaines n’a cessé de fonctionner. Quels enseignements avons-nous vraiment tiré des massacres du Pont Lasveyras et d’Oradour-sur-Glane ?

  • CENTRE DE LA MÉMOIRE D’ORADOUR, Comprendre Oradour, 2000, 147 p.
  • DESOURTEAUX, André et HEBRAS, Robert, Notre village assassiné. La Rivière Saint-Sauveur, Les chemins de la Mémoire, 2001, 222 p.
  • FARMER, Sarah, Oradour, 10 juin 1944, Arrêt sur mémoire, Paris, Perrin, 2007 (trad. de l’anglais, 2004), 314 p.
  • FARMER, Sarah et TISSERON, Serge, Parlez-moi d’Oradour, Paris, Perrin, 2004, 314 p.
  • FOUCHE, Jean-Jacques, Oradour, Paris, Éd. Liana Levi, 2001, 245 p.
  • HAWES, Douglas W., Oradour, le verdict final, Paris, Seuil, 2009 (trad. de l’américain, 2007), 332 p.
  • HEBRAS, Robert, Oradour-sur-Glane, Le drame heure par heure, Saumur, CMO, 1992 (1re éd, 1992 ; 2e éd. 2004 ; 3e éd. 2008), Nieul-les-Saintes, les Productions du Pertuis, 36 p.
  • HEBRAS, Robert et BORDERIE, Laurent, Avant que ma voix ne s’éteigne, Paris, Elytel éd., 2014, 115 p.
  • MAYSOUNAVE, Pascal, Oradour, plus près de la vérité, Édition Louis Souny, 1996, 259 p.
  • PAUCHOU, Guy et MASFRAND, Pierre, Oradour-sur-Glane, Vision d’épouvante, Limoges, Charles-Lavauzelle, dernière édition 2003, 190 p. (suite au don des deux auteurs, cette œuvre est devenue l’ouvrage officiel du Comité du Souvenir et de l’Association Nationale des Familles des Martyrs d’Oradour-sur-Glane).
  • RICLAFE, Louys et DEMAY, Henri, Paroles de miraculés. 50 ans après le drame d’Oradour, 13e éd. Paris, L’Harmattan, 2000.
  • VONAU, Jean-Laurent, Le procès de Bordeaux. Les Malgré-nous et le drame d’Oradour, Strasbourg, La Nuée bleue, 2003.
  • FAVARD, Michel, Les Alsaciens ou les deux Mathilde, téléfilm en quatre parties, existe en DVD, 1996 (d’après une œuvre en livre de poche pour comprendre les Malgré-nous).
  • FOLLIN, Michel, WILMART, Marc, Oradour, « Les Voix de la Douleur » et « Oradour, Aujourd’hui la Mémoire », produit par FR3 Limousin-Poitou-Charentes et le Conseil général de la Haute-Vienne, 1988.
  • SERAUDIE, Patrick, Une vie avec Oradour, Nour Film & Pyramide Production, Les films du paradoxe, 2011. Édition Française de 84 minutes et compléments de 35 minutes ; livret ; il existe une édition allemande sous-titrée.
  • WEBER, Christoph, Oradour, retour sur un massacre, 2003.
  • DUTHEILLET DE LAMOTHE, Alfred, Bataillon Violette, L’épopée, le récit des actions. Saint-Yrieix La Perche (Haute-Vienne), Imprimerie Fabrègue, 1975, en dépôt vente à la mairie.
  • MAUREAU, Michel, Pont Lasveyras. Un drame de la Résistance en Dordogne-Nord, Périgueux, Éditions Fanlac, 2004, 202 p. (www.fanlac.com)
  • LACHAUER, Winfried, Apprentissage chez l’ennemi, film allemand de la SWR, Stuttgart. Juillet 2004, durée : 90 minutes.
  • GRIMALT, Nikolina et JARRIGE, Jean-Claude, Massacre du Pont Lasveyras, 2011 ; un film de 35 minutes réalisé par l’Amicale des Familles et Amis des Victimes du nazisme en Limousin et Périgord.
  • Chanson
  • La chanson « Ma terre » de Bernard Delfigeas (05 55 09 29 27), chantée par Barbara (05 55 08 27 33) est produite et distribuée depuis 2004 par SCORAMA France (02 54 31 30 04)

Date de mise en ligne : 01/12/2016

https://doi.org/10.3917/all.208.0147

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