Notes
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[1]
Les auteurs remercient les deux évaluateurs pour leurs commentaires stimulants, ainsi que les collègues qui, par leurs suggestions, ont contribué au développement de cette articulation théorique. En particulier, les professeurs Matthieu de Nanteuil et Armand Spineux, à l’Université catholique de Louvain, et le professeur Didier Cazal et ses collègues du MOS à l’IAE de Lille.
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[2]
Les quelques études analysant les enjeux du télétravail en matière de GRH se limitent ainsi trop souvent à la description des éléments intervenant dans le processus d’adoption de celui-ci (voir p.ex. Baruch, 2000 ; Illegems, Verbeke & S’Jegers, 2001 ; Kowalski & Swanson, 2005 ; Morgan, 2004 ; Perez, Sanchez & de Luis Carnicer, 2002) ou à l’étude de certains enjeux spécifiques que cette forme d’organisation du travail soulève, par exemple, en matière d’isolement social et de conciliation des rôles (voir p.ex. Felstead, Jewson, Phizacklea & Walters, 2002 ; Hill, Ferris & Märtinsson, 2003 ; Kurland & Cooper, 2002 ; Tremblay, 2002), en matière de gestion des connaissances et la performance organisationnelle (voir p.ex. Daniels, Lamond & Standen, 2001 ; Gajendran & Harrison, 2007 ; Illegems & Verbeke, 2004 ; Martinez-Sanchez, Perez-Perez, de Luis Carnier & Vela-Jimenez, 2007).
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[3]
Il faut admettre qu’une certaine confusion a été introduite par le fait que dans l’ouvrage de Boltanski et Thévenot (et l’usage qui en a été fait), le terme « conventions » est utilisé pour exprimer les ajustements entre les acteurs se référant à des « cités » différentes. Alors que chez Dupuy, Amblard ou Gomez, « conventions » correspond à ce que Boltanski et Thévenot appellent « cités » c’est-à-dire la grammaire « conventionnelle » nécessaire et antérieure à tout ajustement consensuel (ou non). De fait, le propre d’une « théorie des conventions » n’est pas de repérer qu’il existe des consensus à partir d’une compétition des règles (ce que fait la Théorie de la régulation sociale) mais qu’il existe des croyances en amont de ces consensus et de ces règles, sur l’interprétation que l’on peut en faire : pour dialoguer, il faut avoir un langage commun sur lequel on ne discute pas sans quoi la définition des règles impliquerait une régression à l’infini.
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[4]
Et donc, tant par Reynaud, en 2003, par exemple, dans le cadre d’un entretien accordé à Eric Pezet et Pierre Louart, que par Favereau, dans une contribution à l’ouvrage collectif portant sur la TRS et ses prolongements coordonné par Gilbert de Terssac, paru la même année.
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[5]
Précisons que la recherche présentée ici n’envisageait pas, a priori, la mobilisation simultanée de la théorie de la régulation sociale et de la théorie des conventions. Cette articulation s’est construite de manière abductive (Koenig, 1993 ; Miles & Huberman, 1994), au gré de l’analyse du matériau et de son interprétation, dans une logique de recherche interprétativiste. Etudiant l’appropriation d’un projet de changement par les acteurs organisationnels, dans les termes de la transformation des règles (de contrôle), la TRS a rapidement été mobilisée. Au terme de la première étude de cas, toutefois, notre mobilisation de cette théorie ne permettait pas de comprendre l’échec du projet télétravail, sur base des observations réalisées. C’est alors que la recherche d’autres référents théoriques a été entamée, au gré d’échanges scientifiques particulièrement stimulants, et que la TC s’est trouvée mobilisée, offrant de nouvelles clés d’interprétation aux cas étudiés. C’est donc dans une perspective pédagogique que, après avoir introduit le contexte de la recherche (le télétravail comme processus de changement affectant les modes de contrôle), nous avons présenté les deux référents théoriques a priori.
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[6]
Nous insistons auprès du lecteur sur le fait que ces deux études de cas sont présentées ici de manière succincte, à la seule fin d’illustrer l’articulation proposée entre TC et TRS. Une présentation détaillée des deux cas est proposée dans Taskin et Edwards (2007).
Introduction
1L’étude de l’impact des nouvelles technologies sur l’organisation du travail s’est focalisée sur la manière dont les technologies de l’information et de la communication (TIC) affectent l’organisation spatiale et temporelle du travail (voir p.ex. Felstead, Jewson & Walters, 2005 ; Besseyre des Horts, 2008). Emblématique de ces transformations, le phénomène du télétravail fait l’objet de nombreuses recherches en GRH [2]. En effet, le télétravail, qui désigne l’exercice d’une activité professionnelle en tout ou en partie à distance et au moyen des TIC, questionne fortement les pratiques de gestion et de contrôle : d’une part, il rompt avec une certaine unité de temps, de lieu et d’action qui caractérise l’organisation traditionnelle du travail (Lallé, 1999) ; d’autre part, il altère la structure de la supervision qui repose, selon Felstead, Jewson, et Walters (2003), sur les principes de visibilité (la possibilité d’observer le travailleur) et de présence (la capacité pour un travailleur d’interagir avec ses collègues) des travailleurs.
2Le télétravail implique donc de nouvelles formes de contrôle (cf. supra, Felstead, Jewson & Walters, 2003), qui soient acceptées par les collaborateurs. Se pose alors une question de (re-)régulation de l’organisation du travail devant la nécessité de gérer la distance physique et psychosociologique des télétravailleurs et l’interprétation de cette distance, caractérisée par la notion de « déspatialisation » (Taskin, 2010 ; Sewell & Taskin, 2015). Au-delà de l’élaboration d’un management de l’implication plutôt que du contrôle (Walton, 1985), les recherches sur la « déspatialisation » du travail font état de deux tendances : d’une part, une supervision accrue du travailleur (Fairweather, 1999 ; Wicks, 2002 ; Valsecchi, 2006 ; Dambrin, 2004) et, d’autre part, la remise en question du rôle de la fonction d’encadrement (Deffayet, 2002 ; Dambrin, 2004 ; Heusinkveld & Peters, 2010). Or, une question clé demeure : celle des conditions qui conduisent à l’adoption (ou non) de nouvelles règles de contrôle par les acteurs eux-mêmes. Elle exige une remontée vers les sources théoriques permettant de penser l’adoption de règles et, donc, la régulation.
3Deux approches théoriques se sont particulièrement intéressées aux processus d’adoption de règles et de re-régulation : la théorie de la régulation sociale développée par Jean-Daniel Reynaud (1988, 1989) et la théorie des conventions, essentiellement dans ses composantes économique et gestionnaire, développée par Favereau (1989) et Gomez (1996). L’une et l’autre de ces théories cherchent à comprendre les conditions de la coordination sociale et, donc, de l’adoption de règles (ou de nouvelles règles) à partir du comportement des acteurs. Elles se distinguent ainsi des approches institutionnelles qui s’intéressent plutôt aux superstructures culturelles, sociales ou politiques qui émettent des règles.
4Mais elles se distinguent aussi entre elles sur un point majeur : alors que la théorie de la régulation sociale considère les règles comme des modalités d’ajustement auxquelles se réfèrent les acteurs et à partir desquelles ils peuvent négocier, la théorie des conventions, au contraire, fait émerger les règles « spontanément », de l’incapacité des acteurs à se donner explicitement des références communes. Il en résulte deux interprétations de l’adoption des règles : pour la première théorie, l’adoption est la conséquence de dialogues et de consensus ; pour la seconde, elle résulte des croyances que partagent (ou non) les acteurs sur l’effort qu’ils doivent produire ensemble (Leibenstein, 1982 ; Eymard-Duvernay, 1989) et donc d’une « grammaire partagée » permettant l’interprétation commune des situations (Gomez, 1994, 1996). Ainsi, malgré des convergences évidentes, les deux approches théoriques divergent sur un point central : l’adoption de nouvelles règles est, pour l’une, le fruit d’ajustements a posteriori, tandis que pour l’autre, elle implique des croyances partagées a priori par les acteurs.
5La recherche présentée dans cet article a pour ambition d’explorer les approches théoriques présentées précédemment pour illustrer en quoi elles pourraient nous aider à comprendre les processus de production et de modifications des règles de contrôle dans le contexte particulier de la mise en œuvre du télétravail à domicile. Dans une première partie, nous discuterons des divergences entre les théories de manière à mettre en évidence en quoi elles autorisent deux lectures de la signification des « règles et des re-régulations » dans l’entreprise. Dans la deuxième partie, nous montrerons en quoi ce débat théorique peut éclairer nos études de cas portant sur l’introduction du télétravail au sein de l’administration fédérale belge. Plus spécifiquement, il interroge l’analyse du processus de production, de transformation et d’interprétation des règles de contrôle par les acteurs. Est-il le fruit d’ajustements consensuels ou de croyances partagées de manière implicite sur la nature de l’effort au travail ? Nous conclurons en montrant l’intérêt d’approfondir les divergences et les convergences entre théorie des conventions et théorie de la régulation sociale, pour cerner les enjeux pratiques que posent les situations de déspatialisation du travail.
1 – Enjeu théorique : deux modèles pour une compréhension élargie de l’adoption de nouvelles règles dans les relations de travail
6Dans cette section, nous présentons les deux perspectives théoriques envisagées pour comprendre les conditions de l’adoption de nouvelles règles (de contrôle) par les acteurs : d’une part, la Théorie de la Régulation Sociale (désormais TRS) et, d’autre part, la Théorie des Conventions (désormais TC).
7Point commun essentiel, l’une et l’autre ont pour ambition d’intégrer la production des règles dans la mécanique du jeu économique et social. Ainsi, Reynaud s’interrogeait lui-même sur la possibilité de composer une science de l’action sociale (Reynaud, 1997, p. XIX). Selon Bréchet (2008, p. 15), « la théorie de la régulation sociale, à travers son positionnement ouvert au dialogue entre les disciplines (sociologie, économie, gestion, droit notamment), occupe une place centrale pour penser à la fois le calcul et la norme, l’acteur et le système et dépasser les réductionnismes dominants ». La TC partage la même ambition de « réunir dans les sciences sociales » et de « chercher à traverser les frontières entre économie et sociologie » (Eymard-Duvernay, 2006, pp. 13, 25) en s’interrogeant sur l’émergence des règles préalables à tout calcul économique (Gomez, 1997).
8Nous présentons succinctement, et de manière non exhaustive, ces deux théories en nous centrant sur l’objet de notre recherche : la re-régulation qu’implique l’introduction du télétravail dans l’entreprise et la manière dont l’une et l’autre pourraient nous aider à l’interpréter.
1.1 – La théorie de la régulation sociale de Jean-Daniel Reynaud
9Partant de l’étude des relations professionnelles et de la négociation collective dans la France des années soixante, Reynaud a proposé une théorie ayant pour objet les processus sociaux de production de règles et de l’action collective qui en résulte (de Terssac, 2003). La régulation sociale est un processus de production de règles en transformation permanente, sans cesse élaborées, corrigées, affaiblies ou renforcées par les acteurs sociaux. Refusant, tout comme Friedberg (1993), l’opposition des structures formelles aux structures informelles, Reynaud (1988) différencie deux types de régulations en interaction qui s’inscrivent dans un rapport social, où elles sont produites par des acteurs dans leur jeu collectif : d’une part, la régulation de contrôle (RC), par laquelle ceux qui détiennent le pouvoir de créer les règles (et de sanctionner) s’efforcent de maîtriser la situation et « qui pèse donc de l’extérieur sur la régulation d’un groupe social » (Reynaud, 1988, p. 10). D’autre part, la régulation autonome (RA) qui désigne « la construction, avec ce que cela comporte de contrainte et d’apprentissage, d’un ensemble de normes sociales » (ibidem), et donc, la définition de règles par les salariés, notamment par rapport aux règles qui leur sont imposées. Notons, avec Reynaud (2003, p. 104), qu’une règle n’est de contrôle ou autonome que par la place de celui qui l’émet et par l’usage qui en est fait.
10Ces deux facettes de la régulation se rencontrent inéluctablement, s’opposent toujours d’une certaine façon, mais aussi se complètent aussi dans la vie de l’organisation (Bréchet, 2008) ; ce qui est en jeu dans la rencontre des deux types de régulations (de contrôle et autonome), ce sont les « règles du jeu » (Reynaud, 1988, p. 11). Dans le fonctionnement de l’organisation, cette rencontre peut prendre la forme d’une régulation conjointe lorsqu’il s’agit de désigner un accord, produit d’une négociation (Reynaud, 1988, p. 15). Cette régulation conjointe peut être comprise comme une régulation de contrôle « puisqu’elle vient de l’extérieur donner des règles aux unités concrètes de travail » (Reynaud, 1988, p. 16 ; voir aussi Paradeise, 2003).
11La notion de régulation sociale permet, en définitive, d’expliquer la manière dont les individus réagissent aux contraintes de l’action, interprètent la situation, inventent des cadres cognitifs pour trouver le sens de l’action, se mobilisent et s’affrontent sur des jugements à propos de l’efficacité de tel ou tel mode d’organisation (de Terssac, 2003, p. 15). L’accent est mis sur ce « fait social » qu’est l’action comme processus de production de règles et non sur une suite d’événements dont il suffirait de retrouver les enchaînements pour comprendre leurs relations avec l’action. La théorie de la régulation sociale conduit donc à considérer les relations de pouvoir dans toute leur diversité, à analyser séparément les différentes structures de jeu qui permettent de les comprendre, à poser comme des problèmes empiriques les facteurs qui peuvent expliquer différentes transformations, l’influence que chaque système peut avoir sur un autre, voire des tendances générales de transformation des systèmes sociaux (Reynaud, 2003).
12Dans le champ de l’analyse du travail, la logique de régulation conjointe que supporte la TRS rejoint les travaux des ergonomes et psychologues du travail sur le rôle du délibératif et des controverses dans la construction des situations de travail (Clot, 2010), sur le conflit de normes dans lesquels se débattent les acteurs (Schwartz, 2009), ou encore sur les collectifs de travail élaborant ou révélant « les règles de métier » (Caroly, 1997). D’une part, les transformations de règles sont appréhendées du point de vue de la concurrence, des oppositions ou des contradictions entre les règles existantes. D’autre part, régulation de contrôle et régulation autonome expriment les rapports de pouvoir entre les acteurs, la marge de manœuvre laissée aux uns et la légitimité des hiérarchies à imposer ou non des règles de travail.
13Dans la problématique ouverte par le télétravail, la TRS invite à s’interroger, d’une part, sur les espaces de discussion et de réinterprétation des règles d’effort, des attentes et des évaluations qu’impose l’éloignement spatial entre les producteurs de règles de contrôle (la hiérarchie) et les travailleurs ; d’autre part, elle questionne la capacité des travailleurs séparés les uns des autres, et qui ne peuvent pas produire des régulations autonomes dans les mêmes conditions où la localisation dans un espace commun permet des ajustements interpersonnels. L’interprétation du succès ou de l’échec des organisations en télétravail se fera donc plutôt à partir de la déconnexion entre les espaces d’ajustement de règles et les espaces matériels de travail, les deux ne coïncidant plus comme dans le cas du travail organisé dans un lieu partagé.
1.2 – La théorie des conventions, en économie et en gestion
14La question de la régulation des activités humaines se trouve également au cœur de l’approche conventionnaliste pour laquelle il est impossible, ici encore, de séparer, aussi bien conceptuellement que pratiquement, l’individu et le système de règles dans lequel il évolue. L’économie des conventions – aussi appelée l’École française des conventions –, est un courant apparu au milieu des années quatre-vingt et d’abord investi par des économistes étudiant les situations caractérisées par l’incertitude et le risque (Favereau, 1989 ; Orléan, 1989). Les situations d’incertitude ont ceci de particulier qu’elles conduisent à l’impossibilité pour les acteurs d’assigner une probabilité aux conséquences de leurs actes. Cette perspective est aujourd’hui investie par un nombre croissant de chercheurs en sciences sociales venant de toute l’Europe (Boltanski & Thévenot, 1991 ; Gomez, 1996 ; Wilkinson, 1997 ; Beckert, 2002 ; O’Reilly, Tiziana & Roche, 2014 ; Gkeredakis, 2014).
15L’hypothèse centrale de la TC est que l’accord entre individus, même lorsqu’il se limite au contrat d’un échange marchand, n’est pas possible sans un cadre commun préalable (appelé aussi « monde commun », en référence aux travaux de Boltanski et Thévenot, 1991), sans une convention constitutive. Élargissant le cadre purement économique de ces premiers développements, la convention peut être définie comme un système de croyances réciproques sur les compétences et les comportements, conçus comme allant de soi et qui dote les acteurs d’une référence commune, produit une représentation collective extériorisée qui fonde le cadre des anticipations individuelles (Orléan, 1989).
16Pour la TC, les accords ou désaccords entre les acteurs économiques ne se réduisent pas à l’hypothèse de rationalité limitée ou à leur capacité d’interprétation comme le postule l’approche contractualiste (Favereau, 1989, 1996). Elle considère qu’il existe une incertitude radicale antérieure à toute décision et à toute norme, sur le bien-fondé de la norme (Keynes, 1936 ; Orléan 1989). Sans une croyance préalablement partagée par les acteurs sur des fondements communs pour l’interprétation, sans donc une grammaire implicite commune (Rowan, 1982), il ne peut pas y avoir de normes. La normalisation par les croyances partagées précède donc l’émergence de règles comme le montre la théorie de la justification (Boltanski & Thévenot, 1991) : les consensus et accords ne sont compris qu’à partir des « cités » c’est-à-dire des grilles de lecture du monde qui définissent de grandes options d’interprétation (cité industrielle, marchande, civique etc.). Antérieurement à la compétition sur les règles, il existe une compétition sur la signification des règles.
17Si, pour Boltanski et Thévenot (1991), ces systèmes de lecture des règles sont des structures de portée universelle (les « cités »), d’autres comme Dupuy (1989) ou Gomez (1996, 2011) interprètent radicalement Keynes (1936), Lewis (1969) et Leibenstein (1982) et considèrent que les conventions apparaissent systématiquement du fait de l’incomplétude de la rationalité individuelle qui ne peut s’exercer sans compter sur une croyance implicite collective préalable à toute interprétation individuelle. De grandes catégories de conventions peuvent alors être repérées, comme celles portant sur la qualification à évaluer les objets, ou le niveau d’effort au travail (Gomez, 1994) mais la diversité des conventions est aussi grande que celle des situations d’incertitude impliquant des acteurs. D’où la nécessité d’opérationnaliser la « convention » comme synthétisant un ensemble de discours (énoncé) et d’inscriptions dans les pratiques (dispositif matériel) qui se relient et tressent un référentiel convaincant pour rendre raisonnable le choix des individus (Gomez & Jones, 2000).
18Quelles que soient ces différences, la séquence logique propre aux conventionnalistes est identique. En amont de toute règle et de tout accord entre acteurs, il doit exister un accord préalable sur la signification et les modalités d’interprétation de ces règles [3].
19Comme la TRS, la théorie des conventions s’est particulièrement intéressée à l’analyse du travail depuis les travaux pionniers de Leibenstein (1982). Les croyances partagées sur le « niveau d’effort normal » que Leibenstein appelle « convention d’effort » forment les substrats des accords et des désaccords exprimés ou non sur les règles. Eymard-Duvernay (1989) a introduit la notion de convention de qualité, Gomez a repris la notion de convention d’effort comme grammaire implicite des relations de travail dans une situation de gestion donnée (Gomez, 1996). De nombreux travaux ont été réalisés en gestion sur les dissonances nées d’une interprétation erronée des attentes des acteurs se référant à des conventions de travail différentes (pour un panorama, voir Amblard, 2003). Ils rejoignent les approches sur la psychodynamique du travail (Dejours, 1993), sur la psychanalyse des organisations (Enriquez, 1983), et sur les logiques sous-jacentes aux rapports de travail (Salais & Storper 1993 ; D’Iribarne, 1989).
20Dans la problématique ouverte par le télétravail, la TC suggère que l’échec ou le succès de telles pratiques ne dépend pas seulement des règles que l’on discute et se donne. Elle suppose des croyances implicites sur le « travail bien fait » que la mise à distance des travailleurs peut ou non perturber. Si on ne tient pas compte de cette dimension cachée, on risque, comme dans les processus que révèle la psychanalyse, d’assister au retour du refoulé.
1.3 – Pistes de convergence et éléments de différenciation
21L’articulation entre la TRS et l’économie des conventions est évoquée depuis le début de la décennie par les tenants des deux courants [4]. L’une et l’autre des théories entendent intégrer dans l’analyse des organisations la production des règles au même titre que la production permise par les règles. La conception interactionniste et interprétativiste de l’acteur telle que défendue plus récemment dans la TC (Favereau, 2003) est assez proche de celle de la TRS. L’accord apparaît dans les deux cas comme le produit d’une régulation sociale.
22Néanmoins, les deux théories divergent sur au moins deux points. Le premier concerne la nécessité, la composition et la nature du « monde commun » auquel se réfèrent les acteurs pour rationaliser leur décision en situation d’incertitude, par exemple dans une situation de travail. Ce monde préalable à tout accord, sa genèse et sa dynamique sont au centre de la préoccupation des conventionnalistes. En revanche, pour Reynaud (avec Richebé, 2007), ce « monde commun » ne peut être constitué de normes qui s’imposeraient aux acteurs sans que ceux-ci n’aient de prise sur ce qui reste, à ses yeux, une régulation sociale produisant le cadre de l’action collective. En d’autres termes, il doit y avoir chez Reynaud un accord sur les possibilités d’accords – ce qui peut ouvrir à la régression à l’infini que nous avons repérée précédemment et que la théorie des conventions entend précisément éviter. Favereau (2003) propose de dépasser cette opposition en considérant une forme de régulation conjointe non formelle, donc ne s’apparentant pas à une régulation de contrôle, qu’il nomme RCA. Cette régulation serait la résultante des forces antagonistes de RA et RC, c’est-à-dire des régulations « réelles », « effectives » ou « de compromis ». Dans l’opposition entre RA et RC, Favereau voit l’affrontement de deux propositions particulières de monde commun qui peuvent conduire à RCA à partir de deux éléments indissociables (des règles communes, effectives et le consentement qu’elles demandent pour être suivies). Citant Reynaud (1995, p. 222), pour qui ce qui compte, c’est que « l’adhésion collective à certaines règles crée une collectivité ou une communauté de règles », Favereau (2003, p. 376) estime que la clé de RCA réside dans l’émergence d’un niveau proprement collectif, avec l’élaboration d’un monde commun, au-delà des légitimités collectives partielles.
23Le second point de divergence entre TRS et TC est une conséquence du premier mais il ouvre à des enjeux pratiques plus décisifs pour la gestion. D’un point de vue conventionnaliste, la prise en considération des « croyances implicites » est aussi importante, sinon davantage, que celle des accords et des ajustements consensuels. « L’évidence conventionnelle », « le monde commun », (le Taken-for-granted de Meyer et Scott, 1983) détermine des trajectoires d’interprétation et donc la possibilité d’entrer ou non dans une logique d’accord ou de désaccord. C’est parce que tout ne se dit pas que les accords fonctionnent et, d’une certaine façon, l’implicite est le cadre des relations humaines – pour éviter, répétons-le, l’incertitude radicale qui émergerait d’une régression à l’infini sur les règles nécessaires aux accords.
24Or, les croyances et les évidences du « monde commun » sont confortées ou infirmées par le jeu concret des acteurs et par leurs interactions. La transformation des situations de travail, comme, par exemple, l’instauration du télétravail, ne modifie donc pas seulement les règles de travail, mais aussi, en amont, les croyances implicites sur ce que l’on considère comme l’effort « normal » par rapport auquel ces règles prennent sens.
25Il y a alors entre la TRS et la TC, une différence de même type que celle qui existe entre la psychologie et la psychanalyse : dans le premier cas, les acteurs se comprennent à partir de ce qu’ils disent et sur lequel ils peuvent s’accorder ; dans le second, c’est à partir de ce qu’ils taisent qu’ils peuvent trouver des accords. L’analogie que nous faisons met en lumière que les deux approches peuvent être complémentaires, mais aussi qu’elles regardent, dans l’observation de la pratique, des objets différents.
2 – Enjeu pratique : études de cas sur le télétravail
26Les deux études de cas présentées ici ont pour vocation d’illustrer la pertinence de considérer simultanément les régulations (le « dit ») et les conventions (le « non-dit ») dans l’étude et la compréhension de la mise en œuvre d’un changement organisationnel. Elles ont été réalisées dans la fonction publique belge.
27Dans une première administration publique, rebaptisée ECOMIN, le télétravail est envisagé dans un service support et, à titre de projet pilote, pour une population de traducteurs. Malgré la production, par les acteurs, de règles spécifiques permettant la pratique du télétravail en adaptant les modalités du contrôle du travail à la situation de télétravail, le projet sera abandonné. Bien que nous ayons observé les accords portant sur la pratique du télétravail, il s’avérera que celui-ci remettait en question la « grammaire commune » caractérisant l’effort que l’on est en droit d’attendre de chaque agent – et de la fonction de supervision – d’ECOMIN, en ce compris dans la manière de réaliser son travail et de le contrôler.
28Les résultats observés sur cette situation de gestion nous ont poussés à réaliser une seconde étude de cas au sein du seul autre service public fédéral belge ayant mis en place le télétravail. Dans cette seconde administration, rebaptisée HUMIN, le télétravail s’intègre dans une stratégie plus large de responsabilisation des agents qui passe par la mise en place d’une organisation du travail par projet et qui a donné lieu à d’autres adaptations en matière d’organisation du travail comme, par exemple, la suppression du contrôle du temps de travail par la pointeuse. Dans cette situation, le télétravail tel qu’il a été introduit semblait modifier explicitement la croyance partagée sur ce qu’est un agent de la fonction publique et sur la manière dont on attend qu’il organise son travail [5]. Dans un cas, on ne prétendait modifier que l’organisation (par le télétravail) sans prétendre modifier « la grammaire implicite » du travail. L’autre, au contraire, jouait sur l’organisation du travail mais aussi sur la qualification du « bon travail » que supposait le télétravail.
2.1 – Contexte de la recherche
29Au début des années 2000, la fonction publique belge a connu un vaste plan de réorganisation appelé « Copernic ». Celui-ci avait pour objectif d’améliorer le service offert aux citoyens et de développer une vision orientée « clients » et « résultats ». Cette réforme se traduit par un grand nombre de projets de changement affectant tant les structures que l’organisation du travail au sein de chaque ministère. C’est dans ce contexte de changement qu’ont été réalisées les deux études de cas présentées ci-après et qui font, par ailleurs, partie d’une recherche scientifique plus large, financée par l’Université catholique de Louvain, ayant pour objet l’analyse des changements amenés par le télétravail sur les politiques, les pratiques et les discours de gestion des ressources humaines et, en particulier, la dimension du contrôle [6].
2.2 – Recueil des données
30Afin d’observer et d’analyser les régulations ayant pour objet les processus de contrôle, nous avons opté pour un dispositif de recherche qualitatif et pour l’étude de cas. Cette méthodologie de recherche est particulièrement adaptée à l’étude compréhensive de processus relationnels, de (dys)fonctionnements organisationnels et de processus de décision (Miller & Friesen, 1982 ; Yin, 2014). C’est également une stratégie de recherche qui permet d’identifier les liens de causalité dans l’étude de processus de changement en considérant le contexte dans lequel ils se produisent et, en particulier, lorsque la limite entre le contexte et le phénomène étudié n’est pas clairement établie (Burawoy, 1998 ; Edwards, 1992 ; Friedberg, 1993).
31Par le biais d’entretiens semi-directifs (nous avons utilisé une combinaison de questions descriptives et de contraste, voir Spradley, 1979), nous avons tenté de déterminer (a) comment le travail était organisé au sein de l’équipe considérée (questionnant l’allocation des tâches, la nature du travail réalisé, les relations avec la hiérarchie et au sein de l’équipe) ; (b) comment le contrôle du travail était organisé ; et (c) comment le télétravail était perçu (avantages, inconvénients, la manière dont les travailleurs imaginaient organiser leur travail à domicile, etc.) et en quoi il affectait les règles de contrôle, afin d’appréhender les croyances implicites sur ce qui était considéré comme l’effort normal attendu des travailleurs à distance.
2.3 – Analyse des données
32Au total, 24 entretiens semi-directifs d’une durée variant de 40 minutes à 1 h 45, avec une moyenne de 68 minutes, sont mobilisés, dont seize pour le cas ECOMIN, réalisés entre janvier et avril 2005 (8 traducteurs, 2 DRH, 3 responsables de projets et un représentant syndical) et huit pour le cas HUMIN, réalisés entre avril et juin 2006 (le responsable du projet, 2 managers de deux services où le télétravail est proposé et 5 agents télétravailleurs appartenant à ces services).
33Les entretiens ont été intégralement retranscrits et ont fait l’objet d’une analyse par catégories conceptualisantes (Paillé & Mucchielli, 2012). Cette opération de codage, qui consiste en la conversion de phénomènes symboliques en données scientifiques, à la manière d’une opération de traduction (Festinger & Katz, 1974 ; Wacheux, 2005), s’est réalisée de manière émergente, c’est-à-dire concomitamment à la lecture du matériau dans une démarche qualifiée d’abductive par Strauss et Corbin (1990). Ces différents stades de codage se succèdent tout au long du processus d’analyse des données jusqu’à l’atteinte d’une forme de saturation théorique (le tableau 1 décrit les catégories considérées dans cette recherche). Cette analyse a été assistée par le logiciel NVivo.
Analyse des données par catégories conceptualisantes
Analyse des données par catégories conceptualisantes
2.4 – Le cas ECOMIN
34ECOMIN compte 3 000 agents qui se répartissent au sein de sept directions générales et de trois services d’encadrement. RH est un service d’encadrement qui compte 177 agents parmi lesquels 77 % sont peu qualifiés, c’est-à-dire qu’ils ont un diplôme de l’enseignement secondaire supérieur ou inférieur. Pour eux, l’essentiel du travail consiste en l’exercice d’un nombre très limité de tâches, laissant apparaître une division horizontale forte du travail. Les agents de niveau A, universitaires, endossent en général, en plus d’une expertise reconnue dans un champ défini, des responsabilités de management (responsabilité d’une équipe). Ensuite, la division verticale du travail est également forte : le travail de la plupart des 177 agents du département RH consiste en l’application de règles et procédures issues du droit administratif ou fixées par des Arrêtés Royaux et Ministériels sur lesquels les fonctionnaires n’ont aucune prise (définition de la carrière, du statut pécuniaire, des politiques de temps de travail, etc.). Certains projets, comme le télétravail, sont conçus au sein d’une petite cellule pilotée par le DRH et ne font pas l’objet d’une délibération plus large au sein du département. Il y a donc un réel cloisonnement entre la conception, laissée aux mains d’un petit nombre d’experts et de décideurs, et l’exécution, qui caractérise le contenu du travail de la grande majorité des fonctionnaires et qui témoigne d’une standardisation forte des procédés.
35Au-delà des règles définissant le statut et la carrière, l’organisation du travail est régie par diverses règles parmi lesquelles le pointage, qui constitue l’élément le plus structurant de l’activité du fonctionnaire. Chaque agent sait pertinemment qu’il doit être présent durant 7 heures et 36 minutes chaque jour. Le responsable hiérarchique est considéré comme un « superviseur » : c’est une instance de contrôle du travail presté, et ce tant en quantité qu’en qualité. Le contrôle est ainsi fortement personnifié et la fonction de « chef » va donc d’abord de pair avec la vérification du respect des règles. Au-delà des quelques indicateurs utilisés (statistiques d’absentéisme, de pointage ou listings de tâches), l’exercice du contrôle semble également fortement lié à la présence et à la visibilité des travailleurs. La convention d’effort en vigueur ici (« ce qu’il est normal d’attendre ») valorise l’agent qui preste ses heures et respecte les procédures établies pour tous.
36Le pouvoir est centralisé dans le sommet stratégique, pour reprendre les termes de Mintzberg ; les associations des travailleurs sont très présentes et s’expriment sur chaque projet introduit au Comité de Direction. La centralisation du pouvoir est surtout incarnée dans la personne du Président, qui est parfois surnommé « Dieu le Père ». En référence aux idéaux-types proposés par Mintzberg (1982), la configuration organisationnelle d’ECOMIN est celle d’une bureaucratie mécaniste. Notons également qu’au moment de notre investigation, le personnel du service RH s’installait dans de nouveaux bureaux, organisés en paysager (ou plateau).
2.4.1 – Le projet télétravail
37Le projet télétravail, approuvé en juin 2004, concerne les 177 agents du service RH. Les motivations sous-jacentes à la mise en œuvre du télétravail sont d’ordre gestionnaire : le télétravail est perçu comme un levier stratégique contribuant au développement d’une culture de la performance, notamment par l’instauration de certains indicateurs de productivité et l’élaboration d’un ‘contrat’ tacite passé entre l’agent et son supérieur. Elles sont également sociétales et sociales, en référence aux problèmes de mobilité (environnement) et de conciliation des rôles (privé et professionnel) dans un contexte d’accroissement des rythmes de travail. Enfin, le télétravail répond à une demande formulée par les traducteurs (qui font partie du service RH) et est, en outre, envisagé comme un « pis-aller » dans le contexte du paysager, par ces derniers. Le télétravail est finalement exclusivement proposé aux huit traducteurs du service RH qui constitueront un groupe « pilote » avant que l’expérience ne soit élargie aux autres agents du service. Les traducteurs travaillent pour les différentes directions générales et services d’encadrement d’ECOMIN qui constituent leurs « clients », ils estiment réaliser un métier très exigeant et se considèrent comme des « techniciens de la parole ». Au sein du service de traduction, le travail s’organise autour de quelques principes forts (comme le respect des délais, p.ex.) et un outil de gestion des entrées et sorties des traductions au moyen d’une boîte de réception collective accessible à tous.
2.4.2 – Vers un management de la performance ?
38Pour le DRH, le télétravail constitue un levier pour responsabiliser et motiver les fonctionnaires, ce que les règles de l’administration publique ne permettent pas. Il souhaite donc proposer le télétravail aux agents les plus méritants, comme une récompense, dans le cadre de la négociation d’un contrat tacite et personnalisé entre l’agent et lui-même, qui fixerait des objectifs en termes de performance et de contenu de travail.
A ECOMIN, justement, on n’a pas de principe de performance à dater d’aujourd’hui, parce qu’on n’a pas la carotte et le bâton (…) donc il faut trouver d’autres moyens et je me suis dit que le télétravail pouvait être un de ces moyens, pour une série de personnes. Parce que là, à travers le télétravail, j’ai une espèce de deal à faire : « ok, tu t’engages à suivre un régime à la performance, c’est-à-dire on te donne des objectifs, tu t’organises comme tu veux pour le faire chez toi ou au bureau, mais tu dois démontrer que tu réalises les objectifs qui sont donnés et, en contrepartie, nous te donnons la possibilité d’éventuellement jouir des avantages du télétravail et de pouvoir travailler chez toi, organiser ta vie familiale avec celle de ton travail, etc. »
40Dès les premières réflexions sur le télétravail, le DRH a instauré un nouvel indicateur de performance : les statistiques individuelles. L’objectif est de disposer d’un indicateur de productivité mesurant le nombre de pages traduites par jour et par traducteur, avec un niveau de rendement initialement annoncé à 5 pages, puis à 6. Cette nouvelle règle de contrôle constitue une ‘carotte’ capable de motiver certains agents puisque le télétravail ne sera proposé qu’aux traducteurs atteignant ce niveau de productivité ; il s’agit également d’une régulation de contrôle produite par le DRH et qui s’impose aux acteurs, lesquels acceptent de s’y contraindre :
En théorie, le DRH avait annoncé que ceux qui faisaient les cinq pages par jour auraient droit au télétravail et les autres pas. Ça, c’était le message. Et c’est une première raison de peut-être pourquoi il y en a certains qui ont accéléré.
42En outre, le chef des traducteurs dispose d’un grand nombre d’outils de gestion (plate-forme sur le réseau où les textes en traduction sont accessibles, boîte aux lettres collective où les textes arrivent et d’où ils sont envoyés une fois terminés, distribution des tâches par e-mail, etc.) qui, dans le contexte de mise en place du télétravail, sont utilisés à des fins de contrôle. Cet usage détourné des outils de gestion s’inscrit également dans une régulation de contrôle qui introduit davantage de surveillance.
On travaille sur un réseau, on peut entrer les traductions et tout le monde peut entrer pour voir ce qu’on est en train de faire, le chef peut le voir. (…) C’est donc organisé par service et on met la traduction, c’est stocké au bon endroit et là tout le monde peut trouver sa traduction… Et nous-mêmes en travaillant, on est déjà au bon endroit donc si quelqu’un veut vérifier ce qu’on fait, il peut facilement entrer dedans et voir où on en est arrivé dans la traduction, par exemple.
44Malgré cette intensification du travail et ces formes de contrôle plus contraignantes, les traducteurs acceptent le ‘deal’ proposé, ce qui traduit l’existence d’une régulation autonome, du point de vue de la TRS, et de la rencontre entre RC et RA caractérisée par Favereau sous la forme de RCA. Cet « accord » peut être interprété au regard de la thèse du « travailleur discipliné » (Collinson, Edwards & Rees, 1998) selon laquelle les travailleurs peuvent accepter une limitation de leur autonomie et une intensification de leur travail au prix de nouvelles mesures de contrôle s’ils en perçoivent un bénéfice et, notamment, une meilleure organisation du travail. Ainsi, les traducteurs acceptent les statistiques liées au télétravail dans la mesure où celles-ci viennent mettre de l’ordre dans l’équipe en rendant la contribution de chacun plus transparente. Elles permettent alors d’échapper aux conditions de travail qui prévalent dans le service de traduction, marqué par de profonds conflits sur l’implication et la réalité du travail de chacun. Finalement, par le biais des régulations de contrôle et autonome observées ici, ce sont des règles de contrôle à la fois plus formelles et plus individuelles qui sont produites. En se référant à la TRS, l’on peut dire qu’un accord réel, informel, caractérise la rencontre de ces régulations et produit de nouvelles règles de contrôle contribuant, dès lors, à visibiliser le travail des futurs télétravailleurs, en cohérence avec « ce qu’il est normal d’attendre » d’un agent d’ECOMIN.
45Les règles du jeu se trouvent effectivement et durablement modifiées et traduisent un compromis que les traducteurs valorisent au regard des nouvelles marges de manœuvre que le télétravail leur procurerait dans l’organisation de leur travail, à domicile. Cependant, malgré ces transformations qui semblent autoriser la pratique du télétravail, celui-ci ne s’est pas concrétisé. Comment, dès lors, expliquer cet échec ? Des éléments structurels pourraient être avancés, touchant au profil des travailleurs ou au type d’organisation, sachant que la littérature considère le télétravail comme particulièrement adapté à des structures planes et à des travailleurs de la connaissance (Illegems, et al., 2001 ; Clear & Dickson, 2005 ; Peters & Batenburg, 2015). Pourtant, la seconde étude réalisée dans le secteur public (HUMIN, présentée ci-après) illustre la compatibilité du télétravail avec une bureaucratie mécaniste. Une part de l’explication peut dès lors résider dans le manque de soutien hiérarchique reçu mais, à nouveau, à quoi est-ce dû ? Et pourquoi ce projet de télétravail est-il abandonné alors qu’il est souhaité par les traducteurs et qu’il fait l’objet d’accords entre les parties ?
46La réponse à ces questions nous impose de compléter l’étude de la production des règles a posteriori par l’étude des croyances implicites de ce que l’on considère comme étant l’effort « normal » par rapport auquel ces règles prennent sens, a priori. Si des acteurs s’accordent sur de nouvelles règles du jeu concernant l’organisation du travail des traducteurs afin d’autoriser la pratique du télétravail, ils ne prennent pas en compte le fait que le télétravail véhicule, lui, une autre croyance sur l’effort conventionnel que l’on peut attendre de tout agent d’ECOMIN : une croyance selon laquelle les travailleurs sont autonomes et seuls responsables de l’atteinte de leurs objectifs individuels quantifiés, par exemple. Or, le diagnostic organisationnel d’ECOMIN que nous avons réalisé montre que la « grammaire commune » en vigueur amène plutôt à concevoir le fonctionnaire d’ECOMIN en général comme un travailleur présent et visible au sens de Felstead et al. (2003) et particulièrement respectueux des procédures établies. Il y a un lien, dans la représentation commune implicite antérieure à tout accord sur le travail, sur le fait qu’un agent d’ECOMIN est fidèle aux règles, ce qui en fait un agent de la fonction publique. Les nouvelles règles de contrôle négociées dans le contexte du projet pilote remettent d’autres règles en question, au rang desquelles la pratique du pointage, et questionnent la croyance sur ce qu’il est normal d’attendre des travailleurs d’ECOMIN, ici, et au-delà des traducteurs : une présence physique. C’est cette incompréhension qui transparaît des verbatims suivants :
(…) on a lancé les statistiques. Individuelles. Qui produit combien, en fait, de lignes de textes par jour. C’est pas… On peut pas mesurer. Ça n’a aucun sens comme moyen de contrôle.
Dans la tête des gens, le télétravail, c’est prendre tes dossiers et aller chez toi. À part les traducteurs, je ne vois donc pas à qui on pourrait l’appliquer. (…) Si on voulait étendre, il faudra des garanties au niveau contrôle.
49En termes conventionnalistes, la mesure de performance négociée localement pour les traducteurs a envoyé un signal de dissonance par rapport à la convention existante. Cette règle de performance, atypique dans l’administration, a participé au questionnement de la « grammaire commune ». Celle-ci aurait pu intégrer ce message et s’adapter ou disparaître (en référence à la dynamique des conventions), mais elle s’est au contraire renforcée en faisant disparaître cette règle concurrente. L’introduction de dispositifs matériels et de discours prônant un management par objectifs est autant de signaux contradictoires, introduits par les gestionnaires en charge du projet, qui s’opposent aux dispositifs bureaucratiques en place (pointeuse, horaires, organisation du travail, etc.) trahissant la convention existante. À l’inverse, par exemple, l’organisation du travail en paysager, parce qu’elle contribue à visibiliser les travailleurs et leur présence, s’intègre parfaitement dans la croyance partagée de ce qu’il est normal d’attendre d’un agent d’ECOMIN.
50En gestion, Gomez (1996) propose de caractériser la convention au regard de trois éléments clés (l’énoncé, le dispositif matériel et un principe de cohérence). Cette approche permet d’appréhender cette croyance partagée, la convention, de manière pragmatique et pédagogique (le tableau 2 illustre ces éléments constitutifs de la convention en vigueur chez ECOMIN, et témoigne donc de la capacité à identifier, par ces différents repères, une convention).
Convention en place chez ECOMIN
Convention en place chez ECOMIN
51S’interroger sur les raisons de l’échec de l’expérience de télétravail, c’est s’interroger sur les conditions d’efficacité des règles (par rapport à quoi est-ce un échec ?) et aller au-delà de la compréhension du processus de régulation sociale en lui-même qui se solde, de manière fructueuse, par ce compromis (l’abandon du projet). En d’autres termes encore, il s’agit de questionner l’effet organisationnel de la règle (son efficacité au regard d’autres systèmes ou types de règles – les conventions –), donc, questionner la compatibilité de cette règle (ce qui est « dit ») d’avec les croyances implicites sur ce que l’on considère comme l’effort « normal » (le « non-dit ») par rapport auquel ces règles prennent sens. Dès lors, dans le cas d’ECOMIN, l’introduction de nouvelles règles de contrôle (portant sur la performance individuelle et dépersonnalisant le contrôle) est illisible dans la grammaire conventionnelle et les croyances communes préexistantes, valorisant la présence (la capacité pour un travailleur d’interagir avec ses collègues) et la visibilité (la possibilité d’observer le travailleur) des agents.
Donc là, c’est quelque chose que je déteste faire, que je n’avais jamais fait avant, mais que j’ai été obligée de faire là, j’ai fait des contrôles à la pointeuse. Pour vraiment voir les gens qui sortaient et les gens qui ne revenaient plus.
53En d’autres mots encore, la dissonance observée ne provient pas seulement de cette modalité non conventionnelle de contrôle qui aurait échoué par le rejet de ses protagonistes. Elle s’explique par la capacité du projet de télétravail et de ses modalités d’exécution à remettre en question la convention à laquelle obéissent tous les acteurs d’ECOMIN (présence, visibilité, contrôle direct) rendant impossibles un discours et une pratique qui exprimaient l’exact contraire, sans modification de la grammaire de référence. Comme dit un traducteur :
Oui, parce qu’ici, l’important c’est d’être là, c’est d’être présent. On n’est pas dans une optique de résultats, on est dans une logique de travail, de présence, c’est-à-dire que l’important c’est d’être là.
55Sauf que, précisément, les traducteurs n’étaient « pas là », mais présents « à distance ». Il leur faut donc montrer qu’ils sont là bien qu’ils ne le soient pas… D’où une situation tendue qui mène à l’échec du projet.
2.5 – HUMIN
56HUMIN a pour mission de développer et de soutenir les politiques RH de tous les services publics fédéraux. Sa structure est similaire à celle d’ECOMIN à l’exception du profil des 513 agents puisqu’une majorité d’entre eux est qualifiée. Le télétravail y a été introduit en même temps que d’autres changements dans l’organisation du travail visant à promouvoir une orientation clients comme, par exemple, (a) la suppression de la pointeuse (en compensation, douze jours de congés ont été alloués aux agents, sur l’hypothèse que ceux-ci travaillent au-delà du temps de travail contractuel et étant donné l’impossibilité de contrôler les heures supplémentaires prestées à domicile ; (b) l’introduction du travail par projet et (c) la mise en place d’une nouvelle procédure d’évaluation appelée « cercles de développement » dont l’objectif d’évaluation côtoie un objectif de développement du dialogue et de la communication internes. Ces différents changements ont été initiés par la hiérarchie et constituent autant de régulations de contrôle.
2.5.1 – Projet télétravail
57La décision de proposer le télétravail au sein d’HUMIN fut motivée par un double souci d’amélioration des conditions de travail et de développement de l’attractivité de la fonction publique comme employeur de choix. D’autres objectifs ont également été assignés au télétravail comme l’amélioration du service aux usagers (les clients) ou l’amélioration de l’efficacité globale de HUMIN et de la gestion de son personnel dans l’espoir, par exemple, de réduire l’absentéisme et le turnover. Le projet a été présenté et discuté avec les représentants des travailleurs qui l’ont soutenu pour la capacité de conciliation des rôles professionnels et privés qu’il autorise. Sa formalisation a donc fait l’objet d’une négociation collective.
58Le projet pilote fut lancé en mai 2004 et se composait de 42 volontaires, très qualifiés, et ayant choisi de télétravailler un jour par semaine, à l’exception de deux d’entre eux ayant opté pour deux jours. Pour chaque agent, le télétravail a fait l’objet d’un avenant au contrat de travail, précisant la fréquence de l’arrangement, le lieu de travail (domicile), la participation financière de HUMIN en matière d’équipement informatique, la nature des tâches à réaliser à domicile et la période de disponibilité durant laquelle l’agent doit rester joignable pour ses collègues et supérieurs (correspondant à la plage horaire de présence obligatoire pour tous, c’est-à-dire de 9 h 30 à midi et de 14 heures à 16 heures). La décision finale d’autoriser un agent à télétravailler incombe au responsable hiérarchique.
2.5.2 – Gestion spécifique du contrôle
59Les agents de HUMIN ont adopté le télétravail pour bénéficier d’une meilleure conciliation entre vies privée et professionnelle ainsi que pour diminuer les temps de déplacement. Le télétravail a toutefois eu un effet contrasté sur la coordination et la cohésion des équipes. Selon les télétravailleurs, cette nouvelle forme d’organisation du travail n’a pas eu d’impact sur le travail de l’équipe alors que, du point de vue des managers, certaines conséquences sociales peuvent être pointées, parmi lesquelles la difficulté de réunir son équipe de travail et d’en assurer la coordination.
Ce que je trouve difficile personnellement, c’est le fait que pour avoir toute l’équipe présente plusieurs jours par semaine, ce n’est pas évident.
Mais je préfère ne pas augmenter la dose de télétravail. Ça pourrait devenir plus difficile au niveau du travail d’équipe (…) C’est-à-dire que parfois les jours où on se retrouve tous en même temps deviennent rares.
62Il semble que ces divergences de vues soient bien dues au fait que le télétravail, même formalisé, reste un arrangement individuel réalisé au cas par cas, dans le cadre d’un accord passé entre le fonctionnaire et son chef. La plupart des éléments de cet accord restant à la discrétion de l’un et l’autre (tâches à effectuer, fréquence, jours, etc.) et constituent, en partie, l’objet des régulations sociales étudiées ici.
63Les règles de contrôle produites portent sur le temps de travail ou l’évaluation de l’expérience de télétravail et témoignent de l’individualisation acceptée du contrôle ; certains annoncent, en effet, les tâches qu’ils comptent accomplir durant leur jour de télétravail la veille, d’autres suscitent un feedback le lendemain, autant de routines qui sont initiées en grande partie par les télétravailleurs afin de respecter les règles du jeu en vigueur. De même, la suppression de la pointeuse dé- collectivise une norme temporelle formelle et participe à ce même mouvement d’individualisation.
Ce n’est peut-être pas rentré dans les mœurs de tout le monde, ce télétravail… J’ai déjà entendu des collègues dire d’un télétravailleur que quand il rentrait de son jour de télétravail, le jeudi, il était tout bronzé et qu’il avait fait son jardinage… Ou que quelqu’un n’était pas à la maison car elle ne répondait pas à ses e-mails… Et je ne voudrais pas que l’on dise cela de moi.
Moi, je télétravaille le week-end ! (…) Quand les gens travaillent chez eux pendant une journée, ils prennent davantage de recul et ils reviennent plus détendus. Je ne serais pas cynique au point de dire que c’est parce qu’ils se sont reposés, c’est parce qu’ils ont moins été soumis à la pression quotidienne.
66Les pressions sociales auxquelles ces extraits font référence justifient le développement de nouvelles stratégies en matière de communication et de discipline (Taskin & Raone, 2014). Par exemple, les télétravailleurs envoient davantage de courriels à leurs collègues et supérieurs. Ces ‘stratégies de signalement’ ont pour but de manifester la visibilité et la présence des travailleurs à distance et de les ‘conformer’ aux règles du jeu en vigueur. Le contrôle social agit ici comme une régulation de contrôle amenant, entre autres, les télétravailleurs à se signaler, et bien que ses auteurs ne soient pas (ou seulement marginalement) le management ou, de manière plus générale, liés à l’autorité.
J’ai tendance à être plus stricte avec moi-même car j’ai vraiment peur qu’on pense que parce que je suis à la maison, je ne travaille pas. Je ne voudrais pas qu’on croie que je suis à la maison, que je suis une carotteuse, que je n’ai rien fait de ma journée, que j’étais dans mon jardin. Je prends donc beaucoup de travail à la maison… C’est clair que dès que je reçois un mail à la maison, j’essaie d’y répondre tout de suite pour ne pas qu’on dise que je ne lis pas mes e-mails, que je ne suis pas à la maison, je reste aussi toujours très proche du téléphone au cas où l’on m’appelle. C’est la peur qu’on ressente ça en se disant que je suis à la maison et donc que je vais moins travailler.
68Les managers contribuent naturellement à ce processus de régulation sociale en détournant l’usage de certains outils de gestion à des fins de contrôle, comme nous le notions dans le cas d’ECOMIN : il en va ainsi de la formalisation des réunions, de certains indicateurs (time sheets) et d’outils virtuels (agendas et espaces partagés, courriels), qui traduisent des régulations de contrôle.
En fait, on a des moyens qui sont à la fois des moyens d’organisation et aussi des moyens de contrôle. On a par exemple un tableau Excel qui est sur la plate-forme commune, on a un espace de gestion documentaire commune avec un espace par projet. Donc on peut tous aller voir ce que les autres sont en train de faire. Ce n’est pas mis en place en vue de faire un contrôle, c’est mis en place en vue d’être informé, de communiquer et de gérer les connaissances communes. Mais c’est aussi une forme de contrôle collectif et par moi-même.
70Au sein de HUMIN, la déspatialisation génère donc des régulations de natures diverses : certaines provenant du sommet hiérarchique (avenant au contrat de travail, travail par projet plutôt que pointeuse) et du management, d’autres émanant des collègues (contrôle social) et d’autres encore adoptées par les télétravailleurs eux-mêmes en réaction aux précédentes (auto-contrôle, stratégies de signalement). Les modes de contrôle sont donc multiples et force est de constater qu’à côté des formes technocratiques développées par le management, d’autres, davantage sociales voire idéologiques, prennent une importance croissante en situation de travail déspatialisé.
71Dans le cas de HUMIN, face à un transfert des modes de supervision directe vers des outils technologiques et/ou une fréquence accrue de feedbacks (RC), certains télétravailleurs ont développé des stratégies de signalement (RA) afin de témoigner, à distance, de leur présence et de leur visibilité et, ce faisant, de se conformer aux règles du jeu. Dans ce premier cas de figure, le dispositif de règles qui est le résultat des régulations sociales observées, s’inscrit en cohérence avec la grammaire commune en vigueur (ce qu’il est normal d’attendre de l’agent de HUMIN). Dans un second cas de figure, les régulations autonomes ont pour objet l’apprentissage de nouveaux rythmes et de nouvelles frontières de travail. L’immixtion dans la sphère privée est limitée par ces mêmes régulations autonomes et la notion de confiance se trouve valorisée par le développement de l’auto-contrôle. Ici, le télétravail est vécu comme une expérience pouvant modifier l’organisation du travail, principalement en profitant de la flexibilité horaire qu’il procure et qui permet de mieux concilier vie privée et vie professionnelle, tout en affirmant le niveau d’effort et en le signalant spontanément. Dans cette configuration, les règles du jeu évoluent pour permettre la gestion par objectifs, par exemple. La transformation de la convention d’effort existante est présentée dans le tableau 3.
Modification de la convention chez HUMIN
Modification de la convention chez HUMIN
72En conclusion, dans les deux administrations que nous avons étudiées, le télétravail semble s’inscrire dans une stratégie de changement visant à responsabiliser les agents. Ce changement touche des croyances structurant le contenu de l’effort au travail et les règles de contrôle (pointeuse ou auto signalement par email, par exemple). Dans le cas d’ECOMIN, le télétravail a été introduit de manière opportuniste et locale, instaurant une nouvelle règle de contrôle non négociée et limitée à un petit groupe d’agents isolés et non représentatifs du reste de l’organisation, les traducteurs. Cette adaptation locale n’a pas été délibérée plus largement. Entre non-dits et déficit de volonté stratégique, les règles de contrôle prévalant à ECOMIN (présence, pointeuse) n’ont jamais été remises en cause, créant un conflit de normes entre un petit groupe de fonctionnaires ayant adopté des indicateurs de performance spécifiques et l’ensemble des autres agents, prestant leurs 7 h 36 de présence obligatoire.
73Dans le cas de HUMIN, le télétravail a apporté des modifications radicales, soutenues et concertées et les règles de contrôle ont été renégociées laissant place à une re-régulation du travail sur de nouvelles bases, avec de nouvelles règles en construction actuellement. Les acteurs eux-mêmes ont été impliqués dans la réalisation des nouvelles règles de contrôle, ce qui, au lieu de contredire la convention d’effort dominante, l’a enrichie : c’est en répondant aux règles de la « présence » nécessaire que les agents d’ECOMIN ont inventé des moyens d’auto-contrôle signalant spontanément qu’ils étaient « présents » bien que physiquement absents. Loin de heurter la convention dominante, ils l’ont ainsi renforcé montrant que le télétravail était exigeant en termes d’implication et de discipline personnelle.
3 – Vers une articulation entre TRS et TC dans un modèle dialectique « énoncé - dispositif de règles »
74Les deux études de cas présentées ici avaient pour vocation d’illustrer la prégnance de la considération simultanée des théories de la régulation sociale et des conventions dans l’étude de projets de changement et de leurs implications organisationnelles. Dans cette discussion, nous souhaitons résumer les conditions de cette articulation théorique, autour de trois arguments majeurs : d’abord, il s’agit de réaffirmer les points de convergence qui justifient de penser cette articulation ; ensuite, de montrer en quoi les divergences présentées avant constituent l’intérêt majeur de cette articulation : elles permettent de comprendre la capacité de production et d’adoption de (nouvelles) règles comme résultant à la fois du partage d’un énoncé commun « a priori » et d’ajustements « a posteriori » du dispositif de règles ; enfin, il s’agit de rappeler que l’on a besoin de cadres théoriques pour repenser le travail dans ces formes nouvelles qui interpellent les représentations que se font les travailleurs de l’effort normal à fournir.
75Premièrement, insistons sur le fait que, parce que ces deux théories partent des acteurs et inscrivent les régulations (et re-régulations) dans et à partir des comportements des acteurs, elles sont pertinentes pour analyser les transformations du contrôle dans un contexte de déspatialisation. En effet, l’espace modélise les relations sociales entre les acteurs et, donc, la relation de travail. La mobilisation de la TRS nous permet d’appréhender cette réalité de très près : c’est bien parce que l’espace de travail est modifié – avec l’introduction du télétravail à domicile – que les modalités du contrôle se trouvent renégociées. Au-delà des règles de contrôle, c’est aussi un rapport à l’espace de travail – et au travail tout court (voir Donis, 2015 ou Sewell & Taskin, 2015) – qui se trouve re-régulé.
76Deuxièmement, nous avons montré que ce qui se jouait dans cette situation de changement était autant la transformation des règles de contrôle, dans un contexte où le télétravail devenait une réalité, que la perception des acteurs sur l’effort normal à fournir et sur sa nature, dans un contexte marqué par la déspatialisation. Ainsi, au-delà de la négociation de règles de contrôle spécifiques, par le biais d’accords (avenant au contrat de travail, politique de télétravail définie par l’entreprise) ou d’arrangements plus informels (échanges sur le travail accompli, utilisation d’outils de gestion à des fins d’auto-contrôle), c’est aussi la nature de l’effort attendu qui se trouve questionné : comment rester visible lorsqu’on travaille à distance (rôle de la technologie), d’une part, mais aussi comment la capacité d’adopter le télétravail comme modalité d’organisation dépend de la capacité d’élargir la conception que l’on partage sur ce qu’il est normal d’attendre d’un collaborateur (dans le cas HUMIN, il devient normal de travailler par projet, de manière plus autonome et responsable, et donc en étant moins présent). Le dispositif de règles (ce qui est « dit ») se comprend donc au regard de l’énoncé (ce qui est « non-dit ») qui prévaut.
77Au cœur de la TRS, comme de la TC, la question de l’interprétation est cruciale : pourquoi les acteurs adoptent-ils tel comportement, pourquoi se conforment-ils à telles règles ? À notre sens, la TRS répond parfaitement à la question des moyens de la régulation sociale en offrant un cadre compréhensif permettant l’étude du processus par lequel une politique de gestion amène les acteurs à adopter certains comportements ou, inversement, comment les acteurs, dans leurs interactions, parviennent à agir sur les règles de gestion qu’ils co-construisent. Les clés offertes par la TRS donnent sens à ce processus et permettent son étude. Par contre, la TRS ne porte pas sur la question de l’efficacité organisationnelle, qui fait ici référence au positionnement du dispositif de règles par rapport à l’énoncé. La TC permet de comprendre pourquoi certaines règles produisent les effets organisationnels observés, selon qu’elles apparaissent cohérentes avec l’énoncé. En d’autres termes, il s’agit de pouvoir comprendre qu’un dispositif de règles cohérent avec l’énoncé de la convention sera plus à même de susciter l’adhésion des acteurs.
78L’opérationnalisation de la TRS en GRH n’est pas évidente et elle pose, notamment, la question du périmètre de l’action du chercheur (Van Bunnen, 2014). La mobilisation de la TC nous semble de nature à aider le chercheur en gestion à caractériser une forme de régulation sociale située, à la fois dans le temps (le chemin de dépendance des décisions passées) et dans l’espace (une portée plus ou moins locale de la régulation et des règles produites). À ce titre, la caractérisation de la convention proposée par Gomez (1996) et appliquée au cas ECOMIN nous semble constituer un moyen d’appréhender ces règles situées et, dès lors, d’en inférer la cohérence du dispositif de règles produit dans le cadre des régulations sociales étudiées par le chercheur. Identifier la convention, ses principes constituants, c’est aussi se donner les moyens d’agir sur eux, à l’image de ce qui a été réalisé dans le cas HUMIN. À cette démarche diagnostique s’articule la dimension dynamique de la TRS, permettant de comprendre les actions des acteurs impliqués dans le projet en question, les régulations sociales et les règles produites dans ce système d’action concret.
79Troisièmement, il convient de rappeler que cette proposition n’a pas l’ambition de façonner un cadre théorique « intégré », mais bien de montrer que les divergences d’une théorie par rapport à l’autre justifient aussi leur articulation et permettent de rendre intelligibles les situations de transformations, de création et de rémanence des règles en situation de changement, sans assujettir une théorie à l’autre. Ce faisant, notre réflexion veut témoigner de la nécessité de mobiliser et d’investir des cadres théoriques empruntés à d’autres disciplines pour penser le travail dans ces formes nouvelles qui interpellent les représentations que se font les travailleurs de l’effort à fournir. Cela nous semble ouvrir des perspectives aux sciences de gestion en offrant de nouvelles grilles de lecture et de compréhension, pour l’action, des situations de gestion. Dans l’étude des nouvelles formes d’organisation du travail en GRH, nous pensons par exemple à la mobilisation de la géographie sociale (Raffestin, 1987 ; Lefebvre, 1974) ou de l’ergonomie (Schwartz, 2009).
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : télétravail, régulations sociales, conventions, projet, contrôle, changement organisationnel
Date de mise en ligne : 22/07/2015.
https://doi.org/10.3917/grh.151.0099Notes
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[1]
Les auteurs remercient les deux évaluateurs pour leurs commentaires stimulants, ainsi que les collègues qui, par leurs suggestions, ont contribué au développement de cette articulation théorique. En particulier, les professeurs Matthieu de Nanteuil et Armand Spineux, à l’Université catholique de Louvain, et le professeur Didier Cazal et ses collègues du MOS à l’IAE de Lille.
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[2]
Les quelques études analysant les enjeux du télétravail en matière de GRH se limitent ainsi trop souvent à la description des éléments intervenant dans le processus d’adoption de celui-ci (voir p.ex. Baruch, 2000 ; Illegems, Verbeke & S’Jegers, 2001 ; Kowalski & Swanson, 2005 ; Morgan, 2004 ; Perez, Sanchez & de Luis Carnicer, 2002) ou à l’étude de certains enjeux spécifiques que cette forme d’organisation du travail soulève, par exemple, en matière d’isolement social et de conciliation des rôles (voir p.ex. Felstead, Jewson, Phizacklea & Walters, 2002 ; Hill, Ferris & Märtinsson, 2003 ; Kurland & Cooper, 2002 ; Tremblay, 2002), en matière de gestion des connaissances et la performance organisationnelle (voir p.ex. Daniels, Lamond & Standen, 2001 ; Gajendran & Harrison, 2007 ; Illegems & Verbeke, 2004 ; Martinez-Sanchez, Perez-Perez, de Luis Carnier & Vela-Jimenez, 2007).
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[3]
Il faut admettre qu’une certaine confusion a été introduite par le fait que dans l’ouvrage de Boltanski et Thévenot (et l’usage qui en a été fait), le terme « conventions » est utilisé pour exprimer les ajustements entre les acteurs se référant à des « cités » différentes. Alors que chez Dupuy, Amblard ou Gomez, « conventions » correspond à ce que Boltanski et Thévenot appellent « cités » c’est-à-dire la grammaire « conventionnelle » nécessaire et antérieure à tout ajustement consensuel (ou non). De fait, le propre d’une « théorie des conventions » n’est pas de repérer qu’il existe des consensus à partir d’une compétition des règles (ce que fait la Théorie de la régulation sociale) mais qu’il existe des croyances en amont de ces consensus et de ces règles, sur l’interprétation que l’on peut en faire : pour dialoguer, il faut avoir un langage commun sur lequel on ne discute pas sans quoi la définition des règles impliquerait une régression à l’infini.
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[4]
Et donc, tant par Reynaud, en 2003, par exemple, dans le cadre d’un entretien accordé à Eric Pezet et Pierre Louart, que par Favereau, dans une contribution à l’ouvrage collectif portant sur la TRS et ses prolongements coordonné par Gilbert de Terssac, paru la même année.
-
[5]
Précisons que la recherche présentée ici n’envisageait pas, a priori, la mobilisation simultanée de la théorie de la régulation sociale et de la théorie des conventions. Cette articulation s’est construite de manière abductive (Koenig, 1993 ; Miles & Huberman, 1994), au gré de l’analyse du matériau et de son interprétation, dans une logique de recherche interprétativiste. Etudiant l’appropriation d’un projet de changement par les acteurs organisationnels, dans les termes de la transformation des règles (de contrôle), la TRS a rapidement été mobilisée. Au terme de la première étude de cas, toutefois, notre mobilisation de cette théorie ne permettait pas de comprendre l’échec du projet télétravail, sur base des observations réalisées. C’est alors que la recherche d’autres référents théoriques a été entamée, au gré d’échanges scientifiques particulièrement stimulants, et que la TC s’est trouvée mobilisée, offrant de nouvelles clés d’interprétation aux cas étudiés. C’est donc dans une perspective pédagogique que, après avoir introduit le contexte de la recherche (le télétravail comme processus de changement affectant les modes de contrôle), nous avons présenté les deux référents théoriques a priori.
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[6]
Nous insistons auprès du lecteur sur le fait que ces deux études de cas sont présentées ici de manière succincte, à la seule fin d’illustrer l’articulation proposée entre TC et TRS. Une présentation détaillée des deux cas est proposée dans Taskin et Edwards (2007).