Notes
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[*]
Jean Frémigacci est maître de conférences à l’Université Paris I – Panthéon Sorbonne (Centre d’étude des mondes africains).
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[1]
Rapport du général Gallieni au ministre des colonies sur la situation générale de la colonie, Paris, Imprimerie des Journaux officiels, 1905, p. 62.
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[2]
Ibid., p. 64
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[3]
J. Gallieni (1908 : 48).
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[4]
Rapport du général Gallieni au ministre des colonies sur la situation générale de la colonie, Paris, Imprimerie des Journaux officiels, 1905, p. 64.
-
[5]
J. Frémigacci (1975 : 85).
-
[6]
Ibid, p. 79.
-
[7]
ARM (Archives de la République malgache), série Chambres de commerce, dossier n° 13, Fianarantsoa, PV du 22/04/1910.
-
[8]
Ibid., PV du 25/09/1911.
-
[9]
Bulletin économique de Madagascar, 1er trimestre 1921, p. 40-61, note de Girod, directeur des Travaux publics.
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[10]
A. Sarraut (1923).
-
[11]
J. Gallieni (1908 : 289). Le général avoue s’inspirer de son maître Faidherbe, qui avait appelé de Dakar-Saint-Louis « Le chemin de fer de l’arachide ». En fait, la comparaison n’a pas de sens. Comment mettre sur le même plan une culture vivrière, le riz, et une culture de rente, l’arachide, alors que, de surcroît, les conditions géographiques, physiques et humaines sont absolument différentes au Sénégal et à Madagascar ?
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[12]
Ibid.
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[13]
CAOM, Aix-en-Provence, fonds du contrôle, 749-751, mission Nores, Madagascar 1919-1920. Rapport de l’inspecteur Leconte sur les messageries par charrettes à bœufs.
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[14]
J. Gallieni (1908 : 159-160).
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[15]
Voir supra, note 9.
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[16]
Instructions du 31/12/1900.
-
[17]
Rapport du général Gallieni au ministre des colonies sur la situation générale de la colonie, Paris, Imprimerie des Journaux officiels, 1905, p. 62.
-
[18]
Journal officiel de Madagascar (J. O. M.), 22/10/1902, p. 82-87.
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[19]
Rapport du général Gallieni au ministre des colonies sur la situation générale de la colonie, Paris, Imprimerie des Journaux officiels, 1905, p. 63.
-
[20]
Rapport du général Gallieni au ministre des colonies sur la situation générale de la colonie, Paris, Imprimerie des Journaux officiels, 1905, p. 62. Cette « apathie naturelle » exprime en réalité la résistance passive des Malgaches.
-
[21]
J. Frémigacci (1975 : 83, 96-97). Le paradoxe apparent – une baisse des salaires qui accroît l’offre de main-d’œuvre – montre que l’économie coloniale n’obéit pas à la logique de la théorie libérale. Dans le cadre colonial, si les salaires baissent, le Malgache devra allonger la durée de son engagement pour payer l’impôt « moralisateur ». On devine les conclusions qu’en tirent les colons… En fait, on a ici un cas d’application de la théorie de Tchayanov sur les comportements des paysanneries dominées.
-
[22]
J. Frémigacci (1975).
-
[23]
Ibid., p. 118.
-
[24]
ARM D 152 Travaux publics. Le chef de province de Moramanga au G. G., 3 juin 1918. Angady : bêche malgache.
-
[25]
CAOM, Aix-en-Provence, fonds du contrôle, mission Henri, Madagascar 1921-1923, rapport n° 48 sur la main-d’œuvre dans la province de Moramanga.
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[26]
ARM D 364, correspondance du MLA 1916-1922.
-
[27]
CAOM, fonds du contrôle, 754, Madagascar, mission Henri, 1921-1923, rapport cit. n° 48, p. 18.
-
[28]
ARM D 364 ; « Mémoire présenté à M. le colonel Garbit, gouverneur général de Madagascar, sur les abus dont la population malgache est victime dans la province du Vakinankaratra », 10/11/1920.
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[29]
J. Frémigacci (1975 : 113).
-
[30]
Ibid., p. 114.
-
[31]
CAOM, Mission Henri…, rapport cité n° 48.
-
[32]
CAOM, Madagascar, IID 50, province d’Antsirabe (Vakinankaratra), Rapport économique (R. E.), 1920.
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[33]
CAOM, fonds du contrôle, 754, mission Henri 1921-1923, rapport n° 49 sur la main-d’œuvre dans la province du Vakinankaratra.
-
[34]
BEM 1921, 1er trimestre, note de Girod citée supra.
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[35]
J. Frémigacci (1975 : 123).
-
[36]
C. Richard (1962).
-
[37]
M. Olivier (1931 : 97-132).
-
[38]
Nous résumons ici les points essentiels d’une recherche personnelle sur le SMOTIG, qui donnera lieu à une publication ultérieure.
-
[39]
M. Olivier (1931 : 128).
-
[40]
ARM J143 (ancien classement). Lettre de Faucon, chef de province de Fénérive, à Gallieni, 28/04/1904.
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[41]
ARM, série Chambres de commerce, n° 43 (Vatomandry). Le chef de province Marcoz au gouverneur général, 29/07/1907.
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[42]
CAOM, Aix-en-Provence, Madagascar II D 220, province de Vatomandry, rapport économique (R. E.), 1910.
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[43]
Calculs établis à partir de la série des budgets annexes des chemins de fer, ARM série budgets.
-
[44]
R. Gendarme (1963 : 97-98).
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[45]
Cf. annexe ii.
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[46]
E. Guernier (1947 : 143).
-
[47]
C. Richard, op. cit., p. 81.
-
[48]
J. Frémigacci (1998).
-
[49]
ARM, série Compagnies et sociétés, dossier n° 6, société La Grande Île.
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[50]
R. Ramandimbilahatra (1980).
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[51]
Cf. supra note 40, lettre de Faucon, chef de province de Fénérive, à Gallieni, 28/04/1904.
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[52]
CAOM, IV D27, rapport au ministre, 1906.
-
[53]
ARM D364. Demande de travailleurs 1918-1945. Correspondance du MLA 1916-1922.
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[54]
CAOM, Mission Henri 1921-1923, rapport cité note 48, présentation par l’Inspecteur général.
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[55]
J. Frémigacci (1975 : 125-129).
-
[56]
ARM, chambres de commerce, dossier n° 25 (Moramanga). PV du 14/06/1922 : demande de ségrégation entre voyageurs.
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[57]
R. Dumont (1959 : 79).
-
[58]
CAOM, Mission Henri. Rapport cité n° 48, p. 17 : sur 16000 contribuables du district de Moramanga, 3 500, toujours les mêmes, sont envoyés sur les chantiers.
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[59]
J. Ferret (2001 : 211-262). Le district d’Ambatondrazaka fut le seul district rural de l’île à voter non au référendum de septembre 1958 sur l’adhésion à la Communauté, ce que De Gaulle ne manqua pas de faire remarquer à son malheureux administrateur.
1L’âge des chemins de fer à Madagascar risque fort d’avoir été bref. De 1901, qui vit l’ouverture du premier chantier, à 1936, un embryon de réseau de quelque 860 kilomètres fut constitué. Mais, en 2001 sur les 4 lignes qui le composaient, seul le FCE (Fianarantsoa-Côte-Est, 163 km) était encore animé par un modeste convoi quotidien, alors même que le problème des transports était plus aigu que jamais. Depuis, le TCE (Tananarive-Côte-Est, 369 km) a repris du service pour l’acheminement de pondéreux, les hydrocarbures principalement. Mais la tentative de remise en service du TA (Tananarive-Antsirabe, 158 km) s’est soldée par un déraillement de bien mauvais augure. Dans le contexte politique et idéologique actuel qui privilégie la privatisation de toutes les activités économiques, l’avenir des chemins de fer malgaches est plus qu’incertain.
2Or incriminer la mauvaise gestion des Républiques successives depuis 1960 n’est pas une explication suffisante. Car une analyse remontant aux origines de ces voies ferrées fait apparaître clairement que l’entreprise a été dès l’origine mal pensée et encore plus mal exécutée. Le calcul économique resta déficient, ce qui rendait illusoires les espérances de développement, elles-mêmes obérées par de sévères contraintes, qu’il s’agisse des conditions de financement, du parasitisme d’intérêts particuliers ou d’effets pervers source de blocage économique. Et surtout, la réalisation fut menée au prix d’un coût social et humain très élevé, qui éclaire notamment les origines de l’insurrection de 1947 dont les chemins de fer furent les axes et la cible, et au-delà, l’hostilité des populations à une modernité toujours perçue comme oppressive.
Les objectifs et les moyens : motivations et financement de l’entreprise
3Parmi les justifications données à la construction des chemins de fer à Madagascar, on est frappé par le caractère très vague et la faible place des arguments économiques. L’idée, en quelque sorte, allait de soi et de pair avec celle de l’immense richesse supposée du pays, et avec le projet de colonisation de la nouvelle conquête. Pour Gallieni, le projet de relier Tananarive à la côte « date de l’époque même où fut décidée l’expédition de Madagascar [1] ». Le chemin de fer « constituera par excellence un instrument de civilisation [2] ». Le général se retranchait derrière l’une de ses idées simples, mais fausses et infirmées par l’histoire : tout comme l’impôt était « moralisateur », le chemin de fer était « civilisateur ». Il devait créer l’activité économique ex nihilo tout comme les décrets du Journal officiel devaient susciter le progrès social des colonisés.
4Un tel discours était en fait l’expression d’une vision géopolitique constitutive du modèle politico-militaire de l’expansion coloniale française : d’abord, s’installer au cœur de l’espace convoité et de là, rayonner vers sa périphérie. À Madagascar, cette vision s’appuyait sur un rêve tenace, mais trompeur, celui de développer une colonisation de peuplement blanc sur les Hautes-Terres où, selon Gallieni en 1905, « l’activité économique était appelée à prendre son maximum d’intensité [3] ». Dans l’immédiat, il s’agissait de garantir la sécurité de la domination française sur l’île en assurant à Tananarive une liaison solide avec la mer. Parmi les considérations économiques qui habillaient cette priorité, il est un argument qui vaut d’être cité in extenso :
« […] L’achèvement de cette entreprise ouvrira à l’Imerina un débouché aussi indispensable à sa prospérité qu’à celle du reste de l’île. Autour de Tananarive vit un groupement d’un million d’individus au caractère industrieux, à l’esprit éveillé et âpres au gain que la nature a placés dans un isolement opposé à leur désir d’expansion. Dans ce noyau de population, nous trouverons les meilleurs auxiliaires du développement économique et social de la région littorale… le jour où les Hova pourront se rendre aisément hors de l’Imerina [4] ».
6Ainsi, Gallieni fut le premier à considérer que sa « politique des races » anti-merina n’était qu’un discours de circonstance. Dans les faits, il prit la succession des rois conquérants merina du siècle précédent.
Carte extraite de Madagascar (Encyclopédie de l’empire français), 1947, t. II, p. 137
Carte extraite de Madagascar (Encyclopédie de l’empire français), 1947, t. II, p. 137
7Les justifications économiques étaient plus évidentes dans le cas des deux lignes suivantes, construites comme prolongement du TCE achevé en 1913, le Tananarive-Antsirabe (TA) et le Moramanga-Lac Alaotra (MLA, 168 km). Mais, tout comme pour le TCE, leur rentabilité et leur avenir furent grevés par leur conception comme axes d’exportation. Dès le départ, le chef de province de Tananarive estimait ainsi qu’un autre tracé du TA, « un peu plus coûteux, mais traversant des régions plus riches et de population plus dense », aurait mieux stimulé l’économie régionale et les échanges intérieurs [5]. D’autre part, la réalisation de ces voies se fondait toujours sur la prévision erronée d’une future colonisation de peuplement blanc, espoir irréaliste qui faisait tomber le chef de province d’Antsirabe dans l’illusion lyrique [6]. C’est sur la base de rapports provinciaux largement fantaisistes, dans lesquels le rêve masquait la réalité, que les autorités supérieures prirent la décision de construire le TA. Le MLA, de son côté, ne pouvait se justifier qu’à la condition que l’on entreprenne la mise en valeur, exigeant de grands travaux d’hydraulique agricole, de la cuvette de l’Alaotra. Or l’insuffisance des investissements et les conditions humaines déplorables de l’entreprise bloquèrent celle-ci pendant toute la période coloniale, voire tout le xxe siècle.
8Quant au Fianarantsoa-Côte est (163 km), réalisé entre 1927 et 1936, il fit figure, avant même son achèvement, d’erreur économique préfigurant les « éléphants blancs » de la décolonisation. Les illusions d’avant 1914 sur « ces riches régions infiniment plus intéressantes que l’aride Imerina [7] », et sur les perspectives riantes d’un peuplement blanc du Betsileo, s’étaient évanouies. Mais il fallait tenir une vieille promesse faite aux colons du Betsileo en crise, meneurs en 1911 d’une fronde des provinces périphériques contre la concentration des dépenses d’équipement au profit de l’Imerina : le poumon devant sauver les Hautes-Terres méridionales de l’asphyxie ne pouvait être, selon les colons, qu’un chemin de fer de Fianarantsoa à la côte [8], qui obtint d’être déclaré prioritaire à la conférence économique de 1919 à Tananarive, puis qui fut inscrit au « programme des grands travaux à entreprendre sur une période de 15 ans [9] » et au plan Sarraut de 1921 [10].
9Or tout cela reposait sur une erreur d’analyse économique. Le qualificatif de « Chemin de fer du riz », d’abord abusivement donné par Gallieni au TCE [11], fut ensuite accolé, avec tout aussi peu de justifications, au FCE : c’était ne pas voir que les excédents apparents de riz sur les Hautes-Terres, très médiocres en volume, ne pouvaient être dégagés que par une lourde fiscalité imposant une sous-consommation paysanne, et ne pouvaient être exportables que dans des circonstances exceptionnelles (guerre, inflation galopante en France). Pour faire bonne mesure, Gallieni rêvait en annonçant l’exportation de productions qui n’existaient pas encore, et n’existeront jamais comme la soie, l’une de ses obsessions [12]. En fait, la crise de la colonisation sur les Hautes-Terres dans les années 1903-1914 était bien moins imputable au problème des transports qu’à la médiocrité de l’ordre économique colonial lui-même.
10L’erreur commise avec le FCE était, de plus, beaucoup moins excusable en 1930 qu’en 1910, car entre-temps les transports routiers avaient ailleurs réalisé des progrès montrant que c’était vers eux qu’il fallait s’orienter. Mais à Madagascar, on ne faisait pas la comparaison entre le rail et la route moderne, mais entre le rail et la (mauvaise) route coloniale, simple piste ouverte à coup de prestataires. Tout comme la « route de l’Est » Tananarive-Mahatsara ouverte en 1900, une telle route existait entre Fianarantsoa et Mananjary depuis les années 1900, souvent impraticable. Avec l’effort de guerre, l’administration y organisa en 1917 un service de messagerie par charrettes à bœufs qui, en 1919, disposait de 131 charrettes et 698 bœufs, jugés plus économiques que l’auto [13] ! En 1925, on envisagea la mise en service de camions, mais on y renonça devant l’état de la route et l’on maintint le choix du chemin de fer fait quinze ans auparavant. Nous touchons ici un autre problème, l’incroyable lenteur avec laquelle les réalisations aboutirent, en sorte qu’elles vinrent toujours trop tard. Pour en rendre compte, il faut examiner les conditions de financement des projets et leurs conséquences.
11Au départ, le ministère aurait voulu mettre en œuvre une solution « à l’américaine », en rémunérant des compagnies privées chargées de construire et exploiter les chemins de fer par l’octroi de vastes concessions de terres et de forêts. Mais cette formule n’attira que des spéculateurs dont nous évoquerons plus loin le rôle néfaste. L’État colonial dut donc, comme en Afrique, se faire le maître d’œuvre du réseau et la mission d’études du colonel Roques en 1897 évalua le coût d’un TCE à 80 millions. Les recettes budgétaires locales n’atteignant pas encore 20 millions en 1900, l’entreprise ne pouvait être réalisée que sur emprunt. Une loi du 14 avril 1900 autorisa la colonie à emprunter 60 millions, sur lesquels 48 furent affectés à la construction du TCE, soit, pour les 270 km prévus, un coût estimé de 177 000 francs au kilomètre. Ce qui, de l’aveu de Gallieni « était notoirement trop peu dans un pays offrant les difficultés de travaux, de moyens d’exécution et de recrutement de main-d’œuvre qu’on allait rencontrer à Madagascar [14] ». Mais il était difficile de demander plus à un parlement frileux qui, au même moment, votait la célèbre loi du 13 avril 1900 qui, sous couvert d’accorder l’autonomie financière aux colonies, les contraignait à une gestion rigoureuse dégageant des excédents annuels accumulés dans une caisse de réserve, de façon à garantir qu’elles n’auraient pas à solliciter l’aide de la métropole.
12Cela n’empêcha bien sûr pas que, mécomptes et mauvaises surprises aidant, on débouchât sur des dépenses bien plus élevées que prévu. Les travaux menés sous Gallieni, de 1901 à 1905, mirent en place 120 km de voies pour un coût de 34 millions, soit les trois-quarts du budget prévisionnel total. Dans son rapport sur les chemins de fer coloniaux, Bourrat, député des Pyrénées orientales, constatait que le prix de revient kilométrique (285 000 francs) dépassait tout ce que l’on avait vu jusque-là outremer. Il fallut donc solliciter une rallonge d’emprunt de 15 millions, accordée en mars 1905. Il n’était guère possible de faire autrement, car le tronçon inauguré par Gallieni le 31 octobre 1904, Brickaville-Fanovana (102 km), était la portion centrale du TCE, et fut raillé comme « le seul chemin de fer ne partant d’aucun endroit et n’aboutissant nulle part ». Les difficultés les plus graves étaient cependant surmontées et Augagneur, le successeur de Gallieni put faire arriver le rail à Tananarive en 1909. Mais le Parlement, échaudé, refusa tout nouvel emprunt jusqu’en 1931.
13C’est donc sur ses ressources propres que la colonie dut construire le troisième tronçon du TCE, Brickaville-Tamatave (98 km), achevé en mars 1913, ce qui permettait enfin à la ligne d’arriver dans un port. Les excédents budgétaires et la caisse de réserve financèrent de même les deux chemins de fer suivants, le Tananarive-Antsirabe (158 km) et le Moramanga-Lac Alaotra (168 km), construits entre 1911 et 1923.
14Ces problèmes financiers n’entraînèrent pas seulement des retards de construction ; ils eurent aussi un impact majeur sur les solutions adoptées et leur exécution. Et en premier lieu, sur le choix des tracés retenus.
15Pour le TCE, le tracé qui aurait eu la plus grande pertinence économique remontait la vallée du Mangoro jusqu’au seuil dominant la cuvette de l’Alaotra, puis descendait sur la côte par la vallée de l’Ivondro (cf. annexe i). Il était le plus long (près de 500 kilomètres) mais aurait évité la construction ultérieure du MLA. Surtout, il aurait mis la côte à moins de 200 km de la seule région des Hautes-Terres, l’Alaotra, qui avait un gros potentiel agricole (rizicole surtout) pouvant, une fois mis en valeur, alimenter une exportation. À ce tracé, on en préféra un autre, débouchant à Brickaville (illustration 2). Le TCE était ramené à 270 km mais le trajet Brickaville-Tamatave devait se faire par la voie d’eau, en suivant les lagunes reliées par le canal des Pangalanes alors en construction qui devait rapidement se révéler un travail de Sisyphe. Les inconvénients de la formule apparurent tout de suite avec les retards que subit l’approvisionnement des chantiers du TCE dès leur ouverture en 1901. Le prolongement du rail jusqu’à un port s’imposa donc. Un projet initial (cf. annexe i) l’avait d’ailleurs prévu, suivant un tracé qui desservait la région la plus peuplée du pays betsimisaraka central. Mais là encore, la recherche du moindre coût engendra une erreur économique. Après bien des tergiversations (en 1906, Augagneur voulait encore éviter Tamatave, une « erreur économique » selon lui), on opta pour la solution facile d’une voie établie sur le cordon littoral sablonneux entre l’océan et les lagunes, jusqu’à Tamatave. Mais ce dernier tronçon traversait sur près de 100 kilomètres une zone sans intérêt économique. On put regretter très vite l’abandon du tracé initial qui lui, traversait ce qui allait devenir la « zone des graphites » lorsque ce minerai connut un boom en… 1913. L’erreur ainsi commise se solda par une charge de portage, pour les populations, aussi lourde qu’absurde, qui culmina en 1916-1917, quand on mobilisa un total de quelque 110 000 hommes, réquisitionnés pour acheminer le minerai jusqu’à la côte, ce qui mit la région au bord de la famine en 1918.
Ce croquis, extrait de l’ouvrage de Gallieni, Neuf ans à Madagascar (1908, p. 152) fait apparaître les deux grands obstacles à franchir : le gradin forestier betsimisaraka et l’escarpement oriental de l’Imerina.
Ce croquis, extrait de l’ouvrage de Gallieni, Neuf ans à Madagascar (1908, p. 152) fait apparaître les deux grands obstacles à franchir : le gradin forestier betsimisaraka et l’escarpement oriental de l’Imerina.
16Le cas du FCE, deux décennies plus tard, devait présenter un problème analogue à celui du TCE. Contre les colons qui réclamaient une ligne Fianarantsoa-Mananjary (208 km), le gouvernement local opta pour Fianarantsoa-Manakara (163 km). Dans ce dernier cas, les contraintes imposées par la métropole furent la source de retards démesurés tant pour la prise de décision que pour la réalisation du projet.
17Une disposition du 5 avril 1897 avait soumis toute construction de chemin de fer à Madagascar, même sur ressources locales, à l’autorisation d’une loi. Cette mesure avait déjà suscité des protestations véhémentes dans la presse de Tananarive lors du lancement du TA : transmis en 1911 par la colonie, le projet passa tout 1912 au ministère (qui imposa un fractionnement des travaux en quatre tronçons exigeant chacun un décret) puis dans les commissions parlementaires des colonies et du budget, la loi d’autorisation étant finalement votée le 31 décembre 1912. Le contrôle de Paris était aussi un facteur de surcoûts importants pour la colonie, la loi imposant l’achat en France de tout le matériel, fixe et roulant, de tous les matériaux de construction à importer, et leur acheminement sous pavillon français. Désireux de s’affranchir d’une nouvelle procédure, le gouvernement local trouva une astuce pour le MLA : il fut déclaré comme… tramway, et lancé dans la plus grande discrétion.
18Tout ceci n’était rien à côté des retards à répétition que subit le FCE. Le projet, différé par la guerre et les retards d’achèvement du TA et du MLA, fut relancé à la conférence économique de janvier 1919, puis au congrès économique de 1920 à Tananarive. Dans l’euphorie de la victoire, on vit les choses en grand. Le FCE fut ainsi intégré à un plan de développement des voies de communication qui prévoyait également une ligne Antsirabe-Fianarantsoa (230 km) qui aurait unifié le réseau malgache. Dans le « programme de grands travaux à entreprendre sur une période de 15 ans [15] » de 1920, évalué à 300 millions de façon assez sommaire, 185 devaient aller aux chemins de fer (dont 45 pour un « chemin de fer du Betsileo » Fianarantsoa-Mananjary)… et 20 seulement pour les routes. Transmis à Paris, ce programme fut incorporé au fameux « plan Sarraut » de 1921 dont on sait qu’il ne dépassa pas le stade de thème des discours parlementaires et dominicaux du grand rhéteur de la parole coloniale de l’entre-deux-guerres.
19Dès 1922, le ministère demandait à la colonie de lui soumettre un projet correspondant à un emprunt non plus de 300 millions, mais de 50 seulement, ce qui était ridicule si l’on se rappelle que le franc avait déjà perdu les 4/5e de sa valeur de 1914.
20Après l’échec d’un nouveau projet en 1924, le gouverneur général Olivier, grâce à l’appui personnel de Gaston Doumergue dont il avait été un proche collaborateur au ministère des Colonies, et à l’exceptionnelle prospérité des années 1924-1926, put obtenir le décret du 15 septembre 1926 l’autorisant à créer un budget spécial des grands travaux, alimenté par les ressources locales et, providentiellement, par des prestations allemandes en nature, fournies au titre du plan Dawes de 1924 pour un montant de 54 millions : les travaux du FCE, sur le tracé Fianarantsoa-Manakara enfin adopté, purent être lancés. Madagascar mit ensuite à profit la brève période durant laquelle le capital français s’y intéressa, et la stabilisation Poincaré qui fit chuter les taux d’intérêt : un nouveau projet d’emprunt fut présenté à Paris en 1928, avec un nouveau plan de grands travaux de 662 millions, incluant un financement du FCE pour 130 millions. Il fallut attendre la grande loi du 22 février 1931 (qui concernait aussi les colonies d’Afrique et l’Indochine) pour que Madagascar se voie enfin accorder un emprunt de 700 millions, dont la première tranche de 240 millions, débloquée en mai 1931, tira la colonie d’un mauvais pas. Car en 1930 les travaux du FCE n’avaient pu être poursuivis que grâce à une avance de 50 millions de la toute jeune Banque de Madagascar… Et tout comme le TCE, le FCE devait être mené à bien avec un énorme dépassement de son coût prévisionnel sur lequel nous reviendrons. Mais pour comprendre ces dérives financières du TCE et du FCE, comme le contrôle apparemment satisfaisant des dépenses du TA et du MLA, il faut se pencher sur les conditions de fonctionnement des travaux publics coloniaux, et plus particulièrement sur les modalités de leur recours massif au travail forcé.
Le recours au travail forcé : Gallieni et la ligne Tananarive-Côte-Est
21Un rapprochement s’impose : tout comme jadis la canne à sucre avait développé l’esclavage, la construction des chemins de fer à Madagascar a poussé à l’essor des différentes formes du travail forcé. C’est à Gallieni que l’on doit d’avoir, entre 1896 et 1905, jeté les bases d’un système suffisamment efficace et discret pour d’une part, susciter de nombreux émules en Afrique noire, et d’autre part, permettre de soutenir que le travail forcé n’avait eu qu’une importance mineure, voire qu’il n’avait pas existé…
22Cette pratique, à Madagascar, ne doit pas sa mise en place au chemin de fer, mais au portage et aux travaux routiers. La monarchie merina avait reposé sur l’esclavage et, pour les hommes libres, sur le fanompoana, la corvée. L’abolition du premier après l’annexion du pays en août 1896 eut pour résultat d’alourdir la seconde, ressuscitée sous le nom de prestations. Tel est l’objet de l’arrêté du 21 octobre 1896 : tout Malgache mâle de 16 à 60 ans doit 50 jours de prestations à l’État. Un autre arrêté, du 27 décembre 1896, vint compléter le précédent : tout Malgache doit justifier d’une profession. Dans le cas contraire, il est réputé vagabond, délit sanctionné d’une peine de travail forcé. Cette réglementation, un peu adoucie en 1898 – les prestations furent ramenées à 30 jours – livra à l’administration et à l’armée la masse de porteurs dont elles avaient besoin, et les travailleurs pour la construction de la « route de l’est » Tananarive-Mahatsara et de la « route de l’ouest » Tananarive-Maevatanana, ouvertes en 1900.
23L’année 1900 marque en apparence un changement complet de politique. Sous la pression de Paris qui lui rappelle les grands principes de la France libératrice, et afin de réagir contre les abus des colons qui avaient trouvé une main-d’œuvre à bon compte avec les fuyards des chantiers publics, Gallieni se convertit à un libéralisme contrôlé. Une série de textes vient ainsi réglementer les contrats de travail, fixer un salaire minimum, organiser des offices du travail chargés de surveiller le bon fonctionnement de ce marché libéralisé. Enfin, un arrêté du 31 décembre 1900 supprima les prestations : il était accompagné d’instructions constituant le plus vigoureux plaidoyer contre le travail forcé formulé à l’époque coloniale. Corollaire de cette libération du travail, la taxe personnelle, première ressource fiscale, fut fortement relevée. Dans la zone II, qui incluait les Hautes-Terres et la côte Est centrale (la zone I concernait la seule ville de Tananarive), elle fut portée de 5 à 20 francs. De 1900 à 1902, les recettes du budget passèrent de 19,5 à 25,6 millions, soit un bond en avant très supérieur aux 2,46 millions de l’annuité de remboursement de l’emprunt de 60 millions évoqué plus haut.
24C’est donc dans un contexte libéral que le chemin de fer fut lancé en 1901. Il semble que Gallieni ait vraiment cru que sa réforme de 1900 amènerait « une révolution dans la vie politique et économique de l’île [16] ». Il pensa sans doute que, à côté de l’impôt moralisateur multiplié par quatre, les Malgaches seraient également stimulés par des salaires multipliés par deux. Le chemin de fer offrait en effet des salaires allant de 1 franc par jour aux manœuvres à 3,50 francs pour les ouvriers d’art, à une époque où les colons payaient leurs manafos (manœuvres) 12,50 francs par mois. Le général crut aussi que le chemin de fer serait « une véritable école d’apprentissage [17] », et le substitut d’un enseignement technique inexistant. Sur ces bases, le tronçon Brickaville-Mangoro (180 km) fut divisé en 11 lots, mis en adjudication à l’entreprise privée.
25Mais les choses ne se passèrent pas comme prévu. L’adjudicataire du premier lot devait recruter 1 500 travailleurs. Il n’y parvint pas et le marché fut résilié dès octobre 1901. Quant au second lot, ses adjudicataires devaient employer une main-d’œuvre étrangère de maçons italiens, de coolies chinois et indiens importés à grands frais. D’où une catastrophe sanitaire et financière qui, du moins, fit comprendre au pouvoir qu’il ne pouvait compter que sur les Malgaches, et qu’il lui fallait poursuivre les travaux en régie. Et puisque la main-d’œuvre ne voulait pas venir d’elle-même, on irait la chercher.
26La première pièce du système de contrainte qui se met en place en 1901-1902 est un code de l’indigénat, importé du Sénégal et promulgué par arrêté du 1er décembre 1901. Les nouvelles difficultés de la rentrée fiscale rendaient son adoption urgente, mais nombre d’infractions qu’il énumérait pouvaient, en en forçant le sens, nous le verrons, servir de base à la réquisition de travailleurs.
27Ce code, surtout, allait s’articuler étroitement avec la seconde pièce du système : le décret du 9 mars 1902 organisant la mise en tutelle du fokonolona, la communauté villageoise des Hautes-Terres soumise au principe de la responsabilité collective. Désormais, les travaux les plus divers pouvaient être mis à sa charge, ce qui revenait, sans le dire, à rétablir les prestations. Leur non-exécution exposait aux sanctions du code de l’indigénat. Enfin, l’article 18 du décret, qui prévoyait la possibilité pour le fokonolona de passer des conventions avec l’administration pour l’exécution de travaux publics, avait un bel avenir devant lui.
28Cependant, s’il permit de lever d’emblée les contingents des Hautes-Terres pour le chemin de fer, le décret de 1902 ne fut rendu applicable sur la côte est, où le fokonolona n’existait pas, qu’à la fin de 1904. D’où la mise en œuvre d’une troisième arme, que ne réglementa aucun texte, mais qui est un discours, celui de la « persuasion administrative ». Gallieni en fournit le modèle dans ses instructions du 17 octobre 1902 [18] et un résumé dans son rapport de 1905.
« […] Les chefs de circonscription furent invités à répandre dans le public la nouvelle des travaux projetés, à en faire ressortir l’importance, à montrer les avantages qui devaient en résulter pour la prospérité de la Grande Île et de ses habitants […]. Il fallait donc introduire dans l’esprit des indigènes une idée nouvelle, vaincre son apathie native […]. Cette collaboration effective à l’œuvre commune de l’action administrative et du service technique a solutionné le problème de la façon la plus heureuse [19]. »
30Au sens étroit du terme, la « persuasion » signifie que, si l’administrateur est à la hauteur de ses devoirs de chef, il exercera sur ses administrés un ascendant, une « contrainte morale » qui les convaincra de suivre ses conseils énoncés lors des kabary (harangue du pouvoir) tenus pendant les tournées. En un sens plus large, c’est la langue de bois administrative qui relie tous les acteurs, du ministre à Paris au mpiadidy (chef de quartier) de fokonolona. Tout le monde comprend : les conseils du chef blanc sont des ordres. Et sur le terrain, la contrainte est transférée au niveau des relations entre colonisés. La hiérarchie européenne peut toujours prétendre qu’elle a été mal comprise, ce qui n’évite pas pour autant, en cas de crise grave, que n’importe quel échelon puisse être traité en bouc émissaire.
31C’est dans ce cadre qu’il faut replacer la solution apportée par Gallieni au problème de la main-d’œuvre du chemin de fer. Les instructions du 17 octobre 1902 fixent le contingent de « travailleurs volontaires » que devront fournir les 9 districts du pays betsimisaraka : 5 000 hommes par mois du 1er octobre au 1er avril. Pour l’autre semestre, le relais devra être assuré par les Hautes-Terres centrales, période (abusivement) réputée être la morte-saison des travaux agricoles. L’administration territoriale fit preuve d’un zèle exemplaire, surtout en pays betsimisaraka. De 2 000 hommes en janvier 1902, le nombre de travailleurs fournis au chemin de fer bondit à une moyenne mensuelle de 10 000 ou plus à partir d’octobre 1902. En 1903, 109550 hommes furent mobilisés, dont 34800 dans le seul dernier trimestre. Les chantiers reçurent même beaucoup plus de main-d’œuvre qu’ils n’en avaient demandé. Mais à quel prix ! Indiquons dès maintenant deux conséquences anti-économiques du système. Dans son rapport de 1905, Gallieni se plaint du « faible rendement de la main-d’œuvre malgache due à l’apathie naturelle et au manque de pratique des indigènes [20] ». La faible productivité de ces travailleurs forcés explique largement l’épuisement rapide des crédits de l’emprunt. D’autant que, cette main-d’œuvre étant abondante, on chercha à améliorer sans nécessité le profil de la voie, au prix de terrassements supplémentaires considérables. Les Malgaches n’avaient pas fini de payer le prix de travaux publics confiés au génie militaire.
L’apogée du travail forcé (1916-1923)
32De 1906 à 1914, les Malgaches bénéficièrent cependant d’un intermède relatif. Pour le TCE, le plus dur avait été fait et les conditions se firent moins rudes pour son achèvement. Sous le socialiste Augagneur (1905-1910) et le libéral Picquié (1910-1914), la persuasion administrative put se faire moins insistante. Un marché du travail libre, surtout sur les Hautes-Terres, était en effet en voie de constitution. La demande de main-d’œuvre faiblit avec la crise d’une petite colonisation que le pouvoir n’est plus disposé à aider comme sous Gallieni. L’offre, au contraire, s’accroît mécaniquement, surtout en temps de crise comme en 1907-1908, en raison d’une pression fiscale toujours très lourde, qui a pour effet de dégrader les salaires. À Antsirabe en 1911-1912, ils ne dépassent pas 0,40 franc par jour pour un manœuvre. En Imerina, la main-d’œuvre est excédentaire et une partie doit s’expatrier. Quand les chantiers du Tananarive-Antsirabe s’ouvrent en 1912, le salaire de 1 franc par jour attire les anciens esclaves qui y voient une possibilité d’échapper aux notables locaux qui les retenaient jusque-là en payant pour eux les 23 francs annuels de taxe personnelle et d’AMI [21].
33Comment l’évolution ainsi amorcée a-t-elle pu s’inverser complètement ? Avec la guerre, la société coloniale a trouvé l’occasion d’exprimer ses tendances profondes. La colonie tombe alors sous la domination d’une oligarchie incompétente et avide, au sein de laquelle fonctionnaires des travaux publics et colons-entrepreneurs tiennent une place particulière, sous la houlette du gouverneur qui domine la période 1914-1924, Hubert Garbit, ancien chef du cabinet militaire d’Augagneur, puis directeur des finances sous Picquié.
34Depuis le passage d’Augagneur qui l’a peuplé de sa clientèle, le service des Travaux publics offre le spectacle d’une administration qui s’occupe beaucoup plus de politique que de questions techniques. C’est particulièrement le cas de son directeur de 1906 à 1923, l’ex-capitaine du génie Girod. Le projet de TA qu’il présente en 1911 reprenait, en l’aggravant, une erreur relevée sur le TCE. Le Comité des travaux publics des colonies, à Paris, le rejeta en raison de son irréalisme et d’une sous-estimation des dépenses de 35 à 50 % due au fait qu’il prévoyait « des terrassements considérables avec des hauteurs de tranchée qui dépassent 20 mètres, et des remblais qui cubent plus de 200 000 m3 […] ; erreur manifeste, le tracé est entièrement à refaire [22] », concluait l’inspecteur général du ministère. Mais avec l’appui d’Augagneur, alors ministre des travaux publics dans le cabinet Caillaux, et de Maurice Viollette, président de la commission du budget, Girod réussit à faire passer son projet. Outre la charge énorme qui allait peser sur les travailleurs malgaches, ambitions excessives et déficiences des études entraîneront la résiliation de 5 des 15 lots du chantier, au profit des entrepreneurs qui démontrèrent que les travaux imposés excédaient largement le cahier des charges. Là encore, la colonie dut prendre une partie du chantier en régie. Or le service de la construction du TA est confié à un ancien garde de milice promu conducteur puis ingénieur des travaux publics malgré son incompétence notoire. Il s’agissait du vénérable de la loge maçonnique de Tananarive, « La France australe », dont Augagneur, Garbit, Girod, étaient membres… Il faudra attendre une inspection des colonies en 1922 pour mettre au jour une incroyable gabegie et d’innombrables irrégularités dans le service du TA [23]. Mais grâce à une opportune loi d’amnistie d’avril 1921, le responsable échappe au conseil d’enquête et, contraint de quitter Madagascar, trouve à se recaser en AEF où le nouveau gouverneur, qui n’est autre qu’Augagneur, le réclame pour le Congo-Océan qui vient d’être lancé. Incompétence et corruption expliquent en bonne part le gros retard dans la mise en service du TA : prévue à l’origine pour 1916, elle ne fut effective qu’en octobre 1923.
35Certes, entre-temps, il y eut la guerre, dont le premier effet fut de déclencher une crise de main-d’œuvre : le boom des exportations crée une relative abondance monétaire et la paysannerie des Hautes-Terres, qui fournit aussi l’essentiel des 42 000 « volontaires » pour la France, n’a plus besoin de se salarier. Mais nulle part, ni sur le TA, ni sur le MLA, les chantiers ne furent interrompus. Au contraire, Garbit, technocrate féru de « mise en valeur » par le développement des voies de communication, et intérimaire à la recherche d’une titularisation, pousse les travaux avec énergie, même si des pénuries accroissent encore la charge de travail sur les chantiers : tunnels creusés à la barre à mine faute d’explosifs, viaducs de la deuxième section du TA en moellons taillés à la main faute de ciment et de spécialistes du béton… Mais administration et colons sont pour une fois d’accord : face aux sacrifices de la métropole, il faut exiger plus de travail des Malgaches. « Nous sommes en guerre, et si nos camarades se battent au front avec le fusil, nous, nous combattons ici avec l’angady », proclame fièrement le chef de province de Moramanga chargé d’alimenter le MLA en travailleurs [24] : déclaration qui montre bien que l’effort de guerre ne s’accompagne d’aucune modernisation des méthodes de travail mais consiste seulement à mobiliser un maximum d’hommes travaillant avec leur outillage de paysans.
36Il se trouve que, de 1913 à 1917, Madagascar connaît un boom du graphite dont seule la pénurie de main-d’œuvre limite l’essor. Invoquant l’intérêt supérieur de la défense nationale, Garbit prend l’arrêté du 7 avril 1916 qui permet à l’administration d’imposer aux indigènes des provinces minières des prestations de trente jours rémunérées. Telle est l’origine des Telo polo andro (« les 30 jours »), théoriquement abolis fin 1916 sur la demande de Paris, mais en fait maintenus et généralisés comme base du recrutement forcé de la main-d’œuvre aussi bien publique que privée après 1916. Le pouvoir se donnait une apparence de légalité en désignant les travailleurs forcés comme des « prestataires » ou des « prestataires payés » dans une pratique qui semblait être un retour aux 30 jours de Gallieni de 1898-1900, mais qui n’était en fait qu’une réquisition pure et simple.
37Pour le MLA, ce fut une contrainte « brutale et sans réplique [25] ». Tout au long des années 1917 à 1920, nous voyons le chef de province de Moramanga, aiguillonné par le gouverneur-général, relancer le zèle de ses chefs de district, qui doivent chaque mois reprendre leur besogne de négrier, pendant que l’ingénieur chargé du chantier, lui, ne cesse de se plaindre du manque de travailleurs, en raison du grand nombre de fuyards [26]. Contre ceux-ci, on fait jouer l’article du code de l’indigénat sanctionnant le « refus d’obéir aux réquisitions faites en cas d’accident, tumulte, naufrage, inondation, incendie ou autre calamité… ». En 1922, un inspecteur des colonies ironisera devant cette application du code, illégale selon lui « à moins de comprendre les corvées rétribuées dans la catégorie des autres calamités, ce qui, en raison des habitudes existantes, pourrait du point de vue indigène, correspondre à quelque chose de réel [27] ». Et comme toujours, la dialectique de la contrainte et de la résistance entraîne un alourdissement du système. En avril 1920, dans la province d’Antsirabe, il est décidé que les « prestataires payés » resteront 2 mois sur les chantiers. Aussitôt, suivant le témoignage d’un pasteur français, en pleine moisson, « une immense rafle de la population masculine » est organisée pour le TA. Les villages sont cernés de nuit par la garde indigène et au petit matin, on met la main sur « l’ilote récalcitrant [28] ». Sur les 14 000 hommes adultes que compte la province, 5 000 sont réquisitionnés entre le 1er avril et le 23 septembre 1920, et le nouveau chef de la province, en octobre, estime qu’elle est à bout.
38Une nouvelle pratique est alors développée : utiliser l’article 18 du décret de mars 1902 sur les conventions pouvant être passées avec les fokonolona : le grand avantage de la méthode était de transférer l’exercice de la contrainte dans les relations entre Malgaches. Mais elle surestimait la cohésion sociale des fokonolona et l’emprise des notables sur la masse de la population. Au bout de quelques mois, les travailleurs désertent à nouveau en masse, malgré les punitions collectives prévues par l’article 25. « Leur fatigue est telle qu’ils sont contents d’être mis en prison [29] », avoue le chef de province d’Antsirabe.
39D’où un troisième expédient, pour le MLA comme pour le TA : l’application de la législation du travail d’août 1920 sur les contrats de travail, théoriquement libérale, et qui permettait d’aller recruter plus loin pour un temps plus long. Sur cette base, le zélé chef de province d’Ambositra (nord-Betsileo) donne des ordres qui ont le mérite de la clarté : « Il faut, sans que j’aie besoin d’insister outre mesure, que 250 hommes s’engagent pendant un an pour éviter le retour à la corvée ancienne […]. Si vous ne trouvez pas de volontaires, entendez-vous avec les fokonolona et que les fokonolona s’arrangent entre eux [30]. »
40Le bilan de l’application de cette législation dans la province de Moramanga victime du MLA est tout aussi clair : les contrats de travail ne sont que des contrats forcés, les commissions du travail font du salaire minimum prévu un salaire maximum dérisoire, et les conseils d’arbitrage créés en 1921 ne sont que des « machines à condamner les indigènes [31] ».
41Laissons de côté l’aspect humain de la question pour ne considérer que les conséquences économiques immédiates du réseau de contraintes mis en place. La première est le blocage du développement d’un marché du travail en raison de l’avilissement des salaires réels. Nominalement, de 1914 à 1920, ils font moins que doubler, alors que la hausse des prix va du triple au décuple. Un manœuvre du Vakinankaratra qui gagnait 0,60 à 0,80 franc par jour en gagne 1,25 en 1920. Mais il doit payer son riz 0,80 francs le kilo au lieu de 0,25 et son lamba (toge) de coton 20 à 25 francs au lieu de 2,5 [32].
42Et ce sont là les salaires « libres ». La réquisition peut les faire tomber beaucoup plus bas avec le forfait global fixé dans le cas des contrats de fokonolona passés au titre de l’article 18 du décret de 1902. L’oligarchie coloniale peut alors réaliser son rêve : obtenir, comme sa devancière merina du xixe siècle, d’exploiter une main-d’œuvre quasi gratuite. Sur le chantier du TA en 1922, l’entrepreneur du 15e lot, un ami du gouverneur général il est vrai, paie à un fokonolona 900 francs pour des terrassements qui ont retenu 75 hommes pendant 50 jours : la journée de travail tombe à 24 centimes. Or ce travail est facturé à l’administration 2 268 francs, soit pour l’entrepreneur une marge de 150 %. D’où l’effarement d’un inspecteur des colonies devant le parasitisme « d’un intermédiaire dont le rôle est trop sensiblement réduit pour motiver un aussi fort prélèvement sur le prix du travail payé par l’administration [33] ». Car l’outillage, angady (bêches) et sobika (paniers) a été fourni par les travailleurs eux-mêmes. Or, aussi extraordinaire que cela paraisse, un tel système, une fois mis en place, interdit toute mécanisation, qui serait obligatoirement plus coûteuse. Le directeur des Travaux publics, Girod, va jusqu’à théoriser l’hérésie économique en affirmant qu’ « il ne faut pas laisser s’établir de légendes et laisser croire qu’il n’y a qu’à augmenter le machinisme à Madagascar pour régler la question de la main-d’œuvre ». Concasseurs, excavateurs et pelles à vapeur ne sont pas rentables et « les terrassements des routes et l’infrastructure des voies de communications continueront donc en général à être exécutés avec la pelle et la pioche [34] ».
43Et finalement, heureuse surprise, les coûts de revient sont si bien abaissés que les nouveaux chemins de fer reviennent moins cher que prévu. Incompétence, gabegie et corruption n’empêchent pas le TA de ne coûter que 16,215 millions de francs/or au lieu des 18,452 millions prévus en juillet 1914 [35]. Depuis Gallieni, le système avait sensiblement progressé en efficacité, sinon technique, du moins administrative et politique.
Le TCE en 1903 dans la vallée de la Vohitra (d’après La dépêche Coloniale, 1, janvier 1903, p. 13). Photo officielle qui montre un chantier normal, et non la foule des travailleurs forcés munis d’angady (bêche malgache) et de soubiques (sobika, panier en vannerie).
Le TCE en 1903 dans la vallée de la Vohitra (d’après La dépêche Coloniale, 1, janvier 1903, p. 13). Photo officielle qui montre un chantier normal, et non la foule des travailleurs forcés munis d’angady (bêche malgache) et de soubiques (sobika, panier en vannerie).
La ligne Fianarantsoa-Côte Est et le Smotig
44« Je crois que dans la masse de Travaux publics en tout genre qui se sont exécutés en France depuis un siècle, on trouverait difficilement un cas qui puisse être comparé au FCE », écrivait l’inspecteur général des Ponts et chaussées Boisnier, dépêché de France un peu tard en 1932 [36]. À défaut de l’être sur le terrain, le FCE fut donc bien dans le prolongement de ses prédécesseurs par les errements en tout genre qui présidèrent à son lancement et à son exécution. La différence principale était que, cette fois, le travail forcé ne vint pas réduire les coûts comme pour le TA et le MLA, mais au contraire les gonfler. Car dans le souci de faire du social [37], on opta avec le SMOTIG pour un travail forcé à visage humain qui devait se révéler fort onéreux pour les finances coloniales.
45Faute d’ingénieur civil, on chargea en 1920 un capitaine du génie qui avait travaillé au TCE, Forgeot, flanqué de deux lieutenants, d’étudier un projet Fianarantsoa-Manakara. Girod réussit à le soumettre à Paris en 1923, et il reçut l’approbation du ministre, A. Sarraut, en février 1924. Mais le service technique local fut incapable de mener à bien sur le terrain les études de détail nécessaires (profils en long, en travers, etc.). Elles n’étaient pas achevées en août 1927 quand les travaux commencèrent… alors qu’on avait procédé l’année précédente à l’adjudication du chantier, remportée par un consortium franco-belge. Pour sa défense, le directeur des travaux publics, lui-même ingénieur des mines, avança qu’il avait brusqué l’adjudication dans l’espoir d’obtenir les moyens nécessaires à l’achèvement des études. Les difficultés furent de plus aggravées par le choix d’un tracé « électrique ». Faute de bois en quantité suffisante sur le parcours, on avait en effet pensé électrifier la ligne grâce à l’aménagement des chutes du Faraony. Le caractère irréaliste du projet n’apparut qu’en 1931, laissant alors la colonie avec le problème de rampes trop fortes pour une exploitation économique de la voie par la traction à vapeur. D’où les terrassements supplémentaires pour limiter les pentes à 35 mm/m. De l’avis de Boisnier en 1932, l’insuffisance des études avait généré un surcoût de 75 % du prix de revient initialement prévu. Mais, pour faire bonne mesure, la colonie fut incapable de réaliser la part de travail qui lui incombait. La malchance s’en mêlant, avec un cyclone dévastateur en avril 1927, le port de Manakara n’était pas ouvert quand deux cargos allemands chargés de matériel se présentèrent. Il fallut dédommager les armateurs. La tentative d’approvisionner Manakara par Mananjary et le canal des Pangalanes échoua devant l’obstacle du seuil de Loholoka. Les routes d’accès aux chantiers, tout comme la ligne télégraphique prévue, ne furent pas prêtes à temps. Il fallut recourir au portage et aux tsimandoa (coursiers pédestres). Et la main-d’œuvre promise aux adjudicataires n’était toujours pas rassemblée à la date prévue pour le début des travaux le 1er juin 1927. D’où une cascade d’avenants au contrat initial. Au bord de la faillite, le consortium demanda en août 1930 la résiliation du marché, mais poursuivit les travaux dans l’espoir de recevoir les rallonges demandées. La mission Boisnier de 1932 conclut à la responsabilité de la colonie dans la gestion d’un chantier qui, adjugé pour 125 millions, dut être réévalué à 232 millions pour l’adjudicataire, pour en coûter au total environ 360…
46Dans la mémoire malgache, le FCE est resté fort justement associé au SMOTIG, le service de la main-d’œuvre pour les travaux d’intérêt général, créé par le décret du 3 juin 1926, comme solution au problème de la main-d’œuvre au moment où la colonie créait un budget des grands travaux. De 1927 à 1937, 50 000 jeunes Malgaches environ, non retenus par l’armée, effectuèrent un séjour de deux ans (trois au début) dans des camps, employés à des travaux d’infrastructure. Cependant, le souvenir vivace du SMOTIG comme symbole du travail forcé colonial traduit une distorsion entre mémoire et histoire. Car il n’a été en réalité qu’une forme atténuée des pratiques antérieures beaucoup plus lourdes pour les populations [38].
47Cette distorsion résulte, entre autres, de la vigoureuse campagne de presse des nationalistes malgaches contre « L’esclavage déguisé […] de miaramilam-potaka, c’est-à-dire de soldats de la boue, de l’humiliation, de la misère ! », suivant l’Aurore Malgache du 13 février 1931. Dénonçant le « bluff » officiel (6 mars 1931), ce journal dresse un tableau très sombre des camps où les « pionniers » sont entassés « comme des sardines dans une boîte » (15 juillet 1932), recevant « une maigre pitance » et un trousseau de « vêtements de cérémonie » (9 décembre 1932), leur tenue de travail étant en fait l’akanjobe en rabane, « le même accoutrement que celui qu’on avait l’habitude de donner aux esclaves sous le régime hova ». Les « crimes du SMOTIG » sont l’objet d’une série d’articles en 1931. Sur les chantiers, coups, humiliations et accidents du travail seraient incessants, et le seul percement des tunnels aurait causé 1 200 morts en 1931… Tout cela était aussi exagéré que l’optimisme officiel qui voyait dans le SMOTIG une entreprise éducative assurant la formation de nombreux spécialistes avec un rendement excellent de la main d’œuvre et une faible mortalité prouvant que l’on pouvait « relever le niveau physique de toute une race [39] ». Les colons surenchérissent : pour le Tamatave, « les camps du SMOTIG sont de véritables organisations de culture physique où de soi-disant travailleurs sont en quelque sorte à l’engraissement et font beaucoup plus de lard que de terrassements » (12 novembre 1928).
48L’enquête historique aboutit à des conclusions plus mesurées. Le FCE n’a pas été un autre Congo-Océan. Le SMOTIG, compromis entre libéralisme et contrainte, s’est traduit par un prélèvement démographique limité, de 10 à 20 % d’une classe d’âge environ. Mais ce prélèvement fut très inégal, car on ne retint que les conscrits des régions touchées par les grands travaux : en 1929, un seul appelé à Diego-Suarez (sur 518) mais 630 sur 670 à Fianarantsoa, 473 sur 495 à Manakara. Les effectifs des camps ont évolué de 2 798 au début de 1928 à 16 023 (dont 975 engagés volontaires) en 1932, avant de tomber à 1 912 au début de 1936. Le SMOTIG était en fait en voie d’extinction quand le Front populaire le supprima en 1937.
49De 1927 à 1934, les pionniers fournirent 17,595 millions de journées de travail dont 69 % pour les chemins de fer : 10,419 millions (59 %) sur le FCE et 1,776 million sur le TCE (entretien et travaux de bûcherons). Le pouvoir chercha à faire du SMOTIG sa vitrine sociale. Un fort encadrement médical, la consigne de faire gagner du poids aux recrues, se traduisirent par une mortalité basse pour l’époque. En 1928-1930, elle varie entre 0,75 et 0,9 %, comparable à celle des militaires européens à Madagascar (0,76 % en 1927) et deux fois plus faible que celle des jeunes Malgaches retenus pour le service militaire (1,89 %). On peut s’expliquer ainsi le faible taux de désertions… et le coût élevé de l’expérience. La journée de pionnier en effet (9,80 francs en 1928, 9,65 francs en 1929) coûta toujours plus cher que son prix de cession au consortium (4 francs), lui-même plus élevé que les salaires du marché libre (2,5 à 3 francs). D’où un déficit du service estimé, pour les années 1927 à 1933, à 31 millions suivant une enquête de 1934, soit un dixième des recettes d’une année budgétaire. Ce bilan montrait que lorsqu’un pouvoir colonial essayait de couvrir les « coûts de l’homme » (F. Perroux), ses entreprises cessaient d’être rentables. On comprend le déclin du SMOTIG après 1932. Avec la crise gonflant l’offre de main-d’œuvre, les entrepreneurs préférèrent, pour les derniers grands travaux (port de Majunga, etc.) recourir au travail libre. Il reste que, à côté de son relatif aspect « social », le SMOTIG continua à illustrer des données traditionnelles de la situation coloniale. Nombre de critiques des nationalistes étaient en bonne partie fondées, sur les conditions de travail surtout, marquées par trop d’accidents, dus à un encadrement incompétent, et par des mauvais traitements de la part des petits chefs. Les ambitions en matière de formation professionnelle furent loin de se réaliser, toujours à cause de la médiocrité d’un encadrement d’anciens sous-officiers et de colons pauvres. En résumé, le SMOTIG a été la mobilisation de travailleurs qui sont restés faiblement qualifiés, très médiocrement logés et habillés, nourris au plus juste coût, mais convenablement soignés, avec un encadrement très coûteux et de faible qualité. Accepté avec résignation par ses assujettis, le SMOTIG a suscité des passions qui s’expliquent plus par l’évolution du mouvement national malgache que par les données objectives de l’institution.
Le bilan financier et économique
50La priorité donnée aux chemins de fer a, au total, absorbé des disponibilités financières considérables eu égard aux possibilités de la colonie. Le TCE a coûté 70 millions de francs-or, soit environ trois ans des recettes budgétaires des années 1905-1908, le TA a absorbé un semestre de recettes d’avant 1914, et le MLA quatre mois. Le FCE, enfin, avec son coût de 360 millions, est revenu à un an et demi du budget de 1927. Cette concentration des moyens sur une entreprise a eu pour premier effet d’accentuer fortement la déflation chronique des économies provinciales, qui tourne périodiquement à la famine monétaire.
51Certes, cet effet a été limité par le financement sur emprunt du TCE et du FCE. Et sur ce plan, la colonie a fait une bonne affaire à long terme grâce à l’inflation. L’emprunt de 60 millions sur 60 ans de 1900 voit ses annuités fondre des 4/5 en valeur réelle entre 1914 et 1924. L’emprunt de 1931, après avoir donné lieu à de lourdes échéances entre 1934 et 1936, voit sa valeur réelle chuter de moitié en 1936-1938, puis s’évanouir avec la dégringolade du franc ensuite. Mais l’inflation importée n’a pas toujours joué dans un sens favorable. En 1920, la colonie consacre les réserves péniblement accumulées depuis 1914 à l’achat au prix fort de matériel ferroviaire pour équiper le TA et le MLA et se retrouve ensuite en situation critique dans la crise déflationniste de 1921-1922.
52Le lot ordinaire des provinces reste une situation de déflation sévère, parce que Tananarive cherche en permanence à gonfler la caisse de réserve en vue des futurs grands travaux, dont les chemins de fer forment l’essentiel. Toutes les provinces versent donc au budget colonial beaucoup plus qu’elles n’en reçoivent. D’où les doléances incessantes de leurs chefs : « Jusqu’ici, on a demandé en hommes et en argent tout ce qu’elle pouvait donner à la province et elle n’a obtenu en échange rien de ce qui intéresse sa vitalité et son avenir », écrit l’administrateur de Fénérive dès 1904 [40]. En 1907, la province de Vatomandry signale qu’elle a versé, presque sans contrepartie, plus de 8 millions au budget en dix ans, et son chef se demande « si le ressort financier surprenant dont elle a fait preuve jusqu’ici, dans des conditions aussi anormales, n’est pas près de se rompre [41] ». Les doléances sont particulièrement vives sous Picquié, de 1911 à 1914. La plupart des rapports provinciaux annuels soulignent l’insuffisance des crédits concernant la santé – les provinces ne récupèrent même pas le montant de la taxe d’assistance médicale qu’elles versent au budget –, l’enseignement ou les travaux publics. Pour financer les chemins de fer, on reporta la charge des travaux routiers sur les prestations, dont on pouvait dresser un bilan très négatif dans les années 1920. Cette institution, confiée à des administrateurs sans moyens et sans compétences techniques, a été incapable de créer le réseau de routes secondaires permanentes qui auraient élargi le bassin économique du FCE et du TCE. C’est ainsi qu’une province de colonisation dense comme celle de Vatomandry, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, souffrit de l’inachèvement tant de ses voies de pénétration dans la zone caféière de l’arrière-pays que d’une liaison routière avec la zone du chemin de fer. La collecte du café par portage humain y est encore une pratique courante, comme ailleurs sur le gradin intermédiaire, dans les années 1930, notamment de part et d’autre du FCE entre Tolongoina et Sahasinaka.
53Par ailleurs, le transfert des espèces monétaires vers le centre entraîne un freinage des échanges marchands que l’on prétend développer, et une tendance permanente à la baisse des salaires et des prix locaux. À Vatomandry, en 1910, l’argent est rare et les transactions « ne donnent lieu qu’à un très faible mouvement de numéraire [42] ». Le blocage économique est accentué par la lourde insuffisance du réseau routier, qui fait de chaque province une entité aussi repliée sur elle-même que les provinces françaises sous l’Ancien Régime.
54Pour sortir d’une telle situation, il eût fallu que les chemins de fer dégagent au moins une rentabilité satisfaisante et exercent l’effet d’entraînement économique attendu. Déception : après avoir coûté quelque 70 millions, le TCE n’affiche en 1910 qu’une rentabilité de 1 %, ne couvrant que le quart de l’annuité, et ne payant même pas les intérêts de l’emprunt de 1900. Même si, nominalement, grâce à l’inflation, cette rentabilité dépasse 4 % en 1920, on retrouve, en francs-or, le taux de 1 %. Ce taux monte à 2 % lors du pic de conjoncture de 1924-1925 grâce au complément de trafic fourni par le TA et le MLA entrés en service [43]. Mais il décline ensuite. Or cette rentabilité médiocre n’est nullement liée à l’octroi de tarifs de faveur : les chambres de commerce ne cessent de se plaindre de leur niveau trop élevé, comme pour le fret maritime. Le coût du transport, dans les années 1930, rend à peu près inexportables les produits agricoles des Hautes-Terres, les « produits pauvres » comme on disait alors. En 1934, le riz d’Indochine arrive sur la côte Est moins cher que celui de l’Imerina ou du Betsileo… en attendant que, à une époque plus récente, le riz ne circule à nouveau sur le TCE et le FCE, mais à la montée cette fois, ce que Gallieni n’avait certes pas prévu. Pour l’économiste René Gendarme, le niveau trop élevé des tarifs de chemin de fer figurait dans les années 1950 au nombre des handicaps économiques majeurs de Madagascar : en 1958, le transport d’une tonne de ciment de Tamatave à Antsirabe (521 km) coûtait plus cher que son acheminement de Marseille à Tamatave, lui-même d’un coût jugé exorbitant [44]. Le fond du problème est que les chemins de fer n’eurent qu’un faible effet de stimulation sur les régions traversées. On peut le lire sur la courbe du trafic du TA [45] : le maximum, en particulier à l’exportation, fut atteint dès la première année de fonctionnement ! Pour l’ensemble TCE/TA/MLA, le trafic marchandises est même inférieur en 1935 à celui de 1923 [46]. Le FCE, en 1957, transportait moins de la moitié du tonnage fixé en 1925 comme objectif à atteindre au bout de 10 ans d’exploitation [47].
55Or ces données ne reflètent pas une stagnation économique de Madagascar : l’île a en fait a connu une réelle croissance dans les années 1930. Mais celle-ci ne s’est pas produite dans la zone des chemins de fer. On peut s’en faire une idée en analysant les exportations de la colonie en 1938 : des quatre produits qui en fournissent la moitié, le café (31,7 %), la vanille (9 %), le girofle (4,4 %) et le sucre (4,4 %), aucun ne vient des Hautes-Terres et ne doit son exportation au chemin de fer. Et il en est de même pour les produits secondaires comme les pois du Cap, le raphia, le mica. Le riz, qu’on avait accolé au TCE, puis au FCE, ne fournissait que 2 % des exportations, livrées surtout par la région de Marovoay, dépourvue de voies ferrées. Sur celles-ci, comme le montre les courbes du TA, le trafic se faisait de plus en plus à l’importation, pour l’approvisionnement des foyers urbains des Hautes-Terres, Tananarive en premier lieu.
56La faiblesse de la mise en valeur de la zone des chemins de fer souligne le caractère peu capitaliste et investisseur d’une colonisation qui laissa se développer des comportements spéculateurs et prédateurs. Pour l’illustrer, nous évoquerons brièvement l’exemple de deux compagnies dont l’histoire est restée dans l’ombre, la Compagnie coloniale et la société La Grande île.
57Sur la base de conventions passées en 1897 et 1898 avec le ministère des Colonies pour l’étude du futur chemin de fer TCE – conventions qui ne reçurent qu’un semblant d’application et que le ministère considéra très vite comme caduques –, ces deux sociétés, grâce à leurs relations politiques en France, obtinrent, par une série de décrets de 1902 à 1906, à titre de « compensation » pour des dépenses minimes ou fictives, d’énormes concessions forestières de part et d’autre du TCE. Renforcées par un troisième larron, la Compagnie foncière et minière, elles purent alors développer une véritable économie de pillage pendant des décennies. En 1930, on estimait que les 2/3 des forêts de la province de Moramanga avaient disparu en moins de 30 ans [48]. Mieux encore, exploitant abusivement une clause des décrets de concession, les deux sociétés revendiquèrent les terrains entourant la gare de Tananarive, et grâce à un procès interminable, bloquèrent le développement urbain de l’actuelle ville basse jusque vers 1925 [49].
58Croire que le chemin de fer avait par lui-même la vertu d’enclencher un essor économique était une naïveté. Les chemins de fer de Madagascar témoignent d’abord de l’erreur de choix économiques découlant d’un primat du politique, et ensuite, du caractère rentier et parasitaire de la société coloniale.
Le bilan social et politique
59Le bilan le plus difficile à mesurer, mais assurément le plus lourd, est d’ordre humain. Il s’agit de l’impact que la construction des chemins de fer a exercé sur les sociétés locales.
60L’impact démographique reste en fait problématique. La relation entre chemin de fer et diffusion du paludisme est encore considérée comme une évidence, attestée par le fort taux de malades parmi les travailleurs du TCE. D’où le lien vite établi avec la meurtrière épidémie qui emporta près de 10 % de la population de Tananarive en 1906. Mais l’étude d’un chercheur malgache [50] montre que cette vision est peut-être superficielle. Car le chemin de fer a eu aussi le mérite d’arrêter la circulation des quelque 50 000 porteurs qui reliaient l’Imerina à la côte en 1900, et surtout, il apparaît que l’épidémie de tazo (fièvre), qui avait déjà frappé l’Imerina en 1878, a cheminé d’Ouest en Est entre 1900 et 1906, et non comme on s’y attendrait, de la côte Est vers les Hautes-Terres.
61Plus redoutables pour les sociétés autochtones ont été les prélèvements d’hommes par le travail forcé. Dès octobre 1902, les colons de Vatomandry et Mahanoro s’alarment de ce qu’Augagneur devait appeler une « concurrence désastreuse ». Leurs deux districts en effet doivent, suivant les instructions du 17 octobre 1902, fournir 38 % des « volontaires » pour le TCE alors qu’ils n’ont que 20 % de la population de la zone de recrutement betsimisaraka. Pour répondre à la crise de main-d’œuvre des plantations, Gallieni ne trouve d’autre remède que d’étendre aux colons le bénéfice de la « persuasion » administrative et d’alourdir la charge des autres circonscriptions, avec pour résultat le cri d’alarme que lance en avril 1904 le chef de province de Fenerive, qui mérite d’être détaillé. « Vous avez fixé », écrit-il à Gallieni, « à 1500 le chiffre de travailleurs volontaires (sic) à fournir par la province » qui ne compte que 9000 hommes mobilisables. « Il nous faut donc, en toute saison et sans tenir compte des travaux des champs, arracher à leur famille tous les mois 1500 hommes pour les diriger très loin de chez eux » afin de les employer « à des travaux dont ils n’ont pas l’habitude et dont ils ne comprennent pas le but », exposés aux coups et aux mauvais traitements « de Sénégalais dont la brutalité acquiert tous les jours une réputation plus sinistre »… Le résultat est que « le chemin de fer est devenu un épouvantail […]. Leur devise : […] tout plutôt que le chemin de fer ». Comme la menace de la réquisition pèse spécialement sur les retardataires de l’impôt, « tous ceux qui ont pu se libérer immédiatement l’ont fait en vendant à des prix dérisoires tout ce qu’ils avaient sous la main, bétail, riz et volailles ». Et les conséquences sont graves : « cessation à peu près complète de tout commerce et de toute culture, tendance plus marquée que jamais à se dérober à l’autorité par la fuite, et sur nombre de points, exode général vers la forêt… J’ai la conviction que sous peu, s’il n’y est pas remédié, je n’aurai plus à administrer qu’un désert [51] ».
62Dans un rapport au ministre du 29 janvier 1906, le successeur de Gallieni, Augagneur, dresse le tableau accablant d’une population en voie d’appauvrissement… :
« La cause la plus puissante de cette pauvreté provient de l’impossibilité où l’indigène a été mis souvent de travailler pour lui-même et d’acquérir des ressources. La misère a été déterminée par les réquisitions de travailleurs destinés à la construction de la route de l’est, du chemin de fer ensuite… La misère s’est installée par l’absence des travailleurs… Les réquisitions de travailleurs ont été une calamité publique » (souligné par Augagneur) [52].
64Dès 1904-1906, donc, tout est dit. Mais la dénonciation d’une erreur n’exclut nullement qu’on y retombe. Avec quelques variantes, nous pourrions faire les mêmes observations avec le MLA en 1917-1922. Ainsi, le 12 août 1918, le chef de district d’Ambatondrazaka demande grâce pour ses administrés : « L’effort demandé aux Sihanaka et obtenu a été considérable, mais il ne faut pas en abuser, car eux aussi ont leurs bœufs à surveiller et leurs cultures à développer… » Déjà, « ils commencent à se retirer sur les pâturages et surtout dans les districts voisins […]. Si l’on continue, le vide s’accentuera de plus en plus [53] ». Le gouverneur général ayant demandé des sanctions contre le chef de district qui n’avait pas fourni son contingent de « prestataires payés », la rancœur chronique des administrateurs de brousse contre la capitale ne put qu’en être renforcée. Quant aux Sihanaka, leur mouvement de fuite vaut à ces riziculteurs paisibles d’être déclarés pasteurs nomades par leur chef de province en 1921-1922. En conséquence, on peut distribuer aux colons leurs terres de l’Alaotra, que le chemin de fer vient de valoriser. Les abus sont tels que l’inspection des colonies en 1923 s’interroge : comment a-t-on échappé à une révolte ? Présentant le rapport sur la main-d’œuvre dans la province de Moramanga, l’inspecteur général Henry prononce un jugement qui, pour l’historien, est sans appel :
« La multiplicité des graves abus qui s’y trouvent démontrés […] est simplement lamentable pour le bon renom de la colonisation française. Il a fallu toute la douceur, la passivité des Sihanakas et des Hovas pour que le régime instauré et rigoureusement appliqué dans la province de Moramanga par M. M. Sainjon et Ferjus [respectivement chef de province de Moramanga et chef de district d’Ambatondrazaka], et qui n’est qu’un succédané de la traite […] n’ait pas amené les plus graves incidents. Je crois avoir une connaissance suffisante de nos gouvernements généraux pour pouvoir écrire que nulle part ailleurs, ni en Indochine, ni en AOF, ni en AEF, de telles exactions ne seraient possibles. Au Tonkin, en Annam, au Laos, la rébellion ne tarderait guère. En AOF, ce serait soit la révolte, soit l’exode en masse vers les colonies étrangères voisines. Au Gabon-Congo, on aurait aussi très vite la révolte chez quelques peuplades énergiques […] mais ce serait plutôt l’abandon des villages [54] […] ! »
66De même, la désorganisation de la vie rurale dans le Vakinankaratra, lors des travaux du TA [55], est longuement décrite par le pasteur Parrot : « Le paysan malgache répète… on ne cesse de nous accuser de paresse, et nous ne demanderions pas mieux que de travailler tranquillement à nos rizières et de développer nos cultures, mais on ne cesse de nous empêcher de le faire !… » Quand on constate les dégâts du TCE, du TA et du MLA, on se dit que, sur le FCE, le SMOTIG a été un moindre mal en ne touchant que des jeunes non encore enracinés. Mais partout la population a perçu le chemin de fer comme une forme d’agression par l’étranger. Comment aurait-il pu en être autrement ? Les trains ont été un des lieux d’actualisation du racisme colonial [56]. En 1959, René Dumont relève que, sur le bas-FCE, les habitants ne comprennent pas qu’on leur demande de payer le plein tarif sur un chemin de fer qu’ils ont construit [57]. Et là aussi, les terres proches de la voie ferrée ont été concédées à un colon honni, député puis sénateur de Madagascar après 1945… Il n’est donc guère surprenant que les chemins de fer se soient retrouvés au cœur de l’insurrection de 1947, dont les deux grands foyers de départ ont été Moramanga et le bas-FCE. La chaîne de causalité, ici, est cependant beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît, et invoquer la mémoire d’un mécontentement serait superficiel. En fait, un premier facteur découle de la réalisation de la prédiction de Gallieni en 1905 sur une expansion merina le long des voies ferrées. C’est en effet l’établissement d’une petite bourgeoisie lettrée de commerçants, planteurs et fonctionnaires merina dans la région de Moramanga, et le long du FCE qui a fourni les premiers cadres de l’insurrection. Mais un second facteur a eu plus d’importance encore : la fuite devant la réquisition a érigé le gradin intermédiaire entre les Hautes-Terres et la côte en zone-refuge à laquelle les populations rétives, betsimisaraka surtout, se sont adaptées par un processus d’atomisation sociale et une quasi-sacralisation du tavy, la culture itinérante sur brûlis, fondement de la liberté de petits groupes vivant dans un isolement propice au tsaho, la rumeur. Dans ce milieu, en 1946-1947, toutes les conditions étaient réunies pour que se diffuse, de proche en proche, une immense jacquerie.
67Le TCE a été l’axe du secteur nord de l’insurrection, dont la carte se superpose à peu près avec la zone de recrutement des « volontaires » délimitée dans les instructions du 17 octobre 1902. Et la dimension de lutte des classes que revêtit le mouvement à l’ouest de Moramanga, dans l’angle formé par le TCE et le MLA, n’est pas sans rappeler que la réquisition, ici, avait pesé sur les groupes dominés et les plus pauvres de la société locale, envoyés au chemin de fer par la connivence des notables et des fonctionnaires subalternes [58]. Plus au Nord, dans l’Alaotra, un administrateur dynamique, en 1957-1958, s’efforce de promouvoir des actions de développement et termine son séjour sur le constat amer d’un échec pour lui incompréhensible [59]. Il devait ignorer l’histoire du MLA et la manière dont un de ses prédécesseurs, en 1920-1922, avait répandu l’effroi dans toute la région, créant hostilité latente et méfiance incoercible.
68Les Malgaches ne se battirent pas pour sauver leurs chemins de fer. Avec le temps, pourtant, le train évoluait dans les mentalités, vers une « nationalisation » dont témoigne, entre autres, la participation de nombreux cheminots à l’insurrection de 1947, ou la réorientation du trafic vers les échanges intérieurs. Paradoxe ? C’est peut-être aujourd’hui que le TCE et ses annexes pourraient le mieux se justifier. Deux raisons, selon nous, militent en faveur d’une telle opinion : d’une part, un renversement des données économiques est en cours à Madagascar, et ce sont désormais les Hautes-Terres qui, grâce à une industrialisation tournée vers l’exportation, sont le foyer le plus dynamique de l’île : il sera de plus en plus difficile, à l’avenir, de faire dépendre son ravitaillement et ses échanges extérieurs d’une route difficile parcourue par une noria de poids lourds. D’autre part, dans un pays qui souffre d’une balance commerciale chroniquement déficitaire, obérée notamment par le poids des importations d’hydrocarbures et de véhicules, le vieux chemin de fer qui a coûté si cher à mettre en place serait probablement l’un des moyens de desserrer une contrainte extérieure étouffante.
Carte extraite de l’Atlas du Guide de l’immigrant à Madagascar, Paris, A. Colin, 1899.
Carte extraite de l’Atlas du Guide de l’immigrant à Madagascar, Paris, A. Colin, 1899.
69Tracés du TCE étudiés.
70I. Par les vallées du Mangoro et de l’Ivondro
71II. Par Moramanga et la vallée de la Vohitra (tracé retenu)
72II bis. Par l’intérieur du pays betsimisaraka
73II ter. Par la côte (tracé retenu)
Bibliographie
Bibliographie
- Dumont R., Évolution des campagnes malgaches, Tananarive, Imprimerie officielle, 1959.
- Ferret J., Les Cendres du Manengouba, Paris, L’Harmattan, 2001.
- Frémigacci J., « Mise en valeur coloniale et travail forcé : la construction du chemin de fer Tananarive-Antsirabe (1911-1923) », Omaly sy Anio (Tananarive), n° 1-2, 1975, p. 75-137.
- Frémigacci J., « La forêt de Madagascar en situation coloniale, une économie de la délinquance », in M. Chastanet (dir.), Plantes et paysages d’Afrique, Paris, Karthala, 1998, p. 411-439.
- Gallieni J., Neuf ans à Madagascar, Paris, Hachette, 1908.
- Gendarme R., L’Économie de Madagascar, Paris, éditions Cujas, 1963.
- Guernier E., Encyclopédie coloniale et maritime. Madagascar-Réunion, tome II, Paris, 1947.
- Olivier M., Six ans de politique sociale à Madagascar, Paris, Payot, 1931.
- Ramandimbilahatra R., Paludisme et contact colonial à Madagascar, Tananarive, mémoire de maîtrise, 1980.
- Richard C., Le Chemin de fer Fianarantsoa-Côte-Est, diplôme d’études supérieures, Paris, 1962.
- Sarraut A., La mise en valeur des colonies françaises, Paris, 1923.
Notes
-
[*]
Jean Frémigacci est maître de conférences à l’Université Paris I – Panthéon Sorbonne (Centre d’étude des mondes africains).
-
[1]
Rapport du général Gallieni au ministre des colonies sur la situation générale de la colonie, Paris, Imprimerie des Journaux officiels, 1905, p. 62.
-
[2]
Ibid., p. 64
-
[3]
J. Gallieni (1908 : 48).
-
[4]
Rapport du général Gallieni au ministre des colonies sur la situation générale de la colonie, Paris, Imprimerie des Journaux officiels, 1905, p. 64.
-
[5]
J. Frémigacci (1975 : 85).
-
[6]
Ibid, p. 79.
-
[7]
ARM (Archives de la République malgache), série Chambres de commerce, dossier n° 13, Fianarantsoa, PV du 22/04/1910.
-
[8]
Ibid., PV du 25/09/1911.
-
[9]
Bulletin économique de Madagascar, 1er trimestre 1921, p. 40-61, note de Girod, directeur des Travaux publics.
-
[10]
A. Sarraut (1923).
-
[11]
J. Gallieni (1908 : 289). Le général avoue s’inspirer de son maître Faidherbe, qui avait appelé de Dakar-Saint-Louis « Le chemin de fer de l’arachide ». En fait, la comparaison n’a pas de sens. Comment mettre sur le même plan une culture vivrière, le riz, et une culture de rente, l’arachide, alors que, de surcroît, les conditions géographiques, physiques et humaines sont absolument différentes au Sénégal et à Madagascar ?
-
[12]
Ibid.
-
[13]
CAOM, Aix-en-Provence, fonds du contrôle, 749-751, mission Nores, Madagascar 1919-1920. Rapport de l’inspecteur Leconte sur les messageries par charrettes à bœufs.
-
[14]
J. Gallieni (1908 : 159-160).
-
[15]
Voir supra, note 9.
-
[16]
Instructions du 31/12/1900.
-
[17]
Rapport du général Gallieni au ministre des colonies sur la situation générale de la colonie, Paris, Imprimerie des Journaux officiels, 1905, p. 62.
-
[18]
Journal officiel de Madagascar (J. O. M.), 22/10/1902, p. 82-87.
-
[19]
Rapport du général Gallieni au ministre des colonies sur la situation générale de la colonie, Paris, Imprimerie des Journaux officiels, 1905, p. 63.
-
[20]
Rapport du général Gallieni au ministre des colonies sur la situation générale de la colonie, Paris, Imprimerie des Journaux officiels, 1905, p. 62. Cette « apathie naturelle » exprime en réalité la résistance passive des Malgaches.
-
[21]
J. Frémigacci (1975 : 83, 96-97). Le paradoxe apparent – une baisse des salaires qui accroît l’offre de main-d’œuvre – montre que l’économie coloniale n’obéit pas à la logique de la théorie libérale. Dans le cadre colonial, si les salaires baissent, le Malgache devra allonger la durée de son engagement pour payer l’impôt « moralisateur ». On devine les conclusions qu’en tirent les colons… En fait, on a ici un cas d’application de la théorie de Tchayanov sur les comportements des paysanneries dominées.
-
[22]
J. Frémigacci (1975).
-
[23]
Ibid., p. 118.
-
[24]
ARM D 152 Travaux publics. Le chef de province de Moramanga au G. G., 3 juin 1918. Angady : bêche malgache.
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[25]
CAOM, Aix-en-Provence, fonds du contrôle, mission Henri, Madagascar 1921-1923, rapport n° 48 sur la main-d’œuvre dans la province de Moramanga.
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[26]
ARM D 364, correspondance du MLA 1916-1922.
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[27]
CAOM, fonds du contrôle, 754, Madagascar, mission Henri, 1921-1923, rapport cit. n° 48, p. 18.
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[28]
ARM D 364 ; « Mémoire présenté à M. le colonel Garbit, gouverneur général de Madagascar, sur les abus dont la population malgache est victime dans la province du Vakinankaratra », 10/11/1920.
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[29]
J. Frémigacci (1975 : 113).
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[30]
Ibid., p. 114.
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[31]
CAOM, Mission Henri…, rapport cité n° 48.
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[32]
CAOM, Madagascar, IID 50, province d’Antsirabe (Vakinankaratra), Rapport économique (R. E.), 1920.
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[33]
CAOM, fonds du contrôle, 754, mission Henri 1921-1923, rapport n° 49 sur la main-d’œuvre dans la province du Vakinankaratra.
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[34]
BEM 1921, 1er trimestre, note de Girod citée supra.
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[35]
J. Frémigacci (1975 : 123).
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[36]
C. Richard (1962).
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[37]
M. Olivier (1931 : 97-132).
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[38]
Nous résumons ici les points essentiels d’une recherche personnelle sur le SMOTIG, qui donnera lieu à une publication ultérieure.
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[39]
M. Olivier (1931 : 128).
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[40]
ARM J143 (ancien classement). Lettre de Faucon, chef de province de Fénérive, à Gallieni, 28/04/1904.
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[41]
ARM, série Chambres de commerce, n° 43 (Vatomandry). Le chef de province Marcoz au gouverneur général, 29/07/1907.
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[42]
CAOM, Aix-en-Provence, Madagascar II D 220, province de Vatomandry, rapport économique (R. E.), 1910.
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[43]
Calculs établis à partir de la série des budgets annexes des chemins de fer, ARM série budgets.
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[44]
R. Gendarme (1963 : 97-98).
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[45]
Cf. annexe ii.
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[46]
E. Guernier (1947 : 143).
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[47]
C. Richard, op. cit., p. 81.
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[48]
J. Frémigacci (1998).
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[49]
ARM, série Compagnies et sociétés, dossier n° 6, société La Grande Île.
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[50]
R. Ramandimbilahatra (1980).
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[51]
Cf. supra note 40, lettre de Faucon, chef de province de Fénérive, à Gallieni, 28/04/1904.
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[52]
CAOM, IV D27, rapport au ministre, 1906.
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[53]
ARM D364. Demande de travailleurs 1918-1945. Correspondance du MLA 1916-1922.
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[54]
CAOM, Mission Henri 1921-1923, rapport cité note 48, présentation par l’Inspecteur général.
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[55]
J. Frémigacci (1975 : 125-129).
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[56]
ARM, chambres de commerce, dossier n° 25 (Moramanga). PV du 14/06/1922 : demande de ségrégation entre voyageurs.
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[57]
R. Dumont (1959 : 79).
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[58]
CAOM, Mission Henri. Rapport cité n° 48, p. 17 : sur 16000 contribuables du district de Moramanga, 3 500, toujours les mêmes, sont envoyés sur les chantiers.
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[59]
J. Ferret (2001 : 211-262). Le district d’Ambatondrazaka fut le seul district rural de l’île à voter non au référendum de septembre 1958 sur l’adhésion à la Communauté, ce que De Gaulle ne manqua pas de faire remarquer à son malheureux administrateur.