1 Les mobilités africaines représentent un enjeu majeur pour le continent. Il s’agit d’un sujet d’actualité qui a suscité la production de nombreuses recherches récentes. Dans cette édition de « Lu pour vous », nous vous proposons de revenir sur trois récents ouvrages qui abordent différentes dimensions de la gouvernance migratoire en Afrique, tout en croisant leurs perspectives et en soulignant les principales contributions qu’ils apportent au débat sur les mobilités.
2 Les ouvrages présentés offrent des perspectives éclairantes et complémentaires sur l’enjeu complexe et multidimensionnel des mobilités africaines et de leur « gestion ». Ils abordent des aspects souvent négligés ou sous-explorés dans des recherches antérieures et, plus particulièrement, il faut le signaler, dans les recherches francophones sur le sujet.
3 Dans le premier ouvrage, Migration and Governance in Africa: Lessons for Policymakers, Okeke Uzodike et al. (2021), les auteurs soulignent le rôle du leadership dans la gouvernance migratoire en Afrique. Ils se penchent sur les leçons à tirer pour les décideurs politiques en matière de migration et quant à leur gouvernance en Afrique. Ils mettent en évidence certains défis posés par les migrations dites « irrégulières » et la nécessité de mettre en place des politiques qui soient adaptées au continent et intégrer aux autres pans de la gouvernance africaine, tout en soulignant l’importance de la coopération entre les acteurs étatiques et non étatiques. Les auteurs ne sont pas que dans l’analyse mais aussi dans la prospective, préconisant une approche holistique et coordonnée tenant compte des dimensions politiques, économiques et sociales qui les sous-tendent (Okeke Uzodike, Onapajo et Ihuoma, 2021).
4 Ce livre est divisé en huit chapitres, couvrant différents aspects des mobilités. Selon les auteurs, l’une des plus grandes tragédies de l’Afrique (à de nombreux égards) est due à la prédominance des appréciations qui associent la migration à d’énormes avantages qui, en apparence, profitent aux pays d’origine des migrants. En d’autres termes, on pense souvent que les pays d’origine des migrants bénéficient largement de la migration de leurs citoyens. L’ouvrage avance que cette idée est fausse et qu’elle a des conséquences importantes sur la manière dont les parties prenantes abordent la question de la migration. La tendance globale est que les gouvernements de nombreux pays d’accueil mettent en place des politiques restrictives pour ralentir, limiter ou même empêcher les personnes en mobilité d’entrer et de quitter leur territoire.
5 Le deuxième ouvrage, Governing Migration for Development from the Global Souths: Challenges and Opportunities, est le quatorzième volume thématique de la revue International Development Policy, coordonné par D.E. Degila et V.M. Valle (2021). Les auteurs se concentrent quant à eux sur la gouvernance des migrations dans le contexte des pays du « Sud global», en soulignent le rôle crucial de ces pays et des stratégies qu’ils déploient dans une perspective globalisante. En mettant l’accent sur la coopération Sud-Sud, leur approche offre une perspective rafraîchissante sur les collaborations entre les acteurs locaux, régionaux et internationaux, au-delà des relations traditionnelles Nord-Sud. Aussi, les auteurs reviennent sur la (relative) dé-sécurisation des narratifs sur les mobilités produits par les récents développements internationaux sur la gouvernance des mobilités (à savoir les Objectifs du développement durable (ODD) 2030 et les Pactes mondiaux sur les réfugiés (2015) et sur les migrations (2018)), tout en promouvant une approche multi-échelles et multi-acteurs.
6 Ce livre se concentre sur la région comme étant l’un des principaux piliers de l’établissement des politiques internationales et comme niveau d’action où s’affiche le plus de progrès en la matière. Dans leurs développements, la trentaine d’auteurs explorent les régions de l’Afrique subsaharienne, de l’Asie, de l’Amérique latine, du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord et leurs bonnes pratiques vis-à-vis du management des mobilités. Les chapitres consacrés à la région MENA et à l’Afrique subsaharienne abordent les questions de sécurité, de mobilité, de diaspora et de xénophobie croissante.
7 Le troisième ouvrage, Intra-Africa Migrations: Reimagining Borders and Migration Management (Moyo, Laine et Nshimbi, 2021), traite essentiellement de la migration intra-africaine comme étant la forme dominante des flux migratoires. Les auteurs montrent comment cette gestion migratoire est influencée par les frontières (héritées de la conférence de Berlin, 1884-1985), la formation des États-nations, l’entrée et le développement du capitalisme et la récurrence des conflits. Ils avancent que les Africains se déplacent principalement dans leur pays de naissance, dans les pays voisins et dans l’espace sous-régional. Les auteurs développent différentes acceptions des facteurs de migration qui vont de la culture aux dimensions socio-économiques en passant par la guerre et, de plus en plus, par les changements environnementaux avec leurs conséquences sur le climat. Leur approche est clairement panafricaine, notamment en ce qui concerne le traitement à apporter aux défis continentaux cités ci-dessus.
8 Ce livre est composé de 12 chapitres organisés en cinq parties, avec des thèmes clés pour le continent, tels que les frontières, la gestion des migrations, la sécurisation des migrations, la sécurité transfrontalière, la migration régionale et continentale. Il remet en question les idées reçues selon lesquelles les Africains cherchent désespérément à quitter en masse le continent pour l’Europe (le mythe de l’invasion, inspiré par Hein de Haas), soulignant que l’essentiel de la migration se produit sur le continent africain. Les auteurs mettent en évidence l’importance de gérer la migration intra-africaine pour le développement du continent, tout en examinant les politiques de gestion de la migration dans le contexte d’une intégration régionale et continentale croissante mais, au final, toujours en devenir. Selon eux, les schémas de l’intégration continentale et régionale semblent se focaliser davantage sur l’aspect business et les gains économiques plutôt que sur la libre circulation, les besoins et les multiples situations des personnes en mobilité.
9 En croisant la lecture de ces trois ouvrages sur l’enjeu de la gouvernance des mobilités en Afrique, nous pouvons pointer quelques éléments, non exhaustifs, qui en ressortent.
10 Tout d’abord, pour tous ces auteurs, la gouvernance des mobilités en Afrique est complexe et nécessite d’effectuer des approches coordonnées et intégrées. Les mobilités africaines représentent un défi, mais également une opportunité pour le développement, à condition de repenser les politiques migratoires et renforcer la coopération entre les différents niveaux de gouvernance. Les causes profondes des migrations irrégulières doivent être abordées, en mettant l’accent sur le développement social, la sécurité humaine et les droits humains. Les politiques migratoires doivent être centrées sur les personnes en mobilité, tout en œuvrant pour les intérêts des pays d’origine, de transit et de destination.
11 Les recherches futures devront explorer les interactions entre les acteurs impliqués dans la gestion des migrations et les effets des politiques migratoires sur les communautés locales et les personnes en mobilité. Ceci tout en s’inscrivant dans une perspective critique, décoloniale et panafricaine. Les ouvrages que nous venons de présenter offrent une base solide pour ces recherches à venir et encouragent l’amélioration de la gouvernance des mobilités en Afrique. Tous sont d’accord sur le fait que la migration intra-africaine est la forme prédominante des flux. De ce fait, cette dernière nécessite des politiques, mécanismes et processus de coopération régionalisés qui encouragent la libre circulation et favorisent in extenso l’intégration continentale. Les défis posés par la migration irrégulière, les conflits et la xénophobie doivent être pris en compte dans l’élaboration des stratégies et des politiques. Enfin, les auteurs insistent sur la promotion de la coopération Sud-Sud, notamment en matière de gestion et de partage d’expériences, pour soutenir l’intégration continentale et le développement durable de l’Afrique.
Références
- Degila D.E. et Valle V.M. (ed.) (2021), Governing Migration for Development from the Global Souths : Challenges and Opportunities. Revue internationale de politique de développement, 14. https://doi.org/10.4000/poldev.4544.
- Moyo I., Laine J. et Nshimbi C.C. (ed.) (2021), Intra-Africa Migrations: Reimaging Borders and Migration Management (Border Regions Serie), Routledge. https://www.routledge.com/Intra-Africa-Migrations-Reimaging-Borders-and-Migration-Management/Moyo-Laine-Nshimbi/p/book/9780367550479.
- Okeke-Uzodike U., Onapajo H., Ihuoma C. (ed.) (2021), Migration and Governance in Africa: Lessons for Policymakers (AfriHeritage), African Heritage Institution. https://www.africaportal.org/publications/migration-and-governance-africa-lessons-policymakers.