Notes
-
[1]
Grimal, 1979, p. 42.
-
[2]
Laplanche, Pontalis, 1967, p. 271.
-
[3]
Benveniste, 1969, p. 256.
-
[4]
Tremblay, 2002, p. 110.
-
[5]
Nous mettons ici en distinction une obscénité de l’être et une obscénité phallique en lien avec la distinction des jouissances proposée par J. Lacan. L’obscénité phallique est celle qui donne des formes, des gestes, de la parole. L’obscénité de l’être est ce point sombre qui bouleverse, transfigure, jette hors de soi.
-
[6]
Dupont, Eloi, 2001, p. 192.
-
[7]
Pieraggi, 2002, p. 146.
-
[8]
Foucault, 1975, p. 226.
-
[9]
Lacan, 1964, p. 99.
L’image de l’obscène
1Espace du monstrueux et de l’obscène, la face de Méduse situe un point de dé-visage. Ainsi est-il possible d’interroger la « facialité » de Méduse en l’opposant au « visageable » de toute relation possible (Freud, 1922 ; Vernant, 1985). L’analyse du mythe de Persée dans sa rencontre avec Méduse permet de montrer une manière d’être devant l’autre pour lutter contre sa face, sa fascination. L’« autre-Méduse » n’est que face, il ne devient pas visage. Persée, avons-nous dit (Bidaud, 2004) détourne l’obscène de Méduse à son profit, en s’en emparant comme image dans le miroir. Il se saisit de l’obscène mais ne le regarde pas en face. Il le maîtrise, le manipule pour en faire une image dressée à la face des autres. L’obscène suit ainsi un circuit dont la mise en image constitue une manière de se tenir devant sa mort. L’obscène est comme l’image inversée de l’horreur : la mise en figure de l’obscène est une manière d’horrifier l’horreur.
2L’hypothèse à défendre est que l’on ne se sort du face à face avec le regard de l’autre, avec l’autre médusant, que par la mise en signifiants de l’obscène. Autrement dit, l’obscène peut être entendu comme ce par quoi se règle, s’apaise le rapport avec l’autre. Dans l’espace du regard, l’obscène occupe une fonction qui est celle d’une mise à distance du regard de l’autre et de son enfermement. La « monstration » de l’obscène, sa mise en forme, vise à fixer ce mauvais œil qui est regard sans visage, regard errant. Voici le sens apotropaïque de cette catégorie qui prend une place centrale dans les sociétés anciennes, au cœur du lien social. Montrer l’obscène, le mettre en mots constituait alors un rituel social. Nous savons également que les Latins accordaient au phallus que l’on appelait fascinus un pouvoir magique. Son image se rencontrait partout au seuil des maisons ou suspendue au cou des enfants. « Dans les champs, écrit P. Grimal, les paysans la dressaient comme sauvegarde des récoltes et, jusque sur le char des triomphateurs, le même symbole témoignait de la même foi dans la vertu bénéfique d’un organe qui apparaissait comme le lieu de vie par excellence. Le phallus était le talisman le plus efficace contre toutes les puissances mauvaises, les maléfices, tout ce qui empêche ou contrarie la croissance et l’épanouissement heureux des êtres, hommes, animaux ou plantes. À son image n’était attachée aucune honte » [1]. Le phallus était porté en procession pour assurer de bonnes récoltes et, pour l’accompagner, chacun employait le langage le plus obscène. Il se définit alors comme occupant une place nécessaire à l’intérieur de tout système de représentation sans laquelle s’effondre ce système. Nous dirons donc qu’il est une fonction.
3Nous avons à l’intérieur de toute formation sociale à « entendre » l’obscène en sa fonction, c’est-à-dire à situer l’expression et les modes de ses figurations. Aussi posons-nous cette question : quelle est la fonction actuelle de l’obscène ? Que signifie cet « actuel » de l’obscène ? Nous proposons de donner à ce qualificatif d’actuel ce qu’il désigne sous la notion de « névrose actuelle ». L’actuel de la névrose signifie ce qui échappe à la conflictualité infantile. « Les symptômes n’y sont pas une expression symbolique et surdéterminée, mais résultent directement de l’absence ou de l’inadéquation de la satisfaction sexuelle » [2]. Le sujet rencontre l’actuel de son symptôme comme l’expression de sa défaillance à se satisfaire de l’objet, comme effet d’un « manque à jouir » de son objet. L’objet apparaît dans la brutalité de son présent, ou encore dans l’ennuyeux défilé de sa répétition et de sa morne reproduction, comme une forme d’exil dont témoigne l’actuel de la névrose, son ancrage infantile. Le rapport du jeune adulte à l’obscène du pornographique, qui ne se limite pas à une source évidente d’excitation, traduit le retour du même à l’œuvre dans le « porno » comme attente passive et mélancolique d’un savoir qu’il voudrait faire correspondre à la jouissance d’un voir. La pulsion de savoir de la période infantile, tout entière orientée par des questions sexuelles – et qui n’est peut-être éveillée que par elles seules, insiste Freud (1905) – réinvestit ici avec l’énergie du plaisir scopique les objets premiers et derniers d’une recherche solitaire et solitairement passionnée concernant l’énigme du sexuel.
4Quelle est donc la fonction actuelle de l’obscène dans son rapport à la scène pornographique ? Nous apportons cet élément de réponse : une manière d’être devant l’autre pour lutter contre sa face, sa fascination. L’autre n’est que face, il ne devient pas visage car seule la constitution du visage permet de soutenir ce rapport. Le « porno » se désespère de créer de l’autre. Le sujet, en « regardeur » de cette scène, s’agrippe à ce fond conjuratoire de la fonction représentative.
5Sans doute la pornographie n’est pas un produit de la modernité. C’est une vieille chose. Ce qui est apparu dans notre discours, c’est le « porno ». Privée de sa fin par une apocope, la pornographie est devenue le « porno ». La graphie a disparu, c’est-à-dire « l’écriture » de la « porné » (étymologiquement de la prostituée). Subsiste une « porné » dé-signifiée. Ne reste que l’« actuel » défilé de l’image en déni d’écriture.
Réflexions sur l’obscène et le pornographique
6Le terme obscène appartiendrait originellement à la langue des présages mais il serait le seul terme en ce champ, selon E. Benveniste [3], qui ne ressortît pas à la vision. Plus exactement, il est ce qui interdit toute opération de vision en étant cet « œil » qui nous rencontre et nous assigne à la mort : le mauvais œil. Quelque chose est donné à voir que nous ne pouvons pas saisir. L’obscène est ainsi un objet qui se dérobe, un impossible à voir et donc un impossible objet de savoir. Autrement dit, l’obscène résiste à l’interprétation d’un « vu », rendant impossible de discuter l’obscène à partir de la localisation d’un objet. Il s’agirait, à suivre le très bel article de T. Tremblay, d’une expérience presque sans objet : « Être dans la scène de l’obscène, c’est être aveugle, c’est ne pas voir l’obscénité. Il faudrait à la fois être vu, se voir aveuglé. On pourrait enfin poser la règle générale selon laquelle lorsqu’il y a obscénité, on ne voit rien » [4].
7Aussi l’obscénité équivaut à la mort ou bien à la folie, à quelque chose dont on ne revient pas. Il convient ainsi d’opposer à cette obscénité essentielle, traumatique et transfigurante, ce « tour » d’obscénité occasionnelle et touristique qui participe de la mise en forme et de la théâtralité pornographique [5]. La pornographie n’est qu’une obscénité surmontée, un choc contenu. La scène pornographique est en ce sens parade à l’obscène. De l’obscène à la pornographie, nous reconnaissons un rapport de lutte et de recouvrement. Dans le regard qui épie la scène pornographique, ce qui se joue est précisément cette tension du déjà vu et du pas encore vu, du connu et de l’inconnu.
8Nous pourrions presque dire que ce qui se cherche est la chair derrière la chair. L’intérieur du corps est une figure permanente de l’obscénité depuis l’antiquité, ce qui porte bon ou mauvais présage d’aller voir. Ainsi ce qu’écrivent F. Dupont et T. Eloi sur l’obscénité dans la Rome antique : « En donnant accès à l’intérieur du ventre, les corps ouverts déploient une obscénité, celle de la physiologie humaine. L’obscénité se complet à souligner la proximité des fonctions excrémentielles et de certaines fonctions sexuelles… La saleté et la puanteur sont une autre caractéristique des corps obscènes romains… Les mauvaises odeurs sont causées par un manque de soins, de cultus, c’est la puanteur du bouc » [6]. Une certaine logique de l’obscène, qui existe aussi dans la pornographie, consiste à pénétrer derrière le paraître du corps comme pour voir derrière la peau, arracher la peau de la nudité et croire à un en deçà de la nudité.
9Ce qui s’approche alors est ce chaos de la chair, l’évanouissement des figures, ce qui tend à ne plus ressembler à rien, ou alors à quelque chose qui n’a plus de nom, se déforme et se dé-nomme. Dans le champ de l’obscène, ce qui se cherche et constitue une tentation, est quelque chose qui ne viendrait plus s’inscrire dans l’ordre du signifiant : non que le sujet sorte de cet ordre car il en serait plutôt suspendu, comme en stase de lui-même. Ainsi approchée, l’obscénité ne consiste pas simplement en un dévoilement du sexe mais en une déchirure de la trame de la signification d’où procède son effet de jouissance et de fascination. « L’obscénité, énonce A. H. Pieraggi, ne démasque pas ce qui serait caché et qui aurait une positivité derrière une apparence trompeuse, mais expose l’involution dans une ouverture de la trame des signes qui ne renvoie aucune fermeté, aucune certitude, un vertige sans fond, un reste que les noms ne savent pas saisir » [7].
10Au-delà de l’obscène qui est dans le « porno » un point de fuite, ce qui caractérise cette scène est le grotesque : le plus de vrai, le rajout de formes, de cris et de postures. Si l’on en revient aux prémisses du terme, grotesque se dit des arabesques trouvées dans les édifices anciens ensevelis pour désigner leur côté fantasque. Il s’agit de « figures qui font rire, qui outrent la nature » (Littré). L’art grotesque des jardins, par exemple, rajoute de la nature à la nature : du rocher, de la végétation, du signe au signe.
11Le sexe d’une femme montré sur la scène ordinaire d’un film pornographique est en ce sens un sexe grotesque en tant qu’il est maquillé, fabriqué, dénaturalisé à force de surnaturalité ; c’est un sexe visage. La pornographie visagéifie le sexe. Le sexe pourrait-il être cette partie cachée à laquelle on ne touche pas, regardé en sa pleine nature ? Non. Il doit être, dans la modernité de la pornographie, une partie du corps qu’on retouche comme un visage. Ce réel, qui ne parvient pas à faire visage, correspond précisément à l’obscène : réel innommable de la chair que la rhétorique du film pornographique ne cesse de recouvrir.
12L’adolescence engage une rencontre et une invention de l’Autre comme sujet/objet du désir. Par rencontre de l’Autre, nous évoquons la rencontre des regards, l’enjeu psychique d’une rencontre singulière des regards. Par invention de l’Autre, nous désignons ce par quoi l’Autre est « trouvé/retrouvé », ce par quoi s’opère une « re-visagéification » du corps de l’Autre, ce par quoi, dans l’Autre, la sexualité se découvre comme n’ayant jamais cessé d’être, en même temps qu’elle doit se faire, se « machiner ». La pornographie est une des voies adolescentes par laquelle s’engage le processus de « re-visagéification ».
13Autrement dit, le « porno » est ce qui insiste, dans son indigente répétition (mais tout est là) à fabriquer du « visage » dans l’Autre, c’est-à-dire à parer cette horreur qui fait à l’adolescence retour dans l’irruption du sexuel pubertaire. Nous dirons, en extrapolant bien sûr, que la sexualité qui s’invente (et doit s’inventer) chez le jeune adulte, doit prendre masque dans les sens qu’il convient de donner à ce terme : parure, trompe l’œil, jeu du vrai et du faux, mais aussi ce sens oublié que l’on trouve dans le Littré : « Terme familier d’injure dont on se sert quelquefois pour qualifier une jeune fille et lui reprocher sa laideur et sa malice. » C’est ainsi sur une scène masquée, « visagéifiée », que s’improvisent les mouvements de la sexualité qui, en quelque sorte, se socialisent.
14Aussi l’injure, si présente dans le langage de l’adolescent, est une manière de se poser devant l’Autre, à la fois d’y être et d’y dire son masque. Peut-être est-ce ainsi qu’il faut entendre et comprendre la présence quasi constante de l’injure et de la parole obscène dans la rhétorique du film pornographique. La mise en mots de l’obscène sur le versant de l’injure joue de cette vacillation de l’Autre à l’adolescence et de son replâtrage.
15La formation de la scène pornographique tient à cette opération théâtrale de « parade » phallique, de monstration et de défi, parade en son double sens d’exhibition pompeuse et d’évitement d’une attaque [une idée déjà esquissée par Freud (1922) dans son petit article sur Méduse]. Le débordement de cette scène sur l’espace publique doit être interprété comme une mesure défensive, apotropaïque, dressée au devant d’une horreur débordante : l’effroi de la castration. De cette opération « mythique », nous avons bien sûr à comprendre la version moderne, sous l’angle de cet effroi que ne contiendrait plus le sujet sans ce plus d’obscène dont il fait une fonction de contenance. En ce sens, la pornographie détient moins de valeur subversive qu’un caractère de normalisation ou de « redressement » du sujet dans son rapport à la scène sociale. Mais aussi, plus la fonction pornographique est accentuée, moins elle dérange en tant que telle la norme sociale et morale. Est-elle simplement évaluée comme excès, anomalie passagère ou fléchissement moral de la société ? Elle est en tous les cas très normalement digérée.
Pornographie et adolescence
16La pornographie « répudiée », celle qu’aujourd’hui l’adulte récuse comme cette « chose » qui n’est pas restée à sa place, dans l’ombre et le secret de l’intimité adulte, celle qui déborde à la lumière de l’ado, est l’expression hypocrite du désarroi des pères devant ce qui pointe d’une vérité inavouable. Cette crise d’adolescence ainsi nommée par les pères est ce moment brutal où les parents sont soudainement privés par leur enfant des symptômes que celui-ci entretenait pour leur compte, afin qu’ils n’aient pas à être confrontés à leur propre vérité. La pornographie de l’ado qui fait crise est la vérité insupportable des parents, vérité sous laquelle sommeille un non-dit, l’inavoué de la parole des pères : le rapport du jeune (mais plus encore de tout sujet) à la masturbation.
17Nous avions dans une précédente recherche (Rassial, Bidaud, Lévy, 2002) tenté de relier cette notion si vague de crise d’adolescence à la problématique originelle du discours psycho-médical sur le « jeune masturbateur ». Nous soutenions l’idée que « l’adolescent en crise » fait son entrée dans l’histoire à partir de ce discours tout au long du XIXe siècle. C’est un fait que la masturbation des adolescents mais aussi des enfants (et non pas des adultes) est devenue la cible de toute une littérature médicale extravagante et très peu scientifique. Cet acte par lequel le corps sexué est reconnu en même temps que redouté va devenir le lieu de tout un discours d’exhortations, de conseils et d’injonctions destinés aux adolescents et aux parents. Cet acte va devenir le stigmate du jeune adulte, ce par quoi, peut-on dire, l’adolescent va être « inventé ». C’est aussi par cet acte que l’adolescent va se dire traversé en lui-même, travaillé de l’intérieur par une force de mort et de dévastation qui fait le fond du discours médical. L’adolescent masturbateur étend tout un champ du monstrueux en lien avec la folie et la mort. Nous savons en effet que la masturbation a été considérée au principe d’interminables effets de détérioration. « La masturbation, indique M. Foucault, par le fait même et sur l’injonction même des médecins, est en train de s’installer comme une sorte d’étiologie diffuse, générale, polymorphe, qui permet de rapporter à la masturbation, c’est-à-dire à un certain interdit sexuel, tout le champ du pathologique, et ceci jusqu’à la mort » [8]. L’irruption du sexuel dans le discours de l’autre fonde la crise du jeune adulte, un sexuel qui déforme, principe de toutes les maladies jusqu’à la dégénérescence et la cadavérisation de soi. Le jeune masturbateur est harcelé dans ce sexuel que les parents guettent, redoutent, assiègent d’un regard violeur et séducteur. Ainsi nous posons que la crise de l’adolescent, correspond à la crise de l’Autre comme « appel » du sexuel autant que son recouvrement : paradoxe névrotique d’une position qui ne veut pas voir ce qu’elle fait apparaître.
18La question de la crise dans son rapport à l’Autre pourrait être posée en lien avec ce que S. Ferenczi (1932) nomme « la confusion de langue ». Le lien enfant-adulte crée les conditions d’une scène de séduction sans bord, c’est-à-dire dont il est difficile de sortir, scène qui se fonde sur une langue où retentit le heurt, une rencontre critique entre deux champs de désirs.
19La masturbation est retrouvée sous l’angle actuel de la pornographie qui la recouvre d’un tissu nouveau. Elle se réinvente comme problème, problème qui ne cesse depuis le XIXe siècle de faire crise en tant que jugement porté sur un « intime » inassimilable, traqué et objet de tous les fantasmes. L’adolescent devient un corps érotique surveillé, seul objet de sollicitude derrière lequel peine à émerger un sujet : il est un corps à l’extrême acéphale dont on dénie l’appartenance au sujet. C’est en cette difficulté à réunir, à penser ensemble corps et sujet, désir et sujet de ce désir, que peut être entrevu quelque chose de central dans cette fameuse « crise d’adolescence ».
L’horreur du voir
20Nous savons que Freud (1922) use du terme « horreur » dans le registre du voir, du voir l’autre sexe, lorsqu’il évoque à propos de la castration le sentiment d’épouvante qui s’empare du garçon à la vue du sexe féminin. Cette horreur du voir pourrait constituer ce centre impossible du voir, le fond même de tout acte de perception, c’est-à-dire ce sur quoi se dessine et s’organise toute mesure de mise en significations. Parler, mettre en images ou en théories le sexe féminin constitue une manière de poser de la « vêture » sur l’horreur, en appel de ce que Freud (1900) désigne à propos de la fonction figurative du rêve : figurer l’infigurable.
21L’image n’est fondatrice d’identification qu’à faire le tour d’un vide qui la traverse, à n’être précisément qu’une image en défaut. De cette part d’énigme et d’impossible forme dans l’image, nous supposerons que l’horreur nous en dit quelque chose, ou plus strictement fixe en ce mot un certain plan de l’indicible. Et c’est en cette notion d’obscène (comme l’enjeu même de tout regard qui se mesure à l’image) que nous indiquons ce qui tient (et permet de tenir), ce qui se dresse dans ce lien originel à l’invisible. Nous désignons bien sous ce terme d’obscène à la fois ce qui se dresse en tant qu’image mais aussi ce qui menace le sujet dans le risque de sa déchirure et de son débordement. C’est ce manque dans l’image (désigné comme « objet a ») qui est précisément ce que vient recouvrir l’image spéculaire, le réel par rapport auquel elle se fait écran, parade. C’est bien au niveau de l’horreur que peut s’éprouver cette dimension du réel si terriblement contenu comme noyau de néant dans la chair du spéculaire. « Visagéifier », est-ce donner une forme à ce qui n’en a pas, une figure, une formule à l’obscène de l’objet, à l’horreur contenue dans le fond de l’objet ? Un objet doit se figurer car dans sa défiguration il nous horrifie.
22Ce que nous avons pu dire de la catégorie de l’obscène, du registre obscène de tout rapport du sujet à son monde, marque le registre de la parade et de l’occultation à l’avant du regard de l’Autre, qui contient toujours un fond de malédiction, un appel fascinatoire. « L’homme, en effet, sait jouer du masque comme étant ce au-delà de quoi il y a le regard. L’écran est ici le lieu de la médiation » [9]. L’obscène est ce qui insiste dans ce lien originel à l’invisible et nous avons à désigner sous ce terme à la fois ce qui se dresse comme figure de détournement, opération de voilage, mais aussi ce qui menace le sujet dans le risque de sa dé-limitation et de son débordement. Nous invoquons ici toute la qualité conjuratoire de la fonction représentative.
Bibliographie
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- vernant j.-p. (1985). La mort dans les yeux. Paris : Hachette, 1998.
Notes
-
[1]
Grimal, 1979, p. 42.
-
[2]
Laplanche, Pontalis, 1967, p. 271.
-
[3]
Benveniste, 1969, p. 256.
-
[4]
Tremblay, 2002, p. 110.
-
[5]
Nous mettons ici en distinction une obscénité de l’être et une obscénité phallique en lien avec la distinction des jouissances proposée par J. Lacan. L’obscénité phallique est celle qui donne des formes, des gestes, de la parole. L’obscénité de l’être est ce point sombre qui bouleverse, transfigure, jette hors de soi.
-
[6]
Dupont, Eloi, 2001, p. 192.
-
[7]
Pieraggi, 2002, p. 146.
-
[8]
Foucault, 1975, p. 226.
-
[9]
Lacan, 1964, p. 99.