Notes
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[1]
Marie-Pierre Luigi, « Existe-t-il une politique de ressources humaines à l’Éducation nationale », Administration & éducation n° 159 (2018/3), p. 111-115.
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[2]
Géraldine Farges, « Tous professeurs, et maintenant ? », Administration & éducation n° 158 (2018/2), p. 59-64.
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[3]
De la gestion quantitative à la gestion qualitative des enseignants, IGEN/IGAENR 2019-091.
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[4]
Les mouvements académiques et départementaux comme outils de gestion des ressources humaines, IGAENR 2015-067.
1La question n’est pas neuve. Depuis plus d’un demi-siècle, accompagnant la massification des enseignements secondaire et supérieur ainsi que l’explosion du nombre des enseignants, elle ne cesse de tarauder équipes éducatives, parents d’élèves, élus locaux et experts du système éducatif. À partir des années 1980, l’apparition des « ressources humaines » dans l’entreprise, la diversification et la complexification croissante des métiers liés à l’enseignement, le développement des évaluations et des comparaisons internationales en ont accru l’acuité. Posée en ces termes à l’occasion du colloque de l’AFAE intitulé « Politique(s) de l’éducation : des idéologies au pragmatisme ? » (Lyon, 2018), dans le cadre d’un atelier, elle a été plébiscitée par les participants. Elle est ainsi devenue tout naturellement, un an plus tard, le thème du 41e colloque de l’AFAE (Rouen, 2019) et, aujourd’hui, de ce numéro d’Administration & éducation qui en prolonge la réflexion.
Entre cadre national et mise en œuvre académique et locale, les défis de la GRH
2À l’initiative de l’atelier, l’inspectrice générale Marie-Pierre Luigi a également proposé un clair et perspicace état des lieux [1]. Elle y rappelle d’emblée la difficulté à concilier gestion de masse, à l’échelle nationale, et gestion de proximité, à l’échelle des académies, des établissements et des écoles. La première de ces gestions est écrasée par le nombre et corsetée par les statuts qu’elle régit. Elle vit au rythme d’un calendrier annuellement réitéré. Elle est technocratique et aveugle. La seconde se veut qualitative. Dans leurs projets, les académies ne manquent pas de présenter leurs ambitions en matière d’accueil, de formation et d’accompagnement (William Marois et Françoise Moulin-Civil). Il leur faut alors composer avec les règles nationales « pour garantir et adapter la ressource, dans tous les métiers et en tous points du territoire ». La question d’une politique de ressources humaines nationale, « qui aborderait les questions de recrutement, de métiers, de parcours professionnels et d’accompagnement individuel au-delà de celle des statuts, des barèmes et des lourdeurs administratives » reste donc posée.
3Il faut relever quatre défis. Celui, partagé par de nombreux pays, d’une pénurie, plus ou moins importante selon les disciplines et les territoires (Robert Rakocevitch). Les raisons en sont diverses – difficulté du métier, rémunération, statut social, perspectives de carrière – et variables selon les pays (Pierre Périer). Elle a pour conséquence le recrutement, parfois important, de contractuels dans les disciplines déficitaires et dans les territoires, voire les établissements, les moins attractifs ou les plus reculés. Cette désaffection qui n’épargne pas les chefs d’établissement, en dépit d’un enthousiasme globalement intact (Paul Basquiast et Anouk Chabert). Un autre défi concerne l’évolution des modes de recrutement. Il est bien sûr la conséquence des difficultés précédentes. Il est aussi pris en compte d’une évolution des comportements (seconde carrière, désir de mobilité professionnelle…). Défi également, de l’évolution rapide et incessante ainsi que de la complexification croissante et problématique des différents métiers liés à l’éducation. Elles concernent au premier chef les personnels d’encadrement (Marilyse Trichet-Biette et Isabelle Klépal). Mais elles n’épargnent pas non plus les enseignants dont la formation continue est devenue tout aussi importante que la formation initiale. Défi enfin, d’une indispensable proximité. Longtemps réservée aux situations les plus difficiles, celle-ci « doit aider chacun à construire un parcours professionnel intégré dans un projet de vie et un objectif d’équilibre personnel ». Assurée par les cadres, elle requiert la mise en place de référents-conseils, situés hors hiérarchie, disponibles et experts.
4Il lui faut aussi satisfaire trois exigences spécifiques : celles, propres au « métier » d’enseignant, associant savoirs disciplinaires et compétences pédagogiques et exercé au sein d’équipes successives ; celles d’une « profession » accomplie dans le cadre d’un parcours personnel ; celles, enfin, d’un « magistère », découlant bien moins d’un statut de la fonction publique – progressivement mis en place non pour protéger les fonctionnaires mais pour satisfaire l’intérêt général (Anthony Taillefait) – que du projet politique, sociétal et laïque porté par l’École.
Des métiers divers, complexes et évolutifs
5Quel que soit l’angle d’attaque choisi, la diversité des métiers de l’éducation a été soulignée. La multiplicité des statuts et des « corps » en exprime la réalité en même temps qu’elle en rappelle l’histoire. Dans l’enseignement secondaire, elle est le reflet de la distinction entre enseignement et éducation. Elle se traduit par des identités professionnelles, qui, comme le montre l’exemple des enseignants du premier et du second degré, résistent au rapprochement des formations, des recrutements et même des rémunérations (Géraldine Farges [2]).
6La massification de l’enseignement secondaire et, dans une moindre mesure de l’enseignement supérieur, la diversification des publics, l’accélération du renouvellement des connaissances, les évolutions technologiques, les mutations sociales et les transformations du rapport à l’autorité ont fortement bouleversé les métiers de l’enseignement et de l’éducation (Son-Thierry Ly). Ils sont irréversibles. Ils ne s’interrompront pas. Ils réclament de nouvelles compétences. Ils exigent une formation continuée tout à la fois personnelle et collective. Plus encore que les statuts et les corps, ils contribuent à la complexification des métiers : « on peut parler de nouveaux métiers parfois, de nouveaux périmètres pour beaucoup, d’une complexification des tâches pour tous », écrit Jean-François Cuisinier à propos des personnels d’encadrement.
Des carrières diversifiées, du recrutement au déroulement en passant par la formation
7Le passage d’une gestion quantitative à une gestion qualitative des personnels est synonyme d’une gestion de proximité, mise en œuvre à l’échelle académique en s’appuyant sur les tout nouveaux « conseillers de ressource humaine de proximité », instaurés par la circulaire 2019-109 du 17 juillet 2019, et à l’échelle des réseaux locaux, en s’appuyant sur les corps d’inspection et les chefs d’établissement [3]. La « GRH de proximité » ne signifie pas pour autant la fin d’une politique nationale. Tout au contraire. Elle implique une prise en compte réfléchie, cohérente et harmonisée des différentes échelles d’analyse et d’action : écoles et collèges, « réseaux du socle » et circonscriptions ; lycées et CFA, réseaux de formation secondaire et supérieure et bassins (Alain Miossec). Elle n’ignore pas non plus ni les « fractures territoriales » ni la diversification des parcours professionnels.
8On ne peut faire l’économie d’une réflexion sur le recrutement des personnels et des enseignants en particulier. Quelle que soit la réponse apportée – et sans doute n’y a-t-il pas de réponse unique – on ne peut pas éviter la question lancinante des concours, de leur place dans le cursus d’un(e) étudiant(e), de leur organisation, et plus radicalement de leur existence : il faut « regarder la réalité sans frilosité et [de] ne pas s’enfermer dans les schémas de pensée établis » (Alain Boissinot). On doit se poser la question de l’organisation de la formation continue, dont la nécessité tout au long d’une carrière professionnelle est aujourd’hui reconnue tout en restant largement déficitaire (Ange Ansour). L’un des défis à relever par les nouveaux instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspe) est à coup sûr l’articulation entre les deux moments de la formation et les trois principaux opérateurs : université, académie, écoles/établissements/réseaux (Roger Fougères). Il faut également organiser le déroulement et l’accompagnement de parcours professionnels qui ont cessé d’être uniformes et ne sont pas nécessairement rectilignes (d’une « logique de carrière » on est passé à une « logique de parcours », J.-F. Cuisinier). L’ombre du « new public management » plane sur cette question. Pour les uns, il s’agit d’une exigence managériale, soucieuse d’efficacité et d’efficience, nullement incompatible avec la notion de service public et même indispensable à une véritable démarche démocratique. Pour d’autres, dénonçant le néo-libéralisme qui en serait la source d’inspiration, il s’agit d’une pure et simple remise en cause de la notion de service public. Pour d’autres encore, proches des précédents, il s’agit d’une notion déjà obsolète et mise en œuvre à contretemps (A. Taillefait). L’enjeu est de taille : il s’agit de mettre en place un dialogue régulier et confiant entre une institution qui anticipe, exprime ses besoins et impulse une politique nationale et des acteurs qui formulent légitimement leurs vœux. Pas plus que ceux-ci ne peuvent se limiter à la seule mobilité géographique – même si celle-ci peut être améliorée par l’utilisation d’un nouvel algorithme (Camille Terrier) – le dialogue à instaurer ne peut se confondre avec les rendez-vous de carrière mis en place dans le cadre des « Parcours Professionnels Parcours et Rémunérations » (PPCR), qui ont le mérite d’acter « le glissement historique d’une approche du métier par la qualification et le diplôme à une approche par la compétence et les parcours professionnels » (Léa Palet). C’est dans ce dialogue, individuel et collectif, que doit prendre place la question des pratiques réflexives, de l’évaluation et de la formation continue.
Une valorisation matérielle, symbolique et fonctionnelle des acteurs
9La valorisation des ressources humaines est sans aucun doute l’un des objectifs majeurs d’une GRH de proximité. Elle ne méconnaît pas l’appartenance à une équipe éducative. Elle s’appuie délibérément sur les « organisations apprenantes » que doivent être écoles, établissements et réseaux (R. Rakocevitch, Monica Gather Thurler). Il s’agit de rompre l’isolement, si souvent déploré par les enseignants français, de valoriser la réalité de l’équipe éducative et d’intégrer les attentes en matière d’affectation et de formation [4]. Elle est inséparable d’une réflexion sur l’évaluation, prenant en compte la réussite des élèves, la dimension collective et individuelle et s’appuyant sur une démarche réflexive des acteurs. Elle est fondée sur les valeurs du service public.
Perspectives et interrogations
10Ce colloque confirme donc le caractère fondamental de la valorisation des ressources humaines. Parce qu’elles sont au cœur de la relation pédagogique. Il s’inscrit délibérément dans une démarche à long terme, nécessairement inaboutie. Parce qu’elle n’entend pas se substituer à la réflexion et à l’action conduites par les acteurs eux-mêmes, individuellement et collectivement.
11De manière inattendue, il s’est déroulé dans une conjoncture tout à la fois particulière et significative. Au-delà des péripéties, variables selon les lieux, les moments et les acteurs, celle d’une interrogation sur l’égalité existant entre les territoires et leurs habitants, mesurée notamment à l’aune de l’accès aux services publics, au premier rang desquels se trouve précisément l’école. Celle d’une autre interrogation sur l’exercice de la démocratie où, là encore, l’école occupe une place singulière. Parce qu’elle en est le premier lieu d’apprentissage et d’exercice, y compris dans sa dimension utopique : celle d’un horizon, d’une espérance et d’une démarche. Celle, enfin, d’une interrogation sur la volonté et sur la manière de faire cause commune, res publica. Pour des raisons historiques, liées à la mise en place de la IIIe République, mais aussi pour des raisons profondes liées à son rôle initiatique dans l’apprentissage d’une démarche scientifique et d’une expérience culturelle, l’école, ici aussi, occupe une place à part. Une autre manière de rappeler l’importance de la question initiale et l’urgence d’y répondre de manière satisfaisante.
Notes
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[1]
Marie-Pierre Luigi, « Existe-t-il une politique de ressources humaines à l’Éducation nationale », Administration & éducation n° 159 (2018/3), p. 111-115.
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[2]
Géraldine Farges, « Tous professeurs, et maintenant ? », Administration & éducation n° 158 (2018/2), p. 59-64.
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[3]
De la gestion quantitative à la gestion qualitative des enseignants, IGEN/IGAENR 2019-091.
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[4]
Les mouvements académiques et départementaux comme outils de gestion des ressources humaines, IGAENR 2015-067.