Parce qu’ils y passent plus des deux tiers de leur temps, les lycéens aspirent à trouver dans leur lycée un lieu d’enseignement mais aussi de vie collective, propice à l’apprentissage de la citoyenneté et à l’exercice de la démocratie. Cependant l’élève, citoyen en devenir, continue d’évoluer dans un système qui sépare le temps de la classe du temps passé hors d’elle. La vie lycéenne n’échappe pas à ce cloisonnement et a du mal à trouver sa place légitime puisqu’elle est perçue comme contingente à la dimension éducative. Les résistances sont fortes ; pourtant, la démocratisation de la vie lycéenne est en marche.
Et si nous renoncions à une conception dépassée ?
1Pour le lycéen, l’établissement est une unité de lieu et de temps, traversée par une diversité d’actions. Il dit volontiers de son lycée qu’il est sa « deuxième maison », dans laquelle il trouve instruction et éducation. Pour lui, cette unité ne saurait nier sa personne, son identité, son intégrité. Qu’il entre en classe ou qu’il en sorte, il reste ce même individu qui se nourrit de deux espaces complémentaires. Pourtant, il perçoit nettement la vieille dissociation entre éducation de l’intelligence et éducation de la personne. Il en fait rapidement l’expérience, pour peu qu’il s’engage dans la vie lycéenne et porte un mandat d’élu ou qu’il prenne des responsabilités associatives au sein, par exemple, de la Maison des lycéens. Il s’aperçoit alors que ce qu’il entreprend hors de la classe, dans l’intérêt commun, se retourne vite contre lui : il doit se mettre à jour des cours manqués pour cause de réunions, courir après le temps, passer trop souvent pour un élève dilettante, voire absentéiste. Seul est épargné, plus chanceux, celui qui a le privilège d’appartenir à la catégorie des « bons élèves », alors traité avec plus d’indulgence.
2Pour donner place à la vie lycéenne, nous devons d’abord cesser d’opposer ce qui se passe dans et hors de la classe, la pédagogie et l’apprentissage de la citoyenneté, les apprentissages disciplinaires et les légèretés de la vie lycéenne. Sans cela, cette dernière continuera d’être une terre marginale, étrangère au fonctionnement de l’établissement. Il appartient à la communauté des adultes de lever ce malentendu. La politique d’un établissement doit afficher clairement, et en tout premier lieu dans son projet, que la vie lycéenne ne s’arrête pas à la porte de la salle de classe, qu’elle se nourrit des facettes réconciliées de la vie pendant les cours, de la vie scolaire et, plus largement, de la vie éducative. L’engagement personnel du chef d’établissement facilite grandement cette réconciliation, cette création de liens, ces passages entre adultes et lycéens : les élèves ont besoin d’une telle cohérence pour donner du sens à ce qu’ils font, elle nous est nécessaire pour pouvoir porter un autre regard sur eux, radicalement nouveau, plus global, plus pertinent, plus complexe.
Contraindre ou convaincre ?
3Pour ce faire, l’incantation ne suffit pas. Voilà plus de vingt ans qu’ont été publiés les textes officiels réglementant les droits et obligations des lycéens, définissant l’espace de la vie démocratique de l’élève. La volonté politique se heurte en ce domaine comme dans de nombreux autres à la culture institutionnelle. La photographie de la réalité actuelle des lycées renvoie un constat sévère : le chef d’établissement, l’équipe de direction, les professeurs sont souvent les grands absents sur ce terrain alors même que les lycéens sont en attente de leur accompagnement éclairé. Seul le Conseiller principal d’éducation semble plus volontiers prêt à se mêler de l’affaire et, de fait, les lycéens plébiscitent son aide. Ainsi, la vie lycéenne peine à trouver un espace d’expression reconnu par tous.
4C’est que les résistances culturelles, nous le disions, demeurent fortes devant toute forme d’autonomisation des élèves par la pratique effective de la vie démocratique : crainte de dérives d’une parole libérée, de débordements de tous ordres, de temps perdu pour les études, de remise en cause de la relation du maître à l’élève. Les lycéens, eux, expriment la demande récurrente d’être entendus dans les règles fixées, d’être force de proposition, de s’exercer à la vie citoyenne. Ils affirment, de manière appuyée, que l’essentiel est la relation aux adultes. Là encore, le chef d’établissement joue un rôle déterminant pour dénouer les peurs, les suspicions, les malentendus et pour rassurer devant l’inconnu. Sans son engagement visible, rien ne peut se faire durablement. La simple application des textes peut être source de conflits, ouverts ou silencieux : par exemple, donner la parole au vice-président du Conseil de la vie lycéenne en Conseil d’administration, ne pas l’interrompre, ouvrir le débat s’il y a lieu, suscite dans un premier temps chez nombre d’adultes des réactions incrédules, parfois courroucées, des conciliabules bruyants, des silences glacés, des sourires gênés ou narquois, c’est selon. Les représentants des enseignants ne sont pas les plus tendres. Arrive rapidement la tentation de l’amalgame : on parle de démocratie mais on entend « démagogie ». Il faut alors du temps, de la constance, de la conviction personnelle pour ne rien céder, pour expliquer inlassablement et susciter progressivement un changement de posture. Le chef d’établissement est celui qui trace la route, explicite les enjeux, légitime la parole lycéenne, suscite les situations de dialogue, de partage, avec les professeurs, avec ses collaborateurs, pour pouvoir rendre possibles ces avancées. Sa propre action doit donner à voir qu’il prend en considération la parole, les attentes, les projets, les initiatives des lycéens, dans le cadre réglementaire toujours mais au même titre qu’il le fait pour les autres adultes de l’établissement, et tout particulièrement pour les enseignants. Une place pour chacun et chacun à sa place : c’est ainsi que la communauté éducative évolue lentement vers une meilleure reconnaissance de la vie lycéenne.
Vertus de la vie lycéenne
5Nous devons replacer la question de la vie lycéenne et de sa démocratisation dans le projet d’une École exigeante mais bienveillante. Nous avons à considérer qu’elle s’accompagne d’une palette de dispositifs ou d’actions proposés pour favoriser un cadre positif pour les apprentissages. En effet, l’engagement des élèves dans la vie lycéenne s’inscrit dans le cadre des apprentissages : prise de parole, prise de notes, écoute de l’autre, conduite de projet, travail en groupe, gestion du temps… Les compétences ainsi acquises viennent aussi enrichir la classe et, souvent, soutenir une réussite scolaire en augmentant motivation, confiance en soi, goût d’aller de l’avant. Il faut rappeler combien la culture de responsabilisation et d’autonomie sert et la réussite scolaire et le développement personnel. Dans tous les lycées où la démocratie lycéenne s’est développée, chacun peut se féliciter des effets produits à moyen et à long terme : reconnaissance de l’élève en tant que personne, amélioration du climat de l’établissement, meilleure circulation de l’information, confiance renforcée entre les élèves, entre les élèves et les adultes, motivation plus grande, attachement plus fort au lycée…
6Puisque le professeur est « réglementairement » attentif à la dimension éducative du projet d’établissement, notamment à l’éducation à la citoyenneté, qu’il fait acquérir connaissances et savoir-faire, qu’il aide à développer l’esprit critique et l’autonomie de ses élèves, préparant ainsi au plein exercice de la citoyenneté, comment comprendre sa défiance, ou l’ignorance dans laquelle il se tient devant ce qui a trait à la vie lycéenne ? Pourquoi avoir peur de la démocratie lycéenne quand elle est l’une des réponses efficaces au bon fonctionnement de la classe, de la communauté scolaire et de l’établissement ? Elle permet d’afficher des valeurs, des objectifs et d’impliquer tous les acteurs pour les promouvoir et les partager. La relégation dont elle est si souvent frappée ne peut perdurer bien longtemps : le mouvement amorcé pour sa reconnaissance s’accélère et ne s’interrompra plus sauf à penser que l’École reste immobile face à une évolution qui traverse la société tout entière. Nous savons bien que tel n’est pas le cas.
Des pistes à portée de main
7Les textes sont là, nous l’avons vu, les résistances également. Cependant, des perspectives pour une démocratisation plus rapide de la vie lycéenne se dessinent.
8Si les lenteurs et les freins sont nombreux, les changements sont perceptibles. Les lycéens sont mieux informés de leurs droits et de leurs devoirs, du fonctionnement de leur établissement, mieux formés aussi à la pratique d’une démocratie vivante par le fonctionnement de leurs instances. Ils ont pour beaucoup compris que leur plein fonctionnement favorise l’expression et la participation de tous les élèves à la vie du lycée. Porter le projet de gestion d’une cafétéria, un projet d’amélioration de la demi-pension ou d’un internat, un projet d’aide humanitaire ou d’exposition artistique, peut mettre en action un lycée tout entier. Plus largement, donner son avis sur l’utilisation des heures d’accompagnement personnalisé, proposer des initiatives liées à l’orientation, à la répartition des heures d’enseignement, mettre en place un tutorat entre pairs, organiser un forum des métiers, peut placer les lycéens élus, puis nombre d’élèves, puis une bonne partie de la communauté éducative sur un terrain de dialogue, d’échanges, de conseils, d’élaboration concertée. Il est question ici de partage des lieux de parole et d’action sans que personne ne cède à la tentation d’être un autre.
9La citoyenneté du lycéen, on le sait, est amenée à s’élaborer au sein de différents espaces : dans les savoirs et leur transmission, dans le lycée vécu comme cité politique et dans la vie collective qui s’y déroule. Ainsi, si l’École n’est pas en elle-même une démocratie, elle est le lieu où la vie démocratique s’apprend. La vie lycéenne s’inscrit dans cet apprentissage d’une démocratie vivante, au même titre que le travail mené par les enseignants. Le lycéen se prépare à son rôle d’acteur social : pendant les cours d’éducation civique, juridique et sociale, pendant les recherches menées en Travaux personnels encadrés par exemple mais aussi dans sa contribution au travail du Comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté, dans son engagement dans le Conseil de la vie lycéenne, dans sa mission de délégué de classe. Une sorte de porosité démocratique est à l’œuvre, et, de plus en plus souvent, les enseignants en mesurent la portée : ils ont affaire à des élèves plus motivés, plus intéressés, plus ouverts au savoir. De même que le travail à conduire avec la vie scolaire leur est moins étranger, de même que l’équipe de direction n’est plus systématiquement cette administration dont il faut se méfier, nombre d’enseignants se sentent davantage concernés par une vie lycéenne devenue un peu plus familière : les Semaines de l’engagement en ont été une belle illustration où l’on a vu des élus lycéens intervenir dans les classes en même temps que leurs professeurs, leurs CPE et chef d’établissement. La conjugaison des efforts de tous a permis d’obtenir des résultats rapides, concrets.
10Oui, des pistes sont à portée de main. Ainsi, une lente évolution est-elle perceptible ; il devient plus aisé d’aborder ces pratiques nouvelles. Le système se réforme, se refonde et la démocratie lycéenne creuse sa place. La communauté scolaire comprend qu’elle a tout à gagner à faire sortir de l’ombre la vie lycéenne, que la rendre accessible au plus grand nombre d’élèves n’est pas si difficile. Elle doit admettre également, à bien des égards, qu’elle est un aspect de la réussite de notre propre système éducatif dont l’objectif est aussi de former des esprits critiques, autonomes, responsables et ambitieux pour le vivre ensemble. Nous sommes dans une période de transition où la vie lycéenne est sous la lumière, comme le montre l’Acte II dont le Ministère a fait une priorité.
11Au-delà, on peut penser que ce qui est dit ici de la vie lycéenne concernera sous peu, dans des formes, bien entendu, adaptées à l’âge des élèves concernés, les collèges et les écoles. Là où des conseils fonctionnent à titre expérimental, on peut mesurer les mêmes effets, sur le climat dans la classe, dans l’établissement, entre les élèves, entre les élèves et les adultes. Le bénéfice est identique en termes de confiance en soi, de confiance dans l’autre, d’estime de soi et de motivation tant on apprend en s’occupant directement de la vie de son établissement.
Encore un effort !
12Un fonctionnement apaisé, dans un établissement où s’exprime de manière ordinaire la vie lycéenne, participative et citoyenne n’est pas une utopie mais une nécessité. C’est bien d’un changement radical de la relation à l’élève qu’il s’agit plus que d’un changement de structure. De surcroît, donner ou rendre du crédit à la parole lycéenne ne sera, au fond, que se mettre au diapason d’autres systèmes scolaires, qui depuis longtemps ont fait de l’engagement et de sa valorisation une composante essentielle des différents cursus proposés à leurs élèves. Pour conclure, rappelons l’approche visionnaire de Langevin et Wallon. Dans le Plan du même nom, ils préconisent dès 1946 de susciter l’intérêt des élèves à la question démocratique « non par les seuls cours et discours » mais par des pratiques quotidiennes partagées.
13Il nous reste à faire descendre la vie lycéenne de l’Olympe des textes officiels jusque dans la réalité concrète et ordinaire de la vie des établissements. Allez, encore un effort !