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Article de revue

La fin des avant-gardes : les situationnistes et mai 1968

Pages 149 à 161

Notes

  • [1]
    Une première version de ce texte a été lue lors du colloque « mai 1968 en quarantaine » organisé à l’ENS-LSH (Lyon) par Boris Gobille, Emmanuel Renault et Anne Sauvagnargues les 26,27 et 28 mai 2008.
  • [2]
    Xavier Vigna, L’insubordination ouvrière dans les années 68, Rennes, PUR, 2008.
  • [3]
    René Viénet, Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations, Paris, Gallimard, 1968 (réédité sans nom d’auteur en 1998 par le même éditeur).
  • [4]
    Guy Debord, « Le commencement d’une époque », in Œuvres, Paris, Gallimard, 2004, pp. 917-963.
  • [5]
    Sur la question des rapports entre avant-garde, théorie et pratique et mai 1968 chez les situationnistes, voir Pascal Dumontier, Les Situationnistes et mai 1968 : théorie et pratique de la révolution – 1966-1972, Paris, Ivrea, 1995.
  • [6]
    Raoul Vaneigem, Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations, Paris, Gallimard, 1967. Guy Debord, La société du spectacle, Paris, Buchet-Chastel, 1967.
  • [7]
    René Viénet, Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations, op. cit., p. 22.
  • [8]
    Ibid., p. 15.
  • [9]
    Ibid., p. 17.
  • [10]
    Ibid., p. 22. Cela n’exclut pas que les personnes qui se sont appropriées les thèses de l’I.S. les aient soumises à des investissements politiques particuliers – mais il n’est pas certain que cela soit un problème pour les membres de l’I.S.
  • [11]
    Guy Debord, « Le déclin et la chute de l’économie spectaculaire-marchande », in Œuvres, op. cit., p. 703. Ce texte est à relire aussi pour sa critique toujours d’actualité des habituels discours sur les « émeutes urbaines ».
  • [12]
    Souligné par l’auteur. « Les luttes de classes en Algérie », I.S., n° 10 (mars 1966), repris dans Œuvres, op. cit., p. 728. On notera le détournement du titre de l’essai de Marx sur Les luttes de classes en France.
  • [13]
    Guy Debord, Œuvres, op. cit., p. 1083.
  • [14]
    Guy Debord et Gianfranco Sanguinetti, La véritable scission dans l’Internationale (1972), in Œuvres, op. cit., p. 1158. Le nom de Gianfranco Sanguinetti a été ajouté par Debord pour marquer sa solidarité avec ce situationniste italien expulsé par le gouvernement français en 1971. Le titre de ce texte est un nouveau détournement, allusion aux Prétendues scissions dans l’Internationale, texte rédigé par Marx et son entourage après l’exclusion de Bakounine et ses amis au Congrès de La Haye en 1872.
  • [15]
    Ibid., p. 1169.
  • [16]
    Ibid., pp. 1127-1128.
  • [17]
    Guy Debord, « L’avant-garde de la présence », I.S., n° 8, janvier 1963. Voir aussi le texte de Debord « L’avant-garde en 1963 et après », in Œuvres, op. cit., pp. 638-641.
  • [18]
    Guy Debord, « Le commencement d’une époque », in Œuvres, op. cit., pp. 932-934.
  • [19]
    Guy Debord et Gianfranco Sanguinetti, La véritable scission..., in Œuvres, op. cit., pp. 1158.
  • [20]
    René Viénet, Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations, op. cit., pp. 152-153.
  • [21]
    Ibid., p. 176.
  • [22]
    Guy Debord, « Le commencement d’une époque », in Œuvres, op. cit., p. 917.
  • [23]
    Id.
  • [24]
    Ibid., p. 928.
  • [25]
    C’est la thèse que développait en 1967 le fameux pamphlet De la misère en milieu étudiant…
  • [26]
    Guy Debord, « Le commencement d’une époque », in Œuvres, op. cit., p. 929.
  • [27]
    Voir en particulier René Viénet, Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations, op. cit., pp. 179-181 et Guy Debord, « Le commencement d’une époque », in Œuvres, op. cit., pp. 937-939.
  • [28]
    On trouve deux allusions au Bakounine jeune hégélien et à son article « La Réaction en Allemagne » dans Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations, op. cit., p. 57 (« La passion de la destruction est en même temps une passion créatrice », citation littérale de la fin de cet article) et p. 129 (sur le travail du négatif). Voir aussi la thèse 78 de La société du spectacle : « Tous les courants théoriques du mouvement ouvrier révolutionnaire sont issus d’un affrontement critique avec la pensée hégélienne, chez Marx comme chez Stirner et Bakounine ».
  • [29]
    Pour l’I.S., le mouvement anarchiste, comme composante du mouvement révolutionnaire moderne, est mort en Espagne en 1937. Sur les rapports théoriques entre Debord et l’anarchisme, voir La société du spectacle, thèses 91 à 94.
  • [30]
    René Viénet, Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations, op. cit., p. 143.
  • [31]
    Guy Debord, « Le commencement d’une époque », in Œuvres, op. cit. p. 963.
  • [32]
    D’où cette reformulation des rapports entre théorie et pratique dans le § 5 de ce texte : « Nous n’avons pas mis ‘dans toutes les têtes’ nos idées, par une influence étrangère, comme seul peut le faire, sans succès durable, le spectacle bourgeois ou bureaucratiquetotalitaire. Nous avons dit les idées qui étaient forcément déjà dans ces têtes prolétariennes, et en les disant nous avons contribué à rendre actives de telles idées […] » (Œuvres, op. cit., pp. 1089-1090).
  • [33]
    Ibid., p. 1114
  • [34]
    Ibid., p. 1129.
  • [35]
    Ibid., p. 1133.

1La place qu’occupent les situationnistes dans les commémorations récurrentes de mai 1968 est métonymique de la mise en quarantaine [1] générale que subissent ce qu’il est convenu d’appeler « les événements ». De même que le Mai ouvrier a longtemps été occulté au profit du Mai étudiant [2], de même la mémoire collective semble n’avoir retenu de la contribution situationniste aux événements (à son déclenchement, à son déroulement, mais aussi aux analyses qu’il a suscitées) qu’une version édulcorée, réduite en général à une sorte de critique artiste de l’ennui du quotidien (on retient qu’ils ont inspiré « Jouir sans entraves », plus rarement « Camarades, lynchons Séguy ! »), alors même que tous leurs textes, avant comme après mai 1968, se présentent comme des critiques en actes du capitalisme et développent des mots en faveur des conseils ouvriers et que plusieurs situationnistes en exercice (dont Guy Debord) ont été proches de la tendance Pouvoir ouvrier de Socialisme ou barbarie en 1960-1961 – puis s’en sont éloignés après y avoir reconnu une survivance du passé. Il n’est donc pas inutile d’évoquer la part qu’ont prise les situationnistes à mai 1968, d’interroger la valeur proprement théorique de leur analyse des événements, d’étudier également les éléments de théorie situationniste qui ont eu prise sur les événements de l’époque et qui leur ont permis de produire ces analyses, enfin, d’envisager l’effet de mai 1968 sur l’Internationale Situationniste.

LES SITUATIONNISTES EN MAI 1968 : THÉORIE ET PRATIQUE D’UNE AVANT-GARDE

2Deux textes rendent compte de la participation des situationnistes aux événements de Mai : le livre signé initialement par René Viénet, Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations[3] (en fait rédigé au cours de l’été 68 par une demi-douzaine de situationnistes), et le texte de Guy Debord « Le commencement d’une époque » [4] (publié dans le n°12 de l’Internationale situationniste – désormais I.S. – en 1969). De ces textes, on peut retenir deux séries de remarques, qui touchent au rapport des situationnistes avec le mouvement et aux caractéristiques spécifiques qu’ils y relèvent (et qui le constituent selon eux en événement révolutionnaire) – toutes remarques qui convergent dans une conception originale des rapports entre théorie et pratique [5].

3Les situationnistes sont d’abord fondés à souligner la part qu’ils ont prise aux prodromes des événements, que ce soit sur un plan théorique (avec la parution, en 1967, des deux principaux textes de théorie situationniste que constituent les livres de Raoul Vaneigem et Guy Debord [6] ) ou sur un plan pratique (avec le scandale de Strasbourg, en 1966, autour de la brochure De la misère en milieu étudiant, mais aussi avec le Groupe des Enragés, actif à Nanterre depuis le début de l’année universitaire 67-68 et qui s’inspirait largement des théories et des pratiques situationnistes). Dans le déroulement des événements eux-mêmes, leur contribution a quelque chose de remarquable, surtout si l’on tient compte de leur petit nombre : aux actions de sabotage à Nanterre, à la participation au premier Comité d’occupation de la Sorbonne, puis à la mise en place d’un Conseil pour le Maintien des Occupations (CMDO), il faut ajouter ce qui constitue leur contribution la plus visible au mouvement, à savoir la manière dont ils ont inspiré quantité de tracts (la pratique du détournement, appliquée notamment aux comics, ayant aussi une signification théorique et politique) et de gra?tis [7] et dont ils ont imprimé aux événements leur tonalité libertaire, s’exprimant non seulement par le refus de toute forme d’autorité (qu’elle soit professorale, politique ou syndicale), mais aussi par des revendications en faveur de l’autogestion et de la démocratie directe.

4Dans la manière dont les situationnistes rendent compte des événements, ils ne manquent pas aussi de souligner qu’ils ont été les seuls à les prévoir – non pas à prévoir la date à laquelle ils interviendraient, mais quelles seraient leurs caractéristiques essentielles : que le mouvement signerait le retour de la question sociale sous une forme renouvelée (c’est-à-dire sans lien direct avec une crise du capitalisme, mais au contraire dans le contexte d’un capitalisme surdéveloppé, dont il exprimerait le rejet total) et qu’il se construirait d’une manière sauvage, c’est-à-dire contre les bureaucraties syndicales et autres (y compris les embryons de bureaucratie que constitue selon eux la myriade de groupuscules gauchistes) – ce que l’on peut vérifier en lisant les textes produits par l’I.S. dans les mois et les années qui précèdent mai 1968. On pourrait se méprendre sur le sens de cette prédiction et l’identifier à celles qui ont été revendiquées par quelques figures intellectuelles de l’époque (notamment Edgar Morin), mais elle découle en réalité du rapport que les situationnistes entretiennent à la pratique politique et sociale : c’est parce qu’ils sont parvenus à caractériser les formes que prendraient désormais les révoltes contre l’ordre existant que les situationnistes ont pu y être aussi e?caces. De sorte qu’à ceux qui les accusaient depuis des années de ne pas dire en quoi consistait leur pratique, et de théoriser dans le vide, les situationnistes peuvent répondre que leur pratique, c’est le mouvement des occupations tel qu’il s’est développé en mai 1968.

5Il faut s’arrêter un peu sur la manière dont les situationnistes conçoivent les rapports entre théorie et pratique, car mai 1968 en fournit une illustration remarquable. On pourrait s’étonner en effet, malgré le succès grandissant des positions promues par l’I.S. dans les mois et les années qui précèdent mai 1968, de ce qu’un groupe restreint (et qui a beaucoup travaillé à le rester, en pratiquant régulièrement l’exclusion) et sans appui dans les milieux o?ciels ait pu inspirer un mouvement d’une telle ampleur. Mais, à suivre les situationnistes eux-mêmes, ce serait mal poser la question : ce succès tient au fait que leurs positions théoriques se sont trouvées dans une sorte d’a?nité élective avec de nouvelles pratiques sociales. C’est là un thème récurrent dans les textes situationnistes qui entourent mai 1968 – mais aussi un élément central de la théorie et de la pratique situationnistes. Contre l’idée naïve selon laquelle un tel mouvement pourrait avoir été dirigé (ou influencé), les situationnistes soulignent au contraire que leurs mots d’ordre n’ont été repris que parce qu’ils formulaient théoriquement une cohérence que poursuivait le mouvement pratique [8] : la théorie qui critique « les conditions d’existence inhérentes au capitalisme surdéveloppé » [9] n’est en fait que la théorie des grèves sauvages en Europe de l’Ouest (les émeutes de Caen, en janvier 1968, ou la grève de Rhodiaceta à Besançon en 1967) et des insurrections ouvrières en Europe de l’Est (le renouveau des conseils ouvriers à Budapest en 1956), ou plus exactement la théorie que ces mouvements appelaient, qui leur donnait leur légitimité. « La théorie situationniste est devenue une force pratique en saisissant les masses » ; parce qu’elle était aussi « la formulation théorique de ce qu’ils souhaitaient vivre » [10], nombre de manifestants en ont inscrit les thèses sur les murs.

6Cette question engage le statut d’avant-garde que revendique l’I.S. plusieurs années déjà avant mai 1968, sur un mode particulièrement original en tant qu’il combine les sens artistique et politique de cette notion, deux domaines dont les situationnistes ont notoirement refusé la séparation.

7Ainsi, dans le texte qu’il consacre aux émeutes d’août 1965 dans le quartier de Watts à Los Angeles, Debord a?rme que « c’est le rôle d’une publication révolutionnaire, non seulement de donner raison aux insurgés de Los Angeles, mais de contribuer à leur donner leurs raisons, d’expliquer théoriquement la vérité dont l’action pratique exprime ici la recherche » [11]. Ou encore, dans un texte rédigé au moment de la liquidation de l’autogestion par Boumédienne en Algérie, contre ceux (notamment les groupuscules gauchistes) qui estiment qu’il est prématuré de dire certaines choses aux masses, car elles ne sont pas prêtes à les entendre : « Il faut dire aux masses ce qu’elles font » [12]. Cette conception non-directive de l’avant-garde, il serait sans doute intéressant de la confronter avec celle qu’avaient d’autres groupes à l’époque – notamment l’UJCML, qui, partant de positions léninistes très a?rmées, a sans doute eu des pratiques beaucoup plus libertaires. Citons encore cette lettre du 11 novembre 1971 à Juvénal Quillet (l’une des figures du mouvement à Nantes) : « Le problème central est : comment une époque, c’est-à-dire sa pratique, trouve ses propres idées (donc les idées théoriques qui, elles-mêmes, n’ont pu venir que de cette époque, mais à travers diverses médiations forcément compliquées et périlleuses) » [13]. Il s’agit encore, écrira Debord en 1972, de faire « la théorie du moment même » [14] – et de rappeler le rapport qu’il avait présenté à la VIIe Conférence de l’I.S., et qui se concluait ainsi : « Si nous avons une certaine avance théorique en ce moment [juillet 1966], c’est le produit fâcheux de l’absence complète de la critique pratique de la société dans l’époque d’où nous sortons, et de sa dissolution théorique subséquente. Mais puisqu’il semble que la réapparition des luttes sous une forme nouvelle commence à confirmer nos positions aux nouveaux courants qui se cherchent dans la politique comme dans la culture, dans cette mesure nous sommes leur propre théorie inconnue. Cette tâche me paraît définir toute notre activité actuelle, et inversement rien ne peut être vraiment défini au-delà. Car, pas plus qu’il n’est question de prétendre à un monopole de l’excellence critique dans quelque domaine que ce soit, nous ne devons raisonner dans la perspective d’un maintien prolongé d’un quelconque monopole de la cohérence théorique » [15]. Notons que, déjà dans ce texte, le rôle dévolu à l’avant-garde ne consiste pas tant à diriger qu’à mettre en cohérence.

8Le texte qui synthétise la position de Debord sur ces questions se trouve, d’une manière tout à fait significative, dans la brochure qui signe la fin de l’I.S. : il s’agit du § 47 des « èses sur l’I.S. et son temps » dans La véritable scission dans l’Internationale, texte dans lequel Debord revient sur ce qui définit selon lui les tâches d’une organisation révolutionnaire. Ce texte tout à fait remarquable mérite d’être cité assez longuement : « Chaque fois qu’elle sait agir, elle unit la pratique et la théorie, qui constamment procèdent l’une de l’autre, mais jamais elle ne croit pouvoir accomplir ceci par la simple proclamation volontariste de la nécessité de leur fusion totale. Quand la révolution est encore très loin, la tâche di?cile de l’organisation révolutionnaire est surtout la pratique de la théorie. Quand la révolution commence, sa tâche di?cile est, de plus en plus, la théorie de la pratique ; mais l’organisation révolutionnaire alors a revêtu une tout autre figure. Là, peu d’individus sont d’avant-garde, et ils doivent le prouver par la cohérence de leur projet général, et par la pratique qui leur permet de le connaître et de le communiquer ; ici des masses de travailleurs sont de leur temps, et doivent se maintenir comme ses seuls possesseurs en maîtrisant l’emploi de la totalité de leurs armes théoriques et pratiques, et notamment en refusant toute délégation de pouvoir à une avant-garde séparée. Là une dizaine d’hommes e?caces peuvent su?re au commencement de l’autoexplication d’une époque qui contient en elle une révolution qu’elle ne connaît pas encore, et qui partout lui semble absente et impossible ; ici il faut que la grande majorité de la classe prolétarienne tienne et exerce tous les pouvoirs en s’organisant en assemblées permanentes délibératives et exécutives, qui nulle part ne laissent rien subsister de la forme du vieux monde et des forces qui le défendent » [16]. À suivre ce texte, Debord estime donc que l’I. S. a accompli sa tâche et qu’il ne lui reste plus qu’à disparaître. Il y a ici une cohérence très forte avec la manière dont l’I.S. définissait sa tâche dès janvier 1963 : « Comment allons-nous mettre en faillite la culture dominante ? De deux façons, graduellement d’abord et puis brusquement » [17].

9Ce qui se dégage de ces textes, c’est une conception de l’avant-garde qui se distingue rigoureusement, par exemple, des conceptions léninistes. L’époque révolutionnaire (celle qu’ouvre selon Debord mai 1968) est aussi l’époque de la fin des avant-gardes. Ce qui distingue une organisation révolutionnaire, ce n’est ni le caractère exclusivement pratique de son activité, ni son caractère exclusivement théorique, mais toujours une union de la théorie et de la pratique, union qui est elle-même modulée en fonction des conditions objectives (historiques) que l’histoire lui présente. Si l’I.S. peut se définir comme une avant-garde, c’est parce qu’elle s’est trouvée avoir une activité essentiellement théorique, dans une période qui semblait avoir conjuré toute forme de changement radical. Elle devait alors formuler un projet cohérent, porté par un petit nombre d’individus dont l’essentiel des activités consistait à communiquer ce projet et à montrer à son temps les conditions d’une révolution. Mais, dès lors que s’est manifestée à nouveau la possibilité de la révolution, les avant-gardes n’ont plus leur place, elles risquent au contraire (j’y reviendrai à propos de la fin de l’I.S. comme principal effet de mai 1968 sur les situationnistes) de dégénérer en embryon de bureaucratie.

LE MAI 1968 DES SITUATIONNISTES : AUTOGESTION ET DÉMOCRATIE DIRECTE

10Venons-en à la seconde série de considérations qui se trouvent dans les deux textes dont je suis parti et qui portent sur les caractéristiques essentielles des événements de Mai selon les situationnistes, à propos desquelles on trouve les formules qui paraîtront peut-être les plus extravagantes, qui sont en tout cas les plus provocatrices. Retenons deux thèses : mai 1968 constitue un événement révolutionnaire ; ce qu’il y a de révolutionnaire dans mai 1968, ce sont les occupations d’usine. En faveur du caractère révolutionnaire de mai 1968, Debord avance des arguments qu’on aurait tort d’écarter d’un revers de main. Ainsi, on ne peut juger de ce qu’une révolution en est une à son succès (puisqu’après tout, aucune révolution n’a réussi depuis les révolutions bourgeoises). Le fait que le pouvoir soit tombé ou pas ne peut être pris en compte (un putsch militaire n’est pas une révolution, et inversement on parle de révolution pour la Russie de 1905). Ce qui est essentiel en revanche, c’est que mai 1968 a constitué une « interruption essentielle de l’ordre socio-économique dominant » et a vu « l’apparition de nouvelles formes et de nouvelles conceptions de la vie réelle », ce qui signifie que la révolution est toujours révolution dans la révolution, elle présente des caractères nouveaux par rapport à celles qui l’ont précédée. Quoi qu’il en soit, la meilleure preuve du caractère révolutionnaire de mai 1968, c’est que les staliniens s’y sont opposés [18].

11Le trait le plus remarquable de l’événement révolutionnaire, ce qui le signale à l’œil de l’observateur et du stratège, c’est paradoxalement qu’il consiste en un renforcement de la nécessité. Dans le texte de 1972, Debord se réfère au tract du CMDO Pour les conseils ouvriers, daté du 22 mai 1968, qui prévoyait d’une manière très lucide les différentes possibilités qui s’offraient au mouvement, par un ordre décroissant de probabilités. Or cette prévision était possible parce que « le moment révolutionnaire concentre tout le possible historique de l’ensemble de la société dans trois ou quatre hypothèses seulement, dont on peut voir clairement évoluer à mesure le rapport de force, la croissance et le renversement ; alors qu’ordinairement la routine de la société est imprévisible... » [19]. Il faut d’ailleurs noter que, parmi ces différentes possibilités, le tract du CMDO pariait avec une remarquable lucidité sur des tractations avec les syndicats en faveur de la démobilisation des ouvriers et en échange d’avantages économiques, tout en laissant ouverte la possibilité d’une subversion généralisée (dans laquelle il invitait à s’engouffrer). Ces textes jettent un éclairage rétrospectif sur l’engagement d’un certain nombre de situationnistes, qui ont considéré que le mouvement révolutionnaire avait très peu de chances de l’emporter – mais dès lors que cette chance existait, il fallait la tenter : « Une victoire durable de la révolution n’était à nos yeux qu’une très faible possibilité, entre le 17 et le 30 mai. Mais, du moment que cette chance existait, nous l’avons montrée comme le maximum en jeu à partir d’un certain point atteint par la crise, et qui valait certainement d’être risqué ». Surtout, Debord ajoute : « Déjà, à nos yeux, le mouvement était alors, quoi qu’il pût advenir, une grande victoire historique, et nous pensions que la moitié seulement de ce qui s’était déjà produit eût été un résultat très significatif » [20].

12Ce constat va de pair avec une analyse du sens de la défaite, puisque défaite il y a eu : ce qui a provoqué la défaite du mouvement de Mai, ce ne sont pas tant ses caractéristiques essentielles (celles d’un mouvement pour le contrôle de leur propre histoire par les travailleurs, dans les conditions modernes du capitalisme surdéveloppé, ce qui implique un rejet de la domination marchande) que le poids mort du passé : aux obstacles extérieurs (maintien des bureaucraties syndicales et politiques, aveuglement des différents groupes gauchistes, qui pensent rejouer 1917 et crient à la trahison sans voir que syndicats et partis remplissent leur fonction) se sont ajoutés « les obstacles subjectifs propres au prolétariat », à savoir « le retard de la conscience historique », retard qui est le produit de « plusieurs décennies d’histoire contre-révolutionnaire » [21]. En somme, les prolétaires, en déclenchant une grève générale sauvage, en occupant leurs usines, n’ont pas eu conscience de ce qu’ils faisaient – et s’ils en avaient eu conscience, ce qui ne fut le cas que d’une minorité d’entre eux, ils seraient allés plus loin et auraient fait redémarré la production sur la base de l’autogestion – comme le dit l’un des textes du CMDO au moment des accords de Grenelle, « les patrons ne peuvent guère payer plus ; mais ils peuvent disparaître » [22].

13Si Mai 68 constitue à sa manière une révolution, il le doit cependant davantage à sa composante ouvrière qu’à sa composante étudiante. Ce qui est remarquable dans ce mouvement, soulignent avec constance les situationnistes, c’est qu’il s’agit de la plus grande grève générale d’un pays industriel avancé et, qui plus est, de la première grève générale sauvage, qui s’est accompagnée d’un mouvement d’occupations basé sur la démocratie directe et d’une disparition du pouvoir d’État pendant deux semaines ; tout cela constitue la plus importante expérience du mouvement prolétarien moderne [23]. En somme, ce que retient l’I.S. de ce que fut essentiellement mai 1968 (par différence avec ce qu’il fut apparemment), ce n’est pas la révolte étudiante, mais le mouvement des occupations, par delà les séparations entre étudiants et travailleurs, mouvement auquel il s’agit de fournir ses raisons. D’où la thèse à contre-courant (aussi bien de la lecture d’ensemble des événements que de la manière dont on restitue habituellement la participation des situationnistes) selon laquelle « les étudiants, comme couche sociale elle aussi en crise, n’ont été rien d’autre, en mai 1968, que l’arrière-garde de tout le mouvement » [24]. Cela ne signifie pas qu’aucun étudiant n’a participé à des choses intéressantes en mai 1968, mais que ce qu’ils ont fait en tant qu’étudiants a été dérisoire, du fait que le destin social qui est celui des étudiants (constituer l’encadrement de la société industrielle moderne – donc avoir moins d’indépendance encore que la petite bourgeoisie, mais davantage d’illusions sur cette prétendue indépendance [25] ) n’a pas été transformé – et, inversement, ceux qui ont fait des choses intéressantes en mai 1968 ne l’ont fait qu’en échappant à ce destin (mais parce que déjà, à l’instar du Groupe des Enragés de Nanterre, ils n’étaient étudiants que pour toucher les bourses). Cette analyse converge avec celle qui est faite des petits groupes gauchistes, qui jouent sur les deux tableaux : si le changement de pouvoir ne répond pas à leurs vœux, leurs membres participeront de toute façon à l’encadrement d’un fragment de la société ; et si ce changement se produit, ils constitueront les bureaucrates de la nouvelle société. Toutefois, ajoute Debord, ce n’est pas cela qui a produit la défaite du mouvement des occupations : « La déficience presque générale de la fraction des étudiants qui a?rmait des intentions révolutionnaires a été certainement, par rapport au temps libre que ceux-ci auraient pu consacrer à l’élucidation des problèmes de la révolution, lamentable, mais très secondaire. La déficience de la grande masse des travailleurs, tenue en laisse et bâillonnée, a été, au contraire, bien excusable, mais décisive » [26].

UN MARXISME DÉTOURNÉ

14La manière dont les situationnistes lisent la crise révolutionnaire de mai 1968 est indissociable du travail théorique qu’ils ont mené depuis plus de dix ans à ce moment-là. Ce travail théorique permet d’expliquer le succès de certains de leurs mots d’ordre. S’opposant à l’activité de tous les autres groupes (dont ils ne cessent de railler la vanité), y compris ceux qui se réclament de positions conseillistes [27], les situationnistes ont cherché à formuler, de plus en plus clairement à partir du début des années 1960, une critique totale de l’ordre existant qui se base sur une relecture et un prolongement original de la littérature révolutionnaire depuis 1840 (Marx et Bakounine, dans leur période jeune hégélienne notamment [28] ). À la lettre, il est erroné de présenter l’I.S. comme marxiste ou comme anarchiste, puisque ce type de caractérisation consiste pour elle à plaquer sur le mouvement révolutionnaire moderne des distinctions qui ne sont plus pertinentes et appartiennent en fait au XIXe siècle [29]. En revanche, il est juste de présenter le travail théorique de l’I.S. comme la rencontre et le prolongement de ce que la littérature révolutionnaire a produit de meilleur depuis le milieu du XIXe siècle. L’originalité théorique de l’I.S., c’est aussi qu’elle ne se soucie pas d’autoriser son discours au moyen de références théoriques (il lui importe peu de faire l’exégèse de Marx ou de Hegel, deux de ses références cardinales – ou de détenir la vérité sur les textes), mais qu’elle entretient un rapport vivant avec ces références théoriques, quitte, s’agissant de Marx, à reformuler Le Capital dans le langage qui est celui des Manuscrits de 1844. A ce titre, la lecture que les situationnistes proposent de Marx est délibérément hétérodoxe, non seulement parce qu’elle ne correspond pas aux différentes modalités d’orthodoxie qui règnent à l’époque, mais surtout parce qu’elle ne vise pas à établir une nouvelle orthodoxie, une nouvelle ligne théorique qui commanderait de lire de telle ou telle manière les textes de Marx.

15Rien ne témoigne mieux de ce rapport vivant à la tradition révolutionnaire que l’usage du concept d’aliénation dans les principaux textes théoriques situationnistes. Abondamment critiqué, en particulier par Althusser, comme appartenant à une période préscientifique de l’œuvre de Marx, ce concept a cependant rencontré un vif succès au cours des années qui entourent 1968, et il le doit pour partie aux textes situationnistes. Ce succès s’explique par le rôle que ces derniers lui font jouer en tant qu’opérateur permettant de penser la domination marchande comme relation hiérarchique à la fois dans la sphère de la production et dans celle de la consommation – le fait de critiquer ces deux sphères signifiant le refus de leur séparation. La vie aliénée est en effet la vie que mènent les travailleurs à la fois dans leur travail (où ils sont privés de la propriété de la production et de tout contrôle sur le sens de la production) et dans leurs loisirs (le monde de la consommation est un monde lui aussi dominé par le règne de la marchandise, où l’exposition de celle-ci – son spectacle – domine le consommateur et détermine sa vie). De ce point de vue, il est tout à fait significatif pour les situationnistes que nombre d’automobiles aient été incendiées en 1968 : « Les voitures automobiles qui cumulent en elles l’aliénation du travail et du loisir, l’ennui mécanique, la di?culté de se déplacer et la rogne permanente de leur propriétaire, attirèrent principalement l’allumette (on est en droit de s’étonner de ce que les humanistes, habituellement prompts à dénoncer les violences, n’aient pas cru devoir applaudir à un geste salutaire qui sauve de la mort bon nombre de personnes promises chaque jour aux accidents de la route » [30]. C’est dans le prolongement de cette réactivation de la notion d’aliénation qu’est utilisée la notion de misère, notion essentielle avant d’être quantitative, qui permet de subsumer aussi bien la pauvreté que le caractère misérable de la vie dans les sociétés d’abondance.

16Cette critique totale du capitalisme, centrée sur la notion d’aliénation, vise aussi les syndicats comme outils d’intégration de la classe ouvrière dans la société marchande et spectaculaire. Les syndicats sont en effet la représentation autonomisée de la classe ouvrière et la période où ils pouvaient jouer un rôle révolutionnaire est révolue. Pour reprendre une formule de La société du spectacle, on ne peut « combattre l’aliénation sous des formes aliénées ». On trouve chez les situationnistes, inséparable de leur reprise critique du concept d’aliénation, une critique de la bureaucratie, qui englobe aussi bien les bureaucraties soviétique et chinoise (la notion d’État ouvrier est pour eux une contradiction dans les termes) que le fonctionnement du capitalisme surdéveloppé et des instances qui en assurent la perpétuation. Le monde du travail est, lui aussi, dominé par une bureaucratie (les cadres) et, dans la domination marchande, syndicats et partis de gauche, loin de contrecarrer l’aliénation, y participent activement, en promouvant l’intégration des classes dangereuses. En somme, la critique de la représentation comme spectacle est aussi une critique de la bureaucratie comme mécanisme d’intégration délégué en direction de la classe ouvrière – c’est la bureaucratie du monde marchand intégrée par le prolétariat. À cela, les situationnistes opposent l’action spontanée des masses, avec sa naïveté et son enthousiasme, qui ont toujours été l’ennemie à abattre pour tous les pouvoirs (syndicats et partis compris).

MAI 1968 ET LA DISPARITION DE L’I.S.

17Si l’on considère les effets de mai 1968 sur l’I.S., il y a quelque paradoxe à ce que Debord ait intitulé « Commencement d’une époque » le texte où il analysait des événements qui allaient marquer le début de la fin de l’I.S. Mais ce texte se termine par la formule suivante : « Nous sommes désormais sûrs d’un aboutissement satisfaisant de nos activités : l’I.S. sera dépassée » [31].

18Trois éléments permettent de comprendre la disparition de l’I.S. après 68. Le premier, c’est qu’elle a accompli la tâche qu’elle s’était fixée (ce qui rejoint la question de l’avant-garde et de sa disparition nécessaire [32] ). Le deuxième, c’est l’apparition de « pro-situs » qui contemplent l’I.S. et, de ce fait, la transforment en objet de spectacle, en idéologie (ou en « situationnisme », terme que les situationnistes ont toujours vivement récusé), ce qui constitue une aliénation supplémentaire – c’est essentiellement cela que reconnaît Debord dans les années qui suivent 1968, raison pour laquelle il va s’employer à détruire l’I.S. Dans La véritable scission dans l’Internationale, Debord souligne que le « pro-situ » consomme de l’idéologie radicale, et cette « consommation spectaculaire de la radicalité idéologique, dans son espoir de se distinguer hiérarchiquement des voisins, et dans sa permanente déception, est identique à la consommation effective de toutes les marchandises spectaculaires, et comme elle condamnée » [33]. Comme l’indiquent les derniers paragraphes du texte, à travers l’apparition de ces « pro-situs », Debord craint que l’I.S. ne soit considérée comme un nouveau pouvoir. C’est le sens qu’il donne rétrospectivement aux nombreuses exclusions qui ont marqué l’histoire de l’I.S. : « Cette limitation devait bien davantage servir à garantir l’I.S. contre les diverses possibilités du commandement qu’une organisation révolutionnaire, quand elle réussit, peut exercer à l’extérieur. Ce n’est donc pas tant parce que l’I.S. est anti-hiérarchique qu’elle devait se limiter à un très petit nombre d’individus supposés égaux ; c’est bien plutôt parce que l’I.S. n’a voulu engager directement dans son action rien de plus que ce très petit nombre qu’elle a été effectivement anti-hiérarchiquue pour l’essentiel de sa stratégie » [34]. Il y a chez Debord le refus traduit en actes de devenir le dirigeant de quoi que ce soit – de l’I.S. (en 1969 il annonce qu’il ne dirigera plus la publication de la revue, au nom du principe démocratique de la rotation des tâches) ou d’un mouvement révolutionnaire au travers de l’I.S. D’où cette déclaration qui conclut le texte de 1972 : « Que l’on cesse de nous admirer comme si nous pouvions être supérieurs à notre temps ; et que l’époque se terrifie elle-même en s’admirant pour ce qu’elle est » [35]. Or, si l’on observe les thématiques des textes de Debord postérieurs à mai 1968, on se rend compte que celui-ci a préféré sabordé l’I.S. plutôt que d’y inclure les thématiques nouvelles qui se dégageaient à l’époque – notamment ce qu’on allait appeler écologisme : voir le texte « La planète malade », daté de 1971, ou encore cette a?rmation du texte de 1972 (§ 17) : « La pollution et le prolétariat sont aujourd’hui les deux côtés concrets de la critique de l’économie politique ».

19Prendre en compte l’activité, aussi bien théorique que pratique, des situationnistes autour de mai 1968 me semble in fine un remède e?cace contre la quarantaine dans laquelle on tient ces événements (pour les priver de leur jeunesse, aussi bien que pour les empêcher de continuer à produire leurs effets sur les jeunes générations présumées saines). Les textes situationnistes qui entourent 1968 constituent un instrument particulièrement décapant, qui permet d’éplucher les couches successives de discours dont ces événements ont été revêtus par les différentes tentatives, plus ou moins o?cielles, d’en falsifier la signification. Le grand mérite des situationnistes est non seulement d’avoir insisté, à l’instar des groupes gauchistes, sur le Mai ouvrier, mais aussi d’avoir cherché à penser mai 1968 comme un mouvement de rejet global de ce qu’ils appelaient la société spectaculairemarchande, et même comme l’esquisse de son dépassement. Que les espérances révolutionnaires qu’ils ont entretenues, surtout au cours des années suivantes d’ailleurs, n’aient pas été comblées ne signifie pas que les questions qu’ils ont posées ne restent pas les nôtres.

20Quant à l’analyse du mouvement étudiant qu’ont produite les situationnistes, derrière son caractère délibérément provocateur, elle me semble une prophylaxie particulièrement e?cace pour se défendre de l’un des effets induits par les commémorations de mai 1968. Outre que ces cérémonies permettent en général à quelques personnes ralliées à l’ordre établi de faire reluire leur glorieux passé, elles ont pour effet de faire honte aux jeunes générations de n’avoir pas vécu le grand événement, celles-ci intégrant ensuite l’idée selon laquelle, quoi qu’elles fassent, elles seront de toute façon en défaut. En montrant quelles ont été les limites du Mai étudiant (en particulier sur le plan de la formulation de buts clairs et en matière d’autoorganisation), les textes situationnistes sur mai 1968 permettent aussi de jeter un autre regard sur les luttes qui ont mis en mouvement la jeunesse ces dernières années – qu’il s’agisse de la remarquable organisation des assemblées générales qui ont fait vivre le mouvement du printemps 2006 ou de la piètre tentative de récupération à laquelle se sont livrées quelques vedettes fabriquées par le petit écran.

21Enfin, la pratique théorique des situationnistes dans les années qui entourent mai 1968 constitue un dépassement particulièrement fécond des clivages dérisoires entre marxistes et libertaires (qui est une manière de continuer à commémorer sans rien changer à rien), puisqu’elle s’a?rme conjointement comme un rejet du capitalisme et de la hiérarchie, dans de nouvelles conditions (celles du capitalisme surdéveloppé) qui commandent une révision critique de la théorie révolutionnaire. n

Notes

  • [1]
    Une première version de ce texte a été lue lors du colloque « mai 1968 en quarantaine » organisé à l’ENS-LSH (Lyon) par Boris Gobille, Emmanuel Renault et Anne Sauvagnargues les 26,27 et 28 mai 2008.
  • [2]
    Xavier Vigna, L’insubordination ouvrière dans les années 68, Rennes, PUR, 2008.
  • [3]
    René Viénet, Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations, Paris, Gallimard, 1968 (réédité sans nom d’auteur en 1998 par le même éditeur).
  • [4]
    Guy Debord, « Le commencement d’une époque », in Œuvres, Paris, Gallimard, 2004, pp. 917-963.
  • [5]
    Sur la question des rapports entre avant-garde, théorie et pratique et mai 1968 chez les situationnistes, voir Pascal Dumontier, Les Situationnistes et mai 1968 : théorie et pratique de la révolution – 1966-1972, Paris, Ivrea, 1995.
  • [6]
    Raoul Vaneigem, Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations, Paris, Gallimard, 1967. Guy Debord, La société du spectacle, Paris, Buchet-Chastel, 1967.
  • [7]
    René Viénet, Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations, op. cit., p. 22.
  • [8]
    Ibid., p. 15.
  • [9]
    Ibid., p. 17.
  • [10]
    Ibid., p. 22. Cela n’exclut pas que les personnes qui se sont appropriées les thèses de l’I.S. les aient soumises à des investissements politiques particuliers – mais il n’est pas certain que cela soit un problème pour les membres de l’I.S.
  • [11]
    Guy Debord, « Le déclin et la chute de l’économie spectaculaire-marchande », in Œuvres, op. cit., p. 703. Ce texte est à relire aussi pour sa critique toujours d’actualité des habituels discours sur les « émeutes urbaines ».
  • [12]
    Souligné par l’auteur. « Les luttes de classes en Algérie », I.S., n° 10 (mars 1966), repris dans Œuvres, op. cit., p. 728. On notera le détournement du titre de l’essai de Marx sur Les luttes de classes en France.
  • [13]
    Guy Debord, Œuvres, op. cit., p. 1083.
  • [14]
    Guy Debord et Gianfranco Sanguinetti, La véritable scission dans l’Internationale (1972), in Œuvres, op. cit., p. 1158. Le nom de Gianfranco Sanguinetti a été ajouté par Debord pour marquer sa solidarité avec ce situationniste italien expulsé par le gouvernement français en 1971. Le titre de ce texte est un nouveau détournement, allusion aux Prétendues scissions dans l’Internationale, texte rédigé par Marx et son entourage après l’exclusion de Bakounine et ses amis au Congrès de La Haye en 1872.
  • [15]
    Ibid., p. 1169.
  • [16]
    Ibid., pp. 1127-1128.
  • [17]
    Guy Debord, « L’avant-garde de la présence », I.S., n° 8, janvier 1963. Voir aussi le texte de Debord « L’avant-garde en 1963 et après », in Œuvres, op. cit., pp. 638-641.
  • [18]
    Guy Debord, « Le commencement d’une époque », in Œuvres, op. cit., pp. 932-934.
  • [19]
    Guy Debord et Gianfranco Sanguinetti, La véritable scission..., in Œuvres, op. cit., pp. 1158.
  • [20]
    René Viénet, Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations, op. cit., pp. 152-153.
  • [21]
    Ibid., p. 176.
  • [22]
    Guy Debord, « Le commencement d’une époque », in Œuvres, op. cit., p. 917.
  • [23]
    Id.
  • [24]
    Ibid., p. 928.
  • [25]
    C’est la thèse que développait en 1967 le fameux pamphlet De la misère en milieu étudiant…
  • [26]
    Guy Debord, « Le commencement d’une époque », in Œuvres, op. cit., p. 929.
  • [27]
    Voir en particulier René Viénet, Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations, op. cit., pp. 179-181 et Guy Debord, « Le commencement d’une époque », in Œuvres, op. cit., pp. 937-939.
  • [28]
    On trouve deux allusions au Bakounine jeune hégélien et à son article « La Réaction en Allemagne » dans Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations, op. cit., p. 57 (« La passion de la destruction est en même temps une passion créatrice », citation littérale de la fin de cet article) et p. 129 (sur le travail du négatif). Voir aussi la thèse 78 de La société du spectacle : « Tous les courants théoriques du mouvement ouvrier révolutionnaire sont issus d’un affrontement critique avec la pensée hégélienne, chez Marx comme chez Stirner et Bakounine ».
  • [29]
    Pour l’I.S., le mouvement anarchiste, comme composante du mouvement révolutionnaire moderne, est mort en Espagne en 1937. Sur les rapports théoriques entre Debord et l’anarchisme, voir La société du spectacle, thèses 91 à 94.
  • [30]
    René Viénet, Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations, op. cit., p. 143.
  • [31]
    Guy Debord, « Le commencement d’une époque », in Œuvres, op. cit. p. 963.
  • [32]
    D’où cette reformulation des rapports entre théorie et pratique dans le § 5 de ce texte : « Nous n’avons pas mis ‘dans toutes les têtes’ nos idées, par une influence étrangère, comme seul peut le faire, sans succès durable, le spectacle bourgeois ou bureaucratiquetotalitaire. Nous avons dit les idées qui étaient forcément déjà dans ces têtes prolétariennes, et en les disant nous avons contribué à rendre actives de telles idées […] » (Œuvres, op. cit., pp. 1089-1090).
  • [33]
    Ibid., p. 1114
  • [34]
    Ibid., p. 1129.
  • [35]
    Ibid., p. 1133.
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