Couverture de AATC_135

Article de revue

Les phases de développement de l'analyse transactionnelle, d'Eric Berne à nos jours

Pages 27 à 43

Notes et références

  • [*]
    Traduit et reproduit avec autorisation de l’auteur et de la D.G.T.A. Paru dans D.G.T.A. et Pabst Science Publishers, D-Langerid : « Leben und arbeiten in der Zukunft… Innovation mit Transaktions-analyse ».
  • [1]
    BERNE, E., The Mind in Action. New-York, Simon and Schuster, 1947.
  • [2]
    BERNE, E., La psychiatrie et la psychanalyse à la portée de tous (orig. 1957), Paris, Stock, 1975.
  • [3]
    BERNE, E., The Mind… ouvr. cité (n. 1).
  • [4]
    Ibid.
  • [5]
    BERNE, E., The Nature of Intuition. Psychiatric Quarterly, 23, 1949, pp. 203-226,
  • [6]
    BERNE, E., Concerning the Nature of Diagnosis. The International Record of Medicine, 165, 1952, pp. 283-292.
  • [7]
    BERNE, E., Concerning the Nature of Communication. Psychiatric Quarterly, 27, 1953, pp. 185-198.
  • [8]
    BERNE, E., Primal Images and Primal Judgement. Psychiatric Quarterly, 29, 1955, pp. 634-658.
  • [9]
    BERNE, E., The Ego Image. Psychiatric Quarterly, 31, 1957, pp. 611-627.
  • [10]
    Ibid.
  • [11]
    BERNE, E., Ego States in Psychotherapy. The American Journal of Psychotherapy, 11, 1957, pp. 293-309.
  • [12]
    BERNE, E., Transactional Analysis : A New and Effective Method of Group Therapy. Western Regional Meeting of the American Group Psychotherapy Association of Los Angeles, 1957.
  • [13]
    BERNE, E., (1961). Analyse transactionnelle et psychothérapie (orig. 1961), Payot, 1997.
  • [14]
    BERNE, E., Principes de traitement psychothérapeutique en groupe (orig. 1966), Lyon, Eds d’Analyse Transactionnelle, 2006.
  • [15]
    BERNE, E., Des jeux et des hommes (orig. 1964), Stock, 1998.
  • [16]
    BERNE, E., Que dites-vous après avoir dit bonjour ? (orig. 1972), Sand & Tchou, 1999.
  • [17]
    N.d.T. : née en 1938 à Berlin, psychologue, psychanalyste, professeur de psychologie clinique à l’Université de Münich, didacticienne. Beziehungsanalyse (Analyse de la relation), a été publié en 1984 aux éditions Suhrkamp, elle a également écrit Leben in Beziehungen : von der Notwendigkeit, Grenzen zu finden, Herder (Freiburg), 1996.
  • [18]
    BAURIEDL, Th., Beziehungsanalyse. Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1984.
  • [19]
    HOLLOWAY, W.H., Transactional Analysis : An Integrative View. Dans : Barnes, G. et al. (Ed), Transactional Analysis After Eric Berne, New-York, Harper’s College Press, 1977.
  • [20]
    BERNE, E., La psychiatrie… ouvr. cité (n. 2).
  • [21]
    BERNE, E., Transactional Analysis… ouvr. cité (n. 12).
  • [22]
    N.d.T. : Le titre original donné par Berne : Transactional Analysis in psychotherapy a été incorrectement traduit en Français, par Analyse Transactionnelle et psychothérapie.
  • [23]
    N.d.T. : dans RATH, I., Der verdrängte und vergessene Eric Berne - Seine frühen tiefen -psychologischen Konzepte. Manuskript, 2001, p. 224.
  • [24]
    WIRTH, H.J., Macht und Obermacht am Beispiel des 11. Septembers und des Irak Krieges. Dans : Springer, A. Gerlach, A & Schlösser A.M. (Edit.), Macht und Obermacht. Giessen, Psychosozial-Verlag, 2005.
  • [25]
    N.d.T. : Deutsche Gesellschaft für Transaktionsanalyse, Association Allemande d’Analyse Transactionnelle.
  • [26]
    N.d.T. : « L’abstraction réfléchissante » : http://www.fondationjeanpiaget.ch/fjp/site/accueil/index.php, Fondation Jean Piaget 2010.
  • [27]
    N.d.T. : en Allemagne l’organisation du système de santé n’est pas la même qu’en France et les caisses d’assurance remboursent les séances de psychothérapie, à certaines conditions précisées dans la législation.

1En quoi un hommage à Eric Berne peut-il se relier au thème de ce congrès, l’avenir et l’innovation (entendue comme renouvellement) ? Voici quelques repères pour faciliter l’accès à mon point de vue : « le changement commence chez le thérapeute », et voici la façon de reconnaître des expériences souvent douloureuses qui sont le signe d’un mouvement d’émancipation, dans lequel Eric Berne s’est engagé dès le début : par exemple dans le fait de rencontrer les patients sans a priori, et de solliciter leur propre responsabilité dans leur guérison (cf. l’annexe). À cet égard, l’analyse transactionnelle a besoin de changement par le renouvellement, pour être efficace dans le futur.

2Eric Berne a laissé en héritage de très nombreux idées et concepts, qui ont eu un effet innovant, mais qui ont subi des transformations au fil du temps, et qu’il convient d’interroger à nouveau aujourd’hui. Au-dessus de la communication, Eric Berne place la thèse selon laquelle on peut s’approcher avec succès de l’avenir pour exercer une influence sur le passé ; autrement dit, le passé et l’avenir se rejoignent ici et maintenant, se fertilisent mutuellement et peuvent avoir un effet de renouvellement (innovation).

3Mon intention est de retracer le processus de développement de l’analyse transactionnelle depuis son fondateur, Eric Berne, jusqu’à nos jours, d’en faire ressortir les lignes essentielles, de dessiner les perspectives d’un nouveau développement, d’apporter un éclairage sur l’essence de la personnalité d’Eric Berne telle qu’elle apparaît au travers de ses écrits, d’analyser le parcours de l’A.T. présent dans l’œuvre de Berne et dans la communauté des analystes transactionnels, et enfin, de me permettre de « penser ce qui n’a pas été pensé ».

4Pour ce faire, je vais me laisser guider par la représentation intuitive que Berne a de l’A.T., comme un système global dynamique (un organisme) qui se régule, se renouvelle et se développe selon des phases de différenciation, d’individuation et d’intégration, par un échange transactionnel avec son environnement.

5Le point de départ de ce voyage est l’œuvre fondatrice d’Eric Berne, The mind in action qui se présente sous quatre formes :

  • The mind in action[1], 1947,
  • A layman’s guide to psychiatry & psychoanalysis[2], 1957 et 1968,
  • Sprechstunden der Seele, 1980, traduction allemande de l’édition de 1968, agrémentée de « notes de bas de page pour les philosophes », qui contiennent des informations et des pensées importantes chez Berne.

6Ces quatre éditions montrent des phases dans la création d’Eric Berne, qui attestent du fait qu’il n’a pas renié ses racines psychanalytiques et que ses concepts transactionnels ne sont pas compréhensibles dans toute leur portée sans ces racines. L’analyse des œuvres de Berne et de celles qui lui sont postérieures, permet de distinguer, selon moi, les phases suivantes, qui se chevauchent et ne peuvent se séparer strictement :

  1. le fondement psychanalytique : l’arrière-plan psychanalytique d’Eric Berne, tel que présenté dans The mind in action[3] (en 1947),
  2. la relation thérapeutique : le passage de la psychologie du Moi à une « psychologie de la relation » (de 1947 à 1956-57),
  3. l’analyse transactionnelle en tant que psychothérapie : présentation de son propre modèle de la guérison psychothérapeutique (de 1956 à 1970),
  4. ce que ses "successeurs" ont fait ou non : l’époque postbernienne et ce qui s’est passé avec son héritage (à partir de 1970),
  5. la renaissance en tant qu’approche thérapeutique fondée sur la psychanalyse : les voies vers la reconnaissance de la psychothérapie comme étant scientifique (à partir de 1990).

1 – Le fondement psychanalytique

7The mind in action[4] fait partie des meilleures introductions à la psychanalyse freudienne, exempte de jargon obscur, et, à la lecture de cet ouvrage, on peut reconnaître nettement la perspective bernienne sur les êtres humains, ainsi que les modèles thérapeutiques qui en ont découlé plus tard.

8Par « the mind », (compris comme un concept englobant l’esprit, l’idée, la compréhension, les sentiments, le cœur), Berne entend la partie de l’être humain qui élabore de l’énergie mentale & psychique (des informations) comme réactions à l’environnement, et abrite des représentations (images) concernant lui-même, le monde et les relations avec les autres ; celles-ci s’activent lors de l’échange énergétique qui se produit dans l’environnement social. Ce sont ces « images » qui vont constituer la base du concept de Moi Enfant/Adulte/Parent, et de la théorie du Scénario formulée plus tard par Berne. C’est pour cette raison que ce livre peut être considéré, à juste titre, comme le fondement d’une « psychothérapie analytique transactionnelle » fondée sur une psychologie des profondeurs.

9C’est Abraham Arden Brill qui a rédigé la préface de cet ouvrage. Le psychanalyste Brill, âgé de presque quarante ans de plus que Berne, reconnaît à celui-ci une compréhension profonde de la psychanalyse freudienne et le décrit comme un jeune Freudien, capable de saisir la portée de l’ensemble du champ de la psychanalyse, dès ses origines et débuts, aussi bien que ses déviations.

10Mais qui est Abraham Brill ? Il fut l’un des premiers et des plus actifs introducteurs de la psychanalyse aux États-Unis. C’est lui qui a ouvert le chemin des conférences freudiennes de New York en 1909. En 1911, il fonda l’Association Psychanalytique de New York. La plus importante bibliothèque psychanalytique du monde se trouve à New York, et elle porte son nom : Abraham A. Brill Library.

2 – La relation thérapeutique

11Lors de cette phase, Berne se préoccupe des processus d’échange au sein de la relation thérapeutique, ce que l’on retrouve dans ses travaux portant sur l’intuition : -1. The nature of intuition[5], -2. Concerning the nature of diagnosis[6], -3. Concerning the nature of communication[7], -4. Intuition IV : Primal images and primal judgment[8], et -5. Intuition V : the Ego image[9].

12Trouver en quoi consiste l’essence de l’être humain a été une aspiration chez Berne durant toute sa vie. C’est ainsi qu’il a essayé de saisir l’être de ses patients, et qu’il détestait les décrire selon les catégories de la psychopathologie. En incitant les patients à prendre leur part de responsabilité dans le processus de guérison, il a insufflé un mouvement d’émancipation à la psychothérapie, qui, dans les phases ultérieures, s’est affaibli.

13Dans les trois premiers articles, il s’agit principalement de l’essence de l’intuition, du diagnostic et de la communication : il attribue à cette essence la signification fondamentale des processus d’échanges dans les relations interpersonnelles, et des réactions des partenaires de l’échange. L’essence du diagnostic réside, d’après Berne, dans l’empathie, même s’il ne le dit pas de façon aussi explicite. Dans la communication, Berne différencie l’aspect latent et l’aspect manifeste. Ce qui est manifeste, c’est ce que la conscience peut appréhender phénoménologiquement, et qui appartient, selon ma représentation de la « psyché », à l’ordre explicite de la psyché. Tandis que ce qui est latent appartient à l’ordre implicite de la psyché ; on peut en avoir connaissance, partiellement, grâce à des hypothèses, des théories. Pour Berne, les deux aspects vont de pair et ne sont pas séparables de façon stricte. Il l’exprime ainsi : « un message précis est psychologiquement impensable ». Cela rappelle le Principe d’incertitude exposé par Heisenberg, selon lequel une stricte séparation entre observé et observateur est impossible. Cela signifie également que, si l’on peut différencier les réactions des partenaires transactionnels, on ne peut pas, pour autant, les séparer strictement l’une de l’autre. En tous cas, Berne a ainsi posé les bases de l’échange transactionnel, à comprendre comme processus universel. Je reviendrai là-dessus plus loin et avec plus de précision.

14La représentation de la psyché par Berne, comme un organisme qui perlabore, stocke et remet à disposition les stimuli et les informations internes et externes, est à l’origine des concepts "d’images primaires", "jugements primaires" et "images du Moi". D’après lui, les images sont les résultats, engrangés et travaillés par la psyché, de processus de perception intuitifs. Les "images primaires" constituent une sorte de mémoire profonde fondamentale ; Berne les décrit comme étant des « représentations pré-symboliques des transactions interhumaines », elles comportent un aspect pulsionnel ainsi qu’un aspect de dynamique relationnelle. Les "jugements primaires", quant à eux, sont des « voies de compréhension » des événements relationnels, qui sont influencés, sélectivement, par les besoins archaïques et par les tendances perceptives. Quant aux "images du Moi", ce sont des perceptions qui, dans le cours de la thérapie, se forment principalement à travers le contre-transfert.

15Ces concepts sont un point de départ pour développer un méta-modèle de l’événement transactionnel, qui rend possible un examen détaillé de l’arrière-plan théorique. Berne en parle dans un travail ultérieur qui n’a pas été publié.

16Dans Intuition V : the ego image[10] et dans Ego states in psychotherapy[11], Eric Berne propose une relation entre un état du Moi archaïque, à la base d’une des fixations du Moi spécifique d’une étape de développement, et une image du Moi correspondante, qui est à envisager comme réaction contre-transférentielle dans le contexte de la relation thérapeutique.

17Je considère la trilogie « État du Moi », « fixation du Moi » et « image du Moi » comme étant le fondement d’une théorie transactionnaliste de la dynamique et de la structure de la personnalité.

3 – L’analyse transactionnelle en tant que psychothérapie

18Avec son article Transactional Analysis : A new and effective method of group therapy[12], Eric Berne entame une nouvelle phase de son œuvre, dans laquelle il expose les bases d’une nouvelle psychothérapie, sur laquelle l’ombre de sa non-acceptation par la communauté psychanalytique laisse une empreinte, et qui se termine par sa mort prématurée en 1970.

19L’esquisse présentée par Berne repose, bien qu’implicitement, sur l’arrière-plan des deux phases initiales ; tant dans la formulation de la théorie que des méthodes, Berne laisse de côté son bagage psychanalytique, ainsi que ce qui se passe entre patient et psychothérapeute, en termes de processus subjectifs mutuels d’influence relationnelle. Cela a pour conséquence d’orienter l’analyse des processus relationnels vers le niveau comportemental, que l’on va décrire en termes opérationnels (par exemple la « Formule J »).

20Jusque là, Berne pensait les catégories : ressentir, penser et agir en termes d’expériences subjectives, alors que désormais, il remplace « agir » par la catégorie « comportement », que l’on peut observer « objectivement ». Selon Wittgenstein, il s’agirait là d’une erreur de catégorisation, pouvant induire confusion et conclusions erronées.

21Dans la théorie du scénario de Berne, les fondements psychanalytiques, qu’il suppose connus, réapparaissent de façon manifeste, et il revient aux "images" dont il a été question plus haut, mais revêtues d’une autre signification (par exemple le Protocole, le Palimpseste). Dans cette phase, ses ouvrages principaux sont Analyse Transactionnelle et Psychothérapie[13], Principes de traitement psychothérapeutique en groupe[14], Des jeux et des hommes[15], et Que dites-vous après avoir dit bonjour ?[16] bien connus depuis.

22Il faut bien se rendre compte qu’il n’est resté à Berne qu’une douzaine d’années pour développer l’analyse transactionnelle en tant que processus thérapeutique. Son héritage peut être considéré comme une sorte de palimpseste, contenant ses innombrables idées et concepts, qui sont contaminés par des contradictions et des incongruités.

23Ce qu’on appelle le modèle structural de la personnalité, notamment, est problématique, et j’ai proposé à ce sujet des modifications dans de nombreux écrits. Mon point de vue est qu’Eric Berne a tenté une intégration de ses trois domaines de création dans son dernier opus traitant de la théorie du Scénario, mais qu’il n’y est pas parvenu. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce fait : il ne lui est pas resté assez de temps, son scénario ne le lui a pas permis, ou les deux.

24Lorsque Théa Bauriedl [17] évoque le caractère anal de l’analyse transactionnelle dans son livre Beziehungs analyse [18], il faut prendre cette critique au sérieux et la suivre.

25Pour partie, on peut aussi prendre cette critique du bon côté : en effet, les patients avec lesquels Berne voulait, à l’origine, mener un traitement psychanalytique, étaient principalement fixés dans leur développement aux phases orale et anale, sur lesquelles il a centré son approche thérapeutique. Les jeux psychologiques trouvent leur origine dans ces phases de développement. Eric Berne était lui aussi exposé à des réactions contre-transférentielles, de sorte que des parties manipulatoires se sont glissées dans la théorie et dans le maniement de la méthode. Ne le nions pas, Berne y est sujet, de par son propre scénario.

26Il me semble pouvoir déduire de l’étude de ses écrits, qu’il n’est pas parvenu à résoudre sa thématique œdipienne. D’ailleurs la théorie de l’analyse transactionnelle élaborée par Berne n’a pas atteint la phase œdipienne du développement, elle ne recèle rien qui soit comparable au Surmoi psychanalytique ; en effet, on ne peut considérer l’état du Moi Parent ou les parents internes que comme en étant les précurseurs. Sans un construit comparable au Surmoi, on ne peut pas aboutir à une intégration des parties antagonistes.

27Donnons maintenant la parole à William H. Holloway, en tant que témoin de l’époque, tel qu’il s’exprime dans : Transactional Analysis : An Integrative View[19] : « Je n’étais pas particulièrement impressionné par la personnalité de Berne, et je n’ai jamais eu l’occasion, contrairement à d’autres, de le connaître à titre amical. J’ai lu ce qu’il a écrit, et j’ai trouvé plusieurs de ses idées utilisables ». Plus loin : « Contrairement à une opinion largement répandue, les écrits de Berne offrent une preuve évidente de sa connaissance élargie et approfondie de la psychologie et des sciences connexes (le behaviorisme, les sciences sociales), de même que de la philosophie, de la religion et de l’histoire ». Plus loin : « Lorsque j’ai fait connaissance avec l’analyse transactionnelle et le vaste groupe des professionnels qui se considéraient eux-mêmes comme analystes transactionnels, j’ai été préoccupé par un mauvais usage de la méthode, par des personnes qui me semblaient dépourvues d’une compréhension en profondeur ». C’est, naturellement, un soupçon à analyser, qu’il faut suivre en termes de courants au sein même de la communauté des analystes transactionnels, et non pas en termes de fautes à attribuer à tel ou tel. Il s’agit là d’une réflexion et d’une analyse de ce qui a été omis, refoulé, pas vu, faussé, oublié, etc.

28À titre d’exemple, citons l’épigraphe de Berne A layman’s guide to Psychiatry & Psychoanalysis[20], qui a été supprimé, comme d’autres textes importants, dans les Sprechstunden der Seele[21].

29

« Rappelez-vous une chose, qui vous sera d’une grande utilité, quoi que vous puissiez penser de lui en tant que personne, et quoi que ses successeurs aient fait ou pas, Freud avait raison. C’est une formule magique que vous devriez toujours garder avec vous dans votre sac, et utiliser chaque fois que le sens commun fait défaut ».
Cyprian St. Cyr, Letters to my wife’s maid

30La postface n’autorise pas à conclure que Berne s’était détourné de la psychanalyse. À mon avis, elle recèle plutôt un message latent qu’on peut saisir comme un testament et un avertissement destiné à ses "successeurs". En effet, si on remplace la déclaration de Berne selon laquelle « Freud avait raison » par « Berne avait raison » alors s’ouvre, dans le cadre de référence de l’analyse transactionnelle, une signification nouvelle. Si Berne n’a pas voulu s’exprimer lui-même directement dans cet épigraphe (ce que je lui prête, connaissant sa complexité ironique) je l’ai posé comme hypothèse.

31

Prends en considération ce qui suit, cela te sera très utile : quoi que tu penses de lui en tant que personne, et quoi que ses successeurs aient fait ou pas, Berne avait raison. Ceci est une formule magique, que tu devrais toujours garder avec toi, et utiliser lorsque fait défaut une saine compréhension humaine (le sens commun).

32La morale de cette histoire étant : chaque fois que des incongruités, des contradictions, des obscurités apparaissent ou sont décelées dans les concepts théoriques ou dans la pratique clinique, cela a à voir, immanquablement, avec ce que Berne a dit et écrit au cours de ses trois phases de création ; c’est seulement ainsi que l’on peut leur donner de la valeur et les métaboliser, à partir de perspectives scientifiques élargies et actualisées.

Comment caractériser cette phase de l’œuvre d’Eric Berne ?

33Nous pouvons relever la capacité fondamentale de Berne à percevoir les phénomènes complexes, à en faire ressortir, intuitivement, le point central, à les décrire en termes de concept phénoménologique, et à développer des modèles de traitement destinés à modifier les états pathologiques.

34Durant cette phase, la préoccupation de Berne consiste à donner une forme plus économique à la psychothérapie, tant du point de vue du temps que de l’argent, ce qui fait passer au second plan la recherche sur la façon dont « le monde fonctionne au plus profond de lui-même ».

35Cela a des conséquences qu’on peut relever dans deux directions prises par Eric Berne dans sa construction théorique :

  1. le travail thérapeutique et la construction théorique se tournent vers ce qui se produit à l’extérieur, ce qui est observable, phénoménologique, plutôt conscient, ce qu’on peut saisir rationnellement ; la relation comme événement transactionnel réciproque y perd de sa signification
  2. l’intégration des divers concepts et techniques en un édifice théorique univoque est laissée de côté, ou impossible. En raison du manque d’un méta-modèle utile, pouvant servir à éclairer et à expliquer les processus interpersonnels et intrapsychiques sous-jacents et la communication interdisciplinaire, la recherche portant sur « l’essence de l’humain » passe à l’arrière-plan.

4 – « Ce qu’ont fait ou n’ont pas fait ses successeurs »

36Cette phase se distingue par la poursuite d’une différenciation et d’une affirmation de la théorie et de la praxis menée par les "successeurs", que j’ai eu l’occasion de vivre par moi-même, et que l’on peut plutôt qualifier comme un temps d’individualisation au sein de la communauté des analystes transactionnels, au cours duquel les forces centrifuges ont été prévalantes. Diverses écoles apparaissent, qui mettent l’accent sur des points et des préférences différents, souvent en lien avec des personnalités déterminées. Les champs d’application tels que la Guidance, l’Éducation, l’Organisation se développent, peut-être trop tôt et trop vite, avant que l’analyse transactionnelle n’ait pu se stabiliser en tant que psychothérapie. La formation dans les trois champs d’application est un succès fondé sur l’accompagnement aux métiers de base correspondants. Quant à la formation professionnelle pour devenir un psychothérapeute analyste transactionnel, elle ne fait pas l’objet d’une législation, dans la plupart des pays européens, ce qui fait qu’elle est proposée, comme c’est le cas dans les autres champs, à titre d’accompagnement professionnel. Les effets de cette évolution sur la théorie et la pratique seraient à analyser spécifiquement.

37Tout ceci active les forces centrifuges qui parcourent la communauté transactionnaliste, qui tente de contenir la "diversité" par une organisation rigide, mais pas dans l’unité. Cela a certainement été nécessaire, mais je l’ai parfois vécue comme trop rigide, trop autoritaire et inhibant l’évolution.

38Je voudrais proposer maintenant à titre d’hypothèse quatre mouvements qui m’apparaissent importants dans la période postérieure à Berne qui, d’après moi, mériteraient une réflexion au sein de la communauté des analystes transactionnels :

4.1 – Le déni des fondements psychanalytiques

39Dans un travail antérieur, j’ai émis l’hypothèse selon laquelle Eric Berne s’était éloigné de la psychanalyse à cause de la blessure infligée par sa non-acceptation par l’institution psychanalytique. Je voudrais vérifier cette vision aujourd’hui, même s’il est possible qu’il ait dépassé cette offense par la rationalisation, qu’on peut percevoir dans la formation de sa théorie. D’abord, Berne a placé au centre de son intérêt les techniques thérapeutiques phénoménologiques déjà mentionnées ; peut-être a-t-il été poussé, par manque de temps, à développer rapidement quelque chose de "particulier". Ces procédures, par exemple le travail de décontamination, se sont avérées particulièrement utiles dans le cadre des groupes de thérapie ; ses successeurs les ont discutées et développées, sans prendre en compte le socle psychanalytique bernien. En outre, à travers eux, on aboutit à une surestimation du recours aux procédés phénoménologiques au détriment des fondamentaux de la psychologie des profondeurs, qui permettent d’éclairer et de saisir les processus intrapsychiques et interpersonnels dans leur unité.

40Lors du congrès de l’E.A.T.A. à Vienne en 2001, j’avais annoncé un atelier portant le titre : Eric Berne, refoulé et oublié - ses concepts initiaux de psychologie des profondeurs. Ce titre a eu un effet puissant, personne n’est venu à l’atelier. Quelques années plus tard, j’ai même rédigé un écrit sur ce thème, en vue d’une publication ; je n’ai même pas reçu de message de refus. Abstraction faite de la formulation du titre et de ma personnalité, on ne peut nier qu’il s’agit là d’un signe de déni des fondements de la psychologie des profondeurs dans la communauté transactionnaliste. Deux autres indices peuvent être ajoutés : les concepts des Schiff fondés sur la psychanalyse manquent dans des présentations importantes de l’analyse transactionnelle.

41Quant à l’édition allemande, parue en 1968, de l’ouvrage A layman’s guide to psychiatry & psychoanalysis, on pourrait la décrire comme étant une véritable castration d’Eric Berne.

4.2 – La méthode est complétée

42Différents indices m’ont laissé l’impression que la psychothérapie en analyse transactionnelle était incomplète, insuffisante, qu’il lui manquait quelque chose. Comme je n’ai jamais eu cette impression moi-même, je suis allé explorer ce sentiment extéropsychique et j’ai trouvé quelques éléments dans ce sens. Ce qui m’a frappé d’abord, c’est le nombre considérable d’ateliers et de communications proposés lors des congrès, portant le titre : L’analyse transactionnelle et…, l’élément complémentaire pouvant être la Gestalt, le travail corporel, le Reiki, ou autre, comme s’il y avait quelque chose à compléter. Ce qui m’a déconcerté, ce n’est pas qu’il y ait un ou deux ateliers de ce type, mais qu’ils soient si nombreux, à tel point que j’en suis venu à m’interroger si cela pouvait avoir un rapport avec l’intention originelle de Berne : envisager l’analyse transactionnelle comme un complément à la psychanalyse. Le titre de l’ouvrage de Berne Transactional Analysis in psychotherapy[22] n’a pas un sens univoque ; quant à moi je parle de l’Analyse Transactionnelle en tant que psychothérapie. On pourrait penser que je coupe les cheveux en quatre, mais le diable se cache dans les détails. Comment se fait-il donc qu’une tendance à surestimer les effets de la méthode soit perceptible, qui sert de compensation à l’incomplétude ? Qu’est-ce qui manque vraiment ? Les arbres nous cachent la forêt, c’est-à-dire les fondements psychanalytiques et le concept de transactions sociales agissant sur un mode de réciprocité, présents lors des deux premières phases.

4.3 – La méthode est tirée vers la dimension fonctionnelle

43Lorsqu’on évoque les champs d’application de l’analyse transactionnelle, on conçoit aisément qu’il existe bien quelque chose d’applicable et pouvant également remplir une fonction. Le problème réside dans le terme "remplir une fonction", que Berne exprimait par "jouer un rôle". Mais laissons à nouveau la parole à Eric Berne [23] : « l’une des missions de la formation des psychothérapeutes consiste à trier entre les candidats qui veulent juste jouer le rôle d’un psychothérapeute, et ceux qui veulent être un psychothérapeute… »

44« Berne a raison ». « Être thérapeute » signifie employer le savoir et le savoir-faire thérapeutiques non pas de façon objectivante, mais dans la relation, pour subjectiver.

45« Remplir une fonction » signifie poser un acte pouvant avoir un effet aidant, non aidant, voire dommageable. Or lorsque les actes thérapeutiques n’émanent pas de l’Adulte intégré, c’est-à-dire qu’ils sont contaminés par l’archéopsyché ou l’extéropsyche, le risque existe qu’ils ne soient pas aidants ou soient dommageables, même si, à court terme, ils peuvent sembler avoir un effet aidant, du fait d’une suradaptation. C’est ce que j’appelle tirer la méthode vers la dimension fonctionnelle. De nombreuses méthodes et techniques isolées, non explicables ni compréhensibles par une théorie qui les chapeaute, recèlent le danger d’une dérive vers le fonctionnalisme et l’indépendance.

4.4 – Le trauma collectif de la non-reconnaissance

46On peut considérer le fait que Berne n’ait pas été admis dans l’association psychanalytique comme le revécu d’un trauma antérieur. Certains indices décelables dans son travail orientent vers l’hypothèse de mécanismes de compensation, par exemple des rationalisations renforcées, des tendances au clivage, une construction théorique hâtive, entres autres. Il est bien connu que les traumas non élaborés sont susceptibles d’être « reçus en héritage », en l’occurrence d’abord par les "successeurs" de Berne puis par la communauté transactionnaliste.

47Ainsi, il est permis de se demander dans quelle mesure la non inclusion de Berne dans l’association psychanalytique a un rapport avec la difficulté que rencontre l’analyse transactionnelle a être reconnue comme une discipline scientifique dans plusieurs pays.

48Ma thèse est la suivante : il existe unmythe de la non-reconnaissance, qui est transmis en tant que mémoire collective, et qui conduit à une traumatisation collective. Le trauma personnel de Berne devient un trauma collectif de la communauté transactionnaliste (seulement en Europe, ou peut-être seulement dans les pays de langue germanique ?)

49Pour étayer ma thèse, je voudrais me référer aux réflexions de Hans-Jürgen Wirth [24] sur le concept de trauma collectif et d’identité collective. Par identité collective, Wirth entend l’aspect de notre identité qui se réfère au collectif auquel nous nous sentons appartenir et qui, pour nos valeurs, nos convictions et nos émotions, revêt une signification centrale. Cette identité collective peut être blessée et traumatisée, même quand l’individu n’a pas directement été blessé physiquement ou psychiquement, c’est-à-dire que l’individu reste sain, mais qu’il est perturbé, voire traumatisé sur le plan de son identité collective. Toute identité durable est liée à une mémoire personnelle et collective, et à des souvenirs. Tandis que la mémoire personnelle est ancrée dans le cerveau et se maintient à travers les échanges sociaux auxquels la personne prend part, la mémoire collective n’a pas de substrat neuronal, et on en "hérite" sous une forme symbolique qui est objectivée par le truchement des mythes, textes, règles, lois, chansons entre autres, c’est-à-dire qu’elle est transmise de façon extéropsychique.

50Les membres de la communauté transactionnelle souffrent de la non-reconnaissance et de la non-inclusion dans la communauté des psychothérapeutes, ils portent en eux cette connaissance, qui, à son tour, influence la perlaboration intrapsychique. L’appartenance à la communauté fait endurer le trauma sur le mode héroïque (« Je suis fier d’être analyste transactionnel », « Je souffre pour une bonne raison, nous, nous avons une multitude de méthodes pratiques », « Nous sommes meilleurs que les autres, nous n’avons pas besoin de la psychanalyse », etc.)

51D’un autre côté, cela peut susciter des sentiments d’impuissance ou d’absurdité pouvant mener à une résignation collective, la volonté collective de reconnaissance et d’inclusion dans la communauté psychothérapeutique est traumatisée et perd sa force. Malheureusement, je ne perçois pas cette volonté au sein de la D.G.T.A. [25]

52En outre, il est un fait que les "analystes transactionnels" ont entrepris, au sein des divers champs d’application et dans divers pays, de remédier aux faiblesses de la théorie et de la praxis, et de continuer à développer celles-ci, en décidant quels centres de gravité doivent servir d’orientation, par exemple : l’orientation psychologie des profondeurs, l’orientation relationnelle, l’orientation intégrative, etc.

53De mon point de vue, il ne s’agit pas, la plupart du temps, d’une intégration à un niveau supérieur par abstraction réfléchissante dans le sens piagétien [26]. Car pour cela, il faudrait une méta-théorie concernant "l’essence" de l’homme, de la psyché, qui créerait une base de communication, ce qui est nécessaire pour aboutir à une reconnaissance scientifique par la communauté sociale et thérapeutique.

5 – La renaissance, en tant qu’approche thérapeutique fondée sur la psychanalyse

54Dans cette phase qui est en cours, où des voies vers la reconnaissance comme méthode de psychothérapie scientifique se sont ouvertes, et où, en relation avec cela, s’est engagé un combat pour une reconnaissance par les caisses d’assurances [27], je suis à la fois actif et passif.

55En Autriche, la formation professionnelle pour devenir psychothérapeute a fait l’objet d’une loi, et la psychothérapie par l’analyse transactionnelle comme méthode de guérison scientifique a fait l’objet d’une reconnaissance légale. Ce qui a conduit à des modifications de la formation, tant sur le plan légal, qu’en termes de contenus et d’organisation. En tant que praticien certifié par l’E.A.T.A., j’ai dû accomplir la transformation d’analyste transactionnel dans le champ de la psychothérapie, en psychothérapeute en analyse transactionnelle. Cette époque a été très conflictuelle, oscillant entre espoirs et déceptions ; pourtant, cela a vraiment valu la peine de clarifier et de préciser l’identité de psychothérapeute en analyse transactionnelle.

56Ce que j’entends par "renaissance", c’est une confrontation intensive avec l’œuvre globale d’Eric Berne et avec la situation actuelle de la psychothérapie par l’analyse transactionnelle, comme approche scientifique, c’est-à-dire -a. avec les fondements psychanalytiques, -b. avec la signification de l’intuition et de l’échange de transactions au cours de la thérapie, -c. avec le développement, la modification et, le cas échéant, la métabolisation des concepts théoriques et pratiques. Nous ne sommes pas encore allés assez loin, il faut hiérarchiser les résultats, et les rassembler en un édifice théorique univoque, permettant d’induire des critères d’évaluation spécifiques pour les actions thérapeutiques.

57Le point saillant est le principe hiérarchique qui vaut également pour l’analyse de l’existant, et qui repose sur des façons de voir universelles. Pour parler comme Berne, ces façons de voir reposent sur des processus de compréhension, c’est-à-dire sur des jugements primaires qui procurent une pré-sélection de la perception. Les philosophes pré-socratiques ont thématisé deux images primaires du monde (façons de voir), l’une étant la fragmentation, l’autre la totalité. Les tenants de chacune des conceptions se sont combattus durant des siècles jusqu’à ce qu’en Occident, la vision par fragmentation prévale. Les recherches récentes en physique, en biologie, en génétique et en épigénétique, entre autres, nous conduisent aujourd’hui toujours plus vers une vision du monde dynamiquement globale, dont on peut déjà trouver les prémices dans les réflexions de Berne sur l’essence de l’humain, l’intuition et la communication, même s’il lui arrive parfois de changer de vision sans motif.

58Ma proposition actuelle consiste à considérer, penser et représenter la psychothérapie par l’analyse transactionnelle sur la base d’un système (organisme) holistique (psycho)-dynamique, qui se développe, par l’échange de transactions, suivant les phases de la différentiation, de l’affirmation de soi et de l’intégration. L’échange de transactions est à envisager comme processus universel, organisateur fondamental de l’ordre explicite (phénoménologique), qui se déploie à partir de l’ordre implicite que nous, les humains, ne pouvons vraisemblablement pas saisir, juste approcher, par des hypothèses (théories).

59Ainsi la boucle est bouclée, je suis revenu à mon point de départ, celui d’une théorie de systèmes (organismes) holistiques dynamiques.

60Permettez-moi de conclure.

6 – Épigraphe

61Eric Berne est mort d’un arrêt du cœur, il y a quarante ans cette année. L’amour constituait un thème important dans son scénario. J’aimerais ici reformuler une phrase d’Albert Einstein, le concepteur de la théorie de la Relativité : « Comment se fait-il que personne ne me comprenne et que tout le monde m’aime ? » et la placer dans la bouche d’Eric Berne, comme une phrase fantôme : « Comment se fait-il que personne ne m’aime et que tout le monde me comprenne ? ».

62Je rends hommage à Eric Berne, en me confrontant à sa vie et à son œuvre, en me laissant toucher, je perçois mes réactions contre-transférentielles, et je métabolise les obscurités ou les contradictions en disposant à l’arrière-plan les connaissances actuelles.

Annexe

« Une initiation à Eric Berne, pour les profanes »

63L’année dernière, ma femme et moi sommes allés rendre visite à un couple d’artistes connus et âgés, avec lesquels nous avons discuté de Dieu et du monde. Durant ces conversations, portant entre autres sur la psychothérapie, ces amis nous ont demandé en quoi consistait l’analyse transactionnelle et en quoi elle se distinguait. Je transcris ici, de mémoire, la nature de notre échange :

64Le fondateur de la psychothérapie par l’analyse transactionnelle est Eric Berne. Il est né en 1910 à Montréal (Canada) fils de David et Sara Gordon Bernstein ; le père était médecin, la mère journaliste. Il a commencé à ressentir son ascendance juive dès sa jeunesse. Ceci a contribué à ce qu’il ne se sente plus en sûreté au Canada, et à son émigration aux États-Unis après avoir terminé ses études médicales. C’est là qu’il poursuivit sa spécialisation médicale en psychiatrie et en neurologie, qu’il obtint la citoyenneté américaine et prit le nom de Berne. Il entreprit une formation en psychanalyse. Son premier analyste didacticien fut Paul Federn, un disciple important de Sigmund Freud. Lors de la deuxième guerre mondiale, il a servi comme psychiatre dans l’armée américaine. Après la fin de la guerre, il a poursuivi son analyse didactique avec le psychanalyste Eric Erikson, et il est devenu neuropsychiatre diplômé.

65Eric Berne a travaillé en tant que médecin spécialiste et psychothérapeute dans des cliniques psychiatriques, il était touché par les souffrances indicibles des patients et a critiqué le climat autoritaire qui les entourait. Sa fibre sociale ne lui laissait pas de repos, et c’est ainsi qu’il investit toute son énergie dans le but de soulager la souffrance de ses patients gravement atteints. D’un côté, il se mit en quête d’une méthode efficace pour leur guérison, qu’il appela analyse transactionnelle, et, de l’autre, c’est l’amélioration de la relation patient-médecin qui lui tenait à cœur.

66Je voudrais donner maintenant des exemples représentatifs :

  • dans son service on ne devait parler des patients qu’en leur présence, et dans une langue qu’ils pouvaient comprendre.
  • sa capacité à saisir sur le mode intuitif des rapports complexes, et à les expliquer clairement, l’ont aidé à rendre ses diagnostics compréhensibles aux patients, notamment du fait qu’il a transformé les diagnostics psychiatriques en des diagnostics relationnels empathiques.
  • sa plus haute aspiration a été de rencontrer les patients sans préjugés, et de solliciter leur propre responsabilité dans leur processus de guérison.
  • il envisageait l’être humain comme un système énergétique, dans lequel les processus somatiques, émotifs et mentaux s’influencent réciproquement.
  • Berne était à la recherche de voies pour donner à la psychothérapie une forme plus économique, tant sur le plan du temps que de l’argent.

67Cela a suffi à ce couple d’amis artistes. Ils se montrèrent impressionnés par Eric Berne, principalement par son attitude vis-à-vis des patients, et ils furent d’avis que les aspirations d’Eric Berne étaient encore d’actualité de nos jours, puisqu’il s’agit d’un mouvement d’émancipation.

Notes et références

  • [*]
    Traduit et reproduit avec autorisation de l’auteur et de la D.G.T.A. Paru dans D.G.T.A. et Pabst Science Publishers, D-Langerid : « Leben und arbeiten in der Zukunft… Innovation mit Transaktions-analyse ».
  • [1]
    BERNE, E., The Mind in Action. New-York, Simon and Schuster, 1947.
  • [2]
    BERNE, E., La psychiatrie et la psychanalyse à la portée de tous (orig. 1957), Paris, Stock, 1975.
  • [3]
    BERNE, E., The Mind… ouvr. cité (n. 1).
  • [4]
    Ibid.
  • [5]
    BERNE, E., The Nature of Intuition. Psychiatric Quarterly, 23, 1949, pp. 203-226,
  • [6]
    BERNE, E., Concerning the Nature of Diagnosis. The International Record of Medicine, 165, 1952, pp. 283-292.
  • [7]
    BERNE, E., Concerning the Nature of Communication. Psychiatric Quarterly, 27, 1953, pp. 185-198.
  • [8]
    BERNE, E., Primal Images and Primal Judgement. Psychiatric Quarterly, 29, 1955, pp. 634-658.
  • [9]
    BERNE, E., The Ego Image. Psychiatric Quarterly, 31, 1957, pp. 611-627.
  • [10]
    Ibid.
  • [11]
    BERNE, E., Ego States in Psychotherapy. The American Journal of Psychotherapy, 11, 1957, pp. 293-309.
  • [12]
    BERNE, E., Transactional Analysis : A New and Effective Method of Group Therapy. Western Regional Meeting of the American Group Psychotherapy Association of Los Angeles, 1957.
  • [13]
    BERNE, E., (1961). Analyse transactionnelle et psychothérapie (orig. 1961), Payot, 1997.
  • [14]
    BERNE, E., Principes de traitement psychothérapeutique en groupe (orig. 1966), Lyon, Eds d’Analyse Transactionnelle, 2006.
  • [15]
    BERNE, E., Des jeux et des hommes (orig. 1964), Stock, 1998.
  • [16]
    BERNE, E., Que dites-vous après avoir dit bonjour ? (orig. 1972), Sand & Tchou, 1999.
  • [17]
    N.d.T. : née en 1938 à Berlin, psychologue, psychanalyste, professeur de psychologie clinique à l’Université de Münich, didacticienne. Beziehungsanalyse (Analyse de la relation), a été publié en 1984 aux éditions Suhrkamp, elle a également écrit Leben in Beziehungen : von der Notwendigkeit, Grenzen zu finden, Herder (Freiburg), 1996.
  • [18]
    BAURIEDL, Th., Beziehungsanalyse. Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1984.
  • [19]
    HOLLOWAY, W.H., Transactional Analysis : An Integrative View. Dans : Barnes, G. et al. (Ed), Transactional Analysis After Eric Berne, New-York, Harper’s College Press, 1977.
  • [20]
    BERNE, E., La psychiatrie… ouvr. cité (n. 2).
  • [21]
    BERNE, E., Transactional Analysis… ouvr. cité (n. 12).
  • [22]
    N.d.T. : Le titre original donné par Berne : Transactional Analysis in psychotherapy a été incorrectement traduit en Français, par Analyse Transactionnelle et psychothérapie.
  • [23]
    N.d.T. : dans RATH, I., Der verdrängte und vergessene Eric Berne - Seine frühen tiefen -psychologischen Konzepte. Manuskript, 2001, p. 224.
  • [24]
    WIRTH, H.J., Macht und Obermacht am Beispiel des 11. Septembers und des Irak Krieges. Dans : Springer, A. Gerlach, A & Schlösser A.M. (Edit.), Macht und Obermacht. Giessen, Psychosozial-Verlag, 2005.
  • [25]
    N.d.T. : Deutsche Gesellschaft für Transaktionsanalyse, Association Allemande d’Analyse Transactionnelle.
  • [26]
    N.d.T. : « L’abstraction réfléchissante » : http://www.fondationjeanpiaget.ch/fjp/site/accueil/index.php, Fondation Jean Piaget 2010.
  • [27]
    N.d.T. : en Allemagne l’organisation du système de santé n’est pas la même qu’en France et les caisses d’assurance remboursent les séances de psychothérapie, à certaines conditions précisées dans la législation.
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