Couverture de ARSS_230

Article de revue

Apprendre à servir et aimer servir

Les hôtesses de l’air en première classe

Pages 36 à 55

Notes

  • [1]
    L’apparition des compagnies low cost est plus ancienne pour certains auteurs ; aux États-Unis, par exemple, la dérégulation du transport aérien à partir de 1978 et la libre fixation du prix du billet ont abouti à l’émergence de compagnies à bas coûts sur les lignes intérieures dès les années 1970.
  • [2]
    Facundo Alvaredo, Lucas Chancel, Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Gabriel Zucman (dir.), World Inequality Report 2018, Cambridge (MA)/Londres, The Belknap Press of HUP, 2018.
  • [3]
    Thomas Piketty, Le Capital au XXIe siècle, Paris, Seuil, 2013 ; Luc Boltanski et Arnaud Esquerre, « “La collection”, une forme neuve du capitalisme. La mise en valeur économique du passé et ses effets », Les Temps modernes, 679, 2014, p. 5-72 ; Robert Salais et Michael Storper, Les Mondes de production. Enquête sur l’identité économique de la France, Paris, Éd. de l’EHESS, 1993.
  • [4]
    Dominique Memmi, « Le retour de la 3e classe ? Comment déclasser sans larmes dans le service public », La Vie des idées, 16 octobre 2018, http://www.laviedesidees.fr/Le-retour-de-la-3eme-classe.html.
  • [5]
    Luc Boltanski et Arnaud Esquerre, Enrichissement. Une critique de la marchandise, Paris, Gallimard, 2017.
  • [6]
    Il s’agit des compagnies aériennes historiques.
  • [7]
    « Les nouveaux espaces de voyage », Lettre d’information interne, avril 2004.
  • [8]
    Axel Honneth, La Société du mépris. Vers une nouvelle Théorie critique, Paris, La Découverte, 2006 ; Christelle Avril, Les Aides à domicile. Un autre monde populaire, Paris, La Dispute, 2014 ; Gabrielle Schütz, Jeunes, jolies et sous-traitées : les hôtesses d’accueil, Paris, La Dispute, 2018 ; Sylvie Monchatre, « Embaucher ou habiliter ? Recrutement et espaces de (non-)qualification dans l’hôtellerie-restauration », Travail et emploi, 155-156, 2018, p. 93-114.
  • [9]
    Lise Bernard, « Le capital culturel non certifié comme mode d’accès aux classes moyennes. L’entregent des agents immobiliers », Actes de la recherche en sciences sociales, 191-192, 2012, p. 68-85 ; Marlène Benquet, Encaisser ! Enquête en immersion dans la grande distribution, Paris, La Découverte, 2015.
  • [10]
    Arlie Russell Hochschild, The Managed Heart. Commercialization of Human Feeling, Berkeley, University of California Press, 1983 ; Thibaut Menoux, « La distinction au travail. Les concierges d’hôtels de luxe », in Maxime Quijoux (dir.), Bourdieu et le travail, Rennes, PUR, 2015, p. 247-266 ; Amélie Beaumont, « Le pourboire et la classe. Argent et position sociale chez les employés de l’hôtellerie de luxe », Genèses, 106, 2017, p. 94-114.
  • [11]
    A. R. Hochschild, ibid. Voir également Louis-Marie Barnier, « Personnel navigant commercial, d’un savoir intuitif à un savoir d’expertise », Formation-Emploi, 67, 1999, p. 25-46.
  • [12]
    L. Boltanski et A. Esquerre, Enrichissement…, op. cit.
  • [13]
    Les aliments sont servis sur un plateau-repas unique, en une seule fois, alors que les personnels navigants pouvaient « dégrouper » certains éléments du service en classe Économique (par exemple, chauffer les miches de pain dans les fours du galley – l’espace de préparation des repas – avant leur service).
  • [14]
    L. Boltanski et A. Esquerre, « “La collection”, une forme neuve du capitalisme… », art. cit., p. 15. Melissa Aronczyk, Branding the Nation. The Global Business of National Identity, New York, Oxford University Press, 2013.
  • [15]
    Rachel Sherman, Class Acts. Service and Inequality in Luxury Hotels, Berkeley, University of California Press, 2007 ; A. Beaumont, art. cit.
  • [16]
    Pour Sherman, la personnalisation du service renforce l’individualisation des relations ; en amenant les clients et les salariés à considérer leurs relations comme « individuelles », les interactions voilent alors leur nature de classe. C’est pourquoi, pour Sherman, le luxe prend la forme d’une croyance religieuse, c’est-à-dire d’une idéologie qui attribue aux individus leur place dans la société.
  • [17]
    Protocole de service sur long courrier, 2013.
  • [18]
    Voir l’entretien de Dominique Memmi dans ce même numéro.
  • [19]
    Les hommes sont également soumis à règles de « présentation et de mises en valeur », mais les consignes qui les ciblent explicitement sont moins nombreuses : mèches et pattes sont par exemple limitées, les ongles doivent être courts et nets, les tatouages apparents sont interdits ; seules les gourmettes discrètes sont autorisées.
  • [20]
    Maurice Delaigue, « Navigant commercial, un métier neuf », Étude interne de la compagnie, octobre 1982, p. 21.
  • [21]
    Le service des prestations restait alors l’apanage des stewards, recrutés en fonction de leur formation hôtelière (préparation, rangement, lavage éventuel de vaisselle, service en cabine).
  • [22]
    M. Delaigue, op. cit., p. 22.
  • [23]
    L.-M. Barnier, art. cit.
  • [24]
    Hélène Florence-Alexandre et Georges Ribeill, Le Personnel des compagnies aériennes : les évolutions majeures de l’après-guerre à nos jours, Mission de la recherche, Ministère des Transports, 1982.
  • [25]
    M. Delaigue, op. cit., p. 44.
  • [26]
    « Les nouveaux espaces de voyage », Lettre d’information interne, avril 2004.
  • [27]
    G. Schütz, op. cit., p. 24.
  • [28]
    Ibid., p. 24.
  • [29]
    L. Bernard, « Le capital culturel non certifié comme mode d’accès aux classes moyennes… », art. cit.
« Un jour donc, un passager mal élevé siffle une de mes collègues. La réaction de celle-ci ? “Oh monsieur, s’est-elle exclamée en se retournant, vous avez un petit chien ? Puis-je lui servir quelque nourriture ? »
(Hôtesse citée par Maurice Delaigue, « Navigant commercial, un métier neuf », Étude interne de la compagnie, 1982).
figure im1
CÉRÉMONIE de présentation du nouvel uniforme.
Archives personnelles, 1987.

1Parallèlement à l’essor des compagnies aériennes low cost qui gagnent des parts de marché [1] et desservent un nombre croissant de destinations, les entreprises de taxis-jets et les compagnies haut de gamme se sont multipliées en Europe, dans la péninsule arabique et en Asie. L’accroissement mondial des inégalités [2] s’accompagne d’un processus de bipolarisation du marché des biens et des services qui apparaît clairement dans le secteur des transports aériens [3]. Cette segmentation de l’offre – par le haut et par le bas – a été, depuis le milieu des années 2000, l’une des principales stratégies de l’entreprise étudiée dans cet article, qui se situe parmi les dix premières compagnies mondiales en termes de passagers transportés et qui constitue un fleuron historique de l’aviation civile. La mise en place de filiales « à bas coûts » et de vols charters saisonniers a été particulièrement commentée par la presse. Mais sur les lignes régulières long-courrier, qui représentent trois-quarts de l’activité, c’est la conquête d’une clientèle de luxe qui constitue le nouveau mot d’ordre. L’offre de service à bord des avions se diversifie et marque désormais plus ostensiblement les différences de classes de voyageurs. La premiumisation (ou montée en gamme) du service en Affaires (Business Class) et en Première (First) (extension des espaces, service « à la carte », accueil personnalisé au sol et à bord, etc.) s’accompagne d’évolutions inverses en classe économique (densification des sièges, réduction du nombre d’hôtesses et stewards par passager, service groupé). Pour Dominique Memmi, la démocratisation récente de l’accès à certains biens (ici l’avion, là la santé) semble ainsi aller de pair avec une segmentation sociale accrue, matérielle et symbolique, des usagers [4] qui signale, selon elle, l’émergence d’une troisième classe.

2Comment les personnels navigants commerciaux (PNC) qui travaillent dans les cabines de Première et d’Affaires prennent-ils en charge le service réservé aux clients les plus fortunés ? Comment sont-ils recrutés et formés pour « apprendre à servir et aimer servir » ? Quelles sont plus largement les conditions sociales de l’engagement corporel et émotionnel requis dans le service haut de gamme ? C’est à la production de ce service de luxe dans les cabines de Première et d’Affaires que cet article est consacré. Les évolutions récentes du capitalisme interrogent en effet les conditions de la « mise en service » des classes moyennes salariées, qui travaillent de plus en plus directement (dans le cadre de relations de face-à-face), et massivement, à la satisfaction des désirs des clients les plus riches [5]. La clientèle de luxe figure en effet au cœur de la nouvelle stratégie commerciale de l’entreprise étudiée et représente une part croissante de son chiffre d’affaires : « Alors que de nombreuses compagnies [6] ont décidé de supprimer leur classe Première, notre compagnie a fait le choix de maintenir une cabine Première sur sa flotte car les analyses de marché montrent qu’une cabine Première luxueuse a encore sa place dans notre stratégie commerciale et aura un effet d’image positif sur l’ensemble de la gamme ; qu’il existe un potentiel de trafic suffisant sur une vingtaine de lignes de notre réseau LC [7] ».

3Les travaux menés en sociologie du travail ont bien souligné l’ampleur des transformations qui touchent l’industrie des services depuis plusieurs décennies : la dégradation des conditions d’emploi, la multiplication des horaires atypiques de travail et le réaménagement des dispositifs de contrôle et de management affectent en premier lieu le personnel subalterne féminin et peu qualifié, souvent racisé, dans les secteurs du care[8], de l’hôtellerie-restauration, ou encore de la grande distribution [9]. Mais l’organisation du travail dans l’industrie du luxe repose sur d’autres spécificités qui modifient les termes de la relation avec la clientèle. Tout d’abord, le travail implique un fort engagement subjectif pour faire face à la variabilité de la demande des clients et répondre à l’exigence d’individualisation de la relation, à même de générer un sentiment d’exclusivité. Cette caractéristique du travail, qui apparaît centrale dans les enquêtes ethnographiques conduites dans les grands palaces et hôtels de luxe et participe en retour à la faible formalisation des tâches effectuées [10], semble « empêchée » dans la compagnie étudiée. À partir de 1980, comme dans de nombreuses autres compagnies aériennes, « l’accélération du rythme de l’industrie aérienne et la pression syndicale ont (en effet) réduit le jeu émotionnel promis – et effectivement fourni – à leurs passagers » [11].

4En outre, l’industrie du luxe repose traditionnellement sur une forte division des tâches, avec la mobilisation de corps de métier spécialisés (maîtres d’hôtel, œnologues, chefs de brigade, brigadiers, réceptionnistes, gouvernantes, etc.) à différentes étapes de la prestation. Cette organisation du travail préserve les employés qualifiés de l’exécution des tâches les moins « nobles ». Mais les évolutions du métier d’hôtesse et le huis clos de la cabine (qui implique un nombre limité de personnels à bord) changent le contenu du travail et de la relation de service. Les hôtesses exécutent désormais une série de tâches composites, des plus nobles aux moins nobles (veiller à la sécurité des passagers, faire la conversation aux clients les plus aisés, assurer leur confort, en même temps que servir les repas, nettoyer les toilettes à heure fixe, ramasser les déchets au sol, vider et remplacer les poubelles, etc.), ce qui rend leur travail spécifique par rapport à d’autres secteurs du luxe et questionne les conditions sociales de sa réalisation.

5Enfin, de nouvelles catégories sociales semblent désormais concernées par la prise en charge du service aux plus riches. La forte croissance du secteur du transport aérien a conduit à une diversification du recrutement des hôtesses par rapport à la figure historique de l’« hôtesse de bonne famille » des débuts de l’aviation commerciale. Par leurs conditions d’emploi (CDI), leur niveau de rémunération (variant entre 2 000 euros à 4 000 euros nets selon le grade, l’ancienneté et les indemnités de vol), leur niveau de diplôme (de bac+2 à bac+5, même si seul le baccalauréat est formellement requis), leur statut résidentiel (souvent propriétaires), les PNC appartiennent aux classes moyennes salariées, en dépit de leurs origines sociales relativement diversifiées. Ainsi, interrogeant les conditions sociales qui rendent aujourd’hui possible un tel service, cet article se détache d’une perspective microsociologique centrée sur les interactions (dans la cabine de l’avion) et les répertoires d’action, pour envisager les conditions structurelles de l’appariement entre salariés qualifiés et clientèle du luxe. Ce faisant, cet article contribue moins à une sociologie des métiers de service qu’à une sociologie des classes sociales soucieuse d’analyser la manière dont s’organisent et se recomposent les rapports de domination dans le haut de l’espace social [voir encadré « L’enquête et ses matériaux », p. 42 et tableau, p. 45].

L’enquête et ses matériaux

Cet article repose sur une enquête réalisée entre 2014 et 2017 dans une grande compagnie aérienne européenne. Plusieurs types de matériaux ont été collectés. Des archives et documents institutionnels (accords collectifs, protocoles de service, règles de port de l’uniforme, livrets/DVD de formation) ont permis de reconstituer les conditions de recrutement et de formation des PNC. Parallèlement, le fichier des ressources humaines fournit une sociographie des effectifs de PNC en poste dans la compagnie depuis 1998. Il comporte des données démographiques (âge, sexe, nombre d’enfants) et des données relatives à la carrière dans l’entreprise (grade, ancienneté, type de contrat, temps de travail, salaire) – mais aucune information sur le niveau de diplôme. Ce sont les entretiens biographiques réalisés avec les PNC (N = 30) qui ont donc permis d’accéder aux trajectoires sociales des personnels navigants ainsi qu’aux expériences de service. Dans notre corpus, ce sont essentiellement des femmes qui ont travaillé en Première. Représentant deux-tiers des personnels navigants commerciaux, elles constituent seulement la moitié des effectifs de cadres PNC. En complément, des archives personnelles de navigantes (photographies de cabines et d’escales, dossiers de carrière, grilles d’évaluation) ont pu être consultées. Enfin, deux rotations représentant un total de huit vols, quatre escales et un découcher, ont pu être observées ; portant exclusivement sur le service en classe économique et le poste de pilotage (en raison de la configuration des avions), elles sont peu mobilisées dans le cadre de cet article.
Pour finir, nous n’avons réalisé aucun entretien avec les clients, qui ne constituaient pas l’objet de notre enquête. Les clients sont saisis à travers les représentations que les PNC en ont ainsi que par la documentation commerciale de l’entreprise (enquête de clientèle, formation aux spécificités des pays et des secteurs de vol, etc.). La taxinomie « clients de Première » que nous utilisons au cours de cet article ne doit pas masquer la diversité interne de ce groupe, en termes de trajectoire sociale, de sexe, d’âge ou même de nationalité : la clientèle masculine composée des hommes d’affaires jouxte des personnalités politiques et médiatiques, ou encore des héritiers issus de grandes familles ou de dynasties princières.
Tableau

Caractéristiques sociodémographiques des enquêtés

PNC
N (effectifs)30
SexeFemme
Homme
18
12
GradeHôtesse/steward
Chef de cabine
Chef de cabine principal
14
14
2
Âge<35 ans
35-39 ans
40-44 ans
>=45 ans
1
5
9
15
Ancienneté dans la compagnie<10 ans
10-20 ans
>20 ans
1
16
13
Niveau de diplômeBac
Bac+2/3 (BTS, deug/licence)
Bac+4/5 (maîtrise, DESS/master)
6
19
5
Nombre d’enfants0
1
2
3 et +
9
4
11
6

Caractéristiques sociodémographiques des enquêtés

« Le luxe, c’est le service, pas le produit »

Le retour des espaces exclusifs et du nationalisme identitaire

6Renouvelant l’analyse critique du capitalisme, principalement centrée sur l’industrie de la banque et de la finance, Boltanski et Esquerre insistent sur l’importance de la forme « marchandise » et de la valorisation des biens matériels destinés aux plus riches. L’étude des choses matérielles, considérées comme centrale dans le style de vie des classes possédantes, apparaît particulièrement utile pour comprendre les transformations récentes de l’industrie du transport aérien [12]. Au tournant des années 2000, les nouvelles compagnies de la péninsule arabique se lancent les premières dans une quête ostentatoire du luxe et affichent leur distance avec la production standardisée du voyage de masse. Elles équipent leurs avions de salles de bains, de suites privées et de salons pour les voyageurs dits « haute contribution », substituant la location de chambres d’hôtel, à chaque fois unique, à celle de sièges d’avion. L’entreprise étudiée se distingue par la mobilisation d’un répertoire national historique fondé sur le classicisme, qui mêle à la quête du luxe le sens de la mesure et la valorisation des espaces dédiés à l’entre-soi. L’affichage des différences sociales s’y fait aussi nettement plus explicite, en réaction à la massification que le transport de passagers a connue au tournant des années 2000. Les biens et méthodes de service font alors l’objet de dispositifs narratifs qui visent à mettre en scène leur ancrage historique et leurs emprunts à la tradition aristocratique – autre manifestation centrale du développement de cette économie de l’enrichissement destinée aux plus riches.

7Ainsi, l’emprise au sol des cabines de Première augmente en même temps que leur aménagement crée les conditions d’une séparation continue entre les différentes catégories de voyageurs, du sol à l’avion. Les zones de contact sont réduites au minimum (issues de secours, portes d’accès à l’avion). Des rideaux épais et des séparateurs de cabines ont également été introduits pour favoriser l’intimité des passagers en Première. Ils prolongent les voies d’accès prioritaires qui les mènent de l’aéroport (où les attendent des services de prise en charge des salons VIP eux-mêmes compartimentés en différentes classes, et des files d’accès prioritaires pour le contrôle et la sécurité) à la cabine de l’avion :

8

« La nouvelle cabine propose ainsi 50 % d’espace supplémentaire. Elle se présente comme un salon lorsque les fauteuils sont en position assise et se transforme en huit espaces individuels évoquant le confort d’une chambre d’hôtel lorsque les fauteuils deviennent lits. […] À bord de la nouvelle cabine en Première, les voyageurs disposent d’une véritable suite « haute couture » promettant une intimité totalement préservée. Notre compagnie a habillé chacune de ses suites de rideaux épais, retenus par des embrasses en cuir. Concept unique et audacieux, ils permettent de s’isoler totalement ou partiellement, selon son envie. »
(Rapport annuel 2014)

9

« Depuis 2007, notre compagnie propose à ses clients de Première au départ de Londres, Paris, Bruxelles et Berlin un service au sol personnalisé et exclusif dès l’accueil en aérogare. […] Une centaine de personnels des équipes au sol de notre compagnie a été spécialement formée pour proposer aux clients Premium un service d’exception et leur faire vivre un moment de sérénité. »
(Rapport d’activité 2006-2007)

10La rénovation des cabines repose plus largement sur une stratégie commerciale de renationalisation identitaire – que la compagnie a parallèlement engagée à la privatisation de son capital. La réactivation de certains codes historiques du luxe est ainsi destinée à marquer plus ostensiblement le rang des passagers : établissement de partenariats avec des fleurons nationaux de l’industrie du luxe (maisons de haute couture pour les uniformes des hôtesses, parfumeurs pour les clients de Première, chefs étoilés et grands sommeliers pour les menus) ; mobilisation de savoir-faire artisanaux pour la réfection des cabines de Première et recourt à des matériaux « nobles » habituellement utilisés dans le garnissage du mobilier de style (cuir, essences de bois, velours, plumettes d’oie) ; restauration de l’étiquette et du service à l’assiette, dans le respect des « arts de la table ». Nappes blanches, assiettes en porcelaine, verres biseautés et couverts signés par des orfèvres nationaux remplacent le service groupé [13] du plateau-repas que la massification du transport aérien avait fini par imposer jusqu’à l’avant des avions. Au contraire, avec l’intensification des cadences et la massification des avions, le rôle « hôtelier » des hôtesses et stewards en classe Économique se limite à passer des plateaux et des boissons, puis à débarrasser et ranger, tâches plus quantitatives que qualitatives, nettement moins diversifiées.

11Au total, le luxe émaille toutes les dimensions de la cabine de Première et rappelle « la grande époque » de la compagnie selon une hôtesse de l’air, où l’aviation civile était réservée à une élite. « La confection et la mise en forme des différences et des identités » [14] apparaissent constitutives de cette premiumisation : elles célèbrent l’unicité du produit en même temps que celle du client qui le consomme. Le repas valorise le patrimoine culinaire national (gibiers, fromages affinés, vins de garde, etc.), et les nouvelles consignes de service en vol exigent la labellisation explicite des origines : l’hôtesse doit « désigner les aliments par leur nom précis, leur label et leur origine géographique » plutôt que par un terme générique (« telle volaille plutôt que poulet »), et présenter au client, « étiquette en avant », la bouteille en énonçant clairement les « appellations, cépages et millésimes ». Pour autant, la fascination que ces objets de luxe sont supposés exercer, et leur pouvoir distinctif, ne seraient rien si des employés n’étaient chargés d’organiser leur distribution et de les mettre en scène.

« Le grand service »

12Pour Françoise, qui a effectué toute sa carrière dans la compagnie avant de former les hôtesses à la Première [voir encadré « Caring smile », p. 43], le service constitue le principal marqueur des différences entre les compagnies et les classes de voyageurs, avant même la nature des produits servis à bord : « Le luxe, c’est pas le produit. Le produit de luxe, c’est toujours le même. C’est surtout le service », rappelle-t-elle avec détermination. Coûteux en personnel (par les effectifs mobilisés et le temps de formation), le service vise autant à marquer le rang des passagers qu’à créer les conditions d’une attention continue à leur égard. Mais la « tenue de service » qui a historiquement contribué au prestige de la compagnie, se heurte, selon Françoise, aux exigences croissantes de standardisation des protocoles de service ainsi qu’à l’objectif de réduction des coûts de production engagé suite à la privatisation de l’entreprise :

13

« Le marketing définit un produit de luxe, il le produit dans l’ensemble, mais après nous, en tant que PNC, on doit travailler une tenue de service. […] À l’époque, tu vois, on découpait le filet de bœuf devant le client. Tu avais des entrées avec le canard, c’était magnifique. C’était beau, c’était visuel. On faisait une découpe devant le client. Ça, c’était le luxe, tu vois ? (Elle commente la photo de services spéciaux sur les vols Afrique). Tu changeais les couverts ; tu faisais la découpe de la charlotte devant le passager ; tu lui offrais des fruits, le champagne… Après, ils se sont rendus compte que ça coûtait cher en Première le découpage, parce qu’il fallait au moins deux personnes au galley (espace de préparation des repas entre deux cabines de l’avion), parce que ça prend plus de temps de tout découper plutôt que de donner un plateau avec les portions déjà servies dans les assiettes. C’est là où moi je dis que la Première a perdu en qualité, pas gustative, mais disons… tout le cérémonial qui est autour du produit. »

« Caring smile »

Dans les consignes de service données aux personnels navigants, les registres moraux et techniques sont étroitement liés. Ils reposent sur la mobilisation de savoir-faire et de savoir-être socialement situés, que les livrets et les formations tentent de formaliser pour mieux contrôler leur mise en œuvre :
DO :
  • be impecccably dressed and well mannered : being impeccably dressed means looking immaculate and wearing the uniform in accordance with the uniform manuel ; look neat, adopt the right posture and follow the manual rules with respect to wearing the uniform, applying make-up, styline one’s hair and using accessories.
  • respecting the rule of etiquette : being well-behaved.
  • be warm and friendly : being courteous, friendly and tactful generates mutual respect ; smile naturally ; avoid cold and distant attitude ; avoid forced or mechanical smile ; don’t speak with an overly authoritative ton ; be discrete ; be polite, remain calm and don’t get flustered especially when difficulties arise.
Dans cet autre livret, les postures sont décrites et illustrées à l’aide de photographies. Il s’agit de « souhaiter la bienvenue en français, à chaque client, avec le sourire et en le regardant dans les yeux » ; « orienter le client dans la cabine avec une gestuelle ouverte, paume de main ouverte en direction de la cabine » ; « le PNC présente systématiquement le menu ouvert, puis poursuit avec une phrase de présentation : monsieur, voici le menu de la cabine Business. Vous y découvrirez nos suggestions du jour » ; « offrir les prestations, boissons et repas avec le sourire, les positionner sur les tablettes avec une gestuelle élégante et délicate ». En dehors des heures de service, il faut « avoir spontanément un mot gentil, adapté, un geste d’accueil, un signe d’empathie » ; « échanger, créer un lien, faire plaisir », « personnaliser le contact », « répondre aux besoins spécifiques de chaque clientèle ; avoir le sens du détail à chaque instant » ; « à l’office, accueillir le client avec un sourire, un mot gentil, interrompre les tâches en cours pour se consacrer à ses attentes ».
Les livrets de formation précisent désormais le niveau d’engagement émotionnel requis dans la relation avec le client, selon une échelle à quatre niveaux, des postures les plus artificielles (couleur rouge) aux plus naturelles (couleur verte). En bannissant les sourires « mécaniques » ou « forcés » pour valoriser le « sourire authentique » et engagé (« caring smile »), les hôtesses et les stewards sont censés témoigner du plaisir qu’ils prennent dans leur travail, au contact des clients aisés (« servir et prendre plaisir en servant »).

14Les archives de l’entreprise montrent que la standardisation des méthodes de service répond à l’insatisfaction croissante que la clientèle d’affaires avait exprimée dans les enquêtes commerciales au milieu des années 2000, alors que de nouvelles entreprises concurrentes se positionnaient sur le secteur du luxe et que la compagnie perdait des parts de marché. La définition de nouveaux protocoles de service visait à produire ce service individualisé, à la carte, en même temps qu’à garantir une qualité de service constante entre les équipages (qui changent à chaque vol) et les secteurs géographiques (sur le long courrier). Chaque geste (chauffer le pain, servir le thé, etc.) a ainsi été décomposé afin de pouvoir évaluer sa faisabilité et de faire l’objet de négociations entre les syndicats et la direction quant aux modalités concrètes de sa mise en œuvre (nombre de salariés affectés par cabine, etc.). Dans le même temps, l’établissement de protocoles de service minutés, décomposés en une série de gestes et de postures photographiées (ou filmées), semble contrevenir à certains traits constitutifs du service de luxe et empêcher sa bonne exécution. Elle réduit la disponibilité temporelle que l’hôtesse peut accorder à chaque passager, pourtant nécessaire à la réalisation d’un service sophistiqué et personnalisé – là où l’organisation du travail dans les palaces prévoit un certain degré d’autonomie des salariés en front office pour faire face à la variabilité des demandes des clients [15]. En outre, la formalisation des postures et la réduction des répertoires d’action autorisés en cabine exigent la mise en œuvre d’efforts supplémentaires pour s’y conformer – là où la clientèle de luxe aime à valoriser la spontanéité et l’authenticité des relations. Cet idéal d’authenticité contribue en effet à naturaliser les rapports de subordination et à les rendre acceptables [voir encadré « Caring smile », p. 43] : le client doit s’imposer par sa grandeur morale et non par sa grandeur économique [16].

figure im2
SERVIR EN PREMIÈRE à « la grande époque ».
Archives personnelles, 1982.
figure im3
LES NOUVEAUX PLANS de cabine.
Dessins. © Collectif CLEBS. Créé en 2015, CLEBS explore et insiste. CLEBS est un collectif composé de dessinateur·trice·s contribuant à des fanzines, expositions et événements sur des thématiques variées (bande dessinée, cinéma, théâtre, musique, recherche). Ont participé aux illustrations de ce présent numéro : Michel Carton, Julia Legrand, Camilla Pizzichillo et Haude Rivoal.

« Toutes ces petites choses » : produire et contrôler le sens du placement

15Dans l’histoire de la compagnie, les méthodes de service et les règles de port de l’uniforme ont très tôt fait l’objet de définitions et de formalisations. Le premier « manuel d’habillement » pour les hôtesses et stewards a été mis au point en 1959 et, après 1970, les méthodes de service sont de plus en plus détaillées et codifiées. Les documents et livrets se sont vus enrichis de nombreux supports visuels (photographies, schémas, plans, cassettes audio, puis vidéos et DVD à partir des années 1990), en complément des formations en situation (dans des maquettes d’avion) que les PNC effectuent lors de leur prise de poste (entraînement au service, cours de maquillage, etc.). L’analyse de ces documents de formation fait apparaître deux évolutions majeures. Les modèles de phraséologie ne sont plus ciblés sur certaines étapes clés du service, par exemple l’accueil à bord et la prise de commande, mais ils englobent désormais l’ensemble des « temps morts ». Des « balises de service [17] » définissent ainsi les postures à adopter lors des périodes de relâchement que constituent les pauses au galley ou aux postesrepos, pour les transformer en temps productif : le PNC doit faire montre de sa disponibilité, être prêt à servir et à rendre service, tout en sachant se faire oublier. Ce service renoue avec certains aspects traditionnels de la domesticité (disponibilité extensive, dévouement, déférence), mais aussi avec la figure du « valet », ce domestique savant ou éclairé, à même de nourrir une conversation mondaine quand il est sollicité par ses maîtres [18].

16En outre, les dispositifs de formation ne sont plus exclusivement ciblés sur la maîtrise des codes de la gastronomie (règles d’accord mets vins, etc.), des savoir-faire qui les accompagnent (découpe des viandes et fromages, etc.), et des règles de présentation de soi, directement empruntées aux codes esthétiques de la bourgeoisie (coiffure courte montrant une nuque dégagée ou cheveux attachés, maquillage discret et obligatoire, ongles vernis transparent, parfum peu sucré, bijoux en or ou en argent peu nombreux pour les femmes) [19]. Au contraire, les dispositifs de formation et d’évaluation cherchent désormais à contrôler l’ensemble des savoir-être qui confèrent le sens général du placement dans l’espace : la gestuelle, le port de la tête, la tonalité et le volume de la voix, l’orientation du regard, la distance entre le corps du client et celui de l’employé, et même l’intention émotionnelle, sont explicités pour produire un mode de présence diffus, caractéristique de la domesticité [voir encadré « Caring smile », p. 43].

17La perception de ces nouvelles consignes de service et de leur emprise sur les pratiques concrètes de travail apparaît relativement confuse et les gestes et attitudes, difficiles à nommer pour les PNC qui sont chargés de les mettre en œuvre, tant ils concernent les aspects les plus informels de la relation. Paul, chef de cabine sur long courrier, âgé d’une cinquantaine d’années, originaire d’un milieu populaire de l’Oise, apparaît peu à l’aise quand il s’est agi de les désigner : « Ce n’est que des petits mots, des petites attentions, un tas de… un tas d’attitudes que tu peux avoir face à un client… faire goûter les vins, lui proposer… faire plaisir… porter attention… C’est toutes ces petites choses. Donc ils veulent que nos attitudes changent, nos comportements changent, toujours vers le haut de gamme, le luxe. Certes il y a à changer… Mais on ne peut pas tout faire, on ne peut pas le faire. »

18La formalisation des procédures de service s’est ainsi imposée en réaction au développement du transport aérien et à la massification de l’emploi. Mais la maîtrise des codes et règles de service en usage dans la bourgeoisie devient plus incertaine à mesure de la « banalisation » du métier d’hôtesse et de l’ouverture sociale du recrutement qui l’accompagne.

(Ré)ajuster les compétences des hôtesses

Des « filles de famille » aux « banlieues »

19L’origine sociale des personnels navigants s’est largement diversifiée depuis la création de la compagnie à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les hôtesses qui servaient à bord des avions dans les années 1950 faisaient en effet partie d’une aristocratie scolaire et sociale – « pour beaucoup, transfuges des services auxiliaires de l’armée, ambulancières, IPSA, agents de liaison dans la résistance, mais en même temps issues de milieux aisés et habituées aux conversations de salon [20] ». En 1946, lors de la création du statut, les hôtesses veillaient alors exclusivement à la santé et au confort des passagers, tandis que les stewards, anciens barmen des compagnies transatlantiques, au statut distinct, étaient chargés de préparer les repas, de manipuler le matériel hôtelier et de réaliser la plupart des tâches matérielles en cabine [21]. Les compétences médicales des hôtesses, leur maîtrise de langues étrangères et leur niveau de diplôme (baccalauréat) témoignaient ainsi de leurs origines bourgeoises, dans un contexte où l’enseignement secondaire connaissait une féminisation limitée. Une brochure de recrutement de 1948 précise d’ailleurs que les hôtesses doivent faire preuve d’une « élégance naturelle et (d’une) culture générale aussi parfaite que possible », tandis que le premier « manuel de l’hôtesse », daté de 1948, détaille le niveau de subordination attendu d’elles : on y relève que « l’hôtesse ne doit pas être une aimable serveuse-femme de chambre, mais une véritable maîtresse de maison qui reçoit ses invités [22] ». Cette continuité des rôles domestique et professionnel est perceptible dans les règles qui régissent l’accès au métier d’hôtesse. Jusqu’en 1959, les hôtesses de l’air devaient être reclassées dans un emploi au sol après huit années d’activité et jusqu’en 1963, le mariage entraînait la cessation de service pour ne pas contrevenir à leur rôle de mère et d’épouse auquel leur socialisation familiale les destinait. Le métier d’hôtesse était alors vu comme une « occupation de jeune fille [23] ». Comme le note encore en 1982 un rapport du ministère des Transports, ce dernier « n’a jamais été considéré comme une “vraie profession” mais plutôt comme un emploi, c’est-à-dire une activité rémunératrice limitée dans le temps et sans perspective de carrière » [24].

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EFFECTUER UN SERVICE COURTOIS et chaleureux, échelle de niveaux pratiques.
© Livret de formation du PNC, 2010.

20L’essor de l’aviation commerciale a généré des besoins croissants en main-d’œuvre en même temps qu’il a conduit à une ouverture sociale du recrutement. L’arrivée des gros porteurs dans les années 1970, puis des vols charter dans les années 1990, s’est en effet traduite par une forte hausse des effectifs des personnels navigants commerciaux – d’une centaine d’hôtesses et stewards en 1954 à environ 14 000 aujourd’hui – et par une banalisation de la fonction. Dans le même temps, la fusion des métiers d’hôtesse et de steward en 1954 (au sein du statut commun de Personnel navigant commercial) et l’intensification des cadences (réduction des temps de vol et d’escale) ont abouti à une transformation du métier. La part croissante des tâches peu « nobles » prises en charge par les hôtesses à bord des avions entraîne alors des difficultés de recrutement pour le service des ressources humaines. La polyvalence et la docilité attendue des employées semblent antinomiques avec le sens du placement et la culture générale recherchés chez les candidates issues des milieux sociaux les plus favorisés :

« La politique de recrutement n’a jamais donné entière satisfaction. Si les critères sont trop élevés, on touche une population “intellectuelle” dont l’adaptabilité sera difficile et qui se lassera vite des tâches matérielles dès que le plaisir de la découverte et des voyages sera passé (on connaît la répugnance de certains à faire des tâches matérielles comme plier des couvertures, débarrasser les plateaux, surveiller la propreté des toilettes, etc.). Si le niveau est trop bas, il n’est plus possible d’avoir des candidats parlant bien les langues étrangères (et le besoin reste aussi grand dans ce domaine aujourd’hui qu’en 1950). Les conditions de travail sur les gros porteurs rendent les tâches matérielles plus nombreuses et contraignantes. Elles seraient mieux acceptées par des candidats ayant déjà travaillé (par exemple vendeuses de magasin) et qui pourraient alors considérer ce nouveau métier comme une promotion [25]. »
D’autres inflexions de la politique de recrutement ont pu accélérer la diversification de l’origine sociale des hôtesses et stewards, tels les accords de 2000 et 2001 privilégiant l’emploi local, dans les communes de banlieue où est située la base aéroportuaire, et le recourt aux contrats d’apprentissage. S’il est impossible, en l’état des fichiers RH, de reconstituer l’évolution du niveau de diplôme des hôtesses et stewards depuis 1946, des sources secondaires (rapports internes, entretiens avec le service des ressources humaines et les cadres de direction) permettent d’appréhender ces transformations pour la période la plus récente. Entre 1997 et 2001, les effectifs augmentent massivement et l’âge à l’entrée avoisine 25 ans ; à partir de 2002, les recrutements diminuent en même temps que l’âge à l’entrée s’élève, témoignant d’une sélectivité sociale accrue. Les PNC entrés récemment possèdent des diplômes plus élevés et cumulent différentes expériences professionnelles antérieures comme le révèlent les entretiens biographiques [voir figure, p. 50].

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Part des hommes et des femmes dans les flux d’entrants titulaires PNC et âge médian à l’entrée entre 1997 et 2015

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Part des hommes et des femmes dans les flux d’entrants titulaires PNC et âge médian à l’entrée entre 1997 et 2015

Champ : Entrées PNC titulaires 1997-2015.
Remarques : À partir de 2012, aucun recrutement de PNC n’est effectué dans la compagnie.
Sources : Fichier RH de l’entreprise. Calculs établis par Delphine Remillon et Maxime Lescurieux, INED. Voir Anne Lambert et Delphine Remillon, « Une marche vers l’égalité professionnelle en trompe-l’œil. Disponibilité biographique et inégalités de carrière des hôtesses et stewards », Travail et emploi, 154, 2018, p. 5-41.

21La massification de l’emploi et la diversification du recrutement semblent ainsi heurter, à partir du milieu des années 2000, la nouvelle stratégie de montée en gamme de l’entreprise. Pour Geneviève, hôtesse en fin de carrière, qui apprécie servir en Première, « tenir des conversations », qu’elles soient mondaines (expositions dans les escales, auteurs classiques et actualité littéraire, connaissances géographiques et géopolitiques, etc.) ou intimes (confidences personnelles des clients), exige des compétences sociales que la formation professionnelle ne suffit pas à inculquer aux nouvelles hôtesses de l’air : « Avant, c’était des filles de bonne famille. Même s’il y a eu un petit mélange par la suite, quand même, on cherchait, on sélectionnait, on te formait, on te donnait une certaine culture générale. Puis, voilà, après, il y a eu une descente. Et maintenant, on a revalorisé le service en Première. C’est vrai qu’on est arrivé à faire un beau service. Mais il y a encore parfois des problèmes de… de comportement disons ». Les formations commerciales qui suivent l’embauche (d’une durée de trois semaines) et les sessions thématiques qui sont prescrites par la hiérarchie au cours de la carrière (« clientèles spécifiques », « outils relationnels », « chaîne de service au client », etc.), ont ainsi été étoffées et diversifiées ; mais elles semblent insuffisantes pour inculquer l’ensemble des savoir-être nécessaire au sens du placement, à mesure que le recrutement se diversifie.

« Tu n’es pas là pour briller, c’est le client qui doit briller »

22Les modalités d’affectation aux différents postes de travail au sein de la cabine de l’avion (classes Économique, Affaires, Première, galley) ne figurent pas dans les accords collectifs du PNC. Les usages dominants ont longtemps privilégié le choix du poste par ordre d’ancienneté au sein de l’équipage, lors de la phase de préparation de vol. Le chef de cabine tranchait en dernier ressort en cas de désaccord, les hôtesses et les stewards étant censés être interchangeables dans leur fonction depuis la fusion des statuts. À partir du milieu des années 2000, plusieurs modifications des pratiques d’affectation ont été encouragées par la direction pour renforcer la sélection sociale des employés habilités à servir en Première. Les personnels les plus gradés ont été incités à servir en Première car, « en tant que responsable commercial du vol, la présence du chef de cabine principal est très appréciée et valorisante pour nos clients Première [26] », selon une note interne rédigée par la direction de l’entreprise. Dans le même temps, la promotion au choix qui a été introduite en 2003, en complément des règles d’avancement à l’ancienneté, renforce le rôle des cadres de secteur et des instructeurs chargés des contrôles en vol dans le choix des hôtesses et stewards autorisés à travailler en Première. En effet, s’ils vérifient la connaissance des procédures de sécurité aérienne et des techniques aéronautiques, ils sont également chargés d’apprécier, en situation, l’attitude du salarié vis-à-vis des clients, sa motivation et son degré d’engagement, et ainsi proposer aux meilleurs d’entre eux de passer les sélections pour monter en grade, ou bien de suivre les formations prestigieuses à la clientèle de luxe. Stéphane, chef de cabine, détaille ainsi le processus de cooptation qui préside au recrutement sur les cabines de Première et d’Affaires :

23

Pour la sélection en Première, ce sont les gens qui sont amenés par l’encadrement, c’est-à-dire que ce sont des gens qui sont cooptés. Le premier step, même si ça vient de la part du PNC et qu’il demande : « Tiens, j’aimerais passer la sélection en Première ! », il y a déjà le cadre qui peut dire non. On sait qu’il y a des collègues qui ne sont pas forcément en adéquation avec certaines cabines Business et Première. C’était un peu la crainte des partenaires sociaux lorsqu’a été mise en place la sélection de Première, où ils ont dit : « Ah non, on ne veut pas d’un côté une super élite du PNC et de l’autre côté, des gens qui ne feront que de l’Économie. » Et effectivement, les gens qui sont sélectionnés, en tout cas pour la Première, c’est quand même des stéréotypes !

24Pour autant, si la séparation des tâches masculine et féminine, très marquée au début, s’est progressivement réduite avec la fusion des statuts et des formations, les attentes en matière de présence à bord demeurent différenciées en fonction des sexes. Françoise explicite ainsi les critères qui présidaient à ses choix, à l’époque où elle était instructrice en vol, chargée du recrutement en Première. Outre le maintien corporel (qui fait l’objet d’une attention plus grande et plus minutieuse pour les hôtesses que pour les stewards), elle évaluait leur sens du dévouement (être aux petits soins, ne jamais dire non) et du placement (ne pas être au-dessus du client, ne pas briller plus que lui) :

25

On voit ceux qui sont aux petits soins avec la clientèle. Quand tu es contrôleur, tu le vois quelqu’un qui est souriant, qui est aux petits soins et tout, qui présente bien. Tu dis « cette personne semble adaptée à faire un service plus élaboré, de pouvoir aller en cabine Première ». Parce que c’est un service exigeant, il y a plus de manipulations, de va-et-vient. Tu ne t’arrêtes pas sur un service en Première. Parce qu’on ne dit pas « non » à un passager, à un client de Première. Quand tu fais un service comme ça, tu changes les assiettes, tu débarrasses, tu ne t’arrêtes pas c’est très, très dur. Tandis qu’en Éco, tu donnes le plateau, après tu débarrasses. […] À mon époque aussi, on avait des critères aussi. Les filles qu’on prenait sur notre compagnie, c’était pas parce qu’elles étaient plus belles que les autres, mais elles avaient un maintien aussi. Et puis, il ne fallait pas avoir de bijoux, ne pas être un arbre de Noël. Moi, j’avais un mari qui adorait les bijoux, donc j’ai eu toute ma vie de supers diamants, mais ça ne me venait même pas à l’idée de mettre ça à bord ! C’est par rapport au client : toi, tu as une grosse bague avec une belle émeraude, tu as la cliente qui est en Première mais elle n’a pas de bijoux. Donc tu dois faire ce qui est logique : il ne faut pas être au-dessus des clients. On est l’aviation civile mais malgré tout, on est régi quand même à la base par l’aviation militaire. Donc on doit respecter le client et ne pas en faire plus, au contraire. Il faut être toujours en-dessous, c’est un métier de service. Tu n’es pas là pour briller, c’est le client qui doit briller, c’est pas toi qui brille. […] Tu dois aussi valoriser Madame. Parce que parfois, elle peut se sentir offensée quand son mari te fait des compliments : « Tiens, vous avez une mine radieuse au réveil ! »

26La socialisation primaire joue un rôle central dans la bonne exécution du service de luxe. Elle détermine le « bon » rapport au corps des hôtesses (leur « maintien ») et leur sens général du placement, qui semble devoir procéder d’une sorte d’évidence comme le rappellent les propos de Françoise (« ça ne me venait même pas à l’idée » ; « tu dois faire ce qui est logique »). La trajectoire de Françoise permet d’appréhender de plus près la manière dont les dispositions héritées du milieu familial, et incorporées dans un ensemble de micro-comportements, façonnent l’investissement dans la relation de service et l’adéquation avec les attentes de la compagnie en matière de luxe [voir encadré « Françoise, un “pur produit” de la compagnie », p. 53].

Françoise, un « pur produit » de la compagnie

Françoise fait partie des hôtesses « ancien modèle » qui ont fait toute leur carrière dans la même compagnie. Issue d’un « milieu bourgeois » selon ses termes (père producteur de cinéma, mère commerçante et propriétaire de magasins, grand-père directeur d’hôtels de luxe en France et dans les anciennes colonies), elle dit avoir choisi ce métier à une période où il était encore peu répandu et distinctif socialement : « J’ai tout fait pour ça : j’ai été jeune fille au pair à Londres, j’ai fait un bac +2 d’anglais et langues étrangères, j’ai attendu d’avoir 21 ans ; et quand j’ai eu 21 ans, je suis partie, j’ai été appelée. À l’époque, c’est vrai que bon, hôtesse de l’air, c’était pas comme maintenant, c’était des filles de famille. Les voyages, ça ouvrait des horizons. Quand tu allais chez le toubib, tu disais « je suis hôtesse de l’air », pour eux, ça ouvrait plus d’horizons que si tu disais : « Je suis secrétaire ». J’ai vu Rio de Janeiro, je devais à peine avoir 25 ans ! Je suis allée en Afrique, à Nouméa… »
Ainsi, Françoise a commencé sa carrière comme hôtesse de l’air à la fin des années 1970. Affectée sur long courrier, elle a d’abord travaillé en classe Économique avant d’intégrer, au bout de deux ans, le rang des hôtesses autorisées à officier en Première. Repérée par sa hiérarchie, elle se voyait également proposer les vols spéciaux pour les délégations officielles, qui exigeaient un service sans faute et minutieux. En 1984, Françoise est passée chef de cabine et a participé aux campagnes publicitaires de la compagnie, incarnant l’élégance et le luxe recherchés [voir illustration, p. 36]. Rapidement promue cadre de secteur, puis responsable de la formation des hôtesses et stewards sur une ligne prestigieuse, elle est ensuite devenue cadre, responsable générale de la formation. Revenant sur sa trajectoire, elle révèle l’importance de la familiarisation précoce au service et aux codes du luxe :
– Et toi, comment tu as appris à servir ?
– Moi déjà, quand j’ai commencé ce métier il y a quarante ans, j’avais une licence, j’avais fait quelques études – maintenant ils ont le bac. Donc déjà t’avais une culture. Et puis mon grand-père était grand directeur de grands hôtels, dans la haute hôtellerie. Il a notamment été le directeur du Grand Palais à Deauville dans les années 1920. Et mon père, c’est un fils unique qui a été élevé avec des gens qui le servaient à table depuis qu’il est tout petit. Le maître d’hôtel venait le servir, il avait à peine cinq ans. Donc moi, je n’avais pas intérêt à mettre un couteau à gauche quand je mettais la table. On ne rigolait pas avec ça. Mais ça ne me dérangeait pas. Et puis bon, quand je suis rentrée dans la compagnie, on t’apprenait aussi, le comté, le fromage, le vin, tu avais des formations en maquette. Moi, je suis allée vite. On te fait des vols rencontre, on te contrôle à bord, on voit comment tu es en cabine, comment est ta motivation, comment tu te présentes, comment t’as aussi ta manière de te poser, ta manière de respecter le port de l’uniforme. Comment tu mets en valeur le client, tu mets en valeur le produit mais toi, tu dois être le plus discret – enfin, quand je dis discret, ce n’est pas discret : c’est-à-dire que le client doit se sentir à l’aise et sentir que c’est lui le roi. C’est ça qu’on a essayé d’inculquer à nos PNC. Et de plus en plus, c’était difficile parce que les jeunes avaient du mal à accepter ça. Moi je leur disais toujours « attends, tu portes l’uniforme de la compagnie, tu représentes le pays à l’étranger ». Nous, à mon époque on va dire, on était beaucoup plus obéissantes, c’est clair. Après, comme je te disais, ils ont recruté à partir des années 2000 des gens un peu différents… de tous les milieux.
– Et justement, comment ça s’est passé avec les nouveaux PNC pour le service en Première ?
– Alors aujourd’hui, c’est clair, on n’ira plus embaucher en banlieue. Il n’y a pas assez de retours réussis. Sur le vol de New York, par exemple, il ne fallait absolument aucune fausse note. En Première aussi, on essaie qu’il n’y en ait pas. Mais comme à un moment donné, on n’arrivait plus à trouver de gens qui étaient assez formés, on mettait des gens qui n’avaient pas de formation mais qui n’arrivaient pas à faire un service correct. Parce que tu travailles un peu plus en Première qu’à l’arrière : pour faire un service à l’arrière si tout va bien, tu le fais en une heure et demie ; en Première, tu le fais en trois heures. Donc la motivation avait chuté, les chefs de cabine n’arrivent pas à trouver les gens pour faire les Premières, donc ils avaient ouvert les Premières à tout le monde et tout le monde pouvait les faire sans formation particulière. Après, vers le milieu des années 2000, on s’est rendu compte que les clients n’étaient pas contents, qu’il y avait une chute de qualité de service. Donc on est revenu en arrière. Et là, on a créé même un service Première, on leur a donné une formation spécifique, à part, ils vont visiter des endroits de luxe, chez Vuitton, chez Hermès, donc pas uniquement dans la restauration, pour voir comment tu abordes un client qui est amené à chercher du luxe, enfin qui utilise des produits de luxe. Comment c’est dans la démarche commerciale, la manière de s’adresser au client, de répondre à sa demande. Et on les a formés, et on a formé aussi les gens du sol pour qu’il y ait une continuité du sol à l’avion.

27Pour autant, les entretiens montrent un rapport clivé au service en Première au sein des équipages et du groupe des hôtesses en particulier. En effet, une partie d’entre elles disent ne pas apprécier le service en Première, réputé plus exigeant que celui en classe Économique où le ratio Passager/PNC est pourtant plus élevé (1 PNC pour 50 passagers, contre 1 pour 8 en Première) ; le service y est souvent jugé plus dégradant, voire humiliant, alors que le caractère répétitif et standardisé du service en classe Économique (distribuer des plateaux-repas et les débarrasser) semble les protéger des aléas moraux. C’est le cas des hôtesses dont les perspectives de carrière sont faibles en raison d’écarts aux normes du dévouement professionnel (hôtesse à temps partiel par exemple) ou aux normes de la féminité bourgeoise, particulièrement prisées dans les cabines de luxe. Les hôtesses de l’air les plus jeunes, diplômées aux études longues (bac+5), davantage sensibilisées aux normes d’émancipation véhiculée par le féminisme, et/ou passées par d’autres expériences professionnelles, semblent ainsi les plus rétives à se conformer au rôle prescrit en Première. Valérie, 42 ans, issue d’une école de commerce et ancienne cadre de banque, refuse, par exemple, de s’y plier. Elle ne s’épile ni se maquille dans sa vie quotidienne et investit peu de temps pour son entretien corporel (esthétique, massage, coiffeur). Ni sa mère, professeur dans un collège public, ni son conjoint, photographe d’art indépendant avec qui elle vit depuis vingt ans, ne lui ont transmis ce goût du corps policé. Elle juge le service en Première long et obséquieux (des « chichis », « des tralalas »). En refusant de prendre des postes en Première, Valérie semble aussi résister au retour à certaines formes de servilité qui accompagnent l’accroissement de la ségrégation sociale des passagers et la montée en gamme du service. Elle en fait un acte de résistance politique (son côté « anarchique »), en refusant la nouvelle séparation sociale au sein du corps des PNC :

28

Ils ont mis en place depuis quelques temps une sélection pour travailler en première classe, il fallait faire une lettre de motivation, passer un entretien, etc., mais je m’y suis pas présentée, ça c’est mon esprit… anarchique on va dire ! (rires). Je trouvais ça déplacé de faire une sélection interne pour la Première. Si on a tous été recrutés pour ce métier, c’est qu’on est capable d’exercer dans toutes les classes et de s’adapter à toutes les clientèles. Et puis à la rigueur, s’ils veulent avoir des PNC spécifiques pour la Première parce que le service est plus exigeant, qu’il y a des impairs à ne pas commettre, c’est tout à fait compréhensible, mais dans ce cas-là, il faut qu’il y ait une formation appropriée derrière (en Éco) là, en l’occurrence, il y en avait pas ! Moi ces derniers temps, j’ai fait l’Éco parce que j’en avais ras-le-bol de la Première et de la Business. Le service est interminable, c’est plein de chichis, de tralalas, il y a les nappes, les machins. Alors, c’est génial parce que pour les clients, c’est super. C’est un peu comme au restaurant. Mais il y a des moments où tout ça me pèse… c’est artificiel, c’est du vent.

29Au contraire, les hôtesses en fin de carrière, celles issues du pôle économique de la bourgeoisie et socialisées à un ordre social très hiérarchisé et naturalisé (familles de militaires, hôtellerie de luxe, etc.), semblent valoriser l’entretien physique et la discipline corporelle qui l’accompagne, en même temps qu’elles disent apprécier la forte dimension relationnelle du service en Première. Pour Sylvie, qui fait partie de celles-là, la tenue du corps (et sa mise en scène protocolaire) est un marqueur central du statut social :

30

« Quand tu es chef de cabine, tu montres l’exemple. Moi, je suis toujours bien brushinguée, je vais une fois par semaine chez le coiffeur. Et puis quand je n’avais pas les enfants, je me faisais épiler […]. Sur long-courrier, c’est pratique, je fais toujours de l’esthétique. Je fais les pieds, les mains, quand tu vas en Inde on te fait ça pour rien du tout ! Et parfois, je vois des hôtesses, enfin je ne suis pas spécialement critique, mais disons qu’elles se laissent un peu aller… Des collègues un peu rondes… mais c’est un métier de présentation aussi, de service ! Tu représentes ton pays ! »
(Sylvie, chef de cabine sur long courrier)

31Mère de trois enfants, mariée à un officier de la marine nationale, Marie-Christine a été recrutée comme hôtesse sur long courrier au début des années 1990 ; elle possédait une licence de psychologie et se destinait à une carrière dans les ressources humaines (comme son père, directeur d’une agence de placement dans le service aux entreprises). Sa carrière a finalement été contrariée par les nombreuses mobilités de son conjoint. La transformation des conditions d’exercice du métier d’hôtesse et l’évolution du recrutement en Première lui rendent aujourd’hui son travail insupportable et génèrent un sentiment de déclassement, alors qu’elle appréciait « l’art de vivre » qui prévalait à bord des avions :

32

Quand on a commencé, on était 14 hôtesses de l’air pour 250 passagers, aujourd’hui elles sont 11 pour 500 passagers. Avant on discutait vraiment avec les passagers, on avait vraiment le temps de s’en occuper ; il y a beaucoup d’hommes d’affaires qui prennent beaucoup l’avion et qui ont envie qu’on leur fiche la paix, mais il y a aussi des passagers qui ont besoin de parler. Et moi, au début de ma carrière dans la compagnie, je me sentais vraiment soutenue et reconnue pour mon travail, et je sentais que ma carrière pouvait évoluer et ça c’était très agréable. […] Et puis quand j’ai commencé, les stewards ils sortaient d’école hôtelière, ils avaient véritablement un art de vivre. Quand on partait en escale, on était des ambassadeurs de notre pays ; on nous demandait de prendre une tenue habillée au cas où on serait invité à l’ambassade. Mais aujourd’hui, il y a beaucoup de PNC qui font ça en travail alimentaire, il n’y a plus cette passion du métier qui existait avant. Je ne retrouve pas du tout le même métier, la même attention.

33Si pour ces hôtesses plus âgées, l’avion pouvait constituer une forme de prolongement de la socialisation domestique (et des règles de vie qui y prévalaient), les conditions sociales et matérielles du service en Première ne semblent plus réunies tandis que la diversification sociale du recrutement menace directement, pour celles issues des fractions traditionnelles de la bourgeoisie économique, le statut social associé à la fonction.

34Parmi les stewards rencontrés, l’origine sociale et la pente de la trajectoire semblent également primordiales pour comprendre le rapport au travail et le plaisir qui peut être retiré du service en Première. Ce sont pour autant d’autres dimensions du service qui sont appréciées (le « challenge » social, qui vise à établir un rapport de familiarité et de proximité avec le client). C’est ce qu’explique Stéphane, chef de cabine quadragénaire, titulaire d’une maîtrise en droit public, fils d’éducateurs spécialisés. La fréquentation répétée de la clientèle de luxe, notamment masculine, semble participer d’un travail de réassurance sociale :

35

– Tu préfères travailler en Éco ou en Business ?
– Il y en a qui aiment préparer les repas, faire les trucs techniques et tout… Moi c’est pas mon truc. J’aime bien bosser en Business. (Ton déterminé)
Parce que c’est joli. Parce qu’il y a plein de choses à offrir, parce que le service est sympa, parce que ce n’est pas de l’abattage. L’Éco quelquefois ça va un peu vite. Les plateaux qu’on distribue, tac, tac, tac, machin, voilà. Les gens sont tous serrés. Quand tu passes le rideau, tu dis : « Waouh » c’est la jungle quoi ! Tout le monde est debout, les coffres ouverts, tu vois ce n’est pas la quiétude du vol de la Business. Les clients Business, ils ont payé, mais ils ont surtout payé pour être tranquilles. Et quelquefois, ils ne mangent même pas. Alors que les clients Éco, c’est le voyage de l’année et ça… […] Le client qui voyage dans les cabines Business et en Première, qu’est-ce qu’il veut ? Il veut avant tout de lui-même. C’est-à-dire que nous, il ne faut pas avoir peur de prendre des discussions avec le client, ne pas avoir peur d’aller au-delà de ses attentes. Il ne faut pas avoir peur de faire des blagues lorsqu’on le sent. Il faut challenger le client, créer un moment particulier, personnalisé, un truc qu’il se souvienne en fait. Un client, je l’ai fait rire, à la fin je lui dis « merci pour ce moment ». Il me dit : « Non, non, merci à vous parce que j’ai vraiment passé un bon moment. On a pu échanger, on a rigolé, c’était très sympa. Merci beaucoup ». Il ne faut pas grand-chose. Et en général ça matche. Parce qu’on est aux mêmes standards que nos clients, en fait.

Marquer la supériorité du client

36Grande, mince, élancée, la carnation blanche, la chevelure blonde et lisse, coupée au carré, Françoise compte parmi les hôtesses de l’air les plus conformes aux codes de la « féminité bourgeoise et policée [27] » valorisée dans les salons VIP. Ce service participe du travail de réassurance de la hiérarchie sociale et de l’ordre établi, selon Gabrielle Schütz : « Elles (les hôtesses) attestent par leur seule présence du rang différencié que l’entreprise accorde à ses clients ou à son propre personnel ». La présence des hôtesses apparaît en effet pour partie protocolaire : « Comme les dépenses somptuaires, elles font la démonstration de la magnanimité du client [28] ». Leur attitude de déférence doit marquer la supériorité morale et sociale du client : elles utilisent les formules de politesse consacrées mais qui doivent être prononcées avec naturel ; elles n’initient jamais une conversation même si elles doivent saluer et souhaiter en premier la bienvenue au client ; elles ne mangent ni ne boivent dans le même espace, montrant qu’elles respectent l’intimité du client ; elles doivent enfin savoir décliner les avances sexuelles déplacées dont elles pourraient faire l’objet – sans jamais humilier ni rabaisser directement le client. Il s’agit pour les PNC (en particulier, pour les femmes) de respecter la « bonne distance » entre les corps et les groupes sociaux, dans les conditions définies par la compagnie.

37Les compétences relationnelles des employés de service, soulignées par les sociologues du travail dans d’autres contextes professionnels [29], revêtent ainsi ici une dimension centrale : ce « sens du placement », à la fois socialement situé et genré, est décisif pour le service en Première en même temps qu’il est relativement asymétrique pour les femmes et les hommes. Pour les hôtesses de l’air en particulier, il s’agit de faire preuve de disponibilité sans montrer ostensiblement sa servilité, d’approcher sans toucher, d’entretenir une conversation sans dominer l’échange, de rappeler à l’ordre le client sans offenser, de mettre fin à des avances sans décliner trop ouvertement. Pour cette hôtesse de l’air sur long courrier, le « sens du placement » se décline dans toutes les dimensions du service et est particulièrement utile à la bonne gestion des relations avec la clientèle masculine :

38

– Tu préférais quel type de client ?
– En Affaires, tu as quand même une certaine éducation. Ils ne vont pas t’envoyer le plateau à la gueule, excuse-moi l’expression. Moi, j’ai vu en Éco des mecs, sur les vols Antilles par exemple, qui voulaient me frapper parce que j’ai demandé d’attacher leur ceinture ! […] Tandis qu’en Première, ce sont des gens qui ont de l’argent, qui sont très corrects. Moi j’adore faire les Premières parce que c’est que ça me fait plaisir de m’occuper des gens. Et j’ai un retour parce que tu sers un bon produit, les gens sont quand même assez agréables, on a un retour… Moi, par exemple j’ai eu Mme Veil à bord (l’entretien se déroule quelques mois après son décès). Elle était charmante. Ce qui était très agréable avec Simone Veil, c’est qu’elle ne te prenait pas de haut, elle était très à l’écoute, enfin disons très observatrice. Par exemple, sa manière de demander « excusez-moi, est-ce que je peux avoir de l’eau ? », ce genre de truc. Pas comme certains, qui ont ce ton, un air de dire « tu es à mon service ». Moi ça ne me dérange pas, parce que je sais ce que je vaux au final. En plus j’aime m’occuper des gens. C’est vraiment mon caractère. […] Une autre fois, à la manière de demander, je me suis dit « alors eux, ça c’est sûr, ils sont surclassés ». Mais en général, ceux qui ont beaucoup d’argent sont particulièrement bien éduqués. Ce sont des gens qui ont une fortune colossale et qui s’adressent à moi en me remerciant chaque fois de tout ce que je fais. Pour moi c’est normal, c’est mon service… Par contre, les nouveaux riches, c’est terrible. Ils pensent que l’argent peut tout acheter, qu’ils sont supérieurs. Alors que les gens en première classe sont raffinés. C’est pour ça que je te dis qu’en classe Affaires, c’est mitigé. Tu peux rencontrer le sale con qui n’a pas de pognon, son entreprise qui lui paie mais il te prend pour une merde.
– Et ça t’est arrivé de recevoir des cadeaux, de l’argent, des cartes de visite ? Qu’est-ce que tu en fais ?
– Moi, quand j’étais plus jeune, ça va faire assez prétentieux mais j’étais assez mignonne disons, et j’ai été assez draguée ; j’ai eu pas mal d’hommes qui m’ont draguée. Donc je me méfiais. Je trouvais toujours un moyen de dire non, poliment. Par exemple, je donnais un faux numéro de téléphone, ou je disais que je restais avec l’équipage en escale et que si c’était possible, je viendrais accompagnée du commandant de bord. Généralement, ça les décourageait.

39En qualifiant moralement les clients, par un travail de jugement et de catégorisation en coulisses (pour soi-même, avec ses collègues à bord, ou dans le cadre d’un entretien sociologique par exemple), cette hôtesse montre les formes de résistance subjectives qui peuvent être opposées à la relation de subordination. La disqualification morale prend appui sur des comportements observés en vol (impolitesse, dépendance à l’alcool, isolement affectif des personnes voyageant seules à Noël, etc.) et outrepasse la question du pouvoir économique des clients (niveau de richesse). La supériorité morale supposée des fractions anciennes des classes supérieures, qui montrent une certaine habitude du personnel de service dans les manières de s’adresser à ces derniers, semble ainsi plus supportable, et mieux supportée, par les hôtesses.

40Sans jamais s’identifier au statut social des donneurs d’ordre (contrairement aux stewards qui semblent davantage prompts à jouer le jeu de la proximité sociale), certains éléments symboliques semblent appréciés (le sentiment d’élégance et de propreté qui se dégage des personnes, le prestige associé à la compagnie et à son histoire – « représenter le pays à l’étranger ») et qui semblent compenser les aspects les plus dégradants du service (vérifier et nettoyer les toilettes, débarrasser les déchets, prendre sur soi face à un ordre trop directif).

41En définitive, à la massification du transport aérien dans les années 1990 et 2000 succède une nouvelle phase marquée par la diversification de l’offre et sa segmentation, entre un secteur low cost et un secteur de luxe, tournées vers la Première classe et des services de taxis-jets. Le « service sur mesure », par sa fonction symbolique (marquer le rang des clients, mettre en scène les biens et les personnes) et pratique (anticiper l’expression de leurs désirs, faciliter la réalisation des actes quotidiens, les préserver des tâches les plus éreintantes), apparaît au cœur de la stratégie de montée en gamme de la compagnie étudiée. Pour compenser la diversification sociale du recrutement qui a suivi l’essor du trafic aérien, les PNC sont formés non seulement aux techniques hôtelières, mais aussi à des manières d’être plus diffuses qui, mises bout à bout, doivent « donner le ton » à l’ensemble du service et de la cabine : les employés doivent être présents mais discrets, élégants mais non outranciers, dévoués et serviables mais non serviles. Ils doivent aussi faire preuve d’un certain niveau de culture générale pour s’exprimer avec distinction et nourrir les conversations mondaines que la clientèle cosmopolite pourrait engager. Par de nombreux aspects, ils renouent avec la figure historique de « l’hôtesse de bonne famille », recrutée aux débuts de l’aviation commerciale, et issue des fractions établies de la bourgeoisie économique. Si les cabines ont été rénovées dans la tradition du luxe et valorisent l’histoire prestigieuse de la compagnie, l’effort de production repose ainsi largement sur la réalisation du service en cabine.

42La définition des postures, faites d’une multitude de « petits » gestes, regards, attitudes combinés entre eux, vise à combler l’écart entre les dispositions corporelles des salariés et l’hexis attendu d’eux dans le service aux plus riches. En effet, la codification et la formalisation des méthodes de service (et plus largement de l’attitude de l’employé en vol), nécessaires pour prévenir les « faux pas » et les « impairs », se sont accélérées avec la diversification sociale du recrutement et la croissance des effectifs de PNC. Toutefois, pour comprendre les attentes des clients auxquels ils sont confrontés et pour apporter la réponse attendue d’eux, définie par la hiérarchie et socialement adaptée, la maîtrise des compétences techniques et relationnelles dispensées par la formation professionnelle ne suffit pas. Les compétences pour fournir les services adéquats aux demandes des clients Premium – mais aussi l’envie de servir en Première – sont le fruit de dispositions sociales incorporées qui confèrent le sens du placement en même temps qu’elles lui donnent son caractère « authentique », tant valorisé par la clientèle aisée. Comme le rappelle un cadre de la compagnie, « Que demande la compagnie aérienne de son côté ? Des qualités très simples lorsqu’il s’agit de les considérer séparées les unes des autres, mais réunies, le problème devient alors très compliqué : sourire et rapidité du service ; esprit de méthode, d’organisation et bonnes connaissances sur le plan général ; présentation excellente, physique agréable et bonne connaissance des langues étrangères, robustesse physique, bonne vue et bonne éducation. »

43La standardisation et la marchandisation du travail émotionnel – qu’Arlie Hochschild a largement contribué à dévoiler au tournant des années 1980 – questionnent donc plus largement les conditions sociales de sa réalisation. Les nouvelles classes moyennes salariées, dont les sociologues ont décrit l’essor dans les années 1970 et 1980, travaillent de plus en plus massivement au service des plus riches, sur les marchés exclusifs qui leur sont destinés (art, transport et tourisme de luxe, gastronomie, écoles et internats privés, etc.). La familiarisation précoce aux modes de vie et aux goûts des plus riches semble pourtant partiellement empêchée par l’accroissement des inégalités et la ségrégation croissante dans les grandes métropoles. Les situations et occasions de coprésence (à l’école, dans le voisinage et les lieux de villégiature, etc.) sont plus réduites et éphémères. Comment dès lors produire en masse cette main-d’œuvre à la fois cultivée et docile, diplômée et prompte à exécuter les tâches les moins nobles, largement appréciée des plus riches, au pouvoir économique croissant dans le monde ? C’est l’une des contradictions centrales du capitalisme contemporain, après un siècle de réduction des inégalités.


Date de mise en ligne : 13/02/2020.

https://doi.org/10.3917/arss.230.0036

Notes

  • [1]
    L’apparition des compagnies low cost est plus ancienne pour certains auteurs ; aux États-Unis, par exemple, la dérégulation du transport aérien à partir de 1978 et la libre fixation du prix du billet ont abouti à l’émergence de compagnies à bas coûts sur les lignes intérieures dès les années 1970.
  • [2]
    Facundo Alvaredo, Lucas Chancel, Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Gabriel Zucman (dir.), World Inequality Report 2018, Cambridge (MA)/Londres, The Belknap Press of HUP, 2018.
  • [3]
    Thomas Piketty, Le Capital au XXIe siècle, Paris, Seuil, 2013 ; Luc Boltanski et Arnaud Esquerre, « “La collection”, une forme neuve du capitalisme. La mise en valeur économique du passé et ses effets », Les Temps modernes, 679, 2014, p. 5-72 ; Robert Salais et Michael Storper, Les Mondes de production. Enquête sur l’identité économique de la France, Paris, Éd. de l’EHESS, 1993.
  • [4]
    Dominique Memmi, « Le retour de la 3e classe ? Comment déclasser sans larmes dans le service public », La Vie des idées, 16 octobre 2018, http://www.laviedesidees.fr/Le-retour-de-la-3eme-classe.html.
  • [5]
    Luc Boltanski et Arnaud Esquerre, Enrichissement. Une critique de la marchandise, Paris, Gallimard, 2017.
  • [6]
    Il s’agit des compagnies aériennes historiques.
  • [7]
    « Les nouveaux espaces de voyage », Lettre d’information interne, avril 2004.
  • [8]
    Axel Honneth, La Société du mépris. Vers une nouvelle Théorie critique, Paris, La Découverte, 2006 ; Christelle Avril, Les Aides à domicile. Un autre monde populaire, Paris, La Dispute, 2014 ; Gabrielle Schütz, Jeunes, jolies et sous-traitées : les hôtesses d’accueil, Paris, La Dispute, 2018 ; Sylvie Monchatre, « Embaucher ou habiliter ? Recrutement et espaces de (non-)qualification dans l’hôtellerie-restauration », Travail et emploi, 155-156, 2018, p. 93-114.
  • [9]
    Lise Bernard, « Le capital culturel non certifié comme mode d’accès aux classes moyennes. L’entregent des agents immobiliers », Actes de la recherche en sciences sociales, 191-192, 2012, p. 68-85 ; Marlène Benquet, Encaisser ! Enquête en immersion dans la grande distribution, Paris, La Découverte, 2015.
  • [10]
    Arlie Russell Hochschild, The Managed Heart. Commercialization of Human Feeling, Berkeley, University of California Press, 1983 ; Thibaut Menoux, « La distinction au travail. Les concierges d’hôtels de luxe », in Maxime Quijoux (dir.), Bourdieu et le travail, Rennes, PUR, 2015, p. 247-266 ; Amélie Beaumont, « Le pourboire et la classe. Argent et position sociale chez les employés de l’hôtellerie de luxe », Genèses, 106, 2017, p. 94-114.
  • [11]
    A. R. Hochschild, ibid. Voir également Louis-Marie Barnier, « Personnel navigant commercial, d’un savoir intuitif à un savoir d’expertise », Formation-Emploi, 67, 1999, p. 25-46.
  • [12]
    L. Boltanski et A. Esquerre, Enrichissement…, op. cit.
  • [13]
    Les aliments sont servis sur un plateau-repas unique, en une seule fois, alors que les personnels navigants pouvaient « dégrouper » certains éléments du service en classe Économique (par exemple, chauffer les miches de pain dans les fours du galley – l’espace de préparation des repas – avant leur service).
  • [14]
    L. Boltanski et A. Esquerre, « “La collection”, une forme neuve du capitalisme… », art. cit., p. 15. Melissa Aronczyk, Branding the Nation. The Global Business of National Identity, New York, Oxford University Press, 2013.
  • [15]
    Rachel Sherman, Class Acts. Service and Inequality in Luxury Hotels, Berkeley, University of California Press, 2007 ; A. Beaumont, art. cit.
  • [16]
    Pour Sherman, la personnalisation du service renforce l’individualisation des relations ; en amenant les clients et les salariés à considérer leurs relations comme « individuelles », les interactions voilent alors leur nature de classe. C’est pourquoi, pour Sherman, le luxe prend la forme d’une croyance religieuse, c’est-à-dire d’une idéologie qui attribue aux individus leur place dans la société.
  • [17]
    Protocole de service sur long courrier, 2013.
  • [18]
    Voir l’entretien de Dominique Memmi dans ce même numéro.
  • [19]
    Les hommes sont également soumis à règles de « présentation et de mises en valeur », mais les consignes qui les ciblent explicitement sont moins nombreuses : mèches et pattes sont par exemple limitées, les ongles doivent être courts et nets, les tatouages apparents sont interdits ; seules les gourmettes discrètes sont autorisées.
  • [20]
    Maurice Delaigue, « Navigant commercial, un métier neuf », Étude interne de la compagnie, octobre 1982, p. 21.
  • [21]
    Le service des prestations restait alors l’apanage des stewards, recrutés en fonction de leur formation hôtelière (préparation, rangement, lavage éventuel de vaisselle, service en cabine).
  • [22]
    M. Delaigue, op. cit., p. 22.
  • [23]
    L.-M. Barnier, art. cit.
  • [24]
    Hélène Florence-Alexandre et Georges Ribeill, Le Personnel des compagnies aériennes : les évolutions majeures de l’après-guerre à nos jours, Mission de la recherche, Ministère des Transports, 1982.
  • [25]
    M. Delaigue, op. cit., p. 44.
  • [26]
    « Les nouveaux espaces de voyage », Lettre d’information interne, avril 2004.
  • [27]
    G. Schütz, op. cit., p. 24.
  • [28]
    Ibid., p. 24.
  • [29]
    L. Bernard, « Le capital culturel non certifié comme mode d’accès aux classes moyennes… », art. cit.
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