Couverture de ARSS_225

Article de revue

De bonnes fréquentations

Envoyer au « bercail » les enfants né·e·s aux États-Unis de parents sénégalais·e·s

Pages 28 à 41

Notes

  • [1]
    Tous les noms et prénoms ont été modifiés ; certains lieux et métiers également lorsque c’était nécessaire pour préserver l’anonymat des enquêté·e·s.
  • [2]
    L’enquête « Pauvreté et structures familiales » montre que 32 % des ménages sont impliqués dans le fostering d’enfants au Sénégal. Voir Rosalinda Coppoletta, Philippe De Vreyer, Sylvie Lambert et Abla Safir, “The long-term impact of child fostering in Senegal : adults fostered in their childhood”, working paper, Paris School of Economics, 2012, p. 1-40. Une littérature abondante analyse la circulation (locale, intracontinentale, transnationale) et la délégation du soin quotidien des enfants en Afrique subsaharienne et ailleurs dans le monde. Voir Esther N. Goody, Parenthood and Social Reproduction : Fostering and Occupational Roles in West Africa, Cambridge, Cambridge University Press, 1982 ; Uche C. Isiugo-Abanihe, “Child fosterage in West Africa”, Population and Development Review, 11(1), 1985, p. 53-73 ; Bruce Whitehouse, “Transnational childrearing and the preservation of transnational identity in Brazzaville, Congo”, Global Networks, 9(1), 2009, p. 82-99 ; Karen Fog Olwig, “The care chain, children’s mobility and the Caribbean migration tradition”, Journal of Ethnic and Migration Studies, 38(6), 2012, p. 933-952. Lorsque des relations transnationales sont en jeu, les analyses se développent souvent autour de trois individus : la mère migrante, l’enfant confié et la mère de substitution. Voir notamment Lisa Akesson, Jørgen Carling et Heike Drotbohm, “Mobility, moralities and motherhood : navigating the contingencies of Cape Verdean lives”, Journal of Ethnic and Migration Studies, 38(2), 2012, p. 237-260. Dans cet article, je propose d’étudier les collectifs impliqués dans l’envoi des enfants, au-delà d’une triade d’individus.
  • [3]
    Mahamet Timera, “Righteous or rebellious ? Social trajectory of Sahelian youth in France”, in Deborah Bryceson et Ulla Vuorela (dir.), The Transnational Family : New European Frontiers and Global Networks, Oxford, Berg Publishers Ltd, 2002 ; Élodie Razy, « Les sens contraires de la migration. La circulation des jeunes filles d’origine soninké entre la France et le Mali », Journal des africanistes, 77(2), 2007, p. 19-43 ; Ousmane Oumar Kane, The Homeland is the Arena. Religion, Transnationalism, and the Integration of Senegalese Immigrants in America, Oxford, Oxford University Press, 2011 ; Hamidou Dia, « Pratiques de scolarisation de jeunes Français au Sénégal. La construction de l’excellence par le pays des “ancêtres” », Cahiers d’études africaines, 221, 2016, p. 199-218 ; Pamela Kea et Katrin Maier, “Challenging global geographies of power : sending children back to Nigeria from the United Kingdom for education”, Comparative Studies in Society and History, 59(4), 2017, p. 818-845.
  • [4]
    Catherine Delcroix, « Les parents des cités : la prévention familiale des risques encourus par les enfants », Les Annales de la recherche urbaine, 83-84, 1999, p. 97-107 ; Mary C. Waters, “Immigrant families at risk : factors that undermine chances for success”, in Alan Booth, Ann C. Crouter et Nancy Landale (dir.), Immigration and the Family. Research and Policy on US Immigrants, New York/Londres, Routledge, 1997, p. 79-84 ; Caroline H. Bledsoe et Papa Sow, “Back to Africa : second chances for the children of West African immigrants”, Journal of Marriage and Family, 73(4), 2011, p. 747-762.
  • [5]
    Majella Kilkey, Laura Merla et Loretta Baldassar, “The social reproductive worlds of migrants”, Journal of Family Studies, 24(1), 2018, p. 1-4. La littérature sur l’immigration a montré la fréquence des projets de mobilité sociale dont sont porteurs les parents migrant·e·s, qui se traduisent notamment par de fortes aspirations scolaires pour leurs enfants. Voir Emmanuelle Santelli, La Mobilité sociale dans l’immigration. Itinéraires de réussite des enfants d’origine algérienne, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2001.
  • [6]
    Florence Weber, « Pour penser la parenté contemporaine », in Danièle Debordeaux et Pierre Strobel (dir.), Les Solidarités familiales en questions. Entraide et transmission, Paris, LGDJ, 2003, p. 73-106.
  • [7]
    La polysémie du terme « famille » pose problème aux études sur les familles transnationales, car ces dernières se trouvent à cheval entre plusieurs espaces nationaux et plusieurs conceptions des relations de parenté. Différents termes ont été proposés : parenté flexible, famille dispersée, famille globale, réseau de parenté transnational, etc. Voir Élodie Razy et Virginie Baby-Collin, « La famille transnationale dans tous ses états », Autrepart, 57-58, 2011, p. 7-22. Je propose ici de situer l’analyse du côté des logiques à l’œuvre pour définir les groupes de parenté transnationaux (production quotidienne de la maisonnée, reproduction du statut social de la lignée).
  • [8]
    Pour un exemple d’analyse de l’enchevêtrement des enjeux de maisonnée et de lignée, voir Sybille Gollac, « Faire ses partages. Patrimoine professionnel et groupe de descendance », Terrain, 45, 2005, p. 113-124.
  • [9]
    Cati Coe, “What is love ? The materiality of care in Ghanaian transnational families”, International Migration, 49(6), 2011, p. 7-24.
  • [10]
    La notion de déclassement « statutaire » fait référence aux catégories statutaires historiques au Sénégal (gens libres, gens de castes, descendants d’esclaves).
  • [11]
    Comme le note Pierre Bourdieu, les relations « sont aussi partiellement irréductibles aux relations objectives de proximité dans un espace physique (géographique) », voir Pierre Bourdieu, “The forms of capital”, in John G. Richardson (dir.), Handbook of Theory and Research for the Sociology of Education, New York, Greenwood Press, 1986, p. 241-258 (ma traduction).
  • [12]
    Fatoumata Seck, “Goorgoorlou, the neoliberal homo Senegalensis : comics and economics in postcolonial Senegal”, Journal of African Cultural Studies, 30(3), 2018, p. 263-278.
  • [13]
    Momar-Coumba Diop (dir.), Le Sénégal des migrations. Mobilités, identités et sociétés, Paris, Crepos/Karthala/ONU Habitat, 2008.
  • [14]
    Pour une discussion approfondie sur la formation des classes moyennes africaines, voir Carola Lentz, “African middle classes : lessons from transnational studies and a research agenda”, in Henning Melber (dir.), The Rise of Africa’s Middle Class. Myths, Realities and Critical Engagements, Londres, Zed Books, 2016, p. 17-53.
  • [15]
    Gens libres ou non castés. À propos des relations contemporaines entre catégories statutaires, voir Ismaël Moya, De l’argent aux valeurs. Femmes, économie et société à Dakar, Nanterre, Société d’ethnologie, 2017.
  • [16]
    Une description relationnelle des classes sociales permet d’analyser les logiques de domination et d’inégalités propres à chaque espace social localisé. Voir Pierre Bourdieu, « Condition de classe et position de classe », European Journal of Sociology/Archives européennes de sociologie, 7(2), 1966, p. 201-223 ; Gilles Laferté, « Des études rurales à l’analyse des espaces sociaux localisés », Sociologie, 5(4), 2014, p. 423-439. Voir aussi l’article de Jennifer Bidet dans ce numéro.
  • [17]
    Gerhard E. Lenski, “Status crystallization : a non-vertical dimension of social status”, American Sociological Review, 19(4), 1954, p. 405-413 ; Lamia Missaoui, « Généralisation du commerce transfrontalier : petit ici, notable là-bas », Revue européenne des migrations internationales, 11(1), 1995, p. 53-75.
  • [18]
    Tou·te·s les enquêté·e·s de ce terrain sont musulman·e·s. La religion n’a pas été évoquée comme le lieu d’une stigmatisation mais a été mobilisée comme un outil de distinction avec les Afro-Étasunien·ne·s. Les enquêté·e·s revendiquaient des comportements moraux parfois en rapport avec l’islam confrérique (ardeur au travail, non-consommation d’alcool).
  • [19]
    Une forte « ethnicisation du mépris de classe » est mobilisée par les enquêté·e·s pour se démarquer des « Blacks » et des « Espagnols » et contrebalancer le déclassement social et racial subi en migration. Voir Jennifer Bidet, « “Blédards” et “immigrés” sur les plages algériennes. Luttes de classement dans un espace social transnational », Actes de la recherche en sciences sociales, 218, 2017, p. 64-81. Les enquêté·e·s sénégalais·e·s utilisent le terme « Espagnol·e·s » pour désigner les Latino-Américain·e·s (tous pays et toutes générations de migration confondues) et le terme « Blacks » pour les Afro-Étasunien·ne·s.
  • [20]
    James S. Coleman, “Social capital in the creation of human capital”, American Journal of Sociology, 94 Supplement, 1988, p. S95-S120.
  • [21]
    Gérard Mauger, « Enquêter en milieu populaire », Genèses, 6, 1991, p. 125-143.
  • [22]
    Bruno Cousin et Sébastien Chauvin, « L’économie symbolique du capital social. Notes pour un programme de recherche », Actes de la recherche en sciences sociales, 193, 2012, p. 96-103.
  • [23]
    La vicinalité est un terme inventé par les ethnographes marxistes des années 1960 contre le structuralisme. Ce concept met l’accent sur l’amitié et la parenté pratique. Il s’agit d’une proximité marquée entre des maisons historiquement associées dans un environnement localisé. Voir João de Pina-Cabral, “Partible houses : variants of vicinage in Mozambique, Portugal and Brazil”, Séminaire Oïkos de l’École normale supérieure, Paris, campus Jourdan, 2016.
  • [24]
    Aminata, étudiante à l’Université de Dakar, explique qu’elle a appris « à rester à la maison » et « à être patiente », qualités requises pour le mariage : « Si tu sors trop souvent, on va dire que “tu marches”. Il faut rester tranquille. Ainsi tu auras un bon mari et qui aura beaucoup d’argent. »
  • [25]
    Il s’agit de l’un des sports les plus populaires au Sénégal.
  • [26]
    L’école dite française, héritée de la colonisation, représente l’enseignement scolaire dispensé en langue française, encadré par l’État et donnant accès aux diplômes nationaux.
  • [27]
    Le taux brut de préscolarisation pour la région de Dakar s’élève à 28 % en 2016 contre 17 % pour l’ensemble du Sénégal. Voir « Rapport national sur la situation de l’éducation 2016 », Dakar, ministère de l’Éducation nationale, 2016, p. 25.
  • [28]
    La catégorie des intellectuels désigne historiquement les premières générations d’hommes formés à l’école coloniale. Elle désigne aujourd’hui les adultes avec un certain niveau d’études et qui adoptent plus ou moins un style de vie qualifié d’occidental ou de toubab par les Sénégalais.
  • [29]
    Sur les différents types d’écoles élémentaires à Dakar, voir Amélie Grysole, “Private school investments and inequalities : negotiating the future in transnational Dakar”, Africa, 88(4), 2018, p. 663-682. L’enseignement privé a explosé depuis les années 1990, suite aux réformes néolibérales des années 1980 et à la baisse de qualité de l’enseignement primaire public.
  • [30]
    L’analyse des données administratives des listes du CFEE révèle que 52 % des candidat·e·s né·e·s au Sénégal étaient scolarisé·e·s dans le privé, contre 69 % des candidat·e·s né·e·s dans un autre pays africain (n = 205) et 96 % des candidat·e·s né·e·s aux États-Unis (n = 110). Source : liste des candidat·e·s inscrit·e·s au CFEE, année 2012-2013, dans l’Inspection de l’éducation et de la formation (IEF) des Parcelles Assainies et l’IEF des Almadies (n = 10 270).
  • [31]
    Wilfried Lignier, « L’identification des enfants. Un modèle utile pour l’analyse des primes socialisations », Sociologie, 6(2), 2015, p. 177-194.
  • [32]
    Aïd el-fitr (fête de rupture du jeûne du ramadan) et Aïd el-kebir (fête du sacrifice du mouton).
  • [33]
    Voir aussi en contexte malaisien, Janet Carsten, “Children in between : fostering and the process of kinship on Pulau Langkawi, Malaysia”, Man, 26(3), 1991, p. 425-443.
  • [34]
    Paul-André Rosental, « Maintien/rupture : un nouveau couple pour l’analyse des migrations », Annales, 45(6), 1990, p. 1403-1431.
  • [35]
    Sur ce sujet, voir l’article d’Hugo Bréant dans ce numéro.
  • [36]
    Pierre Bourdieu souligne que les manières peuvent être incluses dans le capital social du fait qu’elles signalent l’appartenance à un groupe plus ou moins prestigieux. Voir P. Bourdieu, “The forms of capital”, op. cit., note 13, p. 28.
  • [37]
    Tim Ingold, The Perception of the Environment. Essays on Livelihood, Dwelling and Skill, Londres, Routledge, 2000.
  • [38]
    « Il était généralement attendu des gens libres qu’ils soient riches. Il était aussi attendu qu’ils soient généreux en redistribuant les ressources », voir Beth Buggenhagen, Muslim Families in Global Senegal. Money Takes Care of Shame, Bloomington, Indiana University Press, 2012, p. 49 (ma traduction).
  • [39]
    Boubakar Ly, La Morale de l’honneur dans les sociétés wolof et halpulaar traditionnelles. Une approche des valeurs et de la personnalité culturelles sénégalaises. t.1, Paris, L’Harmattan, 2015, p. 92.
  • [40]
    Chelsie Yount-André, “Giving, taking, and sharing : reproducing economic moralities and social hierarchies in transnational Senegal”, thèse de doctorat en anthropologie sociale et ethnologie, Paris/Evanston (IL), EHESS/Northwestern University, 2016.
  • [41]
    Alain Marie, Robert Vuarin, François Leimdorfer, Jean-François Werner, Étienne Gérard et Ouassa Tiékoura (dir.), L’Afrique des individus. Itinéraires citadins dans l’Afrique contemporaine (Abidjan, Bamako, Dakar, Niamey), Paris, Karthala, 1997 ; Mamadou Ndongo Dimé, « Crise économique, pauvreté et dynamique des solidarités chez les catégories sociales moyenne et populaire à Dakar (Sénégal) », thèse de doctorat en sociologie, Montréal, Université de Montréal, 2005.
  • [42]
    C. Coe, art. cit.
  • [43]
    Jean-Claude Chamboredon, « Classes scolaires, classes d’âge, classes sociales.
    Les fonctions de scansion temporelle du système de formation », Enquête, 6, 1991 (en ligne).
  • [44]
    La plupart des enfants sont encore en âge maternel ou élémentaire au moment de l’enquête.
  • [45]
    Abdelmalek Sayad, « Les enfants illégitimes (2e partie) », Actes de la recherche en sciences sociales, 26-27, 1979, p. 117-132 et en particulier p. 128.
figure im1
ABRIBUS DE HARLEM, 2014. Affiche de prévention de la ville de New York.
Photo. © Amélie Grysole.

1« Les enfants, ils sont au bercail, ils sont bien. Laisser les enfants derrière, c’est un sacrifice pour nous, mais eux ils sont avec leur grand-mère, leurs tantes, la maison, tout le monde. » Aziz Diene [1], un père sénégalais résidant aux États-Unis, résume le dilemme entre, d’un côté, la difficulté de ne pas voir grandir ses enfants au quotidien et, de l’autre, la satisfaction de les savoir bien entouré·e·s au Sénégal. Lui et sa femme, Salimata Samb, travaillent à temps complet à Pawtucket, une petite ville postindustrielle de l’État du Rhode Island, sur la côte Est des États-Unis. Il·elle·s sont diplômé·e·s du secondaire et occupent respectivement un emploi de conducteur d’engins forestiers et d’aide-soignante en maison de retraite. Leurs deux fils cadets, nés sur le sol étasunien, sont partis vivre au Sénégal un peu avant l’âge de deux ans, en 2012 pour le premier, et 2015 pour le second. Les parents jugent qu’il·elle·s manquent de temps pour élever leurs enfants, dans les quartiers – populaires, noirs et immigrés – où il·elle·s résident, perçus comme des environnements hostiles. Salimata explique qu’aux États-Unis « pour contrôler les enfants, il faut savoir qui sont leurs amis ». La mise à distance des « mauvaises fréquentations » aux États-Unis et la valorisation des relations au Sénégal participent d’une stratégie éducative de lutte contre les risques d’échec social en migration et de jeu entre deux positions sociales et deux espaces sociaux de référence.

2Placer un enfant chez une connaissance s’inscrit dans des formes répandues de pluri-parentalité au Sénégal [2]. Plus précisément, l’envoi vers des proches en Afrique d’enfants né·e·s en migration a été analysé du point de vue des stratégies scolaires (établissements privés abordables), de socialisation (langue, religion, normes), ou d’évitement des « dangers » en migration (échec scolaire, délinquance) [3]. D’autres auteur·e·s ont montré que l’expérience des discriminations et les sentiments de dépréciation de soi augmentent les risques d’échec social chez les enfants d’immigrant·e·s, risques que les parents cherchent alors à prévenir [4]. À la suite de ces travaux qui portent majoritairement sur les âges (pré-)adolescents, cet article propose d’analyser le départ vers le Sénégal d’enfants aux plus jeunes âges, entre zéro et trois ans. L’émigration des parents vise souvent à assurer une reproduction sociale [5] devenue périlleuse au Sénégal. Comment dans ces conditions expliquer le paradoxe apparent de la migration dans l’autre sens des enfants en bas âge ?

3Le départ des enfants chez des proches au Sénégal ouvre pour les mères la possibilité d’occuper un emploi salarié sans engager de dépenses supplémentaires pour faire garder les enfants aux États-Unis. Elles peuvent ainsi envoyer des sommes d’argent importantes à Dakar et maintenir leur appartenance à leur groupe de parenté devenu transnational avec la migration. Cet arrangement d’économie domestique à distance témoigne de stratégies transnationales de mobilité sociale qui se développent entre deux espaces nationaux. D’une part, les parents rencontrés, issus des classes moyennes dakaroises, subissent un déclassement social aux États-Unis. D’autre part, leur réussite sociale s’exprime d’abord au Sénégal, par le biais de leurs participations financières. Ainsi, par leur déplacement, les enfants rendent-il·elle·s possible en même temps qu’il·elle·s matérialisent, à Dakar, la trajectoire d’ascension de leurs parents. De fait, conserver une position sociale dominante pour ces parents migrant·e·s, impose d’investir l’espace social sénégalais en y réinjectant le capital économique accumulé en migration. Toutefois, au-delà des logiques économiques (frais d’éducation moins élevés au Sénégal) et des départs motivés par une difficulté spécifique (mode de garde), la question posée dans cet article porte sur l’importance de transmettre aux enfants né·e·s aux États-Unis les relations sociales dakaroises. En quoi attacher les enfants aux apparenté·e·s resté·e·s à Dakar peut-il se révéler central dans la reproduction des groupes de parenté transnationaux constitués par les migrant·e·s et leurs proches au Sénégal ?

4Les « maisonnées » et les « lignées » transnationales étudiées ici dépassent largement les contours de la famille nucléo-conjugale. Le concept de maisonnée, qui désigne un collectif d’apparenté·e·s mobilisé·e·s solidairement autour de la production domestique et notamment de la prise en charge des enfants [6], n’implique pas la cohabitation et représente ainsi un outil heuristique pour étudier les dénommées « familles transnationales [7] ». L’envoi des enfants suppose d’abord des enjeux de production quotidienne pour la garde des enfants. Les stratégies transnationales déployées mêlent également des enjeux de lignée pour la transmission du statut social aux enfants [8]. Les deux termes seront employés tour à tour en fonction des logiques analysées au cours du texte. Ainsi, lier les enfants au quartier familial à Dakar engendre deux formes de capital social en triade, l’une interne impliquant des enjeux de maisonnée, l’autre externe révélant des objectifs de lignée. La triade relationnelle et transnationale analysée ici met en jeu trois pôles, incluant les parents migrant·e·s, les enfants né·e·s en migration qui circulent, et les proches resté·e·s à Dakar. D’un côté, maintenir les enfants né·e·s aux États-Unis dans les objectifs collectifs, transnationaux et intergénérationnels de la migration nécessite la formation de capital social interne (ou intrafamilial). Il s’agit de souder la maisonnée transnationale en entretenant les liens affectifs et quotidiens avec les membres resté·e·s à Dakar. Dans l’idéal des parents, une période de socialisation de quelques années au Sénégal permettrait aux enfants d’apprendre que le « soin matériel [9] » et quotidien qu’il·elle·s reçoivent de leurs parents ainsi que d’autres adultes crée des attentes et s’inscrit dans des logiques de réciprocité qu’il·elle·s auront à honorer dans le futur. D’un autre côté, transmettre aux enfants une position sociale de classe moyenne passe par un apprentissage par les enfants des relations distinctives de leur lignée, le capital social externe (ou extra-familial), c’est-à-dire les voisin·e·s, les lignées alliées et les camarades de classe. Par le biais d’une familiarisation à l’espace social et relationnel à Dakar, les enfants appréhendent un positionnement social dominant au sein de l’hétérogénéité sociale locale. Par leur présence, il·elle·s se font les vecteurs de la valorisation des différentes formes de capitaux accumulés aux États-Unis et au Sénégal qui assurent le capital symbolique et la position sociale de leur lignée à Dakar. Cet article propose donc d’explorer les efforts déployés par les parents, à la fois pour produire pour les enfants et pour maintenir pour eux-mêmes, les relations avec le Sénégal, ainsi que les enjeux de production domestique quotidienne comme de reproduction sociale qui animent ces efforts.

5L’article revient d’abord sur le triple déclassement – social, racial et statutaire [10] – vécu par les parents sénégalais de cette enquête. Malgré une situation économique dégradée au Sénégal, la position sociale des enquêté·e·s est plus avantageuse dans l’espace social sénégalais (classes moyennes) que celle qu’il·elle·s intègrent dans l’espace social étasunien (classes populaires). Ensuite, l’article montre comment transmettre à leurs enfants le statut social initial ne peut se réaliser qu’à Dakar, par l’expérience des relations de leur lignée et le partage du temps quotidien [11], au-delà des séjours de vacances. Enfin, les enfants repartiront aux États-Unis à un moment, qui se situe hors du champ de cette étude, avec des dettes de soin envers les membres de leur maisonnée au Sénégal. Si les séparations parents/enfants font partie des répertoires de parenté au Sénégal, elles sont rarement aussi longues et impliquent ainsi un coût affectif pour les parents migrant·e·s. En conséquence, le niveau de leurs attentes est élevé, avec des enjeux relationnels et socialisateurs qui sont au cœur des bénéfices espérés des longs séjours des enfants en Afrique et au centre des stratégies transnationales de reproduction [voir encadré « Enquêter sur la reproduction trans nationale », p. 31].

Enquêter sur la reproduction transnationale

L’enquête ethnographique a été menée entre 2013 et 2015 dans le cadre d’une recherche doctorale. L’entrée sur le terrain par deux écoles privées (catholique et laïque) à Dakar a permis de rencontrer des enfants né·e·s aux États-Unis et en Italie. J’ai ensuite été mise en contact avec les grand-mères, oncles et tantes des enfants qui prennent soin d’eux au quotidien. L’école catholique du centre de Dakar a donné accès à des maisonnées issues des classes moyennes et supérieures de tous les quartiers de la capitale. L’école laïque située en banlieue populaire, à Yoff (où je me suis installée), m’a mise en contact avec de larges maisonnées appartenant aux classes moyennes. J’ai rencontré certains parents migrant·e·s des enfants rencontré·e·s à Yoff, lors de courts séjours dans l’Est des États-Unis : une douzaine de couples de parents âgé·e·s de 35 à 50 ans. Seuls deux couples n’avaient envoyé aucun de leurs enfants au Sénégal. Les enfants étaient partis entre zéro et trois ans pour une durée d’une à douze années. Le terrain s’est déroulé en français, en wolof et en anglais. J’ai passé du temps quotidien et festif avec les Yoffois·e·s du Rhode Island organisé·e·s en « tour de famille [1] » et j’ai rencontré plusieurs couples de parents à New York. L’enquête porte sur les stratégies éducatives et les logiques d’une reproduction sociale qui se déploient sur et entre deux territoires. Les forces disponibles (au-delà des parents) pour éduquer les enfants se trouvent séparées par de longues distances et des frontières nationales. Les déplacements des enfants vers Yoff jouent sur le double positionnement des migrant·e·s entre deux espaces de classement social et sur les contraintes et les opportunités de chaque territoire, en mobilisant les ressources à la fois de l’autochtonie et de l’international [2].

Se rassembler et se distinguer aux États-Unis

6À l’indépendance en 1960, l’État sénégalais a embauché de nombreux fonctionnaires pour remplacer les administrateurs coloniaux et a investi largement dans l’éducation scolaire. Dans les années 1970, l’économie sénégalaise a subi les chutes des cours mondiaux de l’arachide et des phosphates, avant de se trouver affectée par les crises pétrolières. À cause d’un endettement en spirale auprès de banques privées étrangères dans les années 1980, le pays s’est vu imposer des ajustements structurels par le FMI et la Banque mondiale qui ont engendré de fortes restrictions sur les dépenses publiques et une diminution progressive des contingents de fonctionnaires. En conséquence de quoi, les maisonnées dakaroises ont vu, d’un côté, les emplois contractuels et les revenus réguliers se raréfier et, de l’autre, le coût de la vie augmenter (dévaluation du FCFA de 50 % en 1994) [12]. Les migrations hors du continent africain étaient jusque-là principalement le fait des zones rurales du nord du Sénégal. À partir des années 1990-2000, les Sénégalais ont commencé à quitter les villes, vers l’Europe du Sud et les États-Unis, la France ayant fermé ses frontières aux migrations de travail en 1974 [13]. Les couples dakarois rencontrés aux États-Unis sont ainsi des migrant·e·s récent·e·s, issu·e·s de maisonnées urbaines en déclin socio-économique.

Un déclassement multiforme

7Au Sénégal, les enquêté·e·s occupaient des emplois non pérennes et peu rémunérateurs avant leur départ (commerçant transnational occasionnel, institutrice d’une école maternelle privée de quartier, aidant familial d’une petite entreprise, employée d’un cybercafé) ; il·elle·s cumulaient souvent plusieurs petits « boulots ». Pour classer les maisonnées parmi différentes fractions des classes moyennes [14] dakaroises, je prends en compte le niveau de diplôme, la maîtrise du français, les investissements scolaires privés pour les enfants, la propriété du logement, le nombre de membres (10 à 15 personnes). La plupart des parents migrant·e·s ont obtenu des diplômes avant leur départ, du secondaire jusqu’à bac + 2. Au sein de l’espace social populaire de Yoff, les enquêté·e·s sont de ceux·elles dont les pères occupaient des postes d’employés d’entreprises (para-)publiques puis de petits cadres en fin de carrière, ou d’artisans puis d’entrepreneurs (pêche, bâtiment), avec un salaire principal qui prenait en charge plusieurs épouses et un grand nombre d’enfants. Les migrant·e·s rencontré·e·s ont tous été fortement encouragé·e·s dans leur scolarité, à une période où celle-ci représentait un investissement rentable donnant accès à des postes stables.

8Aux États-Unis, les émigrant·e·s de Yoff deviennent, pour la première fois, locataires d’appartements dans des quartiers ségrégués où il·elle·s occupent des positions subalternes, dans les secteurs de l’aide à la personne, du transport et de la restauration. Il·elle·s sont embauché·e·s à temps complet, effectuant autant d’heures supplémentaires que possible, avec ou sans contrat de travail (selon la possession ou non d’un titre de séjour). Les enquêté·e·s résident dans trois villes du Rhode Island où les loyers sont les moins chers de l’État et les taux d’immigrant·e·s et de pauvreté les plus élevés. Dans le Rhode Island, les relations yoffoises ont été institutionnalisées en tour de famille [voir encadré, p. 31]. Le tour du Rhode Island réunit les couples géér[15] et natifs de Yoff. Les migrant·e·s yoffois·e·s ont « synchronisé (leurs) week-ends off » car la plupart d’entre eux·elles disposent d’un week-end de repos sur deux. Ainsi, une douzaine de couples et quelques hommes célibataires se retrouvent toutes les deux semaines avec leurs enfants.

9Les salaires des enquêté·e·s sont plus importants aux États-Unis, mais leur position sociale relative est meilleure au Sénégal [16]. Les migrant·e·s de ce terrain d’enquête font ainsi l’expérience d’une « incohérence de statut [17] » et d’un déclassement transnational entre deux espaces nationaux de classement social. Partant d’une position de classe moyenne, propriétaire, de statut géér au Sénégal, les enquêté·e·s intègrent la working class noire aux États-Unis. Par contraste, à Yoff, les enquêté·e·s confiaient leur lessive à des lingères de quartier payées à la tâche et salariaient parfois une bonne à plein temps. Au déclassement de leur position sociale initiale s’ajoutent l’invisibilité de leur position statutaire et la découverte de la disqualification raciale. La catégorie statutaire de géér était auparavant liée à la richesse et à la possession de la terre ; si aujourd’hui tous les milieux socio-économiques y sont représentés, ce statut reste dominant. Cette distinction cruciale au Sénégal est rendue caduque aux États-Unis. Les migrant·e·s sénégalais·e·s sont intégré·e·s par le bas du marché du travail et par le bas des hiérarchies ethno-raciales [18].

10En tant qu’Africain·e·s noir·e·s, les Yoffois·e·s sont confondu·e·s avec les Afro-Étasunien·ne·s, notamment par la population blanche. En tant qu’immigrant·e·s, il·elle·s sont mêlé·e·s dans les discours publics aux Latino-Américain·e·s, groupe ethno-racial le plus représenté au sein de l’immigration aux États-Unis. Dans ces conditions, le tour de famille entretient un entre-soi protecteur et produit un discours commun visant à maintenir des frontières symboliques entre « eux » et « les autres » [19]. Néanmoins, les parents rencontré·e·s affirment que l’encadrement des enfants reste difficile aux États-Unis car les Yoffois·e·s sont « disséminé·e·s dans les villes » ; il leur manque ainsi la proximité des oncles, des tantes et des voisin·e·s. La « clôture générationnelle [20] », c’est-à-dire le contrôle d’un collectif d’adultes sur leurs enfants respectifs, qui est importante dans leur quartier de lignées historiques à Yoff, est comparativement très faible aux États-Unis, où le voisinage est en grande partie inconnu des parents enquêté·e·s.

Les difficultés de garde comme déclencheur du départ

11Sans aide de l’État pour couvrir les frais d’une crèche, le mode de garde abordable pour ces couples biactifs est celui des baby-sitters non déclarées. Plusieurs mères ont raconté leurs larmes lors des premières expériences avec des baby-sitters « inconnues », alors qu’au Sénégal une sœur, une cousine, plusieurs adultes peuvent être disponibles pour garder les enfants. Les enfants partent très jeunes car les difficultés de garde se posent de la naissance jusqu’au premier âge scolaire, avec une entrée au kindergarten à cinq ans. La décision est prise à la fois en couple, et sur les conseils de la famille et de la belle-famille à distance. Toutefois, les mères rencontrées avaient souvent le pouvoir de valider ou non la décision, car ce sont elles qui s’en occupent au quotidien et doivent donc les faire garder lorsqu’elles travaillent. Les mères avancent ainsi des problèmes avec les baby-sitters, mais aussi un conjoint qui « n’aide pas » à la maison. Au contraire, les rares couples rencontrés dont les enfants restent aux États-Unis sont ceux qui parviennent à s’organiser à deux pour les garder, avec une gestion quotidienne qui ne repose pas exclusivement sur la mère et épouse.

12Les mères enquêtées sont fortement liées à leur maisonnée parentale, avec une cohabitation avant le départ, et des envois d’argent mensuels suite à la migration. Les enfants de Salimata Samb étaient « réclamé·e·s » par sa propre mère et ses sœurs, ces dernières arguant explicitement que Salimata pourrait ainsi travailler plus et dépenser moins. Son épuisement et la multiplication inhabituelle des rôles, entre travail salarié, travail domestique et soin des enfants, ont convaincu Salimata de « laisser partir » ses fils à l’âge d’environ deux ans. Par ailleurs, certaines mères ont repris des études en formation continue ; la garde des enfants à Dakar autorise des mobilités professionnelles progressives. Awa, 43 ans, était institutrice d’école maternelle au Sénégal, avec un niveau bac + 2. Elle est devenue aide-soignante, puis infirmière à New York, en reprenant ses études en cours du soir (elle est la seule parvenue à ce niveau d’emploi). Ses cinq enfants, dont trois né·e·s à New York, vivent à Yoff. Unanimement, les mères préfèrent envoyer leurs enfants dans leur maison parentale d’origine, vers leurs propres parents et leur fratrie. Quand les enfants sont gardé·e·s dans la belle-famille, leur séjour à Dakar est plus court car il est source de tensions à distance, entre la mère migrante et sa belle-famille, et au sein du couple. Les maisonnées transnationales que j’ai pu fréquenter sur le long terme représentent les cas les moins conflictuels, c’est-à-dire lorsque les enfants sont confié·e·s à leur parenté utérine. De surcroît, la captation des enfants permet ensuite d’attirer l’argent de la migration. Les couples sénégalais ont généralement des budgets séparés et l’époux est en théorie responsable de la prise en charge de sa ou ses épouses et leurs enfants. Ainsi, les maisonnées utérines attirent les ressources de la mère, qui envoyait déjà de l’argent, mais également les ressources du père des enfants. Awa a fait construire, avec l’aide de son époux chauffeur de taxi à New York, un premier étage pour sa mère et sa sœur cadette divorcée avec quatre enfants à charge, ainsi qu’un second étage pour leurs cinq enfants et sa sœur aînée, au-dessus du bâtiment d’origine ; ses frères occupent le rez-de-chaussée. Awa finance de son côté la scolarité de certain·e·s de ses nièces et neveux, pendant que son conjoint finance celle de leurs enfants.

13Ce faisant, les mères jouent concrètement sur les ressources économiques et humaines des deux territoires de leur maisonnée transnationale. Cet arrangement pratique du quotidien va de pair avec des stratégies de plus long terme, comme l’évitement d’une socialisation et des relations dans les quartiers populaires étasuniens.

Échapper aux quartiers populaires aux États-Unis, transmettre la position de classe moyenne à Dakar

14Les parents décrivent leurs quartiers de résidence comme inadaptés pour faire grandir leurs enfants, même si les petites villes du Rhode Island sont considérées comme « plus sûres » que les quartiers de Harlem ou du Bronx à New York. La perception des risques prend différentes formes en fonction du genre : d’un côté, les comportements déviants pour les garçons (« Il y a les gangs, l’adolescence, ce n’est pas facile, ici il y a too many options ») et de l’autre, les grossesses précoces pour les filles.

15L’affiche municipale, photographiée à Harlem, cible un enfant noir et fait office de miroir pour les parents sénégalais·e·s, qui pour mieux s’en distinguer comparent leurs destins sociaux à ceux des Afro-Étasunien·ne·s [voir illustration, p. 28]. L’affiche vient confirmer leurs doutes sur les dangers pesant sur les enfants, avec une injonction à la surveillance parentale et l’énonciation explicite des risques pour leur avenir : « Si vos enfants sont absent·e·s 20 jours ou plus sur une année scolaire, il est probable qu’ils redoubleront leur année » (ma traduction). L’histoire d’un étudiant sénégalais âgé de 19 ans et placé en détention provisoire pour complicité de meurtre a été l’objet de nombreux commentaires. Ses parents, un couple de Yoffois·e·s connu de tous, ne participaient plus aux rencontres bimensuelles du tour [voir encadré, p. 31] depuis deux ans. Quand j’en ai demandé la raison, Salimata Samb a répondu : « Ah ! C’est leur choix ! Ils ont pris leur décision. Mais là, on le voit bien, que quand on est ici, on a besoin de la communauté, il ne fait pas bon être seul. Ici tout a des conséquences. » Le groupe a néanmoins participé aux frais de justice. Cet enfant représentait auparavant un modèle car il était le premier à accéder à l’université. Que ce jeune ait pu se trouver mêlé à une affaire criminelle a stupéfié l’ensemble des parents : « Ici tout peut arriver. » Les discussions ont beaucoup tourné autour du fait que personne ne connaissait ses amis. Salimata a expliqué : « Son papa ne connaissait pas ses amis, ceux qui ont tué le type, il ne les connaissait pas ! » Le tour de famille regroupe des relations « valables » pour les enfants, mais le groupe est trop restreint pour assurer le contrôle de l’ensemble des fréquentations des enfants à l’âge scolaire. Les relations amicales hors du tour des Yoffois·e·s concentrent ainsi dans les discours des adultes les inquiétudes liées à une socialisation aux États-Unis.

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MAISON HÉBERGEANT des enfants né·e·s aux États-Unis, dénote dans le quartier populaire de Yoff.
Photo. © Amélie Grysole.
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ÉTABLISSEMENT PRIVÉ, accueille des élèves des classes moyennes locales et des enfants de migrant·e·s.
Photo. © Amélie Grysole.

16Si le déclencheur du départ des enfants en bas âge est souvent lié au mode de garde, les préoccupations sont tournées vers le futur : le danger des « mauvaises fréquentations » et plus largement de l’échec social en migration. Dans un entre-soi yoffois, les concurrences entre parents sur le devenir des enfants sont discrètes mais très présentes. Avancer des justifications qui font largement consensus dans le groupe permet de ne pas dévoiler publiquement l’intimité des décisions. Si la probabilité des risques les plus redoutés (grossesse adolescente, peine de prison) est inconnue, le déclassement social, racial et statutaire est bien réel. Les couples de parents enquêté·e·s appartiennent objectivement aux classes populaires étasuniennes (emplois subalternes, diplômes du secondaire, locations). Pourtant, leur « bonne volonté culturelle [21] » avec des aspirations scolaires fortes pour leurs enfants, le goût de l’utile et de la prévoyance qu’il·elle·s affichent rapprochent socialement leurs comportements de ceux des classes moyennes. À cet égard, lutter contre le déclassement transnational implique la transmission de l’ethos de classe moyenne et de statut géér au Sénégal.

Intégrer Yoff par le haut

17Transmettre aux enfants le statut de classe moyenne peut se réaliser par leur présence prolongée au sein de l’espace social où la position initiale des parents prend tout son sens. Il va s’agir ici de mettre l’accent sur la fonction reproductive et la dimension symbolique [22] du capital social externe à la lignée. Les enfants intériorisent à Dakar une position de classe moyenne et de statut géér plutôt qu’une position de classe populaire immigrée et minoritaire aux États-Unis : il·elle·s intègrent Yoff par le haut. En outre, la présence des enfants de migrant·e·s met en exergue les différentes formes de capitaux accumulés et a des retombées symboliques collectives pour l’ensemble de leur lignée. Les enfants assurent en outre l’inclusion de leurs parents au sein de la vicinalité [23] yoffoise.

Appréhension des inégalités par la circulation et les groupes de pairs

18À Yoff, les enfants font leur propre apprentissage de l’espace social, notamment par leur circulation dans le quartier. Les amitiés yoffoises se soudent par groupe d’âge et se poursuivront à l’âge adulte : les garçons le plus souvent à l’extérieur et les filles à l’intérieur des maisons [24]. Ces dernières sortent pour une commission ou pour passer un moment dans une autre maison. Les garçons occupent les ruelles par « bande » dès l’âge de quatre ou cinq ans. D’abord, ils restent aux alentours de la maison et jouent à la lutte sénégalaise [25] ou au football. Puis, les limites autorisées pour leurs déplacements s’élargissent progressivement jusqu’à la grande route. Vers huit-dix ans, ils tentent leurs premières expéditions vers « la plage des enfants », située à environ un kilomètre du quartier de résidence. On voit les bandes arriver de loin dans les ruelles. Un père de trois jeunes garçons affirme : « Je ne m’inquiète même pas de savoir où ils mangent, je ne les cherche pas à l’heure du repas », ce qui est nettement moins le cas pour les jeunes filles. Ces dernières voient également leur périmètre s’élargir, mais rarement pour rester dans la rue. À travers leurs expériences de circulation, les enfants prennent conscience des différentiels économiques entre maisons et de leur statut favorisé d’enfants de migrant·e·s. Les valises de vêtements envoyées par Salimata arrivent par conteneur pour ses enfants, ses neveux et nièces, et pour les enfants des voisin·e·s moins fortuné·e·s. De leur côté, les enfants d’Awa donnent leurs affaires, avant qu’elles ne soient trop usées, à leurs cousin·e·s dont la mère est sans ressources.

Écoles privées et sélection sociale

19L’apprentissage relationnel de leur position sociale dominante dans l’environnement populaire de Yoff se double d’investissements scolaires privés. Quand il·elle·s arrivent à Yoff, les enfants de migrant·e·s sont d’abord inscrit·e·s dans une école coranique du quartier à partir de l’âge de trois ans, pour « connaître leurs prières », devenir de « bon·ne·s musulman·e·s » et aussi « apprendre à aller à l’école ». Les enfants né·e·s en migration intègrent ensuite « l’école française [26] » maternelle vers l’âge de quatre ou cinq ans [27]. En comparaison, aux États-Unis, il n’existe pas d’école coranique de quartier pour l’âge préscolaire. Un enseignement islamique est dispensé le dimanche par la mosquée de Pawtucket uniquement pour les enfants en âge élémentaire. Par ailleurs, un environnement éducatif et collectif financé par l’État n’est accessible qu’à partir de cinq ans. Dans le Rhode Island, un seul couple de parents, aide-soignant·e·s et diplômé·e·s du baccalauréat et d’un BTS – qualifié·e·s d’« intellectuels [28] » par les autres Yoffois·e·s –, a fait le choix de financer une crèche privée pour leur fils unique. En l’espèce, force est de constater que les conditions de socialisation préscolaire sont plus accessibles et également plus distinctives à Yoff que dans le Rhode Island.

20À Dakar, les enfants sont en grandissant scolarisé·e·s dans une école française élémentaire privée, le plus souvent laïque (type d’écoles le plus récent), parfois catholique (écoles plus anciennes et plus onéreuses) [29]. Parmi les candidat·e·s inscrit·e·s au certificat de fin d’études élémentaires (CFEE) en 2013 dans les inspections des Parcelles Assainies et des Almadies (qui inclut Yoff), 96 % des élèves né·e·s aux États-Unis avaient été scolarisé·e·s dans le privé, contre 52 % des enfants né·e·s au Sénégal [30]. Dans ces établissements privés, les enfants nouent des relations plus sélectives que les bandes aux abords de la maison familiale. Leurs camarades de jeux du quartier viennent de lignées plus disparates socialement, plus populaires, et fréquentent plus souvent les écoles publiques de Yoff. L’idéal socialisateur et relationnel du quartier populaire de Yoff dans les discours parentaux est ainsi à mettre en regard des stratégies d’évitement des écoles publiques locales.

Le prestige des enfants « américains »

21Les enfants de migrant·e·s incarnent également la trajectoire ascendante de leurs parents et augmentent localement le prestige de leurs lignées. À Dakar, les migrant·e·s sont habituellement rappelé·e·s à l’entourage par l’amélioration et l’équipement de l’habitat qu’il·elle·s financent à distance. La présence de leurs enfants donne corps et vie à cette réussite économique au-delà de l’enceinte de la maison : notamment par leur scolarisation dans les établissements privés de la capitale et par les vêtements importés qu’il·elle·s arborent. Dans le quartier, les proches soulignent régulièrement la nationalité étasunienne des enfants. Ces dernier·ère·s sont interpellé·e·s sur le ton de l’humour : « Américain, Américain, kaay ! » (viens !). À quatre ans, Souleymane, fils de Salimata, a appris à jouer de cette double appartenance. Quand il n’est pas d’accord avec quelqu’un à la maison, il menace du doigt en disant : « Yow ! Demoo États-Unis ! » (Toi ! Tu n’iras pas aux États-Unis !). Tout le monde rit et le taquine sous forme de jeu : « Et moi, tu m’emmèneras aux États-Unis ? » Souleymane dit qu’il partira avec sa grand-mère et dessine les contours de ses affinités avec son entourage, en acceptant ou refusant d’emmener l’un·e ou l’autre aux États-Unis. La présence des enfants « américain·e·s » bénéficie à la réputation de leurs parents et de leur lignée. Les parents gagnent leur vie en dollars et si tout se passe bien, les enfants feront de même. Les jeunes citoyen·ne·s étasunien·ne·s prennent conscience progressivement de leur position privilégiée et des attentes dont il·elle·s sont porteur·se·s. Les proches cherchent à lier des relations avec ces enfants prometteur·se·s et identifié·e·s [31] comme tel·le·s dès leur plus jeune âge. Pour les fêtes religieuses de la korité et de la tabaski [32], les enfants de migrant·e·s s’habillent de « basin riche », étoffe coûteuse de la meilleure qualité. Pour la fête de la tabaski, chaque homme qui est « chargé de famille » se doit d’acheter un mouton. Les maisons qui reçoivent de l’argent de plusieurs migrant·e·s cumulent les moutons pour la fête, qui viennent ainsi mettre en scène l’aisance financière de l’ensemble des habitant·e·s et le capital symbolique de leur lignée.

Entretien du capital social externe par les enfants

22À Yoff, les enfants assurent la continuité des relations de leurs parents qui vivent à l’étranger. Sur les conseils avisés de sa mère, Salimata a décidé d’envoyer son premier fils à Yoff au moment où sa belle-mère le réclamait. Il était le premier petit-fils de cette dernière, après plusieurs petites-filles. Divers éléments ont concouru au départ de l’enfant. Toutefois, préserver les relations avec la belle-famille est toujours une préoccupation pour les femmes mariées, surtout quand leur absence prolongée les empêche de rendre visite, cuisiner et prendre soin de leur belle-mère. Le fils de Salimata a été accueilli dans la maison de la mère et des sœurs de Salimata, mais chaque week-end et pour chaque cérémonie, Souleymane part avec sa sœur aînée rendre visite à leur grand-mère paternelle. Je l’ai croisé plusieurs fois, habillé comme pour les grands jours, d’un bermuda bleu marine, d’une chemise à carreaux, d’un petit gilet écru, et de mocassins neufs par exemple. D’autres parents ont notamment organisé leurs cours particuliers d’aide aux devoirs dans la maison des grands-parents paternels plusieurs fois par semaine.

23Par leur circulation, les enfants participent de cette façon au maintien des liens de parenté et de voisinage [33]. Pendant les fêtes, il·elle·s défilent en boubou de maison en maison et reçoivent de l’argent. Dans la maison de la mère de Salimata, les femmes les accueillent dans la cour et distribuent quelques pièces à chaque groupe. Quand il·elle·s ne sont pas du voisinage le plus proche, on leur demande : « Ki kan la ? » (Qui est là ?), une occasion d’actualiser les liens de parenté avec les jeunes enfants qu’on ne reconnaît pas au premier coup d’œil. On réfléchit, on devine ensemble : quelle maison, quelle tante, quel métier, quelle star locale de lutte ou de football, quel nom de famille, etc. Après six ans d’absence, Salimata assiste à la fête de korité de juillet 2015 et questionne l’identité de chaque enfant, en disant : « Je ne reconnais plus personne ! » Quand les migrant·e·s sont absent·e·s pendant de longues années, le capital social externe est difficile à entretenir car il·elle·s sortent du quotidien de la scène locale.

24Or l’entretien des relations est central pour la réalisation des projets de vie des parents. Pour les parents migrant·e·s, Yoff représente « l’espace investi [34] » où s’exprime leur trajectoire ascendante. Les couples qui ont envoyé leurs enfants en Afrique projettent tous de rentrer un jour au Sénégal [35]. Leur objectif est d’accumuler des ressources économiques, d’acheter une ou plusieurs maisons au Sénégal, puis de rentrer vivre d’un petit commerce et de locations. Dans l’idéal, il·elle·s espèrent que leurs enfants feront de même. Ces dernier·ère·s pourraient étudier aux États-Unis puis trouver un poste « haut placé » à Dakar. Or, pour toute démarche au Sénégal, il faut des relations : que ce soit pour acheter une maison, trouver un « bon job », « lancer un petit business ». Même avec des diplômes, « si tu n’as pas le bras long, tu vas rester comme ça et faire des stages jusqu’à te fatiguer ».

25Dans ce contexte, la densité des relations à Dakar est importante à produire pour, et à faire entretenir par, les enfants né·e·s aux États-Unis. Ce capital social externe à la lignée est à la fois collectif, les voisin·e·s et les lignées historiquement alliées, et individuel, par exemple les relations scolaires des écoles privées pour les enfants. La transmission et l’entretien de ce capital social externe par les enfants assurent la valorisation du patrimoine, transnational, dans un espace local où la réputation de la lignée prend sa source. Ensuite, les enfants assimilent les manières qui traduisent leur place dans les hiérarchies de classe, d’âge, de genre, de génération, pour être en mesure d’interagir au sein de cette vicinalité yoffoise [36].

Socialiser aux relations et à la redistribution

Apprendre sa place : compétences et hiérarchies

26Tim Ingold qualifie de practical enskilment[37] les expériences concrètes et routinières qui permettent l’acquisition de capacités d’action situées, ici à Yoff. Historiquement, les géér étaient reconnus sur la base de leur comportement vis-à-vis des autres [38]. Les enfants de lignées géér se doivent d’honorer leur « belle naissance sociale [39] » et, plus que les autres, faire montre de kersa (maintien, retenue), de jom (dignité), et surtout de générosité. Ces qualités font partie de la dimension symbolique du capital social : savoir entrer en relation comme un géér. Les enfants intègrent également les compétences sociales partagées par tou·te·s, comme savoir « conserver de bonnes relations intactes ». Le maasla, qu’Awa traduit par la « diplomatie », englobe les comportements qui permettent de ne « jamais avoir de problème », de « régler un conflit dans le calme ». « Entre voisin·e·s, même si on te fait du tort, tu dois être en mesure de digérer tout ça. » Plusieurs migrant·e·s rencontré·e·s estiment que les enfants socialisé·e·s aux États-Unis n’assimilent pas suffisamment cette forme de tact et de modération dans la gestion des relations. Assane, aidesoignant dans le Rhode Island, relate une scène qui l’a choqué lors d’une visite chez son cousin au Québec. Son fils, alors âgé de neuf ans, a refusé un cadeau offert par le fils de son cousin en disant d’un air désabusé : « C’est nul, je n’aime pas ! » Assane explique : « Mon fils, c’est un Américain […] j’avais tellement honte, je ne savais même pas quoi dire. » La singularité de cette anecdote ne réside pas tant dans le fait qu’Assane réprouve le comportement de son fils que dans la manière dont il associe cette attitude à une socialisation étasunienne qu’il juge très différente de la sienne. Au Sénégal, la faiblesse de l’État social induit que la protection personnelle de chacun·e dépend fortement de ses relations entretenues avec les autres. Ainsi, l’évitement des conflits et des « mauvaises paroles » en public représente un comportement social attendu et même nécessaire.

27À Dakar, les enfants expérimentent les relations dans un contexte à la fois hiérarchisé, inégalitaire et monétarisé. Rama, 41 ans et technicienne radio, se rappelle lorsqu’à la sortie de l’école avec ses ami·e·s, il·elle·s « demand(aient) cent francs aux adultes pour acheter des arachides aux vendeuses sur la plage, des trucs que font les enfants quoi ». Lors d’une balade pendant la korité de 2014, nous croisons ses neveux âgés de quatre à huit ans, circulant de maison en maison. Rama leur demande quelle somme ils ont ramassée chacun ; ils montrent tour à tour ce qu’ils ont dans les poches, ce qui représente des sommes très inégales. Le plus âgé présente 2 000 FCFA et Rama juge que c’est trop ; elle lui dit de remettre la somme à son père à son retour. Le second annonce 1 000 FCFA, dont 500 FCFA qu’il explique avoir reçus pour eux quatre. Rama prend les 500 FCFA, cherche la monnaie, et les répartit en remettant 125 FCFA à chaque neveu. Elle les laisse repartir puis rit en m’expliquant que le plus jeune « s’est fait arnaquer » car il n’avait que 50 FCFA entre les mains au départ. Rama a donc partagé les 500 FCFA qui étaient explicitement pour eux quatre, mais elle n’a pas cherché à rétablir l’égalité des cadeaux en argent reçus par chaque enfant. La monétarisation des relations sociales implique une intense circulation de l’argent pour tous les événements de la vie sociale, ainsi qu’une socialisation précoce à l’argent. Au cours de l’enquête, j’ai moi-même appris à donner des pièces aux enfants de mon entourage, mais aussi des billets aux grand-mères, qui ont l’âge d’être prises en charge et de recevoir les cadeaux des visiteur·se·s, surtout quand ces dernier·ère·s sont reconnu·e·s pour leur aisance économique. Plus on est « à l’aise », plus on nous demande, plus on donne. Refuser catégoriquement n’est pas envisageable au nom de la concorde dans les relations. À Yoff, les enfants apprennent progressivement à partager et recevoir, selon leur position statutaire et socio-économique, mais aussi selon leur âge : notamment demander aux adultes et donner aux plus jeunes et aux plus pauvres [40].

Attacher les enfants aux membres dakarois·e·s des maisonnées transnationales

28Rama détient par ailleurs une autorité d’aînée qu’aucun de ses neveux ne songerait à remettre en cause. Aux États-Unis, tous les parents rencontré·e·s ont mentionné la peur que leur enfant ose un jour leur dire : « Non, maman (ou papa), tu mens. » Cette inquiétude d’être contredit·e par son enfant dénote une anticipation par les parents des conséquences d’une socialisation à des normes divergentes des leurs. À Yoff, l’apprentissage quotidien des hiérarchies sociales informe les enfants sur leur place générationnelle dans leur entourage et sur le tour de prise en charge qu’il·elle·s se devront de prendre au sein de leur maisonnée transnationale à l’avenir. Ce faisant, il·elle·s apprennent les contraintes et les obligations du capital social interne à la maisonnée. Comprendre pour plus tard être en mesure d’occuper sa place dans le cycle intergénérationnel de redistribution appartient à la socialisation de ce qui fait une « bonne » personne du point de vue du Sénégal.

29Le jour du baptême d’un enfant, on souhaite « que l’enfant puisse aider ses parents à l’avenir ». Dans la traduction littérale, « Na indi ay xéewal yu bari » signifie « qu’il amène beaucoup d’aubaine ». Les deux versants de la réussite sociale sont présents : la réussite économique (beaucoup d’aubaine) et la générosité (amener). La reconnaissance d’une réussite individuelle passe par la capacité à « aider » ses proches [41]. La valeur économique des enfants s’est modifiée avec la généralisation de la scolarisation ; il·elle·s représentent moins une force de travail, et au contraire coûtent à présent de l’argent pour leur éducation. Cependant, le peu d’opportunités d’emploi et l’absence de retraites décentes au Sénégal font que les adultes comptent toujours sur les enfants pour prendre en charge leur vieillesse. Les enfants qui auront réussi économiquement doivent savoir qu’il·elle·s ne sont pas seul·e·s responsables de leur succès, mais que c’est l’œuvre d’un collectif et qu’il·elle·s lui sont redevables.

30En migration, toutes les forces nécessaires pour élever un enfant ne sont pas disponibles. La pluralité des rôles parentaux se trouve réduite au strict minimum aux États-Unis. Les enfants qui partent à Yoff ont « besoin » de leurs grands-parents, oncles, tantes et cousin·e·s. Chaque enfant crée son réseau égocentré de relations électives avec des membres de la maisonnée qui interviennent à différents moments de son éducation : jeux, conseils, apprentissages, devoirs. Les parents cherchent également à rassembler et souder les fratries quand un fils, né citoyen étasunien, a une sœur aînée restée au Sénégal : « Elle est plus âgée que lui, elle pourra l’aider dans la vie. » Ce faisant, des liens affectifs, qui ne peuvent se créer à distance, mais aussi des sentiments de gratitude et des dettes de prise en charge s’installent entre les enfants de migrant·e·s et les proches resté·e·s à Dakar. Il ne s’agit pas seulement de pouvoir financièrement mais aussi de vouloir prendre en charge les personnes qui vous ont aidé·e à grandir, le moment venu [42]. Lier affectivement les enfants aux membres yoffois·e·s de la maisonnée transnationale permet d’envisager une continuité des prises en charge matérielles et quotidiennes dans le futur. Les longs séjours des enfants au Sénégal favorisent ainsi la constitution d’un capital social interne à la maisonnée transnationale, qui soutient les solidarités entre générations. Cette organisation de la production domestique à distance bénéficie à la fois aux membres dakarois·e·s des maisonnées, notamment par les envois d’argent, et aux parents migrant·e·s par l’accumulation économique, l’absence des enfants rendant possible le travail salarié des mères aux États-Unis. Enfin, les enfants reçoivent à Dakar un soin quotidien pluriel par des proches qui sont disponibles et il·elle·s capitalisent ensuite des ressources scolaires en école privée.

31Une composante du projet qui est toujours mise en avant est que les enfants pourront repartir aux États-Unis avec des attaches sénégalaises. Le grand frère d’un jeune garçon né aux États-Unis et âgé de dix ans expose son avis ainsi : « Il y a un âge où on peut modeler, façonner les enfants, comme ça il aura des vues sur le Sénégal, il sait qu’il va revenir. » Pour le moment, « il faut attendre qu’il soit plus mûr, moins influençable ». Leur devenir se situe hors du champ de l’enquête, mais cette stratégie s’avère sans doute diversement payante en fonction du nombre d’années passées à Dakar et selon, justement, la qualité des relations entretenues sur place et à distance, qui peuvent potentiellement remettre en cause la présence des enfants au Sénégal.

Arbitrages autour des durées de séjour

32Les enfants sont amené·e·s à repartir vers leur pays de naissance à un moment donné. Les âges scolaires d’entrée et de sortie des institutions sont très présents dans les discussions sur la durée pertinente des séjours à Dakar, avec l’idée du retour d’un enfant aux États-Unis pour le début de la scolarité élémentaire ou alors après le baccalauréat. Les solutions imaginées pour faire face aux « incertitudes de la reproduction [43] » varient d’une situation à l’autre [44]. Les enfants de Salimata sont rentré·e·s aux États-Unis en 2017, après avoir passé deux et cinq années au Sénégal pour ses fils. Souleymane a eu l’âge d’entrer à l’école élémentaire et sa sœur aînée, née à Dakar, l’âge de s’occuper de ses frères cadets à sa sortie du lycée. Salimata souhaitait avant tout éviter à ses fils les classes English School Learners, qui regroupent les enfants non anglophones. Awa, quant à elle, a fait l’expérience d’accueillir dans le Bronx ses deux filles aînées nées à Dakar, lorsqu’elles avaient sept et huit ans. Elle a d’abord souhaité les scolariser au lycée français de New York, mais le coût était exorbitant. Ses filles ont finalement été inscrites dans une école publique du quartier. Comme elles sont bonnes élèves, elles ont acquis l’anglais et validé leur année scolaire. Puis elles ont « voulu » repartir au Sénégal, selon Awa, car elles « s’ennuyaient seules dans l’appartement », le soir après l’école. À leur retour à Dakar, la direction de leur école catholique les a fait redoubler l’année scolaire qu’elles avaient validée avant leur départ, disant qu’elles avaient « oublié le français ». Awa a été marquée par cet aller-retour qui a fait perdre deux années à ses filles. Elle a ensuite préféré laisser ses trois garçons nés aux États-Unis poursuivre l’ensemble de leur scolarité dans une autre école privée de Yoff. La tendance qui se dessine sur ce terrain laisse penser que les parents les plus qualifié·e·s favoriseraient la stabilité des trajectoires scolaires, quitte à laisser les enfants à Dakar jusqu’au baccalauréat. Le déplacement des enfants, scolarisé·e·s dans des écoles privées renommées à Dakar, opère de fait une forme de contournement des écoles publiques des quartiers de relégation aux États-Unis. Dans leurs arbitrages entre deux espaces scolaires nationaux, les parents tiennent aussi compte des possibilités d’accumuler des capitaux culturels dominants et notamment le capital linguistique que représente l’anglais.

33Les couples de parents qui migrent vers les États-Unis tentent souvent de remédier à une reproduction des classes moyennes devenue difficile à Dakar. Les parents subissent un déclassement aux États-Unis ; leurs enfants voient ensuite le jour dans des quartiers immigrés et populaires. Les parents prennent alors peur qu’il·elle·s ne deviennent des « enfants qui ne continuent pas leurs parents [45] » et qu’il·elle·s perdent de vue le projet collectif de mobilité ascendante. Ainsi les enfants né·e·s en migration se situent-il·elle·s au cœur des dynamiques de reproduction sociale transnationale. Leur déplacement dans l’autre sens, à Dakar, crée des relations affectives et quotidiennes avec les autres membres de la maisonnée transnationale afin qu’il·elle·s puissent « connaître la famille », qui n’est pas seulement « papa, maman et les enfants ». Dans un contexte transnational, la formation de capital social interne permet ainsi d’organiser la production domestique à distance au sein de la maisonnée et d’envisager l’avenir. La prise en charge des enfants par les proches à Dakar crée des dettes de prise en charge supportées par des relations affectives. En même temps, la transmission aux enfants et l’entretien du capital social externe à la lignée assurent la reconnaissance de la position sociale et du patrimoine de la lignée par la mise en valeur sur la scène locale, à Yoff, des différents types de capitaux accumulés aux États-Unis (économique) et au Sénégal (social et culturel). Que ces enfants tissent des liens avec les membres dakarois·e·s des maisonnées transnationales et avec l’entourage yoffois de leur lignée n’est ainsi pas un objectif secondaire. En Afrique subsaharienne, plutôt que d’agir simplement comme des multiplicateurs des capitaux culturel et économique, les relations sont premières dans l’accès aux ressources et aux positions de pouvoir. Pour les parents, en cas de retour, il s’agit également d’entretenir ces relations en redistribuant à Dakar une partie du capital économique accumulé en migration. La générosité faisant partie intégrante de la signification locale de la réussite sociale, atteindre une forme de prospérité économique, que ce soit par l’émigration, par le commerce ou par un emploi stable à Dakar, ne suffit pas. La reconnaissance d’une réussite individuelle passe par la capacité à prendre en charge son entourage. La reconnaissance d’une réussite collective passe par la démonstration d’une maisonnée qui soit soudée, nombreuse et solidaire. La présence des enfants à Dakar facilite à la fois l’accumulation économique en migration ainsi que le partage transnational des ressources.

34Cette enquête de terrain donne à voir des parents migrant·e·s qui luttent pour transmettre leurs aspirations scolaires et sociales à leurs enfants en jonglant entre, d’une part, les ressources de l’international aux États-Unis, dont le travail, le droit de circulation, les études supérieures, l’anglais, et, d’autre part, les ressources de l’autochtonie à Yoff, dont les écoles privées, le prestige local, les relations. Lorsque les enfants sont né·e·s en migration, le travail de transmission des relations et de socialisation à la position de classe moyenne se réalise difficilement à distance. Le départ des enfants vers Dakar représente alors le fondement des conditions de possibilité d’une ascension sociale transnationale, entre deux espaces nationaux de ressources et deux positionnements sociaux.


Date de mise en ligne : 25/01/2019.

https://doi.org/10.3917/arss.225.0028

Notes

  • [1]
    Tous les noms et prénoms ont été modifiés ; certains lieux et métiers également lorsque c’était nécessaire pour préserver l’anonymat des enquêté·e·s.
  • [2]
    L’enquête « Pauvreté et structures familiales » montre que 32 % des ménages sont impliqués dans le fostering d’enfants au Sénégal. Voir Rosalinda Coppoletta, Philippe De Vreyer, Sylvie Lambert et Abla Safir, “The long-term impact of child fostering in Senegal : adults fostered in their childhood”, working paper, Paris School of Economics, 2012, p. 1-40. Une littérature abondante analyse la circulation (locale, intracontinentale, transnationale) et la délégation du soin quotidien des enfants en Afrique subsaharienne et ailleurs dans le monde. Voir Esther N. Goody, Parenthood and Social Reproduction : Fostering and Occupational Roles in West Africa, Cambridge, Cambridge University Press, 1982 ; Uche C. Isiugo-Abanihe, “Child fosterage in West Africa”, Population and Development Review, 11(1), 1985, p. 53-73 ; Bruce Whitehouse, “Transnational childrearing and the preservation of transnational identity in Brazzaville, Congo”, Global Networks, 9(1), 2009, p. 82-99 ; Karen Fog Olwig, “The care chain, children’s mobility and the Caribbean migration tradition”, Journal of Ethnic and Migration Studies, 38(6), 2012, p. 933-952. Lorsque des relations transnationales sont en jeu, les analyses se développent souvent autour de trois individus : la mère migrante, l’enfant confié et la mère de substitution. Voir notamment Lisa Akesson, Jørgen Carling et Heike Drotbohm, “Mobility, moralities and motherhood : navigating the contingencies of Cape Verdean lives”, Journal of Ethnic and Migration Studies, 38(2), 2012, p. 237-260. Dans cet article, je propose d’étudier les collectifs impliqués dans l’envoi des enfants, au-delà d’une triade d’individus.
  • [3]
    Mahamet Timera, “Righteous or rebellious ? Social trajectory of Sahelian youth in France”, in Deborah Bryceson et Ulla Vuorela (dir.), The Transnational Family : New European Frontiers and Global Networks, Oxford, Berg Publishers Ltd, 2002 ; Élodie Razy, « Les sens contraires de la migration. La circulation des jeunes filles d’origine soninké entre la France et le Mali », Journal des africanistes, 77(2), 2007, p. 19-43 ; Ousmane Oumar Kane, The Homeland is the Arena. Religion, Transnationalism, and the Integration of Senegalese Immigrants in America, Oxford, Oxford University Press, 2011 ; Hamidou Dia, « Pratiques de scolarisation de jeunes Français au Sénégal. La construction de l’excellence par le pays des “ancêtres” », Cahiers d’études africaines, 221, 2016, p. 199-218 ; Pamela Kea et Katrin Maier, “Challenging global geographies of power : sending children back to Nigeria from the United Kingdom for education”, Comparative Studies in Society and History, 59(4), 2017, p. 818-845.
  • [4]
    Catherine Delcroix, « Les parents des cités : la prévention familiale des risques encourus par les enfants », Les Annales de la recherche urbaine, 83-84, 1999, p. 97-107 ; Mary C. Waters, “Immigrant families at risk : factors that undermine chances for success”, in Alan Booth, Ann C. Crouter et Nancy Landale (dir.), Immigration and the Family. Research and Policy on US Immigrants, New York/Londres, Routledge, 1997, p. 79-84 ; Caroline H. Bledsoe et Papa Sow, “Back to Africa : second chances for the children of West African immigrants”, Journal of Marriage and Family, 73(4), 2011, p. 747-762.
  • [5]
    Majella Kilkey, Laura Merla et Loretta Baldassar, “The social reproductive worlds of migrants”, Journal of Family Studies, 24(1), 2018, p. 1-4. La littérature sur l’immigration a montré la fréquence des projets de mobilité sociale dont sont porteurs les parents migrant·e·s, qui se traduisent notamment par de fortes aspirations scolaires pour leurs enfants. Voir Emmanuelle Santelli, La Mobilité sociale dans l’immigration. Itinéraires de réussite des enfants d’origine algérienne, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2001.
  • [6]
    Florence Weber, « Pour penser la parenté contemporaine », in Danièle Debordeaux et Pierre Strobel (dir.), Les Solidarités familiales en questions. Entraide et transmission, Paris, LGDJ, 2003, p. 73-106.
  • [7]
    La polysémie du terme « famille » pose problème aux études sur les familles transnationales, car ces dernières se trouvent à cheval entre plusieurs espaces nationaux et plusieurs conceptions des relations de parenté. Différents termes ont été proposés : parenté flexible, famille dispersée, famille globale, réseau de parenté transnational, etc. Voir Élodie Razy et Virginie Baby-Collin, « La famille transnationale dans tous ses états », Autrepart, 57-58, 2011, p. 7-22. Je propose ici de situer l’analyse du côté des logiques à l’œuvre pour définir les groupes de parenté transnationaux (production quotidienne de la maisonnée, reproduction du statut social de la lignée).
  • [8]
    Pour un exemple d’analyse de l’enchevêtrement des enjeux de maisonnée et de lignée, voir Sybille Gollac, « Faire ses partages. Patrimoine professionnel et groupe de descendance », Terrain, 45, 2005, p. 113-124.
  • [9]
    Cati Coe, “What is love ? The materiality of care in Ghanaian transnational families”, International Migration, 49(6), 2011, p. 7-24.
  • [10]
    La notion de déclassement « statutaire » fait référence aux catégories statutaires historiques au Sénégal (gens libres, gens de castes, descendants d’esclaves).
  • [11]
    Comme le note Pierre Bourdieu, les relations « sont aussi partiellement irréductibles aux relations objectives de proximité dans un espace physique (géographique) », voir Pierre Bourdieu, “The forms of capital”, in John G. Richardson (dir.), Handbook of Theory and Research for the Sociology of Education, New York, Greenwood Press, 1986, p. 241-258 (ma traduction).
  • [12]
    Fatoumata Seck, “Goorgoorlou, the neoliberal homo Senegalensis : comics and economics in postcolonial Senegal”, Journal of African Cultural Studies, 30(3), 2018, p. 263-278.
  • [13]
    Momar-Coumba Diop (dir.), Le Sénégal des migrations. Mobilités, identités et sociétés, Paris, Crepos/Karthala/ONU Habitat, 2008.
  • [14]
    Pour une discussion approfondie sur la formation des classes moyennes africaines, voir Carola Lentz, “African middle classes : lessons from transnational studies and a research agenda”, in Henning Melber (dir.), The Rise of Africa’s Middle Class. Myths, Realities and Critical Engagements, Londres, Zed Books, 2016, p. 17-53.
  • [15]
    Gens libres ou non castés. À propos des relations contemporaines entre catégories statutaires, voir Ismaël Moya, De l’argent aux valeurs. Femmes, économie et société à Dakar, Nanterre, Société d’ethnologie, 2017.
  • [16]
    Une description relationnelle des classes sociales permet d’analyser les logiques de domination et d’inégalités propres à chaque espace social localisé. Voir Pierre Bourdieu, « Condition de classe et position de classe », European Journal of Sociology/Archives européennes de sociologie, 7(2), 1966, p. 201-223 ; Gilles Laferté, « Des études rurales à l’analyse des espaces sociaux localisés », Sociologie, 5(4), 2014, p. 423-439. Voir aussi l’article de Jennifer Bidet dans ce numéro.
  • [17]
    Gerhard E. Lenski, “Status crystallization : a non-vertical dimension of social status”, American Sociological Review, 19(4), 1954, p. 405-413 ; Lamia Missaoui, « Généralisation du commerce transfrontalier : petit ici, notable là-bas », Revue européenne des migrations internationales, 11(1), 1995, p. 53-75.
  • [18]
    Tou·te·s les enquêté·e·s de ce terrain sont musulman·e·s. La religion n’a pas été évoquée comme le lieu d’une stigmatisation mais a été mobilisée comme un outil de distinction avec les Afro-Étasunien·ne·s. Les enquêté·e·s revendiquaient des comportements moraux parfois en rapport avec l’islam confrérique (ardeur au travail, non-consommation d’alcool).
  • [19]
    Une forte « ethnicisation du mépris de classe » est mobilisée par les enquêté·e·s pour se démarquer des « Blacks » et des « Espagnols » et contrebalancer le déclassement social et racial subi en migration. Voir Jennifer Bidet, « “Blédards” et “immigrés” sur les plages algériennes. Luttes de classement dans un espace social transnational », Actes de la recherche en sciences sociales, 218, 2017, p. 64-81. Les enquêté·e·s sénégalais·e·s utilisent le terme « Espagnol·e·s » pour désigner les Latino-Américain·e·s (tous pays et toutes générations de migration confondues) et le terme « Blacks » pour les Afro-Étasunien·ne·s.
  • [20]
    James S. Coleman, “Social capital in the creation of human capital”, American Journal of Sociology, 94 Supplement, 1988, p. S95-S120.
  • [21]
    Gérard Mauger, « Enquêter en milieu populaire », Genèses, 6, 1991, p. 125-143.
  • [22]
    Bruno Cousin et Sébastien Chauvin, « L’économie symbolique du capital social. Notes pour un programme de recherche », Actes de la recherche en sciences sociales, 193, 2012, p. 96-103.
  • [23]
    La vicinalité est un terme inventé par les ethnographes marxistes des années 1960 contre le structuralisme. Ce concept met l’accent sur l’amitié et la parenté pratique. Il s’agit d’une proximité marquée entre des maisons historiquement associées dans un environnement localisé. Voir João de Pina-Cabral, “Partible houses : variants of vicinage in Mozambique, Portugal and Brazil”, Séminaire Oïkos de l’École normale supérieure, Paris, campus Jourdan, 2016.
  • [24]
    Aminata, étudiante à l’Université de Dakar, explique qu’elle a appris « à rester à la maison » et « à être patiente », qualités requises pour le mariage : « Si tu sors trop souvent, on va dire que “tu marches”. Il faut rester tranquille. Ainsi tu auras un bon mari et qui aura beaucoup d’argent. »
  • [25]
    Il s’agit de l’un des sports les plus populaires au Sénégal.
  • [26]
    L’école dite française, héritée de la colonisation, représente l’enseignement scolaire dispensé en langue française, encadré par l’État et donnant accès aux diplômes nationaux.
  • [27]
    Le taux brut de préscolarisation pour la région de Dakar s’élève à 28 % en 2016 contre 17 % pour l’ensemble du Sénégal. Voir « Rapport national sur la situation de l’éducation 2016 », Dakar, ministère de l’Éducation nationale, 2016, p. 25.
  • [28]
    La catégorie des intellectuels désigne historiquement les premières générations d’hommes formés à l’école coloniale. Elle désigne aujourd’hui les adultes avec un certain niveau d’études et qui adoptent plus ou moins un style de vie qualifié d’occidental ou de toubab par les Sénégalais.
  • [29]
    Sur les différents types d’écoles élémentaires à Dakar, voir Amélie Grysole, “Private school investments and inequalities : negotiating the future in transnational Dakar”, Africa, 88(4), 2018, p. 663-682. L’enseignement privé a explosé depuis les années 1990, suite aux réformes néolibérales des années 1980 et à la baisse de qualité de l’enseignement primaire public.
  • [30]
    L’analyse des données administratives des listes du CFEE révèle que 52 % des candidat·e·s né·e·s au Sénégal étaient scolarisé·e·s dans le privé, contre 69 % des candidat·e·s né·e·s dans un autre pays africain (n = 205) et 96 % des candidat·e·s né·e·s aux États-Unis (n = 110). Source : liste des candidat·e·s inscrit·e·s au CFEE, année 2012-2013, dans l’Inspection de l’éducation et de la formation (IEF) des Parcelles Assainies et l’IEF des Almadies (n = 10 270).
  • [31]
    Wilfried Lignier, « L’identification des enfants. Un modèle utile pour l’analyse des primes socialisations », Sociologie, 6(2), 2015, p. 177-194.
  • [32]
    Aïd el-fitr (fête de rupture du jeûne du ramadan) et Aïd el-kebir (fête du sacrifice du mouton).
  • [33]
    Voir aussi en contexte malaisien, Janet Carsten, “Children in between : fostering and the process of kinship on Pulau Langkawi, Malaysia”, Man, 26(3), 1991, p. 425-443.
  • [34]
    Paul-André Rosental, « Maintien/rupture : un nouveau couple pour l’analyse des migrations », Annales, 45(6), 1990, p. 1403-1431.
  • [35]
    Sur ce sujet, voir l’article d’Hugo Bréant dans ce numéro.
  • [36]
    Pierre Bourdieu souligne que les manières peuvent être incluses dans le capital social du fait qu’elles signalent l’appartenance à un groupe plus ou moins prestigieux. Voir P. Bourdieu, “The forms of capital”, op. cit., note 13, p. 28.
  • [37]
    Tim Ingold, The Perception of the Environment. Essays on Livelihood, Dwelling and Skill, Londres, Routledge, 2000.
  • [38]
    « Il était généralement attendu des gens libres qu’ils soient riches. Il était aussi attendu qu’ils soient généreux en redistribuant les ressources », voir Beth Buggenhagen, Muslim Families in Global Senegal. Money Takes Care of Shame, Bloomington, Indiana University Press, 2012, p. 49 (ma traduction).
  • [39]
    Boubakar Ly, La Morale de l’honneur dans les sociétés wolof et halpulaar traditionnelles. Une approche des valeurs et de la personnalité culturelles sénégalaises. t.1, Paris, L’Harmattan, 2015, p. 92.
  • [40]
    Chelsie Yount-André, “Giving, taking, and sharing : reproducing economic moralities and social hierarchies in transnational Senegal”, thèse de doctorat en anthropologie sociale et ethnologie, Paris/Evanston (IL), EHESS/Northwestern University, 2016.
  • [41]
    Alain Marie, Robert Vuarin, François Leimdorfer, Jean-François Werner, Étienne Gérard et Ouassa Tiékoura (dir.), L’Afrique des individus. Itinéraires citadins dans l’Afrique contemporaine (Abidjan, Bamako, Dakar, Niamey), Paris, Karthala, 1997 ; Mamadou Ndongo Dimé, « Crise économique, pauvreté et dynamique des solidarités chez les catégories sociales moyenne et populaire à Dakar (Sénégal) », thèse de doctorat en sociologie, Montréal, Université de Montréal, 2005.
  • [42]
    C. Coe, art. cit.
  • [43]
    Jean-Claude Chamboredon, « Classes scolaires, classes d’âge, classes sociales.
    Les fonctions de scansion temporelle du système de formation », Enquête, 6, 1991 (en ligne).
  • [44]
    La plupart des enfants sont encore en âge maternel ou élémentaire au moment de l’enquête.
  • [45]
    Abdelmalek Sayad, « Les enfants illégitimes (2e partie) », Actes de la recherche en sciences sociales, 26-27, 1979, p. 117-132 et en particulier p. 128.
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