Notes
-
[1]
Pierre Bourdieu, La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Minuit, 1979 ; Philippe Coulangeon et Julien Duval (dir.), Trente ans après La Distinction de Pierre Bourdieu, Paris, La Découverte, 2013 ; Philippe Coulangeon, Les Métamorphoses de la distinction. Inégalités culturelles dans la France d’aujourd’hui, Paris, Grasset, 2011 ; Julien Duval, « Distinction studies », Actes de la recherche en sciences sociales, 181-182, 2010, p. 146-156.
-
[2]
Voir le récent article de Nicolas Robette et Olivier Roueff, « L’espace contemporain des goûts culturels. Homologies structurales entre domaines de pratiques et entre classes sociales », Sociologie, 8(4), 2017, p. 369-394, dont les résultats confirment ceux que nous avons obtenus sur les principes de structuration de l’espace social français contemporain.
-
[3]
Pierre Bourdieu généralisait à propos de l’ensemble des goûts ce que Nietzsche écrivait dans la Généalogie de la morale : « partout, l’idée de “distinction”, de “noblesse” au sens de rang social, est l’idée-mère d’où naît et se développe nécessairement l’idée de “bon” au sens “distingué quant à l’âme” et celle de “noble” au sens de “ayant une âme d’essence supérieure”, “privilégié quant à l’âme”. Et ce développement est toujours parallèle à celui qui finit par transformer les notions de “vulgaire”, “plébéien”, “bas” en celle de mauvais » (Friedrich Nietzsche, La Généalogie de la morale, Paris, Gallimard, 1964, p. 31).
-
[4]
P. Bourdieu, La Distinction…, op. cit., p. 356, 406, 424.
-
[5]
Émile Durkheim, « Définition du fait moral (1893) », in Émile Durkheim, Textes. 2. Religion, morale, anomie, Paris, Minuit, 1975, p. 287.
-
[6]
François-André Isambert, Paul Ladrière et Jean-Paul Terrenoire, « Pour une sociologie de l’éthique », Revue française de sociologie, 19(3), 1978, p. 323-339 et spécialement p. 325.
-
[7]
Lucien Lévy-Bruhl, La Morale et la science des mœurs, Paris, PUF, 1971 [1903]. Pour une mise en perspective, voir Dominique Merllié, « La sociologie de la morale est-elle soluble dans la philosophie ? La réception de La Morale et la science des mœurs », Revue française de sociologie, 45(3), 2004, p. 415-440.
-
[8]
Pour une substantielle revue de littérature sur les études des faits moraux, voir Gabriel Abend, “What’s new and what’s old about the new sociology of morality”, in Steven Hitlin et Stephen Vaisey (éds), Handbook of the Sociology of Morality, New York, Springer Science & Business Media, 2010, p. 561-585.
-
[9]
Luc Boltanski et Laurent Thévenot, De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991.
-
[10]
Yannick Barthe et al., « Sociologie pragmatique : mode d’emploi », Politix, 103, 2013, p. 175-204.
-
[11]
Elsa Rambaud, « La “petite” critique, la “grande” et “la” révolution. Pour une acception non normative de la critique », Revue française de science politique, 67(3), 2017, p. 469-495 et spécialement p. 483.
-
[12]
Andrew Sayer, The Moral Significance of Class, Cambridge, Cambridge University Press, 2005.
-
[13]
Edward P. Thompson, “The moral economy of the English crowd in the eighteenth century”, Past & Present, 50, 1971, p. 76-136 ; Didier Fassin, « Les économies morales revisitées », Annales HSS, 64(6), 2009, p. 1237-1266.
-
[14]
Johanna Siméant, « “Économie morale” et protestation – détours africains », Genèses, 81, 2010, p. 142-160.
-
[15]
Steven Lukes, Le Relativisme moral, Genève, Markus Haller, 2015, p. 18.
-
[16]
Remi Lenoir, Généalogie de la morale familiale, Paris, Seuil, 2003, p. 446.
-
[17]
Delphine Serre, Les Coulisses de l’État social. Enquête sur les signalements d’enfant en danger, Paris, Raisons d’agir, 2009, p. 151.
-
[18]
Christelle Avril, Les Aides à domicile. Un autre monde populaire, Paris, La Dispute, 2014, p. 209.
-
[19]
Bernard Lahire, L’Homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris, Nathan, 2001.
-
[20]
Claude Grignon et Jean-Claude Passeron, Le Savant et le populaire. Misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature, Paris, Gallimard/Seuil, 1989.
-
[21]
Richard Hoggart, La Culture du pauvre, Paris, Minuit, 1970 [1957].
-
[22]
Voir par exemple Pierre Bréchon (dir.), Les Valeurs des Français, Paris, Armand Colin, 2003 [2000], p. 13.
-
[23]
Pierre Bréchon et Frédéric Gonthier (dir.), Les Valeurs des Européens. Évolutions et clivages, Paris, Armand Colin, 2014.
-
[24]
Étienne Schweisguth écrit ainsi : « L’évolution des opinions à l’égard des immigrés s’inscrit en fait dans une évolution à long terme des systèmes de valeurs consistant à affirmer l’égale valeur et l’égale dignité de tout individu humain, quels que soient sa “race”, sa nationalité, son sexe, son âge ou son rang social. Ce principe est dans la logique d’une “société des individus” fondée sur l’idée démocratique. Il traduit l’idée que la valeur d’un individu dépend éventuellement de son mérite, de ce qu’il fait, mais ne dépend pas de ce qu’il est et de ce dont il n’est pas responsable. Ce principe, qui naît avec les humanistes de la Renaissance et qui s’épanouit au siècle des Lumières, s’applique alors essentiellement à une catégorie particulière, celle des nationaux de sexe masculin. Il trouve dans la seconde moitié du XXe siècle deux nouveaux terrains d’application privilégiés : celui de l’égalité de valeur entre les hommes et les femmes, et entre les nationaux et les étrangers » (« Le trompe-l’œil de la droitisation », Revue française de science politique, 57(3), 2007, p. 393-410 et spécialement p. 395).
-
[25]
François Dubet, Injustices. L’expérience des inégalités au travail, Paris, Seuil, 2006, p. 31.
-
[26]
Anne Paillet, Sauver la vie, donner la mort. Une sociologie de l’éthique en réanimation néonatale, Paris, La Dispute, 2007.
-
[27]
Aude Béliard et Jean-Sébastien Eideliman, « Mots pour maux. Théories diagnostiques et problèmes de santé », Revue française de sociologie, 55(3), 2014, p. 507-536.
-
[28]
C’est également ce choix qui avait été réalisé, sous des supports divers, par Tony Bennett, Mike Savage, Elizabeth Bortolaia Silva, Alan Warde, Modesto Gayo-Cal et David Wright, Culture, Class, Distinction, Londres, Routledge, 2009 ; Mike Savage, Social Class in the 21st Century, Londres, Pelican Books, 2015.
-
[29]
Voir par exemple : Pierre Bréchon, « Croyances religieuses et systèmes de valeurs », in Alain Chenu et Laurent Lesnard (dir.), La France dans les comparaisons internationales. Guide d’accès aux grandes enquêtes statistiques en sciences sociales, Paris, Presses de Sciences Po, 2011, p. 49-66.
-
[30]
Pierre Bourdieu, « Un jeu chinois. Notes pour une critique sociale du jugement », Actes de la recherche en sciences sociales, 4, 1976, p. 91-101.
-
[31]
Jean-Michel Lecrique, Pierre Lascoumes et Philippe Bezes, « Classer et juger les transgressions politiques. L’apport d’une démarche par focus group et d’une méthode quantitative d’analyse des données qualitatives », Revue française de science politique, 61(3), 2011, p. 447-482.
-
[32]
La méthode du scénario est aussi celle qui a permis à Carol Gilligan de réfléchir aux formes de moralité qui ne correspondent pas aux canons de la philosophie morale et de la justice. Elle s’est appuyée par exemple sur des enquêtes mettant en scène des choix moraux comme celui du dilemme de Heinz : faut-il voler ou non un médicament pour une personne en train de mourir ? Voir Carol Gilligan, Une voix différente. Pour une éthique du care, Paris, Flammarion, 2008 [1982], p. 59.
-
[33]
Émile Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, PUF, 2008 [1912].
-
[34]
Bethany Bryson, “’Anything but heavy metal : symbolic exclusion and musical dislikes”, American Sociological Review, 61(5), 1996, p. 884-899 ; Julien Duval, « L’offre et les goûts cinématographiques en France », Sociologie, 2(1), 2011, p. 1-18.
-
[35]
Sylvie Tissot, « “Anything but soul food”. Goûts et dégoûts alimentaires chez les habitants d’un quartier gentrifié », in P. Coulangeon et J. Duval (dir.), Trente ans après…, op. cit., p. 141-152.
-
[36]
Pour illustrer l’apport de cette approche, Mary Douglas donne l’exemple d’une enquête de nutritionnistes en Arizona qui a puisé ses informations sur les pratiques alimentaires d’une population en examinant les décharges d’ordures ménagères. Voir Mary Douglas, Comment pensent les institutions, Paris, La Découverte / Poche, 2004 [1986], p. 113. De son côté, Bourdieu notait dans La Distinction que « les goûts sont sans doute avant tout des dégoûts, faits d’horreur ou d’intolérance viscérale (“c’est à vomir”) pour les autres goûts, les goûts des autres. » (P. Bourdieu, La Distinction…, op. cit., p. 60).
-
[37]
D. Fassin, art. cit. ; J. Siméant, art. cit.
-
[38]
Dominique Memmi, Gilles Raveneau et Emmanuel Taïeb, « La fabrique du tolérable : itinéraires sociaux du dégoût », in Dominique Memmi, Gilles Raveneau et Emmanuel Taïeb (dir.), Le Social à l’épreuve du dégoût, Rennes, PUR, 2016, p. 11-30. Les auteurs soulignent un apparent « paradoxe ». Un certain « libéralisme » dans le discours sur les corps dégradés des autres impose d’afficher la plus grande tolérance alors que, parallèlement, le seuil de sensibilité à la dégradation corporelle n’a cessé de croître au XXe siècle. Ce dégoût des autres, présent mais non dicible, se traduit par exemple par la mise en place de protections institutionnelles et pratiques (comme la généralisation de l’usage des gants dans le monde médical).
-
[39]
Citons notamment le dossier sur « Le dégoût des autres » (Genèses, 96, 2014) coordonné par Wilfried Lignier et Julie Pagis.
-
[40]
P. Bourdieu, « Un jeu chinois… », art. cit., p. 91.
-
[41]
Brigitte Le Roux et Henry Rouanet, Geometric Data Analysis. From Correspondence Analysis to Structured Data Analysis, Dordrecht, Kluwer, 2005 ; Brigitte Le Roux, Analyse géométrique des données multidimensionnelles, Paris, Dunod, 2014.
-
[42]
Julien Duval, « L’analyse des correspondances et la construction des champs », Actes de la recherche en sciences sociales, 200, 2013, p. 110-123.
-
[43]
29 individus qui n’avaient pas été enquêtés lors de l’enquête annuelle ont été écartés. Le jeu de données comporte des variables de calage pour le sexe, le diplôme, la nationalité et l’âge décennal. Néanmoins, les imputations ayant été réalisées de quatre manières différentes par l’équipe d’ELIPSS, il ne nous a pas semblé opportun d’utiliser ces variables pour un effectif assez réduit.
-
[44]
Félicité des Nétumières, « Méthodes de régression et analyse factorielle », Histoire & Mesure, 12(3-4), 1997, p. 271-297.
-
[45]
Pour une synthèse pédagogique sur cette littérature, voir Armand Chanel, « Les avatars du libéralisme culturel. Le cas du libéralisme des mœurs », Idées économiques et sociales, 181, 2015, p. 59-68.
-
[46]
François Héran, « Les animaux domestiques », in INSEE, Données sociales, Paris, Insee, 1987, p. 417-423. François Héran a montré que le choix des animaux domestiques (chien ou chat) ne découlait pas simplement de contraintes liées au logement (taille, localisation) ou à la structure du ménage (statut matrimonial, nombre d’enfants). Le capital culturel n’est néanmoins pas la seule dimension à prendre en compte. Le rapport à l’autorité semble particulièrement clivant. De telles analyses doivent évidemment être nuancées dès lors que l’on introduit comme variables la race de l’animal ou sa fonction. Voir Nicolas Herpin et Daniel Verger, « Sont-ils devenus fous ? La passion des Français pour les animaux familiers », Revue française de sociologie, 33(2), 1992, p. 265-286.
-
[47]
Pour éviter une forme d’ « imposition statistique », la variable concernant l’importance accordée à la religion a également été projetée en élément supplémentaire. La structure de l’espace reste très similaire et, de manière identique, les modalités de cette question se distribuent le long du second axe.
-
[48]
Joel Robbins, « Déontologie et conséquentialisme », in Didier Fassin et Samuel Lézé (dir.), La Question morale. Une anthologie critique, Paris, PUF, 2013, p. 184 et 187 (publié initialement sous le titre “On the pleasures and dangers of culpability”, Critique of Anthropology, 30(1), 2010, p. 122-128). Si nous reprenons les qualificatifs de morales « déontologique » et « conséquentialiste », notre analyse diffère de celle de Robbins. Nous montrerons que ces morales sont liées à des propriétés sociales, ancrées dans des positions et, à rebours de ce que Robbins affirme, que les individus sont d’autant plus disposés à agir et à se situer par rapport aux conséquences de leurs actes que leur avenir est moins prévisible. Les adjectifs « déontologique » et « conséquentialiste » ont néanmoins l’avantage d’être beaucoup moins chargés symboliquement que ne le seraient d’autres expressions pour décrire cette opposition, comme « morale du devoir » versus « morale du concret », ou encore « morale de l’ordre » versus « morale de la nécessité ». Sur l’opposition entre règles normatives et règles pragmatiques, voir Frederick G. Bailey, Les Règles du jeu politique. Une étude anthropologique de la politique, Paris, PUF, 1971, p. 15-20.
-
[49]
Le lecteur pourra trouver sur le site de la revue (http://www.arss.fr/) une application lui permettant de se positionner dans l’espace des points de vue moraux. L’enjeu n’est pas uniquement ludique ou pédagogique : en répondant au questionnaire, il est possible de réaliser une « expérience de pensée » et d’adopter un point de vue plus ou moins systématique. La base ne comporte ainsi aucun individu qui aurait adopté pour chacune des questions la posture la plus éloignée de la morale dominante.
-
[50]
Jean-Baptiste Comby et Matthieu Grossetête, « “Se montrer prévoyant” : une norme sociale diversement appropriée », Sociologie, 3(3), 2012, p. 251-266.
-
[51]
Bruno Cousin, « Entre-soi mais chacun chez soi. L’agrégation affinitaire des cadres parisiens dans les espaces refondés », Actes de la recherche en sciences sociales, 204, 2014, p. 88-101 ; Sylvie Tissot, De bons voisins. Enquête dans un quartier de la bourgeoisie progressiste, Paris, Raisons d’agir, 2011.
-
[52]
À gauche de l’espace construit par l’ACM spécifique, les pires mésalliances (au niveau des enfants) se contracteraient avec un conjoint moins cultivé ou d’un autre bord politique. Cette seconde modalité n’a pas été retenue comme active parce qu’elle concernait moins de 5 % des répondants.
-
[53]
À l’inverse, ils se montrent moins sensibles que les autres catégories aux environnements mal fréquentés (29,6 % contre 35,4 % pour l’ensemble) probablement parce que le risque d’exposition aux « mauvaises » fréquentations se trouve limité par les stratégies résidentielles qu’autorise la détention de capital économique.
-
[54]
Jean-Claude Chamboredon et Madeleine Lemaire notaient déjà dans les années 1970 qu’« on ne comprend pas l’importance du thème récurrent du bruit, très souvent associé dans les critiques aux thèmes de la promiscuité et du mélange social, si l’on ne voit que les inconvénients très réels d’une insonorisation défectueuse ont une signification sociale : le bruit rappelle, jusque dans l’intimité, combien sont étrangers des voisins qui vivent selon d’autres horaires et d’autres mœurs, les bruits les plus désagréables étant ceux qui proclament des méthodes d’éducation brutales ou trahissent des habitudes de sexualité différentes, bref ceux qui attestent l’“impolitesse” et l’“inculture” », voir Jean-Claude Chamboredon et Madeleine Lemaire, « Proximité spatiale et distance sociale. Les grands ensembles et leur peuplement », in Jean-Claude Chamboredon, Jeunesse et classes sociales, Paris, Éd. Rue d’Ulm, 2015, p. 75.
-
[55]
Stéphane Beaud, 80 % au bac… et après ? Les enfants de la démocratisation scolaire, Paris, La Découverte, 2003.
-
[56]
Marie Duru-Bellat et Élise Tenret, “Who’s for meritocracy ? Individual and contextual variations in the faith”, Comparative Education Review, 56(2), 2012, p. 223-247.
-
[57]
Ils sont 36,4 % à avoir un père lui-même ouvrier. Pour 30 % d’entre eux le père est (ou était) travailleur indépendant (5,8 % agriculteur, 24,8 % artisan, commerçant, chef d’entreprise), pour 9,1 % profession intermédiaire, pour 20,7 % employé.
-
[58]
Jean-Claude Chamboredon, « La délinquance juvénile, essai de construction de l’objet », in J.-C. Chamboredon, op. cit., p. 100.
-
[59]
P. Bourdieu, La Distinction…, op. cit., p. 161-164.
-
[60]
En 1946, les habitants des campagnes représentaient 46 % de la population française. Ce taux s’établissait encore à 44 % en 1956 avant de chuter à partir du début des années 1960 (il est de l’ordre de 18 % aujourd’hui). Près de la moitié des 60 ans et plus a ainsi grandi dans un tel environnement. Voir Jean Molinier, « L’évolution de la population agricole du XVIIIe siècle à nos jours », Économie & statistique, 91, 1977, p. 79-84 et Jean Laganier et Dalila Vienne, « Recensement de la population de 2006. La croissance retrouvée des espaces ruraux et des grandes villes », Insee Première, 1218, janvier 2009, p. 1-6.
-
[61]
La part de personnes déclarant avoir une religion croît régulièrement avec l’âge, passant de 50 % pour les moins de 30 ans à 80,2 % pour les 65 ans et plus. Inversement, la part de celles déclarant ne pas accorder d’importance à la religion décroît, passant respectivement de 65,5 % à 34,1 % ceci étant à relier au fait que, sous la trentaine, la part des personnes ayant reçu une éducation religieuse s’élève à 48,8 % pour passer la barre des 80 % après la cinquantaine (80,4 % pour les 50-64 ans, 82,4 % au-delà).
-
[62]
S. Beaud, op. cit.
-
[63]
Parmi les répondants, 53 % des ouvriers de moins de 30 ans détiennent un diplôme inférieur ou égal au bac. Entre 30 et 39 ans, cette proportion atteint 94,3 %.
-
[64]
Gérard Mauger, Âges et générations, Paris, La Découverte, 2015.
-
[65]
Erving Goffman, La Mise en scène de la vie quotidienne. 1. La présentation de soi, Paris, Minuit, 1973, p. 25-28.
-
[66]
Xavier Vigna souligne ainsi que la moralité ouvrière a longtemps été prise entre deux pôles la présentant soit comme un danger, soit comme une espérance. Voir Xavier Vigna, L’Espoir et l’effroi. Luttes d’écritures et luttes de classes en France au XXe siècle, Paris, La Découverte, 2016.
-
[67]
Bernard Lahire, La Culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, Paris, La Découverte, 2004, p. 23.
-
[68]
On a utilisé comme indicateur de dispersion la variance. Pour chaque individu, a été calculée la variance du nuage de ses réponses dans le plan principal. Sont ensuite comparées les variances moyennes de chaque PCS et sexe. Si l’on s’en tient à la comparaison deux à deux des modalités de ces variables, les écarts les plus marqués paraissent descriptivement modérés, mais statistiquement significatifs. Dans le premier cas, l’effet peut être considéré comme « fort » (le d de Cohen est égal à 0,673), tandis que dans le second, il est faible (d = 0,274). Pour les modalités cadres et ouvriers, t = 5,87 %, ddl = 303 et p < 0,001. En ce qui concerne le sexe, t = 3,83 %, dll = 783 et p < 0,001.
-
[69]
Jean-Pierre Terrail, « Réussite scolaire : la mobilisation des filles », Sociétés contemporaines, 11-12, 1992, p. 53-89 ; Christian Baudelot et Roger Establet, Allez les filles !, Paris, Seuil, 1992.
-
[70]
Thierry Blöss, « Devoirs maternels. Reproduction sociale et politique des inégalités sexuées », Actes de la recherche en sciences sociales, 214, 2016, p. 46-65 ; Bertrand Geay et Pierig Humeau, « Devenir parents. Les appropriations différenciées de l’impératif de procréation », Actes de la recherche en sciences sociales, 214, 2016, p. 4-29 ; Pierre Gilbert, « Classes, genre et styles de vie dans l’espace domestique », Actes de la recherche en sciences sociales, 215, 2016, p. 4-15.
-
[71]
Joanie Cayouette-Remblière, « De l’hétérogénéité des classes populaires (et de ce que l’on peut en faire) », Sociologie, 6(4), 2015 (http://sociologie.revues.org/2652).
-
[72]
P. Bourdieu, La Distinction…, op. cit.
-
[73]
Yasmine Siblot, Marie Cartier, Isabelle Coutant, Olivier Masclet et Nicolas Renahy, Sociologie des classes populaires contemporaines, Paris, Armand Colin, 2015.
1Devenu un classique des sciences sociales, La Distinction de Pierre Bourdieu (1979) fait depuis plusieurs années l’objet d’une dynamique de réinvestissement, tant en France qu’au plan international [1]. Les travaux qui discutent sa problématique et actualisent ses résultats se concentrent pour l’essentiel sur l’analyse des pratiques et des dispositions esthétiques ou culturelles [2], laissant au second plan une des singularités de l’enquête initiale : l’attention accordée aux « styles de vie » dans toutes leurs dimensions, aussi bien culinaires, décoratives, que politiques et morales [3]. Dans La Distinction s’affrontent ainsi la « morale ascétique de la production et de l’accumulation » et la « morale hédoniste de la consommation » ; le « rigorisme répressif des fractions en déclin » s’oppose au « rigorisme ascétique des fractions en ascension » ; la morale traditionnelle, celle du devoir, se voit remise en cause par une morale « du devoir de plaisir » [4].
2Faisant l’hypothèse que les principes d’évaluation de ce qui est juste, plaisant, convenable ou, à l’inverse, de ce qui ne l’est pas, reflètent et construisent les rapports entre groupes sociaux, notre recherche vise à identifier la diversité des positionnements moraux à l’œuvre dans des domaines variés de la pratique. Elle s’écarte ainsi de ce qu’a longtemps été la sociologie de la morale, une sociologie raisonnant au singulier et procédant de manière littéraire, grâce à l’exégèse de textes philosophiques ou juridiques. À cet égard, l’œuvre d’Émile Durkheim est révélatrice des difficultés à définir et spécifier le « fait moral » : considérant que l’autonomiser comme un domaine particulier de la vie sociale tend à le fondre dans le droit, Durkheim préfère l’appréhender par le biais de sa « sanction répressive diffuse » [5], prenant alors le risque de le diluer dans le fait social [6]. Certes, les durkheimiens nourrissaient l’ambition d’arracher la morale à la philosophie pour la constituer en objet d’étude empirique [7]. Mais la sociologie de la morale, en se focalisant sur l’étude des valeurs et des règles générales, a souvent eu tendance à glisser vers une sociologie moralisante, édictant les principes légitimes et souhaitables de la vie en société. Son renouveau récent s’est appuyé sur d’autres prémisses : voulant dépasser le point de vue normatif et la fragmentation disciplinaire, ses partisans ont entrepris de relire les classiques et les travaux contemporains dans une perspective pluraliste. Ils y ont en particulier été encouragés par le développement des neurosciences qui, traitant de la morale en se centrant sur le cerveau, négligent les propriétés sociales des individus, les caractéristiques des groupes auxquels ils appartiennent et le contexte macrosociologique [8].
3Notre enquête envisage d’emblée la coexistence d’une pluralité de positionnements moraux. Ce qui, en soi, n’a rien d’original. Dans la lignée de De la justification de Luc Boltanski et Laurent Thévenot, des sociologues se sont intéressés à la manière dont des « personnes » argumentent pour se faire entendre dans l’espace public. Ils ont souligné que celles-ci doivent démontrer que leur cas ne relève pas d’une situation singulière mais peut être référé à un principe supérieur [9]. Elles doivent se revendiquer d’un bien commun au nom duquel se distribue la « grandeur » relative des êtres et des objets. La sociologie des régimes d’action (ou des épreuves) formule l’hypothèse que les conceptions du bien commun sont plurielles, mais en nombre limité si elles se conforment à des principes d’égalité et de dignité. Plusieurs « morales » (marchande, industrielle, civique, etc.), liées à des principes de légitimité concurrents coexistent, depuis lesquelles il est possible de porter un point de vue critique, mais aussi de faire des compromis. Néanmoins, en revendiquant une forme d’indétermination de l’action et des intérêts, la sociologie dite « pragmatiste » postule que les rapports de force sont toujours réversibles et se désintéresse donc des fondements sociaux des « cités » qu’elle ne rapporte pas préférentiellement à des caractéristiques sociales préexistantes [10]. Elle en fait des registres, non seulement disponibles pour tous et à tout moment, mais également systématiques et cohérents [11].
4Pourtant, les inégalités matérielles et symboliques affectent les perceptions du juste et de l’injuste [12]. Les préférences morales, comme les goûts et les dégoûts, doivent beaucoup à l’appartenance à des groupes qui occupent des positions différenciées dans l’espace social. Les études menées par des historiens et des anthropologues à propos des « économies morales » [13] ont ainsi promu de nouveaux questionnements sur les morales protestataires des dominés. Ces travaux soulignent la diversité des morales et de leurs ancrages en pratique. Ils ouvrent la voie à une prise au sérieux des morales portées par des groupes hors des espaces politiques ou religieux, même si la nature des fondements de ces morales reste controversée [14]. Ils permettent aussi d’évacuer la question de l’évaluation normative de cette diversité morale. Identifier différentes morales implique, en effet, de revendiquer une forme de « relativisme cognitif » [15], constatant l’existence de principes moraux variés, sans émettre de jugements de valeurs, ni prôner un « relativisme moral », qui relève d’une dimension personnelle et existentielle et non de la recherche scientifique.
5Dans la mesure où les économies morales s’inscrivent dans des rapports sociaux et les mettent au jour, l’identification de principes moraux permet d’appréhender des conflits entre groupes, voire en leur sein, en fonction des domaines d’application de la moralité. La stabilité et l’homogénéité des économies morales attachées aux groupes sociaux ne sont pas postulées a priori. Les dispositions éthiques peuvent se contredire. On pense, par exemple, à la coexistence de principes dits « libéraux » et « conservateurs » dans un même groupe ou à des cas de « dédoublement » [16] de la morale qui peuvent, par exemple, conduire certains membres des catégories supérieures à adopter des normes éducatives axées sur l’« épanouissement » pour leurs propres enfants, tandis qu’ils insistent sur le « cadre » et la « discipline » pour les enfants des autres groupes sociaux [17]. Les principes moraux varient aussi selon leur domaine d’application, comme dans le cas de certaines aides à domicile qui ont un investissement émotionnel et physique important dans leur travail auprès des personnes âgées, mais qui, dans leur vie privée, valorisent une norme individualiste du souci de soi [18].
6Si l’enquête cherche à dégager les schèmes structurant les prises de position morales, elle ne peut pour autant postuler a priori leur cohérence. Celle-ci doit être identifiée par la recherche et un enjeu reste, le cas échéant, de mettre au jour les conditions sociales de la plasticité ou de la rigidité des dispositions et des préférences qui leur sont associées en prenant en compte les chances différentielles d’exposition à des sources plurielles de socialisation selon le milieu social [19]. Les positionnements moraux constituent également des schèmes structurants qui construisent et légitiment les distances entre groupes sociaux. Ils tracent des frontières entre le haut et le bas de la hiérarchie sociale, les classes supérieures étant, par exemple, promptes à juger les classes populaires comme irrationnelles [20], tandis que ces dernières établissent souvent une distinction entre « eux » et « nous » [21]. Notre enquête cherche à identifier comment les jugements moraux, positifs et négatifs, fonctionnent (ou non) comme des opérateurs logiques créant une séparation entre l’intérieur et l’extérieur du groupe. Elle montre, non seulement, que les préférences morales ont des fondements sociaux, mais aussi que les différents groupes sociaux ne présentent pas un degré d’intégration morale identique. L’homogénéité des cadres et professions intellectuelles contraste ainsi avec la relative dispersion des classes populaires.
Un questionnaire pour saisir des morales en situation
7La question de la morale, et plus largement celle des représentations, a fait l’objet de nombreux travaux situés au croisement de la sociologie politique et de la sociologie électorale. Généralement, leurs auteurs s’accordent pour critiquer toute forme de déterminisme strict en matière de valeurs définies, à la suite de Jean Stoetzel, comme « des idéaux, des préférences qui prédisposent les individus à agir dans un sens déterminé » [22]. D’une part, les valeurs n’induiraient pas mécaniquement des comportements. D’autre part, le groupe social d’appartenance ne saurait à lui seul en rendre compte, de nombreuses autres variables pouvant se révéler explicatives comme le sexe, la génération ou encore la pratique religieuse. Comparatifs, ces travaux étudient les transformations des systèmes de valeurs (souvent appréhendés à l’aide d’indicateurs), dans le temps (affirmation de la tolérance, non-corrélation entre les différents types de libéralisme, sécularisation, etc.) et dans l’espace (notamment à l’échelle européenne). Ils mobilisent contexte, données macrosociologiques et caractéristiques individuelles [23]. Quand la longue durée prévaut, la sociologie des valeurs présente parfois un caractère tautologique : les valeurs s’expliquent par l’adoption de nouveaux principes [24].
8Des travaux menés dans des secteurs très divers ont contribué à faire sortir la question de la moralité du giron de la sociologie politique. Ils permettent de saisir des principes moraux « en situation » et non sous la forme de rationalisations abstraites. Sur la scène professionnelle, par exemple, l’étude des principes de justice utilisés dans l’évaluation des inégalités montre combien ils peuvent être divers et potentiellement contradictoires [25]. En sociologie de la médecine, plusieurs recherches examinent comment les dilemmes moraux se posent concrètement et sont ancrés dans les contextes de travail [26], ou comment les diagnostics et leurs significations morales se comprennent au regard des trajectoires sociales et des configurations familiales [27]. Les principes de classement et d’évaluation se manifestent donc dans des situations concrètes et variées et ne sont pas des produits immanents du « social ». Cet ancrage pratique des morales explique que l’ethnographie soit généralement privilégiée : elle donne accès à des discours et à des pratiques en actes.
9C’est néanmoins vers la méthode du questionnaire que nous nous sommes tournés [28]. Partant du constat durkheimien que les valeurs ne s’observent pas directement, les travaux quantitatifs des sociologues des valeurs mobilisent de grandes enquêtes internationales comme l’European Values Survey (EVS), les eurobaromètres, l’European Social Survey (ESS), le World Values Survey (WVS) ou encore l’International Social Survey Programme (ISSP) [29]. Nous leur avons préféré un questionnaire original. Malgré leur richesse indéniable, ces enquêtes présentent, en effet, des limites : très standardisées, elles manquent de finesse dès lors que l’on veut travailler au niveau d’un espace social national ; en recourant à des échelles d’attitude (dites de Likert), elles favorisent l’expression de valeurs centrales et ne laissent que peu de place aux points de vue tranchés ; elles n’offrent souvent aux répondants que le choix entre des opinions largement constituées politiquement et hors contextualisation. Même si nous avons emprunté quelques questions à ces enquêtes, il s’agissait de réinscrire la question morale dans la vie quotidienne pour activer les schèmes de classement spontanés, à la manière du « jeu chinois » [30] ou de la méthode du « scénario », devenue classique dans les enquêtes sur les jugements moraux à l’égard de l’activité politique [31].
10Grâce à des questions invitant les répondants à se projeter dans des situations de la vie quotidienne, notre questionnaire sollicite l’expression de points de vue parfois très éloignés de ceux que la morale et la culture légitimes appellent [32]. Les préférences morales se donnent ainsi à voir sous leurs deux facettes : « positive » quand elles délimitent l’ordre du désirable et relèvent de l’adhésion, « négative » quand elles définissent des interdits et expriment le « dégoût » [33]. Des enquêtes récentes montrent que les rejets, en matière cinématographique ou musicale par exemple, sont des marqueurs sociaux importants [34]. De la même façon, la valorisation du cosmopolitisme en matière culinaire va de pair avec des « dégoûts » alimentaires particulièrement discriminants socialement [35], ce qui est construit comme légitime apparaissant ainsi second par rapport à ce qui l’est comme illégitime. Les dégoûts révèlent, en creux, des points de vue moraux [36] [voir encadré « Échantillon et diffusion du questionnaire Moract (Goûts, morales, groupes sociaux) », p. 82].
Échantillon et diffusion du questionnaire Moract (Goûts, morales, groupes sociaux)
L’échantillon, tiré aléatoirement, se veut représentatif de la population résidant en France métropolitaine. Les tranches d’âges les plus élevées (65 ans et plus) sont néanmoins sous-représentées, ainsi que les 18-25 ans, groupe toujours difficile à atteindre dans les enquêtes en France. En revanche, les ménages d’une seule personne, ainsi que les personnes très diplômées, les cadres et professions intellectuelles supérieures et les personnes occupant un emploi se trouvent surreprésentés. La répartition hommes-femmes est conforme à celle de la population. La base de sondage a été constituée par l’INSEE à partir de logements recensés en 2011. Les personnes sans domicile ou vivant dans des habitations précaires, les personnes résidant dans des collectivités (prisons, maisons de retraite, résidences étudiantes, etc.) sont donc exclues, de même que celles qui ne maîtrisent pas suffisamment la langue française pour répondre aux questionnaires auto-administrés.
Des tablettes tactiles connectées en 3G ont été remises à tous les panélistes. Ce type de dispositif peut sembler relativement « froid » et impersonnel. En réalité, l’interface, plutôt conviviale, permet, à moindre frais, de collecter en un temps court de nombreuses données sur des sujets variés. Les questions du tronc commun (structure du ménage, revenu, origines sociales, etc.) sont administrées annuellement. La liberté laissée aux enquêtés, la variété des sujets abordables dans ce contexte (vie intime, personnelle), l’interactivité et ses déclinaisons (photos, vidéos, etc.) ont sans doute permis de faire s’exprimer des positions potentiellement difficiles à verbaliser en public.
La réalisation d’entretiens auprès des panélistes a été refusée par le Comité scientifique et technique du dispositif DIME-SHS/Quanti parce qu’elle aurait supposé la consultation de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) et parce qu’elle aurait pu accroître l’attrition du panel (en imposant une contrainte supplémentaire aux enquêtés et en ne respectant pas le contrat qu’ils avaient initialement signé) [2].
11En ne réduisant pas les goûts et les dégoûts moraux à l’expression de valeurs formalisées supposément agissantes en toute situation, l’enjeu est de prendre en compte la façon dont ils impliquent aussi des sentiments ou des émotions [37]. Les dilemmes moraux, parce qu’ils mettent en jeu des affects et pas seulement des principes, permettent de suspendre ou du moins d’atténuer le pouvoir d’emprise d’un discours « libéral » et tolérant, par exemple à l’égard du corps des autres et de ses formes éventuellement dégradées [38]. Le même souci de ne pas recueillir que des valeurs abstraites nous a conduit à intégrer les dégoûts portant sur des individus et non uniquement sur des pratiques ou des objets. Plusieurs travaux ont en effet montré que l’étude de dégoûts culturels à l’égard de personnes, dans des interactions concrètes, peuvent utilement éclairer les formes et les mécanismes de mise à distance sociale [39].
12Par construction, le questionnaire intègre donc deux séries de contraintes particulièrement fortes : d’une part, saisir des expressions spontanées et tranchées de goûts et de dégoûts ; d’autre part, éviter les points de vue surplombants et évaluatifs, présupposant des « morales types » a priori cohérentes. C’est pourquoi, à des mises en scène « confortables » a parfois été préférée une série de situations poussant les enquêtés à réagir face « au pire ». Le questionnaire a été conçu pour couvrir un large spectre d’enjeux moraux et pratiques, au travers de situations chargées d’enjeux d’intensité variable, mais permettant de faire s’exprimer des points de vue tranchés, très opposés les uns aux autres.
13Certaines situations appellent clairement un choix existentiel (avec des scénarios et des options susceptibles d’apparaître violentes symboliquement). C’est le cas par exemple avec des questions relatives à la fin de vie d’ascendants (« Imaginons que vos parents deviennent physiquement dépendants et/ou psychologiquement affaiblis. Qui selon vous devrait prendre les décisions importantes les concernant ? ») ; ou encore à la continuité du couple (« Votre conjoint(e), vous le ou la quitteriez si [les items suivent, ensuite] ? »). D’autres, ayant trait aux consommations et aux loisirs ordinaires (« Laquelle de ses chaussures vous plaît le moins ? » [des photos sont présentées à l’interviewé]), peuvent paraître plus futiles. Elles fournissent cependant des connaissances sur les « usages socialement réglés » dont les biens proposés font l’objet [40]. Deux autres types de questions ont été introduits : celles qui évoquent des situations limites, ambiguës ou dans lequel l’ordre établi est troublé (« Une femme qui choisit le modèle de voiture de son mari… ») ; celles qui renvoient à des clivages politiques de portée plus générale présentes dans de nombreuses autres enquêtes (« Le rétablissement de la peine de mort vous êtes… »).
14L’objectif était donc de multiplier les thématiques et de jouer sur l’hétérogénéité des situations proposées (par leur caractère plus ou moins attendu autant que par leur originalité). Formellement, des rotations automatiques des questions et des items ont été systématiquement effectuées. Une grande variété de tons a été utilisée afin de susciter des réactions moins contrôlées, plus spontanées qu’avec des formulations plus littéraires, ou plus « écrites ». Les registres descriptifs et familiers ont ainsi été mobilisés : le recours à des points d’exclamation dans l’écriture des modalités a été conçu comme une invitation à exprimer des « (re)sentiments forts ». De même, l’insertion d’images visait autant à éviter d’imposer à l’enquêté nos catégories d’analyse (elles ne sont pas verbalisées) qu’à lui donner l’opportunité d’associer à sa réponse un individu ou un objet.
15Toutes les questions ne sont pas parvenues à faire s’exprimer des points de vue tranchés. Certaines modalités ont constitué des réponses « refuge » témoignant de la tolérance du panéliste (« La chirurgie esthétique ? » « Cela me dérange, mais c’est utile dans certains cas médicaux » pour 65,7 % des répondants), de sa retenue (« Un homme qui refuse l’affrontement physique ? » « C’est qu’il sait se maîtriser » pour 85 % des répondants) ou de son attachement à la liberté de conscience (« Un prêtre qui douterait de l’existence de Dieu ? » « Cela ne regarde que lui » pour 64,1 % des répondants).
La construction d’un espace de points de vue
16En regroupant les questions, quatre grandes thématiques se dégagent : la santé et l’environnement ; l’éducation et la famille ; la politique et les institutions ; l’économie, les consommations et les loisirs. Elles permettent d’explorer la structure d’un espace de points de vue qui présente de nettes polarités mises en évidence par une analyse des correspondances multiples spécifique (ACM spé). Le choix de cette méthode, issue de l’analyse géométrique des données (AGD) [41], a été dicté par des considérations théoriques et pratiques. L’affinité entre AGD et théorie des champs a maintes fois été soulignée [42] : elle permet de faire coïncider une représentation spatiale des données, résumées sous la forme de nuages de points, avec une vision relationnelle du monde social. En matière de traitement de données recueillies par questionnaires, les non-réponses, les refus ou les modalités de non-intérêt (« autres », par exemple) sont fréquents. Comme l’analyse des correspondances multiples classique, l’ACM spé permet d’analyser des tableaux associant des variables catégorisées à des individus. Mais elle offre également la possibilité de placer des modalités à effectifs rares ou de faible intérêt en éléments supplémentaires. Celles-ci n’interviennent donc pas dans le calcul des distances entre individus et entre variables, contrairement aux autres modalités des questions dont elles sont issues.
17En raison de non-réponses lors de l’enquête annuelle, 785 individus sur 814 (96 %) ont été pris en compte [43]. Les 26 variables retenues, qui comportent 93 modalités actives et 15 passives, renvoient toutes à des positionnements moraux : 25 proviennent du questionnaire Moract ; une a été empruntée au tronc commun de l’enquête annuelle (l’importance accordée à la religion). Les données utilisées ne sont ainsi ni des variables sociodémographiques classiques (âge, sexe, etc.), ni des indicateurs de position sociale (professions et catégories socioprofessionnelles (PCS), notamment), ni des résumés de la trajectoire sociale, scolaire ou professionnelle du répondant (origines sociales, diplômes, emplois, etc.). En revanche, six variables ont été projetées en éléments supplémentaires : le sexe du répondant, les PCS de son père et de sa mère (quand il avait 14 ans), son âge, son niveau de diplôme et sa PCS lorsqu’il a été interrogé lors de l’enquête annuelle.
18En partant des représentations et des modalités de présentation de soi adoptées par les agents ainsi que des préférences morales qu’elles manifestent, il s’agit donc de retrouver un système cohérent de distances entre groupes sociaux. Celles-ci peuvent alors s’interpréter comme des écarts entre positions sociales, ce qui permet de saisir les principes par lesquels les groupes se définissent les uns par rapport aux autres. Cet usage de l’ACM en fait une méthode statistique, certes descriptive, mais pas moins explicative que d’autres pour le sociologue, contrairement à ce que l’on prétend souvent (en particulier à propos des régressions) [44].
19L’analyse permet de dégager deux axes principaux (λ1=.1222, λ2=.0923). Cumulés, leurs taux modifiés représentent 51,6 % de la variance totale du nuage initial. La décroissance des valeurs propres, caractérisée par un net décrochage entre les axes 2 et 3, invite à se concentrer sur ces deux axes pour mener l’interprétation statistique et sociologique des résultats.
20Si la sélection des variables a été effectuée de manière à équilibrer le poids des différentes rubriques, leurs contributions à l’analyse diffèrent [voir tableau 1, p. 86].
Détail des rubriques
Détail des rubriques
21Les questions relatives à l’économie, aux consommations et aux loisirs sont celles qui interviennent le moins dans la construction de l’espace. Autrement dit, les styles de vie ne suffisent pas à eux seuls à expliquer la distribution des positionnements moraux. C’est la rubrique « Politique et institutions » qui l’emporte sur toutes les autres. Les axes présentent cependant des profils distincts : dans le cas de l’axe 1, les questions politiques prédominent et, si elles restent déterminantes sur l’axe 2, elles le sont moins que le rapport à la santé et à l’environnement. Ces contributions inégales témoignent de la hiérarchisation des instances qui participent à la construction d’un sens moral et par rapport auxquelles s’élaborent les positionnements moraux. L’analyse de ces hiérarchies permet de repérer des configurations morales antagonistes. Ce sont les questions morales débattues dans l’espace public qui divisent le plus alors même que l’on aurait pu penser les individus enclins à fonder leurs positionnements moraux sur ce qui leur est le plus proche (leur famille, leur santé, leurs activités quotidiennes, etc.), sur des intérêts particuliers ou sur une éthique personnelle. Le primat de la santé et du corps sur l’axe 2 n’invalide pas cette interprétation : les positionnements sur ces questions relèvent souvent de mises à l’agenda officiel [voir tableau 2, p. 87 et voir graphique 1, ci-contre].
Contributions des questions participant le plus à l’inertie du nuage de points sur les axes 1 et 2*
Libellé | Axe 1 |
---|---|
La peine de mort, vous êtes… | 15,3 |
En matière de budget, quelle devrait être selon vous la priorité de l’État ? | 10,1 |
Si vous avez ou aviez des enfants, le pire pour vous est ou serait de ne pas réussir à leur transmettre… | 8,6 |
En tant que parent ou éventuel parent, le pire pour vous serait que votre enfant ait un(e) conjoint(e)… | 7,2 |
Les personnes qui ont plusieurs nationalités… | 7,0 |
Votre conjoint(e), vous le ou la quitteriez… | 6,2 |
Les aliments bio… | 5,4 |
L’argent c’est avant tout fait pour être… | 5,1 |
L’activité qui vous ennuie le plus… | 4,9 |
Libellé | Axe 2 |
---|---|
Avoir un ou des tatouages… | 10,8 |
Un ami très proche vous demande de mentir, vous le faites si c’est à… la police | 10,4 |
Quelle importance accordez-vous aujourd’hui à la religion dans votre vie ? | 8,9 |
Une personne qui veut se faire justice elle-même. Trouvez-vous cela normal ? | 7,3 |
Considérez-vous la prostitution comme un travail ? | 6,6 |
Ce qui compte le plus au quotidien, c’est que vos repas… | 6,4 |
Votre conjoint(e), vous le ou la quitteriez… | 5,9 |
Vous êtes à la plage, un couple de nudistes vient s’installer près de vous. Que faites-vous ? | 4,8 |
Lequel de ces animaux vous refuseriez d’avoir chez vous ? | 4,5 |
Contributions des questions participant le plus à l’inertie du nuage de points sur les axes 1 et 2*
* On trouvera en annexe le détail des contributions et des coordonnées des modalités.Nuages des modalités sur le plan formé par les axes 1 et 2 (principales modalités contributives)
Nuages des modalités sur le plan formé par les axes 1 et 2 (principales modalités contributives)
Distance et proximité au légitimisme culturel
22Les questions ainsi que les modalités les plus contributives sur l’axe 1 renvoient à des visions du monde politique et social largement antagonistes. D’un côté (à gauche de l’origine sur le graphique), les répondants se prononcent clairement contre la peine de mort, considèrent que l’argent est d’abord fait pour être distribué et souhaitent prioritairement transmettre à leurs enfants le sens de la solidarité. De l’autre (à droite de l’origine), on se méfie des individus ayant plusieurs nationalités, on se dit favorable ou très favorable au rétablissement de la peine de mort et on fait passer, avant toute autre valeur à transmettre, le respect des aînés. Ces oppositions rappellent l’antagonisme, souvent dépeint par les sociologues des valeurs, entre un « libéralisme » social, culturel et politique privilégiant l’individu, son épanouissement ainsi que l’ouverture aux autres et un « conservatisme » marqué par le repli sur soi et une forme de morale « traditionnelle » [45].
23Si on entre plus finement dans l’exploration du nuage des modalités, on constate cependant que cet axe synthétise deux lignes de clivage. La première traduit différents rapports à l’école et aux savoirs, autrement dit à la culture légitime. À gauche du graphique, les enquêtés souhaiteraient que l’éducation soit la priorité budgétaire de l’État, craignent que le conjoint de leur enfant ne soit pas assez cultivé et ravalent le bricolage et la télévision au rang d’activités ennuyeuses. À droite, c’est la lecture qui rebute. À cette première fracture s’ajoute une divergence en matière de rapport à l’altérité. La droite du graphique concentre les positionnements rejetant la différence ethnique, sexuelle et religieuse ou exprimant une méfiance à l’égard de ce qui présente un caractère d’extériorité sociale et/ou nationale. Ainsi, le pire conjoint pour son enfant serait qu’il-elle soit d’une autre religion ou d’une autre origine ethnique, le pire pour un enfant serait de grandir avec des parents de même sexe et l’État devrait prioritairement investir dans la défense. De l’autre côté, les répondants considèrent, à l’inverse, la double nationalité comme une richesse.
24Plus qu’une opposition entre « libéralisme » et « conservatisme », ce premier axe exprime d’abord un rapport d’adhésion plus ou moins marqué aux pratiques et aux institutions culturellement légitimes, comme l’école et la morale républicaine qu’elle essaye de transmettre, mais aussi la science et la médecine. Les opinions sur les aliments biologiques constituent un autre indicateur de ce légitimisme : alors qu’à gauche du graphique, ils sont jugés bons pour la santé ou pour l’environnement, à droite, aucun bienfait ne leur est concédé (« c’est du marketing »). La désignation de l’animal domestique que l’on ne souhaiterait pas avoir chez soi va dans le même sens. Tandis qu’à droite, on refuserait clairement d’avoir un chat (animal indépendant très associé à la possession d’un capital culturel), c’est le chien (animal de compagnie dépendant et susceptible d’être dangereux) que les individus situés à la gauche de l’espace rejettent [46].
Principes versus conséquences
25Si le premier axe met au jour des oppositions allant dans le sens d’hypothèses classiques, le second facteur donne à voir des logiques plus originales du point de vue des fondements des jugements moraux. En bas du graphique, les modalités les plus contributives renvoient à l’acceptation du mensonge (à sa propre famille, voire à la police) pour venir en aide à un proche, au fait d’arborer des tatouages ou encore à l’absence d’importance accordée à la religion. Les individus situés dans cette partie de l’espace manifestent une sorte de défiance vis-à-vis des institutions et valorisent l’autonomie individuelle. Même en ce qui concerne le port d’armes, certains estiment qu’il ne devrait pas être réservé aux seules forces de l’ordre. Cette contestation des autorités traditionnelles va de pair avec l’affirmation d’un principe de plaisir et une forme d’utilitarisme. Les repas devraient avant tout avoir bon goût, ne pas coûter cher ou être nourrissants ; les enquêtés quitteraient leur conjoint faute d’amour ou pour recouvrer leur liberté ; ils conçoivent que l’on puisse se faire justice soi-même, trouvent sympathique la présence de nudistes sur la plage, estiment que le pire serait que le conjoint de leur enfant soit laid ou ait des revenus insuffisants. À l’inverse, les répondants situés en haut du graphique affirment que la foi religieuse joue un rôle important dans leur existence, condamnent le mensonge, tolèrent assez peu la présence de nudistes auxquels ils demanderaient de partir ou qu’ils fuiraient, rejettent tatouages et homoparentalité et ne quitteraient leur conjoint sous aucun prétexte.
26L’axe 2 semble ainsi distinguer les individus en fonction de leur adhésion à une morale religieuse : d’un côté, l’affirmation d’une forme d’hédonisme et de matérialisme ; de l’autre, une forme de traditionalisme et de spiritualisme religieux avec les interdits que cela suppose [47].
27Mais on peut aller au-delà de cette première interprétation en interrogeant ce que recouvre l’importance accordée, ou non, à la religion, en la rapprochant des autres choix effectués par les répondants. Tandis qu’il semble que pour les uns, les conséquences, en particulier matérielles, des actions et des décisions priment, quitte à transgresser des interdits ou à contrevenir à la loi, pour les autres, ce sont les « principes », une certaine conception du bien et du mal, ainsi qu’une définition institutionnelle de l’ordre social qui importent. Cet axe oppose ainsi deux types de postures tout aussi morales : l’une qui se préoccupe au premier chef des résultats concrets des actions et que l’on peut qualifier de conséquentialiste (ou pragmatique) ; l’autre, de nature plus déontologique (ou normative), qui vise prioritairement à éviter de « mal » se conduire en respectant un corpus de règles et de devoirs qui valent pour tous [48].
28L’analyse des correspondances multiples spécifique permet ainsi d’objectiver des constellations de prises de position morales. Si elles font « système », il faut néanmoins se garder d’interpréter les oppositions qui les structurent comme des polarités strictement séparées par une sorte de vide statistique et sociologique. L’hyper-correction morale, qui conduirait à opter systématiquement pour des réponses situées à l’extrémité d’un pôle en particulier, ne renvoie à aucun patron de réponses contenu dans notre échantillon [49]. Chacun d’entre eux se révèle, en outre, unique. Comme le montre la dispersion du nuage des individus [voir graphique 2, ci-contre], l’espace des positionnements moraux s’organise autour de continuums : le degré d’adhésion au légitimisme culturel, d’une part, et la balance entre déontologisme et conséquentialisme, d’autre part.
Nuage des individus sur le plan formé par les axes 1 et 2
Nuage des individus sur le plan formé par les axes 1 et 2
Les fondements sociaux des positionnements moraux
29Les règles morales passent d’autant plus pour légitimes qu’elles prétendent à l’universalité : elles sont susceptibles de réguler les pratiques de tout à chacun, sans distinction d’origines ou de classes sociales. Pourtant, l’espace des positionnements moraux que l’on a construit est charpenté par de solides lignes de clivages qui rappellent qu’en matière de morales, le volume de capital économique et culturel s’avère déterminant.
30Dès lors que l’on projette en éléments supplémentaires des indicateurs tels que la PCS ou le niveau de diplômes du répondant, la proximité à la culture légitime, le libéralisme sexuel et l’acceptation de l’altérité apparaissent tout sauf neutres. Il devient alors possible de rendre compte de l’autonomie relative de ces différents clivages. Le premier axe exprime une hiérarchie sociale d’ensemble et sépare clairement les cadres et, dans une moindre mesure, les professions intermédiaires, des autres PCS et, en particulier, des ouvriers [voir graphique 3, p. 90]. L’adhésion au légitimisme culturel est d’autant plus forte qu’on se rapproche de ses foyers de production : les classes moyennes et supérieures fortement dotées en capital culturel. La morale dominante trouve ses plus fervents défenseurs parmi les plus riches et surtout parmi les plus cultivés. Les répondants dont l’espace des possibles s’avère le plus vaste, parce qu’ils sont davantage dotés que les autres en capital économique et culturel, sont également ceux qui se prétendent les plus ouverts dans de nombreux domaines parce qu’ils peuvent se permettre de mettre en scène toutes les audaces morales sans grands risques de mise en danger d’eux-mêmes, de leurs proches et de leurs conditions d’existence. Ces audaces sont d’autant moins coûteuses que les pratiques transgressives des dominants restent souvent invisibles du public et ne sont soumises ni à stigmatisation, ni à sanction [50]. Dès lors, l’acceptation de l’altérité peut se faire promotion, elle ne remet pas en question les conditions sociales et politiques de reproduction du groupe qu’assurent les stratégies réelles observées dans de nombreuses enquêtes, par exemple à propos du logement [51] [voir graphique 3, p. 90].
PCS et niveaux de diplômes sur le plan formé par les axes 1 et 2 (éléments supplémentaires)
PCS et niveaux de diplômes sur le plan formé par les axes 1 et 2 (éléments supplémentaires)
31La tolérance affichée et l’ouverture proclamée rencontrent rapidement des limites. Les tenants du légitimisme culturel craignent les mésalliances qui pourraient remettre en cause leur capital culturel [52]. Les cadres manifestent également une aversion plus marquée que les autres groupes sociaux pour les environnements bruyants (23,1 % contre 16,9 % pour l’ensemble) [53], signe de leur attachement à une certaine retenue en même temps qu’indicateur que les « autres » sont tolérables et tolérés à condition de se montrer discrets [54]. Et quand on les interroge sur les individus dont le style de vie est le plus éloigné du leur sur la base d’images figurant les différentes PCS, ils désignent celles représentant des employés et des ouvriers [voir graphique 4, p. 94]. Inversement, ces derniers pointent les photographies d’indépendants, de cadres et surtout de professeurs des écoles (choisis initialement pour représenter les professions intermédiaires). La distance à la morale dominante apparaît donc en grande partie liée au rejet de l’institution scolaire, ici personnifiée par le maître, qui n’a pas été remis en cause par l’accès de plus en plus massif des enfants des classes populaires aux études longues, tant le retour sur investissement s’est révélé décevant [55]. D’une certaine manière, les politiques d’expansion scolaire ont permis l’accès aux lycées et aux universités tout en maintenant des écarts biens réels et visibles. D’un côté, l’école affirme le mérite individuel des gens bien nés qui font de l’éducation la justification essentielle de leur position sociale [56]. De l’autre, elle reproduit la structure sociale et dévalorise ceux qui n’ont pas hérité d’une familiarité avec la culture scolaire.
Groupes ayant les façons de vivre les plus éloignées des répondants (déclaratif, éléments supplémentaires)
Groupes ayant les façons de vivre les plus éloignées des répondants (déclaratif, éléments supplémentaires)
32Les rapports à la morale légitime dépendent donc en grande partie des ressources dont disposent les agents pour améliorer ou, a minima, maintenir leur position sociale. C’est là où ces conditions sont les plus favorables qu’on peut adopter les prises de position les moins conservatrices et, surtout, les moins réactionnaires. Il n’est pas nécessaire de postuler une anticipation consciente des effets négatifs qu’un retour en arrière pourrait provoquer : les agents occupant ces positions ont peu à redire du monde tel qu’il est, tel qu’il va et tel qu’ils anticipent son devenir. On le voit bien en projetant en éléments supplémentaires les origines sociales des répondants : ce sont principalement ceux dont les parents faisaient partie des cadres, professions libérales et professions intermédiaires qui affichent leur légitimisme culturel. À l’inverse, c’est au sein des groupes les moins dotés, en particulier les ouvriers, dont les conditions d’amélioration de leur position ont été dégradées [57], et dont les outils de reproduction se sont délités (notamment sous l’effet de la désindustrialisation), que peuvent se lire des prises de position contestataires, qu’elles soient hostiles à l’ordre établi ou qu’elles en appellent au retour d’un ordre traditionnel, ce qui, dans les deux cas, constitue une remise en cause de l’ordre tel qu’il est [voir graphique 5, p. 94].
PCS du père et de la mère dans le plan 1-2
PCS du père et de la mère dans le plan 1-2
33La revendication du légitimisme culturel et sa mise en cause dépendent ainsi de l’ajustement ou du désajustement au monde social tel qu’il est et tel que son devenir est perçu. Tandis que les groupes dominants détiennent les dispositions permettant de vivre dans ce monde avec une certaine félicité, les groupes dominés s’y projettent, avec inquiétude, ou pas du tout, parce qu’ils ne détiennent pas les outils collectifs, matériels, symboliques et politiques leur permettant de reprendre prise sur leur existence et de se projeter dans un avenir positif [voir tableau 3, ci-contre].
PCS et rapports à l’avenir
PCS | Choix personnel | Situation économique et politique | Destin ou force supérieure | Famille et proches | Ne pense pas à son avenir | Total |
---|---|---|---|---|---|---|
Agriculteur (N=8) | 12,5 % | 62,5 % | 12,5 % | 12,5 % | 0,0 % | 100,0 % |
Artisan commerçant (N=35) | 65,7 % | 17,1 % | 2,9 % | 5,7 % | 8,6 % | 100,0 % |
Cadre prof. l ibérale (N=185) | 68,6 % | 14,6 % | 3,8 % | 4,3 % | 8,6 % | 100,0 % |
Prof. intermédiaire (N=175) | 52,8 % | 17,6 % | 6,8 % | 9,1 % | 13,6 % | 100,0 % |
Employé (N=202) | 43,1 % | 18,8 % | 6,4 % | 10,9 % | 20,8 % | 100,0 % |
Ouvrier (N=119) | 40,3 % | 24,4 % | 6,7 % | 10,9 % | 17,6 % | 100,0 % |
Total | 52,3 % | 18,8 % | 5,8 % | 8,6 % | 14,6 % | 100,0 % |
PCS et rapports à l’avenir
Votre avenir dépend avant tout :34Les groupes les plus dominés – agriculteurs, employés et ouvriers – entretiennent ainsi des rapports négatifs au présent et à l’avenir, rapports qui se traduisent simultanément par des positionnements politiques extrêmes et par un désintérêt revendiqué pour la politique [voir graphique 6, p. 95].
Espace de positionnements politiques et intérêt pour la politique
Espace de positionnements politiques et intérêt pour la politique
35Tout autant que l’adhésion au légitimisme culturel, la balance entre déontologisme et conséquentialisme semble affaire de socialisation. Comme le rappelle Jean-Claude Chamboredon, « selon les classes, la définition du licite et de l’illicite et la hiérarchie des règles les plus impératives peuvent entretenir avec la définition du légal et de l’illégal, et avec la définition officielle des degrés de gravité des différentes infractions des rapports très divers allant de la coïncidence complète à une grande divergence » [58]. On peut faire l’hypothèse que les préférences en matière morale procèdent de mécanismes de régulation et d’intégration, activés et alimentés par des institutions, aux effets plus ou moins étendus dans des domaines variés de la pratique (école, travail, justice, etc.) et d’autant plus efficaces qu’ils auront pu s’exercer dans la durée. Derrière l’opposition entre déontologisme et conséquentialisme, deux rapports aux institutions s’affrontent : un conformisme institutionnel, d’une part, lié à une relative confiance dans les collectifs que représentent la famille, l’entreprise ou la religion et produit par une éducation et des conditions de vie qui leurs sont favorables ; une « humeur anti-institutionnelle » [59], d’autre part, qu’on peut rattacher à un délitement des attentes vis-à-vis des institutions et plus généralement des collectifs. Les garants du conformisme se révèlent plutôt âgés (souvent retraités), ont grandi dans un monde rural [60] où l’éducation religieuse demeurait centrale [61] et disposent de ressources économiques régulières. Ils n’ont plus grand-chose à attendre sur le plan de la progression matérielle. À l’inverse, les jeunes issus des catégories populaires, majoritairement areligieux, dont la socialisation secondaire la plus déterminante s’est effectuée au contact de leurs pairs, ont vu les promesses annoncées par une scolarisation prolongée déçues et doivent affronter les rigueurs du marché du travail avec, souvent, une faible qualification [62] [voir graphique 7, p. 95].
Classes d’âge, origines sociales et importance accordée à la religion dans le plan 1-2
Classes d’âge, origines sociales et importance accordée à la religion dans le plan 1-2
36L’effet de génération joue à plein, les moins de 40 ans n’ont pas connu le monde de leurs aînés : celui où l’emploi s’exerçait souvent à durée indéterminée, où la carrière était davantage linéaire, où des structures politiques et religieuses encadraient comportements et styles de vie. Déontologisme et conséquentialisme dépendent donc aussi d’une inégale capacité à se projeter dans l’avenir, liée aux repères et à la protection relative qu’offrent, ou non, des institutions. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne le travail ou l’emploi, dans un contexte où la faible valeur des diplômes détenus, voire l’absence de diplôme, se révèle extrêmement pénalisante [63]. La part des enquêtés qualifiant leur situation financière de difficile décroît ainsi régulièrement avec l’âge passant de 64 % pour les moins de 30 ans à 40,7 % pour les 65 ans et plus. Il en va de même pour la proportion de répondants déclarant un revenu par unité de consommation inférieur à 950 euros qui s’établit de 40,9 % pour les moins de 30 ans contre 7,4 % pour les 65 ans et, plus encore, pour la part de propriétaires qui s’élève de 15,9 % à 80,2 % pour ces mêmes classes d’âge. Non seulement, les jeunes (qui traversent une période de la vie dont on sait qu’elle est marquée par un sentiment de relative indétermination) [64] se soucient davantage d’aujourd’hui que du lendemain, mais leurs marges de manœuvre au moment présent sont aussi réduites. Plus souvent au chômage (10,7 % pour les répondants de moins de 30 ans et 9,9 % pour les 30-39 ans contre 7,7 % pour les 40-64 ans), ils subissent également davantage les contrats précaires (c’est le cas de 20,4 % des moins de 30 ans contre des taux variant entre 5,8 et 9,4 % pour les classes d’âge allant de 30 à 64 ans). Ces conditions matérielles d’existence peuvent nourrir un rapport critique à l’ordre traditionnel et une forme d’individualisme contestataire qui trouve sa traduction dans le désintérêt pour la politique chez les plus jeunes et les membres des classes populaires. Alors que les moins de 30 ans sont 58,4 % à déclarer leur faible intérêt voire leur désintérêt, cette proportion décroît régulièrement pour atteindre 21,8 % chez les 65 ans et plus. Elle atteint 54,5 % chez les ouvriers ainsi que 56,6 % chez les employées contre 29,1 % chez les cadres. En bas à droite du graphique se dessine un ensemble assez cohérent d’individus pour lesquels une rupture relative avec le rapport spontanée au monde social, une distance marquée à la morale dominante ainsi que le primat accordé à la finalité immédiate de l’action se conjuguent pour défendre, en premier lieu, des intérêts à court terme.
37L’espace des points de vue moraux doit ainsi largement sa structure à des inégalités entre les classes sociales et en leur sein : ressources possédées et formes de socialisation jouent un rôle central. Évidemment, l’adhésion spontanée au monde social ou sa contestation tous azimuts ne doivent pas faire illusion. Les stratégies de présentation de soi naviguent toujours entre deux horizons : l’endossement du rôle ou bien le cynisme, qui pousse à donner une image de soi conforme à des canons, quand bien même on sait ce qu’elle a de convenu [65]. De ce point de vue, les perceptions internes et externes des classes populaires sont empreintes d’une forte ambivalence [66] et on peut très bien sur-jouer l’insubordination en public tout en ayant une vie privée des plus casanières.
38On aurait ainsi tort de prêter aux dispositions morales elles-mêmes une cohérence par trop systématique. En fonction de leur catégorie socioprofessionnelle, les enquêtés formulent des réponses plus ou moins dispersées et donc pas nécessairement cohérentes [voir tableau 4, p. 96]. À l’inverse de ce qui a pu être observé dans le domaine des pratiques culturelles – à savoir que « les publics aux pratiques et aux préférences culturelles les plus homogènes occupent des positions totalement opposées dans l’espace social » [67] –, la systématicité des préférences morales se distribue socialement de manière inégale. Les cadres et professions intellectuelles supérieures présentent ainsi des points de vue nettement plus homogènes que les ouvriers [68], les professions intermédiaires et les employés venant s’intercaler entre les premiers et les seconds. De même, les femmes, dont la sociologie de l’éducation a de longue date étudié la mobilisation et la réussite à l’école [69], répondent de manière plus « cohérente » que les hommes. Elles se disent davantage soucieuses du contrôle du groupe social auquel elles appartiennent et d’elles-mêmes (76,3 % craignent ainsi la mésalliance culturelle, ethnique, religieuse ou politique soit 11 points de plus que les hommes ; un écart similaire s’observe lorsqu’il est question de mentir à la police ou à un responsable religieux). De leur côté, les hommes font parfois prévaloir le principe de plaisir sur des considérations éthiques ou pratiques : ainsi 25 % rejettent pour leurs enfants, des conjoints qui seraient laids (contre 15 % chez les femmes) ; de même, 44,8 % d’entre eux disent qu’un véhicule 4x4 ou une voiture sportive leur déplaisent, alors que la proportion atteint 60,6 % chez les femmes. C’est d’autant plus vrai au sein des classes populaires où l’emprise des normes associées à la virilité et à la féminité reste plus marquée qu’ailleurs [70]. Le capital culturel exerce sans doute un effet intégrateur pour les groupes sociaux, mais dans un contexte où d’autres formes d’identification, comme la culture ouvrière ou la communauté religieuse, se trouvent dévalorisées, il peut également contribuer à produire de l’hétérogénéité étant donné les destins scolaires très différents des hommes et des femmes des classes populaires [71] [voir tableau 4, p. 96].
Variances moyennes des réponses en fonction de la PCS et du sexe
Catégorie socioprofessionnelle | Hommes | Femmes | Total | |||
---|---|---|---|---|---|---|
N | Moyenne | N | Moyenne | N | Moyenne | |
Cadre et profession libérale | 98 | 0,181 | 88 | 0,174 | 186 | 0,181 |
Profession intermédiaire | 85 | 0,193 | 92 | 0,189 | 177 | 0,193 |
Employé | 43 | 0,195 | 160 | 0,192 | 203 | 0,195 |
Ouvrier | 89 | 0,211 | 30 | 0,206 | 119 | 0,211 |
Variances moyennes des réponses en fonction de la PCS et du sexe
39Loin d’avoir pour base des principes ou des idéologies, les préférences morales découlent avant tout de formes de socialisation. Les positions morales qui, dans les années 1970, pouvaient paraître les plus avant-gardistes nourrissent largement la morale dominante d’aujourd’hui. Le « rigorisme » et « l’ascétisme » d’hier ne font plus guère recette auprès de ceux qui cumulent capital économique et capital culturel. D’une part, les fractions économiques de la bourgeoisie se revendiquent majoritairement des audaces morales antérieurement associées à la « bourgeoisie nouvelle » [72]. D’autre part, cadres du public et enseignants ne se distinguent guère dans leur rapport au légitimisme culturel des cadres du privé et des professions libérales. L’opposition si marquée dans la société française des années 1970 telle qu’elle était décrite dans La Distinction, entre fractions de classe à capital culturel et à capital économique, s’est considérablement réduite dans un contexte de rapprochement des élites et de leur mode de reproduction. Les classes populaires, décrites comme partageant le même style de vie dans les années 1970, ont elles connu le mouvement inverse. Dans un contexte de remise en cause des collectifs et des institutions d’encadrement, elles apparaissent davantage fragmentées. Sous l’effet à la fois de la « crise », mais peut-être aussi des injonctions à l’autonomie et à la responsabilité venues du haut (et diffusées par différentes institutions comme l’école ou le management des entreprises), émergent des discours contestataires aux potentialités aussi bien subversives que conservatrices. L’espace des points de vue moraux retraduit ainsi certaines transformations de l’espace social : les plus en phase avec l’évolution de ses structures peuvent, à moindre frais, concilier conservatisme de fait et prétention à l’ouverture ; tandis que ceux qui n’ont rien à gagner ne peuvent que se soumettre à l’autorité de principes portés par des institutions collectives ou se réfugier dans un individualisme réfractaire aux normes communes. Malgré tout ce qui rapproche objectivement (et souvent aussi maritalement) ouvriers et employés [73], leur identité de classe reste difficile à construire [voir tableau 4, p. 96].
Coordonnées et contributions des modalités dans le plan 1-2
Modalités | Coord : 1 | Coord : 2 | Ctr : 1 | Ctr : 2 |
---|---|---|---|---|
Environnement : sale | -0,02 | -0,08 | 0 | 0,1 |
Environnement : bruyant | -0,57 | -0,38 | 1,7 | 1 |
Environnement : mal fréquenté | 0,33 | 0,32 | 1,2 | 1,5 |
Transmission : autonomie | -0,44 | -0,01 | 1,3 | 0 |
Transmission : respect des aînés | 0,54 | -0,15 | 1,8 | 0,2 |
Transmission : solidarité | -0,67 | 0,07 | 3,4 | 0 |
Transmission : réussite | 0,45 | 0,05 | 2,1 | 0 |
Pire_Cjt : revenus insuffisants | 0,02 | -0,24 | 0 | 0,2 |
Pire_Cjt : autre origine | 0,98 | 0,27 | 2,8 | 0,3 |
Pire_Cjt : pas cultivé | -0,39 | -0,03 | 2,1 | 0 |
Pire_Cjt : autre religion | 0,72 | 0,45 | 1,7 | 0,9 |
Pire_Cjt : laid | 0,33 | -0,12 | 0,6 | 0,1 |
Pires_parents : séparés | -0,13 | 0,13 | 0,1 | 0,2 |
Pires_parents : même sexe | 0,63 | 0,53 | 2,3 | 2,1 |
Pires_parents : situation matérielle | -0,16 | -0,22 | 0,4 | 1,1 |
Peine_mort : plutôt pour | 0,59 | -0,15 | 3,8 | 0,3 |
Peine_mort : plutôt contre | -0,09 | 0,2 | 0 | 0,3 |
Peine_mort : oui dans tous les cas | 1,07 | -0,33 | 3,7 | 0,4 |
Peine_mort : non | -0,84 | 0,11 | 7,8 | 0,2 |
Arme : oui | -0,08 | 0,08 | 0,2 | 0,3 |
Arme : non | 0,71 | -0,7 | 1,6 | 2,1 |
Separation : infidèle | 0,55 | -0,01 | 3,3 | 0 |
Separation : sentir plus libre | -0,46 | -0,1 | 0,5 | 0 |
Separation : impossible | 0,04 | 0,73 | 0 | 3,8 |
Separation : n’assumait plus responsabilités | 0 | 0,24 | 0 | 0,1 |
Separation : amour | -0,47 | -0,38 | 2,4 | 2 |
Tatouage : oui | 0,46 | -0,88 | 0,9 | 4,5 |
Tatouage : pourquoi pas | -0,14 | -0,4 | 0,2 | 2 |
Tatouage : non | -0,04 | 0,43 | 0 | 4,3 |
Prostitution : un métier | -0,09 | -0,44 | 0,1 | 3,5 |
Prostitution : pas un métier | 0,08 | 0,37 | 0,1 | 3,1 |
Fetes_fin_annee : attention et affection | -0,02 | 0,24 | 0 | 1,2 |
Fetes_fin_annee : prime | 1,05 | -0,87 | 2 | 1,8 |
Fetes_fin_annee : se reposer | -0,28 | -0,13 | 0,5 | 0,2 |
Fetes_fin_annee : nouvelles perspectives | 0,03 | -0,21 | 0 | 0,4 |
Double_natio : pas de racines | 0,51 | 0,45 | 1 | 1 |
Double_natio : méfiance | 1,06 | -0,13 | 4,4 | 0,1 |
Double_natio : richesse | -0,26 | -0,05 | 1,6 | 0,1 |
Budget_Etat : la sante | 0,37 | 0,12 | 1,3 | 0,2 |
Budget_Etat : l’industrie | 0,37 | 0,14 | 0,6 | 0,1 |
Budget_Etat : la défense sécurité | 0,82 | -0,02 | 2,9 | 0 |
Budget_Etat : l’éducation culture | -0,63 | -0,07 | 3,9 | 0,1 |
Budget_Etat : l’environnement | -0,64 | -0,29 | 1,4 | 0,4 |
Argent : dépense | 0,09 | -0,08 | 0,2 | 0,2 |
Argent : transmis | 0,14 | 0,23 | 0,1 | 0,2 |
Argent : épargné | 0,53 | 0,32 | 1,1 | 0,5 |
Argent : distribué | -0,91 | -0,05 | 4 | 0 |
Mentir_police : oui | -0,16 | -1,18 | 0,1 | 8,9 |
Mentir_police : non | 0,04 | 0,21 | 0 | 1,5 |
Mentir_famille : oui | -0,11 | -0,32 | 0,2 | 1,8 |
Mentir_famille : non | 0,1 | 0,24 | 0,2 | 1,3 |
Reput_Salie : tentant | -0,1 | -0,1 | 0,1 | 0,1 |
Reput_Salie : oui | 0,67 | -0,7 | 0,7 | 1,1 |
Reput_Salie : exceptionnellement | 0,17 | -0,39 | 0,2 | 1,2 |
Reput_Salie : non | -0,08 | 0,28 | 0,1 | 1,6 |
Autojustice : oui | 0,39 | -0,48 | 2,1 | 4,1 |
Autojustice : non | -0,29 | 0,37 | 1,5 | 3,2 |
Animaux : chat | 0,55 | 0,06 | 1,3 | 0 |
Animaux : oiseau | -0,27 | -0,47 | 0,7 | 2,8 |
Animaux : chien | -0,47 | 0,33 | 0,9 | 0,6 |
Animaux : hamster | 0,17 | 0,26 | 0,4 | 1,1 |
Ennui : TV | -0,41 | -0,03 | 1,5 | 0 |
Ennui : lire | 0,71 | -0,29 | 3,4 | 0,8 |
Ennui : sport | 0,03 | -0,09 | 0 | 0,1 |
Ennui : bricoler | -0,15 | 0,34 | 0,2 | 1,3 |
Pire_voiture : citadine | 0,38 | -0,22 | 1,7 | 0,8 |
Pire_voiture : sportive | -0,09 | 0,45 | 0,1 | 1,6 |
Pire_voiture : berline | -0,04 | 0,03 | 0 | 0 |
Pire_voiture : 4x4 | -0,36 | -0,03 | 1,3 | 0 |
Bio : santé | -0,4 | 0,14 | 1,6 | 0,3 |
Bio : environnement | -0,47 | -0,13 | 1,2 | 0,1 |
Bio : trop cher | 0,31 | -0,03 | 0,8 | 0 |
Bio : marketing | 0,52 | -0,06 | 2,2 | 0 |
Repas : bon goût | 0 | -0,41 | 0 | 2,4 |
Repas : équilibrés | -0,13 | 0,39 | 0,3 | 3,2 |
Repas : pas cher | 0,56 | -0,45 | 0,7 | 0,6 |
Repas : nourrissants | 0,31 | -0,25 | 0,2 | 0,2 |
Nudistes : rejet | 0,41 | 0,49 | 1,5 | 2,9 |
Nudistes : pas de problème | -0,2 | -0,17 | 0,8 | 0,7 |
Nudistes : sympa | 0,25 | -0,67 | 0,1 | 1,2 |
Couches : échange | 0,06 | 0,28 | 0,1 | 1,6 |
Couches : ne me dérange pas | -0,08 | -0,15 | 0,1 | 0,3 |
Couches : me dégoûte | 0,22 | -0,51 | 0,2 | 1,2 |
Couches : pas concerné | -0,28 | -0,33 | 0,3 | 0,5 |
Rel : - - | -0,1 | -0,36 | 0,2 | 2,6 |
Rel : - | 0,21 | 0,05 | 0,4 | 0 |
Rel : + | -0,01 | 0,62 | 0 | 1,9 |
Rel : ++ | -0,17 | 1,21 | 0,1 | 4,4 |
Revenus_max : contre | 0,19 | 0,08 | 0,1 | 0 |
Revenus_max : cela me choque l’État n’a pas à intervenir | 0,07 | 0,12 | 0,1 | 0,2 |
Revenus_max : ne me choque pas | -0,42 | -0,26 | 1,1 | 0,5 |
Revenus_max : pour | 0,11 | -0,03 | 0,1 | 0 |
Notes
-
[1]
Pierre Bourdieu, La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Minuit, 1979 ; Philippe Coulangeon et Julien Duval (dir.), Trente ans après La Distinction de Pierre Bourdieu, Paris, La Découverte, 2013 ; Philippe Coulangeon, Les Métamorphoses de la distinction. Inégalités culturelles dans la France d’aujourd’hui, Paris, Grasset, 2011 ; Julien Duval, « Distinction studies », Actes de la recherche en sciences sociales, 181-182, 2010, p. 146-156.
-
[2]
Voir le récent article de Nicolas Robette et Olivier Roueff, « L’espace contemporain des goûts culturels. Homologies structurales entre domaines de pratiques et entre classes sociales », Sociologie, 8(4), 2017, p. 369-394, dont les résultats confirment ceux que nous avons obtenus sur les principes de structuration de l’espace social français contemporain.
-
[3]
Pierre Bourdieu généralisait à propos de l’ensemble des goûts ce que Nietzsche écrivait dans la Généalogie de la morale : « partout, l’idée de “distinction”, de “noblesse” au sens de rang social, est l’idée-mère d’où naît et se développe nécessairement l’idée de “bon” au sens “distingué quant à l’âme” et celle de “noble” au sens de “ayant une âme d’essence supérieure”, “privilégié quant à l’âme”. Et ce développement est toujours parallèle à celui qui finit par transformer les notions de “vulgaire”, “plébéien”, “bas” en celle de mauvais » (Friedrich Nietzsche, La Généalogie de la morale, Paris, Gallimard, 1964, p. 31).
-
[4]
P. Bourdieu, La Distinction…, op. cit., p. 356, 406, 424.
-
[5]
Émile Durkheim, « Définition du fait moral (1893) », in Émile Durkheim, Textes. 2. Religion, morale, anomie, Paris, Minuit, 1975, p. 287.
-
[6]
François-André Isambert, Paul Ladrière et Jean-Paul Terrenoire, « Pour une sociologie de l’éthique », Revue française de sociologie, 19(3), 1978, p. 323-339 et spécialement p. 325.
-
[7]
Lucien Lévy-Bruhl, La Morale et la science des mœurs, Paris, PUF, 1971 [1903]. Pour une mise en perspective, voir Dominique Merllié, « La sociologie de la morale est-elle soluble dans la philosophie ? La réception de La Morale et la science des mœurs », Revue française de sociologie, 45(3), 2004, p. 415-440.
-
[8]
Pour une substantielle revue de littérature sur les études des faits moraux, voir Gabriel Abend, “What’s new and what’s old about the new sociology of morality”, in Steven Hitlin et Stephen Vaisey (éds), Handbook of the Sociology of Morality, New York, Springer Science & Business Media, 2010, p. 561-585.
-
[9]
Luc Boltanski et Laurent Thévenot, De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991.
-
[10]
Yannick Barthe et al., « Sociologie pragmatique : mode d’emploi », Politix, 103, 2013, p. 175-204.
-
[11]
Elsa Rambaud, « La “petite” critique, la “grande” et “la” révolution. Pour une acception non normative de la critique », Revue française de science politique, 67(3), 2017, p. 469-495 et spécialement p. 483.
-
[12]
Andrew Sayer, The Moral Significance of Class, Cambridge, Cambridge University Press, 2005.
-
[13]
Edward P. Thompson, “The moral economy of the English crowd in the eighteenth century”, Past & Present, 50, 1971, p. 76-136 ; Didier Fassin, « Les économies morales revisitées », Annales HSS, 64(6), 2009, p. 1237-1266.
-
[14]
Johanna Siméant, « “Économie morale” et protestation – détours africains », Genèses, 81, 2010, p. 142-160.
-
[15]
Steven Lukes, Le Relativisme moral, Genève, Markus Haller, 2015, p. 18.
-
[16]
Remi Lenoir, Généalogie de la morale familiale, Paris, Seuil, 2003, p. 446.
-
[17]
Delphine Serre, Les Coulisses de l’État social. Enquête sur les signalements d’enfant en danger, Paris, Raisons d’agir, 2009, p. 151.
-
[18]
Christelle Avril, Les Aides à domicile. Un autre monde populaire, Paris, La Dispute, 2014, p. 209.
-
[19]
Bernard Lahire, L’Homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris, Nathan, 2001.
-
[20]
Claude Grignon et Jean-Claude Passeron, Le Savant et le populaire. Misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature, Paris, Gallimard/Seuil, 1989.
-
[21]
Richard Hoggart, La Culture du pauvre, Paris, Minuit, 1970 [1957].
-
[22]
Voir par exemple Pierre Bréchon (dir.), Les Valeurs des Français, Paris, Armand Colin, 2003 [2000], p. 13.
-
[23]
Pierre Bréchon et Frédéric Gonthier (dir.), Les Valeurs des Européens. Évolutions et clivages, Paris, Armand Colin, 2014.
-
[24]
Étienne Schweisguth écrit ainsi : « L’évolution des opinions à l’égard des immigrés s’inscrit en fait dans une évolution à long terme des systèmes de valeurs consistant à affirmer l’égale valeur et l’égale dignité de tout individu humain, quels que soient sa “race”, sa nationalité, son sexe, son âge ou son rang social. Ce principe est dans la logique d’une “société des individus” fondée sur l’idée démocratique. Il traduit l’idée que la valeur d’un individu dépend éventuellement de son mérite, de ce qu’il fait, mais ne dépend pas de ce qu’il est et de ce dont il n’est pas responsable. Ce principe, qui naît avec les humanistes de la Renaissance et qui s’épanouit au siècle des Lumières, s’applique alors essentiellement à une catégorie particulière, celle des nationaux de sexe masculin. Il trouve dans la seconde moitié du XXe siècle deux nouveaux terrains d’application privilégiés : celui de l’égalité de valeur entre les hommes et les femmes, et entre les nationaux et les étrangers » (« Le trompe-l’œil de la droitisation », Revue française de science politique, 57(3), 2007, p. 393-410 et spécialement p. 395).
-
[25]
François Dubet, Injustices. L’expérience des inégalités au travail, Paris, Seuil, 2006, p. 31.
-
[26]
Anne Paillet, Sauver la vie, donner la mort. Une sociologie de l’éthique en réanimation néonatale, Paris, La Dispute, 2007.
-
[27]
Aude Béliard et Jean-Sébastien Eideliman, « Mots pour maux. Théories diagnostiques et problèmes de santé », Revue française de sociologie, 55(3), 2014, p. 507-536.
-
[28]
C’est également ce choix qui avait été réalisé, sous des supports divers, par Tony Bennett, Mike Savage, Elizabeth Bortolaia Silva, Alan Warde, Modesto Gayo-Cal et David Wright, Culture, Class, Distinction, Londres, Routledge, 2009 ; Mike Savage, Social Class in the 21st Century, Londres, Pelican Books, 2015.
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[29]
Voir par exemple : Pierre Bréchon, « Croyances religieuses et systèmes de valeurs », in Alain Chenu et Laurent Lesnard (dir.), La France dans les comparaisons internationales. Guide d’accès aux grandes enquêtes statistiques en sciences sociales, Paris, Presses de Sciences Po, 2011, p. 49-66.
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[30]
Pierre Bourdieu, « Un jeu chinois. Notes pour une critique sociale du jugement », Actes de la recherche en sciences sociales, 4, 1976, p. 91-101.
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[31]
Jean-Michel Lecrique, Pierre Lascoumes et Philippe Bezes, « Classer et juger les transgressions politiques. L’apport d’une démarche par focus group et d’une méthode quantitative d’analyse des données qualitatives », Revue française de science politique, 61(3), 2011, p. 447-482.
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[32]
La méthode du scénario est aussi celle qui a permis à Carol Gilligan de réfléchir aux formes de moralité qui ne correspondent pas aux canons de la philosophie morale et de la justice. Elle s’est appuyée par exemple sur des enquêtes mettant en scène des choix moraux comme celui du dilemme de Heinz : faut-il voler ou non un médicament pour une personne en train de mourir ? Voir Carol Gilligan, Une voix différente. Pour une éthique du care, Paris, Flammarion, 2008 [1982], p. 59.
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[33]
Émile Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, PUF, 2008 [1912].
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[34]
Bethany Bryson, “’Anything but heavy metal : symbolic exclusion and musical dislikes”, American Sociological Review, 61(5), 1996, p. 884-899 ; Julien Duval, « L’offre et les goûts cinématographiques en France », Sociologie, 2(1), 2011, p. 1-18.
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[35]
Sylvie Tissot, « “Anything but soul food”. Goûts et dégoûts alimentaires chez les habitants d’un quartier gentrifié », in P. Coulangeon et J. Duval (dir.), Trente ans après…, op. cit., p. 141-152.
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[36]
Pour illustrer l’apport de cette approche, Mary Douglas donne l’exemple d’une enquête de nutritionnistes en Arizona qui a puisé ses informations sur les pratiques alimentaires d’une population en examinant les décharges d’ordures ménagères. Voir Mary Douglas, Comment pensent les institutions, Paris, La Découverte / Poche, 2004 [1986], p. 113. De son côté, Bourdieu notait dans La Distinction que « les goûts sont sans doute avant tout des dégoûts, faits d’horreur ou d’intolérance viscérale (“c’est à vomir”) pour les autres goûts, les goûts des autres. » (P. Bourdieu, La Distinction…, op. cit., p. 60).
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[37]
D. Fassin, art. cit. ; J. Siméant, art. cit.
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[38]
Dominique Memmi, Gilles Raveneau et Emmanuel Taïeb, « La fabrique du tolérable : itinéraires sociaux du dégoût », in Dominique Memmi, Gilles Raveneau et Emmanuel Taïeb (dir.), Le Social à l’épreuve du dégoût, Rennes, PUR, 2016, p. 11-30. Les auteurs soulignent un apparent « paradoxe ». Un certain « libéralisme » dans le discours sur les corps dégradés des autres impose d’afficher la plus grande tolérance alors que, parallèlement, le seuil de sensibilité à la dégradation corporelle n’a cessé de croître au XXe siècle. Ce dégoût des autres, présent mais non dicible, se traduit par exemple par la mise en place de protections institutionnelles et pratiques (comme la généralisation de l’usage des gants dans le monde médical).
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[39]
Citons notamment le dossier sur « Le dégoût des autres » (Genèses, 96, 2014) coordonné par Wilfried Lignier et Julie Pagis.
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[40]
P. Bourdieu, « Un jeu chinois… », art. cit., p. 91.
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[41]
Brigitte Le Roux et Henry Rouanet, Geometric Data Analysis. From Correspondence Analysis to Structured Data Analysis, Dordrecht, Kluwer, 2005 ; Brigitte Le Roux, Analyse géométrique des données multidimensionnelles, Paris, Dunod, 2014.
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[42]
Julien Duval, « L’analyse des correspondances et la construction des champs », Actes de la recherche en sciences sociales, 200, 2013, p. 110-123.
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[43]
29 individus qui n’avaient pas été enquêtés lors de l’enquête annuelle ont été écartés. Le jeu de données comporte des variables de calage pour le sexe, le diplôme, la nationalité et l’âge décennal. Néanmoins, les imputations ayant été réalisées de quatre manières différentes par l’équipe d’ELIPSS, il ne nous a pas semblé opportun d’utiliser ces variables pour un effectif assez réduit.
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[44]
Félicité des Nétumières, « Méthodes de régression et analyse factorielle », Histoire & Mesure, 12(3-4), 1997, p. 271-297.
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[45]
Pour une synthèse pédagogique sur cette littérature, voir Armand Chanel, « Les avatars du libéralisme culturel. Le cas du libéralisme des mœurs », Idées économiques et sociales, 181, 2015, p. 59-68.
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[46]
François Héran, « Les animaux domestiques », in INSEE, Données sociales, Paris, Insee, 1987, p. 417-423. François Héran a montré que le choix des animaux domestiques (chien ou chat) ne découlait pas simplement de contraintes liées au logement (taille, localisation) ou à la structure du ménage (statut matrimonial, nombre d’enfants). Le capital culturel n’est néanmoins pas la seule dimension à prendre en compte. Le rapport à l’autorité semble particulièrement clivant. De telles analyses doivent évidemment être nuancées dès lors que l’on introduit comme variables la race de l’animal ou sa fonction. Voir Nicolas Herpin et Daniel Verger, « Sont-ils devenus fous ? La passion des Français pour les animaux familiers », Revue française de sociologie, 33(2), 1992, p. 265-286.
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[47]
Pour éviter une forme d’ « imposition statistique », la variable concernant l’importance accordée à la religion a également été projetée en élément supplémentaire. La structure de l’espace reste très similaire et, de manière identique, les modalités de cette question se distribuent le long du second axe.
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[48]
Joel Robbins, « Déontologie et conséquentialisme », in Didier Fassin et Samuel Lézé (dir.), La Question morale. Une anthologie critique, Paris, PUF, 2013, p. 184 et 187 (publié initialement sous le titre “On the pleasures and dangers of culpability”, Critique of Anthropology, 30(1), 2010, p. 122-128). Si nous reprenons les qualificatifs de morales « déontologique » et « conséquentialiste », notre analyse diffère de celle de Robbins. Nous montrerons que ces morales sont liées à des propriétés sociales, ancrées dans des positions et, à rebours de ce que Robbins affirme, que les individus sont d’autant plus disposés à agir et à se situer par rapport aux conséquences de leurs actes que leur avenir est moins prévisible. Les adjectifs « déontologique » et « conséquentialiste » ont néanmoins l’avantage d’être beaucoup moins chargés symboliquement que ne le seraient d’autres expressions pour décrire cette opposition, comme « morale du devoir » versus « morale du concret », ou encore « morale de l’ordre » versus « morale de la nécessité ». Sur l’opposition entre règles normatives et règles pragmatiques, voir Frederick G. Bailey, Les Règles du jeu politique. Une étude anthropologique de la politique, Paris, PUF, 1971, p. 15-20.
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[49]
Le lecteur pourra trouver sur le site de la revue (http://www.arss.fr/) une application lui permettant de se positionner dans l’espace des points de vue moraux. L’enjeu n’est pas uniquement ludique ou pédagogique : en répondant au questionnaire, il est possible de réaliser une « expérience de pensée » et d’adopter un point de vue plus ou moins systématique. La base ne comporte ainsi aucun individu qui aurait adopté pour chacune des questions la posture la plus éloignée de la morale dominante.
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[50]
Jean-Baptiste Comby et Matthieu Grossetête, « “Se montrer prévoyant” : une norme sociale diversement appropriée », Sociologie, 3(3), 2012, p. 251-266.
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[51]
Bruno Cousin, « Entre-soi mais chacun chez soi. L’agrégation affinitaire des cadres parisiens dans les espaces refondés », Actes de la recherche en sciences sociales, 204, 2014, p. 88-101 ; Sylvie Tissot, De bons voisins. Enquête dans un quartier de la bourgeoisie progressiste, Paris, Raisons d’agir, 2011.
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[52]
À gauche de l’espace construit par l’ACM spécifique, les pires mésalliances (au niveau des enfants) se contracteraient avec un conjoint moins cultivé ou d’un autre bord politique. Cette seconde modalité n’a pas été retenue comme active parce qu’elle concernait moins de 5 % des répondants.
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[53]
À l’inverse, ils se montrent moins sensibles que les autres catégories aux environnements mal fréquentés (29,6 % contre 35,4 % pour l’ensemble) probablement parce que le risque d’exposition aux « mauvaises » fréquentations se trouve limité par les stratégies résidentielles qu’autorise la détention de capital économique.
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[54]
Jean-Claude Chamboredon et Madeleine Lemaire notaient déjà dans les années 1970 qu’« on ne comprend pas l’importance du thème récurrent du bruit, très souvent associé dans les critiques aux thèmes de la promiscuité et du mélange social, si l’on ne voit que les inconvénients très réels d’une insonorisation défectueuse ont une signification sociale : le bruit rappelle, jusque dans l’intimité, combien sont étrangers des voisins qui vivent selon d’autres horaires et d’autres mœurs, les bruits les plus désagréables étant ceux qui proclament des méthodes d’éducation brutales ou trahissent des habitudes de sexualité différentes, bref ceux qui attestent l’“impolitesse” et l’“inculture” », voir Jean-Claude Chamboredon et Madeleine Lemaire, « Proximité spatiale et distance sociale. Les grands ensembles et leur peuplement », in Jean-Claude Chamboredon, Jeunesse et classes sociales, Paris, Éd. Rue d’Ulm, 2015, p. 75.
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[55]
Stéphane Beaud, 80 % au bac… et après ? Les enfants de la démocratisation scolaire, Paris, La Découverte, 2003.
-
[56]
Marie Duru-Bellat et Élise Tenret, “Who’s for meritocracy ? Individual and contextual variations in the faith”, Comparative Education Review, 56(2), 2012, p. 223-247.
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[57]
Ils sont 36,4 % à avoir un père lui-même ouvrier. Pour 30 % d’entre eux le père est (ou était) travailleur indépendant (5,8 % agriculteur, 24,8 % artisan, commerçant, chef d’entreprise), pour 9,1 % profession intermédiaire, pour 20,7 % employé.
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[58]
Jean-Claude Chamboredon, « La délinquance juvénile, essai de construction de l’objet », in J.-C. Chamboredon, op. cit., p. 100.
-
[59]
P. Bourdieu, La Distinction…, op. cit., p. 161-164.
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[60]
En 1946, les habitants des campagnes représentaient 46 % de la population française. Ce taux s’établissait encore à 44 % en 1956 avant de chuter à partir du début des années 1960 (il est de l’ordre de 18 % aujourd’hui). Près de la moitié des 60 ans et plus a ainsi grandi dans un tel environnement. Voir Jean Molinier, « L’évolution de la population agricole du XVIIIe siècle à nos jours », Économie & statistique, 91, 1977, p. 79-84 et Jean Laganier et Dalila Vienne, « Recensement de la population de 2006. La croissance retrouvée des espaces ruraux et des grandes villes », Insee Première, 1218, janvier 2009, p. 1-6.
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[61]
La part de personnes déclarant avoir une religion croît régulièrement avec l’âge, passant de 50 % pour les moins de 30 ans à 80,2 % pour les 65 ans et plus. Inversement, la part de celles déclarant ne pas accorder d’importance à la religion décroît, passant respectivement de 65,5 % à 34,1 % ceci étant à relier au fait que, sous la trentaine, la part des personnes ayant reçu une éducation religieuse s’élève à 48,8 % pour passer la barre des 80 % après la cinquantaine (80,4 % pour les 50-64 ans, 82,4 % au-delà).
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[62]
S. Beaud, op. cit.
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[63]
Parmi les répondants, 53 % des ouvriers de moins de 30 ans détiennent un diplôme inférieur ou égal au bac. Entre 30 et 39 ans, cette proportion atteint 94,3 %.
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[64]
Gérard Mauger, Âges et générations, Paris, La Découverte, 2015.
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[65]
Erving Goffman, La Mise en scène de la vie quotidienne. 1. La présentation de soi, Paris, Minuit, 1973, p. 25-28.
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[66]
Xavier Vigna souligne ainsi que la moralité ouvrière a longtemps été prise entre deux pôles la présentant soit comme un danger, soit comme une espérance. Voir Xavier Vigna, L’Espoir et l’effroi. Luttes d’écritures et luttes de classes en France au XXe siècle, Paris, La Découverte, 2016.
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[67]
Bernard Lahire, La Culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, Paris, La Découverte, 2004, p. 23.
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[68]
On a utilisé comme indicateur de dispersion la variance. Pour chaque individu, a été calculée la variance du nuage de ses réponses dans le plan principal. Sont ensuite comparées les variances moyennes de chaque PCS et sexe. Si l’on s’en tient à la comparaison deux à deux des modalités de ces variables, les écarts les plus marqués paraissent descriptivement modérés, mais statistiquement significatifs. Dans le premier cas, l’effet peut être considéré comme « fort » (le d de Cohen est égal à 0,673), tandis que dans le second, il est faible (d = 0,274). Pour les modalités cadres et ouvriers, t = 5,87 %, ddl = 303 et p < 0,001. En ce qui concerne le sexe, t = 3,83 %, dll = 783 et p < 0,001.
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[69]
Jean-Pierre Terrail, « Réussite scolaire : la mobilisation des filles », Sociétés contemporaines, 11-12, 1992, p. 53-89 ; Christian Baudelot et Roger Establet, Allez les filles !, Paris, Seuil, 1992.
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[70]
Thierry Blöss, « Devoirs maternels. Reproduction sociale et politique des inégalités sexuées », Actes de la recherche en sciences sociales, 214, 2016, p. 46-65 ; Bertrand Geay et Pierig Humeau, « Devenir parents. Les appropriations différenciées de l’impératif de procréation », Actes de la recherche en sciences sociales, 214, 2016, p. 4-29 ; Pierre Gilbert, « Classes, genre et styles de vie dans l’espace domestique », Actes de la recherche en sciences sociales, 215, 2016, p. 4-15.
-
[71]
Joanie Cayouette-Remblière, « De l’hétérogénéité des classes populaires (et de ce que l’on peut en faire) », Sociologie, 6(4), 2015 (http://sociologie.revues.org/2652).
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[72]
P. Bourdieu, La Distinction…, op. cit.
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[73]
Yasmine Siblot, Marie Cartier, Isabelle Coutant, Olivier Masclet et Nicolas Renahy, Sociologie des classes populaires contemporaines, Paris, Armand Colin, 2015.