Couverture de ARSS_219

Article de revue

L’Union européenne, un espace social unifié ?

Pages 12 à 41

Notes

  • [1]
    Ce travail doit beaucoup aux relectures d’Étienne Penissat et de Yasmine Siblot et aux discussions avec Jérôme Deauvieau, lors de l’année universitaire 2012-2013, à l’occasion de la supervision d’un groupe de travail de l’Ensae composé de quatre étudiants (Anne-Lise Biotteau, Maël Buron, Camille Samson et Thierry Ziliotto).
  • [2]
    Robert Erikson, John Harry Goldthorpe et Lucienne Portocarero, “Intergenerational class mobility in three Western European societies : England, France and Sweden”, British Journal of Sociology, 30(4), 1979, p. 415-441.
  • [3]
    Yossi Shavit et Walter Müller (éds), From School to Work. A Comparative Study of Educational Qualifications and Occupational Destinations, chap. “The institutional embeddedness of the stratification process : a comparative study of qualifications and occupations in thirteen countries”, Oxford, Clarendon Press Oxford, 1998, p. 1-48.
  • [4]
    David Rose et Eric Harrison (dir.), Social Class in Europe. An Introduction to the European Socio-Economic Classification, chap. “A prolegomenon”, New York, Routledge, 2010, p. 3-38.
  • [5]
    Louis Chauvel, « Existe-t-il un modèle européen de structure sociale ? », Revue de l’OFCE, 71, 1999, p. 281-298.
  • [6]
    Anne-Catherine Wagner, Vers une Europe syndicale. Une enquête sur la Confédération européenne des syndicats, Vulaines-sur-Seine, Éd. du Croquant, 2005.
  • [7]
    Pierre Bourdieu, La Distinction. Critique sociale du jugement, chap. 2 : « L’espace social et ses transformations », Paris, Minuit, 1979, p. 109-188.
  • [8]
    Thomas Amossé, « La nomenclature socio-professionnelle : une histoire revisitée », Annales. Histoire, Sciences sociales, 68(4), 2013, p. 1039-1075.
  • [9]
    Pierre Bourdieu, Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, chap. 1 : « Espace social et espace symbolique », Paris, Seuil, 1994, p. 15-35 ; Pierre Bourdieu et Alain Darbel, L’Amour de l’art. Les musées d’art européens et leur public, Paris, Minuit, 1966.
  • [10]
    L. Chauvel, art. cit.
  • [11]
    Dans sa nomenclature de 2008, le BIT a déjà envisagé cette évolution en intégrant le personnel infirmier et les instituteurs dans le grand groupe des « professionals » alors que dans celle de 1988, ils figuraient en position intermédiaire dans celui des « associate professionals ».
  • [12]
    Dans la suite du texte, les pays d’Europe de l’Est désignent la Bulgarie, la République tchèque, l’Estonie, la Hongrie, la Lituanie, la Lettonie, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie. Les pays de l’Europe de l’Ouest comprennent l’Autriche, la Belgique, l’Allemagne, la France, le Luxembourg et le Royaume-Uni, ceux d’Europe du Nord : les Pays-Bas, le Danemark, la Finlande et la Suède, et ceux d’Europe du Sud : l’Espagne, la Grèce, l’Italie et le Portugal.
  • [13]
    Dans les grands pays de tradition catholique (France, Italie, Espagne, Pologne), les employés de bureau du privé et les professions intermédiaires moyennement qualifiées du public (instituteurs, infirmières, travailleurs sociaux, cadres intermédiaires de l’administration), personnel essentiellement féminin, se distinguent par un degré d’instruction supérieur mais des salaires plus faibles que leurs homologues masculins (cadres moyens du privé, techniciens et chefs d’entreprise), qui bénéficient de ressources économiques comparativement plus importantes.
  • [14]
    Richard Breen et David B. Rottman, “Is the national state the appropriate geographical unit for class analysis ?”, Sociology, 32(1), 1998, p. 1-21.
  • [15]
    Étienne Penissat et Jay Rowell, « Note de recherche sur la fabrique de la nomenclature socio-économique européenne ESeC », Actes de la recherche en sciences sociales, 191-192, 2012, p. 126-135.
  • [16]
    Cécile Brousse, “ESeC : the European union’s socio-economic classification project”, Courrier des statistiques, English series, 25, 2009, p. 27-36.
  • [17]
    John Harry Goldthorpe, “On official social classifications in France and Great Britain”, Sociétés contemporaines, 45-46, 2002, p. 187-189.
  • [18]
    En outre, si pour définir les grandes entreprises, le seuil de dix salariés (au lieu de cinq) avait été retenu, comme dans la nomenclature de 1954 utilisée par Bourdieu, les dirigeants d’entreprise se seraient probablement placés encore plus haut et plus à droite dans ce plan factoriel moyen.
  • [19]
    Dans une optique relationnelle, centrée sur un espace national, seules importent les positions relatives occupées par les membres des diverses classes ou fractions de classe, dans la mesure où ce sont elles qui déterminent largement les pratiques et les goûts distinctifs. Les distances absolues entre ces classes n’ont pas de raison d’intervenir dans l’analyse, pas plus que leur poids démographique.
  • [20]
    Deux critères sont utilisés pour mettre en évidence l’intensité des hiérarchies culturelles et économiques entre catégories socioprofessionnelles. Le premier critère est celui de la variance interprofessions au regard des deux dimensions, le second indicateur est celui de l’inégalité interprofessions mesurée au moyen de l’indice de Theil. Cette approche ne donne qu’une appréciation partielle des inégalités entre individus puisqu’elle ne prend pas en compte les inégalités interindividuelles à l’intérieur des catégories socioprofessionnelles elles-mêmes.
  • [21]
    Gøsta Esping-Andersen, The Three Worlds of Welfare Capitalism, chap. 3 : “The welfare state as a system of stratification”, Cambridge, Polity Press, 1990, p. 55-78 ; Joakim Palme, “Welfare states and inequality : institutional designs and distributive outcome”, Research in Social Stratification and Mobility, 24(4), 2006, p. 387-403 ; Gunn Elisabeth Birkelund, “Welfare states and social inequality : key issues in contemporary cross-national research on social stratification and mobility”, Research in Social Stratification and Mobility, 24(4), 2006, p. 333-351.
  • [22]
    On ne peut rendre compte de l’intensité des inégalités économiques selon les pays sans évoquer l’homogamie de catégorie sociale. Plus celle-ci est forte dans un pays, plus les différences de revenus entre les groupes sociaux sont marquées, sans exclure une causalité inverse, de moindres écarts de richesse facilitant l’hétérogamie. Ainsi les niveaux élevés d’homogamie parmi les couples de biactifs dans les pays de l’Est de l’Europe (61 %) et dans une moindre mesure dans ceux du Sud (58 %) contribuent à creuser les inégalités économiques entre les classes. À l’inverse, un niveau d’homogamie plus faible dans les pays de l’Ouest de l’Europe (50 %) réduit les inégalités interclasses (calculs de l’auteur).
  • [23]
    Georges Psacharopoulos et Ana Maria Arriagada, “The educational composition of the labor force : an international comparison”, International Labour Review, 125(5), 1986, p. 561-574.
  • [24]
    Y. Shavit et W. Müller (éds), op. cit.
  • [25]
    Voir également, Cécile Brousse et François Gleizes, « Les transformations du paysage social européen de 2000 à 2009 », INSEE Références Emploi et salaires, Paris, 2011, p. 85-98.
  • [26]
    Clarisse Didelon, Yann Richard et Gilles Van Hamme, Le Territoire européen, Paris, PUF, 2011.
  • [27]
    Claude Grasland et Gilles Van Hamme, « La relocalisation des activités industrielles : une approche centre-périphérie des dynamiques mondiale et européenne », L’espace géographique, 39(1), 2010, p. 1-19.
  • [28]
    Raffaela Giordano, Manuel Domenico Depalo, Bruno Eugène Coutinho Pereira, Evangelia Papapetrou, Javier J. Perez, Lukas Reiss et Mojca Roter, “The public sector pay gap in a selection of euro area countries”, Working Paper Series, European Central Bank, 1406, 2011.
  • [29]
    Afin d’éviter une possible confusion avec la notion de classe (définie précédemment comme un ensemble de professions), on utilise dans la suite du texte les termes « groupe » et « sous-groupe » pour désigner les postes des deux typologies des pays-professions en trois et six niveaux [encadré, p. 18].
  • [30]
    Anthony B. Atkinson et Andrea Brandolini, “On the identification of the’middle class‘”, Working Paper Series, ECINEQ, 217, 2011.
  • [31]
    Anne-Catherine Wagner, « Les classes dominantes à l’épreuve de la mondialisation », Actes de la recherche en sciences sociales, 190, 2011, p. 4-9 ; Anne-Catherine Wagner, Les Classes sociales dans la mondialisation, Paris, La Découverte, 2007.
  • [32]
    Avec plus de 10 % de citoyens en âge de travailler résidant dans un autre État européen, la Roumanie, le Portugal et la Lituanie ont les plus hauts taux d’expatriation, suivis de la Lettonie, la Bulgarie et l’Irlande. Voir Supplement to the EU Employment and Social Situation, “Recent trends in the geographical mobility of workers in the EU”, Quarterly Review, 2014.

HARMONISATION EUROPÉENNE et mise en commensurabilité

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HARMONISATION EUROPÉENNE et mise en commensurabilité

© Eurostat.

1La sociologie a développé une tradition de comparaison internationale des inégalités sociales, par exemple en matière de mobilité sociale [2] ou de réussite scolaire [3], même si ces travaux restent peu nombreux et le plus souvent limités à quelques pays [4]. Les auteurs de ces recherches ont ainsi construit des outils de comparaison des positions sociales d’après les professions, notamment à partir de la nomenclature EGP (Erikson-Goldthorpe-Portocarero) inspirée du schéma de classe de Goldthorpe, qui permettent de questionner l’existence d’une hiérarchisation des groupes professionnels qui se structurerait de façon similaire d’un pays à l’autre en Europe [5]. Ces travaux ne se projettent pratiquement jamais à l’échelle européenne. Rarement ils se demandent si l’Europe dans son ensemble pourrait être décrite comme un espace social. Certes, la construction des groupes sociaux voire des classes en Europe s’est largement opérée dans le cadre de l’histoire sociale et politique des États-nations, ce qu’illustre d’ailleurs la faiblesse du droit du travail européen ou celle de la représentation syndicale européenne [6]. Pourtant, l’espace européen est désormais doté d’institutions politiques et administratives relativement autonomes, de symboles, d’une monnaie et de politiques publiques qui participent d’une unification de son territoire, que l’on songe à l’harmonisation des diplômes d’enseignement supérieur ou plus encore aux contraintes budgétaires imposées à tous les États. Aborder cet espace territorial comme un espace social en soi n’est donc pas a priori dénué de pertinence et constituera ici une question de recherche.

2Pour opérer cette description d’un hypothétique espace social européen, on mobilisera les outils méthodologiques (l’analyse géométrique des données), classificatoires (une nomenclature proche des PCS) et conceptuels (capitaux économiques et culturels), utilisés par Pierre Bourdieu pour modéliser l’espace social français [7]. Son analyse structurelle de la distribution des capitaux économiques et culturels dans la société française a largement inspiré la refonte de la nomenclature des Professions et catégories socioprofessionnelles (PCS), par l’Insee au début des années 1980, et s’est révélée pertinente pour décrire un grand nombre de phénomènes sociaux, au-delà de ceux étudiés par Bourdieu [8]. Néanmoins, principalement intéressé par l’homologie entre l’espace des goûts, des pratiques sociales et culturelles et des croyances et celui des positions sociales, Bourdieu a finalement accordé peu d’attention à la structure socioprofessionnelle en elle-même : quelques tableaux statistiques sur la distribution des diplômes, du patrimoine économique et culturel par groupes professionnels accompagnent ses premiers travaux pour valider l’hypothèse du caractère multidimensionnel et ternaire de l’espace social, hypothèse jugée acquise dans les travaux ultérieurs. Cette classification, dont le deuxième niveau d’agrégation, celui des catégories « socioprofessionnelles », permettait de reconstruire aisément le système de classes et de fractions de classe, a dispensé les successeurs de Bourdieu de devoir repréciser les propriétés de cet espace, à chaque nouvelle étude. Plus de 30 ans plus tard, et dans une optique européenne, on ne peut pas considérer la hiérarchie des groupes socioprofessionnels comme acquise et identique d’un pays à un autre. D’ailleurs, Bourdieu lui-même ne nous invitait-il pas à mettre en rapport les propriétés de l’espace social avec celles des institutions étatiques [9] ?

3Sans défendre en tous points la classification établie par l’Insee, qui comporte de nombreuses insuffisances, et mériterait sans aucun doute une mise à jour, cet article démontrera qu’elle offre toujours, grâce à son deuxième niveau d’agrégation, des catégories d’analyse pertinentes et transposables aux autres pays européens. L’objectif de l’article consiste alors à décrire la façon dont les capitaux économiques et culturels se distribuent entre les différents groupes socioprofessionnels aux échelles nationale et européenne, et quelles structures de classe se dessinent à ces deux échelles, en montrant comment la position sociale d’un individu ou d’un groupe varie selon que l’on raisonne au plan national ou européen. Une des ambitions de cet article est donc de proposer une série d’étapes et de méthodes pour construire statistiquement un espace d’équivalence européen et décrire les classes sociales à cette échelle [voir encadré « Source statistique et concepts », p. 16-17].

Source statistique et concepts

L’enquête EU-SILC 2010
L’enquête SILC (European Union-Community Statistics on Income and Living Conditions) porte sur les revenus et les conditions de vie, dans les États-membres de l’Union européenne et au-delà. Mise en œuvre pour la première fois en 2004, elle permet de comparer la distribution des revenus dans les différents pays européens ainsi que les taux de pauvreté matérielle et monétaire. Coordonnée par Eurostat, elle est réalisée par les instituts nationaux de statistique sur la base de données administratives, dans certains pays, et d’informations recueillies par questionnaires dans les autres. Reconduite chaque année auprès d’un panel de 300 000 individus (soit 150 000 ménages) renouvelée tous les quatre ans, elle autorise des analyses transversales et longitudinales.
L’étude présentée ici s’appuie sur le volet transversal de l’enquête SILC 2010 [1]. L’entrée dans les professions les plus qualifiées s’effectuant autour de 25 ans, l’analyse porte sur les individus âgés de 25 ans ou plus. L’enquête SILC 2010 ne fournissant que des informations limitées sur la dernière profession exercée, il a fallu exclure du champ de l’étude les chômeurs et les retraités faute d’avoir pu leur attribuer un groupe socioprofessionnel. Ce choix n’est pas sans conséquence : les inégalités économiques entre groupes professionnels s’en trouvent réduites, puisque les chômeurs, plus nombreux parmi les ouvriers et les employés et dotés de revenus plus faibles, sont malheureusement absents de l’analyse.
Une nomenclature des catégories socioprofessionnelles en 24 postes
La classification socioprofessionnelle construite pour les besoins de cette étude [voir annexe 2, p. 38-39] reprend les éléments les plus significatifs de la nomenclature des PCS [2], comme le clivage entre les indépendants et les salariés, également présent dans de nombreuses classifications (EGP, ESeC, ESeG, etc.), la distinction entre les chefs d’entreprise selon le nombre de leurs salariés, l’opposition entre les professions du public et du privé, entre les ouvriers selon leur niveau de qualification. La catégorie des chefs d’équipe, limitée dans la PCS au domaine de l’industrie et de la construction (les contremaîtres), est élargie ici à l’encadrement intermédiaire dans les métiers du tertiaire. Si dans de nombreuses classifications, y compris celle des PCS, le seuil pour définir les grandes entreprises est fixé à dix salariés, il est de cinq employés dans la nomenclature utilisée ici car les entreprises de petite taille sont largement majoritaires en Europe. Cette décision est aussi motivée par le faible nombre de chefs d’entreprise dans les échantillons de l’enquête SILC.
Les catégories socioprofessionnelles sont définies au moyen de cinq variables disponibles dans l’enquête SILC 2010, qui caractérisent la situation professionnelle des personnes occupant un emploi au moment de l’enquête : la profession selon ISCO-88 [3], codée sur deux positions ; le statut (indépendant/salarié) ; la taille de l’établissement, comme proxy du nombre de salariés pour les employeurs ; l’activité de l’entreprise selon la NACE rév. 2 [4] agrégée ; la position d’encadrement.
Pour désigner les « catégories socioprofessionnelles », on emploiera indifféremment les termes « professions », « catégories sociales » ou « groupes professionnels ».
Il eut été préférable de distinguer un groupe de métiers qualifiés de la culture, à la manière de Bourdieu dans La Distinction, mais, au deuxième niveau de la classification internationale des professions, ces professions demeurent confondues avec les juristes, les religieux, les économistes et les sociologues. En outre, alors que le clivage public/privé reste prononcé dans un certain nombre de pays européens [5], il n’a pas été possible de créer des catégories de professions spécifiques à la fonction publique, puisque, dans les enquêtes réalisées par Eurostat, il n’est jamais demandé aux enquêtés s’ils sont employés par un établissement public ou privé. Faute de mieux, trois catégories de salariés « des services d’intérêt général » ont été constituées, en retenant ceux dont l’employeur appartient aux secteurs de l’administration publique, de la santé, de l’action sociale et de l’éducation, reprenant la définition mobilisée dans un travail antérieur sur l’évolution des métiers en Europe [6].
La quantification des capitaux
Dans cette étude, les capitaux économique et culturel d’un individu ou d’un groupe socioprofessionnel sont estimés au moyen de deux variables continues, le revenu annuel d’une part et le nombre d’années d’études d’autre part.
Le capital économique d’une personne est donné par le revenu annuel total disponible du ménage auquel elle appartient, par unité de consommation (échelle de l’OCDE). Le revenu est exprimé en parité de pouvoir d’achat (PPA), ce qui permet d’éliminer les différences de prix à la consommation entre les pays. Cette variable est nette de cotisations et d’impôts et comprend tous les revenus d’activité c’est-à-dire les salaires et les bénéfices professionnels (pour les indépendants), les revenus fonciers, les revenus de capitaux mobiliers, les transferts entre ménages, l’ensemble des indemnités et des prestations sociales, les bourses d’études et les avantages en nature [7]. Cet indicateur est une mesure imparfaite du capital économique puisqu’il n’intègre pas le stock de patrimoine [8]. Il en résulte une sous-estimation importante du capital économique des indépendants et des Européens des pays du Sud, plus fréquemment propriétaires de leur logement. En outre, la comparabilité de la variable indiquant le revenu est loin d’être parfaite [9]. Ainsi, les revenus, en particulier ceux des travailleurs non-salariés, sont sous-estimés dans les pays où ils sont recueillis directement auprès des enquêtés et non pas extraits des déclarations fiscales. Par ailleurs, le traitement des valeurs extrêmes varie selon les pays.
Le capital culturel est apprécié par la durée de la scolarité, exprimée en nombre d’années d’études. Il s’obtient en calculant l’âge au plus haut niveau d’études atteint, auquel on soustrait les six années, correspondant en moyenne à l’âge au début du premier cycle d’enseignement. La durée des études est un meilleur proxy du niveau scolaire que le niveau de diplôme car dans l’édition 2010 de l’enquête SILC, tous les diplômes de l’enseignement supérieur sont regroupés dans la même modalité. De façon plus générale, la durée des études garantit une meilleure comparabilité entre les pays que le niveau de diplôme, l’harmonisation de la nomenclature internationale des niveaux d’études – ISCED 1997 – étant encore très imparfaite [10]. Diverses imputations, non détaillées ici, ont été réalisées pour traiter les cas de reprise d’études, qui induisent mécaniquement des durées de scolarité élevées, notamment en Allemagne et dans les pays nordiques. Résumer le capital culturel au nombre d’années d’études est évidemment réducteur. Cette approche met sur le même plan, à durée d’études équivalente, des établissements ou des diplômes qui ne se valent pas. En outre, on considère que toutes les années d’études ont la même valeur, qu’elles comportent ou non des périodes d’apprentissage et quel que soit le cycle dans lequel elles se déroulent. Enfin, notre analyse se limite au capital scolaire sans prendre en considération ni le capital culturel incorporé, transmis dans le cadre familial, ni le capital culturel objectivé. Enfin, il aurait fallu tenir compte de la trajectoire du capital, impossible à décrire au moyen de l’enquête SILC [11].

4Dans la première partie, nous nous demanderons si les espaces nationaux européens se structurent aujourd’hui selon un schéma de classe ternaire similaire à celui mis en évidence par Bourdieu dans la France des années 1970. Ceci impliquera de situer, dans chacun des États européens, les professions les unes par rapport aux autres, du point de vue des revenus et du niveau d’études des personnes qui les exercent, considérés comme des approximations du capital économique et culturel. En suivant cette démarche, nous serons amenés à faire ressortir les points communs entre les espaces nationaux, mais aussi leurs singularités, pour évaluer la proximité des espaces sociaux nationaux en Europe.

5Toutefois, il s’agit de ne pas se cantonner à cette comparaison des structures sociales nationales mais d’envisager l’Europe comme un espace social relativement unifié ou du moins d’en tester l’unification relative. Nous nous demanderons alors dans quelle mesure il est possible de mener l’analyse de la distribution des capitaux non plus dans chacun des différents espaces nationaux mais à l’échelle européenne. À partir d’une méthodologie originale, on montrera comment articuler appartenance de classe et appartenance nationale, et situer ainsi les individus dans un espace social européen.

Les relations entre classes dans les États-nations européens : variations méthodologiques autour d’un modèle commun d’espace social

6Les travaux de Chauvel [10] ont déjà posé la question des convergences ou non des structures sociales en Europe, principalement en mesurant les écarts relatifs entre groupes sociaux sur le plan des revenus et des niveaux de formation. On peut alors conclure à des hiérarchies sociales similaires en Europe et dessiner les contours d’un « modèle commun d’espace social ». Que compare-t-on et peut-on faire l’économie des écarts absolus entre classes alors même que le poids démographique des différents groupes sociaux est très variable ? De ce point de vue, l’objectivation des distances absolues entre groupes sociaux révèle une opposition entre des pays particulièrement inégalitaires, au Sud et au Sud-Est de l’Europe et d’autres plus égalitaires au Nord et au Nord-Ouest de l’Europe. Quant à l’examen du poids relatif des groupes sociaux dans chaque pays, il fait ressortir un clivage entre deux zones de l’Europe : le Nord et l’Ouest de l’Europe où les classes dominantes sont bien plus importantes qu’ailleurs, le Sud et l’Est où c’est l’étendue des classes populaires qui se distingue du reste de l’Europe.

Distances relatives entre catégories sociales dans les différents pays de l’Union : des configurations similaires

7Les espaces sociaux des différents pays européens sont-ils configurés de manière différente ou, pour reprendre le questionnement de Chauvel, existe-t-il un modèle européen de structure sociale ? L’analyse de la distribution de capitaux économiques et culturels selon une nomenclature fine des professions montre que les rapports entre classes sont relativement semblables dans les différents pays de l’Union européenne. En revanche, les différenciations internes aux classes, selon la structure des capitaux, sont bien plus diverses, faisant entrer en ligne de compte le poids et le degré d’intervention des États dans les sociétés européennes. On repère notamment la position singulière des pays scandinaves et de la France où le poids de l’État et du système scolaire participe bien plus qu’ailleurs à une opposition des positions sociales selon la structure relative des capitaux culturels et économiques. De plus, la diversité horizontale des distinctions sociales n’empêche pas que, si les classes dominantes peuvent se cliver selon une logique de différenciation entre capital culturel et capital économique, les classes populaires sont plus souvent fragmentées selon le volume de capitaux.

8Selon les résultats de nos exploitations statistiques [voir encadré « Cartographier les espaces sociaux nationaux et européens », p. 18], à l’échelle nationale, les hiérarchies professionnelles se structurent de façon relativement équivalente partout en Europe : les catégories socioprofessionnelles s’ordonnent sur un premier axe qui, pour reprendre la terminologie de Bourdieu, figure le volume total de capital et qui, dans 19 pays, représente plus de 90 % de l’inertie totale [voir tableau 2, p. 20]. La forte inertie captée par ce premier axe signifie simplement que, dans la plupart des pays, la corrélation entre revenu et durée des études est très élevée. Mis à part au Royaume-Uni, dans les pays baltes, où la structure sociale est binaire, et en Roumanie où elle repose sur quatre classes, les professions se répartissent, dans la quasi-totalité des pays, en trois classes selon le volume total de capital dont disposent leurs membres [voir tableau 2, p. 20] : en haut de la hiérarchie sociale, les professions de l’encadrement supérieur et de l’expertise, « la classe dominante » ; au milieu de la distribution les classes moyennes ou « petite bourgeoisie », à savoir les cadres moyens, instituteurs, employés de bureau du secteur privé, chefs d’entreprise, et enfin dans le bas de la hiérarchie sociale, les « classes populaires » comprenant les agriculteurs, les ouvriers et les chefs d’équipe, les artisans, les moins qualifiés des employés. Dans ces configurations nationales, les groupes d’indépendants sont relativement distants les uns des autres. Ainsi, dans la majorité des pays, les agriculteurs et les artisans sont proches des ouvriers tandis que les commerçants et les chefs d’entreprise sont dans la moitié supérieure de l’espace social. Les employés ne forment pas non plus un ensemble homogène, les employés de bureau se situant dans le milieu de la distribution tandis que les employés de commerce et les personnels de ménage se positionnent dans la partie la moins élevée.

Cartographier les espaces sociaux nationaux et européens

L’étude consiste à cartographier les différents espaces sociaux, nationaux puis européens, après avoir évalué les distances économiques et culturelles entre catégories socioprofessionnelles, sur la base des résultats de l’analyse géométrique des données. Quatre analyses sont conduites tour à tour sur des territoires, des entités politiques différentes (nationales puis européennes) mais toujours selon la même approche en deux étapes : une analyse en composantes principales (ACP) suivie d’une classification ascendante hiérarchique (CAH). Les unités observées sont les catégories socioprofessionnelles (les CS croisées avec les pays dans la quatrième approche), et les caractères étudiés pour chacune de ces 24 catégories sociales : le revenu et le nombre d’années d’études moyen [1] des individus qui les composent [2] (ces deux variables ayant été préalablement centrées et réduites).
Analyse en composantes principales (ACP)
De manière générale, l’analyse en composantes principales (ACP) vise à transformer des variables corrélées entre elles en nouvelles variables dé-corrélées les unes des autres. Ces nouvelles variables, appelées « composantes principales », ou axes principaux expliquent le mieux possible la variabilité des données. Dans le cas bivarié où nous nous situons, l’ACP consiste simplement à construire deux variables : la première indique le volume de capital (revenu et durée de la scolarité) détenu par les membres des différents groupes sociaux et la seconde, orthogonale à la première, représente la composition de ce capital (i.e. la part des ressources économiques dans la richesse globale). Pour procéder à la comparaison des espaces sociaux, on utilise le critère de la part d’inertie expliquée par l’axe 1, qui représente aussi le degré de corrélation linéaire entre les deux types de capitaux. Plus cet indicateur est faible, plus l’espace social présente un caractère bidimensionnel.
Classification ascendante hiérarchique (CAH)
Pour comparer le positionnement des professions les unes par rapport aux autres, on construit en outre, au moyen de classifications ascendantes hiérarchiques (CAH), des partitions de ces espaces de manière à ce que les professions regroupées au sein d’une même classe (homogénéité intra-classe) soient les plus semblables possibles, en termes de revenu et de niveau scolaire et que les classes soient au contraire les plus dissemblables (hétérogénéité inter-classe). Le critère d’agrégation retenu pour les CAH est celui de Ward, qui minimise la perte d’homogénéité intra-classe à chaque étape. Concrètement, le choix du « bon » nombre de classes est effectué à partir de l’arbre issu de la classification (à partir du critère du saut d’inertie inter-classes) [voir tableau 2, p. 20]. Comme le nombre optimal de classes varie selon les configurations nationales ou est difficile à déterminer pour quelques pays, il a été décidé, pour faciliter les comparaisons, de réaliser des typologies emboîtées en trois et six groupes (aussi appelées dans le texte « classes » et « fractions de classes »). La qualité de ces classifications est mesurée par le rapport inertie inter-classe sur inertie totale.
Tableau 1

Méthodes utilisées pour cartographier les quatre types d’espaces sociaux : ACP et CAH*,**

Tableau 1
Espaces nationaux Modèle européen d’espace national ou « espace national moyen » Espace européen Espace européen Champ géographique (entités politiques de référence) Les 24 pays européens considérés indépendamment les uns des autres Un État européen « virtuel » représentatif des 24 pays L’Union européenne comme regroupement des 24 pays L’Union européenne comme regroupement des 24 pays Unités observées 24 catégories socioprofessionnelles 24 catégories socioprofessionnelles 24 catégories socioprofessionnelles 576 catégories socioprofessionnelles*pays (24*24) Caractères analysés Pour chaque CS*, revenu annuel moyen et durée des études moyenne Pour chaque CS, moyenne, pondérée par le poids démographique de chaque pays, des 24 revenus annuels moyens nationaux normalisés** et moyenne, pondérée par le poids démographique de chaque pays, des 24 durées d’études nationales moyennes normalisées Pour chaque CS, revenu annuel moyen et durée des études moyenne Pour chaque couple [CS*pays], revenu annuel moyen et durée des études moyenne Pondérations Dans chaque pays, part de la CS dans la population en emploi Part de la CS dans la population en emploi Part de la CS dans la population en emploi Part du couple [CS*pays], dans la population en emploi ACP : part d’inertie expliquée par le 1er axe 79< % inertie <99 % inertie = 96 % inertie = 96 % inertie = 57 CAH : nombre de postes Trois classes et six fractions de classes Trois classes et six fractions de classes Trois classes et six fractions de classes Trois groupes et six sous-groupes

Méthodes utilisées pour cartographier les quatre types d’espaces sociaux : ACP et CAH*,**

* CS : catégorie socioprofessionnelle.
** Pour un pays donné, les revenus (et les durées des études) de chacune des 24 catégories socioprofessionnelles sont normalisés c’est-à-dire centrés et réduits. Centrer une variable consiste à retrancher à chaque donnée la moyenne. Cette transformation représente simplement un changement d’origine, en plaçant la moyenne de la distribution au point 0 de l’axe des abscisses. Réduire une variable revient à diviser toutes ses valeurs par son écart-type. Dans tous les pays, les revenus (et les durées des études) ainsi standardisés ont une même moyenne (égale à zéro) et la même dispersion (soit un écart-type de 1).
Tableau 2

Caractéristiques des espaces nationaux mises en évidence par les ACP et CAH

Tableau 2
LT PL CZ EE LV SK RO BG HU SI PT ES IT GR FR AT BE DE UK NL DK SE FI LU UE Part d’inertie expliquée par le 1er axe de l’ACP (en %) 97 97 95 93 96 90 99 97 96 97 98 97 94 94 90 94 92 94 92 93 85 79 88 97 96 Nombre optimal de groupes issus de la classification (critère du « coude ») 2 3 3 2 2 3 4 3 3 3 3 3 3 3 à 5 3 à 4 3 3 3 2 3 3 à 5 2 à 5 3 3 3 Classification en 3 groupes : part de l’inertie inter-classes dans l’inertie totale (en %) 93 90 90 90 91 84 86 88 90 92 92 89 85 83 80 87 85 86 83 87 75 74 84 91 90 Classification en 2 groupes : part de l’inertie inter-classes dans l’inertie totale (en %) 84 73 66 83 80 67 64 70 70 72 75 67 61 68 63 62 71 64 75 68 61 61 69 70 70

Caractéristiques des espaces nationaux mises en évidence par les ACP et CAH

Note : La signification des sigles des pays est donnée dans l’annexe 1.
Champ : EU-24, population en emploi, âgée de 25 ans ou plus.
Source : SILC 2010, Eurostat.

9Nos typologies confirment la grande proximité des configurations nationales. À trois exceptions près, tous les pays partagent la même frontière entre la classe dominante et les classes moyennes. L’unité du groupe formé des cadres, des professeurs, des ingénieurs et des membres des professions libérales est bien un trait commun à l’ensemble des pays européens. Dans quelques cas et selon une logique régionale, les cadres intermédiaires des services d’intérêt général et les instituteurs se rattachent à la classe supérieure probablement, du fait d’un mouvement d’accroissement de la qualification de ces personnels, sans doute amené à se généraliser à d’autres pays [11]. Ainsi en France, au Royaume-Uni, au Danemark et en Suède, les professions intermédiaires de la santé se situent dans la classe dominante.

10La seconde frontière, celle qui sépare les classes moyennes des classes populaires, connaît davantage de variations, d’un État à un autre [voir tableau 3, p. 21]. Il y a d’abord une raison morphologique, relevée depuis longtemps par les sociologues : la limite entre les classes moyennes et populaires est proche du centre de la distribution, dans une région de l’espace social de forte densité, c’est-à-dire de grande proximité entre professions. La construction d’une ligne de démarcation dans cette partie de l’espace social est donc particulièrement délicate, sensible notamment aux règles et à la qualité du recueil de l’information sur les revenus, l’âge de fin d’études et la profession, ce qui explique qu’elle soit soumise à des variations nationales. Néanmoins, on distingue bien, dans chacune des deux classes – moyenne et populaire – deux larges noyaux durs de professions communs à la très grande majorité des pays. Ainsi les professions intermédiaires administratives et commerciales, les infirmiers, les travailleurs sociaux, les instituteurs et les techniciens appartiennent à la classe intermédiaire dans plus des trois quarts des États tandis que les employés de commerce, les personnels des services directs aux particuliers, les ouvriers et les agriculteurs font partie de la classe dominée dans la quasi-totalité des États. Les professions « limites », celles dont la position varie autour de cette frontière ont chacune une proximité plus marquée avec l’une ou l’autre de ces deux classes. C’est ainsi que les employés de bureau du privé et les commerçants sont plus fréquemment associés au pôle des classes moyennes. À l’inverse, les artisans, les chefs d’équipe et les employés de bureau du public sont plus souvent placés avec les classes populaires.

Tableau 3

Classifications nationales des catégories socioprofessionnelles en trois groupes issues des CAH

Tableau 3

Classifications nationales des catégories socioprofessionnelles en trois groupes issues des CAH

Notes : La signification des sigles des pays est donnée dans l’annexe 1. Dans la colonne UE, les trois classes sont définies au sens du modèle européen d’espace national [voir p. 14 sq.].
Champ : EU-24, population en emploi, âgée de 25 ans ou plus.
Source : SILC 2010, Eurostat.

11Les chefs d’entreprise occupent une place atypique puisqu’ils se rattachent à des classes différentes selon les pays. Ainsi dans les États d’Europe du Nord et de l’Ouest [12], où la petite entreprise a quasiment disparu et où ils perçoivent des profits élevés, les dirigeants d’entreprise se situent dans la classe dominante. Ailleurs, ils se positionnent dans la classe moyenne voire même dans la classe populaire (en Slovaquie, au Portugal, en Espagne et au Royaume-Uni). Ces écarts s’expliquent en partie par le manque d’harmonisation dans la définition des statuts d’emploi (avec dans certains pays la présence de dirigeants salariés), dans le recueil des revenus des indépendants et par la petite taille des échantillons les concernant.

12Au-delà de cette structure en trois classes, commune à nombre d’États européens, des particularités nationales ou régionales se dessinent. Comme le notait déjà Chauvel, le degré de corrélation entre revenus et niveaux d’études varie selon les pays. La part d’inertie expliquée par l’axe indiquant le volume de capital (premier axe) s’étend en effet de 79 % en Suède à 99 % en Roumanie. De nombreux États d’Europe du Sud et de l’Est se caractérisent par une relation quasi linéaire entre les deux formes de capitaux, l’axe de composition du capital (le deuxième axe) portant moins de 6 % de l’inertie totale. Tandis qu’en France et dans les pays scandinaves, pays où historiquement l’investissement de l’État dans l’éducation a été important, les hiérarchies économique et culturelle sont nettement disjointes. L’autonomie relative du capital culturel par rapport au capital économique et la bidimensionnalité que cela impliquait pour l’espace social, marqueur très important de l’espace social français décrit par Bourdieu, est donc très affirmé dans certains pays mais beaucoup moins dans d’autres.

13Dans les pays où le caractère multidimensionnel de l’espace social est le plus affirmé, les typologies en six postes font apparaître des fractions de classes davantage dotées en capital économique et d’autres en capital culturel. Les différences dans la structure du capital sont d’autant plus marquées qu’on s’élève dans la hiérarchie sociale. La classe dominante est la plus clivée des trois classes. Dans 15 pays, qui appartiennent tous à l’Europe de l’Ouest ou du Nord, Royaume-Uni compris, la classe dominante se subdivise clairement le long de ce deuxième axe factoriel entre un pôle intellectuel et un pôle patronal [voir graphique 1, exemple de l’Allemagne, p. 24]. Les professeurs, suivis des cadres des services d’intérêt général et des ingénieurs sont fortement dotés en ressources scolaires et plus faiblement en ressources économiques (partie gauche du plan factoriel), tandis que les cadres d’entreprise et les membres de professions libérales sont dans la situation opposée (partie droite). Dans les pays où ils appartiennent à la classe dominante, les dirigeants d’entreprise sont toujours situés dans la partie la plus extrême du monde des affaires. Il arrive que les professions libérales disposent d’un niveau de capital suffisamment élevé sous ses deux formes pour constituer une fraction de classe à part entière (Italie, Royaume-Uni).

Graphique 1

Espace social allemand

Graphique 1

Espace social allemand

Notes : Le graphique représente le plan factoriel de l’ACP dont les observations sont les catégories socioprofessionnelles et les variables la moyenne des revenus et des durées d’études. OQ : ouvriers qualifiés ; ONQ : ouvriers non qualifiés ; PI : professions intermédiaires.
Champ : EU-24, population en emploi, âgée de 25 ans ou plus.
Source : SILC 2010, Eurostat.

14Cette opposition entre pôles culturel et économique concerne aussi les classes moyennes, mais dans un nombre de pays nettement plus limité. Ainsi, dans sept États européens, les agents moyennement qualifiés du secteur public (instituteurs, infirmières, travailleurs sociaux, cadres intermédiaires de l’administration) et les employés de bureau du privé se distinguent par un degré d’instruction relativement élevé tandis que les cadres moyens du privé, les techniciens et les chefs d’entreprise bénéficient de ressources économiques comparativement plus importantes. Mais dans neuf autres pays, les classes moyennes ne se différencient pas d’après la structure du capital détenu mais selon son volume. Les classes moyennes s’organisent donc selon des logiques nationales assez diverses, allant d’une différenciation des professions intermédiaires selon la composition du capital [13] à leur hiérarchisation d’après son volume, ce qui n’est pas surprenant étant donné le rôle de l’État [14] dans la stratification de ces métiers, en tant qu’employeur et régulateur.

15Les différenciations internes selon la composition du capital sont nettement plus rares parmi les classes populaires puisqu’elles ne concernent que cinq pays seulement. Dans deux d’entre eux (Danemark et Pays-Bas), ce sont les agriculteurs qui forment une fraction de classe à part entière, caractérisée par un niveau d’études relativement élevé par rapport aux membres des autres catégories sociales mais des revenus plus faibles. Par contre dans la moitié des pays de l’Est et du Sud, les classes populaires se divisent en deux groupes de professions non pas horizontalement, mais verticalement, selon le volume de capital : un premier ensemble de métiers caractérisés par un revenu et un niveau d’études relativement élevés (souvent les artisans, les chefs d’équipe, les ouvriers qualifiés) et un second groupe qui rassemble des professions moins qualifiées, dotées de ressources économiques et scolaires plus limitées (fréquemment les agriculteurs, les ouvriers agricoles et les ouvriers non-qualifiés de l’industrie ou de l’artisanat, les personnels des services aux particuliers) [voir graphique 2, exemple de la Pologne, p. 24]. Enfin, au Luxembourg, où la classe dominante est suffisamment aisée pour s’entourer d’une importante domesticité, les personnels des services aux particuliers, des femmes de ménage et des assistantes maternelles essentiellement, constituent une fraction de classe à part entière, située tout en bas de la hiérarchie sociale.

Graphique 2

Espace social polonais

Graphique 2

Espace social polonais

Notes : Le graphique représente le plan factoriel de l’ACP dont les observations sont les catégories socioprofessionnelles et les variables la moyenne des revenus et des durées d’études. OQ : ouvriers qualifiés ; ONQ : ouvriers non qualifiés ; PI : professions intermédiaires.
Champ : EU-24, population en emploi, âgée de 25 ans ou plus.
Source : SILC 2010, Eurostat.

16Deux grands pays, la Roumanie et le Royaume-Uni, se distinguent par une structure sociale relativement éloignée de celle en trois classes que nous venons de décrire car la position des professions le long de l’axe représentant le volume de capital y est différente de celle observée dans les autres pays. Ainsi la Roumanie compte une classe exclusivement composée d’agriculteurs, en raison de leur faible niveau de ressources mais aussi de leur poids démographique puisqu’ils représentent 21 % de la population en emploi, contre à peine plus de 3 % dans l’Union européenne. Au Royaume-Uni, les classes populaires englobent davantage de professions que dans les autres pays européens et la classe moyenne, très réduite y est particulièrement proche de la classe dominante par ses revenus et son niveau d’éducation. En réalité une typologie en deux classes conviendrait mieux à ce pays. Cette configuration très particulière de la Grande-Bretagne, qui allie un clivage fort entre les parties haute et basse de l’espace social, est intéressante à noter puisqu’elle n’est pas sans rappeler le schéma de classes de Goldthorpe, et le prototype ESeC conçu pour l’Union européenne [15], qui dans leur déclinaison simplifiée, opposent aux autres salariés la « service class », souvent traduit par « le salariat de confiance », composé de cadres supérieurs et moyens (à l’exception des chefs d’équipe et des techniciens de niveau inférieur) [16]. Preuve, s’il en est, que ce schéma valide sans aucun doute dans le cas britannique paraît moins pertinent quand il est appliqué aux autres pays alors qu’il est présenté comme universel [17].

17Malgré ces deux exceptions, la proximité entre les espaces nationaux nous autorise à concevoir ce que nous appellerons par la suite « le modèle européen d’espace national ». En effet, il est possible de mettre en évidence une configuration nationale « moyenne » [voir encadré, p. 18], c’est-à-dire un plan factoriel qui ressemble le plus aux différents plans factoriels nationaux [voir graphique 3, p. 25]. En raison du poids démographique des pays où le caractère bidimensionnel de l’espace social est le plus manifeste (France, Royaume-Uni et Allemagne), ce modèle européen d’espace national possède lui aussi cette propriété, les professions de la classe dominante se distinguant sur l’axe de composition du capital (économique versus culturel). Même si la nomenclature mobilisée dans cette étude s’écarte légèrement de celle utilisée dans La Distinction [voir encadré, p. 16-17], ce modèle européen d’espace national rappelle la structure ternaire en forme d’entonnoir mise en lumière par Bourdieu pour la France des années 1970. Seule diffère la position des indépendants ; dans ce plan factoriel moyen, ils se situent en effet plus bas et plus à gauche qu’ils ne l’étaient dans le cas français. En fait si leur patrimoine avait pu être intégré au capital économique, et si leurs revenus n’avaient pas été sous-estimés dans un certain nombre de pays [voir encadré, p. 16-17], les commerçants, les artisans, les chefs d’entreprise et les agriculteurs se seraient probablement positionnés plus haut et plus à droite dans cet espace national moyen [18].

Graphique 3

Modèle européen d’espace national

Graphique 3

Modèle européen d’espace national

Notes : Le graphique représente le plan factoriel de l’ACP dont les observations sont les catégories socioprofessionnelles et les variables la moyenne des revenus et des durées d’études normalisées des 24 pays. OQ : ouvriers qualifiés ; ONQ : ouvriers non qualifiés ; PI : professions intermédiaires.
Champ : EU-24, population en emploi, âgée de 25 ans ou plus.
Source : SILC 2010, Eurostat.

18Cette configuration moyenne a tous les caractères d’une abstraction (d’un idéal-type). En effet, l’opération qui consiste à établir, pour chaque profession, des moyennes de revenus et de durées de scolarité standardisés (par pays) revient, en ne considérant que les positions relatives entre classes sociales [19], à mettre de côté, ce que perçoivent le mieux les citoyens et ce qui est constitutif des inégalités : les distances absolues (économique et culturelle) entre classes et le poids que représentent ces classes dans les sociétés nationales. Comme nous allons le montrer dans la partie suivante, ce sont ces inégalités qui façonnent l’espace européen des positions sociales.

Distances absolues entre catégories sociales et poids de ces catégories par pays : des situations différenciées selon les grandes régions européennes

19Si les distances relatives entre groupes socioprofessionnels sont relativement comparables entre les nations, il en va tout autrement des distances mesurées en valeur absolue, ou dit autrement, de l’ampleur des inégalités entre ces groupes. Au Portugal, les membres des professions libérales ont un revenu 3,6 fois plus élevé que les ouvriers et les employés non qualifiés, et un âge de fin d’études pratiquement deux fois plus élevé. À l’opposé au Danemark, leur niveau de vie est seulement deux fois plus élevé et l’âge de fin d’études 1,2 fois plus élevé.

20Quatre groupes de pays se distinguent selon l’ampleur des inégalités entre professions [voir tableau 4, p. 29], suivant un classement proche de celui élaboré par Chauvel mais généralisé à l’ensemble des États européens [20]. Les pays du Sud de l’Europe, ainsi que la Roumanie et la Bulgarie, sont les plus inégalitaires tant sur le plan économique que sur celui de l’accès à l’éducation. À l’opposé, les pays du Nord de l’Europe sont les plus égalitaires selon ces dimensions (Danemark, Finlande, Pays-Bas, Suède). Les pays baltes sont particulièrement inégalitaires sur le plan économique, de même que de nombreux pays de l’Europe occidentale (France, Allemagne).

Tableau 4

Inégalités économiques et culturelles entre catégories socioprofessionnelles selon les pays

Tableau 4
HIÉRARCHIES SCOLAIRES HIÉRARCHIES ÉCONOMIQUES Faibles Fortes Faibles Finlande Suède Pays-Bas Danemark Belgique République tchèque Slovaquie Slovénie Hongrie Fortes Royaume-Uni Allemagne France Pologne Estonie Lituanie Lettonie Italie Espagne Portugal Grèce Bulgarie Luxembourg Roumanie

Inégalités économiques et culturelles entre catégories socioprofessionnelles selon les pays

Champ : EU-24, population en emploi, âgée de 25 ans ou plus.
Source : SILC 2010, Eurostat.

21Cette classification des pays selon l’intensité des inégalités de revenus est en partie éclairée par l’analyse des régimes d’État-providence élaborée par Esping-Andersen et approfondie par Palme et Birkelund [21]. Le rôle de l’État est en effet central dans l’atténuation des inégalités économiques, soit par des réglementations directes du marché du travail (salaire minimal, écart limité entre salaires minimal et maximal), soit par des politiques redistributives (fiscales, de protection sociale) [22]. Il est également crucial en matière d’inégalités de formation [23], ces dernières s’ancrant dans l’histoire des politiques éducatives et de la relation emploi-formation dans les différents États [24].

22Un second élément, qui n’a pas de raison d’intervenir dans une analyse nationale, devient essentiel lorsqu’on étudie les différences de structure sociale au sein de l’Union européenne. Il s’agit de la part que représentent les différentes catégories socioprofessionnelles [voir annexe 2, p. 38-39], classes et fractions de classe de la population en emploi dans chacun des pays. Trois groupes de pays se démarquent alors [25] : les pays du Nord et de l’Ouest, les pays de l’Est et les pays du Sud.

23Le clivage le plus important [voir graphique 4, axe 1, p. 25] oppose principalement les pays de l’Est (et dans une moindre mesure ceux du Sud de l’Europe), où la proportion de travailleurs peu qualifiés est importante (agriculteurs, ouvriers de l’artisanat, employés de commerce), aux pays de l’Ouest où la part des professions qualifiées est élevée, notamment celles de niveau intermédiaire de même que la proportion d’employés administratifs. Ces spécificités régionales renvoient aux écarts de développement et d’industrialisation entre l’Ouest et l’Est de l’Europe, qui remonteraient au XVIe siècle et se seraient accentués durant la période soviétique [26].

Graphique 4

Proximités des pays sur le plan de leur structure socioprofessionnelle

Graphique 4

Proximités des pays sur le plan de leur structure socioprofessionnelle

Notes : Le graphique représente le plan factoriel de l’ACP dont les observations sont les pays et les variables la part des différentes catégories socioprofessionnelles dans la population en emploi.
Lecture : Le Danemark et la Suède se ressemblent du point de vue de leur structure sociale : l’un et l’autre comptent une part importante de salariés qualifiés (ingénieurs, cadres, professions intermédiaires) et d’employés de type administratif.
Champ : EU-24, population en emploi, âgée de 25 ans ou plus.
Source : SILC 2010, Eurostat.

24Une seconde opposit ion se dessine [voir graphique 4, axe 2, p. 25] entre les pays où les indépendants (commerçants, artisans, chefs d’entreprise et membres des professions libérales) sont nombreux comme en Italie, en Grèce, au Portugal ou en Espagne et ceux où les cadres et les ingénieurs représentent une part significative de la population active occupée (Allemagne, pays baltes et scandinaves). Elle correspond à un clivage entre le centre et la périphérie renforcé [27], dans la période récente, par la dépendance économique et financière de nombreux pays de la périphérie vis-à-vis des États centraux. La Grèce, par exemple, a contracté des dettes conséquentes auprès de ses « partenaires » européens les plus riches (principalement l’Allemagne, la France et l’Italie).

25En définitive, en reprenant le découpage en trois classes mis en lumière dans le modèle européen d’espace national, on observe que la classe dominante représente 22 % de la population en emploi dans les pays du Nord et de l’Ouest mais seulement 18 et 15 % dans les pays de l’Europe du Sud et de l’Est. Par contre, les classes populaires constituent 57 % de la population dans les pays de l’Est contre 41 % de celle des pays du Nord et de l’Ouest [voir tableau 5, p. 30].

Tableau 5

Répartition des personnes en emploi selon la classe sociale, le genre par grande région

Tableau 5
Région Genre Dominante Intermédiaire Populaire Ensemble Europe de l’Est Hommes 14,3 20,3 65,4 100 Femmes 21,6 30,5 47,9 100 Ensemble 17,7 25,0 57,4 100 Europe du Sud Hommes 13,2 31,0 55,8 100 Femmes 18,1 39,1 42,8 100 Ensemble 15,2 34,4 50,4 100 Europe du Nord et de l’Ouest Hommes 24,4 31,1 44,5 100 Femmes 19,0 44,7 36,3 100 Ensemble 21,9 37,5 40,6 100 Ensemble 19,3 34,2 46,5 100

Répartition des personnes en emploi selon la classe sociale, le genre par grande région

Note : Les trois classes sont définies au sens du modèle européen d’espace national [voir p. 14 sq.].
Champ : EU-24, population en emploi, âgée de 25 ans ou plus.
Source : SILC 2010, Eurostat.

26Comme nous venons de le montrer, comparer les groupes sociaux en Europe à partir des outils mis au point par Bourdieu est fructueuse puisqu’on retrouve bien des positions relatives similaires dans les différents pays, et même heuristique puisqu’elle amène à questionner les facteurs explicatifs des différences plus ou moins prononcées d’autonomie relative du capital culturel par rapport au capital économique. Sur la base de cette mise à l’épreuve, il a donc été possible de construire un espace « moyen » national des positions sociales en Europe. Cependant, les distances absolues entre classes sociales sont très variables, et les pays se distinguent aussi par le poids démographique des différentes classes. Il faut en outre se demander si l’appartenance nationale n’est pas de nature à concurrencer l’appartenance à une classe sociale, quand il s’agit de situer les citoyens dans « l’espace social européen ». Lorsqu’on raisonne au plan européen et non plus national, est-ce que la catégorie socioprofessionnelle est toujours un bon indicateur de la position sociale, au sens de la dotation en capital économique et culturel ?

Comment s’articulent appartenance nationale et appartenance de classe ?

27Pour répondre à cette question, il est d’abord nécessaire de décrire les distances entre groupes professionnels en se situant non plus au plan national mais au plan de l’Union européenne, pour repérer si elles sont semblables à celles observées dans le modèle européen d’espace national. On observe alors que la structure sociale obtenue par cette méthode est sensiblement différente du modèle européen d’espace social. Plusieurs groupes professionnels voient leur position se déplacer donnant une nouvelle représentation sociale de l’Europe. En affinant la description statistique, il est possible de montrer que les inégalités entre professions d’un pays de résidence à un autre sont bien plus marquées en matière de capital économique qu’en matière de capital culturel. La méthode proposée pour articuler les appartenances à un État-nation et à une classe permet de situer les Européens les uns par rapport aux autres.

Du modèle européen d’espace national à un espace socioprofessionnel européen : deux représentations statistiques sensiblement différentes

28La structure socioprofessionnelle européenne obtenue en se plaçant d’emblée à l’échelle européenne [voir encadré, p. 18] est légèrement différente de la moyenne des classifications nationales décrite, dans la partie précédente, sous le nom de « modèle européen d’espace national ». Ainsi, certaines professions, du fait des effets de structures socio-économiques, passent d’une classe à une autre, selon l’approche retenue [voir graphique 5, p. 26]. La classification des 24 catégories sociales fait apparaître à nouveau une structure ternaire. La configuration européenne est proche de celle, également en trois classes, que nous avions mise en évidence précédemment. Cependant, les changements concernent les subdivisions de ces trois classes, puisque deux groupes de professions n’occupent pas la même position dans la moyenne des classifications nationales et dans la classification européenne. Il s’agit des employés de bureau des services d’intérêt général d’une part, et des chefs d’équipe d’autre part, qui appartiennent aux classes populaires dans la moyenne des classifications nationales mais aux classes moyennes dans la classification européenne. Le même phénomène de structure est à l’œuvre dans les deux cas. Ces catégories de salariés sont surreprésentées dans les pays d’Europe du Nord et de l’Ouest où la fonction publique et les entreprises dotées de longues lignes hiérarchiques sont plus développées que dans les pays de l’Est et du Sud. Ces chefs d’équipe et ces employés administratifs du secteur public majoritairement originaires des pays de l’Ouest et du Nord, globalement plus riches et mieux formés, occupent donc une position plus élevée dans l’Union européenne que dans leur pays respectif. Inversement, les ouvriers de l’artisanat et employés de commerce, dont une part importante habitent dans les pays d’Europe de l’Est et du Sud, sont situés plus bas dans « l’espace social européen » qu’ils ne le sont dans leurs espaces nationaux.

Graphique 5

Espace social européen

Graphique 5

Espace social européen

Notes : Le graphique représente le plan factoriel de l’ACP dont les observations sont les catégories socioprofessionnelles et les variables la moyenne européenne des revenus en PPA et des durées d’études non standardisés.
OQ : ouvriers qualifiés ; ONQ : ouvriers non qualifiés ; PI : professions intermédiaires.
Champ : EU-24, population en emploi, âgée de 25 ans ou plus.
Source : SILC 2010, Eurostat.

29Si l’on considère la classification plus fine en six postes, la classe dominante et ses deux subdivisions occupent la même région de l’espace au plan européen et dans la moyenne des plans nationaux. Par contre, les clivages au sein des deux autres classes sont nettement différents selon que l’on se situe au niveau de l’Union européenne ou des États-nations. Ainsi, les agriculteurs, qui ne se distinguaient pas particulièrement dans les classifications nationales constituent, au plan européen, un sous-groupe à part entière, là encore en raison d’un effet de structure. Comme la plupart des exploitants agricoles habitent l’Europe du Sud et de l’Est, ils perçoivent des revenus particulièrement faibles. En conséquence, ces agriculteurs se situent très bas dans la hiérarchie économique de l’Union européenne, cumulant désavantages professionnels et territoriaux. Enfin, dans la typologie européenne, les professions des classes moyennes se démarquent moins selon la composition du capital, comme cela était le cas dans le modèle européen d’espace social national mais davantage selon son volume global, avec d’un côté les métiers les mieux dotés dans les deux espèces de capitaux – professions intermédiaires, instituteurs, techniciens – et de l’autre les moins bien pourvus – chefs d’équipe, commerçants, chefs d’entreprise, employés de bureau. Au final, cette typologie des professions à l’échelle européenne produit des classes particulièrement hétérogènes, en raison notamment des disparités territoriales.

30Les classes populaires rassemblent ainsi des agriculteurs roumains très pauvres, des ouvriers portugais faiblement dotés scolairement et des artisans luxembourgeois très bien pourvus en capital économique.

Parmi les membres d’une même classe sociale des écarts entre pays en termes d’éducation mais surtout de revenus

31Toutefois, l’hétérogénéité interne aux classes sociales n’est pas identique selon le type de capital. Les distinctions en fonction du capital économique sont plus prononcées que celles relatives au capital culturel.

32Sur le plan économique, les Européens de l’Ouest, du Nord et du Sud ont (pour une structure sociale donnée) des ressources plus de deux fois supérieures [voir tableau 6, p. 31] à ceux de l’Est (respectivement 23 100, 22 200, 19 300 et 9 700 euros annuels). Ces écarts varient nettement selon les professions. Le groupe des agriculteurs est le plus inégalitaire : les exploitants agricoles des pays de l’Ouest de l’Union européenne disposent en effet de revenus 4,4 fois plus élevés que ceux de l’Est. À l’inverse, la catégorie des cadres des services d’intérêt général est la plus homogène, ce qui conforte le constat que les fonctions publiques en Europe sont marquées par des inégalités de revenus moindres que celles existantes dans le secteur privé [28], même les cadres du public qui résident à l’Ouest bénéficient quand même de revenus deux fois plus importants que ceux de l’Est. Enfin, la très large catégorie des « cadres administratifs et commerciaux d’entreprise » masque des inégalités internes de ressources scolaires et économiques qui correspondent à la hiérarchie des régions européennes. Ainsi, les écarts de rémunération entre ces cadres du privé de l’Ouest et du Nord et ceux de l’Est et du Sud sont dus pour partie au fait que les premiers ont des responsabilités plus importantes dans des entreprises de grande taille souvent d’envergure internationale, dans des secteurs stratégiques comme la finance, le management international, la R&D, ce qui renvoie aux relations de dépendance, en Europe, entre le cœur et la périphérie.

Tableau 6

Revenu en parité de pouvoir d’achat (PPA) et âge de fin d’études moyens par catégorie socioprofessionnelle et grande région

Tableau 6
Ensemble Europe de l’Ouest Europe du Nord Europe du Sud Europe de l’Est Revenu en PPA Âge de fin d’études Revenu en PPA Âge de fin d’études Revenu en PPA Âge de fin d’études Revenu en PPA Âge de fin d’études Revenu en PPA Âge de fin d’études classe dominante (*) 31. Professions libérales 31 932 24 38 967 23,7 30 861 24,2 29 596 24,3 15 021 24 34. Professeurs, professions scientifiques 38. Ingénieurs et cadres techniques d’entreprise 24 760 24 29 090 23,9 25 555 24,9 26 512 23,9 12 748 24,1 25 598 23,7 29 240 23,5 26 639 24,2 26 067 23,9 13 030 24,1 37. Cadres administratifs et commerciaux d’entreprise 33. Cadres des services d’intér t général 28 468 22,4 33 283 22 28 621 23,4 27 813 22,3 14 593 23,2 24 201 23,4 27 369 23,1 25 986 24,2 25 668 23,3 13 554 23,9 Ensemble 26 731 23,4 31 367 23 27 234 24,2 27 094 23,6 13 662 23,8 classe intermédiaire 46. Professions intermédiaires administratives et commerciales des entreprises 43. Professions intermédiaires de la santé et du travail social 42. Professeurs des écoles, instituteurs et assimilés 23 691 20,4 26 782 20,4 24 604 21,2 22 801 19,6 11 745 21,1 21 241 21,3 24 141 21,7 23 020 22 20 220 20,3 9 665 20,5 20 479 21,2 22 215 21,1 20 620 23,4 21 244 20,7 9 551 21,2 47. Techniciens 21 771 20,5 24 280 20,6 23 670 21,3 22 881 20 11 150 20,4 45. Professions intermédiaires administratives des services d’intér t général 20 709 20,1 22 742 19,9 22 840 21 20 044 19,4 11 225 21 23. Chefs d’entreprise de 5 salariés ou plus 54. Employés administratifs d’entreprise 21 754 18,9 32 021 20,2 31 241 20,3 22 245 17,7 10 577 19,8 19 677 19,3 22 132 19,3 21 913 19,7 19 254 18,8 9 262 19,7 22. Commerçants et assimilés 17 744 18,6 23 644 19,6 23 605 21,1 15 807 17,2 9 883 19,8 Ensemble 21 154 20 24 342 20,2 23 609 21,1 20 116 18,8 10 592 20,4 classe populaire 48. Chefs d’équipe 18 677 18,3 20 550 18,8 20 513 18,9 17 578 16,8 9 924 18,9 52. Employés civils et agents de service des services d’intér t général 17 741 18,4 19 784 18,4 19 900 19,7 17 263 17,5 7 907 18,5 21. Artisans 16 175 17,7 22 260 19,1 20 152 19 14 985 16,1 8 091 18,4 55. Employés de commerce 14 375 18,4 17 675 18,5 19 443 19,3 16 005 17,3 7 373 19 62. Ouvriers qualifiés de type industriel 14 870 17,5 18 098 17,9 19 824 18,6 16 460 15,9 7 765 18,2 64. Chauffeurs, ouvriers qualifiés de la manutention, du magasinage et du transport 14 452 17,6 18 237 18 20 160 18,4 15 590 16 7 887 18,1 63. Ouvriers qualifiés de type artisanal 56. Personnels des services directs aux particuliers 14 037 17,7 18 926 18,7 19 497 19,1 14 618 15,6 7 328 18,1 13 621 17,3 16 465 17,9 17 673 19,4 13 598 16 7 136 18 67. Ouvriers non qualifiés 14 077 17 17 210 17,5 19 139 18,5 13 326 15,4 6 604 17,1 69. Ouvriers agricoles 13 026 16,6 18 580 18 18 185 18,6 11 091 14,6 6 295 17 10. Agriculteurs 8 600 16,6 18 706 18,4 14 909 19,5 11 506 14,6 4 230 16,7 Ensemble 14 891 17,7 18 917 18,4 19 385 19,2 15 065 16,1 7 020 18 Ensemble 19 319 19,6 23 563 20 23 077 21,3 18 636 18,2 9 087 19,6 Ensemble à structure socioprofessionnelle donnée (**) 19 319 19,6 23 147 19,9 22 230 20,7 19 294 18,6 9 729 20

Revenu en parité de pouvoir d’achat (PPA) et âge de fin d’études moyens par catégorie socioprofessionnelle et grande région

Note : (*) Les trois classes sont définies au sens du modèle européen d’espace national [voir p. 14 sq.]. (**) Les revenus et âges de fin d’études moyens par grandes régions sont calculés en supposant que les catégories socioprofessionnelles s’y répartissent comme dans l’Union européenne [annexe 2].
Champ : EU-24, population en emploi, âgée de 25 ans ou plus.
Source : SILC 2010, Eurostat.

33En revanche, les groupes professionnels sont moins hétérogènes sur le plan scolaire. C’est encore le groupe des agriculteurs qui présente le plus de disparités. Les exploitants agricoles des pays du Sud ont terminé leur scolarité à 14,6 ans en moyenne contre 19,5 ans pour ceux qui exercent leur activité dans un pays d’Europe du Nord. À l’opposé, le groupe formé des professions libérales est extrêmement homogène du point de vue de la durée des études : dans les quatre grandes régions européennes, ils ont terminé leurs études à 24 ans. À catégorie sociale donnée, les travailleurs d’Europe du Nord et de l’Est ont un âge de fin d’études légèrement plus élevé que la moyenne européenne (20,7 et 20 ans contre 19,6 ans). À l’opposé, à structure socioprofessionnelle identique, les travailleurs de l’Europe du Sud ont un niveau d’instruction très inférieur à la moyenne européenne (18,6 ans) particulièrement ceux des générations les plus anciennes.

34En définitive, loin d’être négligeables, les inégalités entre régions européennes sont donc de même ampleur que les inégalités entre classes sociales, en particulier lorsque l’on considère le capital économique. Ainsi, les inégalités de revenus sont même plus marquées entre grandes régions européennes qu’entre classes sociales : les classes dominantes des pays européens ont un revenu en moyenne un peu moins de deux fois supérieur à celui des classes populaires (au sens du modèle européen d’espace national) (soit 26 700 euros annuels contre 14 900 euros) alors que les habitants de l’Ouest ont un revenu presque deux fois et demie supérieur à ceux de l’Est de l’Europe (23 100 euros annuels contre 9 700, à structure socioprofessionnelle identique). À l’inverse, les inégalités culturelles sont bien plus marquées entre classes sociales qu’entre grandes régions ; si les membres des classes supérieures des États européens ont terminé leur scolarité à 23,4 ans, ceux des classes populaires ont quitté le système éducatif à 17,7 ans, les citoyens des pays nordiques à 20,7 ans ceux des pays méridionaux à 18,6 ans (à structure socioprofessionnelle identique).

35Cette grande hétérogénéité des classes sociales européennes (au sens de la profession occupée) liée pour partie aux inégalités économiques entre pays, suggère en dernier ressort de mieux expliciter la manière dont s’articulent les dimensions socioprofessionnelles et territoriales de la position sociale, dans l’espace économico-culturel européen.

Des inégalités entre pays aussi marquées que les inégalités entre classes sociales

36Pour aller au-delà de la comparaison des pays en termes d’inégalités et de structure socioprofessionnelle et mettre en évidence une structure sociale proprement européenne qui tienne compte cette fois-ci des distances absolues, en termes de capitaux économiques et culturels, entre professions mais aussi des distances entre pays, nous proposons une nouvelle description de « l’espace social européen », cette fois-ci en adoptant pour unités d’observation les couples de « pays-professions » [voir encadré, p. 18]. L’échantillon comportant 24 pays et la nomenclature des catégories socioprofessionnelles 24 modalités, on compte donc 576 pays-professions.

37La structure de l’espace économico-culturel européen est alors très différente de ce que nous avions noté lors de l’étude des espaces nationaux, ou de celle de l’espace socioprofessionnel européen : revenu et durée des études y paraissent nettement moins corrélés. Au plan européen, la structure du capital (i.e. le poids du capital économique dans l’ensemble du capital) devient donc essentielle pour caractériser les catégories socioprofessionnelles croisées avec les pays. Deux typologies peuvent être retenues : une très générale en trois groupes et une plus détaillée en six sous-groupes.

38La classification en trois niveaux, qui se décline le long du premier axe de l’ACP, combine les dimensions socioprofessionnelles et nationales [29]. Ainsi, elle oppose, au reste de l’Europe, un premier groupe de professions (blanc et gris clair) qui détiennent le pouvoir économique et culturel, composé des classes dominantes de l’Europe du Sud, du Nord et de l’Ouest et des classes moyennes des États de l’Ouest et du Nord [voir graphique 6, p. 34]. Quant au deuxième groupe (représenté par des rayures), moyennement doté en ressources économiques et culturelles, il rassemble les classes moyennes et dominantes de l’Europe de l’Est, les classes moyennes des pays du Sud, et les classes dominées des pays du Nord et de l’Ouest. Ce groupe intermédiaire forme l’ensemble le plus hétérogène tant sur le plan socioprofessionnel (il couvre tout l’éventail des métiers) que sur le plan « territorial » (tous les pays y sont représentés). Enfin, le troisième groupe (en noir et gris foncé), qui possède le moins de ressources, comprend les classes populaires (agriculteurs, artisans, ouvriers et employés) de la partie orientale de l’Europe et les classes populaires les plus défavorisées des pays méridionaux (agriculteurs, ouvriers et employés non-qualifiés).

Graphique 6

Schéma simplifié du positionnement des trois groupes de la typologie des 576 pays-professions selon le volume de capital pour chaque grande région(*)

Graphique 6

Schéma simplifié du positionnement des trois groupes de la typologie des 576 pays-professions selon le volume de capital pour chaque grande région(*)

(*) Les trois classes dominante, intermédiare et populaire sont définies au sens du modèle européen d’espace.

39Cette configuration si particulière de l’espace européen s’explique essentiellement par deux facteurs, déjà mis en évidence dans la première partie de ce texte : d’un côté, le déséquilibre des ressources entre les régions (de la partie orientale la moins favorisée sur le plan économique au groupe formé des pays nordiques et occidentaux), de l’autre, la répartition inégale de ces ressources entre classes sociales, au sein de chaque pays. En définitive, les inégalités entre grandes régions sont si importantes, sur le plan économique notamment, qu’elles atténuent ou se surajoutent aux hiérarchies socioprofessionnelles, selon les cas.

40Cette configuration, notamment l’extrême hétérogénéité du groupe intermédiaire, a été mise en évidence par les économistes spécialistes des inégalités de revenus, notamment Atkinson et Brandolini [30]. Notre étude montre que cette hétérogénéité se manifeste aussi sur le plan des professions exercées.

41Par ailleurs, quand on raisonne à partir de cette classification des pays-professions en trois groupes, on retrouve un résultat important déjà mis en évidence lors de l’étude des espaces nationaux. Plusieurs professions situées au centre des espaces nationaux n’appartiennent pas au même groupe selon les pays où elles sont exercées [voir tableau 8, lecture en ligne, p. 36]. Ainsi, les infirmières, les travailleurs sociaux et les instituteurs, classés parmi les professions des classes moyennes dans presque tous les pays, figurent dans le groupe le mieux doté au plan européen quand ils sont employés dans un pays nordique. Selon le pays où ils exercent leur activité, les chefs d’entreprise peuvent appartenir à l’un ou l’autre de ces trois groupes au plan européen : du mieux doté (pays scandinaves et occidentaux) au moins bien pourvu (Slovaquie, Roumanie, Bulgarie, Hongrie).

42En outre, comme nous l’avions déjà noté, les pays du Sud de l’Europe apparaissent comme les plus inégalitaires dans la mesure où les catégories professionnelles qui les composent se répartissent dans les trois groupes mis en évidence au plan européen, contre deux dans les autres pays [voir tableau 8, lecture en colonne, p. 36]. La France et l’Autriche occupent une situation intermédiaire puisque dans ces États les professions les moins qualifiées (ouvriers agricoles, ouvriers non qualifiés) appartiennent au groupe le plus défavorisé au plan européen. Ces résultats sont cohérents avec les niveaux d’inégalité plus ou moins importants selon les pays [voir tableau 4, p. 29]. Dans les pays riches et inégalitaires, ces professions les moins qualifiées sont souvent occupées par des immigrés originaires de pays anciennement colonisés.

Tableau 7

Âge de fin d’études et revenu moyens selon les classifications des pays-professions en trois et six groupes

Tableau 7
Classification en 3 groupes Classificationen 6 sous-groupes Âge de fin d’études Revenu en PPA Âge de fin d’études Revenu en PPA Groupe fortement doté en capital Capital économique et culturel ++ 22 ans 27 700 23 ans 29 700 Capital économique et culturel + 20,8 ans 25 100 Groupe moyennement doté en capital Capital économique + 19 ans 18 700 18,7 ans 19 900 Capital culturel + 22,2 ans 12 200 Groupe faiblement doté en capital Capital économique + 17 ans 10 400 15,9 ans 12 900 Capital culturel + 18,4 ans 7 500 Ensemble 19,6 ans 19 350 19,6 ans 19 350

Âge de fin d’études et revenu moyens selon les classifications des pays-professions en trois et six groupes

Champ : EU-24, population en emploi, âgée de 25 ans ou plus.
Source : SILC 2010, Eurostat.
Tableau 8

Classification des 576 pays-professions en six sous-groupes (CAH sur le revenu et la durée des études)

Tableau 8

Classification des 576 pays-professions en six sous-groupes (CAH sur le revenu et la durée des études)

Note : La signification des sigles des pays est donnée dans l’annexe 1.
Champ : EU-24, population en emploi, âgée de 25 ans ou plus.
Source : SILC 2010, Eurostat.

43Si la typologie en trois groupes des couples de pays-professions reflète plus ou moins la hiérarchie des catégories socioprofessionnelles couplée à celle des pays, selon le volume global de capital (en particulier économique), la classification en six sous-groupes ajoute une dimension supplémentaire : la structure du capital c’est-à-dire la part du capital économique dans le capital global [voir tableau 8, p. 36]. Le groupe intermédiaire de la classification en trois postes (qui correspond à un niveau moyen de capital à l’échelle européenne) est le plus hétérogène des trois. Il se décompose en deux sous-groupes sur la base de la composition du capital. Ainsi les professions qualifiées d’Europe de l’Est (en rayures claires) forment-elles un premier ensemble homogène caractérisé par des niveaux d’études plutôt élevés tandis que les ouvriers et les employés des pays occidentaux et septentrionaux constituent un deuxième ensemble cohérent, davantage dotés en capital économique qu’en capital culturel (en rayures foncées). Quant au troisième groupe (celui des pays-professions les plus faiblement dotés en capital), il se répartit en deux sous-groupes : un premier ensemble de travailleurs peu qualifiés des pays du Sud et de quelques pays du Sud-Est (Roumanie, Bulgarie, Hongrie) faiblement dotés en capitaux mais avec une composante économique plus forte que la composante culturelle (en noir), qui se distingue d’un second groupe comprenant davantage de travailleurs qualifiés également faiblement dotés en capitaux mais avec une composante culturelle plus marquée (autres pays de l’Est, en gris foncé). Le seul groupe à ne pas se subdiviser selon la composition du capital est le premier, celui des couples de pays-professions les mieux dotés. Il se partage en deux sous-groupes selon le volume global de capital : celui des professions les plus instruites et les plus favorisées économiquement (en blanc) et celui des professions un peu moins avantagées sur ces deux plans (en gris clair).

44Le clivage entre pays est donc au moins aussi important que le clivage entre groupes professionnels. Mais cette réalité est variable selon les professions [tableau 8, lecture en ligne, p. 36]. Les professions de la classe intermédiaire (au sens du modèle européen d’espace national) apparaissent là encore comme les plus hétérogènes puisqu’elles se répartissent dans cinq des six sous-groupes que compte cette typologie. Les ouvriers, les employés et les petits indépendants (classe populaire) forment également un ensemble relativement hétérogène, se distribuant en trois sous-groupes bien distincts, selon le niveau de revenu et d’études : celui de l’Est, celui du Sud et celui des autres pays européens. Par contre, les catégories socioprofessionnelles dominantes aux plans nationaux se partagent en deux sous-groupes seulement, celui des pays de l’Est et celui des autres pays. Autrement dit, les professions qui occupent des positions dominantes dans leurs espaces nationaux respectifs ont plus de points communs les unes avec les autres, quel que soit le pays de résidence, tandis que celles situées en bas et surtout au milieu de la hiérarchie sociale sont davantage divisées quand on raisonne au plan européen. L’harmonisation des diplômes de l’enseignement supérieur, l’internationalisation des entreprises et la plus grande circulation des cadres dans l’espace européen [31] qui en découlent expliqueraient pour une part la grande proximité de ces professions au-delà des frontières. À l’inverse, le poids très différent de l’État social dans l’Europe du Sud et de l’Est, du Nord et de l’Ouest expliquent pour partie cette moindre convergence des autres professions.

45Même si, dans les pays du Nord et de l’Ouest, les classes dominantes se clivent davantage qu’ailleurs entre un pôle culturel et un pôle économique, et si dans les pays du Sud et de l’Est, les classes populaires se hiérarchisent un peu plus selon le volume de capital que dans les autres pays, les structures sociales nationales sont suffisamment proches pour qu’il soit pertinent d’évoquer un modèle européen d’espace national, dans lequel la profession est un bon indicateur de la position sociale. Par contre, lorsque l’on change d’échelle et que l’on se situe au plan de l’Union européenne, la profession n’est plus un aussi bon indice de la place des agents dans la hiérarchie sociale puisque les membres d’un même groupe professionnel bénéficient de niveaux de vie très différents selon le pays où ils résident. Ainsi, contrairement aux ressortissants de l’Est, ceux de l’Ouest et du Nord de l’Europe perçoivent des revenus du travail et du capital particulièrement élevés. Rassemblant des agents qui occupent les professions les plus diverses (des plus aux moins qualifiées selon les pays d’appartenance), et des ressortissants de tous les pays européens, la partie intermédiaire de l’espace européen est de loin la plus hétérogène, sur les plans professionnels et territoriaux (institutionnels). En revanche, la partie haute de cet espace européen, composée principalement des professions des classes dominantes ou moyennes des pays les plus riches paraît plus homogène, de même que (mais dans une moindre mesure), la partie basse, qui regroupe les agents exerçant les professions les moins qualifiées, dans les pays européens les plus pauvres ou les plus inégalitaires. Si le processus de Bologne, initié en 1999, a pu contribuer à l’harmonisation des diplômes requis pour l’exercice des professions qualifiées créant « un espace européen de l’enseignement supérieur », les écarts de richesse entre les grandes régions européennes, dont une partie pourrait s’expliquer par le maintien de relations de type centre-périphérie et l’absence d’un État social supranational, restent très marqués : des politiques budgétaires dont les effets redistributifs entre pays sont limités, une harmonisation restreinte de la protection sociale et du droit du travail européen, l’absence de salaire minimal (et maximal), les particularités des économies nationales, le cloisonnement des marchés du travail expliquent probablement le caractère aussi peu unifié de « l’espace social européen », qui se manifeste notamment par des mouvements migratoires, des pays de l’Est et du Sud vers ceux de l’Ouest de travailleurs en quête de meilleures rémunérations [32].

46Pourtant, la forte similarité des espaces nationaux pourrait conduire, en vertu de « l’homologie de position », à des solidarités professionnelles au-delà des frontières, comme ce fut le cas à partir du milieu du XIXe siècle, avec l’internationalisation du mouvement ouvrier. Mais, à profession identique, les différentiels de niveau de vie et la concurrence qui en résulte, sont tels d’un ensemble régional à une autre, que les citoyens européens ont peu de chance de se regrouper selon leur classe sociale. « L’identité de condition » et la défense de leurs intérêts communs semblent plutôt les conduire à se mobiliser sur la base de leur appartenance nationale.


Annexe 1

Liste des sigles de pays et grande région d’appartenance

tableau im16
Sigle Pays Grande région AT Autriche Europe de l’Ouest BE Belgique Europe de l’Ouest BG Bulgarie Europe de l’Est CZ République tchèque Europe de l’Est DE Allemagne Europe de l’Ouest DK Danemark Europe du Nord EE Estonie Europe de l’Est ES Espagne Europe du Sud FI Finlande Europe du Nord FR France Europe de l’Ouest GR Grèce Europe du Sud HU Hongrie Europe de l’Est IT Italie Europe du Sud LT Lituanie Europe de l’Est LU Luxembourg Europe de l’Ouest LV Lettonie Europe de l’Est NL Pays-Bas Europe du Nord PL Pologne Europe de l’Est PT Portugal Europe du Sud RO Roumanie Europe de l’Est SE Suède Europe du Nord SI Slovénie Europe de l’Est SK Slovaquie Europe de l’Est UK Royaume-Uni Europe de l’Ouest EU-24 Union européenne (24 pays)
Annexe 2

Répartition des personnes en emploi par catégories socioprofessionnelles selon le pays

tableau im17
Catégories socioprofessionnelles LT PL CZ EE LV SK RO BG HU SI PT 10. Agriculteurs 4,3 11,8 1,0 1,2 2,9 0,4 21,0 2,8 2,8 1,5 3,1 21. Artisans 1,5 3,3 5,8 1,9 1,5 3,4 2,7 1,9 3,1 3,0 3,8 22. Commerçants et assimilés 3,0 4,3 5,1 1,9 1,7 3,2 1,6 3,8 4,1 2,4 6,1 23. Chefs d’entreprise de 5 salariés ou plus 1,2 1,7 2,1 1,4 2,0 2,8 1,9 2,9 4,3 0,8 1,4 31. Professions libérales 0,6 1,6 2,9 1,2 1,1 1,2 0,3 1,4 2,6 1,0 1,2 33. Cadres des services d’intérêt général 3,1 1,9 1,1 2,7 4,4 2,9 1,8 3,1 2,2 2,6 1,4 34. Professeurs, professions scientifiques 8,1 8,0 4,2 8,8 5,5 4,9 3,2 4,0 6,0 6,5 4,8 37. Cadres administratifs et commerciaux d’entreprise 14,1 6,1 3,7 11,7 7,1 5,6 4,1 6,4 5,1 5,8 1,6 38. Ingénieurs et cadres techniques d’entreprise 3,4 2,4 2,1 4,6 2,7 2,8 3,6 2,2 2,6 3,1 1,9 42. Professeurs des écoles, instituteurs et assimilés 0,1 0,1 1,8 0,2 0,3 1,3 1,1 1,0 0,2 1,4 1,9 43. Professions intermédiaires de la santé et du travail social 3,8 0,8 3,9 1,4 3,2 4,0 2,0 2,2 2,3 2,9 0,7 45. Professions intermédiaires administratives des services d’intérêt général 2,9 3,6 3,9 3,7 3,0 5,8 1,4 1,6 3,5 2,8 2,1 46. Professions intermédiaires administratives et commerciales des entreprises 5,6 6,0 9,6 9,1 10,1 9,2 4,3 4,5 4,5 10,7 6,9 47. Techniciens 1,6 2,4 6,2 3,1 2,4 5,1 2,4 2,6 2,7 5,8 2,5 48. Contremaîtres, agents de maîtrise 0,9 3,2 2,9 1,8 2,2 1,8 0,9 0,9 1,7 9,2 4,7 52. Employés civils et agents de service des services d’intérêt général 5,7 4,3 4,1 5,2 6,5 5,6 3,7 5,7 7,4 4,9 9,6 54. Employés administratifs d’entreprise 3,5 3,7 5,0 3,6 3,3 5,4 3,4 5,0 5,6 6,1 6,4 55. Employés de commerce 3,8 4,9 3,8 3,8 4,7 5,7 5,9 4,7 5,1 3,3 2,9 56. Personnels des services directs aux particuliers 5,5 5,0 4,8 7,2 7,6 3,3 5,1 11,2 6,1 5,0 11,0 62. Ouvriers qualifiés de type industriel 1,8 4,3 5,0 6,3 3,0 2,9 4,3 5,0 5,4 4,8 4,2 63. Ouvriers qualifiés de type artisanal 13,7 12,4 12,7 10,8 11,3 11,9 16,2 13,4 13,9 8,2 14,8 64. Chauffeurs, ouvriers qualifiés de la manutention, du magasinage et du transport 6,9 4,9 5,2 5,6 6,8 7,2 5,9 7,0 5,0 3,3 3,7 67. Ouvriers non qualifiés 2,9 2,2 1,9 1,6 4,4 1,8 2,5 3,9 1,9 4,3 1,3 69. Ouvriers agricoles 2,0 1,1 1,2 1,2 2,3 1,8 0,7 2,8 1,9 0,6 2,0 Ensemble 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100
tableau im18
PT ES IT GR FR AT BE DE UK NL DK SE FI LU UE 3,1 2,2 2,4 10,6 2,0 4,7 1,0 0,4 0,8 2,1 2,0 1,1 2,9 2,4 3,4 3,8 4,0 6,4 5,6 2,1 1,4 2,1 0,9 4,4 1,9 0,4 0,8 3,5 0,2 3,1 6,1 6,9 7,7 9,9 2,1 3,3 3,7 2,5 4,1 4,1 0,9 0,6 4,1 2,0 4,2 1,4 2,4 4,7 2,6 0,5 1,6 1,5 0,9 0,5 0,8 1,8 1,4 2,0 1,3 1,7 1,2 1,7 2,9 5,0 1,5 2,3 2,5 2,2 2,3 4,0 1,7 1,5 2,0 2,1 2,1 1,4 1,7 0,9 1,3 1,9 1,2 3,3 3,3 1,6 4,7 2,6 3,1 2,9 0,7 2,1 4,8 9,9 4,7 8,1 6,0 5,7 9,8 3,3 6,4 8,1 8,1 9,2 7,1 5,4 6,0 1,6 3,1 2,1 2,6 4,9 4,3 6,9 5,9 11,8 8,7 6,4 8,8 9,5 7,9 5,8 1,9 2,7 1,6 1,7 3,6 1,7 4,7 4,2 3,5 5,7 4,1 5,1 6,2 5,3 3,3 1,9 0,1 2,7 0,1 1,8 1,5 1,2 2,1 1,0 0,1 5,1 2,5 0,1 0,8 1,4 0,7 1,0 3,0 1,8 3,9 1,6 4,4 3,5 3,2 6,6 4,8 3,6 4,1 1,8 2,9 2,1 2,5 2,6 3,0 6,2 6,3 3,7 7,0 4,8 5,4 2,8 3,5 3,2 6,5 4,4 6,9 7,0 8,9 4,5 12,1 13,5 7,8 11,4 10,2 9,9 9,4 10,2 8,2 12,0 9,2 2,5 2,9 3,8 2,1 4,9 6,1 3,8 5,1 2,9 4,3 4,2 5,6 3,2 4,0 3,8 4,7 6,1 4,4 2,4 6,5 10,0 4,7 5,1 4,9 4,7 3,3 3,7 2,1 5,4 4,6 9,6 7,7 5,7 6,5 12,2 5,9 9,4 5,6 11,9 6,9 11,8 12,0 9,6 6,1 7,7 6,4 7,1 6,6 7,4 6,4 5,2 8,8 9,5 6,2 5,8 5,7 5,0 3,9 6,8 6,6 2,9 3,8 2,6 4,7 2,7 2,9 2,2 3,4 3,4 2,6 2,3 2,6 2,6 3,0 3,5 11,0 9,9 7,4 5,7 3,4 6,6 5,3 5,3 5,5 2,0 4,3 3,2 4,4 10,6 5,7 4,2 3,0 3,8 1,2 3,2 1,5 2,0 2,9 2,1 1,6 3,3 3,6 3,6 1,5 3,2 14,8 6,5 9,7 7,6 5,6 5,7 5,5 8,7 3,6 5,1 7,8 8,3 9,0 7,0 8,5 3,7 4,3 2,9 3,3 3,3 2,5 2,5 3,2 2,2 2,7 2,9 3,5 3,2 3,9 3,6 1,3 2,6 1,0 1,6 1,8 3,8 2,8 2,7 2,1 1,5 3,6 0,7 1,7 2,0 2,1 2,0 1,8 1,5 0,9 1,4 0,7 0,4 0,9 0,6 0,7 0,7 0,4 0,9 1,3 1,1 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100
Note : La signification des sigles des pays est donnée dans l’annexe 1.
Champ : EU-24, population en emploi, âgée de 25 ans ou plus.
Source : SILC 2010, Eurostat.

Notes

  • [1]
    Ce travail doit beaucoup aux relectures d’Étienne Penissat et de Yasmine Siblot et aux discussions avec Jérôme Deauvieau, lors de l’année universitaire 2012-2013, à l’occasion de la supervision d’un groupe de travail de l’Ensae composé de quatre étudiants (Anne-Lise Biotteau, Maël Buron, Camille Samson et Thierry Ziliotto).
  • [2]
    Robert Erikson, John Harry Goldthorpe et Lucienne Portocarero, “Intergenerational class mobility in three Western European societies : England, France and Sweden”, British Journal of Sociology, 30(4), 1979, p. 415-441.
  • [3]
    Yossi Shavit et Walter Müller (éds), From School to Work. A Comparative Study of Educational Qualifications and Occupational Destinations, chap. “The institutional embeddedness of the stratification process : a comparative study of qualifications and occupations in thirteen countries”, Oxford, Clarendon Press Oxford, 1998, p. 1-48.
  • [4]
    David Rose et Eric Harrison (dir.), Social Class in Europe. An Introduction to the European Socio-Economic Classification, chap. “A prolegomenon”, New York, Routledge, 2010, p. 3-38.
  • [5]
    Louis Chauvel, « Existe-t-il un modèle européen de structure sociale ? », Revue de l’OFCE, 71, 1999, p. 281-298.
  • [6]
    Anne-Catherine Wagner, Vers une Europe syndicale. Une enquête sur la Confédération européenne des syndicats, Vulaines-sur-Seine, Éd. du Croquant, 2005.
  • [7]
    Pierre Bourdieu, La Distinction. Critique sociale du jugement, chap. 2 : « L’espace social et ses transformations », Paris, Minuit, 1979, p. 109-188.
  • [8]
    Thomas Amossé, « La nomenclature socio-professionnelle : une histoire revisitée », Annales. Histoire, Sciences sociales, 68(4), 2013, p. 1039-1075.
  • [9]
    Pierre Bourdieu, Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, chap. 1 : « Espace social et espace symbolique », Paris, Seuil, 1994, p. 15-35 ; Pierre Bourdieu et Alain Darbel, L’Amour de l’art. Les musées d’art européens et leur public, Paris, Minuit, 1966.
  • [10]
    L. Chauvel, art. cit.
  • [11]
    Dans sa nomenclature de 2008, le BIT a déjà envisagé cette évolution en intégrant le personnel infirmier et les instituteurs dans le grand groupe des « professionals » alors que dans celle de 1988, ils figuraient en position intermédiaire dans celui des « associate professionals ».
  • [12]
    Dans la suite du texte, les pays d’Europe de l’Est désignent la Bulgarie, la République tchèque, l’Estonie, la Hongrie, la Lituanie, la Lettonie, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie. Les pays de l’Europe de l’Ouest comprennent l’Autriche, la Belgique, l’Allemagne, la France, le Luxembourg et le Royaume-Uni, ceux d’Europe du Nord : les Pays-Bas, le Danemark, la Finlande et la Suède, et ceux d’Europe du Sud : l’Espagne, la Grèce, l’Italie et le Portugal.
  • [13]
    Dans les grands pays de tradition catholique (France, Italie, Espagne, Pologne), les employés de bureau du privé et les professions intermédiaires moyennement qualifiées du public (instituteurs, infirmières, travailleurs sociaux, cadres intermédiaires de l’administration), personnel essentiellement féminin, se distinguent par un degré d’instruction supérieur mais des salaires plus faibles que leurs homologues masculins (cadres moyens du privé, techniciens et chefs d’entreprise), qui bénéficient de ressources économiques comparativement plus importantes.
  • [14]
    Richard Breen et David B. Rottman, “Is the national state the appropriate geographical unit for class analysis ?”, Sociology, 32(1), 1998, p. 1-21.
  • [15]
    Étienne Penissat et Jay Rowell, « Note de recherche sur la fabrique de la nomenclature socio-économique européenne ESeC », Actes de la recherche en sciences sociales, 191-192, 2012, p. 126-135.
  • [16]
    Cécile Brousse, “ESeC : the European union’s socio-economic classification project”, Courrier des statistiques, English series, 25, 2009, p. 27-36.
  • [17]
    John Harry Goldthorpe, “On official social classifications in France and Great Britain”, Sociétés contemporaines, 45-46, 2002, p. 187-189.
  • [18]
    En outre, si pour définir les grandes entreprises, le seuil de dix salariés (au lieu de cinq) avait été retenu, comme dans la nomenclature de 1954 utilisée par Bourdieu, les dirigeants d’entreprise se seraient probablement placés encore plus haut et plus à droite dans ce plan factoriel moyen.
  • [19]
    Dans une optique relationnelle, centrée sur un espace national, seules importent les positions relatives occupées par les membres des diverses classes ou fractions de classe, dans la mesure où ce sont elles qui déterminent largement les pratiques et les goûts distinctifs. Les distances absolues entre ces classes n’ont pas de raison d’intervenir dans l’analyse, pas plus que leur poids démographique.
  • [20]
    Deux critères sont utilisés pour mettre en évidence l’intensité des hiérarchies culturelles et économiques entre catégories socioprofessionnelles. Le premier critère est celui de la variance interprofessions au regard des deux dimensions, le second indicateur est celui de l’inégalité interprofessions mesurée au moyen de l’indice de Theil. Cette approche ne donne qu’une appréciation partielle des inégalités entre individus puisqu’elle ne prend pas en compte les inégalités interindividuelles à l’intérieur des catégories socioprofessionnelles elles-mêmes.
  • [21]
    Gøsta Esping-Andersen, The Three Worlds of Welfare Capitalism, chap. 3 : “The welfare state as a system of stratification”, Cambridge, Polity Press, 1990, p. 55-78 ; Joakim Palme, “Welfare states and inequality : institutional designs and distributive outcome”, Research in Social Stratification and Mobility, 24(4), 2006, p. 387-403 ; Gunn Elisabeth Birkelund, “Welfare states and social inequality : key issues in contemporary cross-national research on social stratification and mobility”, Research in Social Stratification and Mobility, 24(4), 2006, p. 333-351.
  • [22]
    On ne peut rendre compte de l’intensité des inégalités économiques selon les pays sans évoquer l’homogamie de catégorie sociale. Plus celle-ci est forte dans un pays, plus les différences de revenus entre les groupes sociaux sont marquées, sans exclure une causalité inverse, de moindres écarts de richesse facilitant l’hétérogamie. Ainsi les niveaux élevés d’homogamie parmi les couples de biactifs dans les pays de l’Est de l’Europe (61 %) et dans une moindre mesure dans ceux du Sud (58 %) contribuent à creuser les inégalités économiques entre les classes. À l’inverse, un niveau d’homogamie plus faible dans les pays de l’Ouest de l’Europe (50 %) réduit les inégalités interclasses (calculs de l’auteur).
  • [23]
    Georges Psacharopoulos et Ana Maria Arriagada, “The educational composition of the labor force : an international comparison”, International Labour Review, 125(5), 1986, p. 561-574.
  • [24]
    Y. Shavit et W. Müller (éds), op. cit.
  • [25]
    Voir également, Cécile Brousse et François Gleizes, « Les transformations du paysage social européen de 2000 à 2009 », INSEE Références Emploi et salaires, Paris, 2011, p. 85-98.
  • [26]
    Clarisse Didelon, Yann Richard et Gilles Van Hamme, Le Territoire européen, Paris, PUF, 2011.
  • [27]
    Claude Grasland et Gilles Van Hamme, « La relocalisation des activités industrielles : une approche centre-périphérie des dynamiques mondiale et européenne », L’espace géographique, 39(1), 2010, p. 1-19.
  • [28]
    Raffaela Giordano, Manuel Domenico Depalo, Bruno Eugène Coutinho Pereira, Evangelia Papapetrou, Javier J. Perez, Lukas Reiss et Mojca Roter, “The public sector pay gap in a selection of euro area countries”, Working Paper Series, European Central Bank, 1406, 2011.
  • [29]
    Afin d’éviter une possible confusion avec la notion de classe (définie précédemment comme un ensemble de professions), on utilise dans la suite du texte les termes « groupe » et « sous-groupe » pour désigner les postes des deux typologies des pays-professions en trois et six niveaux [encadré, p. 18].
  • [30]
    Anthony B. Atkinson et Andrea Brandolini, “On the identification of the’middle class‘”, Working Paper Series, ECINEQ, 217, 2011.
  • [31]
    Anne-Catherine Wagner, « Les classes dominantes à l’épreuve de la mondialisation », Actes de la recherche en sciences sociales, 190, 2011, p. 4-9 ; Anne-Catherine Wagner, Les Classes sociales dans la mondialisation, Paris, La Découverte, 2007.
  • [32]
    Avec plus de 10 % de citoyens en âge de travailler résidant dans un autre État européen, la Roumanie, le Portugal et la Lituanie ont les plus hauts taux d’expatriation, suivis de la Lettonie, la Bulgarie et l’Irlande. Voir Supplement to the EU Employment and Social Situation, “Recent trends in the geographical mobility of workers in the EU”, Quarterly Review, 2014.
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