Couverture de ARSS_215

Article de revue

Échapper à l’enfermement domestique

Travail des femmes et luttes de classement en lotissement pavillonnaire

Pages 56 à 71

Notes

  • [1]
    “Feminist family reform came to be regarded widely as a white, middle-class agenda, and white, working-class families its most resistant adversaries. I shared this presumption before my fieldwork among Silicon Valley families radically altered my understanding of the class basis of the post-modern family revolution” (traduction par l’auteure).
  • [2]
    Pierre Bourdieu, « Un signe des temps », Actes de la recherche en sciences sociales, 81-82, 1990, p. 2-5 ; Pierre Bourdieu, Les Structures sociales de l’économie, Paris, Seuil, 2000 ; Susanna Magri, « Le pavillon stigmatisé. Grands ensembles et maisons individuelles dans la sociologie des années 1950 à 1970 », L’Année sociologique, 58(1), 2008, p. 171-202.
  • [3]
    Sarah Abdelnour, « L’auto-entrepreneuriat : une gestion individuelle du sous-emploi », La nouvelle revue du travail, 5, 2014 (http://nrt.revues.org/1879).
  • [4]
    Collectif, Le Sexe du travail. Structures familiales et système productif, Grenoble, PUG, 1984.
  • [5]
    Isabelle Clair, « Faire du terrain en féministe », Actes de la recherche en sciences sociales, 213, 2016, p. 66-83.
  • [6]
    « Le statut de l’homme, c’est son travail ; le statut de la femme, c’est celui de son foyer » statuaient les anthropologues anglo-saxons de la parenté, dans un contexte de moindre participation des femmes au marché du travail salarié. Voir Michael Young et Peter Willmott, Le Village dans la ville, Paris, Centre Georges-Pompidou/CCI, 1983 [1957], p. 185.
  • [7]
    Selon Fanny Gallot et Ève Meuret-Campfort, par exemple, les ouvrières syndiquées de l’usine Chantelle dans les années 1970, en proie à un « travail du genre », « ne peuvent se reconnaître dans les critiques féministes sur la famille, l’espace domestique et familial constituant pour elles le socle de leur inscription sociale et de leur respectabilité. […] Moins qu’une stratégie, la mise à distance du féminisme [par les ouvrières] relève d’un sens pratique visant à préserver le peu de ressources détenues ». Voir Fanny Gallot et Ève Meuret-Campfort, « Des ouvrières en lutte dans l’après 1968. Rapports au féminisme et subversions de genre », Politix, 109, 2015, p. 21-43.
  • [8]
    Christelle Avril, Les Aides à domicile. Un autre monde populaire, Paris, La Dispute, 2014.
  • [9]
    Anaïs Albert, « Les midinettes parisiennes à la Belle Époque : bon goût ou mauvais genre ? », Histoire, économie & société, 3, 2013, p. 61-74.
  • [10]
    Leonore Davidoff et Catherine Hall, Family Fortunes. Hommes et femmes de la bourgeoise anglaise, 1780-1850, Paris, La Dispute, 2014 ; Sylvie Tissot, « Classe, genre et espace. Genèse de la bourgeoisie anglaise », Métropolitiques, 21 octobre 2015 (www.metropolitiques.eu/Classe-genre-et-espace-Genese-de.html).
  • [11]
    Talcott Parsons, “The kinship system of the contemporary United States”, American Anthropologist, 45, 1943, p. 22-38.
  • [12]
    Judith Stacey, Brave New Families. Stories of Domestic Upheaval in Late-Twentieth-Century America, New York, Basic Books, 1990.
  • [13]
    « La représentation des ouvrières comme des ménagères conservatrices a conduit à invisibiliser la force des changements actuels au sein des classes populaires. Leur soutien à la cause féministe a été sous-estimé en raison du présupposé selon lequel la division traditionnelle des rôles sur laquelle était basé le mouvement féministe ne suscitait pas chez elles le même mécontentement » (traduction par l’auteure). Voir Myra Marx Ferree, “Working class feminism : a consideration of the consequences of employment”, The Sociological Quarterly, 21(2), 1980, p. 173-184.
  • [14]
    Beverly Skeggs, Des femmes respectables. Classe et genre en milieu populaire, Marseille, Agone, 2015 [1997].
  • [15]
    Voir Luc Boltanski et Ève Chiapello, Le Nouvel Esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 2011. L’importation de la logique professionnelle du projet dans la sphère résidentielle et domestique suppose la mise en œuvre de compétences spécifiques (disposition au calcul, à la prévoyance, capacité à anticiper et à se représenter l’avenir, etc.) étroitement dépendantes des statuts d’emploi.
  • [16]
    Isabelle Clair, « La découverte de l’ennui conjugal. Les manifestations contrariées de l’idéal conjugal et de l’ethos égalitaire dans la vie quotidienne de jeunes de milieux populaires », Sociétés contemporaines, 83, 2011, p. 59-81 ; Isabelle Clair reprend l’expression d’ethos égalitaire à Michèle Ferrand et Nathalie Bajos, communication au IIe congrès de l’AFS, Bordeaux, 2006 : « Scripts, risque et genre : pratiques sexuelles et contraceptives en Afrique ».
  • [17]
    Anne Solaz et Ariane Pailhé montrent que les courses et la cuisine (deux postes distincts dans les enquêtes Emploi du temps de l’Insee) restent une prérogative très majoritairement féminine, même si sa prise en charge progresse parmi les cadres et les titulaires d’un diplôme supérieur au bac. Voir Clara Champagne, Ariane Pailhé et Anne Solaz, « Le temps domestique et parental des hommes et des femmes : quelles facteurs d’évolutions en 25 ans ? », Économie et statistique, 478-479-480, 2015, p. 209-242.
  • [18]
    Jean-Claude Kaufmann, La Trame conjugale. Analyse du couple par son linge, Paris, Nathan, 1992.
  • [19]
    Michel Bozon, Pratique de l’amour. Le plaisir et l’inquiétude, Paris, Payot, 2016, p. 88.
  • [20]
    Plus largement, pour Isabelle Clair, l’ethos égalitaire « diffuse le principe de l’égalité entre les sexes en même temps que leur indépassable complémentarité ».
  • [21]
    Michel Bozon, « Les femmes et l’écart d’âge entre conjoints. Une domination consentie. II. – Modes d’entrée dans la vie adulte et représentations du conjoint », Population, 45(3), 1990, p. 565-602.
  • [22]
    Sur la construction sociale et politique des choix résidentiels des pavillonnaires, et le resserrement progressif des choix sur la forme du pavillon périurbain, voir Anne Lambert, Tous propriétaires ! L’envers du décor pavillonnaire, Paris, Seuil, 2015.
  • [23]
    Paola Tabet, « Les mains, les outils, les armes », L’Homme, 19(3-4), 1979, p. 5-61.
  • [24]
    Dominique Maison, « Femmes au foyer. Expériences sociales », dossier d’étude, CNAF, 92, 2007, p. 1-260.
  • [25]
    Julie Landour, « S’engager en parentalité et créer son activité. L’entreprise paradoxale des Mompreneurs en France (2008-2014) », thèse de doctorat en sociologie, Paris, EHESS, 2015, p. 403.
  • [26]
    Ibid., p. 265.
  • [27]
    P. Bourdieu, Les Structures sociales…, op. cit.
  • [28]
    Margaret Maruani, Mais qui a peur du travail des femmes ?, Paris, Syros, 1985 ; Christine Delphy, L’Ennemi principal. Économie politique du patriarcat, Paris, Syllepse, 1998 ; Anne Lambert, « Travail salarié, travail domestique, travail au noir : l’économie domestique à l’épreuve de l’accession à la propriété », Sociologie du travail, 54(3), 2012, p. 297-316.
  • [29]
    Anne-Marie Daune-Richard, « Activité professionnelle, travail domestique et lignées familiales », in Collectif, Le Sexe du travail…, op. cit., p. 45-70.
  • [30]
    Jean-Claude Chamboredon et Madeleine Lemaire, « Proximité spatiale et distance sociale. Les grands ensembles et leur peuplement », Revue française de sociologie, 11(1), 1970, p. 3-33.
  • [31]
    Lionel Rougé, « Accession à la propriété et modes de vie en maison individuelle des familles modestes installées en périurbain lointain toulousain. Les “captifs” du périurbain ? », thèse de doctorat en géographie et aménagement du territoire, Toulouse, Université de Toulouse II Le Mirail, 2005.
  • [32]
    François Héran, « La sociabilité, une pratique culturelle », Économie et statistique, 216, 1988, p. 3-22.
  • [33]
    Odile Benoit-Guilbot et Catherine Modaï, « Les stratégies résidentielles et professionnelles de l’identité sociale », CNRS, Archives de l’Observatoire du changement social, 4, 1980, p. 45-89.
  • [34]
    Norbert Elias, « Remarques sur le commérage », Actes de la recherche en sciences sociales, 60, 1985, p. 23-29.
  • [35]
    Catherine Achin et Delphine Naudier, « Trajectoires de femmes “ordinaires” dans les années 1970. La fabrique de la puissance d’agir féministe », Sociologie, 1(1), 2010, p. 77-93.
  • [36]
    La domination rapprochée est définie par Dominique Memmi comme une situation d’interdépendance puissante, renforcée par le fait que les individus se trouvent retenus de manière quasi continue, en situation de co-présence physique, dans un lieu relativement unique et clos. Voir Dominique Memmi, « Aides à domicile et domination rapprochée », La vie des idées, 4 mai 2016 (www.laviedesidees.fr/Aides-a-domicile-et-domination-rapprochee.html).
  • [37]
    Plus de deux-tiers des primo-accédants sont des couples en France métropolitaine. Voir Sibylle Gollac, « La pierre de discorde. Stratégies immobilières familiales dans la France contemporaine », thèse de doctorat en sociologie, Paris, ENS-EHESS, 2011.
  • [38]
    C. Achin et D. Naudier, art. cit., p. 79.
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© Hortense Soichet, « Des habitants, la Haute-Garonne », canton du Fousseret, 2011.
« La réforme féministe de la famille a largement été considérée comme le fait des familles blanches issues des classes moyennes, et les familles blanches de classes populaires, comme leur principal opposant. Je partageais ces représentations jusqu’à ce que mon enquête de terrain parmi les familles de la Silicon Valley me conduise à interpréter de façon radicalement différente la dimension de classe de la révolution post-moderne de la famille » [1].
Judith Stacey, Brave New Families. Stories of Domestic Upheaval in Late-Twentieth-Century America, New York, Basic Books, 1990, p. 252.

1En matière d’accession à la propriété, ouvriers et employés, mais aussi fractions inférieures des classes moyennes, s’installent désormais prioritairement en habitat individuel dans les couronnes périurbaines et les zones rurales, en lien avec la montée des prix immobiliers dans les grandes agglomérations. Ces évolutions structurelles transforment en profondeur leurs conditions d’existence. Dans le même temps, l’image de leur trajectoire et de leur mode de vie est souvent rapportée à leur préférence supposée pour la maison individuelle, et ainsi infériorisée : les nouveaux propriétaires sont critiqués pour leur individualisme, leur conservatisme moral et politique [2] et leur mauvais goût. Rares sont pourtant les études qui s’attachent à saisir la diversité du peuplement dans les espaces périurbains, et qui déconstruisent l’unité statistique du ménage pour rendre compte des rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes qui s’engagent dans les parcours d’accession. La monographie du lotissement des Blessays [voir encadré « Entrer dans les maisons, et y rester. Retour sur les conditions d’une monographie de lotissement », p. 59-60] indique que les femmes et les hommes n’ont pas les mêmes intérêts à l’achat de la maison, ni ne font face aux mêmes contraintes ; au quotidien, ils mettent aussi en œuvre des arrangements conjugaux et des organisations domestiques diversifiés.

Entrer dans les maisons et y rester. Retour sur les conditions d’une monographie de lotissement

Issu d’une thèse de sociologie, cet article repose sur une enquête ethnographique menée entre 2008 et 2012 dans une commune populaire et industrielle du Nord de l’Isère, située à 35 kilomètres à l’Est de Lyon. De grands lotissements en accession y sont construits à partir des années 2000, représentant près de 300 logements. Parmi ceux-ci, le lotissement des Blessays, divisé en 45 lots, a vu le jour en 2007. Maison et terrain, d’une surface moyenne de 500 mètres carrés, se vendaient alors 200 000 euros. Trois-quarts des acquéreurs, issus de l’agglomération lyonnaise et des communes industrielles environnantes, ont financé l’achat à l’aide de dispositifs d’aide à l’accession (Pass foncier, Prêt à taux zéro doublé notamment).
Le parti-pris de l’enquête a été d’interroger systématiquement toutes les familles venues s’installer dans le lotissement, à plusieurs étapes de leur parcours [1], en combinant observation participante (sorties d’école, aides aux devoirs, courses, etc.), entretiens (individuels, de couple et collectifs) et documents d’archives personnelles (contrats de prêt, de maison individuelle, photographies). Nous avons accordé une valeur égale à l’ensemble des points de vue portés par les membres du groupe domestique (homme, femme, enfant, proche et hébergé-e) sur leur cadre de vie, tâchant de créer les conditions sociales et matérielles favorables à leur expression. Grâce à ce dispositif, nous avons pu déplacer le regard du ménage (au sens statistique) au groupe domestique et aux individus mobilisés dans l’achat de la maison selon le programme défini par l’ethnographie économique [2]. Les entretiens ont aussi permis d’articuler la trajectoire résidentielle aux autres dimensions de la vie sociale – sphères professionnelle et familiale notamment.
La présence prolongée de l’enquêtrice sur le terrain a permis de saisir les manières ordinaires de penser et dire l’ordre social, au plus près des indices que les individus mobilisent pour (se) classer et (se) situer. L’achat de la maison constitue une situation d’observation particulièrement propice pour l’ethnographe parce qu’elle opère un décentrement des pratiques routinisées et oblige les enquêté-e-s à expliciter les modes d’organisation domestique et l’ordre sexué qui s’y joue. En raison du fort degré d’interconnaissance dans le lotissement, nous avons décidé de ne prendre aucun cliché des intérieurs ; il ne fallait pas donner prise aux suspicions de commérage, laissant par exemple penser que l’intimité des uns pouvait être offerte à la vue des autres.
Ce qui fut frappant lors de la réalisation de l’enquête de terrain fut moins l’intensité réelle des dissensions conjugales que leur mise en scène et leur caractère socialement situé. À première vue, les jeunes couples de professions intermédiaires semblaient posséder des dispositions et des goûts davantage ajustés que leurs homologues des classes populaires, prompts à se couper la parole ou à se contredire en entretien quant à la chronologie ou encore la signification du « projet immobilier ». Les conjoints insistaient par exemple pour faire des entretiens de couple, manière d’afficher une unité conjugale valorisante à leurs yeux. Mais cette unité affichée matériellement – ils s’installaient côte à côte sur le canapé, faisant souvent face à l’enquêtrice – ou symboliquement – ils se distribuaient équitablement la parole selon les sujets de l’entretien (crédit, élus locaux, école, voisinage, etc.) – se fissurait souvent au cours du temps.
Dans les milieux populaires, les entretiens individuels (l’enquêtrice avec l’enquêté-e) ou, au contraire, collectifs (l’enquêtrice avec plusieurs membres du groupe domestique) prédominent ; les entretiens de couple étaient nettement plus rares. Du fait de l’importance du travail en usine et/ou des horaires décalés (3x8, 2x12, temps fractionné, etc.), les enquêté-e-s sont plus souvent seuls à leur domicile en journée. À plusieurs reprises, les entretiens ethnographiques « classiques » qui mettent face-à-face un individu et l’enquêteur, se sont transformés en entretien collectif, associant les proches présents à ce moment-là. Selon Céline Braconnier, ces « entretiens collectifs in situ[3] » sont d’une grande valeur heuristique en dépit de la faible place qui leur est accordée dans la réflexion épistémologique actuelle : proches de scènes d’observation participante, ils constituent une véritable « scène d’observation sociale [4] » donnant accès à la manière dont les individus, pris dans leur environnement familier, perçoivent l’ordre social en fonction de leur place dans la parenté, de leur âge, de leur sexe [5]. Sans pour autant croire que l’on atteint par-là « la réalité des conversations ordinaires [6] », ils donnent aussi accès à l’univers des pratiques et représentations qui sont habituellement perçues comme trop banales ou trop peu légitimes pour être évoquées en entretien. Les enfants vont et viennent, coupent la parole, commentent des scènes a priori jugées anodines, révélant la somme des indices (le fait pour des enfants de posséder un téléphone portable par exemple) qui interviennent dans la structuration des schèmes de perception et de classement du monde social. Les enfants jouent dès lors un rôle central dans l’enquête parce qu’ils colportent au quotidien de nombreuses informations sur les maisons du voisinage, leurs aménagements et leurs habitants : leur sociabilité étant moins formalisée que celle de leurs parents, ils franchissent plus aisément les portes des pavillons.

2Dans le lotissement des Blessays, dans le Nord industriel de l’Isère, genre et classe s’entremêlent au quotidien pour définir les positions sociales des familles dans l’espace local, dans un contexte où l’emploi salarié stable se raréfie et où les frontières entre salariat, indépendance et inactivité se brouillent [3]. L’activité féminine constitue alors un enjeu central de classement, au-delà des comparaisons socio-économiques entre voisins concernant par exemple la facture des maisons ou encore le niveau de consommation. Les normes de genre sont prégnantes dans les jugements sociaux ordinaires portés sur soi ou sur ses voisins. Par ses manifestations quotidiennes, la mobilité féminine fonctionne alors comme un critère de perception et d’organisation du monde social : il y a celles qui partent le matin pour regagner leur travail, et celles qui restent au lotissement ; celles qui quittent le pavillon aux horaires de bureau, et celles qui s’en vont tôt, ou tard le soir ; celles qui revêtent des habits de bureau, et celles qui sont en jean et baskets pour prendre leur poste de travail. Dès lors, c’est moins la répartition égalitaire des tâches au sein des couples qui compte, que l’autonomie affichée des femmes au quotidien et leur capacité à s’auto-déterminer (dans leur emploi du temps, leur mobilité, leur consommation, etc.).

3La place du logement (et de l’habitat pavillonnaire en particulier) dans la construction des identités féminines, espace ô combien symbolique de la domination masculine, fait aujourd’hui peu débat malgré le texte programmatique des féministes matérialistes de 1984 invitant à porter une égale attention aux « structures familiales » et au « système productif » [4] : les classes populaires sont d’abord saisies par le travail, leurs conditions d’emploi et le rapport à l’école, ou encore par leur présence dans les espaces publics du quartier et de la rue. C’est pourtant, selon Isabelle Clair, dans l’espace privé que « l’antagonisme entre les groupes de sexe s’y réalise avec le plus de violence, dans la plus grande banalité et de façon dissimulée [5] ». La question de l’articulation des modes d’investissement domestiques, conjugaux et professionnels des ouvrières et des employées est en outre difficile à saisir dans le contexte de la sociologie française, où genre et classes populaires ont rarement fait bon ménage. Les monographies portant sur les mondes ouvriers ont longtemps véhiculé une représentation traditionaliste de la division sexuée du travail, ignorant l’intersection de ces deux rapports de pouvoir et les conditions sociales de leur actualisation [6], ou laissant de côté les relations concrètes des hommes avec leurs mères, sœurs, filles, conjointes, amies. La sous-représentation des ouvrières dans les mouvements féministes des années 1970 a aussi pu être interprétée comme un signe de leur désintérêt pour la cause des femmes : elles étaient vues sinon comme les gardiennes d’un ordre moral et politique conservateur, du moins comme consentantes à la prise en charge d’un travail domestique invisible [7].

4À rebours des représentations communes, des monographies récentes montrent que le logement peut constituer un espace de résistance (par soustraction au regard extérieur et au contrôle masculin en particulier), un support d’activités émancipatrices (hors du rapport salarial) ou encore un lieu de conquête de l’autonomie féminine dans différents milieux sociaux. Les aides à domicile nouent par exemple dans l’espace du logement des alliances avec leurs patronnes à distance d’un contrôle masculin [8]. Les ouvrières qualifiées de la Belle Époque investissent et décorent aussi leur logement avec attention comme le montrent les archives de scellés après décès, l’accès à la consommation de masse signifiant moins dans leur cas une forme d’aliénation individuelle que l’émancipation collective d’un groupe de femmes accédant pour la première fois à l’autonomie financière [9]. À l’autre bout de l’échelle sociale, les aristocrates anglaises du XVIIIe siècle « tenaient salon » hors du contrôle marital, se constituant un capital social mobilisable dans d’autres sphères d’activités [10].

5Dans le contexte nord-américain, où l’habitat pavillonnaire est à la fois plus répandu qu’en France et étroitement associé au modèle de la famille nucléaire néolocale [11], des chercheuses féministes proches des Cultural Studies soulignent dès les années 1980 cette erreur d’interprétation et réhabilitent l’idée d’un « féminisme ordinaire » dans les classes populaires, en dehors d’un cadre féministe explicite et militant [12]. Ferree révèle par exemple à partir d’une vaste enquête par entretien auprès de 130 femmes vivant dans la banlieue pavillonnaire populaire de Boston l’importance des pratiques contestataires dans la vie quotidienne : “The perception of working class women as especially traditional and domestic has tended to obscure the real currents of change within the working class. Their support for feminism has been underestimated because it has been assumed that they lack the personal discontent with traditional roles on which the movement is based [13]”. Les femmes étudiées par Judith Stacey, qui rejettent toute référence au féminisme institué en tant que label politique socialement situé, ont également pu trouver dans les activités communautaires du centre social des ressources matérielles et symboliques leur permettant de tenir à distance des proches oppressants, ou violents, dans le cadre de schémas familiaux et résidentiels pourtant classiques (des couples hétérosexuels et leurs enfants, installés dans des maisons de lotissement). Fondatrice des Feminist Cultural Studies dans l’Angleterre post-industrielle, alors principalement préoccupée par le devenir de la classe ouvrière masculine et blanche, Beverly Skeggs [14] souligne quant à elle la difficile construction des subjectivités féminines des jeunes femmes en formation de service à la personne, confrontées au modèle dominant de la féminité bourgeoise d’un côté (dans lequel elles ne se reconnaissent pas), et assignées par leurs homologues masculins à des positions sexuées réductrices de l’autre côté.

6Prolongeant ces travaux sur les usages sociaux et genrés de l’espace domestique, cet article propose de revisiter à partir d’une monographie de lotissement le rôle de la sphère résidentielle (et du logement en particulier) dans la construction des identités féminines et, indissociablement, des positions de classe. Il montre la variété des arrangements conjugaux concernant le maintien de l’activité féminine qui s’établissent au moment d’accéder à la propriété, et leurs mises en scène dans les luttes de classement au sein du voisinage. Situées entre les fractions stables des classes populaires et les petites classes moyennes, les familles composées de couples hétérosexuels cohabitant et de leurs enfants ont pour point commun d’avoir emménagé entre 2008 et 2012 dans un même lotissement périurbain du Nord industriel de l’Isère [voir encadré, p. 59-60]. La rupture biographique engendrée par le déménagement, et la brèche que ce dernier introduit dans le cours ordinaire de la vie, constituent un moment particulièrement heuristique pour saisir l’ordre sexué enraciné dans l’espace domestique : en questionnant la prise en charge des nouvelles charges liées à la maison, le déménagement contribue à dénaturaliser les pratiques et représentations, et rend visible le caractère arbitraire de la division sexuée du travail. Dès lors, cet article montre que les modes d’investissement des femmes dans la sphère domestique, et à l’extérieur de celle-ci, socialement situés, constituent un enjeu central de classement et de distinction dans l’espace local : ils contribuent à définir l’appartenance à des positions de classes et à des fractions de classes, parfois plus efficacement que les statuts socioprofessionnels des conjoints. Pour autant, les enjeux de classement des familles dans l’espace local empêchent la constitution de solidarités féminines à l’intérieur du lotissement.

Le « projet conjugal »

7Contrairement aux représentations portées par les grandes enquêtes de la statistique publique où l’unité du ménage efface les rapports de pouvoir entre les sexes, les questions résidentielles constituent rarement une décision conjugale consensuelle et, encore moins, une prérogative féminine. Choix de localisation, type d’habitat (maison vs appartement), statut d’occupation (locataire vs propriétaire) font l’objet de négociations qui échappent pour partie à l’enquêteur, qui saisit habituellement a posteriori des pratiques par la voix d’un représentant principal, historiquement désigné de « chef de ménage » et aujourd’hui requalifié de « représentant du ménage ». Sous certaines conditions, l’enquête ethnographique permet de saisir l’expression de ces points de vue divergents. Alors que les enquêtés présentent de prime abord l’achat de la maison comme une affaire conjugale et consensuelle, l’analyse détaillée des entretiens et l’observation des usages du logement permettent de dissocier ces deux aspects. La rhétorique du « projet conjugal » mobilisée par les classes moyennes salariées contraste avec l’affichage d’une division poussée du pouvoir décisionnaire dans les franges moins dotées du lotissement. Discriminantes du point de vue des normes de genre, ces deux modalités révèlent moins l’existence de systèmes de contraintes matérielles et financières différents que l’inégale disposition des ménages à se conformer à la logique de « projet » imposée par les institutions qui encadrent l’accès à la propriété, et par leurs représentants (agent immobilier, constructeur, banquier) [15]. Elles rappellent l’exposition plus forte des techniciens et cadres intermédiaires aux dispositifs et outils de la gestion développés dans les métiers d’encadrement.

8La mise en récit « par projet » signifie aussi la prégnance de l’« ethos égalitaire [16] » dans la vie quotidienne de ces jeunes couples qui, sans remettre en cause l’affirmation d’une altérité radicale entre les sexes, mobilisent des rhétoriques émancipatrices. En témoigne l’importance accordée dans les récits à la prise en charge des courses alimentaires par les hommes, ou à leur prise en charge commune le week-end. En effet, les jeunes couples de classes moyennes du lotissement ont des pratiques distinctives de ce point de vue, non seulement parce qu’ils sont plus à l’aise financièrement que leurs homologues de la deuxième tranche et fréquentent des enseignes de plus haute gamme, mais aussi parce qu’ils affichent la volonté de partager cette charge domestique, souvent invisible et peu valorisée [17], au contraire de leurs voisins moins dotés qui assument une prise en charge exclusivement féminine. « Mon mari, je préfère même pas qu’il aille au supermarché parce qu’il met tout ce qu’il trouve dans le chariot ! » assure Rosa Seloussi (caissière). Au contraire, Stéphanie Jacquet, employée vétérinaire dans un laboratoire et habitante de la première tranche, rappelle sur le ton de l’évidence une pratique désormais installée : « Mon mari, une fois par semaine il s’arrête [chez Auchan Drive] et il se fait remplir le coffre » ; son voisin Sylvain Ferrand-Tévenin, technicien, se fait livrer et réceptionne en personne les produits surgelés, une pratique très visible dans le lotissement, tandis que Franck Simonet, commercial pour un constructeur de maisons, fait lui-même les courses dans le nouvel hypermarché Leclerc de la commune (« je les fais le vendredi, comme je ne travaille jamais le vendredi. Je préfère. »). Styven et Julia, plus jeune couple du lotissement, déclarent, quant à eux, faire leurs courses ensemble le samedi matin et payer la facture en alternance. La prise en charge partagée, ou exclusivement masculine, des courses alimentaires souligne à leurs yeux l’émancipation des femmes à l’égard de tâches domestiques ingrates ; elle marque aussi la reconnaissance de l’importance de leur occupation professionnelle dans l’économie domestique et la vie quotidienne.

9En matière d’accession à la propriété, les couples appartenant aux franges intermédiaires soulignent également en entretien l’importance des calculs effectués (exprimés en temps de déplacement, coûts de fonctionnement des maisons, etc.), des projections intertemporelles et, plus globalement, la rationalité de leur recherche, « collant » par leurs dispositions sociales et professionnelles à la logique du projet. Ils soulignent aussi la co-construction d’une décision qu’ils présentent comme égalitaire. Ils rappellent par exemple qu’ils se sont partagés les visites prospectives et les démarches administratives au gré de leurs contraintes professionnelles respectives ; ils montrent aussi qu’ils accordent une place centrale au travail dans leur choix résidentiel et, surtout, une place égale au statut professionnel de l’homme et à celui de la femme, comme le souligne Stéphanie Jacquet, employée vétérinaire dans un laboratoire, en couple avec un technicien :

10

– J’avais pris des notes à l’époque. J’avais toujours ce cahier avec moi. [Elle sort un cahier d’écolier et tourne les pages]. Voilà, ça, c’est toutes nos recherches. On s’était bien renseignés.
Qu’est-ce que vous notiez ? Ça vous ennuie de me montrer ?
– Bah les annonces, nos rendez-vous, machin, tout !… Voyez, par exemple, ce que je notais pour les différents lieux, c’est le kilométrage entre mon boulot et celui de mon mari, tout ça pour essayer de choisir au milieu. Je ne suis pas du genre à acheter sur un coup de tête, et certainement pas une maison !

11Les critères de décision apparaissent quantifiables (équidistance au lieu de travail des conjoints) et ne font que peu référence aux dissensions conjugales qui peuvent s’exprimer à l’occasion des recherches (qui a concrètement procédé aux recherches ? Les deux conjoints étaient-ils d’accord pour s’éloigner de leur lieu de travail ?). Moins utilisé par modestie que pour signifier une montée en généralité (à l’échelle du couple), le pronom « on » l’emporte dans les récits sur la restitution des préférences individuelles : « On avait envie d’être plutôt au calme. Enfin moi, je ne me voyais pas du tout vivre dans une grande ville. On n’a jamais envisagé la possibilité d’habiter dans Lyon. Ça ne correspondait absolument pas à notre choix de vie », renchérit Stéphanie. L’entretien de couple avec Nicolas Bonnel, infirmier hospitalier de 29 ans (catégorie B) et Virginie, technicienne de laboratoire de 31 ans (catégorie C), révèle pleinement le travail d’élaboration d’un récit fondateur commun, qui trouve dans l’enquête l’occasion de se stabiliser. Le rapprochement des expériences résidentielles antérieures des conjoints est présenté comme une garantie de l’ajustement actuel des aspirations :

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– Virginie : Quand on cherchait, on ne voulait pas d’un bled. Je cherchais un petit village qui allait jusqu’au collège. Parce que quand je vois mes amis qui habitent à Chamagneux, je ne voyais pas la petite à dix ans prendre le bus ! Et puis, moi je suis citadine, même si j’ai grandi à la campagne…
– Nicolas : En fait, on a eu la chance de grandir tous les deux en maison, donc c’est ancré en nous. Et l’autre chance qu’on a, c’est qu’on accède à une propriété qui corresponde à ce qu’on a déjà connu. C’est-à-dire qu’on a une maison, un bout de terrain, mais avec des commodités et des infrastructures.

13Pour autant, c’est toujours Nicolas, au statut socioprofessionnel supérieur, qui ponctue les phrases de Virginie comme pour leur donner une plus grande légitimité. Chez ces couples des classes moyennes, l’effacement des dissensions conjugales au profit de l’adoption d’une grille de lecture commune se retrouve tout au long de la chaîne d’accession à la propriété, des démarches administratives et techniques à la restitution des pratiques d’emménagement. Infirmière hospitalière en couple avec un technicien, Vanessa Bodin décrit avec menus détails les travaux d’aménagement de sa maison en soulignant le pouvoir distinctif des options retenues, plus onéreuses que celles proposées par les constructeurs voisins (douche à l’italienne, carrelage ardoise, cuisine avec mini-bar, etc.). L’expression de ses jugements personnels disparaît derrière le « on » conjugal. Mais ses propos trahissent aussi l’indépassable complémentarité des rôles féminins et masculins à ses yeux et le rapport de dépendance asymétrique qui s’établit entre les conjoints :

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– La cuisine vient d’être livrée. On a pris une cuisine aménagée avec mini-bar, le papa doit la monter. On voulait aussi du carrelage gris noir, ardoise ; donc on a dû changer par rapport au constructeur parce qu’il propose une gamme, mais il n’y avait pas ce qu’on voulait. […] La chambre derrière le garage, nous on veut en faire un bureau parce que mon ami est informaticien. Donc lui, il lui faut un bureau, il travaille régulièrement à la maison. […] J’aimerais bien qu’il me pose mon interphone, ça fait trois ans que je le réclame ! Les fils sont tirés, mais mon mari, il n’a pas envie. Je lui dis « en hiver, je ne peux pas ouvrir si quelqu’un sonne à la porte à trois heures du matin, que je suis toute seule »… il me dit « tout ça pour faire trois mètres » !

15Comme le montrent les travaux de sociologie du couple, l’accès à un logement indépendant est présenté comme le fruit d’une négociation commune et vécu comme un moment fondateur du couple, signe de son inscription dans la durée [18]. Les désajustements des goûts et des aspirations entre partenaires sont minorés et le logement devient une sorte d’évidence, cadre de la nouvelle vie commune : « Dans la mesure où l’installation correspond à une cohabitation, il y a le lieu d’habitation qui, acheté ou loué nu, va rapidement se peupler d’objets, acquis ou récupérés […] et s’organiser au goût des partenaires [19] ». Les pratiques d’aménagement y sont décrites en conformité avec le discours attendu sur l’égalité entre les femmes et les hommes, même si certains propos rappellent à leurs yeux l’importance de la complémentarité des rôles – un principe d’autant plus fort que les conjoints sont en situation d’hétérogamie [20]. La cohabitation de ces deux registres discursifs rappelle alors leurs origines populaires et leur socialisation inachevée aux valeurs affichées par les classes moyennes supérieures, qu’ils aspirent à rejoindre.

16Par contraste, les ouvriers et employés du lotissement invoquent plus ouvertement le rôle du hasard pour rendre compte de leur parcours résidentiel. L’expression d’un rapport de force conjugal transparaît aussi souvent sans retenue dans les entretiens : « On a trouvé par hasard… on ne cherchait pas spécialement… ça a été l’occasion. On est tombés sur une annonce sur internet. C’est mon mari qui regardait », rappelle Séverine Dupuis, 43 ans, titulaire d’un CAP d’employée de bureau, mariée à un téléconseiller. Le projet immobilier ne semble pas organisé ou pris en charge par le couple comme unité à part entière, mais par un individu qui affirme à cette occasion son pouvoir décisionnaire. Collant au modèle de la masculinité prédominant dans certaines fractions des classes populaires, les récits font état du rôle central des hommes dans la décision d’achat même si les femmes ont pu jouer en pratique un rôle comme conseillère, aide administrative ou encore pourvoyeuse de ressources. L’expression d’un point de vue féminin singulier apparaît a contrario délégimitée par les intéressées elles-mêmes, qui semblent s’en remettre à une autorité masculine – le conjoint et, plus rarement, le constructeur – pensée comme supérieure. Bien que relativement satisfaite de la nouvelle maison, située à proximité de son ancien quartier et de ses cercles de sociabilité, Sandra Neves, ouvrière d’origine portugaise, mariée à un ouvrier spécialisé de la région, l’assume : « Moi, je n’ai pas choisi le modèle en fait ; j’ai choisi le carrelage et tout ça, mais le modèle, c’était comme ça. C’était prévu, on ne pouvait pas choisir. […] Et puis, c’est plus mon mari. Parce que moi, par rapport au plan, je ne vois pas trop ». La rhétorique du hasard rappelle les formes de réalisme des classes populaires identifiées dans d’autres sphères de la vie sociale [21] ; elle montre aussi la perception claire que les accédantes aidées ont de leur place dans l’espace social local. Comme le rappelle Sandra Neves, « ici, il n’y a que Malika, Mounira et moi qui travaillons à l’usine. Enfin que je connaisse. Maintenant je ne connais pas tout le monde… Mon voisin, il travaille, il est à EDF, ma voisine là-bas elle est infirmière, celle qui est là-bas aussi. Son mari, il travaille à Saint-Exupéry, dans les bureaux, il travaille pour les avions. Donc ils ont des hauts niveaux, c’est pas comme moi. Ils ont plus d’études que moi je veux dire : moi, je suis à l’usine ». Au final, les femmes du lotissement, qu’elles se soient ralliées a posteriori à une cause masculine ou qu’elles restent en marge du processus décisionnaire, revendiquent très rarement l’initiative de la maison. Elles ont rarement souhaité, ou même pensé, accéder à la propriété, souvent par peur de l’endettement et de ses conséquences pour la maisonnée. Pour elles comme pour les hommes, le « choix » de la localisation et du type d’habitat apparaît alors secondaire dans les récits, et largement conditionné par l’état du marché et les aides à l’accession (alors centrées sur la construction) [22]. Comme le résume Abdelaziz Riad, ouvrier dans la commune voisine de Charvieu-Chavagneux : « Au début, c’était pas prévu que j’achète à 100 %. C’était cher à l’époque. J’ai vu une annonce dans le journal, par hasard, dans Paru vendu. Et je lui ai dit : tu me donnes le plus petit terrain, parce que j’ai pas les moyens pour la maison. On construit une maison bien, normale, une petite maison, voilà, c’est tout ».

Maîtresses de maison malgré elles

17Quel que soit leur statut socio-économique, l’assignation à domicile des femmes lors de la construction et l’aménagement des maisons est largement répandue au sein du lotissement. Elle est aussi mal vécue. La technicité des outils manipulés par les hommes dans le travail de construction et d’aménagement des maisons, et le monopole de leurs usages dans la vie quotidienne, leur confèrent un pouvoir d’intervention supérieur sur leur environnement et leur permettent de définir des prérogatives dont leurs homologues féminines sont exclues, pourrait-on dire à la suite de l’anthropologue Paola Tabet [23]. Un certain accord semble alors se faire entre les partenaires sur le caractère « naturel » et « complémentaire » de cette division sexuée de travail en fonction de la technicité des tâches et des outils mobilisés ; mais pour une large partie des femmes interrogées, la notion de « complémentarité » plusieurs fois mobilisée en entretien pour décrire l’espace des pratiques d’aménagement masque mal la répartition déséquilibrée des tâches, au prestige et à la visibilité inégales.

18La décoration intérieure constitue à cet égard rarement une source de fierté féminine. En raison de son caractère secondaire dans le processus de construction et de son faible enjeu technique et financier (« ce qu’il reste » après l’acquisition de la maison), elle est aussi délégitimée par les hommes. Yannick Broyer, fonctionnaire de catégorie C dans la maintenance informatique, s’est occupé du choix du carrelage en raison du montant financier qu’il représentait à ses yeux ; mais il délègue volontiers à sa femme, secrétaire, avec un mépris affiché, le reste du travail décoratif : « J’avais choisi des carreaux de 40 par 40 [cm], donc il y avait une plus-value pour le carrelage et le constructeur me demandait 2 000 euros de plus soi-disant pour le double encollage. Je me suis renseigné, c’est du pipeau ! Du coup j’ai repris le choix de base, 30-30, et ça va très bien. Il était hors de question de remettre 2 000 euros pour le carrelage ! […] Mais l’aménagement intérieur, c’est elle. Moi, j’ai pas d’idée… et je m’en fous ! C’est sûr que je ne voudrais pas des trucs extraordinaires, je suis assez classique. Il faut que ça soit simple, fonctionnel. C’est tout ». Et Valérie, infirmière mariée à un chef d’agence de transport, de confirmer ce point de vue : « La déco, c’est moi. Mon mari s’en fout ! Il paie, c’est tout. Je gère l’intérieur, il gère l’extérieur ». Les femmes peinent d’autant plus à investir leur rôle de maîtresse de maison qu’elles ne l’ont pas choisi et qu’elles traversent souvent une phase de déprime liée à leur nouvel isolement géographique. Elles ne peuvent pas non plus en rendre compte à leur entourage : la pression familiale exige la satisfaction de la nouvelle promue comme le rappelle Marylin Costa, 27 ans, vendeuse en congé parental, mariée et mère de deux enfants :

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– Moi quand je suis arrivée ici, j’étais pas du tout… déjà, je déprimais… je déprimais… parce que… j’étais loin, j’étais dans un endroit que je ne connaissais pas, le village je ne le connaissais pas, enfin c’était vraiment… Du coup, j’avais décoré ma maison n’importe comment ! Et ma mère m’avait dit : « Attends on va faire ça comme il faut, tu vas mettre ta table là, ton truc là ». Et finalement ça m’avait redonné un peu de… En même temps, mon mari travaillait tous les jours, moi j’étais en congé parental, j’étais tout le temps à la maison avec les deux enfants, c’était l’hiver, je ne connaissais personne.

20Ces femmes sont loin du modèle des femmes au foyer dites hédonistes [24] ou des Mompreneurs (mères et entrepreneuses) [25] qui, après s’être impliquées professionnellement et avoir donné des gages d’accomplissements scolaires, se retirent du salariat pour se consacrer à leur(s) enfant(s), en créant parfois une activité économique indépendante à leur domicile leur permettant de « maintenir des apparences professionnelles » dans un milieu où la norme de l’activité est particulièrement ancrée. Pour ces femmes au statut social établi, « la distance affichée à l’égard de la maternité dans les discours n’exclut pas un investissement fort autour des enfants dans les pratiques [26] » et la possibilité de sous-traiter, avec discrétion et systématisme, le travail invisible, fatigant et moins valorisant d’entretien des maisons et de garde des enfants. Au contraire, à Cleyzieu-Lamarieu, la faible dotation de la commune en services publics et équipements collectifs (transport, accueil périscolaire, etc.) a fait exploser la charge domestique de nombreuses femmes en même temps qu’elle a attisé les tensions conjugales. Le déménagement a par exemple eu raison du couple formé par Estelle et son ex-conjoint, qui « s’alternaient » pour pouvoir sortir le soir sans frais de garde. Ancienne habitante de cité à Saint-Priest, Najia Kezouli a aussi renoncé à inscrire ses quatre jeunes garçons à la cantine suite au changement de tarification municipale : « Je les ai à midi. Parce qu’ici, ils ne regardent pas du tout le quotient familial, c’est ce qui m’a choquée ! Je leur ai dit “normalement, ça dépend de ce qu’on touche”. Et bah là : non ! Ils nous enlèvent juste 30 centimes et quelque par enfant. Le plus cher, c’est 5,50 euros quand on en a un. Avant je payais 2,30 euros, je trouvais déjà que c’était cher mais alors là, c’est super cher ! » Elle a aussi arrêté de fréquenter l’Université populaire des parents de Saint-Priest sans trouver d’association équivalente dans cette ancienne commune rurale d’à peine 6 000 habitants.

21D’un autre côté, ces femmes ne partagent pas les mêmes enjeux symboliques que leurs homologues masculins, pour lesquels l’accès au statut de propriétaire et la réalisation d’une large partie du travail de second œuvre (finition des maisons, peinture, aménagement extérieur, etc.) constituent un signe de respectabilité valorisé et valorisant à plusieurs titres. Pour certains, la maison semble en effet incarner presque mieux que la paternité leur statut de bon « père de famille » [27] : elle montre à leurs collègues masculins et à leurs pairs leur capacité à loger dans des conditions honorables les personnes dépendantes de leur entourage (femme et enfants). La maison (comme contenant) signe alors leur stabilité professionnelle en même temps que leur dévouement à la cause familiale. Mais la maison vient aussi souvent compenser un statut professionnel subalterne et une reconnaissance jamais acquise dans l’univers professionnel. Elle est l’occasion de mettre en œuvre des compétences physiques, techniques et sociales en mobilisant des groupes d’hommes virilisés sur les chantiers (père, fils, cousin, etc.). « Mon mari, c’est un peu McGyver » reconnaît avec ironie Souad Abassi, devant l’ampleur des travaux entrepris par son mari, ouvrier subalterne du BTP ; elle ne trouve pourtant que peu de satisfaction personnelle dans le nouveau logement, où elle assume désormais seule la charge des enfants. La maison constitue ainsi le support d’une intense (et visible) sociabilité masculine dans l’espace local, loin de l’enfermement domestique des femmes [voir photo, p. 61].

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UN DIMANCHE au lotissement, 2012.
© Anne Lambert.

Arrangements conjugaux autour de l’activité féminine

22Les réajustements de l’économie domestique impliqués par l’achat de la maison et le changement de cadre résidentiel dépendent des ressources respectives des conjoints et de leur trajectoire sociale, permettant de distinguer trois cas de figure dans l’espace local. Ces arrangements révèlent l’inégale capacité des femmes à se conformer au modèle de l’emploi féminin et à résister à l’emprise des tâches domestiques dans leur vie quotidienne. Vendeuse, mère de deux enfants en congé parental, Claudine Michaunod fait partie des jeunes femmes peu qualifiées du tertiaire qui, s’éloignant fortement de leur bassin d’emploi et de leur lieu de vie, ont progressivement renoncé à exercer une activité salariée pour se mettre au service de la maisonnée et de leur conjoint. L’accession à la propriété pavillonnaire, par l’éloignement des lieux de travail, de sociabilité et d’entraide qu’elle engendre, modifie en effet le coût d’opportunité du travail féminin et renforce la division sexuée du travail [28] :

« Quand je suis arrivée ici, j’étais encore à temps plein, mais je n’avais que ma fille qui était très peu gardée par la nourrice : 20 heures par semaine, parce qu’on essayait avec les horaires de goupiller pour que mon mari soit là, ou que moi je sois là. Maintenant, avec deux enfants, ce n’est pas pareil. […] Il va falloir voir, recalculer, si je fais un mi-temps ou si je ne fais pas un mi-temps. Tout se calcule. Par rapport aux aides qu’ils nous donnent, il faut voir avec la CAF, calculer combien vaut une nourrice. […] Après c’est par choix aussi, je suis en congé parental, c’est un choix de vie, mais moi les enfants ils passent avant tout ! Il y en a qui préfèrent aller bosser et laisser leur gosse chez la nourrice : moi non. »
Si la jeune femme présente cette répartition comme le fruit d’un calcul rationnel (elle gagnait 700 euros de moins que son mari), la spécialisation dans le travail domestique a progressivement été intériorisée et la contestation potentielle de l’inégal partage des tâches, délégitimée : « Le ménage, je le fais deux fois par semaine : il ne faut pas rentrer dans la maniaquerie. Mais comme je ne travaille pas, c’est logique que je ne lui demande pas. Il a un métier difficile, étant à la maison, ce serait déplacé de ma part ». Pour autant, l’investissement affectif de Claudine dans la maison se révèle limité, et très en-deçà de l’attachement de son mari. La maison est une simple étape dans une trajectoire résidentielle qui doit la ramener vers son ancien quartier, lieu de l’ancrage familial : « Ici, c’est une étape. Le but c’est de repartir sur Mions, Meyzieux, parce que là on est quand même bien éloignés de la famille, ça fait 20-25 minutes. Et puis nos boulots sont restés là-bas. [Elle poursuit, comme pour elle-même] Il voulait son petit espace vert. Il avait raison, avec les enfants. Ils s’éclatent ! Mais c’est vrai que moi un appart, ça ne m’aurait pas dérangée… ». Claudine retourne d’ailleurs plusieurs fois par semaine dans son ancien quartier quand son conjoint travaille : elle y fait ses diverses activités (courses, sport en salle pendant que ses parents gardent les enfants, etc.) avant de rentrer dans le pavillon en fin de journée, pour la sortie du travail de son conjoint.

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PLAN DU LOTISSEMENT Les Blessays.
Archives de l’auteure.

23À niveau d’endettement équivalent, les ménages d’ouvriers originaires des environs adoptent des modes d’organisation domestique très différents. Plus âgés que la moyenne des acquéreurs, ils ne voient pas leur mode de vie bouleversé par le déménagement : quelques centaines de mètres à peine séparent parfois l’ancien logement de la nouvelle maison. Les enfants, plus âgés, représentent aussi une moindre charge au quotidien. L’observation des échanges intrafamiliaux révèle alors les ressources liées à la spécificité du travail ouvrier, qui conditionnent largement le maintien de la bi-activité : les horaires de nuit et le travail décalé. Le plus souvent, les femmes alternent grâce au système des 2x8 le travail en matinée et en après-midi d’une semaine à l’autre tandis que les hommes effectuent des horaires en 3x8, 2x12 (plage de douze heures de travail consécutives) ou choisissent de « faire le SD » (le samedi-dimanche). Cette organisation est particulièrement appréciée des femmes parce qu’elle favorise l’articulation entre le travail salarié et domestique et leur permet d’« exercer une activité professionnelle tout en maintenant la qualité du service domestique qu’elles apportent à leur famille » [29]. Les hommes aussi déclarent préférer cette organisation du travail car le temps dégagé en journée est mis à profit pour bricoler dans la maison. Assurant la présence quasi permanente d’au moins un des conjoints au domicile, le découplage des horaires de travail évite aussi d’externaliser les services de garde. Certes, la répartition des tâches domestiques demeure genrée (courses et ménage pour les femmes ; bricolage et travaux d’aménagement pour les hommes) ; mais le soin aux enfants (accompagnements scolaires et extra-scolaires, suivi des devoirs, préparation des repas) apparaît davantage partagé que dans la première configuration étudiée.

24Les ménages plus dotés du lotissement – les jeunes couples de professions intermédiaires et de cadres moyens – valorisent la bi-activité malgré les contraintes nouvelles liées à l’éloignement géographique. Tous les jours, ils quittent le lotissement entre 7 h et 8 h et reviennent à la fermeture des bureaux, utilisant des véhicules de fonction facilement identifiables. Signe de leur absence quotidienne, leur maison reste fermée en journée et les volets sont tirés : les conjoints partent ensemble et rentrent ensemble, incarnant la figure des migrants pendulaires. Si le poids de l’endettement encourage les femmes à garder une activité professionnelle malgré parfois la présence d’un enfant en bas âge, c’est d’abord parce que cette activité salariée qualifiée est suffisamment rémunératrice pour sous-traiter auprès d’intervenants extérieurs. Certaines femmes embauchent ainsi des assistantes maternelles à plein temps pour maintenir leur activité quand d’autres passent à temps partiel (80 % ou mi-temps) et recourent temporairement à des services marchands de garde. La bi-activité est aussi valorisée parce qu’elle constitue un signe de leur appartenance aux classes moyennes et représente, à ce titre, un fort enjeu statutaire. Souvent issus de couches populaires rurales et de familles de petits indépendants, les conjoints, diplômés aux études courtes (BTS, DUT), sont en effet engagés dans des trajectoires sociales ascendantes et cherchent à consolider des positions encore incertaines. En valorisant travail et épargne, ils augmentent non seulement leur solvabilité, cherchant à rembourser rapidement une maison qualifiée de « tremplin » (parce qu’elle est localisée dans un espace résidentiel déclassé) ; mais ils affichent aussi leur aspiration au mode de vie des classes moyennes, au taux d’emploi féminin le plus élevé.

25Au quotidien, l’activité salariée des femmes à l’extérieur du domicile confère un fort pouvoir distinctif sur la scène locale. La norme de l’activité féminine permet de hiérarchiser les femmes au sein du lotissement et de distinguer des figures repoussoirs dans l’espace local, au premier rang desquelles les femmes inactives. Estelle Chilla, professeure des écoles, parmi les plus jeunes du lotissement, affiche son mépris des voisines en congé parental : « Il y a beaucoup de femmes ici qui sont en congé parental. Franchement, moi, j’ai pris six mois, j’ai cru que j’allais péter un plomb ! Financièrement, c’était très dur… Psychologiquement aussi. Les femmes que j’ai rencontrées, à l’école, ou les assistantes maternelles et tout ça, ça doit faire super prétentieux de ma part, mais sur le plan intellectuel, je n’avais pas de quoi partager ! » Elle fait de l’inversion des normes de genre dans le quotidien un signe distinctif :

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– La plupart des familles qui sont là, c’est des gens de mon âge. Ils sont jeunes et pourtant ils sont hyper traditionalistes dans le rôle de la femme ! Là, quand je tonds ma pelouse : « Bah il fait quoi ton mari ? » « Bah il fait le repassage ! » (air moqueur) Parce qu’ici, il y a cette mentalité du mari qui doit faire le bricolage. Du mari qui doit faire ci, du mari qui doit faire ça, du fait que si ça va pas dans son couple, on reste quand même parce qu’on a une maison, parce qu’on a ses trucs, parce que c’est bien. On fait son repassage, on regarde Jean-Luc Delarue. C’est presque orgasmique pour elles !

27Au quotidien, l’organisation matérielle que requiert l’activité salariée des femmes avec enfants constitue un enjeu de distinction. Le placement en nourrice au sein du voisinage objective tout particulièrement les différences entre femmes en même temps qu’il les accentue. Il rappelle la dépendance des moins qualifiées à l’espace domestique (qui devient dans certains cas un nouvel outil de travail) tandis que les femmes cadres et professions intermédiaires ont les moyens de leur autonomie matérielle et financière. Au sommet de la hiérarchie sociale locale, Aurore Martinon, 33 ans, titulaire d’un DESS de statistiques appliquées, inspectrice de la répression des fraudes, a placé son fils d’un an chez sa voisine d’en face, Séverine Dupuis, mère de trois enfants, ancienne vendeuse en passe d’obtenir l’agrément d’assistante maternelle. Mais la garde a rapidement éclaté en raison des tensions générées par la situation. La proximité spatiale amplifiait la perception des différences sociales [30], et Séverine peinait à revendiquer une identité professionnelle valorisante au regard des autres femmes actives du lotissement qui partaient physiquement travailler à l’extérieur :

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Vous êtes la seule nourrice sur le lotissement ?
– Oui, elles travaillent toutes à l’extérieur ! Il y a beaucoup de femmes qui travaillent là. La plupart travaille…
Mais vous aussi, vous travaillez… !
– Oui mais moi, je suis chez moi donc ça ne me fait pas le même effet. Je travaille et en même temps je garde mes enfants. Et puis Clément, il est quand même grand. Donc il n’a pas besoin de moi…

29Les « captifs du périurbain [31] » sont ici des captives qui peinent à récréer des réseaux locaux de solidarité et d’entraide.

L’invisibilité comme ressource ? Échapper au contrôle social

30Alors que les femmes jouent habituellement un rôle central dans l’entretien des contacts de proximité, comme l’ont montré plusieurs grandes enquêtes [32], la sociabilité de voisinage est paradoxalement le fait des hommes au sein du lotissement des Blessays. Elle se déploie à l’occasion de la construction des maisons autour d’échanges de services, de location commune de machines-outils ou encore de prêt de matériel ; elle se prolonge autour de l’entretien des jardins, la surveillance réciproque des maisons lors des congés (les clés des maisons sont passées d’homme à homme), ou encore la participation commune à des entraînements de football. Par contraste, la sociabilité féminine semble d’emblée plus limitée et centrée vers l’intérieur du foyer : rares sont les femmes du lotissement présentes dehors en journée, stationnant dans les allées du lotissement ou même dans les jardins. Aucun banc ou espace collectif n’a d’ailleurs été prévu à cet effet. À l’école, les femmes déposent « vite » leurs enfants, ouvrant les portières de leur voiture. Ce qui se joue dans le lotissement, c’est moins que le rapport différencié des femmes et des hommes à l’espace public que le poids du contrôle masculin dans l’espace local : aux Blessays, les (jeunes) hommes des classes moyennes détiennent le « pouvoir résidentiel [33] », rappelant à l’ordre les femmes qui dérogeraient à la norme de l’invisibilité. Leur contrôle s’exerce alors d’autant plus fortement que les femmes sont racisées et moins dotées socialement. Comme le rappelle Rosa Seloussi, caissière en grande surface d’origine congolaise, ancienne locataire en cité HLM, « en appartement, on est dans un appartement, il y a les fenêtres, on ne sait pas ce qu’il s’y passe. Mais en lotissement, on regarde là ! On sait quand je sors, quand je rentre, on voit tout ! Mon voisin, par exemple, je sais les courses qu’il rentre. Il y en a un, l’autre jour, il est venu, il m’a dit : “vous recevez beaucoup de famille, vous !” ».

31La morphologie du lotissement exacerbe la perception des différences au sein du voisinage par sa disposition en boucle, l’absence de haies entre les lots et les grandes baies vitrées qui ornent les salles à manger. Il rend plus visible que dans les tours HLM les styles de vie de leurs occupants. Les femmes, plus présentes en journée, sont davantage sensibles à la critique. Rosa, qui ferme tous les jours les volets, s’est dès lors autoproclamée « la voisine invisible » : « Moi, comme je dis, je suis la voisine invisible. Ils me voient quand je passe avec ma voiture pour sortir, c’est tout. Sinon je suis très casanière : je vais aller au boulot, je vais rentrer, je suis chez moi. Je squatte le téléphone, c’est tout. Mais pour vous dire, dans l’immeuble où j’étais avant, je suis restée 14 ans, j’ai jamais mis les pieds chez une voisine ! Et puis je me voyais mal aller m’asseoir dans le parc avec toutes les bonnes femmes, là… parce que c’est toujours de là que ça vient, les petites histoires. Ça commence comme ça, et après, ça prend une ampleur ! »

32Sylvain Ferrand-Tévenin, formateur e n insertion situé dans la première tranche, se charge d’organiser la fête des voisins et souhaite présider la nouvelle association des colotis : il a investi l’organisation de ce contrôle social quotidien. L’épisode du « tag » est particulièrement révélateur de la manière dont s’articulent les rapports de classe, de race et de sexe au sein du lotissement. Après la découverte de dessins au marqueur noir sur la borne électrique commune du lotissement, plusieurs voisins de la première tranche ont accusé les « enfants noirs » de la deuxième tranche, arrivés plus tardivement, les assimilant à une seule et même fratrie. Après avoir réprimandé les enfants, Sylvain Ferrand-Tévenin est finalement allé signifier au conseil municipal et surtout aux parents incriminés leurs manquements éducatifs : « Mon mari les a attrapés, il a poussé une gueulante… Le problème, c’est qu’ils n’ont pas peur en fait. Alors le monsieur d’à-côté, il est allé voir les parents en disant que ça commençait à bien faire. Il est allé voir la maman d’une famille qui est toute seule apparemment et qui, à chaque fois – parce que c’est pas la première fois que quelqu’un lui disait quelque chose – répond toujours qu’elle est toute seule et qu’elle s’en sort pas » rappelle Stéphanie Jacquet. « Moi, la mixité sociale ça ne me dérange pas du tout, je trouve ça plutôt bien. Mais ce n’est pas à nous de faire l’éducation des enfants des autres ! », assume Sylvain Ferrand-Tévenin en entretien.

33D’autres femmes font l’expérience plus euphémisée de la domination masculine. Souad Abadi oppose ses propres pratiques domestiques, centrées à l’intérieur du foyer, à celles de son mari, qu’elle perçoit comme légitimement tournées vers l’extérieur : « Moi, en général, je ne sors pas trop dehors, je n’aime pas trop rester assise dehors. Alors que mon mari aime bien prendre son café dehors, donc du coup il voit plus les gens passer. Il y en a un, l’autre jour, qui lui a demandé des conseils sur sa construction et de fil en aiguille, la conversation s’est installée… Sinon, les gens à qui on dit bonjour, c’est parce qu’il y a les enfants, mais c’est tout. Je ne vais pas aller frapper chez une voisine pour lui dire “comment vas-tu ?”… » C’est Simone N’Diaye, qui passant en revue ses nouvelles relations de voisinage, évoque plus ouvertement le désarroi de sa voisine, difficilement dicible : « J’ai ma voisine [Souad] ici qui est un peu comme moi, qui m’a dit il faut qu’on se soutienne pour y arriver, parce qu’elle, elle avait ses frères, sa famille, sa mère, tous dans le même quartier et là, elle se retrouve là, larguée. Elle a un mari, mais la journée elle est seule, son mari travaille. Mais elle m’a dit “je ne parle pas beaucoup, elle a personne avec qui parler”, donc ça lui pèse ». D’autres femmes ont intériorisé cette norme de sociabilité résidentielle fondée sur la discrétion et des rapports entre voisins limités. Mais leur plus grande familiarité avec cette norme et l’existence d’autres statuts sociaux valorisés (par exemple le travail salarié) permettent d’en supporter le coût affectif et social.

34Dans le même temps, les alliances féminines dans l’espace local semblent impossibles en raison des enjeux de classement qui engagent l’ensemble des maisonnées. « La valeur actuelle de chaque famille sur le marché des familles du voisinage [34] », qui rappelle la distribution inégale du pouvoir de statuer, donne lieu à des stratégies de distinction entre femmes appartenant aux fractions subalternes du lotissement. C’est le cas de Rosa Seloussi qui entend être dissociée (elle et ses enfants) de sa voisine béninoise incriminée dans l’épisode du tag – la seule autre famille noire du lotissement :

35

– Cet te dame, en emmenant les enfants à l’école hier, elle m’a accostée : « Il faut que je te parle… » [ton suppliant]. En plus, elle est seule, déjà, elle a trois enfants et elle est seule. Et la dernière fois elle me dit « c’est parce que je suis seule que les gens ils m’injurient ». Et là hier, elle me disait « il faut qu’on se fasse une bouffe ». Mais moi, en plus, ce n’est pas mon truc ça, je n’aime pas aller chez les gens parce que c’est toujours source d’ennuis. Ça finit toujours mal, surtout quand on a des gamins. […] Moi je ne veux pas. Je suis sûre que nous, comme on est noirs, ils vont tous nous mettre dans un même panier.

36Discrète, Stéphanie Jacquet, employée vétérinaire, n’aime pas se mêler aux autres femmes du lotissement ; elle fait de son isolement un signe de sa respectabilité dans l’espace local :

37

– Je dis bonjour-au revoir, comme mes parents. C’était des bonnes relations, mais pas très intimes. Et mon mari, il est pareil. C’est vrai qu’on voit bien, au début, il y en a qui étaient tout le temps dehors à passer l’après-midi dehors pour surveiller les enfants. C’est bien, moi je trouve ça bien que les parents surveillent leurs enfants ; mais moi, je me verrais pas passer l’après-midi dehors à discuter avec mes voisines. Déjà, j’ai pas le temps, je me demande toujours comment elles font ! Parce que moi le week-end, on a beaucoup de choses à faire. Et puis, je ne me verrais pas le faire… […] passer mon après-midi comme j’en vois certaines le faire, je ne le ferais pas ! C’est pas du tout dans mon caractère… On n’a pas une grosse vie sociale de toute façon. Nous, on est plutôt famille.

38Alors que les stratégies de résistance féminines s’incarnent principalement dans des pratiques localisées et individuelles, il s’agit moins d’une « révolution subjective [35] » que d’une évolution des subjectivités féminines, centrées sur la contestation d’une domination rapprochée [36] dans le foyer. Souad rapporte être « pendue au téléphone » depuis son arrivée dans le lotissement, comme de nombreuses autres femmes du voisinage. Elle rend aussi régulièrement visite à ses cousines et sa mère restées dans la cité Bel Air, à Saint-Priest. C’est là, dans un entre-soi féminin, qu’elle a passé les dernières vacances de Toussaint, loin de son mari et de ses enfants. Elle raconte alors avec un plaisir non dissimulé l’organisation de sociabilités vécues sur le mode de la transgression de normes conjugales et parentales (« fumer la chicha » dans un bar de Lyon, commenter des séries télévisées jusqu’au « bout de la nuit » et faire le point sur la vie affective de sa jeune cousine célibataire). Lors du dernier entretien, elle s’épanchera longuement sur ses difficultés conjugales et la distance sociale à son conjoint qui lui apparaît soudainement insupportable : de 20 ans son aîné, arrivé en France à l’âge adulte, il reste un « blédard » à ses yeux.

Le féminisme ordinaire en question

39Étudier l’ordre social et la manière dont il se recompose lors des mobilités résidentielles ne peut faire l’économie d’un dévoilement de l’ordre sexuel qui s’y imbrique et la manière dont il se (re)négocie à cette occasion. La capacité qu’ont les femmes à suspendre ou renégocier les normes de genre dans l’espace domestique repose sur l’existence de ressources socialement situées ; elle définit des frontières entre classes et fractions de classe dans l’espace local. Ainsi, c’est bien le cumul des subjectivités individuelles exprimées en tant que femme, mère, conjointe et travailleuse qui constitue le socle des positions distinctives dans l’espace local. Au contraire, l’exclusion de l’une de ces dimensions, en particulier de la dimension professionnelle (et de la mobilité dont elle s’accompagne au quotidien) apparaît disqualifiante. La norme de la conjugalité redouble celle de la bi-activité dans un contexte où l’accession à la propriété est gagée par les banques sur la stabilité des revenus des emprunteurs [37], et d’abord conçue pour les classes moyennes salariées.

40Si certaines femmes aménagent des espaces de résistance face aux nouvelles charges domestiques et à l’autorité maritale souvent réaffirmée à l’occasion du déménagement, les convergences et les contradictions entre intérêts de classe et intérêts de genre semblent fragiliser les formes de contestation de l’ordre sexué dans les classes populaires tandis qu’elles favorisent l’investissement du marché du travail par les femmes dans les classes moyennes salariées. Face à l’impossibilité d’avoir prise sur les classements sociaux ordinaires, le repli sur soi des femmes apparaît comme une solution répandue au sein du voisinage. L’invisibilité ferme la porte aux commérages et les alliances féminines restent nouées à l’extérieur du lotissement, auprès de proches mobilisées à cette occasion.

41À partir de quel moment les pratiques et tactiques de résistance individuelle opposées à la domination masculine dans l’espace domestique doivent-elles être considérées comme relevant d’un registre d’action féministe, bien qu’elles ne sont ni explicitement pensées et catégorisées comme telles par leurs auteur-e-s, ni systématiquement organisées en ce sens ? Les (jeunes) femmes rencontrées n’ont jamais fait usage du label féministe dans leurs récits, et nous ne les y avons pas engagées. En outre, ces pratiques ne sont ni systématisées, ni théorisées dans le cadre d’un régime discursif institué ; elles ne sont pas non plus collectives ou partagées dans l’espace local. Si l’on entend par « féminisme » la remise en question en pratiques des normes de genre [38] et des rapports hiérarchiques qui s’établissent entre les catégories femme/ homme, la question d’un « féminisme ordinaire » dans les classes populaires pourrait néanmoins être posée à nouveau frais.

Notes

  • [1]
    “Feminist family reform came to be regarded widely as a white, middle-class agenda, and white, working-class families its most resistant adversaries. I shared this presumption before my fieldwork among Silicon Valley families radically altered my understanding of the class basis of the post-modern family revolution” (traduction par l’auteure).
  • [2]
    Pierre Bourdieu, « Un signe des temps », Actes de la recherche en sciences sociales, 81-82, 1990, p. 2-5 ; Pierre Bourdieu, Les Structures sociales de l’économie, Paris, Seuil, 2000 ; Susanna Magri, « Le pavillon stigmatisé. Grands ensembles et maisons individuelles dans la sociologie des années 1950 à 1970 », L’Année sociologique, 58(1), 2008, p. 171-202.
  • [3]
    Sarah Abdelnour, « L’auto-entrepreneuriat : une gestion individuelle du sous-emploi », La nouvelle revue du travail, 5, 2014 (http://nrt.revues.org/1879).
  • [4]
    Collectif, Le Sexe du travail. Structures familiales et système productif, Grenoble, PUG, 1984.
  • [5]
    Isabelle Clair, « Faire du terrain en féministe », Actes de la recherche en sciences sociales, 213, 2016, p. 66-83.
  • [6]
    « Le statut de l’homme, c’est son travail ; le statut de la femme, c’est celui de son foyer » statuaient les anthropologues anglo-saxons de la parenté, dans un contexte de moindre participation des femmes au marché du travail salarié. Voir Michael Young et Peter Willmott, Le Village dans la ville, Paris, Centre Georges-Pompidou/CCI, 1983 [1957], p. 185.
  • [7]
    Selon Fanny Gallot et Ève Meuret-Campfort, par exemple, les ouvrières syndiquées de l’usine Chantelle dans les années 1970, en proie à un « travail du genre », « ne peuvent se reconnaître dans les critiques féministes sur la famille, l’espace domestique et familial constituant pour elles le socle de leur inscription sociale et de leur respectabilité. […] Moins qu’une stratégie, la mise à distance du féminisme [par les ouvrières] relève d’un sens pratique visant à préserver le peu de ressources détenues ». Voir Fanny Gallot et Ève Meuret-Campfort, « Des ouvrières en lutte dans l’après 1968. Rapports au féminisme et subversions de genre », Politix, 109, 2015, p. 21-43.
  • [8]
    Christelle Avril, Les Aides à domicile. Un autre monde populaire, Paris, La Dispute, 2014.
  • [9]
    Anaïs Albert, « Les midinettes parisiennes à la Belle Époque : bon goût ou mauvais genre ? », Histoire, économie & société, 3, 2013, p. 61-74.
  • [10]
    Leonore Davidoff et Catherine Hall, Family Fortunes. Hommes et femmes de la bourgeoise anglaise, 1780-1850, Paris, La Dispute, 2014 ; Sylvie Tissot, « Classe, genre et espace. Genèse de la bourgeoisie anglaise », Métropolitiques, 21 octobre 2015 (www.metropolitiques.eu/Classe-genre-et-espace-Genese-de.html).
  • [11]
    Talcott Parsons, “The kinship system of the contemporary United States”, American Anthropologist, 45, 1943, p. 22-38.
  • [12]
    Judith Stacey, Brave New Families. Stories of Domestic Upheaval in Late-Twentieth-Century America, New York, Basic Books, 1990.
  • [13]
    « La représentation des ouvrières comme des ménagères conservatrices a conduit à invisibiliser la force des changements actuels au sein des classes populaires. Leur soutien à la cause féministe a été sous-estimé en raison du présupposé selon lequel la division traditionnelle des rôles sur laquelle était basé le mouvement féministe ne suscitait pas chez elles le même mécontentement » (traduction par l’auteure). Voir Myra Marx Ferree, “Working class feminism : a consideration of the consequences of employment”, The Sociological Quarterly, 21(2), 1980, p. 173-184.
  • [14]
    Beverly Skeggs, Des femmes respectables. Classe et genre en milieu populaire, Marseille, Agone, 2015 [1997].
  • [15]
    Voir Luc Boltanski et Ève Chiapello, Le Nouvel Esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 2011. L’importation de la logique professionnelle du projet dans la sphère résidentielle et domestique suppose la mise en œuvre de compétences spécifiques (disposition au calcul, à la prévoyance, capacité à anticiper et à se représenter l’avenir, etc.) étroitement dépendantes des statuts d’emploi.
  • [16]
    Isabelle Clair, « La découverte de l’ennui conjugal. Les manifestations contrariées de l’idéal conjugal et de l’ethos égalitaire dans la vie quotidienne de jeunes de milieux populaires », Sociétés contemporaines, 83, 2011, p. 59-81 ; Isabelle Clair reprend l’expression d’ethos égalitaire à Michèle Ferrand et Nathalie Bajos, communication au IIe congrès de l’AFS, Bordeaux, 2006 : « Scripts, risque et genre : pratiques sexuelles et contraceptives en Afrique ».
  • [17]
    Anne Solaz et Ariane Pailhé montrent que les courses et la cuisine (deux postes distincts dans les enquêtes Emploi du temps de l’Insee) restent une prérogative très majoritairement féminine, même si sa prise en charge progresse parmi les cadres et les titulaires d’un diplôme supérieur au bac. Voir Clara Champagne, Ariane Pailhé et Anne Solaz, « Le temps domestique et parental des hommes et des femmes : quelles facteurs d’évolutions en 25 ans ? », Économie et statistique, 478-479-480, 2015, p. 209-242.
  • [18]
    Jean-Claude Kaufmann, La Trame conjugale. Analyse du couple par son linge, Paris, Nathan, 1992.
  • [19]
    Michel Bozon, Pratique de l’amour. Le plaisir et l’inquiétude, Paris, Payot, 2016, p. 88.
  • [20]
    Plus largement, pour Isabelle Clair, l’ethos égalitaire « diffuse le principe de l’égalité entre les sexes en même temps que leur indépassable complémentarité ».
  • [21]
    Michel Bozon, « Les femmes et l’écart d’âge entre conjoints. Une domination consentie. II. – Modes d’entrée dans la vie adulte et représentations du conjoint », Population, 45(3), 1990, p. 565-602.
  • [22]
    Sur la construction sociale et politique des choix résidentiels des pavillonnaires, et le resserrement progressif des choix sur la forme du pavillon périurbain, voir Anne Lambert, Tous propriétaires ! L’envers du décor pavillonnaire, Paris, Seuil, 2015.
  • [23]
    Paola Tabet, « Les mains, les outils, les armes », L’Homme, 19(3-4), 1979, p. 5-61.
  • [24]
    Dominique Maison, « Femmes au foyer. Expériences sociales », dossier d’étude, CNAF, 92, 2007, p. 1-260.
  • [25]
    Julie Landour, « S’engager en parentalité et créer son activité. L’entreprise paradoxale des Mompreneurs en France (2008-2014) », thèse de doctorat en sociologie, Paris, EHESS, 2015, p. 403.
  • [26]
    Ibid., p. 265.
  • [27]
    P. Bourdieu, Les Structures sociales…, op. cit.
  • [28]
    Margaret Maruani, Mais qui a peur du travail des femmes ?, Paris, Syros, 1985 ; Christine Delphy, L’Ennemi principal. Économie politique du patriarcat, Paris, Syllepse, 1998 ; Anne Lambert, « Travail salarié, travail domestique, travail au noir : l’économie domestique à l’épreuve de l’accession à la propriété », Sociologie du travail, 54(3), 2012, p. 297-316.
  • [29]
    Anne-Marie Daune-Richard, « Activité professionnelle, travail domestique et lignées familiales », in Collectif, Le Sexe du travail…, op. cit., p. 45-70.
  • [30]
    Jean-Claude Chamboredon et Madeleine Lemaire, « Proximité spatiale et distance sociale. Les grands ensembles et leur peuplement », Revue française de sociologie, 11(1), 1970, p. 3-33.
  • [31]
    Lionel Rougé, « Accession à la propriété et modes de vie en maison individuelle des familles modestes installées en périurbain lointain toulousain. Les “captifs” du périurbain ? », thèse de doctorat en géographie et aménagement du territoire, Toulouse, Université de Toulouse II Le Mirail, 2005.
  • [32]
    François Héran, « La sociabilité, une pratique culturelle », Économie et statistique, 216, 1988, p. 3-22.
  • [33]
    Odile Benoit-Guilbot et Catherine Modaï, « Les stratégies résidentielles et professionnelles de l’identité sociale », CNRS, Archives de l’Observatoire du changement social, 4, 1980, p. 45-89.
  • [34]
    Norbert Elias, « Remarques sur le commérage », Actes de la recherche en sciences sociales, 60, 1985, p. 23-29.
  • [35]
    Catherine Achin et Delphine Naudier, « Trajectoires de femmes “ordinaires” dans les années 1970. La fabrique de la puissance d’agir féministe », Sociologie, 1(1), 2010, p. 77-93.
  • [36]
    La domination rapprochée est définie par Dominique Memmi comme une situation d’interdépendance puissante, renforcée par le fait que les individus se trouvent retenus de manière quasi continue, en situation de co-présence physique, dans un lieu relativement unique et clos. Voir Dominique Memmi, « Aides à domicile et domination rapprochée », La vie des idées, 4 mai 2016 (www.laviedesidees.fr/Aides-a-domicile-et-domination-rapprochee.html).
  • [37]
    Plus de deux-tiers des primo-accédants sont des couples en France métropolitaine. Voir Sibylle Gollac, « La pierre de discorde. Stratégies immobilières familiales dans la France contemporaine », thèse de doctorat en sociologie, Paris, ENS-EHESS, 2011.
  • [38]
    C. Achin et D. Naudier, art. cit., p. 79.
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