Notes
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[1]
Emmanuelle Berthiaud, « “Attendre un enfant” : vécu et représentation de la grossesse aux XVIIIe et XIXe siècles (France) », thèse de doctorat d’histoire moderne et contemporaine, Amiens, Université de Picardie Jules Verne, 2011 ; Jacques Gonzalez, « Le sexe de l’enfant à venir », in René Frydman et Myriam Szejer (dir.), La Naissance. Histoire, cultures et pratiques d’aujourd’hui, Paris, Albin Michel, 2010, p. 622-626 ; Yvonne Knibielher et Catherine Fouquet, Histoire des mères, Paris, Montalba, 1977 ; Mireille Laget, Naissances. L’accouchement avant l’âge de la clinique, Paris, Seuil, 1982 ; Catherine Rollet et Marie-France Morel, Des bébés et des hommes. Traditions et modernité des soins aux tout-petits, Paris, Albin Michel, 2000.
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[2]
L’échographie, technique mise au point et développée à partir du début des années 1970, est actuellement la principale méthode de pronostic prénatal du sexe. D’autres méthodes existent comme l’amniocentèse, l’analyse du sang maternel ou l’analyse du trophoblaste. On ne discute pas dans cet article du pronostic prénatal du sexe pour cause médicale.
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[3]
Carine Vassy, « De l’innovation biomédicale à la pratique de masse : le dépistage prénatal de la trisomie 21 en Angleterre et en France », Sciences sociales et santé, 29(3), 2011, p. 5-32.
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[4]
Dans quelques cas, rares, l’assignation d’un sexe s’avère problématique durant la grossesse, et même quelquefois après la naissance. Nous ne traiterons pas de ces cas dans cet article (voir chapitre 4 in Ilana Löwy, L’Emprise du genre. Masculinité, féminité, inégalité, Paris, La Dispute, 2006).
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[5]
Arnaud Régnier-Loilier, Avoir des enfants en France. Désirs et réalités, Les cahiers de l’Ined, 159, 2007 ; Magali Mazuy, « Avoir un enfant : être prêts ensemble ? », Revue des sciences sociales, 41, 2009, p. 30-41.
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[6]
Ce volet qualitatif est conçu comme une étape compréhensive préalable à l’analyse des données statistiques de l’enquête ELFE (Étude longitudinale française depuis l’enfance) à laquelle les auteures sont associées. Cette enquête suit pendant plusieurs années une cohorte de plus de 18 000 enfants nés en 2011.
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[7]
Ce volet de la recherche a bénéficié du soutien financier de l’ANR dans le cadre du programme de recherche « Venir au monde » (responsable scientifique : Bertrand Geay) et de la CNAF, pour le projet « Production et réception parentales des normes de genre : les mères et les pères face à leurs bébés filles et garçons » (responsable scientifique : Olivia Samuel). L’enquête de terrain est réalisée par les auteures de l’article et Marie Mengotti.
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[8]
Martine Court, Corps de filles, corps de garçons : une construction sociale, Paris, La Dispute, 2010 ; Sylvie Cromer, Sandrine Dauphin et Delphine Naudier, « L’enfance, laboratoire du genre », Cahiers du genre, 49, 2010, p. 5-14 ; Michèle Ferrand, Féminin, Masculin, Paris, La Découverte, 2004.
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[9]
Les termes en italique et entre guillemets renvoient à des propos d’enquêtés.
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[10]
Pour une analyse de la « disponibilité permanente » des mères et de la « structure temporelle » du travail domestique, au-delà de l’idée de « double journée » des femmes, voir l’ouvrage précurseur de Danielle Chabaud-Rychter, Dominique Fougeyrollas-Schwebel et Françoise Sonthonnax, Espace et temps du travail domestique, Paris, Méridiens-Klincksieck, 1985.
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[11]
La situation évolue au fil des mois suivants, la répartition du travail reproductif devenant de moins en moins égalitaire et de plus en plus source de tensions, y compris parmi les couples les plus égalitaires au départ.
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[12]
Nous avons donné aux conjoints de chaque couple des prénoms fictifs ayant une initiale commune : Clément et Clarisse, Sergio et Sophie, etc. Les professions des enquêtés et les prénoms des enfants ont été également anonymisés.
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[13]
L’indication sur le sexe des enfants de l’enquêté-e est présentée dans l’ordre de naissance, ici un fils suivi d’une fille.
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[14]
Pour une approche détaillée de ces préparatifs sexués de la naissance, voir Olivia Samuel, Sara Brachet, Carole Brugeilles, Anne Paillet, Agnès Pélage et Catherine Rollet, « Préparer la naissance : une affaire de genre », Politiques sociales et familiales, 116, 2014, p. 5-14. Voir également sur cette question Véronique Rouyer et Chantal Zaouche-Gaudron « La socialisation des filles et des garçons au sein de la famille : enjeux pour le développement », in Anne Dafflon Novelle (dir.), Filles-garçons. Socialisation différenciée ?, Grenoble, PUG, 2006, p. 27-54.
-
[15]
Catherine Rollet et Agnès Pélage, « Préparer une chambre pour l’enfant à venir, un enjeu de genre ? », Strenæ [revue en ligne], 7, 2014, p. 1-10, http://strenae.revues.org/1194.
-
[16]
Laure Bereni, Sébastien Chauvin, Alexandre Jaunait et Anne Revillard, Introduction aux études sur le genre, Paris, De Boeck, 2012, p. 12.
-
[17]
Voir Christine Delphy « Penser le genre : problèmes et résistances », in Christine Delphy, L’Ennemi principal, t. 2, Penser le genre, Paris, Syllepse, 2001, p. 243-260 ; Christine Delphy, « Penser le genre : quels problèmes ? », in Marie-Claude Hurtig, Michèle Kail et Hélène Rouch (dir.), Sexe et genre. De la hiérarchie entre les sexes, Paris, CNRS Éd., 2002, p. 89-101.
-
[18]
Sur la préparation du prénom par exemple, voir Philippe Besnard et Guy Desplanques, Un prénom pour toujours. La cote des prénoms, hier, aujourd’hui et demain, Paris, Balland, 1986 ; Baptiste Coulmont, Sociologie des prénoms, Paris, La Découverte, 2011.
-
[19]
Pierre Bourdieu, La Domination masculine, Paris, Seuil, 1998.
-
[20]
Muriel Darmon, Devenir anorexique. Une approche sociologique, Paris, La Découverte, 2003.
-
[21]
Alban Bensa, « Sociologie et histoire des sentiments », Genèses, 9, 1992, p. 150-163 ; Ruwen Ogien et Patricia Paperman (dir.), « La couleur des pensées. Sentiments, émotions, intentions », Raisons pratiques, 6, 1995.
-
[22]
Georges Falconnet et Nadine Lefaucheur, La Fabrication des mâles, Paris, Seuil, 1975.
-
[23]
Howard S. Becker, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 1985 [1963].
-
[24]
Gunnar Andersson, Karsten Hank, Marit Rønsen et Andres Vikat, “Gendering family composition: sex preferences for children and childbearing behavior in the Nordic countries”, Demography, 43(2), 2006, p. 255-267.
-
[25]
Des psychologues ont montré depuis longtemps que les parents décrivaient leur nourrisson et interagissaient avec lui de façon différente selon son sexe, voir par exemple Jeffrey Z. Rubin, Frank J. Provenzano et Luria Zella, “The eye of the beholder: parents’ view on sex of newborns”, American Journal of Orthopsychiatry, 44(4), 1974, p. 512-519.
-
[26]
Pour un cadre interprétatif des préférences de sexe à un niveau plus macrosociologique voir Hilke Brockmann, “Girls preferred? Changing patterns of sex preferences in the two German states”, European Sociological Review, 17(2), 2001, p. 189-202 ; Karsten Hank, “Parental gender preferences and reproductive behaviour: a review of the recent literature”, Journal of Biosocial Science, 39(5), 2007, p. 759-767.
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[27]
C’est ce type d’observation que fait Marie Duru-Bellat quand elle souligne qu’au travers des pratiques éducatives différenciées entre les sexes « les filles sont considérées comme des partenaires à part entière quand il s’agit de répartir les tâches familiales », voir Marie Duru-Bellat, L’École des filles. Quelle formation pour quels rôles sociaux ?, Paris, L’Harmattan, 2004 [1990].
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[28]
On retrouve le processus décrit par Lesley Larkin à propos de la détermination anténatale du sexe qu’elle considère comme un dispositif essentiel au cœur d’une entreprise de discipline qui produit « d’authentiques garçons et filles » mais aussi « d’authentiques mères » « préparées » à produire des identités de genre pour leurs enfants à naître. Mais, sur ce point, notre enquête nous permet d’aller au-delà, en indiquant que ce processus est également visible à travers l’expérience de parents qui ne connaissent le sexe de leur enfant qu’au moment de la naissance et d’étendre l’analyse à la « préparation » des pères des futurs bébés. Voir Lesley Larkin, “Authentic mothers, authentic daugthers and sons: ultrasound imaging and the construction of fetal sex and gender”, Canadian Review of American Studies, 36(3), 2006, p. 273-291.
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[29]
Nos observations sur la socialisation précoce rejoignent celles d’Annette Langevin sur les adolescents, reprises par Muriel Andriocci (« Entre colère et distance : les “études féministes” à l’université », L’homme et la société, 158, 2005, p. 73-93) à propos d’un article d’Annette Langevin, « Frères et sœurs. Approches par les sciences sociales », in Yannick Lemel et Bernard Roudet (dir.), Filles et garçons jusqu’à l’adolescence. Socialisations différentielles, 1999 : « Annette Langevin montre par ailleurs comment les familles, à travers l’éducation des frères et sœurs, tentent de gommer les fondements inégalitaires du genre tout en maintenant parallèlement sa légitimité en tant que système de différenciation des individus et comment, ce faisant, elles participent à la reproduction des normes hiérarchisant le masculin et le féminin dans le cadre de principes (discursifs) égalitaires ».
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[30]
Sur la façon dont « la segmentation de la socialisation selon le sexe de l’enfant ne peut être dissociée de la forme qu’elle prend dans les différentes classes sociales », voir Jean-Claude Passeron et François de Singly, « Différences dans la différence. Socialisation de classe et socialisation sexuelle », Revue française de sciences politiques, 1, 1984, p. 48-78 et en particulier p. 65.
1« Alors, c’est quoi, une fille ou un garçon ? ». En France aujourd’hui, la plupart des futurs parents n’ont pas à attendre que leur bébé soit né pour pouvoir répondre à cette question qui leur est si souvent adressée. Les techniques actuelles, notamment l’échographie, permettent de connaître le sexe du fœtus à un stade précoce de la grossesse et la grande majorité des futurs parents demande à en bénéficier pour savoir dès que possible, c’est-à-dire en général lors de l’échographie du 5e mois. Près de 90 % des parents ont souhaité connaître le sexe de leur enfant né en 2011, selon l’Étude longitudinale française depuis l’enfance (enquête ELFE). En elle-même, cette aspiration n’est pas nouvelle. De longue date, de multiples croyances et moyens divinatoires ont répondu à cette préoccupation [1]. Mais autour des moyens techniques contemporains, une nouvelle norme de préparation des naissances s’est mise en place : il est devenu ordinaire d’attendre de l’échographie (ou des autres techniques pronostiques [2]) d’être informés non seulement de certains risques de santé [3], mais aussi du sexe de l’enfant à naître [4].
2En sciences sociales, cette demande d’information ur le sexe du fœtus est très peu traitée, comme si elle n’était que du ressort des médecins ou des psychologues. Or toutes sortes de processus sociaux sont fortement engagés à la fois dans cette demande d’information et dans les usages qui en sont faits. En particulier, cette demande et ces usages, loin de n’être qu’une adaptation à l’offre d’une technique médicale, révèlent l’intense travail de préparation de la naissance que chaque futur parent est enjoint à accomplir, et les multiples dimensions qui composent ce travail de préparation. Parmi les nombreuses normes régissant la parentalité contemporaine, « être prêt » le jour de la naissance, être prêt à accueillir le bébé dans les meilleures conditions, n’est pas la moindre des injonctions. Si l’on connaît bien ses déclinaisons concernant la phase de programmation de la grossesse (choisir le bon partenaire, disposer des bonnes conditions matérielles, décider du bon moment pour devenir parents, ni trop tôt ni trop tardivement [5]), on connaît un peu moins la façon dont elle se décline durant la gestation. C’est à propos de la période anténatale que nous examinerons ici la prégnance de cette norme, et la manière dont les futurs parents travaillent concrètement à la mettre en œuvre. Car c’est bien d’un travail dont il est question : un travail d’organisation des préparatifs (choix du prénom, préparation des vêtements et des équipements, aménagement des espaces, etc.), mais aussi un véritable « travail de préparation de soi », pour se tenir prêt, le jour de la naissance au plus tard, à être un parent, un « bon » parent, et notamment un parent ajusté à son enfant tel qu’il est. Or, l’information sur le sexe du fœtus occupe une place centrale dans ce travail de préparation.
3Après avoir analysé cette volonté de connaître le sexe du fœtus et les usages faits de cette information, nous traiterons des représentations et des goûts qui sont sous-jacents à ce travail : dans les phases précédant l’annonce du sexe, une préférence soit pour une fille soit pour un garçon s’est souvent mise en place. Elle-même repose sur des représentations fortement différenciées de ce qu’est une fille, de ce qu’est un garçon et des modalités des relations que cela engendre au sein de la fratrie et entre parents et enfants. Plus généralement, ces préférences se construisent sur l’anticipation de dispositions féminines ou masculines du bébé à naître. Chemin faisant, la mise au jour de ces représentations différencialistes dès avant la naissance de l’enfant nous éclairera sur les mécanismes très précoces de construction sociale du genre et des rapports sociaux inégalitaires entre hommes et femmes.
L’enquête et les enquêtés
4Les données sur lesquelles s’appuie cet article sont issues du volet qualitatif d’une recherche collective plus globale et de long terme adossée à l’enquête ELFE [6]. Ce volet, démarré en 2011, consiste à suivre par entretiens approfondis et répétés, 18 couples hétéro-parentaux attendant ou venant d’avoir un deuxième enfant [7]. Le matériau utilisé ici est tiré des premiers entretiens entourant la naissance de l’enfant (42 entretiens, 30 auprès de mères et 12 avec des pères), durant lesquels les parents étaient notamment invités à décrire leur expérience autour de cette deuxième grossesse, en la comparant éventuellement avec la première.
5Nous avons centré ce travail de terrain sur des familles relativement homogènes du point de vue du milieu social d’appartenance (sans toutefois appartenir aux mêmes fractions de classe) et de la composition familiale. Il s’agit de familles constituées d’un père, d’une mère et de leurs deux enfants. Ces parents sont âgés d’une quarantaine d’années pour la plupart. Tous sont diplômés de l’enseignement supérieur, vivent en région parisienne, exercent une activité professionnelle et occupent des emplois appartenant aux catégories socioprofessionnelles moyennes-supérieures et supérieures (professeur des écoles, chef de projet, ingénieur, informaticien, publicitaire, enseignant-chercheur, etc.). Se concentrer sur ce type de couples permet d’explorer des milieux sociaux qui, en tout cas pour des enfants d’âge scolaire, ont tendance à rechercher le plus l’égalité entre les filles et les garçons et l’épanouissement de chaque enfant en lui faisant connaître une large palette d’expériences, sans le priver des activités habituellement codées comme relevant de l’autre sexe [8]. À propos des représentations traditionnelles de ce qu’est censé être un garçon ou une fille, et de ce qu’est censée être l’éducation d’un garçon ou d’une fille, nombre de nos enquêtés parlent régulièrement de « clichés » [9] et manifestent leur souci de les dépasser, de s’en distinguer. Mais de la volonté de mise à distance des stéréotypes de genre à la distance effective, il y a de très grands pas… qui s’avèrent difficilement franchissables. Dans les faits, les représentations et pratiques mises en œuvre par ces parents en amont même de la naissance s’avèrent souvent fortement genrées, en même temps qu’elles contribuent à transmettre et reproduire des rôles et des rapports de sexe. De même, le mode d’organisation des activités ménagères reproduit des inégalités entre les sexes bien connues. Même si une partie de ces couples délèguent une partie du travail ménager et parental à des employés, ils se caractérisent pour la plupart par une répartition déséquilibrée de ces activités, au bénéfice des hommes [10]. De rares couples se démarquent par un partage des tâches plutôt égalitaire, du moins durant ces premiers mois précédant la deuxième naissance [11].
Le genre au cœur du travail de préparation
6Les familles enquêtées, sauf deux, ont choisi de connaître le sexe du fœtus avant la naissance de chacun de leurs deux enfants. La décision semble généralement ne pas faire l’objet de négociations au sein des couples, des désaccords sont très rarement évoqués et quand ils le sont, le compromis adopté va dans le sens du parent qui souhaite savoir. C’est souvent sur le registre de l’évidence que les parents évoquent ce choix, signe d’une norme très intériorisée : « Nous, on n’avait pas d’attente à ce niveau-là, c’est garçon ou fille, donc autant savoir. Je trouverais ça bizarre de demander à l’échographe de pas le dire, ça apparaît en plus à l’image… », explique Clément [12] (cadre dans le privé, publicitaire, fils-fille [13]). Quand ces hommes et ces femmes s’expliquent sur leur choix de connaître le sexe à l’avance, les discours varient peu, s’appuyant principalement sur deux arguments : celui du désir (le désir pressant de savoir) mais aussi – car le désir n’est pas dénué d’objectifs –, celui du travail de préparation de la naissance et de la nécessité, aux yeux des parents, de l’ajuster au sexe du futur bébé.
7C’est précisément ce travail de préparation qu’il s’agit d’examiner de près dans cette première partie. Nous en soulignerons l’ampleur et les diverses dimensions, car loin de ne concerner que les prénoms, les équipements de puériculture ou les espaces de vie, les préparatifs incluent tout un travail de « préparation de soi » pour chacun des enquêtés.
Savoir, pour préparer le genre
8La dimension du travail de préparation que les enquêtés explicitent le plus correspond à ce qu’ils nomment habituellement les préparatifs. Outre le choix d’un prénom, il s’agit des tâches organisationnelles et matérielles : aménager des espaces, rassembler des équipements, constituer la première garde-robe. Or, pour être correctement accomplies, aux yeux de la grande majorité des enquêtés, toutes ces opérations doivent de préférence être ajustées au sexe du bébé à naître [14], lequel doit donc être connu à l’avance.
9La préparation de la chambre ou de l’espace de sommeil s’appuie ainsi sur des représentations plus classiques que ne le laisserait supposer la volonté, affichée par de nombreux enquêtés, de ne pas « tomber » dans les « clichés ». L’intention de sexuation des décors et des objets est parfois claire. Plus souvent encore, une norme de séparation des enfants apparaît quand ceux-ci sont de sexe différent. Quasiment tous les enquêtés souhaiteraient donner une chambre à chacun des enfants mais la contrainte de la chambre commune, quand le logement est trop petit, est bien mieux acceptée quand le cadet s’annonce du même sexe que l’aîné. Inversement, les enquêtés parents d’un garçon et d’une fille qui partagent une chambre ne développent pas de discours positifs à ce sujet. Pour ces couples, l’information sur le sexe du bébé apparaît plus déterminante pour organiser la séparation spatiale des sexes par une individualisation de l’espace de sommeil que pour préparer une décoration supposée féminine ou masculine [15].
10La préparation des vêtements s’avère elle aussi fortement sexuée, en dépit des précautions de langage souvent prises autour des usages caricaturaux du rose. Pour les parents, et particulièrement pour les mères puisque ce sont elles qui s’attellent très généralement à cette tâche, il ne s’agit pas tant de préparer une garde-robe que de préparer une garde-robe féminine ou masculine et, indissociablement, une garde-robe constitutive d’une apparence féminine ou masculine. Si à propos de l’achat des toutes premières tenues, les mères expliquent souvent privilégier le blanc ou les tons pâles, « neutres », un marqueur sexué discret est fréquemment ajouté (« liseré rose » pour les filles par exemple). Quand elles évoquent leur plaisir lié aux achats des tenues du bébé, les mères font la distinction entre l’attente d’un garçon et celle d’une fille : dans le deuxième cas, les achats sont présentés comme plus nombreux et plaisants, ce que plusieurs rattachent à l’impression de « jouer à la poupée ». On observe également qu’à partir du trousseau de l’enfant aîné, des tris sont faits pour le cadet et que les éliminations sont plus drastiques lorsque les enfants sont de sexe différent. Les mères passent en revue chaque vêtement et décident de le conserver ou non en s’appuyant sur les critères les plus classiques de sexuation des bébés : couleurs, présence éventuelle d’ornements, formes. Les mises à l’écart sont particulièrement nombreuses lorsqu’il s’agit de masculiniser une garde-robe constituée à l’origine pour une fille : les vêtements roses ou comportant du rose sont pratiquement éliminés.
11À tous ces préparatifs qui s’appuient sur les représentations traditionnelles du masculin et du féminin, s’ajoute le « difficile » choix du prénom. Ce dernier agit lui aussi comme un opérateur de sexuation efficace : la quasi-totalité des parents a veillé à donner à chaque enfant un prénom sans ambiguïté de genre. Nos observations confirment que « la socialisation de genre commence bien avant la naissance » [16]. Elles permettent en outre de montrer que parmi les hommes et les femmes plutôt bien dotés en capital culturel et économique, tenant parfois des discours distants par rapport aux stéréotypes de sexe, les préparatifs peuvent être fermement ancrés dans un processus de division des sexes, dont le caractère inégalitaire se construit peu à peu à l’épreuve du quotidien. En préparant la naissance à partir de l’information qu’ils ont sur le sexe anatomique du futur bébé, les enquêtés donnent rapidement forme à une série d’attributs masculins ou féminins par lesquels ils inscrivent d’emblée l’enfant à naître dans des rapports sociaux de sexe, c’est-à-dire dans des rôles sociaux de sexe hiérarchisés. Plus encore, même dans les rares cas où le sexe n’est pas connu [voir encadré « Ne pas savoir le sexe avant la naissance : le genre malgré tout au cœur du travail de préparation », ci-contre], les pratiques de ces parents éclairent en détail les mécanismes par lesquels « le genre précède le sexe » [17].
Ne pas savoir le sexe avant la naissance : le genre malgré tout au cœur du travail de préparation
Le premier argument pour légitimer ce choix très réfléchi se présente comme la revendication d’une niche d’incertitude et de plaisir dans un parcours de grossesse très encadré. Pascale (cadre du privé, responsable marketing, fille-fils) souligne « ce petit élément ludique, de hasard » qu’elle s’est accordé en s’imaginant tout autant avec une fille qu’avec un garçon.
L’autre argument principal réside a priori dans le refus des préparatifs sexués. Si Pascale et Patrick, Françoise et Fabrice suivent comme l’ensemble des enquêtés les injonctions à « bien préparer » chaque naissance, ils considèrent eux que les préparatifs peuvent être tout à fait bien accomplis sans être ajustés à tel ou tel sexe. Ces couples sont d’ailleurs parmi ceux qui soulignent le plus leur volonté de distance aux représentations caricaturales du féminin et du masculin, et Pascale et Patrick l’affichent avec un manifeste souci de distinction sociale.
Il serait toutefois erroné de conclure que, dans ces cas, le travail de préparation des naissances n’est pas marqué par des représentations et des pratiques genrées. Certes les représentations et pratiques genrées œuvrent ici de façon moins visible et moins directe durant la grossesse que chez la majorité des couples enquêtés, mais elles agissent.
Le refus de sexuer les préparatifs est ainsi plutôt envisagé comme une mise en suspens provisoire que comme une possibilité de contourner durablement les représentations ordinaires du masculin et du féminin. En creux, la sexuation des vêtements est bien présente ; quand Pascale a acheté les premiers vêtements pendant la grossesse, elle les a choisis volontairement de couleur verte ou jaune (sous-entendu pour éviter le rose ou le bleu), autrement dit elle n’a pas pris le risque de choisir une couleur potentiellement désajustée au sexe du bébé à naître. Les prénoms retenus correspondent à un prénom nettement féminin pour la fille et un autre nettement masculin pour le fils, pas à des prénoms épicènes. Surtout, les autres volets du travail de préparation reposent sur des représentations genrées qui sont plus proches de celles des autres enquêtés qu’on aurait pu le supposer. Par exemple, un lien est ici aussi établi entre le travail de préparation de soi comme futur parent et la connaissance du sexe du futur bébé. Simplement, il est mis en avant a contrario, pour justifier de ne pas connaître le sexe avant la naissance, quand il semble opportun de ne pas se sentir parent trop tôt, notamment quand le fœtus présente un risque pour sa santé. Les préférences pour un enfant de tel ou tel sexe sont aussi présentes, ainsi que l’idée d’un lien entre la connaissance du sexe et le travail de préparation de soi comme parent enthousiaste – même si ce lien se traduit ici par l’évitement de l’information sur le sexe et non par sa recherche : ne pas savoir, pour ne pas acter une déception.
Ces cas, rares dans notre enquête, sont en outre de courte durée. Fabrice et Françoise (cadres du privé, logisticien et responsable administrative, fils-fille) ont fini par se conformer à la norme : pour leur deuxième enfant, ils ont choisi de connaître le sexe à l’avance. Et c’est au nom du travail de préparation, facilité par la connaissance du sexe, qu’ils expliquent ce choix : le travail, ici non pas de préparation matérielle ou de préparation de soi, mais de préparation… de l’enfant aîné. « Bon, la deuxième, par contre, on a voulu savoir », explique Françoise. « Moi, j’aurais aimé aussi ne pas savoir mais en fait mon fils aîné s’était mis en tête que ça allait être un petit garçon. Voilà, lui il disait, c’est un garçon, un petit frère, etc. Et là par contre, je me suis dit, là je préfère savoir, parce que lui, il va penser que c’est un petit garçon et si c’est une petite fille, je sais pas comment il va réagir. Et comme il était vraiment… j’avais beau lui dire « Benjamin, ça peut être un petit garçon, mais ça peut être une fille », mais il voulait rien entendre. Donc, j’ai dit à son père, bon je pense que… C’était un peu différent quoi ». Préparer leur fils à devenir frère, c’est l’aider à former des dispositions fraternelles à la fois en s’appuyant sur le genre (personnifier le fœtus en l’imaginant fille et non pas garçon, sœur et non pas frère) et en s’ajustant au genre, c’est-à-dire en délimitant ses anticipations à l’égard des caractéristiques du bébé et les relations de frère à sœur qu’ils pourront avoir.
12Ces mécanismes d’assignation d’attributs genrés doivent être appréhendés au même titre que les assignations d’attributs de classe développés lors des préparatifs [18]. Les parents ont fait des choix, tantôt conscients tantôt inconscients [19], au travers desquels ils commencent à rendre leurs futurs enfants conformes, autant à leur classe sociale qu’à leur sexe social.
Savoir, pour se préparer par le genre
13Le travail de préparation effectué par les futurs parents durant la grossesse est loin de se résumer au choix du prénom et aux préparatifs matériels et organisationnels. Il comporte aussi ce que nous proposons d’appeler un « travail de préparation de soi » (par analogie avec la notion de « travail de transformation de soi » [20]). Celui-ci consiste pour chaque futur parent à modeler progressivement, tout au long des mois de grossesse, ses propres dispositions en vue de « se sentir », au plus tard le jour de la naissance, un parent « prêt ».
14Ceci signifie notamment de faire en sorte de se sentir bel et bien parent, au plus tôt. Or aux yeux des enquêtés, pour parvenir à intérioriser ce statut et éprouver une certaine assurance en l’endossant, il semble indispensable de rapidement « concrétiser », « personnifier », « humaniser » le fœtus. Et pour ce faire, le moyen privilégié mis en avant est le genre : tout se passe comme si l’information donnée par les médecins concernant le sexe du fœtus produisait tôt dans la grossesse les conditions pour le ranger dans la catégorie des humains. Les hommes notamment – pour lesquels il est socialement plus admis qu’il n’est pas naturel de se sentir d’emblée père – développent ce type de récits, tel Éric (fonctionnaire, chargé de mission, fille-fils) : « J’avais du mal à concevoir de le voir à l’écran sans savoir si c’était un garçon ou une fille. Voilà, j’avais envie d’aller au bout et de savoir le sexe. […] Tout de suite, pour moi, le fait de savoir si c’était un garçon ou une fille, à chaque fois, et ça a été plus fort la première fois, bien sûr, parce que c’est le premier enfant, ça humanise, ça a humanisé… ce fœtus. Pour moi, c’est une autre dimension de savoir que c’est un garçon ou une fille, ça l’a rendu encore plus vivant et concret ». De même, pour Hervé (cadre dans le privé, activité de conseil, fils-fille), il ne suffit pas d’attendre un bébé neutre pour endosser le rôle de père ; connaître le sexe « aide à entrer dans le rôle de papa et de maman de nos enfants… […] Je pense que je me suis senti père à ce moment-là en fait. Quand je l’ai vue à l’écran et quand j’ai su que c’était une fille, alors aussi parce que j’étais très content, mais tout de suite il y a quelque chose qui a changé en moi, je me suis vraiment senti père à ce moment-là je crois ». Bien des mères de notre enquête, elles aussi, dénaturalisent la supposée évidence qu’il y aurait à endosser d’emblée le statut de mère, et pour elles aussi il semble que l’annonce du sexe du fœtus corresponde à un moment clé pour modeler leurs dispositions en ce sens.
15On le voit, l’inscription précoce du futur bébé dans une catégorie de sexe et dans des rapports de genre est présentée comme se réalisant au nom de l’appartenance commune à l’humanité des filles et des garçons. Dans le même temps, cette opération précoce de catégorisation ne se contente pas d’opposer le même au différent, elle participe déjà de la socialisation genrée des filles et des garçons qui vont naître.
Savoir, pour se préparer au genre
16Les incitations normatives au travail de préparation de soi vont plus loin. Il s’agit non seulement de faire en sorte de se sentir rapidement parents, mais encore, pour être des parents « aimants », de se sentir rapidement des parents « satisfaits », « enthousiastes » même, à l’idée d’accueillir leur enfant, tel qu’il sera. Cet enthousiasme n’est pas naturalisé par ces enquêtés et, avec souvent force réflexivité, ils soulignent comment ce sentiment se travaille, se construit. Quelques parents ont eu à affronter des annonces de risques de maladie ou de handicap et à focaliser leur travail d’ajustement sur cette dimension. Mais chez la plupart, le travail d’ajustement est avant tout décrit comme étant à réaliser autour du sexe de l’enfant. Dans cette période d’attente d’un enfant, saturée d’émotions, celles-ci sont centrales dans ce travail de préparation de soi. Si les dimensions émotionnelles sont parfois considérées comme un objet limite pour la sociologie, elles s’inscrivent pourtant dans des rapports sociaux [21] et tout particulièrement, pour notre propos, dans des rapports sociaux de sexe.
17Les cas de déception à l’annonce du sexe sont particulièrement révélateurs. Ces cas ne sont pas rares, puisque la plupart des parents ont, de façon plus ou moins marquée, développé une préférence pour un enfant de l’un des deux sexes (nous y reviendrons plus loin). Lorsque cette préférence est contrariée, il s’agit de profiter du temps de la grossesse pour faire sien le verdict de l’échographie, se projeter dans une situation et dans une relation autres que celles espérées, convertir la déception en joie, et produire un discours sur le chemin parcouru et sur la rapidité de la conversion. Rachel (cadre dans le privé, informaticienne, fils-fille), déjà mère d’un garçon et qui souhaite à présent une fille, ne voulait « surtout pas prendre le risque d’être déçue au moment de la naissance. Sachant qu’en général ce temps de déception ne dure pas très longtemps, mais il faut quand même après s’adapter au fait que, ben voilà, ce ne sera pas une fille, ce sera un garçon, et puis voilà. Et pour Enzo c’est ce qui s’est passé, il m’a fallu… ça m’a pas pris 15 ans mais… mais j’ai trouvé que c’était une bonne chose d’avoir un peu de temps pour me préparer à ce que ce soit un petit garçon ». Julie (cadre dans le public, chargée d’études, deux fils), qui pourtant avait envisagé de ne pas connaître à l’avance le sexe de ses enfants, relate aussi sa réaction à l’annonce du sexe de son deuxième enfant : « J’ai mis l’après-midi pour me dire que c’était pas une fille et que c’était dommage, mais que j’étais contente ». Après la déception, la préférence contrariée donne lieu à tout un travail de réélaboration d’arguments positifs pour s’accorder avec cette nouvelle donne. L’essentiel est que ce cheminement se fasse avant la naissance, et qu’il soit par la suite décrit comme s’étant fait aisément et rapidement.
18Les mères sont les plus prolixes à ce sujet durant les entretiens. Mais plusieurs pères évoquent également ce travail d’ajustement après l’annonce du sexe du fœtus. Certains explicitent le processus de conversion, comme Éric (fonctionnaire, chargé de mission) qui, père d’une première fille, en aurait voulu une seconde : à l’annonce d’un garçon, il a fait « la moue, mais quelques secondes », avant de se dire qu’il était « super content ». Les mères ne sous-estiment pas ces possibles phases de déception paternelle. Sophie (cadre dans le public, chargée de mission, fils-fille) a ainsi préféré connaître le sexe de son aîné tant elle redoutait le désappointement de Sergio : « Alors, pour le premier, je voulais pas savoir, mais alors Sergio voulait tellement une fille que je me suis dit mon Dieu, si c’est un garçon à l’accouchement, il va vraiment être déçu, alors on va demander le sexe du bébé, comme ça il a pu faire une préparation ». De son côté, Sergio (fonctionnaire, conservateur de bibliothèque) présente la situation d’un point de vue beaucoup plus distancié : « J’aurais voulu une fille et donc c’était un garçon. C’était très bien mais c’était pas ma préférence […] j’étais pas déçu, mais c’était juste une préférence ». Ses postures sont peut-être à rapporter à une socialisation masculine favorisant plus ou moins l’explicitation des sentiments [22].
19Pour chacun des enquêtés, être prêt à accueillir un bébé dans de bonnes conditions, c’est avoir travaillé ses propres dispositions, converti son éventuelle déception en acceptation et même en satisfaction, pour se réjouir de son arrivée, l’accepter tel qu’il est, être heureux de ce qu’il est, fille ou garçon, et se sentir mère ou père d’un fils ou d’une fille. Ces processus d’apprentissage et de conversion rappellent les processus décrits par Becker [23] : durant les quelques mois restant entre l’annonce du sexe et le jour de la naissance, donc dans le cadre d’une contrainte temporelle forte, ces futurs parents s’engagent dans une (rapide) carrière de modelage de leurs dispositions, et notamment de leurs goûts.
Préférences de sexe et représentations genrées
20Connaître le sexe avant la naissance est loin d’être un acte de « pure curiosité » comme l’affichent volontiers les parents. C’est une démarche pour se préparer comme parent et pour préparer l’arrivée du bébé. C’est une façon de limiter l’incertitude et de se comporter en bons parents, en parents responsables, autrement dit d’exclure l’improvisation. Cette volonté de connaissance nous informe aussi de la non-indifférence des parents quant au sexe de leurs enfants.
Discours d’indifférence et préférences de fait
21La préférence pour le sexe des enfants à naître est le plus souvent mesurée en fonction de la composition sexuée de la fratrie déjà née : par exemple, les parents de deux filles ont-ils plus souvent un troisième enfant que les parents de deux garçons ? On sait qu’en France et plus largement dans un certain nombre de pays d’Europe du Nord, les couples aspirent à avoir des enfants des deux sexes plutôt qu’ils ne privilégient un sexe sur un autre [24]. En dépit des biais liés à l’interrogation rétrospective et au caractère implicitement normatif de la question, les résultats de l’enquête ELFE sont intéressants. La majorité des femmes et des hommes interrogés au 2e mois de l’enfant, disent ne pas avoir eu de préférence sur le sexe de l’enfant qu’ils attendaient. Par exemple, dans le cas du 2e enfant, 55 % des mères et 57,7 % des pères indiquent n’avoir eu aucune préférence avant sa naissance. Si l’on s’intéresse plus spécifiquement aux enquêtés selon leur niveau de diplôme, en comparant les situations extrêmes (non diplômés d’un baccalauréat ou diplôme supérieur à baccalauréat+2), on constate qu’une indifférence pour le sexe est plus souvent déclarée chez les plus diplômés, ce qui va dans le sens de l’hypothèse d’une plus forte adhésion aux normes d’égalité entre les sexes dans les milieux culturellement dotés : 60,7 % des femmes diplômées n’expriment pas de préférence pour le sexe de leur deuxième enfant, contre 48,1 % des moins diplômées, ces proportions sont respectivement de 65 % et 55 % pour les hommes.
22Ces données statistiques masquent des positions plus ambivalentes et diversifiées dans les discours recueillis lors des entretiens. Tous les cas de figure y sont repérés, de la part des mères comme des pères : indifférence vis-à-vis du sexe lors de l’une des grossesses et préférence lors de l’autre ; préférence systématique pour un sexe ; indifférence à chacune des grossesses. En outre, contrairement aux résultats statistiques, la préférence pour un sexe est plutôt la règle que l’exception, même si les discours tendent souvent à la minimiser, du fait de la référence centrale, aujourd’hui, à l’égalité entre les sexes dans les milieux culturellement dotés. C’est aussi l’injonction à aimer ses enfants quels qu’ils soient qui conduit à un discours contrôlé sur cette question. Aussi, même quand les parents déclarent explicitement une préférence pour un sexe, ou racontent qu’ils se sont imaginés jusqu’à l’annonce du sexe, plutôt avec une fille, plutôt avec un garçon, ils affirment en parallèle que finalement « fille ou garçon, c’est pareil », l’essentiel étant d’avoir un bébé en bonne santé. Ce double discours, insistant à la fois sur préférence et indifférence de sexe, traverse de nombreux entretiens de mères comme de pères.
Entre répétition d’une expérience et idéal de mixité
23Les préférences de sexe évoluent au fil de la constitution de la famille. Le sexe espéré du deuxième enfant, et la justification de cette préférence, dépendent fortement du sexe de l’enfant aîné. Deux situations se dessinent clairement. D’un côté, l’expérience positive vécue avec le premier enfant conduit des parents à souhaiter un deuxième enfant du même sexe. La facilité matérielle liée à la réutilisation de la garde-robe, à la possibilité (qui leur apparaît plus grande) d’installer les enfants dans la même chambre, mais aussi la perspective de remobiliser des compétences acquises en faisant l’économie d’un apprentissage spécifique lié au sexe du nouvel enfant, par exemple dans le domaine des soins et de la toilette, fondent cette aspiration. Ainsi, Adeline (cadre dans le public, chargée d’études, deux filles) explique qu’avec un garçon « il aurait fallu que j’apprenne des nouveaux gestes ». Préférer avoir deux enfants de même sexe est alors « le choix de la paresseuse » (Pascale, cadre du privé, responsable marketing, fille-fils), qui peut ainsi tout recycler, équipements comme compétences parentales, et renvoie de ce fait à une situation rassurante. Ainsi au-delà des aspects matériels, la partition des préférences entre le féminin et le masculin se joue aussi dans des apprentissages pratiques qui révèlent la construction sociale de ces préférences. D’un autre côté, l’idéal de mixité de la fratrie est également très présent. Au « choix de la paresseuse » se substitue « le choix du roi », selon une expression classique à plusieurs reprises utilisée par nos interlocuteurs. Avoir une expérience parentale avec une fille et avec un garçon est valorisé parce que les parents considèrent que ces deux expériences sont singulières, intrinsèquement différentes et « complémentaires ». Cela contribue à un « équilibre » au sein de la famille nucléaire, voire au sein du couple, chaque membre y trouvant avantage. D’après les données ELFE, cet idéal de mixité se retrouve chez les femmes et les hommes ayant un profil proche de celui de nos enquêtés (en couple, diplômés du supérieur, en emploi, avec deux enfants), mais pondéré par une majorité déclarant ne pas avoir de préférence de sexe. Concernant les femmes, après un premier enfant de sexe masculin, 49 % d’entre elles déclaraient ne pas avoir eu de préférence pour le sexe de l’enfant suivant, 39 % aspiraient à avoir une fille et 10 % à avoir en deuxième un garçon. Après une première fille, les attentes de mixité étaient un peu moins fortes : 58 % des femmes déclaraient ne pas avoir de préférence de sexe pour l’enfant suivant, 30 % voulaient avoir un garçon et 13 % avoir encore une fille.
24Quelle que soit la préférence (fratrie mixte ou mono-sexuée), la tension entre la norme d’égalité entre les sexes et l’aspiration à avoir un enfant d’un sexe donné conduit probablement les mères comme les pères à rationaliser leurs préférences avec des arguments jugés socialement acceptables. Schématiquement, dans les cas d’une aspiration pour les fratries mixtes, il s’agit d’expérimenter la diversité pour enrichir les expériences des parents et des enfants ; c’est la qualité d’une relation entre frère et sœur dégagée des risques de comparaison voire de concurrence avec un semblable, c’est-à-dire un enfant du même sexe, qui est mise en avant. Mais c’est aussi la possibilité de traiter différemment les enfants, au nom d’une différence intrinsèque des sexes, qui rassure les parents. Pascale (cadre dans le privé, responsable marketing, fille-fils) raconte : « Et je suis contente que ce soit un garçon [le deuxième enfant] parce que je me dis que ça va lui permettre de se construire en tant que seule fille [la fille aînée]. Du point de vue comparaison, elle n’aura pas toujours à se… Du coup, on est un peu plus libre aussi dans nos extases, c’est Cyprien, c’est un garçon, c’est pas pareil ! (rires) ». Pour les cas où la préférence va aux fratries mono-sexuées, il s’agit de privilégier l’entente des enfants – en général imaginée par une complicité sinon naturelle, en tout cas plus aisée à construire entre enfants de même sexe. La force des liens entre frères ou entre sœurs est d’emblée affirmée, à la fois pour la période de l’enfance et pour l’âge adulte. Les jeux et les intérêts communs rapprocheraient les enfants de même sexe, et donc faciliteraient leur relation et le travail éducatif des parents. Cette proximité est alors perçue comme une promesse pour les futures relations : « Et j’ai déjà vu que les gens qui avaient des frères et des sœurs de sexe différent, en fait, n’avaient pas plus de liens que ça, alors que les gens qui étaient du même sexe… étaient plus liés » (Géraldine, cadre dans le privé, ingénieure électronique, deux fils).
25Dans l’argumentaire déployé pour expliquer la préférence pour un cadet fille ou garçon, ces parents renvoient non seulement à la composition sexuée de la fratrie de leurs enfants, mais également à celle de leur propre fratrie. Leur expérience pendant l’enfance est souvent convoquée pour justifier leurs préférences. Nous avons rencontré tous les cas de figure : soit vouloir reproduire un modèle expérimenté, avoir une fille car on a eu une sœur avec laquelle on s’entendait bien, soit au contraire, désirer ce qu’on regrette de ne pas avoir connu, avoir une fille car on a manqué d’une sœur. Les relations, ainsi que « l’équilibre », selon l’expression régulièrement rencontrée dans les discours parentaux pour renvoyer à l’équilibre des sexes, sont même pensés à l’échelle de la famille élargie, dans une logique d’économie générale. Le sexe de l’enfant à venir est imaginé en référence à la composition de la famille, surtout dans le cas de « familles à filles » ou « à garçons » : le rééquilibrage est parfois souhaité pour permettre aux grands-parents d’avoir des petits-enfants de chaque sexe, à une nièce d’avoir au moins une cousine… Enfin, il arrive que les préférences pour un sexe ne soient pas argumentées et soient exprimées dans le registre de l’évidence. Mais ce qui semble aller de soi peut conduire à des positions finalement opposées : selon certains enquêtés, les pères aspirent toujours à avoir un fils, pour d’autres, c’est une fille qu’ils désirent : « C’était le premier enfant et que moi papa, peut-être comme beaucoup de papas, je rêvais d’avoir une fille », rapporte Éric (fonctionnaire, chargé de mission, fille-fils), alors que Jean nous dit « Pour le premier, allez, je vais dire que quand on est un garçon on est toujours content d’avoir un garçon » (cadre dans le privé, informaticien, deux fils).
26En fin de compte, au-delà de cette pluralité de préférences, souvent ancrées dans l’histoire personnelle et familiale des parents, et dans l’expérience vécue avec le premier enfant, les discours sont sous-tendus par des représentations très différenciées des filles et des garçons [25], concernant les caractères, goûts, activités des unes et des autres ainsi que les relations que les pères et les mères peuvent avoir avec leur fille ou leur garçon [26]. La complémentarité et l’équilibre des sexes qui tiennent lieu d’argument parental rattachent alors ces représentations différencialistes à une vision naturalisante en termes de caractéristiques masculines et féminines.
Des dispositions masculines et féminines convoquées
27Avoir un fils ou une fille, ce n’est pas du « pareil au même », bien que cette rhétorique soit très courante dans le discours normatif encadrant la volonté d’égalité des sexes. Connaître le sexe enclenche chez les parents une capacité à anticiper très tôt la relation qu’ils partageront avec leur enfant en l’inscrivant dans un rapport socialement sexué, que ce soit dans le rôle éducatif qu’ils auront à tenir – notamment dans les activités ludiques très sexuées qu’ils envisagent avec leurs enfants – ou dans la nature des relations affectives qu’ils anticipent. Ces deux registres particuliers de la contribution très précoce des parents au processus d’assignation sociale à un genre se fondent sur des représentations de chacun des sexes qui, y compris dans ces milieux sociaux favorisés et dans un contexte d’entretiens où le discours reste maîtrisé, tendent à différencier des qualités considérées comme masculines ou féminines. Très classiquement, les filles sont considérées a priori comme plus calmes et faciles et les garçons au contraire plus actifs et bagarreurs. Ainsi, lorsque l’aîné est un garçon, des mères justifient leur préférence pour une fille par leur aspiration à avoir un enfant plus posé. Clarisse (fonctionnaire, traductrice, fils-fille), mère d’un garçon « adorable, mais très speed », a l’espoir « d’avoir une fille un peu plus tranquille ». Ces représentations très courantes peuvent aussi marquer la relation que les parents imaginent au sein de la fratrie. Élise (fonctionnaire, professeur des écoles, fille-fils) se représentait sa fille aînée comme « maternante » à l’égard de son futur petit frère : « Elle est adorable, elle est très câline, mais en même temps elle sait ce qu’elle veut, je pense qu’avec son petit frère, elle sera plutôt maternante ». Après la naissance, ce rôle imaginé s’est selon elle concrétisé dans le comportement de sa fille aînée : « Elle est très maternelle, dès qu’elle l’entend réclamer, elle accourt ». Élise en vient finalement à décrire sa fille comme sa partenaire [27], son double maternel.
28Relevant des mêmes stéréotypes, les différences de « caractère » entre les filles et les garçons sont souvent associées à des goûts et des activités sexuées renvoyant à des univers définis comme féminins ou masculins. Avec une fille, les mères se sentent en terrain plus connu, elles supposent une proximité de goûts et d’activités, et la relation se construit ou devrait se construire autour de la transmission de ces dispositions et pratiques. Françoise (cadre dans le privé, responsable administrative), après avoir eu un garçon, apprécie d’avoir une fille : « Je me dis que c’est bien que j’ai eu une fille ! Parce que je me dis… ça va être un peu différent quand même, je me rends compte que, de plus en plus, mon fils, bon tant qu’il était petit il venait facilement avec moi faire des courses, etc., mais maintenant il est plus porté par des jeux de garçons, donc quand il voit son père bricoler dans le jardin, il a plus envie d’aller avec son père, ce qui est normal parce qu’il aime bien être avec son père. Donc c’est vrai que je me dis avec une fille on aura plus de moments toutes les deux ». La proximité entre mères et filles passe aussi par une réminiscence de l’enfance des mères. Avoir une fille, c’est l’habiller, la coiffer, « jouer à la poupée ». Les pères ont le même type d’attentes avec leur fils. Hervé (cadre dans le privé, activité de conseil, fils-fille) décrit ainsi le partage d’activités qu’il aurait bien voulu renouveler avec un deuxième fils : « Après, il y a eu aussi une petite déception parce que avec Paul ça se passait très bien et pour un papa avoir un garçon c’est génial. En plus, on a une maison, enfin on venait d’emménager dans notre maison quand on a appris qu’on allait avoir une fille. Il m’aidait à faire du bricolage, à passer la tondeuse, etc., donc avoir un deuxième garçon je dirai que ça me posait aucun problème, bien au contraire parce que c’était la poursuite de ce qu’on faisait avec Paul et donc, en plus deux garçons, ça passe forcément bien quoi ». Même dans le cas de mères qui se sentent plus éloignées de l’univers supposé féminin, on retrouve un ordre pratique des choses qui amorce la construction précoce des rapports de sexe. En effet, le refus exprimé par certaines mères des stéréotypes sexués les plus répandus ne les détache pas de schèmes de perception et d’action organisés autour de la division sociale entre les sexes. C’est le cas de Delphine (cadre dans le privé, responsable de la formation) ravie d’avoir deux garçons (« Ah super ! J’ai jamais été très poupées, ni… donc moi, deux petits garçons… ») et qui, tout en soulignant sa propre transgression de genre – elle est une fille mais elle n’aime pas les poupées –, réifie les stéréotypes de sexe, voire les durcit, puisqu’elle ne conçoit pas que ses fils puissent jouer à la poupée. La tension entre refus et soumission aux stéréotypes de genre joue à plein et borne d’emblée l’espace des possibles de la socialisation enfantine.
29Certes, les représentations des caractères féminins et masculins, les communautés de goûts, les possibilités de transmissions, les anticipations de relations et de rôles sont parfois mises à distance par des mères qui reconnaissent, par exemple, que les filles peuvent être turbulentes ou qui se demandent si leur cadette est plus calme du fait de son sexe ou bien de son rang dans la fratrie. Il reste que le milieu social où nous avons enquêté n’échappe pas à une conception des rapports sociaux entre femmes et hommes façonnée par des stéréotypes de genre fondés sur une représentation naturalisante des dispositions féminines et masculines.
30Notre enquête montre comment dans ces familles plutôt bien dotées en capitaux culturels et économiques, le genre se trouve au cœur de la préparation de l’arrivée des bébés, et ce sous au moins trois dimensions. Nous avons ainsi repéré un travail de préparation du genre, à travers des préparatifs (chambre, vêtements, choix du prénom notamment) qui, en s’appuyant sur des représentations traditionnelles du masculin et du féminin, s’ajustent au sexe annoncé du bébé en même temps qu’ils participent déjà à sa socialisation de genre. Il s’agit aussi d’un travail de préparation par le genre puisque, pour travailler à se sentir parents, un point d’appui central des enquêtés s’avère être l’anticipation des dimensions genrées de l’éducation et des relations à venir avec l’enfant. Il s’agit enfin d’un travail de préparation au genre du bébé, qui permet aux parents de dépasser leurs éventuelles préférences pour un sexe ou un autre et de se préparer ainsi à aimer devenir père et mère d’une fille ou d’un garçon, en travaillant leur satisfaction [28].
31Ce faisant, l’enquête montre clairement combien dans ces familles la socialisation sexuée est un processus continu qui s’enclenche très tôt, dès avant la naissance. Attendre une fille ou un garçon n’est pas « du pareil au même », et dès l’attente de la naissance, ces parents enquêtés construisent des schèmes éducatifs genrés. Ces schèmes sont compliqués à saisir car ils se concrétisent dans une multitude d’actions, parfois d’apparence anodine, et sont largement incorporés. Surtout, ils intègrent des éléments en tension (normes de différenciation et d’égalité), en se fondant sur des raisonnements, des représentations et des actes qui pour partie semblent renvoyer à la perception d’une évidente singularité féminine et d’une évidente singularité masculine, mais qui dans le même temps semblent mettre à distance les stéréotypes de sexe les plus classiques. De plus, si la division des sexes est quelquefois mise en mot dans ces familles, le caractère hiérarchisé des rapports entre les sexes reste, quant à lui, non-dit voire non perçu. Or, derrière les discours sur la complémentarité des dispositions masculines et féminines porteuse d’équilibre au sein des familles, se déroulent des processus de différenciation qui distribuent et attribuent aux filles ou bien aux garçons des qualités et des goûts qui ne sont pas valorisés de la même manière dans l’espace social [29].
32Il reste maintenant à analyser de près les fines variations qui existent d’une fraction sociale à l’autre dans la façon de « se débrouiller » avec toutes les injonctions contradictoires existant autour de ces processus de socialisation sexuée précoce. Tout comme il sera nécessaire d’étudier précisément les formes concrètes – jusqu’alors peu connues – que prend la socialisation sexuée aux premiers temps de la vie de l’enfant dans les différents milieux sociaux [30].
Notes
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[1]
Emmanuelle Berthiaud, « “Attendre un enfant” : vécu et représentation de la grossesse aux XVIIIe et XIXe siècles (France) », thèse de doctorat d’histoire moderne et contemporaine, Amiens, Université de Picardie Jules Verne, 2011 ; Jacques Gonzalez, « Le sexe de l’enfant à venir », in René Frydman et Myriam Szejer (dir.), La Naissance. Histoire, cultures et pratiques d’aujourd’hui, Paris, Albin Michel, 2010, p. 622-626 ; Yvonne Knibielher et Catherine Fouquet, Histoire des mères, Paris, Montalba, 1977 ; Mireille Laget, Naissances. L’accouchement avant l’âge de la clinique, Paris, Seuil, 1982 ; Catherine Rollet et Marie-France Morel, Des bébés et des hommes. Traditions et modernité des soins aux tout-petits, Paris, Albin Michel, 2000.
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[2]
L’échographie, technique mise au point et développée à partir du début des années 1970, est actuellement la principale méthode de pronostic prénatal du sexe. D’autres méthodes existent comme l’amniocentèse, l’analyse du sang maternel ou l’analyse du trophoblaste. On ne discute pas dans cet article du pronostic prénatal du sexe pour cause médicale.
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[3]
Carine Vassy, « De l’innovation biomédicale à la pratique de masse : le dépistage prénatal de la trisomie 21 en Angleterre et en France », Sciences sociales et santé, 29(3), 2011, p. 5-32.
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[4]
Dans quelques cas, rares, l’assignation d’un sexe s’avère problématique durant la grossesse, et même quelquefois après la naissance. Nous ne traiterons pas de ces cas dans cet article (voir chapitre 4 in Ilana Löwy, L’Emprise du genre. Masculinité, féminité, inégalité, Paris, La Dispute, 2006).
-
[5]
Arnaud Régnier-Loilier, Avoir des enfants en France. Désirs et réalités, Les cahiers de l’Ined, 159, 2007 ; Magali Mazuy, « Avoir un enfant : être prêts ensemble ? », Revue des sciences sociales, 41, 2009, p. 30-41.
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[6]
Ce volet qualitatif est conçu comme une étape compréhensive préalable à l’analyse des données statistiques de l’enquête ELFE (Étude longitudinale française depuis l’enfance) à laquelle les auteures sont associées. Cette enquête suit pendant plusieurs années une cohorte de plus de 18 000 enfants nés en 2011.
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[7]
Ce volet de la recherche a bénéficié du soutien financier de l’ANR dans le cadre du programme de recherche « Venir au monde » (responsable scientifique : Bertrand Geay) et de la CNAF, pour le projet « Production et réception parentales des normes de genre : les mères et les pères face à leurs bébés filles et garçons » (responsable scientifique : Olivia Samuel). L’enquête de terrain est réalisée par les auteures de l’article et Marie Mengotti.
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[8]
Martine Court, Corps de filles, corps de garçons : une construction sociale, Paris, La Dispute, 2010 ; Sylvie Cromer, Sandrine Dauphin et Delphine Naudier, « L’enfance, laboratoire du genre », Cahiers du genre, 49, 2010, p. 5-14 ; Michèle Ferrand, Féminin, Masculin, Paris, La Découverte, 2004.
-
[9]
Les termes en italique et entre guillemets renvoient à des propos d’enquêtés.
-
[10]
Pour une analyse de la « disponibilité permanente » des mères et de la « structure temporelle » du travail domestique, au-delà de l’idée de « double journée » des femmes, voir l’ouvrage précurseur de Danielle Chabaud-Rychter, Dominique Fougeyrollas-Schwebel et Françoise Sonthonnax, Espace et temps du travail domestique, Paris, Méridiens-Klincksieck, 1985.
-
[11]
La situation évolue au fil des mois suivants, la répartition du travail reproductif devenant de moins en moins égalitaire et de plus en plus source de tensions, y compris parmi les couples les plus égalitaires au départ.
-
[12]
Nous avons donné aux conjoints de chaque couple des prénoms fictifs ayant une initiale commune : Clément et Clarisse, Sergio et Sophie, etc. Les professions des enquêtés et les prénoms des enfants ont été également anonymisés.
-
[13]
L’indication sur le sexe des enfants de l’enquêté-e est présentée dans l’ordre de naissance, ici un fils suivi d’une fille.
-
[14]
Pour une approche détaillée de ces préparatifs sexués de la naissance, voir Olivia Samuel, Sara Brachet, Carole Brugeilles, Anne Paillet, Agnès Pélage et Catherine Rollet, « Préparer la naissance : une affaire de genre », Politiques sociales et familiales, 116, 2014, p. 5-14. Voir également sur cette question Véronique Rouyer et Chantal Zaouche-Gaudron « La socialisation des filles et des garçons au sein de la famille : enjeux pour le développement », in Anne Dafflon Novelle (dir.), Filles-garçons. Socialisation différenciée ?, Grenoble, PUG, 2006, p. 27-54.
-
[15]
Catherine Rollet et Agnès Pélage, « Préparer une chambre pour l’enfant à venir, un enjeu de genre ? », Strenæ [revue en ligne], 7, 2014, p. 1-10, http://strenae.revues.org/1194.
-
[16]
Laure Bereni, Sébastien Chauvin, Alexandre Jaunait et Anne Revillard, Introduction aux études sur le genre, Paris, De Boeck, 2012, p. 12.
-
[17]
Voir Christine Delphy « Penser le genre : problèmes et résistances », in Christine Delphy, L’Ennemi principal, t. 2, Penser le genre, Paris, Syllepse, 2001, p. 243-260 ; Christine Delphy, « Penser le genre : quels problèmes ? », in Marie-Claude Hurtig, Michèle Kail et Hélène Rouch (dir.), Sexe et genre. De la hiérarchie entre les sexes, Paris, CNRS Éd., 2002, p. 89-101.
-
[18]
Sur la préparation du prénom par exemple, voir Philippe Besnard et Guy Desplanques, Un prénom pour toujours. La cote des prénoms, hier, aujourd’hui et demain, Paris, Balland, 1986 ; Baptiste Coulmont, Sociologie des prénoms, Paris, La Découverte, 2011.
-
[19]
Pierre Bourdieu, La Domination masculine, Paris, Seuil, 1998.
-
[20]
Muriel Darmon, Devenir anorexique. Une approche sociologique, Paris, La Découverte, 2003.
-
[21]
Alban Bensa, « Sociologie et histoire des sentiments », Genèses, 9, 1992, p. 150-163 ; Ruwen Ogien et Patricia Paperman (dir.), « La couleur des pensées. Sentiments, émotions, intentions », Raisons pratiques, 6, 1995.
-
[22]
Georges Falconnet et Nadine Lefaucheur, La Fabrication des mâles, Paris, Seuil, 1975.
-
[23]
Howard S. Becker, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 1985 [1963].
-
[24]
Gunnar Andersson, Karsten Hank, Marit Rønsen et Andres Vikat, “Gendering family composition: sex preferences for children and childbearing behavior in the Nordic countries”, Demography, 43(2), 2006, p. 255-267.
-
[25]
Des psychologues ont montré depuis longtemps que les parents décrivaient leur nourrisson et interagissaient avec lui de façon différente selon son sexe, voir par exemple Jeffrey Z. Rubin, Frank J. Provenzano et Luria Zella, “The eye of the beholder: parents’ view on sex of newborns”, American Journal of Orthopsychiatry, 44(4), 1974, p. 512-519.
-
[26]
Pour un cadre interprétatif des préférences de sexe à un niveau plus macrosociologique voir Hilke Brockmann, “Girls preferred? Changing patterns of sex preferences in the two German states”, European Sociological Review, 17(2), 2001, p. 189-202 ; Karsten Hank, “Parental gender preferences and reproductive behaviour: a review of the recent literature”, Journal of Biosocial Science, 39(5), 2007, p. 759-767.
-
[27]
C’est ce type d’observation que fait Marie Duru-Bellat quand elle souligne qu’au travers des pratiques éducatives différenciées entre les sexes « les filles sont considérées comme des partenaires à part entière quand il s’agit de répartir les tâches familiales », voir Marie Duru-Bellat, L’École des filles. Quelle formation pour quels rôles sociaux ?, Paris, L’Harmattan, 2004 [1990].
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[28]
On retrouve le processus décrit par Lesley Larkin à propos de la détermination anténatale du sexe qu’elle considère comme un dispositif essentiel au cœur d’une entreprise de discipline qui produit « d’authentiques garçons et filles » mais aussi « d’authentiques mères » « préparées » à produire des identités de genre pour leurs enfants à naître. Mais, sur ce point, notre enquête nous permet d’aller au-delà, en indiquant que ce processus est également visible à travers l’expérience de parents qui ne connaissent le sexe de leur enfant qu’au moment de la naissance et d’étendre l’analyse à la « préparation » des pères des futurs bébés. Voir Lesley Larkin, “Authentic mothers, authentic daugthers and sons: ultrasound imaging and the construction of fetal sex and gender”, Canadian Review of American Studies, 36(3), 2006, p. 273-291.
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Nos observations sur la socialisation précoce rejoignent celles d’Annette Langevin sur les adolescents, reprises par Muriel Andriocci (« Entre colère et distance : les “études féministes” à l’université », L’homme et la société, 158, 2005, p. 73-93) à propos d’un article d’Annette Langevin, « Frères et sœurs. Approches par les sciences sociales », in Yannick Lemel et Bernard Roudet (dir.), Filles et garçons jusqu’à l’adolescence. Socialisations différentielles, 1999 : « Annette Langevin montre par ailleurs comment les familles, à travers l’éducation des frères et sœurs, tentent de gommer les fondements inégalitaires du genre tout en maintenant parallèlement sa légitimité en tant que système de différenciation des individus et comment, ce faisant, elles participent à la reproduction des normes hiérarchisant le masculin et le féminin dans le cadre de principes (discursifs) égalitaires ».
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Sur la façon dont « la segmentation de la socialisation selon le sexe de l’enfant ne peut être dissociée de la forme qu’elle prend dans les différentes classes sociales », voir Jean-Claude Passeron et François de Singly, « Différences dans la différence. Socialisation de classe et socialisation sexuelle », Revue française de sciences politiques, 1, 1984, p. 48-78 et en particulier p. 65.