Couverture de ARSS_195

Article de revue

Attention, un espace peut en cacher un autre

Pages 112 à 121

Notes

  • [1]
    On pense en particulier aux travaux de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot qui, des ouvrages relevant directement de la sociologique urbaine (sur Paris notamment) à ceux sur la grande bourgeoisie française, ne manquent jamais d’intégrer l’espace à leurs analyses. Mais nombre d’autres travaux pourraient être ici mentionnés, de Patrick Champagne ou Christophe Charle à Loïc Wacquant, Franck Poupeau, Sylvie Tissot, Choukri Ben Ayed, etc.
  • [2]
    Plusieurs textes à visée théorique et programmatique ont été produits par des chercheurs s’inscrivant pleinement dans la démarche bourdieusienne : Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, « De l’espace social à l’espace urbain. utilité d’une métaphore », Les Annales de la recherche urbaine, 64, 1994, p. 51-53 ; Christian de Montlibert, « Une relation bijective : espace social, espace aménagé », Regards sociologiques, 25-26, 2003 (non paginé) ; Bernard Michon et Michel Koebel, « Pour une définition sociale de l’espace », in Pernette Grandjean (dir.), Construction identitaire et espace, Paris, L’Harmattan, coll. « Géographie et Cultures », 2009, p. 39-59.
  • [3]
    Voir Joe Painter, “Pierre Bourdieu”, in Mike Crang et Nigel Thrift (dir.), Thinking Space, Londres/New York, Routledge, 2000, p. 239-259.
  • [4]
    Plus généralement, les chercheurs français sont, à quelques exceptions près, passablement absents. Une explication est sans doute à chercher dans la domination et donc l’enfermement linguistiques des anglophones. Tout se passe en effet comme si le domaine du lisible se réduisait aux textes écrits en anglais : sur plus de deux cents références bibliographiques, on n’en trouve guère qu’une ou deux qui soient en français (et qui sont aussi les seules à ne pas être en anglais). Au moins y a-t-il un article de Bourdieu, mais cela signifie que la quasi-totalité de ses textes non traduits sont restés hors discussion ! Ce qui n’est pas sans avoir des effets fâcheux, présentés ci après.
  • [5]
    Précisons qu’il est impossible de savoir quel est l’apport de l’auteur dans la production de ces matériaux et analyses empiriques. Étant donnée sa profession, on peut raisonnablement penser qu’il n’y en a pas, ou qu’il se réduit à commenter ou compléter les enquêtes et analyses des chercheurs cités.
  • [6]
    “I discuss each of these developments in Bourdieu’s thinking in turn with the goal of collecting each component of his general theory of spatial practice.” Toutes les traductions, et leur approximation, sont de mon fait [Fabrice Ripoll].
  • [7]
    On s’étonne au passage de rencontrer une telle expression car, à ma connaissance, ce genre de « théorie » n’a jamais été une ambition déclarée de Bourdieu et l’expression même de « pratique spatiale » est absente de ses textes. Et pour cause : on ne voit pas bien ce que serait une pratique spatiale qui ne soit pas une pratique sociale, et inversement une pratique sociale qui n’aurait pas de dimension spatiale. Sans doute est-ce plutôt une proposition de Fogle lui-même, mais la notion n’est malheureusement pas définie.
  • [8]
    Pierre Bourdieu, Le Sens pratique, Paris, Minuit, coll. « Le sens commun », 1980, p. 22.
  • [9]
    Pierre Bourdieu, « Célibat et condition paysanne », Études rurales, 5-6, 1962, p. 32-135 ; Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad, Le Déracinement. La crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie, Paris, Minuit, coll. « Documents », 1964.
  • [10]
    Mais qui ont en commun de ne pas avoir été traduits en anglais… Notons qu’il cite plus loin dans le chapitre la traduction de la dernière partie de « Célibat et condition paysanne », publiée en 2004 dans la revue Ethnography sous le titre « The peasant and his body » (5(4), p. 579-599), mais de façon très incidente et sans consulter la version intégrale de ce très long article. Étonnamment, ce même numéro comprend aussi la traduction d’un article co-écrit avec Abdelmalek Sayad (publié dans Études rurales en 1964) et qui présente les grandes lignes du Déracinement (Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad, “Colonial rule and cultural sabir”, Ethnography, 5(4), 2004, p. 445-486), mais l’auteur passe malgré tout à côté.
  • [11]
    Helena Webster, Bourdieu for Architects, New York, Routledge, 2011.
  • [12]
    Bourdieu date lui-même l’écriture de l’article de 1963 (Le Sens pratique, op. cit., p. 22), mais Helena Webster (op. cit.) renvoie à un document ronéotypé, intitulé Deux essais sur la société kabyle : le sentiment de l’honneur dans la société kabyle ; La maison kabyle ou le monde renversé, daté de 1960 !
  • [13]
    “[…] space functions as an instrument of social reproduction.”
  • [14]
    “Since the Kabyle do not possess an elaborate written language, the built environment plays a more prominent role in this process.”
  • [15]
    “Bourdieu’s point in elaborating these associated oppositions, however, is not simply that the arrangement of the house is symbolic of gendered power relations. Instead, the point is that the individual’s bodily occupation and use of the space of the house constitute practices that continuously rearticulate the structural whole, including the distinction between male and female power roles.”
  • [16]
    “Habitus that has been adjusted in this way to function within a socially structured physical space makes the practical engagement of the individual with his or her world seems entirely natural. Conscious reflection on one’s physical space may not be enough to break the spell of this naturalization […]”.
  • [17]
    Fabrice Ripoll, « Éléments sur la place de l’espace dans la sociologie de Pierre Bourdieu », communication au colloque international : Trente ans après « La Distinction »/Thiry years after “Distinction”, organisé par l’OSC et le CESSP, Paris, INHA/ministère de la Culture, 4-6 novembre 2010, à paraître.
  • [18]
    “The most explicit statement of the role of physical space in the structuring of social power is given in the section entitled, ‘Site effects’, authored by Bourdieu himself.”
  • [19]
    […] both site and place are determined by the structure of social place, and the particular ways in which different forms of capital affect these variables depends on the details of the particular case.”
  • [20]
    “It would not be unreasonable to hypothesis from this case that site is more closely linked to cultural capital than place or bulk.”
  • [21]
    “Certain individuals and groups with enough economic and cultural capital have the power to impose their own vision of the social world on the ground.”
  • [22]
    “Every site must be said to be associated with a certain amount of, shall we say, ‘positional capital’, which is not a fixed magnitude but is determined in relation to its rank in the order of positions.”
  • [23]
    Pierre Bourdieu, « effets de lieu », in Pierre Bourdieu (dir.), La Misère du monde, Paris, Seuil, 1993, p. 165, souligné par l’auteur.
  • [24]
    Fogle veut surtout défendre la pensée de Bourdieu comme relationnelle et plus encore comme « non linéaire » : elle ne se contente pas d’additionner des relations prises en compte séparément (parce que les représentations des agents diffèrent les unes des autres du fait de positions différentes, et qu’il existe une multiplicité de capitaux irréductibles les uns aux autres) et s’impose la réflexivité (le chercheur faisant partie du monde social qu’il étudie, il doit s’objectiver).
  • [25]
    “Such a separation necessarily falsifies the essential nature of the phenomena, namely that the two process are coupled, but is helpful in temporarily limiting the problem so that some of its fine-grained structure can be revealed.”
  • [26]
    “The body incorporates the structures of Kabyle cosmology and agriculture, as well as the structures of gendered power relations, via the divisions of the house, the village, and the orientations of the body within those spaces.”
  • [27]
    P. Bourdieu, Le Sens pratique, op. cit., p. 129, traduit in Pierre Bourdieu, The Logic of Practice, Stanford, Stanford University Press, 1992, p. 76.
  • [28]
    “In other words, the habitus appropriates social structures in physical space. It is of great importance that this appropriation takes place in bodily movements and practices, because as such the social structures appropriated never command the explicit attention of the agent. They are always acquired in the course of doing other things.”
  • [29]
    Bill Hillier et Julienne Hanson, The Social Logic of Space, Cambridge, Cambridge University Press, 1989.
  • [30]
    “[…] if physical space is social space objectified, the sites in the physical space are capital materialized.”
  • [31]
    “There are also profits of visibility, by which I mean arrangement of space to either encourage or prevent the visibility of places, of paths, or of people.”
  • [32]
    Voir entre autres Jacques Lévy, « Capital spatial », in Jacques Lévy et Michel Lussault (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 2003, p. 124-126.
  • [33]
    “This term, of my own coinage, refers to any form of capital objectified in physical space that is in principle exchangeable for other forms, and which constitutes a scarce resource within society. Sundin employs a similar term, ‘spatial symbolic capital’, which may imply a narrower signification.” Voir Mats Sundin, “Bra läge men dåligt rykte. En jämförande historisk studie av tre stadsdelar i Borås, Eskilstuna och Gävle [Good location but bad reputation. A comparative historical study of three city sections in Borås, Eskilstuna and Gävle]”, PhD diss., Uppsala, Uppsala University, 2008.
  • [34]
    Pierre Bourdieu, « Les trois états du capital culturel », Actes de la recherche en sciences sociales, 30, novembre 1979, p. 3-6.
  • [35]
    Pour une discussion déjà ancienne de ces questions, voir Fabrice Ripoll et Vincent Veschambre, « Sur la dimension spatiale des inégalités : contribution aux débats sur la “mobilité” et le “capital spatial” », in Samuel Arlaud, Yves Jean et Dominique Royoux (dir.), Rural-Urbain. Nouveaux liens, nouvelles frontières, Rennes, PUR, coll. « Espace et territoires », 2005, p. 467-483. Pour une exploration empirique de la dimension spatiale des ressources sociales à partir de la question de la mobilité et du concept de « capital d’autochtonie », voir Regards sociologiques, 40, 2010.
  • [36]
    “To borrow a phrase from the phenomenologists, physical space is, from the point of view of habitus, always already social.”
  • [37]
    “The intention is simply to flesh out the details of an underdeveloped aspect of Bourdieu’s own view.”
  • [38]
    Pierre Bourdieu, “Physical space, social space and habitus”, Vilhelm Aubert Memorial Lecture, Institutt for Sosiologi og samfunnsgeografi, Rapport 10, Oslo, université d’Oslo, 1996.
  • [39]
    “Every social system should be understood as implicating three general components : social space, physical space and habitus. Leaving one term out entirely always amounts to collapsing the system into an artificial dualism.”
  • [40]
    Fabrice Ripoll, « La dimension spatiale des mouvements sociaux. Essais sur la géographie et l’action collective dans la France contemporaine à partir des mouvements de “chômeurs” et “altermondialistes” », thèse de doctorat, Caen, université de Caen Basse-Normandie, 2005.
  • [41]
    “What I suggest is therefore not a break with Bourdieu’s theoretical framework, but simply a shift in emphasis in what has always been in essence a three-term model.” Passons sur cette autre probable manifestation du pli conféré à cette analyse par l’habitus philosophique de l’auteur, qui consiste à chercher une « essence » dans le cadre théorique de Bourdieu quand ce dernier a toujours revendiqué l’idée de processus jamais achevé, de travail en perpétuelle redéfinition au gré des nouvelles analyses empiriques.
  • [42]
    “Thus, in his analysis of the Kabyle culture, for example, physical space plays a prominent role, whereas in his study of the French academy, it can be omitted.”
  • [43]
    “This shift is necessary for the application of Bourdieu’s theory to problems in architecture and geography (addressed in Chapters 4 and 5).”
  • [44]
    Voir, entre autres, Patrice Caro et Rémi Rouault, Atlas des fractures scolaires en France. Une école à plusieurs vitesses, Paris, Autrement, coll. « Atlas Monde », 2010 ; Franck Poupeau et Jean-Christophe François, Le Sens du placement. Ségrégation résidentielle et ségrégation scolaire, Paris, Raisons d’agir, coll. « Cours et travaux », 2008.
  • [45]
    “[…] in order to construct a Bourdieuian model of the interaction between social space and physical space […]”
  • [46]
    Henri Lefebvre, La Production de l’espace, Paris, Anthropos (Economica), 2000 [1re éd. 1974].
  • [47]
    “[…] this chapter deals with the role of physical space in Bourdieu, that is, with concrete and corporeally occupied space, the kind of space we build, inhabit and interpret.”
  • [48]
    “Panofsky localizes the effects of this regime to a radius of one hundred miles around Paris, where the majority of the influential schools were clustered.”
  • [49]
    Pour une réflexion programmatique en géographie sociale, voir Vincent Veschambre, « Dimension, un mot parmi d’autres pour dépasser la dialectique socio-spatiale », ESO. Travaux et documents de l’UMR 6590, 10, 1999, p. 83-87 et « Penser l’espace comme dimension de la société. Pour une géographie sociale de plain-pied avec les sciences sociales », in Raymonde Séchet et Vincent Veschambre (dir.), Penser et faire la géographie sociale. Contribution à une épistémologie de la géographie sociale, Rennes, PUR, 2006, p. 211-227. Du côté de la sociologie, voir notamment Jean-Yves Authier, Espaces et socialisation. Regards sociologiques sur les dimensions spatiales de la vie sociale, Sarrebruck, Éd. universitaires européennes, 2012.
  • [50]
    F. Ripoll, « La dimension spatiale des mouvements sociaux… », op. cit.
  • [51]
    “Social space is conceived of as a finite space.”
  • [52]
    Champ dont l’autonomie même relative est mise en question par Michel Koebel (voir « De l’existence d’un champ politique local », Cahiers philosophiques, 119, 2009, p. 24-44).

À propos de Nikolaus Fogle, The Spatial Logic of Social Struggle. A Bourdieuian Topology, Plymouth, Lexington Books, 2011, 195 p.

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Couverture de l’ouvrage de Nikolaus Fogle, The Spatial Logic of Social Struggle. A Bourdieuian Topology, Plymouth, Lexington Books, 2011, 195 p.

1Disons-le sans détour : la publication du livre de Nikolaus Fogle, The Spatial Logic of Social Struggle. A Bourdieuian Topology, est une occasion manquée. Celle de combler un vide éditorial, si ce n’est intellectuel. Alors que de nombreux ouvrages sont parus sur les recherches et propositions théoriques de Bourdieu, en particulier depuis sa mort (qui a visiblement débloqué certaines peurs ou préventions, ainsi que des critiques plus souvent acerbes que fondées...), aucun n’avait été jusque là entièrement consacré à la question de l’espace (physique, géographique). Il existe certes des travaux empiriques parfois importants [1], quelques textes de facture théorique ou programmatique [2], ainsi qu’une analyse retraçant les usages de Bourdieu en géographie et la place de l’espace dans ses travaux [3] – qui semblent les uns et les autres étonnamment inconnus de l’auteur [4]. Mais les premiers ne s’aventurent pas vraiment à théoriser la place de l’espace dans la détermination des pratiques sociales et des rapports sociaux, les seconds ne sont pas très développés et la troisième est encore un acte isolé. Il manquait donc incontestablement un ouvrage ambitionnant de traiter et rassembler ces axes de réflexion de façon systématique et développée, afin de dégager de nouvelles pistes de recherche et d’analyse. Et c’est ici que le bât blesse.

2L’ouvrage a certes le mérite d’être globalement facile d’accès et d’avoir un plan particulièrement clair et a priori systématique. Un premier chapitre présente le concept d’espace social, dont les principaux inspirateurs sont présentés en appendice, et ce faisant prend l’apparence d’une introduction générale à la sociologie de Bourdieu ici requalifiée de « topologie sociale » (sans pouvoir remplir réellement cette fonction du fait, notamment, de cette centration sur l’approche « topologique »). Le second chapitre fait de même avec « les structures de l’espace physique ». Le troisième met ces deux types d’espaces en relation « dialectique », en analysant successivement la structuration de l’espace social par l’espace physique puis sa réciproque. Les deux derniers chapitres ont quant à eux le statut d’illustration, si ce n’est d’application, de ce que cette mise en relation peut produire à travers deux exemples d’analyses empiriques portant, l’une sur les transformations sociales associées aux processus de « destruction créative dans les centres urbains », et l’autre sur la reproduction de l’ordre social impliquée par « l’architecture déconstructiviste » – l’auteur insistant beaucoup, et avec raison, sur le fait de pouvoir autant travailler sur les changements sociaux que sur les permanences.

3Mais la lecture offre de nombreuses déconvenues, dont une part s’explique sans doute par un certain « tropisme disciplinaire » de l’auteur, en l’occurrence philosophe. À commencer par son ambition déclarée de proposer une « philosophie bourdieusienne de l’espace ». L’expression a en effet de quoi surprendre. Quand on sait à quel point Bourdieu revendiquait et promouvait le statut et le métier de sociologue, le rapprochement des deux premiers termes a tout de l’oxymore… Par ailleurs, on ne saurait reprocher aux références et discussions philosophiques d’être omniprésentes tout au long de l’ouvrage, et d’autant moins que Bourdieu ne manquait jamais une occasion d’y renvoyer, mais elles provoquent certains détours où les travaux de sciences sociales sont paradoxalement peu présents et discutés. Il n’est pas jusqu’au chapitre empirique sur les transformations de l’architecture qui ne traite abondamment des philosophes du fait de leur rôle dans ce champ depuis l’avènement de la « déconstruction » derridienne [5]. Bref, ce tropisme incontestable amenuise le statut de mise au point en direction des sciences sociales que cet ouvrage voudrait ou aurait pu avoir.

4Plus important pour ce qui concerne l’objet spécifique de cette note, c’est la place consacrée à l’espace physique – et plus encore à la dimension spatiale du monde social, expression qui se veut plus large que celle d’espace physique même si elle en est inséparable – qui, au bout du compte, est nettement moins centrale que ce que la lecture du titre pouvait laisser croire. Mais il faut dire que les deux principaux syntagmes qui le constituent, « logique spatiale » et « topologie », sont à prendre dans une double signification : en tant que modèle d’analyse des structures sociales au moins autant, si ce n’est plus, qu’en référence à l’espace physique. C’est ainsi que, contre toute attente, l’appendice intitulé « la pensée spatiale dans les sciences sociales jusqu’à Bourdieu », dresse une généalogie du concept d’espace social et propose une discussion intéressante sur la différence entre son statut de simple « métaphore » (comme certains auteurs le prétendent) ou de véritable « modèle » d’analyse (position défendue par l’auteur), mais ne dit pas un mot de l’espace physique !

Rassembler et présenter les analyses de l’espace physique chez Bourdieu : un travail encore à faire

5Quant aux analyses proposées, elles sont fondées sur un corpus de textes plus que partiel. Le chapitre 2 propose pourtant une relecture des travaux de Bourdieu pour en extraire ses analyses de l’espace physique, « avec pour but de rassembler chaque composante de sa théorie générale de la pratique spatiale » [6] (p. 35) [7]. Mais pour opérer ce travail de systématisation, seuls trois courts textes sont étudiés en détail, ce qui n’est rien au regard de l’immense production de Bourdieu : la postface à Architecture gothique et pensée scolastique de Panofsky, surtout connue pour être le premier texte de Bourdieu sur le concept d’habitus ; la fameuse étude de la « maison kabyle », célèbre pour être son « dernier travail de structuraliste heureux » comme il le dit lui-même [8] ; la mise au point théorique et programmatique publiée dans La Misère du monde et intitulée « effets de lieu ».

6On remarque d’emblée qu’entre les deux premiers textes et le dernier, c’est près d’un quart de siècle qui s’écoule sans que Bourdieu ne soit crédité d’une réflexion directe sur l’espace. Un tel vide est en fait nuancé par quelques renvois à d’autres publications intermédiaires, comme La Distinction (1979) et le dossier sur l’économie de la maison individuelle (1990). Mais cette sélection drastique contraste fortement avec l’ambition affichée de collecte systématique, et pose sérieusement question, d’un point de vue méthodologique comme théorique. Affirmant que l’attention portée par Bourdieu à l’espace physique « commen[ce] avec son étude du travail de Panofsky », Fogle passe notamment à côté du Déracinement, ouvrage majeur au titre pourtant évocateur, ou encore de la longue première étude du célibat des paysans béarnais, l’un et l’autre publiés au début des années 1960 [9] et travaillés dans la dernière partie de la décennie précédente [10]. Autant dire que l’espace physique est très présent dès les premiers travaux de Bourdieu. Il l’est sans doute plus dans ses travaux ethnographiques que dans les grandes enquêtes statistiques sur les travailleurs algériens, les étudiants français ou les pratiques culturelles – point important qu’il faudrait analyser. Il va sans conteste passer au second plan, voire dans un certain implicite, par la suite – autre point qui reste à expliquer. Mais le corpus méritant une exégèse est tout de même beaucoup plus large. Une explication pourrait être que Fogle se limite aux analyses les plus visiblement consacrées à l’espace bâti, et en particulier à l’architecture (ce qui indiquerait une conception très restrictive de l’espace physique). Mais l’insuffisance de cette hypothèse apparaît clairement par la sortie récente de l’ouvrage d’Helena Webster, Bourdieu for Architects, qui consacre son premier chapitre à « la construction sociale de l’espace » et se focalise quant à elle sur la période algérienne en étudiant l’essai sur la maison kabyle mais aussi Le Déracinement et même Travail et travailleurs en Algérie[11].

Les relations entre l’habitus et l’habitat

7Pour ce qui est du contenu, les deux premiers textes étudiés permettent à l’auteur de souligner l’importance des rapports entre l’habitus et l’espace bâti. Présentant la postface à Panofsky, Fogle affirme ainsi qu’il est très significatif que Bourdieu ait adopté pour la première fois son fameux concept d’habitus, en tant qu’ensemble de schèmes inculqués puis transposables dans une variété de contextes, dans le cadre d’une discussion sur la « relation d’homologie structurale » repérable en particulier entre l’espace social et l’espace physique (p. 39). Plus précisément, « l’argument de Panofsky est que le design des cathédrales gothiques et la structure des textes théologiques scholastiques ou summa admettent des homologies formelles, qui s’expliquent par le monopole éducatif des écoles combiné à leur mode d’éducation très strict inculquant uniformément aux élèves une “habitude mentale” qui trouve ensuite une expression tant dans les discours écrits que dans les bâtiments sacrés » (p. 39). C’est avant tout sur cette transposabilité de l’habitus « à de multiples sphères d’activités » (p. 44), parmi lesquelles Fogle place la production de l’espace physique, qu’il insistera à de nombreuses reprises dans son ouvrage, de même que sur le rôle réciproque de l’architecture (« l’environnement construit ») dans la production ou le renforcement des schèmes dispositionnels incorporés de l’habitus.

8Fogle s’étonne d’ailleurs que cette seconde relation n’ait pas été explicitée par Bourdieu dès la postface à Panofsky alors qu’elle le sera dans l’essai sur la maison kabyle – l’hypothèse explicative de ce mystère étant qu’il ne disposait pas, jusque là, d’un « corps de preuves directement observables, par lequel l’environnement construit et les comportements spatiaux puissent être étudiés de concert » (p. 44). Sauf qu’il se trompe sur l’ordre chronologique de ces deux analyses : il se fait en effet piéger par les dates de publication qui semblent placer l’essai en seconde position (1970) derrière la postface (1967) alors qu’il a été écrit bien avant sa publication dans les Mélanges offerts à Claude Lévi-Strauss (ce qui permet de comprendre qu’il n’y use justement pas du concept d’habitus) [12]. Le mystère s’épaissit.

9Toujours est-il que c’est la proposition principale tirée par Fogle de l’analyse bourdieusienne de la maison kabyle : « l’espace fonctionne comme un instrument de reproduction sociale » [13] (p. 45), et cela du fait de son statut de produit des structures sociales et de son action en retour sur les dispositions à agir de certaines manières. Plus encore, « du fait que les Kabyles ne possèdent pas un langage écrit élaboré, l’environnement construit joue un rôle plus important dans ce processus » [14] (p. 45) que dans d’autres sociétés. Primerait ici ce que Bourdieu appelle la « connaissance par corps ». L’argument « n’est pas simplement que l’arrangement de la maison symbolise des relations de pouvoir genrées. L’idée est plutôt que l’occupation et l’usage corporel de l’espace par chaque individu constituent des pratiques qui réarticulent continuellement le tout structural, incluant la distinction entre les positions de pouvoir des hommes et des femmes » [15] (p. 46). C’est donc le processus de naturalisation des relations sociales, du fait de leur inscription dans l’espace physique, qui est primordial : « L’habitus qui a été ajusté […] pour fonctionner dans un espace physique socialement structuré fait que cet engagement pratique de chaque individu dans son monde semble entièrement naturel. La réflexion consciente sur son espace physique pourrait ne pas être suffisante pour rompre le charme de cette naturalisation » [16] (p. 50).

10C’est ici que l’analyse du Déracinement aurait été doublement précieuse : d’une part pour souligner que, du fait même de cette intériorisation/naturalisation, un déplacement brutal des populations rurales dans des camps de regroupement, autrement dit des espaces qui n’ont pas été pensés pour leur être parfaitement ajustés mais au contraire, dans ce cas, pour les contrôler, provoque une déstabilisation psychologique très forte et des pratiques qui n’ont plus rien de traditionnelles ; d’autre part pour montrer que ce n’est pas forcément et uniquement à l’échelle de la maison que cet ajustement ou cette déstabilisation s’opèrent, mais à celle de l’ensemble de l’espace de vie (du village ou du camp, de l’espace régional même). Cette focalisation sur un espace bâti analysé à la seule échelle micro se retrouve dans le fait que l’unique passage consacré à La Distinction se limite aux analyses des intérieurs d’appartement parisiens (permettant au moins de souligner qu’aux relations de genre s’ajoutent ici des relations de classe), alors que plusieurs propositions, peu saillantes mais importantes, y sont repérables, notamment sur le rôle de la taille de la ville de résidence, donc des distances aux biens culturels, ainsi que la question de l’échelle de référence des auto-positionnements sociaux, à travers la notion d’« effet d’écran » [17].

Effets de lieu : un texte court mais théoriquement central

11L’essentiel des pages consacrées aux travaux plus récents, déjà limités au « logement et à la ville », s’attache en fait au texte « Effets de lieu », considéré comme « la présentation la plus explicite du rôle de l’espace physique dans la structuration du pouvoir social » [18] (p. 51). Reprenant les principales idées dans leur ordre d’apparition, Fogle commence par souligner la différence entre le lieu (compris uniquement comme localisation et donc en omettant de rappeler la distinction faite par Bourdieu entre localisation et position) et la place occupée et insiste sur le fait que « l’un comme l’autre sont déterminés par la structure de l’espace social, les manières particulières dont les différentes espèces de capital affectent ces variables dépend[ant] des détails de chaque cas particulier » [19] (p. 52). Il argumente en comparant une université américaine, usant de son capital économique pour pouvoir occuper des centaines d’hectares sans se soucier de la localisation, à l’ENS Ulm dont la localisation sur la rive gauche à proximité d’autres grandes écoles est tout sauf arbitraire, et manifeste au contraire un fort capital culturel. Fogle en tire l’hypothèse selon lui non déraisonnable que « la localisation est plus liée au capital culturel que la place ou l’encombrement » [20] (p. 52) – confondant sans doute capital culturel et symbolique. C’est donc l’homologie entre espace social et espace physique qui est ici réaffirmée, en même temps que l’effet de naturalisation du fait de l’inscription durable des réalités sociales dans le monde naturel, même s’il lui faut immédiatement rappeler la « distorsion » ou le « brouillage » évoqués par Bourdieu et provoqués par l’action de certains individus, groupes, institutions à fort capital économique et culturel (architectes, aménageurs, élus, promoteurs, investisseurs, etc.) qui ont « le pouvoir d’imposer leur propre vision du monde social sur le sol » [21] (p. 53), action elle-même médiatisée par de nombreux facteurs dont le prix et la disponibilité des terrains, la règlementation, les infrastructures de transport, les contraintes géographiques, etc.

12Brouillé ou pas, « l’espace physique est ainsi un “espace social réifié” » qui « contribue à la reproduction des structures de pouvoir » (p. 53-54) par l’intermédiaire du rôle actif de l’habitus en tant qu’incorporation largement inconsciente de ces structures sociales spatialisées sous forme de divisions et d’oppositions. De ce fait, « l’environnement construit manifeste une forme de ce que Bourdieu appelle la violence symbolique » en même temps qu’il est l’enjeu de luttes (individuelles ou collectives) pour l’appropriation de l’espace, ou plus précisément de trois différents types de « profits d’espace » : des profits « de localisation », des profits « de position » ou « rang » – présentés ici comme un second type alors que Bourdieu en fait l’une des deux classes de profits de localisation, la première étant qualifiée de « rentes (dites de situation) » – et les profits « d’occupation ».

13Au moment de présenter les profits de position, Fogle s’écarte des formulations et concepts de Bourdieu en affirmant que « chaque lieu doit être associé à une certaine quantité de ce que nous devrions appeler du “capital positionnel” dont l’ampleur n’est pas fixe mais qui est déterminée en relation avec son rang dans un ordre des positions » [22] (p. 55). Comme si un lieu détenait par soi seul du capital, ou comme si le simple fait d’y être situé permettait d’en tirer profit, alors que sa valeur symbolique ne peut provenir que de la présence, assez ancienne pour être reconnue, de détenteurs de capitaux de toutes sortes mais notamment symboliques et que, comme Fogle le rappelle ensuite, pour Bourdieu, c’est bien la possession de capital qui « permet de tenir à distance les personnes et les choses indésirables en même temps que de s’approcher des personnes et des choses désirables » (p. 56). De même que la mobilité spatiale est un « bon indicateur des succès ou des échecs obtenus dans ces luttes et, plus largement, de toute la trajectoire sociale (à condition de voir que, de même que les agents différant par l’âge et la trajectoire sociale, des cadres supérieurs jeunes et des cadres moyens âgés par exemple, peuvent cohabiter provisoirement dans les mêmes postes, de même, ils peuvent cohabiter, tout aussi provisoirement, dans des lieux de résidence voisins) » [23]. Autrement dit, partager un même espace n’est pas partager un même « capital positionnel » mais plutôt vivre dans un environnement matériel semblable, à une distance équivalente de biens et services matériels et culturels dont il est inégalement possible de jouir et de tirer profit selon le capital possédé et les dispositions acquises. En outre, on n’a rien à gagner à confondre profit et capital, ce dernier supposant une possible accumulation et un réinvestissement introuvables ici : la proximité ne s’accumule pas, elle ne permet pas de « gagner du temps » car, contrairement à ce que cette expression ordinaire laisse entendre, le temps ne se gagne pas, il se perd quoi qu’il arrive.

Les relations dialectiques entre espace physique et espace social

14Formellement, les deux premiers chapitres se contentaient de présenter successivement l’espace social puis l’espace physique. Dans les faits, la présentation du second n’a évidemment pas été possible sans souligner les relations qu’il entretenait avec le premier. Au point que le lecteur se demande ce que le chapitre 3, censé présenter leurs relations, va bien pouvoir apporter de plus. En fait, tropisme philosophique aidant, le chapitre commence par un long détour sur le concept de dialectique, son application aux relations entre subjectivisme et objectivisme (comme dépassement de leur simple opposition) [24] – développant au passage une étrange proposition conférant à l’espace social comme à l’habitus une facette subjective et une autre objective. Fogle propose ensuite une interprétation des relations dialectiques entre espace social et espace physique en deux moments successifs qui prennent chacun en charge une « direction » de ces relations : de l’espace physique à l’espace social, puis sa réciproque. Bien entendu, il souligne qu’« une telle séparation fausse nécessairement la nature essentielle du phénomène, à savoir que les deux processus sont couplés, mais elle permet de limiter temporairement le problème de telle façon que sa structure fine puisse être révélée » [25] (p. 84, souligné par l’auteur). Mais elle tend aussi à autonomiser le rôle de l’espace physique, ce qui est un glissement classique de beaucoup de propositions théoriques cherchant à lui conférer une place centrale.

15Non sans répétition, le premier moment est de nouveau fondé sur l’ethnographie de la maison et de la société kabyles, considérée comme l’analyse la plus détaillée de l’espace physique : « le corps incorpore les structures de la cosmologie et de l’agriculture kabyles, de même que les structures des relations de pouvoir genrées, à travers les divisions de la maison, du village, et des orientations du corps dans ces espaces » [26] (p. 85). Les pratiques corporelles quotidiennes reproduisent l’ordre social du fait qu’elles sont structurées selon des oppositions spatiales (haut/bas, dedans/dehors, droite/gauche, etc.) elles-mêmes associées aux oppositions sociales. Il cite alors le Bourdieu du Sens pratique affirmant que « l’espace habité – et au premier chef la maison – est le lieu privilégié de l’objectivation des schèmes générateurs [de l’habitus] et, par l’intermédiaire des divisions et des hiérarchies qu’il établit entre les choses, entre les personnes et entre les pratiques, ce système de classement fait chose [traduit par matérialisé] inculque et renforce continûment les principes du classement constitutif de l’arbitraire culturel » [27] (p. 85-86). L’espace physique étant partagé par toute la communauté, il socialise chacun de ses membres de façon subtile et implicite. « En d’autres termes, l’habitus s’approprie l’espace social à travers l’espace physique. Il est de très grande importance que cette appropriation s’opère dans les pratiques et mouvements du corps, car ces structures sociales appropriées ne forcent jamais l’attention explicite des agents. Elles sont toujours acquises en faisant autre chose » [28] (p. 86, souligné par l’auteur). La logique ainsi acquise inconsciemment peut être transposée à d’autres sphères.

figure im2

16Fogle utilise ensuite de façon guère convaincante les résultats de recherches d’un courant qualifié de « space syntax analysis » [29] pour établir la généralité des analyses bourdieusiennes de la maison kabyle, ou tout au moins le lien entre les configurations spatiales (que ce courant tente de formaliser à l’aide de graphes), le degré « d’intégration » ou au contraire de « ségrégation » des différentes unités spatiales repérées (toujours d’échelle micro), et les relations de pouvoir entre leurs usagers, puis conclut cette section en promouvant comme preuve de l’habitus, en tant que produit de la socialisation, le fait que tout le monde ne se sent pas à sa place, chez lui, dans un contexte architectural donné.

17Le second mouvement, réciproque du premier, mais moins développé, se concentre sur l’idée que « si l’espace physique est un espace social objectivé, alors les lieux de l’espace physique sont du capital matérialisé » [30] (p. 91) et sont dès lors l’enjeu de luttes en même temps que des armes dans les rapports de pouvoir. Les distorsions dans la traduction de l’espace social dans l’espace physique sont explicables par cette fonction d’instrument de contrôle et de pouvoir : l’espace physique est une marchandise, du capital économique, mais aussi du capital symbolique qui doit être protégé, ce qui passe par un contrôle de ce qui est à proximité. Cela entraîne des concentrations de biens et services dans les régions valorisées alors que d’autres sont désertées. C’est ici que Fogle reprend la question des profits d’espace pour en proposer deux nouveaux : les « profits de densité de rencontre » (« profits of encounter-density ») et les « profits de visibilité » définis comme « arrangement de l’espace pour soit encourager soit prévenir la visibilité de lieux, de routes ou de gens » [31] (p. 93) en une analyse inspirée notamment du panoptique selon Foucault, mais un peu… obscure il faut l’avouer.

18En un autre glissement conceptuel qui semble malheureusement de plus en plus fréquent, Fogle utilise cette fois l’expression « capital spatial » – présentée comme de son propre cru alors que plusieurs autres auteurs s’y sont aventurés avant lui, comme Jacques Lévy [32] – et définie comme « toute espèce de capital objectivé dans l’espace physique qui est en principe échangeable contre d’autres espèces et qui constitue une ressource rare dans une société » [33] (p. 99). Étonnamment, Fogle ne voit pas de contradiction entre le fait de désigner ainsi une nouvelle espèce de capital (en tant qu’elle est « échangeable contre d’autres ») et celui de la définir comme pouvant qualifier toute espèce déjà existante de capital (en tant qu’elle est « objectivée »). Ne serait-ce pas un indice que quelque chose ne va pas dans cette conceptualisation ? Bourdieu lui-même avait déjà eu l’occasion de souligner la possibilité pour une espèce de capital existante d’être objectivée ou matérialisée : dans son article sur le capital culturel, apparemment lui aussi inconnu de Fogle, Bourdieu évoque son existence possible sous trois « états » différents – intériorisé, institutionnalisé et objectivé – sans transmuter ce dernier en un nouveau capital séparé [34]. Mieux vaut ne pas confondre « état » et « espèce » de capital. Autre indice : de même que l’expression n’est en fait que très peu utilisée par Lévy et les chercheurs les plus proches de lui, elle ne sera pas reprise par Fogle dans les chapitres empiriques de son ouvrage… Sans vouloir figer la réflexion, ce n’est sans doute pas un hasard si Bourdieu, qui ne s’est jamais refusé à forger des expressions inédites quand le besoin s’en faisait sentir, en particulier pour qualifier une nouvelle espèce de capital ou un capital spécifique à un nouveau champ, ne s’est jamais hasardé à parler de « capital spatial », y compris dans « effets de lieu » où il n’hésite pourtant pas à proposer de nouveaux types d’« effets » et de « profits ». À l’inverse, qualifier un capital de « spatial » laisse penser que l’espace est une réalité autonome de l’économique, du culturel, du symbolique…, et réciproquement que les différentes espèces de capitaux pourraient exister en dehors de la dimension spatiale. À y réfléchir, il semble plus prudent et rigoureux de travailler cette intégration de l’espace en termes de dimension spatiale des capitaux[35].

19Au final, on se dit que l’auteur aurait gagné en clarté et peut-être évité le glissement spatialiste en inversant les deux sections tant le rôle de l’espace physique est lui-même dépendant de la façon dont l’espace social s’y est inscrit : n’affirme-t-il pas que « l’espace physique est toujours déjà social » [36] (p. 87, souligné par l’auteur) ? Voilà une formulation qui plaide pour cette approche dimensionnelle de l’espace du social, qui reste à prendre au sérieux.

Prolonger Bourdieu : peut-on passer d’un modèle binaire à un modèle ternaire… tout en se focalisant sur la dialectique espace physique/espace social ?

20Et c’est ici que l’on quitte plus franchement l’exégèse pour l’élaboration. Si Fogle se permet de qualifier son travail de « topologie bourdieusienne », au point d’en faire le sous-titre de son ouvrage, c’est qu’il considère ne pas être en rupture avec Bourdieu, quand bien même il ne se contente pas d’une simple présentation de ses travaux. Il souligne ainsi à plusieurs reprises que son « intention est seulement de mettre en lumière les détails d’un aspect sous-développé de l’approche de Bourdieu » [37] (p. 14). C’est au début de ce troisième chapitre qu’apparaissent l’apport spécifique et l’objectif (louable) de Fogle : intégrer l’espace physique au cœur de la théorie de Bourdieu, à son niveau le plus général. Sans doute inspiré principalement par « effets de lieu » et par une conférence intitulée « Physical space, social space and habitus »[38], il propose de dégager de ses travaux un système conceptuel ternaire : « Chaque système social devrait être compris comme impliquant trois composants généraux : l’espace social, l’espace physique et l’habitus. Oublier l’un de ces termes entraînera toujours l’effondrement du système dans un dualisme artificiel » [39] (p. 81). Proposition que je partage pour l’avoir formulée il y a quelques années [40], qui découle assez naturellement de la lecture, prise au sérieux, de « effets de lieu », et qui mérite au moins discussion.

21Mais sans le dire vraiment, Fogle est confronté à une contradiction, voire une véritable énigme : d’un côté, la grande majorité des écrits de Bourdieu met en avant le couple conceptuel habitus/espace social (ou champ) – ou disposition/position, histoire faite corps/histoire faite chose, etc. – et semble ignorer ou conférer une place très périphérique à l’espace physique ; de l’autre, le cadre théorique de Bourdieu est censé avoir « toujours été un modèle à trois termes par essence » [41] (p. 82). Une explication de cette minoration de l’espace physique est certes donnée mais elle est pour le moins étrange, et empiriste : on peut se passer de l’espace physique chaque fois que son rôle n’est pas très important pour ne pas compliquer inutilement les analyses ! Ainsi : « Dans son analyse de la culture kabyle, par exemple, l’espace physique joue un rôle proéminent, alors que dans son étude de l’université française, il peut être ignoré » [42] (p. 82). On comprend dès lors que la systématisation soit considérée comme « nécessaire pour l’application de la théorie de Bourdieu aux problèmes d’architecture et de géographie (étudiés dans les chapitres 4 et 5) » [43] (p. 82), mais peut-on considérer à l’inverse qu’elle soit inutile dans les recherches sur l’université ou les inégalités scolaires du simple fait que « l’environnement bâti » y semble sans effet d’importance ? Le texte « effets de lieu », de multiples passages signés par Bourdieu et ici oubliés, et nombre de travaux récents montrent précisément le contraire [44]. Et est-ce vraiment une systématisation si l’un des termes peut être minoré ?

22Par ailleurs, et paradoxalement, Fogle défend cette systématisation d’un modèle ternaire tout en faisant la part belle aux relations binaires. Tout dans son ouvrage pousse dans ce sens : le titre qui joue sur le couple social/spatial (comme le font la grande majorité des géographes) ; le plan qui pose successivement les deux termes de la relation (l’espace social puis l’espace physique) avant de travailler leurs rapports ; et la plupart des développements et formulations. Il n’est pas jusqu’au passage allant le plus loin dans la défense de l’approche ternaire qui ne subordonne cette approche à l’objectif de « construire un modèle bourdieusien des interactions entre espace social et espace physique » [45] (p. 81). Cette subordination est parfaitement illustrée par le fait que les titres mêmes des deux figures résumant ce modèle à trois termes portent l’un comme l’autre sur « la dialectique entre l’espace social et l’espace physique » (p. 83). Si l’habitus n’est jamais absent, il se voit conféré le statut théorique de « médiateur » entre les deux autres termes qui constituent visiblement le couple central.

23Tout se passe comme si la pensée par couples prenait le dessus sous sa plume, et le prenait d’autant plus que le concept de « dialectique » prédomine. Lefebvre ne manquait pas de souligner cette difficulté de la philosophie à sortir des couples (qui figent la pensée) pour leur préférer des relations à trois termes (seules garantes du mouvement dialectique selon lui) [46]. Et il faut bien avouer que la place de l’espace chez Bourdieu est changeante et ambiguë. Dans « effets de lieu », il articule les trois termes, mais tout en proposant comme programme de recherche « de procéder à une analyse rigoureuse des rapports entre les structures de l’espace social et les structures de l’espace physique ». et si la conceptualisation ternaire peut se retrouver dans des textes antérieurs – comme celui sur le capital culturel évoqué plus haut –, elle n’est pas reprise et développée dans les publications ultérieures, y compris dans un ouvrage aussi systématique que Méditations pascaliennes, qui subsument le matérialisé sous l’objectivé. Il n’est donc guère étonnant que les sociologues qui ont cherché à défendre ou à développer l’intégration de l’espace physique se soient, tout comme Fogle, laissés prendre par cette prédominance des formulations binaires et l’oscillation qui en découle entre ces deux dialectiques (habitus/espace social ; espace social/espace physique).

Aller plus loin ? L’espace comme dimension

24Au fond, si le titre de l’ouvrage annonce une réflexion sur « la logique spatiale des luttes sociales », ce n’est pas vraiment ce qu’il propose. Significativement, le dernier chapitre sur les transformations du champ architectural et l’avènement du « déconstructionnisme » (et donc des déconstructionnistes) ne propose pas d’analyse de la « logique spatiale » de ces transformations. L’espace physique n’est ici que dans les produits de ce champ, mais pas dans le fonctionnement même du champ, c’est-à-dire dans les luttes entre les architectes. Le chapitre 4, plus pertinent de ce point de vue, porte tout de même plus sur les effets architecturaux et urbanistiques des concurrences entre firmes que sur la dimension spatiale de ces luttes elles-mêmes dans toutes leurs facettes.

25Pour réellement intégrer l’espace à la théorie bourdieusienne, et ce à son niveau le plus général, il faut donc commencer par prendre au sérieux et tenter cette systématisation de l’approche ternaire présentée dans « Effets de lieu » : l’espace physique est introduit dans le modèle en tant qu’espace social réifié, autrement dit en tant que troisième mode d’existence du social, ou cristallisation de l’histoire, au même niveau que l’habitus et l’espace social (ou les champs). Mais ce faisant, il faut aussi lutter contre la double réduction de l’espace à « l’espace physique » (matériel, sensible) et de ce dernier à « l’environnement construit », « l’espace concret et occupé corporellement, cette espèce d’espace que l’on construit, habite et interprète » [47] (p. 35) par opposition à l’espace social considéré comme abstrait.

26L’antidote à cette seconde réduction est très clairement présent dans « Effets de lieu ». Il consiste à rappeler que les corps des êtres humains eux-mêmes font bel et bien partie de l’espace physique, et à donner toute sa part à ce que cette corporéité implique du point de vue de l’espace : absence d’ubiquité, encombrement, jeux de concentration relative, donc de proximité/distance entre les corps comme entre les corps et les choses appropriées ou appropriables. Ne pas tomber dans cette forme de « géotropisme » consistant à réduire l’espace à la surface terrestre, voire à l’espace bâti, compris comme un simple contenant, aurait permis à Fogle de se rendre compte que nombre d’autres travaux de Bourdieu abordent l’espace physique sous cet angle élargi, dans des analyses se portant à une échelle souvent beaucoup plus large que la maison ou le village. Ce que Fogle touche du doigt à plusieurs reprises sans s’en rendre compte, comme quand il indique que Panofsky « localise les effets de ce régime [d’éducation centralisé des architectes et philosophes] dans un rayon d’un millier de miles autour de Paris, où la majorité des écoles influentes sont regroupées » [48] (p. 43).

27En revanche, il faut avouer que ce n’est pas chez Bourdieu que l’on peut trouver les formulations permettant d’aller plus loin en faisant de l’espace une dimension du monde social [49] sous toutes ses formes, dans tous ses états, et non seulement une manière de qualifier la surface terrestre ou même le monde social en tant qu’il est matérialisé. Il semble prometteur de considérer que chaque mode d’existence du monde social, qu’il soit matérialisé dans un espace physique, objectivé (ou institutionnalisé) dans des espaces sociaux, ou intériorisé dans des schèmes de perception, a une dimension spatiale qui lui est spécifique [50].

28Un espace social est de ce point de vue effectivement un espace. Fogle lui-même souligne que « l’espace social est conçu comme un espace fini » [51] (p. 9), donc qu’il a des limites même si elles ne s’enferment pas toujours dans les frontières d’un État national. Les champs ont nécessairement une dimension spatiale, que l’on peut repérer à travers notamment la dimension spatiale de leurs capitaux spécifiques qui n’ont pas une valeur universelle et équivalente en tout lieu mais supposent au contraire des contextes d’accumulation et d’usage eux aussi très spécifiques. Ils peuvent se déployer à différentes échelles, du local au mondial. S’il développe un passage dans le chapitre 1 sur les sous-champs et l’emboîtement entre les champs, Fogle ne se rend pas compte que cette réflexion mérite d’être pensée en termes scalaires, à l’image de ce que Bourdieu aborde dans plusieurs textes malgré une tendance réelle à se focaliser implicitement sur l’échelle nationale : le local est par exemple saisi à travers le concept d’« effet d’écran » posé dans La Distinction, ou celui de « champ des pouvoirs locaux » présenté dans Les Structures sociales de l’économie[52], pour me limiter à deux ouvrages connus de Fogle.

29Enfin, idée largement admise même si elle n’est pas toujours clairement formulée, l’espace est aussi dans les têtes, dans les schèmes et dispositions, dans les structures de la subjectivité, sous la forme par exemple de ces fameuses oppositions spatiales si souvent évoquées par Bourdieu et plusieurs fois soulignées par Fogle : haut/bas, droite/gauche, en-dessous/en-dessus, etc. Pour illustrer et marquer l’irréductibilité de ces trois modes d’existence du social qui sont aussi trois « espèces d’espaces », on peut prendre l’exemple de la frontière. une frontière peut exister trois fois, sous forme de murs, de barrières, de militaires ou encore d’un trait noir sur une carte ; sous forme de lois et règlements s’appliquant d’un côté et non de l’autre, ou de droits attachés aux nationaux et refusés aux étrangers ; sous formes de schèmes de classification opposant l’ici et l’ailleurs, eux et nous. De même que toute distance existe sous forme d’une séparation ou d’un temps de trajet, d’un droit et d’un coût de déplacement et d’une représentation de l’éloignement ou de la proximité.

30Étrangement, Fogle ne qualifie jamais l’habitus d’espace mental ou de structures mentales comme le fait Bourdieu dans « effets de lieu » et ailleurs. Cela permet pourtant de marquer symboliquement le statut de l’habitus comme cristallisation structurée de l’histoire, et de le mettre au même niveau que l’espace social et l’espace physique au lieu d’en faire une « simple médiation ». La véritable médiation n’est-elle pas plutôt la pratique sociale ? Celle-ci est étonnamment absente du schéma proposé pour ce modèle ternaire (p. 83), qui souffre de ce fait d’un excès d’abstraction, alors qu’elle est l’opérateur effectif des relations entre les différents états du social, habitus compris : sous condition des capitaux mobilisables, la pratique extériorise les dispositions telles qu’elles réagissent au propriétés sociales du contexte institutionnel et matériel, et ce faisant, elle actualise, ou mieux, elle réalise les rapports sociaux, et participe donc à reproduire ou transformer, selon les cas, les structures physiques, sociales et mentales.


Date de mise en ligne : 14/01/2013

https://doi.org/10.3917/arss.195.0112

Notes

  • [1]
    On pense en particulier aux travaux de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot qui, des ouvrages relevant directement de la sociologique urbaine (sur Paris notamment) à ceux sur la grande bourgeoisie française, ne manquent jamais d’intégrer l’espace à leurs analyses. Mais nombre d’autres travaux pourraient être ici mentionnés, de Patrick Champagne ou Christophe Charle à Loïc Wacquant, Franck Poupeau, Sylvie Tissot, Choukri Ben Ayed, etc.
  • [2]
    Plusieurs textes à visée théorique et programmatique ont été produits par des chercheurs s’inscrivant pleinement dans la démarche bourdieusienne : Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, « De l’espace social à l’espace urbain. utilité d’une métaphore », Les Annales de la recherche urbaine, 64, 1994, p. 51-53 ; Christian de Montlibert, « Une relation bijective : espace social, espace aménagé », Regards sociologiques, 25-26, 2003 (non paginé) ; Bernard Michon et Michel Koebel, « Pour une définition sociale de l’espace », in Pernette Grandjean (dir.), Construction identitaire et espace, Paris, L’Harmattan, coll. « Géographie et Cultures », 2009, p. 39-59.
  • [3]
    Voir Joe Painter, “Pierre Bourdieu”, in Mike Crang et Nigel Thrift (dir.), Thinking Space, Londres/New York, Routledge, 2000, p. 239-259.
  • [4]
    Plus généralement, les chercheurs français sont, à quelques exceptions près, passablement absents. Une explication est sans doute à chercher dans la domination et donc l’enfermement linguistiques des anglophones. Tout se passe en effet comme si le domaine du lisible se réduisait aux textes écrits en anglais : sur plus de deux cents références bibliographiques, on n’en trouve guère qu’une ou deux qui soient en français (et qui sont aussi les seules à ne pas être en anglais). Au moins y a-t-il un article de Bourdieu, mais cela signifie que la quasi-totalité de ses textes non traduits sont restés hors discussion ! Ce qui n’est pas sans avoir des effets fâcheux, présentés ci après.
  • [5]
    Précisons qu’il est impossible de savoir quel est l’apport de l’auteur dans la production de ces matériaux et analyses empiriques. Étant donnée sa profession, on peut raisonnablement penser qu’il n’y en a pas, ou qu’il se réduit à commenter ou compléter les enquêtes et analyses des chercheurs cités.
  • [6]
    “I discuss each of these developments in Bourdieu’s thinking in turn with the goal of collecting each component of his general theory of spatial practice.” Toutes les traductions, et leur approximation, sont de mon fait [Fabrice Ripoll].
  • [7]
    On s’étonne au passage de rencontrer une telle expression car, à ma connaissance, ce genre de « théorie » n’a jamais été une ambition déclarée de Bourdieu et l’expression même de « pratique spatiale » est absente de ses textes. Et pour cause : on ne voit pas bien ce que serait une pratique spatiale qui ne soit pas une pratique sociale, et inversement une pratique sociale qui n’aurait pas de dimension spatiale. Sans doute est-ce plutôt une proposition de Fogle lui-même, mais la notion n’est malheureusement pas définie.
  • [8]
    Pierre Bourdieu, Le Sens pratique, Paris, Minuit, coll. « Le sens commun », 1980, p. 22.
  • [9]
    Pierre Bourdieu, « Célibat et condition paysanne », Études rurales, 5-6, 1962, p. 32-135 ; Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad, Le Déracinement. La crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie, Paris, Minuit, coll. « Documents », 1964.
  • [10]
    Mais qui ont en commun de ne pas avoir été traduits en anglais… Notons qu’il cite plus loin dans le chapitre la traduction de la dernière partie de « Célibat et condition paysanne », publiée en 2004 dans la revue Ethnography sous le titre « The peasant and his body » (5(4), p. 579-599), mais de façon très incidente et sans consulter la version intégrale de ce très long article. Étonnamment, ce même numéro comprend aussi la traduction d’un article co-écrit avec Abdelmalek Sayad (publié dans Études rurales en 1964) et qui présente les grandes lignes du Déracinement (Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad, “Colonial rule and cultural sabir”, Ethnography, 5(4), 2004, p. 445-486), mais l’auteur passe malgré tout à côté.
  • [11]
    Helena Webster, Bourdieu for Architects, New York, Routledge, 2011.
  • [12]
    Bourdieu date lui-même l’écriture de l’article de 1963 (Le Sens pratique, op. cit., p. 22), mais Helena Webster (op. cit.) renvoie à un document ronéotypé, intitulé Deux essais sur la société kabyle : le sentiment de l’honneur dans la société kabyle ; La maison kabyle ou le monde renversé, daté de 1960 !
  • [13]
    “[…] space functions as an instrument of social reproduction.”
  • [14]
    “Since the Kabyle do not possess an elaborate written language, the built environment plays a more prominent role in this process.”
  • [15]
    “Bourdieu’s point in elaborating these associated oppositions, however, is not simply that the arrangement of the house is symbolic of gendered power relations. Instead, the point is that the individual’s bodily occupation and use of the space of the house constitute practices that continuously rearticulate the structural whole, including the distinction between male and female power roles.”
  • [16]
    “Habitus that has been adjusted in this way to function within a socially structured physical space makes the practical engagement of the individual with his or her world seems entirely natural. Conscious reflection on one’s physical space may not be enough to break the spell of this naturalization […]”.
  • [17]
    Fabrice Ripoll, « Éléments sur la place de l’espace dans la sociologie de Pierre Bourdieu », communication au colloque international : Trente ans après « La Distinction »/Thiry years after “Distinction”, organisé par l’OSC et le CESSP, Paris, INHA/ministère de la Culture, 4-6 novembre 2010, à paraître.
  • [18]
    “The most explicit statement of the role of physical space in the structuring of social power is given in the section entitled, ‘Site effects’, authored by Bourdieu himself.”
  • [19]
    […] both site and place are determined by the structure of social place, and the particular ways in which different forms of capital affect these variables depends on the details of the particular case.”
  • [20]
    “It would not be unreasonable to hypothesis from this case that site is more closely linked to cultural capital than place or bulk.”
  • [21]
    “Certain individuals and groups with enough economic and cultural capital have the power to impose their own vision of the social world on the ground.”
  • [22]
    “Every site must be said to be associated with a certain amount of, shall we say, ‘positional capital’, which is not a fixed magnitude but is determined in relation to its rank in the order of positions.”
  • [23]
    Pierre Bourdieu, « effets de lieu », in Pierre Bourdieu (dir.), La Misère du monde, Paris, Seuil, 1993, p. 165, souligné par l’auteur.
  • [24]
    Fogle veut surtout défendre la pensée de Bourdieu comme relationnelle et plus encore comme « non linéaire » : elle ne se contente pas d’additionner des relations prises en compte séparément (parce que les représentations des agents diffèrent les unes des autres du fait de positions différentes, et qu’il existe une multiplicité de capitaux irréductibles les uns aux autres) et s’impose la réflexivité (le chercheur faisant partie du monde social qu’il étudie, il doit s’objectiver).
  • [25]
    “Such a separation necessarily falsifies the essential nature of the phenomena, namely that the two process are coupled, but is helpful in temporarily limiting the problem so that some of its fine-grained structure can be revealed.”
  • [26]
    “The body incorporates the structures of Kabyle cosmology and agriculture, as well as the structures of gendered power relations, via the divisions of the house, the village, and the orientations of the body within those spaces.”
  • [27]
    P. Bourdieu, Le Sens pratique, op. cit., p. 129, traduit in Pierre Bourdieu, The Logic of Practice, Stanford, Stanford University Press, 1992, p. 76.
  • [28]
    “In other words, the habitus appropriates social structures in physical space. It is of great importance that this appropriation takes place in bodily movements and practices, because as such the social structures appropriated never command the explicit attention of the agent. They are always acquired in the course of doing other things.”
  • [29]
    Bill Hillier et Julienne Hanson, The Social Logic of Space, Cambridge, Cambridge University Press, 1989.
  • [30]
    “[…] if physical space is social space objectified, the sites in the physical space are capital materialized.”
  • [31]
    “There are also profits of visibility, by which I mean arrangement of space to either encourage or prevent the visibility of places, of paths, or of people.”
  • [32]
    Voir entre autres Jacques Lévy, « Capital spatial », in Jacques Lévy et Michel Lussault (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 2003, p. 124-126.
  • [33]
    “This term, of my own coinage, refers to any form of capital objectified in physical space that is in principle exchangeable for other forms, and which constitutes a scarce resource within society. Sundin employs a similar term, ‘spatial symbolic capital’, which may imply a narrower signification.” Voir Mats Sundin, “Bra läge men dåligt rykte. En jämförande historisk studie av tre stadsdelar i Borås, Eskilstuna och Gävle [Good location but bad reputation. A comparative historical study of three city sections in Borås, Eskilstuna and Gävle]”, PhD diss., Uppsala, Uppsala University, 2008.
  • [34]
    Pierre Bourdieu, « Les trois états du capital culturel », Actes de la recherche en sciences sociales, 30, novembre 1979, p. 3-6.
  • [35]
    Pour une discussion déjà ancienne de ces questions, voir Fabrice Ripoll et Vincent Veschambre, « Sur la dimension spatiale des inégalités : contribution aux débats sur la “mobilité” et le “capital spatial” », in Samuel Arlaud, Yves Jean et Dominique Royoux (dir.), Rural-Urbain. Nouveaux liens, nouvelles frontières, Rennes, PUR, coll. « Espace et territoires », 2005, p. 467-483. Pour une exploration empirique de la dimension spatiale des ressources sociales à partir de la question de la mobilité et du concept de « capital d’autochtonie », voir Regards sociologiques, 40, 2010.
  • [36]
    “To borrow a phrase from the phenomenologists, physical space is, from the point of view of habitus, always already social.”
  • [37]
    “The intention is simply to flesh out the details of an underdeveloped aspect of Bourdieu’s own view.”
  • [38]
    Pierre Bourdieu, “Physical space, social space and habitus”, Vilhelm Aubert Memorial Lecture, Institutt for Sosiologi og samfunnsgeografi, Rapport 10, Oslo, université d’Oslo, 1996.
  • [39]
    “Every social system should be understood as implicating three general components : social space, physical space and habitus. Leaving one term out entirely always amounts to collapsing the system into an artificial dualism.”
  • [40]
    Fabrice Ripoll, « La dimension spatiale des mouvements sociaux. Essais sur la géographie et l’action collective dans la France contemporaine à partir des mouvements de “chômeurs” et “altermondialistes” », thèse de doctorat, Caen, université de Caen Basse-Normandie, 2005.
  • [41]
    “What I suggest is therefore not a break with Bourdieu’s theoretical framework, but simply a shift in emphasis in what has always been in essence a three-term model.” Passons sur cette autre probable manifestation du pli conféré à cette analyse par l’habitus philosophique de l’auteur, qui consiste à chercher une « essence » dans le cadre théorique de Bourdieu quand ce dernier a toujours revendiqué l’idée de processus jamais achevé, de travail en perpétuelle redéfinition au gré des nouvelles analyses empiriques.
  • [42]
    “Thus, in his analysis of the Kabyle culture, for example, physical space plays a prominent role, whereas in his study of the French academy, it can be omitted.”
  • [43]
    “This shift is necessary for the application of Bourdieu’s theory to problems in architecture and geography (addressed in Chapters 4 and 5).”
  • [44]
    Voir, entre autres, Patrice Caro et Rémi Rouault, Atlas des fractures scolaires en France. Une école à plusieurs vitesses, Paris, Autrement, coll. « Atlas Monde », 2010 ; Franck Poupeau et Jean-Christophe François, Le Sens du placement. Ségrégation résidentielle et ségrégation scolaire, Paris, Raisons d’agir, coll. « Cours et travaux », 2008.
  • [45]
    “[…] in order to construct a Bourdieuian model of the interaction between social space and physical space […]”
  • [46]
    Henri Lefebvre, La Production de l’espace, Paris, Anthropos (Economica), 2000 [1re éd. 1974].
  • [47]
    “[…] this chapter deals with the role of physical space in Bourdieu, that is, with concrete and corporeally occupied space, the kind of space we build, inhabit and interpret.”
  • [48]
    “Panofsky localizes the effects of this regime to a radius of one hundred miles around Paris, where the majority of the influential schools were clustered.”
  • [49]
    Pour une réflexion programmatique en géographie sociale, voir Vincent Veschambre, « Dimension, un mot parmi d’autres pour dépasser la dialectique socio-spatiale », ESO. Travaux et documents de l’UMR 6590, 10, 1999, p. 83-87 et « Penser l’espace comme dimension de la société. Pour une géographie sociale de plain-pied avec les sciences sociales », in Raymonde Séchet et Vincent Veschambre (dir.), Penser et faire la géographie sociale. Contribution à une épistémologie de la géographie sociale, Rennes, PUR, 2006, p. 211-227. Du côté de la sociologie, voir notamment Jean-Yves Authier, Espaces et socialisation. Regards sociologiques sur les dimensions spatiales de la vie sociale, Sarrebruck, Éd. universitaires européennes, 2012.
  • [50]
    F. Ripoll, « La dimension spatiale des mouvements sociaux… », op. cit.
  • [51]
    “Social space is conceived of as a finite space.”
  • [52]
    Champ dont l’autonomie même relative est mise en question par Michel Koebel (voir « De l’existence d’un champ politique local », Cahiers philosophiques, 119, 2009, p. 24-44).

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