Notes
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[1]
Source : la revue économique Impact Databank en 2003.
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[2]
Sur les contrats de production qui privent les producteurs de la maîtrise de leur activité, voir Louis Lorvellec, « L’agriculture sous contrat », in Alain Supiot (dir.), Le Travail en perspectives, Paris, LGDJ, 1998, p. 179-197.
-
[3]
Sur le paradoxe de la dépendance économique des artisans indépendants, voir Bernard Zarca, L’Artisanat français, du métier traditionnel au groupe social, Paris, Economica, 1986. Sur la fragilité économique des PME de la métallurgie à Paris au début des années 1980, voir Michel Amiot, Les Misères du patronat : le monde des petites et moyennes entreprises industrielles et de leurs patrons, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques sociales », 1991.
-
[4]
Pour une réflexion juridique sur les frontières floues entre le travailleur subordonné et le professionnel indépendant, voir Alain Supiot, « Les nouveaux visages de la subordination », Droit social, 2, 2000, p. 131-145.
-
[5]
Sur les difficultés à objectiver les disparités socioéconomiques au sein de la profession agricole, voir Claude Grignon, « Le paysan inclassable », Actes de la recherche en sciences sociales, 4, juillet 1975, p. 82-87 ; pour des problèmes similaires dans les professions indépendantes du commerce et de l’artisanat, voir Anne-Sophie Bruno et Claire Zalc, Petites entreprises et petits entrepreneurs étrangers en France (19e-20e siècle), Paris, Publibook, 2003.
-
[6]
Alain Desrosières, « Éléments pour l’histoire des nomenclatures socioprofessionnelles », in Pour une histoire de la statistique, t. 1, Paris, INSEE-Economica, 1977, p. 73.
-
[7]
Pour une présentation détaillée de la nomenclature, voir Jacques Rémy, « Une illusion bien fondée ? Le groupe des agriculteurs », communication au séminaire Les Mondes agricoles en politique, 17 octobre 2006, CEVIPOF/INRA.
-
[8]
Dominique Rouault, « Les revenus des indépendants et dirigeants : la valorisation du bagage personnel », Économie et Statistique, 348, 2002, p. 37.
-
[9]
Louis M. Cullen, Le Commerce des eaux-de-vie sous l’Ancien Régime. Une spécialisation régionale charentaise, Saintes, Le Croît Vif, 2002 [Cambridge University Press, 1998].
-
[10]
Guy Baudy, Le Marché du cognac, Bordeaux, Bière, 1962.
-
[11]
François Julien-Labruyère, Paysans charentais. Histoire des campagnes d’Aunis, de Saintonge et du bas Angoumois. Tome 1 : Économie rurale, La Rochelle, Rupella, 1982, p. 386.
-
[12]
Un jugement du tribunal de grande instance de Saintes du 2 juillet 1991 a reconnu l’usage de tels contrats moraux, fondés « à la fois sur la valeur intrinsèque de la parole donnée par le viticulteur et sur l’attitude déférente du négociant qui s’oblige par une lettre de confirmation ou un bon d’achat sur la foi de la parole qui lui est donnée », en condamnant un viticulteur à honorer un engagement verbal de livraison. Voir Catherine Citeau, « Les relations clients-fournisseurs : le cas de la filière Cognac », mémoire de DEA Comptabilité-Décision-Contrôle, sous la direction d’Élie Cohen, université Paris-Dauphine, 1991, p. 41.
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[13]
Aujourd’hui, Martell et Hennessy ayant fusionné dans de vastes groupes de luxe, vins et spiritueux, seule la famille Hériard-Dubreuil (propriétaire de Rémy-Cointreau) apparaît encore dans le classement de Challenges de juillet 2009 des grandes fortunes nationales, à la 54e place.
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[14]
Les eaux-de-vie des Fins Bois sont réputées vieillir plus rapidement que les eaux-de-vie des crus plus centraux et sont donc plus adaptées aux qualités jeunes de cognac. « Sur les Fins Bois, toute ! » titre Catherine Mousnier dans un article de la revue professionnelle Le Paysan vigneron, Revue viti-vinicole des Charentes et du Bordelais, « L’ordre de marche d’Hennessy » en septembre 2002 (n° 1015).
-
[15]
Afin de garantir l’anonymat promis aux enquêtés, les indications de lieux, les noms et les prénoms de personnes, ainsi que certains détails biographiques ont été modifiés.
-
[16]
Sur l’imbrication entre travail domestique et professionnel dans les entreprises familiales, voir Céline Bessière et Sibylle Gollac, « Le silence des pratiques. La question des rapports de genre dans les familles d’“indépendants” », Sociétés & Représentations, 24, 2007, p. 43-58.
-
[17]
Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Grandes fortunes, Paris, Payot, 2006, p. 18.
-
[18]
Jusqu’aux années 1980, le travail des femmes dans le secteur agricole n’était pas reconnu juridiquement. Elles étaient considérées comme des aides familiales, c’est-à-dire non pas des agricultrices à part entière, mais des épouses d’agriculteurs. Voir Alice Barthez, Famille, travail et agriculture, Paris, Economica, 1982, p. 127-148 ; Rose-Marie Lagrave et Juliette Caniou, « Un statut mis à l’index », in Rose-Marie Lagrave (dir.), Celles de la terre. Agricultrices : l’invention politique d’un métier, Paris, EHESS, 1987, p. 111-150.
-
[19]
Sur les compétences généalogiques de la bourgeoisie et les usages de la mémoire familiale pour se positionner dans l’espace social, voir Beatrix Le Wita, « Mémoire : l’avenir du présent », Terrain, 4, mars 1985, p. 15-26 ; Pierre-Paul Zalio, Grandes familles de Marseille au XXe siècle. Enquête sur l’identité économique d’un territoire portuaire, Paris, Belin, 1999, p. 154-168.
-
[20]
Cela n’est spécifique ni à la viticulture, ni à la période contemporaine. Par exemple, des propriétaires-cultivateurs en Île-de-France au XVIIIe siècle cumulaient de grandes fortunes, avec l’occupation de charges d’État parmi les plus prestigieuses. Voir Jean-Marc Moriceau, Les Fermiers de l’Île-de-France. L’ascension d’un patronat agricole (XVe-XVIIIe siècles), Paris, Fayard, 1994.
-
[21]
Voir « Hennessy presse ses livreurs : angoisse dans le vignoble, Hennessy oblige ses viticulteurs de Grande et Petite Champagne à ne plus vendre à d’autres ou refuse d’acheter », article de David Patsouris dans Sud-Ouest, Cahier Charente, 4 septembre 2002. La direction d’Hennessy a démenti cette information dans les jours suivants, tout en réaffirmant : « Si Hennessy confirme que l’exclusivité n’a jamais été une exigence, la société ne nie pas sa volonté de travailler à terme avec des viticulteurs chez qui elle représentera une part significative – soit plus de 50 % de leurs achats – pour qu’ils deviennent des partenaires » (« L’ordre de marche d’Hennessy », Le Paysan vigneron, Revue viti-vinicole des Charentes et du Bordelais, 1015, septembre 2002).
-
[22]
Comme l’explique le directeur général de la société Hennessy dans la presse professionnelle locale : « Nous voulons que travaillent avec nous des professionnels concernés, sérieux. Je pense qu’aujourd’hui quelqu’un cultivant moins de 10 ha de vigne ne peut pas l’être tout à fait ou en tout cas aura beaucoup de mal à l’être » (Propos recueillis par Catherine Mousnier, « Société Hennessy : la lettre et l’esprit », Le Paysan Vigneron, Revue viti-vinicole des Charentes et du Bordelais, 1005, novembre 2001).
-
[23]
Cette expression est empruntée à Patrick Champagne, L’Héritage refusé. La crise de la reproduction sociale de la paysannerie française, 1950-2000, Paris, Seuil, coll. « Points Essais », 2002.
-
[24]
Robert Castel, Les Métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1999.
-
[25]
François Gresle, « L’indépendance professionnelle. Actualité et portée du concept dans le cas français », Revue française de sociologie, 22(4), 1981, p. 483-501.
-
[26]
Le marché français ne représente que 4 % des expéditions de cognac et 15 à 20 % si l’on tient compte des produits transformés (pineau des Charentes et liqueurs à base de cognac), selon le Bureau national interprofessionnel du cognac.
-
[27]
Gilles Laferté, La Bourgogne et ses vins : image d’origine contrôlée, Paris, Belin, 2006.
-
[28]
Christophe Giraud, « Division du travail d’accueil et gratifications dans les chambres d’hôtes à la ferme », Cahiers du genre, 37, 2004, p. 71-91.
-
[29]
Sur l’exogamie au principe de stratégies économiques et politiques subversives en agriculture, voir Susan Carol Rogers, « Which heritage ? Nature, culture and identity in French rural tourism », French Historical Studies, 25(3), 2002, p. 475-503 ; Marie-France Garcia-Parpet, Le Marché de l’excellence. Les grands crus à l’épreuve de la mondialisation, Paris, Seuil, coll. « Liber », 2009, p. 84 ; Ivan Bruneau, « Recomposition syndicale et constructions des collectifs militants. À partir d’une enquête sur la Confédération paysanne », in Bertrand Hervieu, Nonna Mayer, Pierre Muller, François Purseigle et Jacques Rémy (dir), Les Mondes agricoles en politique. De la fin des paysans au retour de la question agricole, Paris, Presses de Sciences Po, 2010.
-
[30]
Christophe Giraud et Jacques Rémy, « Les choix des conjoints en agriculture », Revue d’études en agriculture et environnement, 88, 2008, p. 21-46.
1Alcool de luxe vendu partout dans le monde, le cognac est l’affaire de quelques grandes marques qui appartiennent à des groupes multinationaux. Quatre entreprises réalisent 70 % des ventes – Hennessy en tête (qui appartient au portefeuille LVMH), suivi de Martell (groupe Pernod-Ricard), Rémy Martin (groupe Rémy-Cointreau) et Courvoisier (propriété du fonds de pension américain Fortune Brands) –, six autres marques assurant 20 % des ventes [1]. Dans les années 2000, leurs plus gros marchés sont les États-Unis, les pays asiatiques et le nord de l’Europe, loin devant la France. Face à ces grandes entreprises de négoce, environ 5 000 viticulteurs produisent le vin blanc à destination du marché du cognac, dans une aire de production délimitée qui s’étend sur les départements de la Charente et de la Charente-Maritime, autour de la ville de Cognac.
2Une enquête ethnographique menée entre 1997 et 2005 dans ces exploitations viticoles permet de contribuer à une analyse de l’économie mondialisée « par le bas », en examinant, au niveau local, la domination de grandes entreprises de négoce qui appliquent des logiques financières de groupes multinationaux sur leurs fournisseurs, de petites entreprises familiales inscrites dans un territoire économique circonscrit depuis plusieurs générations [voir encadré « Les exploitations viticoles de la région délimitée Cognac », p. 112]. Les viticulteurs sont des travailleurs indépendants : ils exercent une activité professionnelle sans être soumis à un contrat de travail salarié. Plus précisément, ce sont des propriétaires- exploitants. Ils sont propriétaires non seulement des bâtiments et du matériel d’exploitation, mais également d’une grande partie voire de la totalité des vignes qu’ils exploitent dans le cadre d’entreprises individuelles ou de plus en plus fréquemment de sociétés civiles agricoles. S’ils se présentent volontiers du côté des « possédants » et sont viscéralement attachés à leur indépendance statutaire, ils sont pourtant en position de dépendance économique vis-à-vis des grandes entreprises de négoce, en situation d’oligopsone, qui achètent (ou non) leur production et contrôlent le marché mondial du cognac. Comme les autres agriculteurs « sous contrat » [2], mais aussi une grande partie des indépendants dans les secteurs de l’artisanat [3] ou du commerce – notamment les sous-traitants et franchisés de grandes entreprises nationales ou internationales –, ce sont des travailleurs indépendants sous la dépendance économique de leurs acheteurs [4].
Les exploitations viticoles de la région délimitée Cognac
Les exploitations viticoles sont des entreprises familiales qui sont transmises sur trois générations au moins, le plus souvent de père en fils. L’enquête ethnographique était centrée sur les jeunes viticulteurs en cours de reprise de l’exploitation familiale (presque toujours des hommes, âgés de 25 à 35 ans), mais elle a porté également sur leur compagne, leurs parents, leurs grands-parents et leurs frères et sœurs, et multiplié les occasions d’observation participante tout autant sur les scènes publiques (professionnelles et syndicales) que privées (amicales et familiales). Au final, une trentaine de monographies de familles d’exploitants permettent d’appréhender une même situation professionnelle, économique et familiale de plusieurs points de vue, dans la durée des huit années de l’enquête [1].
3Cependant, cette domination économique ne s’exerce pas de façon uniforme sur l’ensemble des viticulteurs propriétaires-exploitants. Loin de constituer un groupe social homogène, les viticulteurs de Cognac ont des positions sociales très contrastées : certains vivent dans des châteaux et de grands domaines, d’autres dans de petites fermes où le style de vie est proche de la condition ouvrière, en passant par un dégradé de situations socioéconomiques intermédiaires. L’objectivation de cette hétérogénéité sociale n’est pas évidente, car les travailleurs indépendants échappent à la plupart des études sur la stratification sociale [5]. Construite dans les années 1950, la nomenclature des Catégories socioprofessionnelles (CSP) de l’INSEE a été développée par et pour une société salariale. Tous les actifs dans le secteur de l’agriculture étaient regroupés dans la même catégorie (0). Conscients des difficultés à placer « le gros agrarien de la Beauce et le petit paysan de la Corrèze » dans le même groupe, les concepteurs de la nomenclature des Professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) de 1982 ont rencontré les résistances des représentants du groupe professionnel agricole : « la représentation du groupe était si solide qu’elle mettait en échec tout critère de différenciation interne [6] ». Au final, la nouvelle nomenclature des PCS propose une stratification frustre des agriculteurs : les ouvriers agricoles ont été ventilés dans la PCS des ouvriers (6), tandis que les propriétaires-exploitants sont regroupés dans la PCS 1, en trois catégories selon la taille économique de l’exploitation (avec une échelle d’équivalent hectare de blé pour comparer les productions entre elles) [7]. Les revenus ne sont pas non plus un bon indicateur des disparités des niveaux de vie des agriculteurs : ils varient d’un mois à l’autre et d’une année sur l’autre ; les montants déclarés à l’administration fiscale ne sont pas contrôlés par un tiers mais reposent sur la comptabilité de l’entreprise, voire revêtent un caractère forfaitaire ; enfin, les revenus d’activité superposent revenus du travail et du capital et sont difficilement individualisables [8]. L’enquête ethnographique dans les exploitations viticoles de Cognac permet une autre approche de cette question de l’objectivation des groupes sociaux agricoles. Au sein d’une même région (la région délimitée Cognac), d’une même production (viticole) et d’un même statut d’emploi (propriétaire-exploitant), coexistent en effet des groupes sociaux bien différenciés. La hiérarchie sociale entre ces groupes est liée, notamment, à leur degré de dépendance vis-à-vis des acheteurs. Selon la structure de leurs capitaux – le volume de leur patrimoine économique combiné avec leurs ressources culturelles et sociales –, ces producteurs indépendants subissent plus ou moins la domination des multinationales du négoce.
Des propriétaires-exploitants dominés par de grandes entreprises de négoce
4Dès le Moyen Âge, l’Aunis et la Saintonge étaient deux régions viticoles renommées qui concurrençaient le Bordelais sur les marchés d’exportation anglais et hollandais. Ce sont les marchands du Nord qui ont introduit la technique de la distillation au XVIIe siècle et ont assuré sa promotion tout au long du XVIIIe siècle, dans la mesure où la distillation réduit le volume du vin et donc le coût de transport, tout en accroissant la plus-value [9]. À la fin du XIXe siècle, la crise phylloxérique a contribué à accroître le poids des négociants dans la filière de production, au détriment des viticulteurs. Alors qu’avant 1880 les viticulteurs-bouilleurs de cru distillaient 80 % des volumes de vins, entre 1900 et 1940 ils ne distillaient plus que 40 % des volumes [10]. Le phylloxéra a entamé les stocks des viticulteurs : à court de liquidités à partir des années 1920, ils n’ont plus eu les moyens d’assurer la distillation, le stockage et le vieillissement des eaux-de-vie [11]. Les viticulteurs, entre les années 1920 et 1960, ont été cantonnés de plus en plus au rôle de producteurs de vin à distiller, fournisseurs de matière première pour les négociants, dans un partenariat économique inégalitaire.
5Longtemps, cette domination du négoce sur la viticulture s’est faite sur un mode personnalisé. Les propriétaires-exploitants présentent leur relation avec ce qu’ils nomment les « grandes maisons » non pas comme une interaction marchande ponctuelle, mais comme un mode d’appartenance inscrit dans la mémoire familiale : on est « chez Rémy Martin », « chez Courvoisier », voire « on est Hennessy » ou « on est Martell » dans telle ou telle famille exploitante depuis plusieurs générations. Jusqu’aux années 1970, des « contrats moraux » régissaient les liens commerciaux entre les entreprises de négoce et leurs fournisseurs [12]. Même si les grandes familles négociantes se situaient tout en haut de la hiérarchie sociale locale et même nationale – puisque les « grandes maisons » appartenaient à des dynasties familiales en bonne place dans les palmarès des grandes fortunes françaises [13] –, elles vivaient sur place et entretenaient des relations personnelles avec leurs fournisseurs, selon un mode de gestion paternaliste des campagnes. Les listes des maires depuis la Révolution, gravées dans les halls des mairies de Cognac, Jarnac ou Barbezieux, attestent que ces familles du grand négoce constituaient aussi des dynasties de notables politiques.
6À partir des années 1980, les « grandes maisons » ont ouvert leur capital à des groupes multinationaux spécialisés dans le luxe ou les vins et spiritueux, dont le plus emblématique est LVMH (dont le H est Hennessy depuis 1987). Dans ces groupes multinationaux, le cognac est un produit parmi d’autres : il occupe une place marginale dans les ventes et l’objectif est la rentabilité financière du groupe dans son ensemble. À titre d’exemple, en 2002, dans le groupe Pernod-Ricard qui possède trois marques de cognac, les ventes de vin représentaient 17 millions de caisses, le whisky 13 millions de caisses, les anisés 9 millions de caisses, mais le cognac seulement 2 millions de caisses. Dans une période globalement défavorable au cognac sur les marchés mondiaux des alcools, les entreprises de négoce se sont restructurées et nombre d’entre elles ont disparu au gré des faillites et des fusions. En 2000, par exemple, le groupe Seagram, propriétaire de Martell depuis 1988 a été racheté par Vivendi, mais sans sa marque de cognac reprise l’année suivante par le groupe Pernod-Ricard (déjà propriétaire des marques Bisquit et Renault). Le groupe Pernod-Ricard a lancé en 2005 une offre publique d’achat sur Allied Domecq, propriétaire de Courvoisier. Finalement, c’est un fonds de pension américain, Fortune Brands, qui a acquis cette marque de cognac en 2006.
Au début des années 2000, les grandes entreprises de négoce réduisent fortement leurs achats de vin et d’eaux-de-vie aux viticulteurs [voir encadré « Un marché en dents de scie », p. 113]. En 2000, Hennessy annonce une baisse de 25 % des achats à ses fournisseurs sous contrat. Elle annonce la même année une baisse générale de ses prix de 10 % pour l’ensemble de ses approvisionnements. Les autres « grandes maisons » de négoce suivent cette politique. En 2000, Courvoisier annonce une baisse d’achat de 10 % en volume à ses fournisseurs ; Royer suspend l’intégralité de ses achats sur une année, etc. Surtout, Martell – la deuxième marque en volume des ventes, en pleine restructuration à la suite de son rachat par Pernod-Ricard – divise par deux les achats à ses fournisseurs sous contrat en 2001, et à nouveau en 2002. Cette politique de réduction des achats passe d’autant plus mal auprès des viticulteurs, qu’elle apparaît sous les nouvelles formes de management du négoce mondialisé : « Y a plus de relations » ; « Les dirigeants à Paris, à Bruxelles, aux États-Unis, tu ne les vois pas… tu ne les verras jamais ». Du point de vue des viticulteurs, les contrats avec les négociants apparaissent comme des « contrats à sens unique » dont ni les volumes ni les prix ne sont garantis. « Les contrats ne sont respectés par les “grandes maisons” que lorsque cela les arrange », « On n’a rien à dire », « On est obligés de dire amen », disent les viticulteurs.
« Un marché en dents de scie »
Le marché du cognac s’est retourné au milieu des années 1970, faisant entrer la viticulture dans une longue période de surproduction, brièvement entrecoupée par un épisode d’euphorie spéculative entre 1988 et 1991, où les prix des vins, des eaux- de-vie et des vignes se sont envolés. Le cycle de production du cognac particulièrement long – de la plantation des vignes jusqu’au vieillissement des eaux-de-vie, au minimum cinq années sont nécessaires avant de pouvoir commercialiser un cognac jeune – empêche toute adaptation rapide de l’offre à la demande, tant en volume qu’en qualité. D’où les retournements abrupts du marché, que les viticulteurs présentent avec un certain fatalisme : « le cognac, c’est toujours en dents de scie ».
Au moment de l’enquête, la situation économique était mauvaise dans la plupart des exploitations viticoles. Depuis plus de dix ans, les entreprises de négoce ne cessaient de réduire les prix et les volumes d’achat de vins et des eaux-de-vie auprès de leurs fournisseurs. Un certain découragement était perceptible chez les viticulteurs rencontrés, lorsque ces derniers comptabilisaient le nombre de « bonnes années » qu’ils avaient eues depuis leur installation. Pourtant, ils ne perdaient jamais de vue la possibilité d’une « reprise » et, « en attendant l’embellie », « se serraient la ceinture ». À partir de 2005, la demande de cognac croît significativement dans le monde, notamment aux États-Unis. Les entreprises de négoce qui avaient beaucoup destocké lors de la « Grande Crise » (1991-2004), reprennent massivement leurs achats de vin et d’eaux-de-vie, entraînant une nouvelle période de prospérité pour la viticulture charentaise.
8Les viticulteurs de Cognac s’avèrent ainsi très dépendants de leurs acheteurs. Les grandes entreprises de négoce répercutent sur eux à travers leur politique d’achat – en volumes et en prix – les retournements du marché mondial du cognac. Au début des années 2000, les négociants sélectionnent leurs fournisseurs selon des critères de plus en plus drastiques et en partie nouveaux : les Fins Bois au détriment de la Petite et Grande Champagne dans un contexte de demande d’eaux-de-vie jeunes [14] ; les gros livreurs de vin au détriment des petits ; les fournisseurs exclusifs au détriment de ceux qui ont des contrats avec plusieurs « grandes maisons ».
Une bourgeoisie viticole au patrimoine économique diversifié
9Les viticulteurs ne sont pas égaux face à la domination économique des grandes entreprises de négoce. Dans un moment économique défavorable à la viticulture dans son ensemble, certains propriétaires-exploitants ont les moyens économiques de résister à la dépendance vis-à-vis des « grandes maisons » et parviennent à maintenir leur position élevée dans les hiérarchies sociales locales.
10Lorsque j’ai rencontré pour la première fois Jeanne Boulin [15], en octobre 2000, je savais que je me rendais dans une « vieille famille » de la bourgeoisie locale. La propriété de Nasserand – siège de l’exploitation viticole, mais aussi lieu de résidence – était conforme à cette attente. C’est une maison à cour fermée typique de la région cognaçaise : un grand portail aveugle jouxte la maison d’habitation en façade et s’ouvre sur une cour qui distribue les bâtiments d’exploitation et se referme sur la distillerie et le chai. « Il n’y a pas de cloisons, seulement des murs datant du XVIIe ou XVIIIe siècles », précise la propriétaire des lieux en me faisant entrer dans les vastes pièces de la maison où dominent des meubles, objets et livres anciens. Jeanne Boulin est une femme réservée de 45 ans qui porte les habits discrets et classiques de la bourgeoisie catholique : cheveux courts, pantalon, gilet Saint James, mocassins, médaille de baptême. Fille unique, elle a repris au cours des années 1980 les exploitations de chacun de ses parents : en tout, 65 hectares de terre et 29 hectares de vigne, bien situés dans un cru central de la région. L’entreprise individuelle, à son nom, emploie quatre salariés : son mari (un ancien cadre des assurances devenu salarié à mi-temps sur l’exploitation), deux ouvriers agricoles à plein temps et une employée à temps partiel qui partage son temps entre l’exploitation et les travaux ménagers. Au cours de l’entretien, Jeanne Boulin n’était pas très optimiste quant à l’avenir, comme si l’apogée de l’exploitation familiale était derrière elle : « Les bonnes années ne sont pas nombreuses. On essaie de survivre. Les investissements matériels sont assez limités du fait des recettes ; le matériel vieillit. » Au début des années 2000, les revenus de l’exploitation sont en baisse. Jeanne Boulin bénéficie d’un contrat en eaux-de-vie avec une « grande maison » dont elle déplore qu’il diminue en prix et en volume chaque année, pour atteindre désormais la moitié de son quota de distillation. Elle ne parvient plus à vendre d’eau-de-vie en dehors de ce contrat, mais continue néanmoins à distiller l’intégralité de son quota autorisé et à stocker les eaux-de-vie, ce qui s’avère très coûteux. À cette période, Jeanne Boulin ne compte ni investir, ni agrandir l’exploitation. Elle cherche seulement à maintenir la valeur de son outil de travail jusqu’à la retraite, pour la transmettre à sa fille unique, âgée de six ans, qui pourrait être la sixième génération sur l’exploitation.
11L’irruption de son mari, Gérard Colard, au cours de l’entretien permet cependant de nuancer considérablement cette image d’une exploitation familiale « historique » en déclin. L’exploitation viticole ne constitue, en effet, qu’une partie de l’activité du couple, qui gère également un important patrimoine immobilier et financier :
– CB : Vous pensez retourner dans les assurances ?
– Gérard Colard : J’y suis tout du moins moralement [rires]. Tout simplement parce qu’on fait partie d’un club d’investissement [son épouse semble gênée à cet instant, elle me regarde furtivement], donc on… enfin moi j’ai gardé un contact avec le monde financier. Pas de la même manière…
– Jeanne Boulin : C’est pas un travail, c’est à côté de ton activité.
– GC : Mais c’était la même activité. Dans le club d’investissement et la Bourse, je garde un peu la même activité qu’autrefois. […]
– JB : Quand on a une certaine masse de capitaux, c’est très prenant, parce que pour être au courant, il faut suivre ! [il approuve].
– GC : Un agriculteur doit être fiscaliste, ingénieur agronome, technicien agricole, comptable ou presque…
– JB : [en continuant] Faut être juriste. […] Au cours de la journée, il n’y a pas une période d’activité privée, l’autre période professionnelle. Tout se mélange. [Son mari acquiesce] […] Quand je parle d’affaires privées, je parle des choses matérielles dont il faut s’occuper, à moins de déléguer à quelqu’un. J’ai une agence immobilière qui s’occupe d’un immeuble, mais il y en a d’autres [des immeubles] que je n’ai pas confiés. C’est quand même occupant, mais je suis incapable de dire le temps que ça me prend. Combien de fois il faut répéter à un artisan d’aller faire telle chose ; il faut faire faire des devis ; après il faut faire exécuter les travaux ; la peinture ; régler… Je vous assure, ça ne se fait pas tout seul, changement de locataire, en trouver un autre.
13Une partie de l’activité de Jeanne Boulin et Gérard Colard est consacrée à la gestion d’un parc locatif relativement important (plusieurs immeubles au moins) et d’actifs financiers placés en Bourse. Remarquons que les deux époux n’ont pas du tout le même rapport à leur patrimoine économique. Jeanne Boulin – en tant qu’héritière de la propriété viticole – met en avant le patrimoine productif (un patrimoine inscrit dans un lieu et dans une histoire familiale) et garde un certain secret sur ses autres sources de revenus considérées comme des « affaires privées » qu’elle place hors champ de l’entretien. Gérard Colard, au contraire, conçoit la gestion des actifs financiers et immobiliers comme un prolongement de ses activités professionnelles dans le secteur de l’assurance. Ancien salarié, accédant par le mariage à un patrimoine sans histoire, il n’hésite pas à en parler face à la sociologue.
14Malgré ces conceptions divergentes, le couple ne parvient pas isoler le temps consacré à la gestion de ce patrimoine de rapport de leurs autres activités, tant professionnelles que domestiques, largement imbriquées dans l’entreprise familiale [16]. Jeanne Boulin et Gérard Colard travaillent à la pérennisation de l’ensemble du patrimoine économique de la famille. Les différentes composantes de ce patrimoine prennent sens dans leur interrelation et leur cumulativité [17]. La détention d’un patrimoine immobilier et financier de rapport assure des revenus réguliers (loyers, dividendes) qui permettent de tenir les « mauvaises années » sur le marché du cognac. On comprend mieux pourquoi et comment Jeanne Boulin a pu se permettre de distiller et de stocker autant d’eau-de-vie (l’intégralité de son quota) au début des années 2000, alors que les achats du négoce ne cessaient de diminuer depuis dix ans. La capacité de stocker les eaux-de-vie a permis de profiter pleinement du retournement du marché du cognac, qui a effectivement eu lieu en 2005. La spéculation sur le marché du cognac est en effet réservée aux bouilleurs de cru qui ont les moyens de constituer et d’entretenir un stock d’eaux-de-vie sur le long terme. Seuls les viticulteurs ayant les moyens financiers de cette stratégie ont pu « vider leur chai » à des prix élevés en 1988-1991 ou, en 2005-2007, réinvestir dans leur patrimoine productif et en profiter pour « mettre leurs billes ailleurs » que dans l’exploitation, c’est-à-dire dans la consolidation de leur patrimoine immobilier et financier. Dans la bourgeoisie viticole, les propriétaires-exploitants tirent partie des fluctuations du marché du cognac grâce à l’importance du volume et de la structure diversifiée de leur patrimoine économique. Ce capital économique est combiné avec d’autres types de capitaux – culturel et social – pour fournir des marges de manœuvre et des possibilités d’action aux viticulteurs dans le rapport d’interdépendance qu’ils entretiennent avec les grands négociants.
Capital culturel et capital social dans la bourgeoisie viticole
15Quelques semaines après cet entretien, j’ai rencontré Jocelyne Tansix, la mère de Jeanne Boulin, une femme imposante, veuve, âgée de 80 ans et ancienne chef d’exploitation, ce qui est rarissime à sa génération [18]. Pleine d’assurance, elle utilise l’entretien pour évoquer les lignées les plus illustres de sa famille, dont elle ne retient que les personnages et les épisodes les plus valorisants [19]. Cette généalogie sélective permet cependant de retracer l’accumulation et les transmissions du patrimoine économique sur quatre générations qui sont imbriquées avec le transfert d’autres types de capitaux : culturel et social.
16Le père de Jocelyne, Marcel Tansix, né en 1894, était le fils d’un couple de régisseurs chez un négo- ciant. Il a fait des études « brillantes » au lycée à Bordeaux, puis à HEC. En 1914, alors qu’il est en cours de scolarité, il est mobilisé et gravit les échelons dans l’armée jusqu’au grade de capitaine. Après la guerre, « désemparé », il « revient au pays », se marie avec une héritière et reprend en gendre une vaste exploitation pour l’époque, à Siac (12 hectares de vigne en Fins Bois). Il constitue à partir de l’entre-deux-guerres un portefeuille financier en Bourse qu’il fait prospérer et transmet à sa fille : « Ce qui fait qu’on était viticulteurs, dit Jocelyne, mais on vivait autant de… [elle hésite] d’autres choses, vous voyez. » Jocelyne Tansix a épousé Jules Boulin en 1952. Ce dernier, après des études à Sciences Po à Paris, revient en Charente pendant la Seconde Guerre mondiale sur les terres de ses grands-parents maternels – les de Seze – qui appartenaient à la grande bourgeoisie d’affaires de l’époque, propriétaires de vignes certes, mais surtout rentiers.
– Jocelyne Tansix : Oui, vous savez, il [son mari] a été le premier qui ait travaillé dans sa famille de ses mains. Parce que c’était des gens qui étaient très très riches. Je peux vous faire voir d’ailleurs, j’ai des papiers. Sous Henri IV, ils étaient riches ! […]
– CB : Et eux, c’était pas la viticulture ?
– JT : Si, si, si, si. Ah ben, ils ne travaillaient pas. Ils avaient une propriété qu’ils faisaient exploiter. […] Donc, ma belle-mère était ce qu’on appelle rentier. Voilà. Et son père [de sa belle-mère], qui vivait à Nasserand et qui est mort en 1937, lui, il allait tous les jours à la banque, il vendait, il achetait des titres. Des titres, des titres… ce qu’il fallait [rires]. Ma belle-mère avait une sœur, qui avait épousé un notaire, mais qui n’exerçait pas son métier parce qu’il n’en avait pas besoin, il boursicotait lui aussi de la même façon.
18La famille Boulin-Tansix est caractérisée par sa double accumulation d’un capital culturel et d’un patrimoine économique diversifié qui dépasse la propriété viticole. À chaque génération, les capitaux culturels acquis par alliance ou transmis dans la lignée accompagnent la mise en valeur d’un portefeuille de titres boursiers et de biens immobiliers. Face à l’étudiante parisienne bardée de diplômes, Jocelyne Tansix se démarque des autres viticulteurs du voisinage, présentés comme des « paysans ». Son père et elle-même ont toujours « fréquenté » des médecins ou des avocats dans la région bordelaise, plutôt que des viticulteurs charentais. « À chaque génération, ce n’était pas des gens ordinaires. Ça a toujours été des gens qui n’étaient pas exploitants si on peut dire. Et pourtant il y a toujours quelqu’un qui s’est dévoué », dit-elle. Les composantes économiques, culturelles et sociales du patrimoine familial contribuent à asseoir le statut social des Boulin- Tansix dans la bourgeoisie [20]. Or, cette position, « connue » et « reconnue », permet d’atténuer sensiblement le rapport de domination des grandes négociants : « Il y a peut-être quatre ou cinq ans, ma fille avait été chez X [une grande maison], et ils lui ont dit : “Tiens, Boulin, ça nous dit quelque chose”, et ils ont pris leur cahier : “Tiens votre maman ne vend plus.” Alors ils lui ont pris pendant plusieurs années. »
19Malgré les nouvelles formes de management des grands groupes multinationaux, le négoce en cognac continue à être vu par les viticulteurs – que ce soit pour le constater ou le dénoncer – comme un « tout petit monde », où certains ont leurs « entrées » et d’autres sont exclus. Entretenir de bonnes relations avec les négociants de la place de Cognac distingue les « vieilles familles charentaises », dont la réputation est solide et l’inscription locale ancienne, des plus jeunes arrivants – ceux qui ont planté des vignes dans les années 1970, notamment dans les crus périphériques, et qui ont rarement obtenu des contrats en eaux-de-vie avec les « grandes maisons ». Les membres de la bourgeoisie viticole cultivent un réseau de relations sociales avec les cadres des maisons de négoce en fréquentant les mêmes clubs de sport (golf, tennis, etc.), les mêmes associations culturelles, les mêmes conservatoires de musique et écoles privées pour leurs enfants, les mêmes lieux de culte (églises catholiques ou temples protestants). C’est dans la bourgeoisie viticole que sont recrutés les bouilleurs de profession – surnommés les « barons » – qui entretiennent des relations commerciales exclusives avec une entreprise de négoce, en distillant pour cette dernière la production des livreurs de vin voisins. C’est également dans la bourgeoisie viticole que l’on trouve les fournisseurs « traditionnels » et « privilégiés » des grandes maisons (inscrits sur le « livre d’or des fournisseurs historiques » d’Hennessy par exemple), qui cultivent les plus grandes exploitations dans le centre de la région délimitée, et bénéficient des meilleurs contrats de commercialisation en eaux-de-vie. Maintenir une position dans la bourgeoisie viticole locale suppose un travail permanent de consolidation de son réseau de relations avec les dirigeants locaux des entreprises de négoce, mais aussi la transmission de ce capital d’une génération à l’autre – en emmenant son fils négocier les contrats chez les négociants dès son plus jeune âge, par exemple. Les incidences économiques de l’entretien de ce capital social sont considérables, étant donné le marché des achats aux viticulteurs, particulièrement opaque sur la sélection des fournisseurs et sur les prix. Mais le résultat n’est pas garanti à tous les coups : « avoir ses entrées » dans le monde du négoce n’est pas forcément acquis pour toujours et les « passe-droits » issus des relations de « copinage » ont parfois leurs limites. Même dans la bourgeoisie viticole, les propriétaires-exploitants sont dépendants des négociants qui ont à tout moment la possibilité de s’approvisionner ou non chez eux.
Allégeance à une « grande maison », course aux hectares et endettement
20Plus on descend dans la hiérarchie sociale de la viticulture charentaise, plus la dépendance économique vis-à-vis des grandes entreprises de négoce s’intensifie. Dans une période de surproduction chronique, les viticulteurs cherchent à tout prix à pérenniser leur accès au marché du cognac. Ils sont prêts pour cela à devenir les fournisseurs exclusifs d’une « grande maison » [21]. Cette stratégie d’allégeance – que les viticulteurs nomment « fidélité » – n’est pas accessible à tous les propriétaires-exploitants. Elle suppose un ancrage historique et un solide réseau de relations sociales dans les entreprises de négoce, ainsi que les moyens économiques de suivre les investissements recommandés par les négociants, pour un résultat pas toujours garanti [voir encadré « Même à des gens qui leur ont toujours été fidèles, ils ne te foutent jamais la paix », ci-contre]. Surtout, cette stratégie est coûteuse, puisqu’elle implique de s’endetter pour agrandir les structures de production.
« Même à des gens qui leur ont toujours été fidèles, ils ne te foutent jamais la paix »
Les « grandes maisons » prescrivent à leurs fournisseurs certains modèles de machines à vendanger, de pressoirs ou de matériel d’équipement des chais. Les viticulteurs savent par exemple que Hennessy achète plus volontiers les eaux-de-vie vieillies dans des fûts de la marque Taransaud. Cette entreprise de tonnellerie était une filiale de la maison de cognac de 1972 à 1997, date où le président d’Hennessy, Henri de Pracomtal, a quitté l’entreprise et racheté Taransaud, qui fait partie désormais d’un groupe qui intègre plusieurs entreprises de tonnellerie (Chêne & cie) [1]. Ces recommandations ne sont pas toujours suivies à la lettre par les viticulteurs qui, soucieux de leurs coûts de production, ne peuvent pas toujours investir dans le matériel adéquat. Or le non-respect des consignes de production peut fournir une raison pour une réduction des contrats d’achat. Les visites de contrôle des chais par les négociants sont donc toujours des évènements redoutés par les viticulteurs, qui cherchent à pérenniser leurs contrats : « Disons que la maison Z., ça fait un moment qu’on y est, là ils sont venus faire une visite du chai. C’est des vieux bâtiments et tout, c’est pas aux normes HACCP [2], mais le gars il a dit que c’était pas mal, il a rien dit d’anormal. Le conseil qu’il nous a donné, c’est de mettre l’eau dans le chai. C’est pas débile en plus, et c’est facile à faire, ça ne va pas nous coûter une fortune. […] Ils doivent avoir la consigne d’être un petit peu méchants au début. Moi je suis pas habitué, mais mon père plus déjà. Donc il répondait un p’tit peu, mais juste ce qu’il faut pour pas se laisser monter sur les pieds. Après, à la fin on a eu une discussion plus libre. Non ça s’est bien passé. […] Maintenant ils fonctionnent comme ça pff… Si tu leur fais une crasse, même si ton vin est bon, ton vin il aura forcément un défaut. Il faut courber l’échine. Je ne sais pas combien de temps ça va durer. Et puis là [soupir] la pression quand même, elle n’a pas diminué dans les dernières années. C’est ce que je leur reproche. Même à des gens comme nous qui leur ont toujours été fidèles, ils ne te foutent jamais la paix » [Marc Marchand, un jeune viticulteur en GAEC père-fils, qui vend l’intégralité de son quota de production, en vin, à la maison Z.].
Recherchant la différenciation de leur marque, les « grandes maisons » promeuvent des techniques de distillation différentes auprès des bouilleurs de cru, dont le respect est évalué par dégustation ex-post des eaux-de-vie. Les « goûteurs à l’aveugle » établissent sur chaque échantillon d’eau-de-vie des notes, assorties de commentaires sur leur composition chimique (plus ou moins éthérées par exemple) et leurs caractéristiques œnologiques – parfum de « graillon », « chien mouillé », « herbacé », etc. Les viticulteurs-bouilleurs de cru sont souvent sceptiques et critiques sur ces commentaires. D’une part, parce que le décalage entre les critères d’évaluation de la qualité des eaux-de-vie par les négociants et l’appréciation plus empirique de celle-ci par les bouilleurs de cru est manifeste (« Je sais que mon cognac est bon, mais par rapport à quoi ? »). Mais surtout, parce que les négociants sont toujours soupçonnés d’utiliser l’alibi de la qualité (peu vérifiable par les viticulteurs eux-mêmes) pour refuser des eaux-de-vie dont ils ne veulent pas pour d’autres raisons : « c’est à la tête du client ».
21Au début des années 2000, les grandes entreprises de négoce poussent leurs fournisseurs à s’agrandir, et se répand la rumeur parmi les viticulteurs que les grandes maisons n’achèteront plus de vin aux exploitations en dessous de 10 hectares [22]. Ce seuil désespère les petits livreurs de vin qui exploitent moins que cette surface, mais inquiète aussi les petits producteurs au-dessus du seuil, qui se sentent menacés d’exclusion du marché du cognac, à plus ou moins court terme.
22Marc Marchand est un jeune viticulteur qui incarne bien la stratégie d’allégeance à une grande maison couplée avec un agrandissement des structures de production. Sa famille entretient des relations commerciales privilégiées avec une grande maison de négoce depuis le début des années 1970. Tandis que son père cultivait 9 hectares de vigne en Fins Bois jusqu’en 2001, les Marchand ont triplé leur surface en vigne exploitée en trois ans (2001-2003), au moment de l’entrée de Marc dans le GAEC familial. L’intégralité de leur quota de production à destination du marché du cognac est vendue sous contrats « bonne fin » à la maison Z. Ce type de contrat « à terme », qui se développe dans les années 1990-2000, fonctionne de la manière suivante : le viticulteur expédie son vin chez un bouilleur de profession et paie les frais de distillation ; les eaux-de-vie sont ensuite stockées dans les chais de la grande maison qui s’engage à les acheter (déduction faite des frais de stockage) au bout d’un certain temps (en général deux ou trois ans). Ni les volumes, ni les prix ne sont garantis aux viticulteurs. Ce type de contrat impose aux viticulteurs un paiement différé dans le temps (qui implique de posséder une importante trésorerie) et ampute leur rémunération de la valeur ajoutée de la distillation et du stockage. Les marges étant moindres, les viticulteurs ont alors intérêt à accroître la taille de leur exploitation pour augmenter leur chiffre d’affaires – du moins s’ils ont l’assurance d’obtenir une augmentation de leurs volumes de vente sous contrat en même temps que l’élargissement de leur surface : « On est parti dans le système », « Je pousse, tant qu’on peut en faire plus. Parce qu’en fait, c’est le futur », dit Marc Marchand. Pourtant, ce dernier est bien conscient des risques. Car l’agrandissement se fait au prix d’un lourd endettement et d’une grande dépendance économique vis-à-vis de la maison de négoce. Marc Marchand calcule que les nouveaux hectares achetés rapporteront – une fois que le roulement des contrats bonne fin sera pris, c’est-à-dire dans trois ans – 5 000 F par hectare. Son calcul est le suivant : un hectare de vigne rapporte en marge directe 22 500 F ; somme de laquelle il soustrait 17 500 F de remboursement d’emprunt foncier. En faisant le calcul à voix haute, il se rend alors compte que ce qu’il me présentait comme un bon investissement constitue finalement une opération fort coûteuse, pour 200 heures de travail par an et par hectare – « C’est sûr que ramené à l’heure de travail… ça fait 25 F ! Donc pas le SMIC, hein. C’est un demi-SMIC » – et un revenu disponible seulement dans trois ans : « C’est moins intéressant que la Caisse d’Épargne », conclut-il. L’endettement est lourd pour l’entreprise familiale. C’est une stratégie particulièrement risquée dans le contexte de recomposition permanente des entreprises de négoce et de leurs politiques d’achat.
Les petits livreurs de vin : « galérer pour n’avoir rien au bout ! »
23La dépendance économique vis-à-vis des grandes entreprises de négoce est encore plus grande pour les petits « livreurs de vin », dénommés ainsi par les négociants puisque c’est sous cette forme exclusivement que ces derniers achètent leur production. Non seulement les livreurs de vin bénéficient peu des « bonnes années », puisqu’ils ont des stocks d’eaux-de-vie limités (voire nuls) à vendre en période de spéculation sur le marché du cognac, mais surtout ils subissent de plein fouet les réductions des achats des entreprises de négoce dans les longues périodes de surproduction. Au début des années 2000, certains n’ont plus du tout accès au débouché cognac.
24Depuis 1981, François Pinganeaud est ouvrier agricole à plein temps. Il a en outre repris une petite exploitation familiale viticole de 7 hectares située en Fins Bois, en 1991. Au moment de son installation, il comptait abandonner son emploi salarié et agrandir son exploitation. L’enchaînement des « mauvaises années » en a décidé autrement. Son récit illustre la fragilité économique des petits « livreurs de vin » : la soumission aux aléas climatiques, les difficultés d’accéder au marché du cognac pour les petites exploitations, le recours à des marchés expédients (la vente de jus de raisin, de vins de consommation, de moûts de vinification, etc.) pour boucler la trésorerie, l’endettement. Son épouse travaille à plein temps sur l’exploitation et réalise des travaux saisonniers en tant qu’aide ménagère ou ouvrière agricole dans les exploitations voisines. Au moment de cet entretien, en 2002, François Pinganeaud, a 41 ans. Il constate, découragé, que l’exploitation ne lui rapporte rien.
– François Pinganeaud : Arrêter chez Millaud [son employeur], prendre l’exploitation et essayer de m’agrandir. Ça c’était mon projet. Et j’ai vite déchanté, parce que je n’ai eu que des malheurs. 1991, le gel, j’ai fait cent hectolitres au total, c’était l’horreur. Alors j’ai fait un emprunt pour essayer de payer mes dettes, alors que j’avais déjà fait un emprunt pour acheter du matériel, donc des dettes, tout le temps des dettes. Mon père avait des contrats chez X [une petite maison de négoce]. Donc moi, j’ai été chez X, puis voilà, je lui ai expliqué, au PDG, au directeur. Je lui ai dit, voilà je m’installe, est-ce que vous pouvez me faire des contrats ? Pas de problème, on fait des contrats. Le problème, c’est que ça a duré quatre ans. Ça allait de plus en plus mal et un jour ils m’ont dit : « C’est terminé, on prend plus de vin. » À l’époque, ils me prenaient la totalité de ce qui était produit. C’était correct. 1991, le gel, 1992, c’était bien, 1993, c’était bien aussi et après, ils m’en prenaient moins, ils me le payaient bien moins cher, ils me faisaient payer les frais de distillation, là ça a commencé, la trésorerie, ça a piqué… y avait plus d’argent, c’était le bazar complet. […] Au [marché du] cognac, j’ai pas droit. Chez Hennessy, ils veulent faire des contrats, mais les petites exploitations, ils n’en veulent pas. Ils ne veulent plus s’embêter à aller chercher des petites quantités, ça fait des camions quand même, mais ils ne veulent plus. Alors bon…
– CB : Après X, vous n’aviez plus de débouché cognac ?
– FP : Plus de débouché cognac. À partir de ce moment-là j’ai plus vendu au cognac, ça a été la galère. J’ai fait vin de conso, j’ai fait des vins techniques une année, c’est du vin qui est filtré, ressoutiré, enzymé avec des levures et tout ça, tout un bazar, pour le vendre pas très cher en fait. […] L’année d’après, ça s’est cassé la figure, les vins techniques, ils en voulaient plus, alors je me suis dit avec tout l’argent que je mets dans les vins, le temps que j’y passe, il faut trouver autre chose. Alors j’ai dû faire de la distillation préventive et puis du vin de pays, et puis un peu de jus de raisin, mais pas tellement, parce que j’ai des vignes en mauvais état donc elles produisent pas assez pour faire des quantités. […]
– CB : Et là vous êtes allé voir toutes les grandes maisons ?
– FP : Oui, mais rien du tout. Je connais quelqu’un qui distille pour Y [un grand négociant], j’ai été le voir, il m’a dit : « D’accord, je prends ton nom, si toutefois il y a quelque chose, mais il me dit faut pas rêver, on ne fait plus de contrat. » Y a un autre distillateur qui est venu me voir plusieurs fois. Il me dit : « Punaise, il faut que vous trouviez deux ou trois hectares »… « Il vous faut un peu plus de 10 hectares. 11 c’est bien. En dessous, niet. » Y a des vignes qui se sont vendues, il y a un viticulteur qui voulait me les céder, ses vignes, mais qu’en achat. Il les vendait 17 millions [d’anciens francs : 170 000 F] l’hectare ! Moi je lui ai proposé jusqu’au bout du fermage… il ne voulait pas. Bon ben, il les a vendues et j’ai rien eu. […]
– CB : Concrètement l’exploitation, ça rapporte quelque chose ?
– FP : Non. Rien. Rien. Je paie l’électricité, les frais de gazole, mais à part ça, rien. Le moral, il en prend un coup, tous les ans, il en prend un p’tit coup. J’ai plus autant d’entrain. Mais quelque part, je me dis, bon… ça va venir. Moi je suis un peu borné… j’ai envie, je veux aller jusqu’au bout, je ne veux pas baisser les bras. C’est de la bêtise peut-être.
La polyculture contre la dépendance économique sur le marché du cognac
26Être un petit livreur de vin au début des années 2000 est le produit d’une histoire. Celle des exploitations converties à la mono-viticulture dans les années 1970 et qui n’ont pas profité des années fastes (1960-1975) pour s’équiper en matériel de distillation très coûteux ; l’investissement devenant impossible à faire à partir de l’installation de la surproduction chronique dans les années 1980. C’est aussi le résultat du contexte économique défavorable. De nombreux viticulteurs équipés de chaudières qui avaient l’habitude de distiller une petite partie de leur production (en sus de leurs contrats en vin) renoncent à la distillation, du fait du refus des négociants de leur accorder des contrats en eaux-de-vie mais aussi parce qu’ils n’ont plus les moyens de stocker et qu’ils ne sont pas sûrs de vendre les eaux-de-vie à un bon prix sur le marché hors contrat.
27Face à cette dépendance économique maximale, certains jeunes viticulteurs se replient sur d’autres productions agricoles. Alors que leurs parents dans les années 1960 et 1970 avaient délaissé l’élevage et la céréaliculture au profit de la viticulture jugée bien plus rentable, de jeunes viticulteurs retournent à ce qui avait été longtemps un handicap pour leur exploitation : la polyculture. En 2000, plus de huit viticulteurs sur dix enregistrés à la Mutualité sociale agricole de Charente déclaraient cultiver aussi des céréales, et un quart d’entre eux avaient une activité d’élevage (bovine la plupart du temps). Les polyculteurs sont ceux qui explicitent le plus leur distance sociale vis-à-vis du « monde du cognac » qui est selon eux avant tout celui de la bourgeoisie viticole, des « grandes maisons », des « costumes » et des « véhicules 4x4 ». Ils ont intégré leur position dominée dans l’espace social de la viticulture charentaise : « Éleveur-laitier c’est associé à bouseux, à paysan… Moi je trouve que c’est ça dans les mentalités… Quand tu as de la vigne, c’est pas pareil, c’est plus snob, l’élevage c’est plus merdaillou », me dit un jeune viticulteur qui vient d’entrer dans un GAEC avec ses parents, propriétaires de 12 hectares de vignes commercialisés en contrats bonne fin à un négociant et qui exploitent également un atelier de trente vaches laitières. La plupart des petits livreurs de vin ne mettent jamais les pieds au Bureau national interprofessionnel du cognac (BNIC) – qui cultive une image de luxe, assez proche de celle des négociants et à destination des acheteurs. Ils fréquentent également peu les syndicats viticoles dont les postes à responsabilité sont occupés par des viticulteurs-bouilleurs de cru du centre de la région délimitée. Dans les assemblées générales où est discutée l’organisation de la production, ils sont absents tant à la tribune que dans la salle [voir encadré « Les enjeux sociaux des débats politiques sur l’organisation de la production », ci-contre].
Les enjeux sociaux des débats politiques sur l’organisation de la production
À la fin des années 1990, le climat politique était très tendu autour de l’organisation de la production viticole. Tandis que le marché du cognac était au plus bas et que les négociants réduisaient leurs achats à la viticulture, l’Union européenne annonçait la fin imminente des subventions aux excédents de la production. Dans ce contexte, plusieurs grandes manifestations de viticulteurs ont eu lieu entre 1998 et 2002. Un syndicat viticole est né de la crise. En 2000, le Syndicat général des vignerons de l’AOC Cognac (SGV) a fédéré pour la première fois la viticulture charentaise face aux négociants et aux pouvoirs publics français et européens, dans les débats sur l’organisation de la production. Le SGV réalise une union des syndicats agricoles et viticoles dans la région délimitée, clivés jusque-là sur des lignes politiques (syndicats majoritaires ancrés à droite vs. Confédération paysanne à gauche et Coordination rurale à droite) et départementales (Charente vs. Charente-Maritime).
Chaque année, la discussion au sein de l’interprofession sur le niveau du quota de production est conflictuelle. Les représentants du négoce défendent une QNV élevée (huit hectolitres d’alcool pur par hectare au début des années 2000) : ils cherchent à maintenir des prix bas et visent un resserrement de leurs achats sur leurs « fournisseurs traditionnels ». Le SGV défend au contraire la position d’une QNV basse (autour de six hectolitres d’AP par hectare au début des années 2000) – c’est-à-dire d’un encadrement plus strict de la production, afin de maintenir une pression sur les prix. Cependant, à partir de septembre 2002, le SGV est concurrencé par la création d’un nouveau syndicat viticole, le SVBC (Syndicat des viticulteurs-bouilleurs de cru) dont les dirigeants sont des fournisseurs liés à Hennessy qui défendent explicitement les intérêts des bouilleurs de cru du centre de la région délimitée, dont les revenus sont tirés exclusivement du cognac (par opposition avec les polyculteurs). Au nom de la défense de leurs revenus, ce syndicat demande une QNV plus élevée que le SGV. À partir de 2003, du fait de la reprise du marché mondial du cognac, le quota est progressivement remonté pour atteindre huit hectolitres d’alcool pur par hectare.
Ce qui se joue dans ces débats annuels sur les politiques publiques d’encadrement de la production c’est la légitimité pour les différents groupes sociaux de viticulteurs d’accéder ou non au marché du cognac, selon leur position géographique, leur position socio-économique (selon la taille de l’exploitation, le degré de transformation du produit), leur légitimité historique (ancienneté, enracinement local, relations sociales avec les négociants) et leur plus ou moins grande spécialisation en viticulture. Au travers des prises de positions dans les débats sur les quotas de production, se dessinent des groupes sociaux de propriétaires-exploitants : une bourgeoisie viticole mobilisée pour la défense de ses intérêts (un quota de production élevé pour accroître ses revenus du fait de « ses entrées » dans le monde du négoce) vs. une petite viticulture de la périphérie, éventuellement en polyculture, qui peine à maintenir son accès au marché du cognac et participe peu aux débats.
Un attachement à l’indépendance statutaire pour supporter la dépendance économique
28Pourquoi et comment de petits livreurs de vin parviennent-ils à reproduire l’envie de se reproduire [23], alors même qu’ils sont sous dépendance économique maximale ? Les petits livreurs de vin sont très attachés à leur statut de propriétaire-exploitant, qu’ils préfèrent à la condition d’ouvrier ou d’employé. Le cas d’un jeune viticulteur en difficulté économique permet de comprendre cet attachement coûte que coûte à l’« indépendance » professionnelle.
29Hervé Branche a 25 ans lorsque je le rencontre pour la première fois dans son studio qui jouxte la ferme familiale. L’aspect vétuste des bâtiments d’exploitation ainsi que la présence du bétail contrastent avec les exploitations viticoles aux alentours. Ses parents cultivent six hectares de vignes, treize hectares de terres et tirent principalement leurs revenus d’un petit élevage laitier d’une dizaine de vaches. La taille de l’exploitation n’a pas permis à Hervé de s’y installer à la suite de son bac agricole. C’est pour cette raison qu’il a pris 10 hectares de vignes en fermage à partir de 1994. L’entretien qui a eu lieu trois années plus tard est l’occasion de faire le point sur cette installation. On y entend la fierté d’être devenu propriétaire-exploitant « à son compte », mais aussi l’inquiétude face à une situation économique de moins en moins tenable, puisque ni lui ni ses parents n’ont désormais accès au marché du cognac.
– Hervé Branche : Ça m’a marqué, ma mère m’avait dit une fois, je lui avais dit que je voulais faire chauffeur routier, elle m’avait dit que ce n’était pas un métier, et comme agriculteur ça me plaisait. […] Enfin bon, ce n’est pas grave. Je ne regrette pas d’avoir choisi le métier d’agriculteur, même si ça ne va pas, on est libre !
– CB : Libre…
– HB : Quoi, on fait ce qu’on veut, je veux dire. Aujourd’hui j’aurais été à l’usine, vous m’auriez demandé un entretien, je ne pouvais pas. Là aujourd’hui, vous m’avez téléphoné, pas de problème. Les ouvriers agricoles, c’est l’heure, c’est l’heure. Ils y vont, hein ! Tandis que nous [les exploitants], on est le patron, on fait ce qu’on veut, c’est ça l’avantage. Enfin on le paye cher : on travaille tout le temps ! Puis ben là on gagne autant qu’un RMI. Enfin bon, on le choisit… Le cognac, ç’a toujours été comme ça, y a eu des crises. En 1989, en 1990, c’était merveilleux, ils vendaient tout ce qu’ils voulaient. Quand ça ira mieux, on ne nous entendra plus. […]
Plus tard, Hervé Branche raconte sa trajectoire au lycée agricole en BEPA, puis en BTA (l’équivalent du bac agricole).
– CB : Et vos parents, qu’est-ce qu’ils disent ?
– HB : Que j’aurais mieux fait de continuer, de faire autre chose…
– CB : Ils ne vous encourageaient pas à reprendre ?
– HB : Si ! Dans le moment que ça allait bien, ils m’encourageaient toujours à aller plus loin. […] Ils ont dit : « Ben, va quand même jusqu’au BTS, t’auras une formation et puis si t’en as pas besoin, t’en as pas besoin mais tu l’as, quoi. » Mais bon… [je suis] têtu, hein… Stop pour le BTA. Et aujourd’hui, ils me disent carrément : « T’aurais mieux fait d’aller plus haut, tu ferais autre chose. » Mais comme c’était toujours m’installer. Je me suis toujours dit le minimum… toujours… Ce qui fait qu’après je me suis installé et puis voilà… Donc au jour d’aujourd’hui, je suis installé et tous les ans à cette saison, on se dit est-ce qu’on va continuer ? Est-ce qu’on va s’arrêter ? Qu’est-ce qu’on va faire l’année prochaine ?
31Dans une situation économique difficile, Hervé Branche s’accroche aux avantages de son statut d’exploitant : être indépendant, avoir la liberté de ses horaires, ne pas avoir de patron. Il se compare implicitement avec les ouvriers dans le secteur agricole ou industriel, position qu’il occuperait sans doute s’il ne s’était pas installé à son compte. Hormis un de ses oncles qui est devenu facteur, tous les membres de sa famille sont ouvriers ou indépendants dans le secteur de l’agriculture ou de l’artisanat. Dans une période d’effritement de la société salariale [24], la ville et ses emplois salariés ont perdu de leur pouvoir d’attraction et peuvent donner une nouvelle valeur aux stratégies de reprise de l’exploitation familiale, y compris chez les petits livreurs de vin. Être propriétaire-exploitant peut apparaître comme une position plus enviable qu’un emploi d’ouvrier ou d’employé avec des contrats de travail précaires, à temps partiel ou saisonniers, et la menace du chômage. Après la résiliation de son bail de fermier qu’il n’arrivait plus à honorer, Hervé Branche est entré en 2000 dans le GAEC familial, grâce à une augmentation substantielle de son quota laitier, obtenue après un long bras de fer avec les instances professionnelles départementales. En l’espace de deux années, Hervé a loué et acheté une trentaine d’hectares de terres supplémentaires. Il se définit désormais, avant tout, comme un éleveur.
32Alors même que leur dépendance économique est maximale, les petits livreurs de vin s’accrochent coûte que coûte à leur statut. On retrouve ici le goût de la liberté comme l’un des fondements de l’éthique professionnelle des non-salariés [25]. Même si les conditions économiques sont difficiles, les petits livreurs de vin continuent à espérer une reprise du marché du cognac. La dépendance économique objective n’épuise pas la croyance que ces propriétaires-exploitants mettent dans leur statut et leur activité. C’est en tenant compte de ce sens social de l’« indépendance professionnelle » – y compris pour les plus dépendants économiquement – que l’on peut comprendre l’engouement des viticulteurs charentais pour la vente directe.
Le rêve de la vente directe pour sortir de la dépendance économique
33Au début des années 2000, alors même que la vente directe demeurait marginale – elle représentait 6 % des volumes de cognac –, elle suscitait un grand enthousiasme chez les jeunes viticulteurs et figurait souvent dans leurs projets d’installation. La vente directe représente le rêve d’une émancipation vis-à-vis des grandes entreprises de négoce. Mais cette stratégie subversive comporte un risque important : être disqualifié comme fournisseur privilégié des « grandes maisons » (« C’est pas qu’il y a des représailles, mais ils sont un peu plus réticents à prendre du cognac à quelqu’un qui fait de la bouteille. […] Vaut mieux être bien avec eux »).
34D’autres raisons font que la vente directe demeure souvent l’arlésienne des projets d’installation. Comme le souligne Olivier Neaud, un jeune viticulteur dont le projet de vente directe est « en gestation » depuis 1995 : « On ne sait pas très bien par quel bout le prendre ! » Le premier obstacle est l’absence d’un marché français du cognac [26]. Contrairement aux régions vinicoles françaises les plus réputées (Bordeaux, Bourgogne, Champagne par exemple) où la vente directe est concomitante au développement du marché du tourisme et de la gastronomie [27], les viticulteurs charentais n’ont jamais pu s’appuyer sur un marché national. Très rares sont ceux qui ont les ressources culturelles et sociales – ne seraient-ce que les compétences linguistiques et juridiques, mais aussi le réseau de relations commerciales à l’étranger – pour vendre leur production sur les marchés internationaux. Ainsi, parmi les 500 propriétaires-exploitants qui font de la vente directe au début des années 2000, seuls 70 exportent, le plus souvent dans des pays limitrophes et francophones.
35Reste le marché français, sur lequel il est bien difficile de vendre du cognac, surtout lorsqu’on n’a pas l’habitude d’être, selon l’expression de François Maçon, « un commercial de foire », ou, selon les dires de sa mère, « lorsqu’on n’a pas forcément les mots pour décrire la qualité du produit que l’on vend ». La constitution d’une clientèle est un travail de longue haleine qui se conduit sur plusieurs décennies, voire plusieurs générations, et qui demande des ressources économiques, culturelles et sociales. Depuis la fin des années 1970, les Maçon ont déposé des dépliants dans les hôtels et les restaurants de la région, démarché les agences de tourisme et les compagnies de cars. Ils sont apparus dans les guides d’accueil de camping-cars et ont participé à quelques foires et salons en France. Mais c’est surtout l’implication de Claudine Maçon dans les activités touristiques et professionnelles de la région depuis le début des années 1980 qui a drainé de nouveaux clients vers l’exploitation. Claudine est en effet l’une des premières viticultrices à avoir participé à des circuits touristiques organisés par l’Office du tourisme de Cognac (1978-1980). Elle a été la première femme administrateur au Crédit Agricole dans son secteur à partir de 1984. Conseillère municipale puis adjointe au maire, elle a créé plusieurs manifestations culturelles autour du cognac dans sa commune et monté un office de tourisme, dont elle est la présidente (1996). Cette carrière montre comment les capitaux sociaux et symboliques acquis dans des mondes associatifs, politiques et culturels peuvent être réimportés dans la sphère économique, pour ouvrir de nouveaux débouchés commerciaux et échapper à la dépendance économique des négociants. Elle illustre également l’importance des femmes dans la conduite des activités de vente directe. Non seulement les femmes sont en première ligne dans la mise en place des activités touristiques en agriculture [28], mais la vente directe est aussi souvent le résultat de la valorisation d’un réseau de relations sociales extérieur à la région délimitée, acquis dans le cadre d’une exogamie géographique et/ou sociale [29]. La plus grande exogamie des jeunes viticulteurs par rapport à leurs aînés – plus souvent en couple avec des jeunes femmes salariées, qui ne sont pas originaires de familles viticoles [30] – peut favoriser la constitution de réseaux de relations sociales en dehors de la profession viticole. En même temps, la généralisation du travail salarié des compagnes des jeunes viticulteurs fait obstacle à la mise en place concrète de la commercialisation en vente directe, coûteuse en temps de travail familial.
36Ainsi, dans l’immense majorité des cas, la vente directe demeure un rêve et se résume à la production de quelques bouteilles vendues à l’entourage. La vente directe ne constitue une véritable alternative aux achats du négoce que pour une poignée de viticulteurs, aux caractéristiques sociales bien précises : des propriétaires-exploitants du centre de la région délimitée ou résidant en Charente-Maritime sur la côte touristique, qui reprennent une exploitation qui commercialise déjà depuis longtemps sa production (de cognac, de pineau, de vins de pays charentais) en vente directe ; et/ou qui disposent des capitaux culturels ainsi que de l’ouverture du réseau de relations sociales pour mettre en place ou consolider durablement une telle activité.
Des groupes sociaux viticoles face aux multinationales du négoce
37La domination économique des multinationales du négoce à l’égard de leurs fournisseurs ne s’exerce pas de façon uniforme, ce qui contribue à la structure spécifique de l’espace social de la viticulture cognaçaise. Tout en haut de la hiérarchie des propriétaires-exploitants, des familles accumulent depuis plusieurs générations de gros patrimoines économiques, mais aussi du capital social et culturel : c’est en combinant ces différentes ressources que le capital économique confère un statut social dans la bourgeoisie viticole, qui assure d’une relative indépendance vis-à-vis des grandes entreprises de négoce. La dépendance économique s’exerce en revanche plus fortement sur les viticulteurs dépourvus de ces ressources, qui doivent s’agrandir et donc s’endetter lourdement pour maintenir leur position de fournisseur des négociants. En bas de la hiérarchie des propriétaires-exploitants, les petits livreurs de vin sont très vulnérables économiquement : certains n’ont plus du tout accès au marché du cognac, mais se maintiennent dans la viticulture pour échapper à une condition ouvrière ou employée, jugée encore plus précaire. Finalement, malgré des disparités socioéconomiques manifestes, c’est l’idéologie de l’indépendance (« être son propre patron ») qui fait l’unité symbolique d’un groupe professionnel sous dépendance économique.
38Ni la domination économique des négociants sur les viticulteurs, ni le caractère international de cette domination ne sont des phénomènes nouveaux en soi, puisque le cognac, depuis le XVIIe siècle, est un produit d’exportation commercialisé par des marchands étrangers. En revanche, les modalités de cette domination économique internationale ont changé au tournant des années 2000. Le mode paternaliste, personnalisé de relations entre les viticulteurs et leur « grande maison » a laissé place progressivement à une domination s’exerçant de façon plus lointaine et réduite à sa dimension économique. Les grands groupes multinationaux – pour qui le cognac n’est qu’un produit parmi d’autres sur les marchés mondiaux des vins et spiritueux – n’ont pas besoin de légitimer leur pouvoir économique à l’égard de leurs fournisseurs locaux. Ainsi, du point de vue des viticulteurs, cette domination économique apparaît d’autant plus violente et arbitraire.
Notes
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[1]
Source : la revue économique Impact Databank en 2003.
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[2]
Sur les contrats de production qui privent les producteurs de la maîtrise de leur activité, voir Louis Lorvellec, « L’agriculture sous contrat », in Alain Supiot (dir.), Le Travail en perspectives, Paris, LGDJ, 1998, p. 179-197.
-
[3]
Sur le paradoxe de la dépendance économique des artisans indépendants, voir Bernard Zarca, L’Artisanat français, du métier traditionnel au groupe social, Paris, Economica, 1986. Sur la fragilité économique des PME de la métallurgie à Paris au début des années 1980, voir Michel Amiot, Les Misères du patronat : le monde des petites et moyennes entreprises industrielles et de leurs patrons, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques sociales », 1991.
-
[4]
Pour une réflexion juridique sur les frontières floues entre le travailleur subordonné et le professionnel indépendant, voir Alain Supiot, « Les nouveaux visages de la subordination », Droit social, 2, 2000, p. 131-145.
-
[5]
Sur les difficultés à objectiver les disparités socioéconomiques au sein de la profession agricole, voir Claude Grignon, « Le paysan inclassable », Actes de la recherche en sciences sociales, 4, juillet 1975, p. 82-87 ; pour des problèmes similaires dans les professions indépendantes du commerce et de l’artisanat, voir Anne-Sophie Bruno et Claire Zalc, Petites entreprises et petits entrepreneurs étrangers en France (19e-20e siècle), Paris, Publibook, 2003.
-
[6]
Alain Desrosières, « Éléments pour l’histoire des nomenclatures socioprofessionnelles », in Pour une histoire de la statistique, t. 1, Paris, INSEE-Economica, 1977, p. 73.
-
[7]
Pour une présentation détaillée de la nomenclature, voir Jacques Rémy, « Une illusion bien fondée ? Le groupe des agriculteurs », communication au séminaire Les Mondes agricoles en politique, 17 octobre 2006, CEVIPOF/INRA.
-
[8]
Dominique Rouault, « Les revenus des indépendants et dirigeants : la valorisation du bagage personnel », Économie et Statistique, 348, 2002, p. 37.
-
[9]
Louis M. Cullen, Le Commerce des eaux-de-vie sous l’Ancien Régime. Une spécialisation régionale charentaise, Saintes, Le Croît Vif, 2002 [Cambridge University Press, 1998].
-
[10]
Guy Baudy, Le Marché du cognac, Bordeaux, Bière, 1962.
-
[11]
François Julien-Labruyère, Paysans charentais. Histoire des campagnes d’Aunis, de Saintonge et du bas Angoumois. Tome 1 : Économie rurale, La Rochelle, Rupella, 1982, p. 386.
-
[12]
Un jugement du tribunal de grande instance de Saintes du 2 juillet 1991 a reconnu l’usage de tels contrats moraux, fondés « à la fois sur la valeur intrinsèque de la parole donnée par le viticulteur et sur l’attitude déférente du négociant qui s’oblige par une lettre de confirmation ou un bon d’achat sur la foi de la parole qui lui est donnée », en condamnant un viticulteur à honorer un engagement verbal de livraison. Voir Catherine Citeau, « Les relations clients-fournisseurs : le cas de la filière Cognac », mémoire de DEA Comptabilité-Décision-Contrôle, sous la direction d’Élie Cohen, université Paris-Dauphine, 1991, p. 41.
-
[13]
Aujourd’hui, Martell et Hennessy ayant fusionné dans de vastes groupes de luxe, vins et spiritueux, seule la famille Hériard-Dubreuil (propriétaire de Rémy-Cointreau) apparaît encore dans le classement de Challenges de juillet 2009 des grandes fortunes nationales, à la 54e place.
-
[14]
Les eaux-de-vie des Fins Bois sont réputées vieillir plus rapidement que les eaux-de-vie des crus plus centraux et sont donc plus adaptées aux qualités jeunes de cognac. « Sur les Fins Bois, toute ! » titre Catherine Mousnier dans un article de la revue professionnelle Le Paysan vigneron, Revue viti-vinicole des Charentes et du Bordelais, « L’ordre de marche d’Hennessy » en septembre 2002 (n° 1015).
-
[15]
Afin de garantir l’anonymat promis aux enquêtés, les indications de lieux, les noms et les prénoms de personnes, ainsi que certains détails biographiques ont été modifiés.
-
[16]
Sur l’imbrication entre travail domestique et professionnel dans les entreprises familiales, voir Céline Bessière et Sibylle Gollac, « Le silence des pratiques. La question des rapports de genre dans les familles d’“indépendants” », Sociétés & Représentations, 24, 2007, p. 43-58.
-
[17]
Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Grandes fortunes, Paris, Payot, 2006, p. 18.
-
[18]
Jusqu’aux années 1980, le travail des femmes dans le secteur agricole n’était pas reconnu juridiquement. Elles étaient considérées comme des aides familiales, c’est-à-dire non pas des agricultrices à part entière, mais des épouses d’agriculteurs. Voir Alice Barthez, Famille, travail et agriculture, Paris, Economica, 1982, p. 127-148 ; Rose-Marie Lagrave et Juliette Caniou, « Un statut mis à l’index », in Rose-Marie Lagrave (dir.), Celles de la terre. Agricultrices : l’invention politique d’un métier, Paris, EHESS, 1987, p. 111-150.
-
[19]
Sur les compétences généalogiques de la bourgeoisie et les usages de la mémoire familiale pour se positionner dans l’espace social, voir Beatrix Le Wita, « Mémoire : l’avenir du présent », Terrain, 4, mars 1985, p. 15-26 ; Pierre-Paul Zalio, Grandes familles de Marseille au XXe siècle. Enquête sur l’identité économique d’un territoire portuaire, Paris, Belin, 1999, p. 154-168.
-
[20]
Cela n’est spécifique ni à la viticulture, ni à la période contemporaine. Par exemple, des propriétaires-cultivateurs en Île-de-France au XVIIIe siècle cumulaient de grandes fortunes, avec l’occupation de charges d’État parmi les plus prestigieuses. Voir Jean-Marc Moriceau, Les Fermiers de l’Île-de-France. L’ascension d’un patronat agricole (XVe-XVIIIe siècles), Paris, Fayard, 1994.
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[21]
Voir « Hennessy presse ses livreurs : angoisse dans le vignoble, Hennessy oblige ses viticulteurs de Grande et Petite Champagne à ne plus vendre à d’autres ou refuse d’acheter », article de David Patsouris dans Sud-Ouest, Cahier Charente, 4 septembre 2002. La direction d’Hennessy a démenti cette information dans les jours suivants, tout en réaffirmant : « Si Hennessy confirme que l’exclusivité n’a jamais été une exigence, la société ne nie pas sa volonté de travailler à terme avec des viticulteurs chez qui elle représentera une part significative – soit plus de 50 % de leurs achats – pour qu’ils deviennent des partenaires » (« L’ordre de marche d’Hennessy », Le Paysan vigneron, Revue viti-vinicole des Charentes et du Bordelais, 1015, septembre 2002).
-
[22]
Comme l’explique le directeur général de la société Hennessy dans la presse professionnelle locale : « Nous voulons que travaillent avec nous des professionnels concernés, sérieux. Je pense qu’aujourd’hui quelqu’un cultivant moins de 10 ha de vigne ne peut pas l’être tout à fait ou en tout cas aura beaucoup de mal à l’être » (Propos recueillis par Catherine Mousnier, « Société Hennessy : la lettre et l’esprit », Le Paysan Vigneron, Revue viti-vinicole des Charentes et du Bordelais, 1005, novembre 2001).
-
[23]
Cette expression est empruntée à Patrick Champagne, L’Héritage refusé. La crise de la reproduction sociale de la paysannerie française, 1950-2000, Paris, Seuil, coll. « Points Essais », 2002.
-
[24]
Robert Castel, Les Métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1999.
-
[25]
François Gresle, « L’indépendance professionnelle. Actualité et portée du concept dans le cas français », Revue française de sociologie, 22(4), 1981, p. 483-501.
-
[26]
Le marché français ne représente que 4 % des expéditions de cognac et 15 à 20 % si l’on tient compte des produits transformés (pineau des Charentes et liqueurs à base de cognac), selon le Bureau national interprofessionnel du cognac.
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[27]
Gilles Laferté, La Bourgogne et ses vins : image d’origine contrôlée, Paris, Belin, 2006.
-
[28]
Christophe Giraud, « Division du travail d’accueil et gratifications dans les chambres d’hôtes à la ferme », Cahiers du genre, 37, 2004, p. 71-91.
-
[29]
Sur l’exogamie au principe de stratégies économiques et politiques subversives en agriculture, voir Susan Carol Rogers, « Which heritage ? Nature, culture and identity in French rural tourism », French Historical Studies, 25(3), 2002, p. 475-503 ; Marie-France Garcia-Parpet, Le Marché de l’excellence. Les grands crus à l’épreuve de la mondialisation, Paris, Seuil, coll. « Liber », 2009, p. 84 ; Ivan Bruneau, « Recomposition syndicale et constructions des collectifs militants. À partir d’une enquête sur la Confédération paysanne », in Bertrand Hervieu, Nonna Mayer, Pierre Muller, François Purseigle et Jacques Rémy (dir), Les Mondes agricoles en politique. De la fin des paysans au retour de la question agricole, Paris, Presses de Sciences Po, 2010.
-
[30]
Christophe Giraud et Jacques Rémy, « Les choix des conjoints en agriculture », Revue d’études en agriculture et environnement, 88, 2008, p. 21-46.