Couverture de ARSS_188

Article de revue

Le monopole professoral en question

Le cas de l'éducation physique et sportive en France

Pages 70 à 83

Notes

  • [1]
    La loi n° 2000-627 du 6 juillet 2000, dans son article 2, précise que, sous la responsabilité de l’enseignant, « un personnel agréé et disposant d’une qualification définie par l’État peut assister l’équipe pédagogique », en l’occurrence les titulaires du brevet d’État d’éducateur sportif. L’article L. 312-1 du Code de l’éducation, modifié par l’ordonnance n° 2006-596 du 23 mai 2006, stipule : « L’État est responsable de l’enseignement de l’éducation physique et sportive, placé sous l’autorité du ministre chargé de l’éducation. » Le Code de l’éducation abroge la loi n° 84-610 du 16 juillet 1984, dite loi Avice, qui, dans son article premier, modifié par la loi n° 92-652 du 13 juillet 1992, signifiait que « Les activités physiques et sportives […] sont un élément fondamental de l’éducation, de la culture et de la vie sociale […]. L’État assure ou contrôle, en liaison avec toutes les parties intéressées, l’organisation des formations conduisant aux différentes professions des activités physiques et sportives et la délivrance des diplômes correspondants ».
  • [2]
    « Nul ne peut enseigner contre rémunération les activités physiques et sportives à titre d’occupation principale ou secondaire […] s’il n’est pas titulaire d’un diplôme […] français défini et délivré […] par l’État. » Loi n° 84-610 du 16 juillet 1984, titre III, article 43. Par ailleurs, Le terme « jeunesse » est, dans cet article, placé entre guillemets, car il est utilisé comme catégorie performative de désignation de la population ciblée par l’action politique.
  • [3]
    Sur ce point, voir Hassen Slimani, « “Savoir nager” n’est pas nager ! », rapport d’étude pour le compte de la Mairie d’Angers et l’Inspection académique du Maine-et-Loire, IFEPSA, université catholique de l’Ouest, Centre nantais de sociologie, 2007.
  • [4]
    Et ce malgré le rattachement au ministère de l’Éducation nationale (sur cette histoire, voir Marion Sala, « D’un ministère à l’autre », mémoire de maîtrise STAPS sous la direction de Arnaud Sébileau, Angers, IFEPSA, université catholique de l’Ouest, 2010). Ce constat de manque de reconnaissance semble unanime, même si les autorités académiques et les syndicats se sont montrés parfois en fort désaccord sur la manière d’envisager les moyens d’accéder à une plus forte légitimité scolaire.
  • [5]
    Bertrand During, La Crise des pédagogies corporelles, Paris, Scarabée, 1981.
  • [6]
    Pourtant, contrairement au discours commun sur la « sportivisation de l’EPS » qui a le tort d’être focalisé sur les Instructions officielles de 1967, ce sont majoritairement des professeurs d’EPS qui investissent l’espace fédéral en y important leurs normes éducatives. Sur la genèse de l’assujettissement des fédérations sportives à l’autorité de l’État, voir Gildas Loirand, « Une difficile affaire publique. Une sociologie du contrôle de l’État sur les activités physiques et sportives et sur leur encadrement professionnel », thèse de doctorat en sociologie, université de Nantes, 1996. Nous remercions d’ailleurs vivement Gildas Loirand pour ses conseils avisés et le temps qu’il a su nous accorder pour ce travail.
  • [7]
    Professeur d’EPS certifié, 55 ans, membre du bureau d’une association sportive.
  • [8]
    L’utilisation tout au long de l’article de la dénomination « professeur d’EPS » obéit plus au souci de se référer à la catégorie administrative qui désigne officiellement cette profession qu’à l’intention de la définir in extenso : l’observation des manières différenciées d’exercer ce métier invalide la pertinence sociologique d’une telle prétention. Pour cette définition « officielle » plus que réaliste d’un point de vue sociologique, voir l’ordonnance du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires, et dans le décret n° 80-627 du 4 août 1980 relatif au statut particulier des professeurs d’EPS.
  • [9]
    On se réfère au classement des items justifiant du choix de leur métier réalisé par les enseignants de différentes disciplines : voir Nadine Esquieu et Alain Lopes, « Portrait des enseignants de collèges et lycées. Interrogation de 1 000 enseignants du second degré en mai-juin 2004 », in Les Dossiers. Enseignement scolaire, ministère de l’Éducation nationale, Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, 163, avril 2005, p. 24.
  • [10]
    Cette « singularité » des professeurs d’EPS est aussi à mettre en relation avec les effets des formations en STAPS : la création de la licence en 1977 et surtout de la maîtrise en 1982 furent motivées notamment par le souci d’imposer les problématiques relatives à l’éducation et à la pédagogie parmi les axes essentiels de recherche dans ces « nouvelles » Unités de formation et de recherche. Dans les enseignements « professionnels » en licence puis durant la préparation au concours, les étudiants reçoivent des enseignements en didactique de l’EPS et sont envoyés en stages d’encadrement pédagogique à l’école. Sont aussi dispensées des disciplines scientifiques comme la psychologie de l’enfant et les sciences de l’éducation. Sur la prédominance initiale en STAPS de catégories d’agents issus de l’EPS portés à proposer des enseignements axés sur l’éducation et sur la pédagogie spécifique à leur discipline, voir Stéphan Mierzejewski, « Le corps académisé. Genèse des sciences et techniques des activités physiques et sportives (1968-1982) », thèse de doctorat en STAPS, université de Paris X-Nanterre, 2005, p. 207-210.
  • [11]
    N. Esquieu et A. Lopes, op. cit., p. 11.
  • [12]
    Ibid., p. 10.
  • [13]
    Ibid., p. 11.
  • [14]
    Jacques Defrance a déjà noté les origines sociales relativement dominées des professeurs d’EPS par rapport aux autres catégories d’enseignants, et ce dès la création de cette profession. Voir Jacques Defrance, L’Excellence corporelle. La formation des activités physiques et sportives modernes (1770-1914), Rennes, PUR, 1987, en particulier p. 155.
  • [15]
    Si 45 % des professeurs d’EPS actuellement en poste ont été formés dans les UFR STAPS avant d’entrer dans des IUFM, rien ne permet de conclure que les analyses portant sur les trajectoires scolaires de ces enseignants ex-Stapsiens puissent être généralisées à l’ensemble des enseignants en poste, notamment pour les plus âgés qui ont connu d’autres organismes de formation comme les centres régionaux d’éducation physique et sportive (CREPS) avant 1975 ; on ne saurait présupposer que ces derniers ont les mêmes caractéristiques sociales et scolaires que leurs plus jeunes confrères. Si l’on passe sur ces réserves, on peut néanmoins supposer que les CREPS, comme les STAPS à l’heure actuelle, représentaient une filière dévaluée parmi celles qui permettent l’accès au métier d’enseignant.
  • [16]
    Marine Guillerm, « Les sciences et techniques des activités physiques et sportives », note d’information 05-13, ministère de l’Éducation nationale, Direction de l’évaluation et de la prospective, avril 2005. Sur les origines sociales des étudiants en STAPS au moment où ces UFR recrutaient majoritairement des étudiants dont le projet était le professorat d’EPS, voir Bernard Michon, « Éléments pour une histoire sociale des enseignants en éducation physique et sportive », STAPS, 8(4), octobre 1983, p. 12-28, et « Savoirs et modes de domination en STAPS-EPS », in Gérard Bruant, Savoir et sens pratique dans les APS, Clermont-Ferrand, AFRAPS, 1989, p. 79-87.
  • [17]
    Marie Duru-Bellat, « Mérite et justice sociale », in L’Inflation scolaire : les désillusions de la méritocratie, Paris, Seuil, 2006, p. 43.
  • [18]
    Ces regroupements de disciplines tiennent au fait que ces statistiques additionnent les pourcentages d’enseignants titulaires d’un diplôme supérieur à bac?+?5, identifiés par Nadine Esquieu et Alain Lopes. Voir N. Esquieu et A.?Lopes, op. cit., p. 10.
  • [19]
    Ces jugements sont récurrents dans les entretiens effectués.
  • [20]
    Le nombre de postes est passé de 1 675 en 1998 à 950 en 2005 et à 440 en 2006. Voir Repères et références statistiques, ministère de l’Éducation nationale, Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, Repères et références statistiques, 2007, p. 308 (document disponible sur le site du ministère de l’Éducation nationale, http://www.education.gouv.fr/). Il s’agit là d’un motif récurrent de mobilisation du SNEP-EPS, syndicat majoritaire des professeurs d’EPS.
  • [21]
    Comme le dit l’un des professeurs rencontrés : « Des simples BE pour faire l’EPS à nos gamins ? ».
  • [22]
    Au moment de l’enquête, c’est-à-dire avant la réforme dite de la « masterisation », la première des deux épreuves écrites d’admissibilité auxquelles devaient se soumettre les candidats du CAPEPS, d’une durée de quatre heures et dotée d’un coefficient de 4, portait sur « L’éducation physique et sportive : son histoire et ses composantes culturelles ». Comme l’indique la note du 4 juin 1992, modifiée par la note de service n° 96-109 du 19 avril 1996, cet écrit « a pour objet d’apprécier les connaissances du candidat concernant l’éducation physique et sportive comme discipline d’enseignement et son histoire en relation avec les activités corporelles et le sport ».
  • [23]
    L’usure corporelle à laquelle les professeurs d’EPS sont a priori davantage soumis que leurs collègues des autres disciplines n’est pas sans expliquer aussi, en plus des dépréciations chroniques auxquelles ils sont exposés régulièrement, la manière dont ils envisagent et construisent leur évolution professionnelle. Sur ce point, voir Thérèse Roux-Perez, « Biographies professionnelles des enseignants d’EPS : investissements et décrochages », in Christiane Montandon et Jacqueline Trincaz, Vieillir dans le métier, Paris, L’harmattan, 2007, p. 77-89.
  • [24]
    Les chiffres indiqués et les citations reproduites proviennent de l’enquête réalisée en 2007 auprès de 1 458 enseignants et 2 196 élèves de collèges et de lycées généraux ou professionnels. Voir Jeanne Benhaïm-Grosse, « Image du sport scolaire et pratiques d’enseignement au collège et au lycée 2005-2006 », in Les Dossiers. Enseignement scolaire, ministère de l’Éducation nationale, Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, 190, octobre 2007, p. 28-33.
  • [25]
    J. Benhaïm-Grosse, op. cit., p. 93-135.
  • [26]
    Ce qui en soi ne doit pas conduire à penser que les élèves considèrent la compétition comme antinomique avec l’éducation.
  • [27]
    Ibid., p. 127. On comprend alors que l’absence de club sportif à proximité des établissements accorde aux professeurs d’EPS plus de facilités pour imposer leur vision des finalités de l’AS, comme nous l’explique cet enseignant certifié : « Nous, comme on n’a pas trop de clubs proches de l’établissement, on a la possibilité de faire des choses intéressantes en AS ».
  • [28]
    L’ensemble des missions assumées par les IA-IPR, positionnés hiérarchiquement sous la tutelle du recteur, sont définies par la note de service n° 90-143 du 4 juillet 1990, le décret n° 90-675 du 18 juillet 1990, et dernièrement par la note de service n° 2005-089 du 17 juin 2005. Au-delà de cette définition « légaliste », l’enquête menée actuellement en Pays de la Loire sur les inspecteurs montre à l’identique l’hétérogénéité des manières d’exercer ce métier, tant dans les pratiques d’inspections que dans les façons mêmes de hiérarchiser l’inspection parmi d’autres missions.
  • [29]
    Par exemple, Pierre Parlebas, auteur de référence pour le GAIP. Élève puis professeur à l’École normale supérieure d’éducation physique entre 1965 et 1975, titulaire d’un doctorat d’État ès lettres et sciences humaines, professeur des universités en sociologie, il est l’auteur d’un lexique dont l’objet n’est ni plus ni moins de proposer une « science » plus utile aux praticiens en EPS que les autres : « Chaque discipline avance dans le fil de sa pertinence et l’on ne saurait lui reprocher. […] Il semble possible de développer un champ de connaissances propre aux activités physiques et sportives, une discipline dont l’objet serait l’action motrice » (Pierre Parlebas, Jeux, sports et sociétés. Lexique de praxéologie motrice, Paris, INSEP, 1999, p. 10).
  • [30]
    L’académie nantaise rejoint alors celles de Créteil, Dijon et Lyon, elles aussi comme « pilotes » sur la réflexion pour la rédaction de programmes en EPS.
  • [31]
    Le raisonnement des « théoriciens nantais » de l’EPS, qui repose sur la naturalisation de l’opposition « EPS/sport », pourrait laisser croire à une unicité des pratiques pédagogiques au sein des clubs sportifs. Pour se faire une idée de la différenciation de la définition des pédagogies mises en œuvre, voir par exemple Gildas Loirand, « De la chute au vol. Genèse et transformations du parachutisme sportif », Actes de la recherche en sciences sociales, 79, septembre 1989, p. 37-49.
  • [32]
    Parmi de multiples exemples, Bertrand During, théoricien de l’EPS, défend la thèse d’une « crise des pédagogies corporelles » dans un ouvrage éponyme (op. cit.) et propose, pour en sortir, de se référer aux travaux de Pierre Parlebas. Pourtant, son essai ne propose qu’une revue de littérature à la capacité objectivante limitée puisqu’elle n’est pas contrariée par la moindre enquête.
  • [33]
    Annick Davisse, Michel Delaunay, Paul Goirand et Jean Roche, 4 courants de l’EPS de 1985 à 1998, Paris, Vigot, 2005, p. 319.
  • [34]
    Pierre Bourdieu, « Le Nord et le Midi. Contribution à une analyse de l’effet Montesquieu », Actes de la recherche en sciences sociales, 35, novembre 1980, p. 22.
  • [35]
    Conférence de Michel Delaunay, réalisée à la Direction de l’enseignement catholique d’Angers, mai 2006 : http://www.onlinetri.com/sites/ugsel44/documents/CONFERENCE_DEC_Angers_mai_2006.pdf (c’est nous qui avons placé en italiques certains mots de cette citation).
  • [36]
    Ce qui peut aller jusqu’à des reconversions dans l’univers sportif fédéré.
  • [37]
    Professeur agrégé, 34 ans, collège-lycée d’une agglomération de 30 000 habitants, déclarant se reconnaître dans les propositions du GAIP nantais.
  • [38]
    Pour cela, les programmes d’EPS du collège comme du lycée sont susceptibles d’être lus de manière sélective selon les professeurs. Les uns préfèrent en retenir la nécessité de privilégier « l’éducatif » (en se fiant à la finalité officielle de l’EPS au lycée : « former, par la pratique scolaire des activités physiques, sportives et artistiques, un citoyen cultivé, lucide, autonome, physiquement et socialement éduqué »). D’autres peuvent y voir plutôt la référence à la technicité sportive, comme par exemple cette compétence propre à l’EPS visée elle aussi au lycée : « réaliser une performance motrice maximale mesurable à une échéance donnée ». Voir Programme d’éducation physique et sportive pour les lycées d’enseignement général et technologique, Bulletin officiel n° 4 du 29 avril 2010, MSEN.
  • [39]
    Professeur d’EPS certifié, 52 ans, responsable de la détection au sein d’une fédération.
  • [40]
    Professeur d’EPS certifié, 50 ans, investi dans la formation continue de candidats au CAPEPS.
  • [41]
    Professeur d’EPS certifié, 52 ans, responsable de la détection au sein d’une fédération. Analyser cette corporation en proposant une typologie où les tenants d’une éducation physique scolaire s’opposent à ceux qui préféreraient une éducation physique sportive, c’est faire peu de cas des professeurs qui récusent cette opposition. C’est surtout reprendre des catégories d’oppositions créées ailleurs et pour d’autres enjeux que l’objectivation sociologique, notamment par ceux pour qui la séparation ainsi opérée constitue le « fonds de commerce » scolaire de leur stratégie d’imposition de leur définition du métier aux professeurs qui, contrairement à ce qu’ils en disent, ne se répartissent pas aussi aisément entre deux modalités de conformismes « scolaire » versus « sportif ». Sur ce genre de confusion, Christelle Marsault, Socio-histoire de l’éducation physique et sportive, Paris, PUF, 2009.
  • [42]
    Si l’on entend par « sport » la compétition comme l’entendent les théoriciens du GAIP.
  • [43]
    Professeur certifié, 56 ans, syndiqué, non investi en club.
  • [44]
    Jean-Michel Chapoulie avait déjà souligné que la « compétence pédagogique » était comme une « forme mineure de la compétence culturelle ». Voir Jean-Michel Chapoulie, « La compétence pédagogique des professeurs comme enjeu de conflits », Actes de la recherche en sciences sociales, 30, novembre 1979, p. 65-85.
  • [45]
    Gilles Combaz a démontré que, dans cette discipline comme pour les autres, les origines sociales des élèves sont déterminantes pour expliquer l’échec ou la réussite des élèves. L’analyse occulte néanmoins les rapports différenciés des professeurs à l’évaluation et leurs définitions parfois opposées de ce qu’il y a à évaluer, ce qui n’est pas sans jouer sur la notation. Voir Gilles Combaz, Sociologie de l’éducation physique et sportive, Paris, PUF, 1992.
  • [46]
    Même si les formations sont dotées d’effets (sous réserves des dispositions réceptives de ceux à qui elles sont dispensées), on ne saurait leur attribuer exclusivement la capacité à produire les clivages internes à la corporation. Les conflits de génération sur la définition du métier ne traduisent pas systématiquement et exclusivement des conflits de générations de formation : si tel était le cas, nous n’aurions pu rencontré à la fois, au cours de notre enquête, des professeurs qui, proches de la retraite, se disent en affinité avec les théoriciens du GAIP qu’ils ont découverts dans les années 1990, et d’autres plus jeunes, initiés aux théories « nantaises » durant leur formation mais les délaissant une fois en poste en établissement.
  • [47]
    Michel Delaunay, éditorial du numéro 39 des Cahiers EPS de l’académie de Nantes, juin 2009, disponible sur Internet : http://thales2.crdp-nantes.fr/eps/default.php.
  • [48]
    M. Delaunay, éditorial du numéro 39 des Cahiers EPS de l’académie de Nantes, op. cit.
  • [49]
    Jean-Claude Passeron, Le Raisonnement sociologique, Paris, Albin Michel, 2006, p. 178.
  • [50]
    L’enquête sur les professeurs d’EPS proches du « courant nantais » et l’analyse de leur défense de l’autonomie scolaire invitent nécessairement à questionner aussi la relative hétéronomie de l’institution sportive à leur définition du travail d’éducateur : les entretiens réalisés montrent que quand ils s’investissent dans les clubs et fédérations, c’est pour y défendre ce qu’est, selon eux, la « bonne » éducation par les activités corporelles.
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Comme le dit avec humour ce dessin paru dans Les Cahiers EPS de l’Académie de Nantes, les professeurs d’éducation physique et sportive se voient régulièrement rappeler, dans leurs interactions avec les élèves, qu’ils n’ont pas le monopole de l’encadrement des activités corporelles
Dessin de José Marquez, extrait de Claude Volant, « L’élève physiquement éduqué », in Les Cahiers EPS de l’Académie de Nantes, 35, janvier 2007, p. 7. © CRDP des Pays de la Loire.

1Si la sociologie des enseignants du secondaire s’est souvent intéressée à la relation pédagogique, elle a en revanche peu analysé les effets produits par la mise en concurrence des enseignants avec d’autres corporations : qu’en est-il lorsque le corps professoral ne dispose pas du monopole de la certification des savoirs enseignés ? Toutes les disciplines ne sont pas, de ce point de vue, sur un pied d’égalité. Pour l’enseignement du français par exemple, malgré l’existence d’organismes dispensant des cours individualisés et l’implication – voire le regard critique – de certaines familles, l’apprentissage lettré de la lecture et la transmission d’un patrimoine culturel en littérature demeurent un privilège que l’État réserve aux personnels enseignants de français dont il contrôle la formation et l’entrée dans la profession. Il en va autrement pour les professeurs d’éducation physique et sportive (EPS) : les luttes des différentes corporations intervenant en matière d’éducation de la jeunesse par l’exercice physique ne se sont pas traduites par l’attribution définitive d’un monopole aux enseignants. Au contraire, la possibilité légale d’intervenir auprès des enfants scolarisés en primaire qui a été offerte aux titulaires du brevet d’État d’éducateur sportif a un peu plus fragilisé les professeurs d’EPS déjà faiblement reconnus au sein de l’institution scolaire. À l’heure actuelle, si l’État reconnaît la légitimité et la compétence certifiée des professeurs d’EPS en matière d’éducation de la « jeunesse » scolarisée, il reconnaît également des professions comme celles des éducateurs sportifs [1] ; et parallèlement à sa tutelle sur la définition des finalités éducatives de l’École, il exerce une emprise institutionnelle sur les fédérations sportives puisqu’il leur assigne comme prérogative publique une mission d’éducation de la « jeunesse » dont seuls sont les garants les titulaires des diplômes d’État [2]. Les professeurs d’EPS doivent également faire face à la manière dont les parents d’enfants scolarisés les perçoivent : dans les catégories supérieures, par exemple, les parents qui créditent la spécialisation athlétique de vertus pédagogiques préfèrent s’adresser à d’autres interlocuteurs que les professeurs pour faire apprendre à leurs enfants les techniques sportives conformes à leurs goûts et à leurs projets éducatifs [3].

2L’enquête présentée ici a été menée dans la région des Pays de la Loire [voir encadré « La méthode d’enquête », p. 72]. Elle ne traite pas seulement de la dépréciation de la fonction des professeurs d’EPS parmi leurs collègues comme auprès des parents d’élèves, mais aussi des définitions différenciées du métier qui s’affrontent et qui doivent être mises en relation avec les formes de reconnaissances escomptées du type d’enseignement dispensé. La dévalorisation de la fonction des enseignants d’EPS renvoie au désajustement qui existe entre la reconnaissance institutionnelle d’un statut professoral et les attentes des élèves, des parents, voire des collègues, qui tendent à demander aux professeurs d’EPS d’être différemment enseignants que les autres. Les professeurs d’EPS se recrutent dans des catégories sociales souvent moins élevées que les enseignants des autres matières et ont des ressources scolaires moins importantes, ce qui exerce des effets tout le long de leurs parcours, depuis leur vie d’élève jusqu’à celle d’enseignant d’une discipline des moins valorisées par l’institution scolaire. La position de leur matière dans les catégories de l’entendement professoral (qui transfigurent, à l’intérieur de l’École, une hiérarchie sociale en une hiérarchie des disciplines et des enseignants) se dévoile notamment dans les conseils de classe où les notes en EPS ne jouent que rarement un rôle décisif. Elle accrédite le constat d’une faible reconnaissance de la discipline que dressent les porte-parole syndicaux et les autorités académiques qui militent en faveur d’une légitimation scolaire de l’EPS [4]. Le fait que les enseignants d’EPS ne soient pas en position de monopole explique qu’en France, plus que dans d’autres pays d’Europe où l’interventionnisme public en matière sportive est moins important, les intellectuels de l’EPS évoquent souvent l’existence d’une « crise » de l’EPS [5], ce qui est une façon de signifier la position « critique » du métier : entre les canons de l’excellence scolaire et ceux de l’élite compétitive, les professeurs d’EPS se trouvent pris entre deux institutions qui ni l’une ni l’autre ne leur accorde de reconnaissance pleine et entière.

La méthode d’enquête

Cette recherche repose sur une enquête menée entre 2006 et 2009 auprès de professeurs d’EPS de l’académie des Pays de la Loire. Les données statistiques issues des rapports de la Direction de l’évaluation et de la prospective du ministère de l’Éducation nationale pour cerner la morphologie sociale de cette corporation, les observations menées en complément dans trois établissements (collège-lycée privé d’une ville de 144 000 habitants, 2 professeurs d’EPS ; collège-lycée public d’une ville de 80 000 habitants, 6 professeurs d’EPS ; collège privé d’une ville de 9 500 habitants, 2 professeurs d’EPS) et un corpus de 25 entretiens approfondis ont conduit à mettre au jour l’hétérogénéité des conceptions de ce métier et les dissonances entre élèves et professeurs concernant les cours d’EPS. Les publications des membres de l’inspection d’académie en EPS des Pays de la Loire – stratèges de la défense d’une différenciation entre enseignement de l’EPS et toute autre forme d’encadrement des activités corporelles – ont par ailleurs livré nombre d’informations sur les luttes pour la légitimité disciplinaire au sein de l’institution scolaire. Leur revue, Les Cahiers EPS de l’Académie, leurs conférences disponibles sur Internet, leurs cours récupérés auprès d’étudiants et candidats se destinant au professorat d’EPS, de même que certains ouvrages de la litté­rature « officielle » consacrés comme « classiques » de la discipline, ont été utilisés comme autant de témoignages des prises de position des repré­sentants officiels de la profession engagés tant dans la légitimation de leur pouvoir tutélaire sur les professeurs que dans la lutte pour la détention de l’autorité intellectuelle dans l’espace académique.

3Ceux qui, parmi les professeurs d’EPS, sont les plus engagés dans l’institution scolaire tendent à contester la compatibilité des normes éducatives et pédagogiques définies pour l’univers compétitif fédéré avec la mission professorale, même si, dans la majorité des cas, ils ont été compétiteurs en club avant de venir à l’enseignement, et même s’ils continuent à s’entraîner, voire à entraîner ou à exercer d’autres responsabilités en association sportive [6]. En s’engageant dans l’École par l’accumulation de titres scolaires, ils espèrent monter dans la hiérarchie institutionnelle. La formation continue peut leur permettre de devenir « professeur de professeur » et de prendre des postes d’autorité dans le secondaire, à l’image des inspecteurs académiques-inspecteurs pédagogiques régionaux (IA-IPR). Dans les Pays de la Loire, ces IA-IPR se rassemblent au sein du Groupement académique d’innovation pédagogique (GAIP) et s’investissent dans la lutte inter-académies pour la définition des programmes. Ils défendent l’idée d’une « pédagogie spécifique à l’EPS » nettement distincte du « sport » et en conceptualisent tant les modalités techniques que les finalités, se consacrant par là même comme producteurs de normes qui énoncent ce qui doit distinguer l’École des fédérations et clubs sportifs. Ce type de formalisations normatives qui argue de la supposée « crise des pédagogies », et dont les IA-IPR contrôlent l’application par les professeurs, dénie les autres formes de légitimité qui existent au sein de la corporation. En effet, les professeurs d’EPS qui sont impliqués et reconnus dans l’institution sportive ne jugent pas, eux, que la confrontation compétitive est incompatible avec le métier d’enseignant : estimant pouvoir l’adapter aux contraintes des programmes scolaires, ils pensent qu’elle leur permet de rester « en phase avec les représentations des familles [7] ». Dans l’exercice quotidien de leur métier, ils jouent des affinités potentielles entre l’institution scolaire et les clubs sportifs tels que les perçoivent élèves et parents. Tous les professeurs d’EPS ne souscrivent pas à l’ambition de légitimité exclusivement scolaire que cultivent les IA-IPR de l’académie des Pays de la Loire et ils ne réagissent pas tous de la même manière à la reconnaissance que leur accorde, malgré tout, mais sur un mode mineur (celui de « l’éducatif » plutôt que celui de « l’enseignement »), l’institution scolaire [8].

Coûts, valeurs et dévaluations du métier : marquages scolaires et effets de concurrence

4S’il faut garder à l’esprit l’hétérogénéité des conceptions du métier, les professeurs d’EPS apparaissent comme les enseignants les plus disposés à faire l’éloge d’une École qui valorise plus qu’elle ne sanctionne, qui élève plus qu’elle ne rabaisse, qui éduque autant qu’elle transmet. Invités à justifier leur choix professionnel, ils classent la « fonction éducative » juste devant la « transmission du savoir », démontrant ainsi qu’il s’agit là, dans l’ordre qui leur semble légitime, des missions professionnelles les plus chères à leurs yeux [9]. Ce faisant, ils se distinguent nettement des enseignants des autres disciplines qui citent la « transmission du savoir » beaucoup plus souvent que la « fonction éducative », laquelle est classée parmi les dernières raisons de leur choix de carrière. Cette singularité des professeurs d’EPS doit être rapportée aux conditions dans lesquelles s’est construit leur rapport à l’École [10]. Les enseignants d’éducation physique sont ceux qui déclarent le plus souvent que leur orientation a été influencée par un enseignant au cours de leur scolarité : 69 % d’entre eux disent avoir été marqués par l’image forte d’un enseignant, contre 65,5 % pour les professeurs d’histoire-géographie, 64 % pour les professeurs de philosophie [11]. Les enseignants rencontrés témoignent fréquemment du « souvenir d’un prof », comme si, avant qu’ils ne se soient attachés à l’institution, l’institution se les était attachés par l’intermédiaire d’un enseignant qui aurait parachevé le travail pédagogique de valorisation de l’École effectuée au sein de leur famille. Parmi les enseignants du secondaire, les professeurs d’EPS sont ceux pour qui la transmission familiale des goûts pour l’École est la plus prégnante. Ils sont les plus représentés parmi les 10 % d’enseignants qui ont un père enseignant [12] et déclarent un attrait particulièrement précoce pour le métier : 45 % d’entre eux disent avoir pris la décision dès le collège, contre 24 % des enseignants de mathématiques et en moyenne 18 % pour les autres enseignants [13].

5Si leur trajectoire a été fréquemment marquée par l’influence d’un professeur et s’ils sont plus souvent issus de familles enseignantes, les professeurs d’EPS sont, dans le même temps, ceux qui ont le plus souvent connu de relatives difficultés à l’École. Élèves, les professeurs d’EPS étaient ceux qui avaient les notes les plus faibles (même si leurs dispositions athlétiques et leur passif de pratiquants leur permettaient d’accomplir des performances en EPS). Issus majoritairement des classes intermédiaires, ils sont scolairement comme socialement les plus moyens des élèves accédant aux filières générales du lycée, puis à l’université [14]. La relecture des enquêtes effectuées par la Direction de l’évaluation et de la prospective du ministère de l’Éducation nationale sur les étudiants des UFR STAPS (Unités de formation et de recherche en sciences et techniques des activités sportives) confirme à quel point cette filière universitaire recrute, comparativement aux autres UFR, les élèves les plus faiblement dotés scolairement comme socialement. D’un point de vue scolaire, la population des étudiants en STAPS – dont la moitié environ se destine à l’époque de l’enquête au professorat d’EPS et dans laquelle sont sur-représentés les lycéens sortant de filières scientifiques – est celle qui a le moins souvent obtenu de mention au baccalauréat : 13 % ont une mention « très bien » ou « bien », 18 % une mention « assez bien », contre respectivement une moyenne de 24 % et 26 % pour les étudiants des autres filières universitaires [15]. Si la filière attire majoritairement les lycéens titulaires d’un baccalauréat scientifique (49,9 % des étudiants en première année de STAPS contre 39 % dans l’ensemble des autres filières), elle capte donc en fait les moins bons d’entre eux, et il faut ajouter que, depuis 2000, la part d’enfants d’ouvriers, d’employés et de parents exerçant une profession intermédiaire est systématiquement plus forte en STAPS que dans toutes les autres filières. La part des enfants d’agriculteurs, d’artisans, commerçants et chefs d’entreprise est, à l’inverse, moins élevée en STAPS où les enfants de cadres et de parents exerçant une profession intellectuelle supérieure sont par ailleurs les plus sous-représentés [16]. Relativement aux autres études supérieures, la filière STAPS accueille le plus de catégories populaires et le moins de catégories supérieures [17] : le recrutement des étudiants STAPS s’effectue à la fois parmi les meilleurs des lycéens issus des catégories les plus défavorisées et parmi les moins bons de ceux issus des catégories les plus favorisées.

6En outre, les professeurs d’EPS certifiés apparaissent comme relativement peu diplômés au sein du corps professoral : seuls 6 % d’entre eux sont titulaires d’un diplôme d’un niveau bac +5, contre 25 % des enseignants d’histoire et géographie et de sciences économiques et sociales, 27,5 % des enseignants de physique-chimie et de sciences de la vie et de la terre, 31 % des enseignants de philosophie et de lettres [18]. Allié à la précocité et à la fermeté de leur projet professionnel, le rapport relativement laborieux que les enseignants d’EPS entretiennent avec le travail scolaire explique sans doute la relative absence d’ambition universitaire après l’obtention de la licence : au delà du concours, l’investissement dans des études plus longues apparaît trop coûteux et peu rentable économiquement et culturellement du point de vue de l’insertion professionnelle qu’ils envisagent. Aussi, alors qu’ils n’appartiennent pas aux catégories qui excellent scolairement, les professeurs d’EPS n’ont majoritairement pas d’autres projets que de devenir enseignant : ils gravissent pour cela les échelons universitaires requis a minima pour se présenter au certificat d’aptitude au professorat d’EPS (CAPEPS), considéré comme « dur », « difficile » [19]. Ce type de trajectoire scolaire aide à comprendre leurs réactions, parfois vives, aux redéfinitions des barrières institutionnelles délimitant les conditions d’accès à l’encadrement des activités physiques à l’École. En effet, ce n’est pas seulement la réduction progressive du nombre de postes à l’issue du concours depuis 1998 qui explique les réflexes syndicaux de défense de la corporation [20]. D’autres facteurs conduisent ces enseignants à revendiquer avec force leur légitimité de professionnels de l’École formés par elle et pour elle. Qu’ils soient ou non syndiqués, ils tendent en effet à percevoir la législation accordant aux détenteurs du brevet d’État d’éducateur sportif (BEES) le droit d’intervenir dans les écoles primaires comme une injustice : cette possibilité offerte aux brevetés d’État est vécue comme une mise en question de leur qualification à laquelle ils sont d’autant plus attachés qu’ils lui confèrent une valeur élevée du fait des difficultés avec lesquelles ils l’ont obtenue et de leur trajectoire scolaire qui n’a pas été sans obstacle. Aussi, le CAPEPS est à leurs yeux seul garant de l’expertise et de la qualité des encadrants, certifiant non seulement des compétences mais aussi des vertus personnelles indispensables pour accéder à un métier qui, parce qu’il s’exerce dans une institution chargée de dispenser la culture légitime, ne saurait être aussi « simple » à exercer que celui d’éducateur sportif breveté d’État [21].

7

On peut citer, parmi d’autres exemples, le cas de Stéphanie. Elle est âgée de 30 ans au moment de l’entretien. Sa mère était enseignante en vente et son père expert-comptable-commissaire aux ventes. Basketteuse ayant atteint un niveau national 3, Stéphanie était inscrite en sport-études durant sa scolarité. Elle a obtenu le CAPEPS à sa deuxième tentative et enseigne depuis 2003. Elle a d’abord été affectée dans un collège d’une ville du Midi-Pyrénées de 20 000 habitants avant d’être titularisée au sein d’un collège-lycée de l’enseignement catholique des Pays de la Loire, accueillant environ 2 000 élèves, dans le centre-ville d’une agglomération de 270 000 habitants. Au sujet de la possibilité offerte aux titulaires de BEES d’enseigner l’EPS en primaire, Stéphanie réagit d’autant plus vivement que ses années de formation au concours lui ont semblé difficiles : « C’est pas évident l’année du concours : tu te prends sans arrêt des claques. […] C’est injuste qu’on puisse faire faire de l’EPS à des gens qu’ont pas le concours. Attends, j’ai ramé, j’ai été au plus profond de la discipline, j’en connais aussi l’histoire, je suis désolée, la discipline, elle ne s’est pas faite comme ça, il y en a qui se sont battus. La discipline, aujourd’hui, elle est ce qu’elle est […]. Je me dis que tous ceux qui viennent toucher à cette histoire-là, ils ne s’en rendent pas compte, quoi, c’est pas possible. »

8Les « valeurs » du métier s’apprennent ainsi autant avant que durant la formation, antérieurement aux premières années d’exercice. Les années de préparation au concours se traduisent notamment par des exercices quotidiens de dissertations censées inculquer la connaissance de l’histoire de l’EPS, les doctrines officielles de l’École et de la discipline EPS à des étudiants déjà convaincus de la légitimité d’une institution pour laquelle ils se sentent faits. Le concours a beau être une « épreuve » dans tous les sens du terme qui consacre les lauréats comme dignes de l’École et attribue aux « certifiés » un statut équivalent aux enseignants des autres disciplines, il ne leur confère toutefois pas la même légitimité.

Les rappels ordinaires à l’ordre scolaire : l’EPS selon collègues, élèves et parents

9Durant leur formation, les professeurs d’EPS ont déjà été avisés de la partielle reconnaissance de leur discipline. La fréquence avec laquelle la question de « l’identité scolaire de la discipline EPS » est posée lors de l’épreuve du premier écrit d’admissibilité [22] du CAPEPS montre que les garants de l’accès à ce corps de métier y voient un « problème » au sens scolaire de « sujet à traiter » comme au sens de « souci » qui s’impose à la corporation et à ses prétendants. Après le temps des exercices scolaires où ils ont dû réfléchir à « l’identité » de l’EPS, les enseignants d’EPS font l’expérience concrète de la minoration de leur discipline au sein de leur(s) établissement(s) où ils sont exposés à de multiples rappels à l’ordre hiérarchique des enseignements. Ils font l’objet de sobriquets qui les catégorisent parmi les moins scolaires des enseignants et des enseignements : « prof de plein air », « prof de loisir », « prof de récré ». Ces plaisanteries – jugements déniés comme tels – sont rendues possibles par toutes les distinctions qui, dans nombre de discussions quotidiennes, opposent non seulement l’EPS aux autres disciplines mais simultanément l’extérieur de la classe à son intérieur, la mobilité à l’immobilité, le bruit au silence, l’agitation au calme. Ces catégories deviennent explicites lors des conseils de classe qui constituent des lieux et des temps forts parce que s’y jouent l’avenir proche des élèves et la légitimité même de l’institution scolaire. Les professeurs d’EPS y disposent d’un pouvoir réduit sur les décisions prises concernant les redoublements par exemple : c’est qu’ils sont réputés a priori s’adresser plus au corps qu’à l’esprit, à la « nature » qu’à la « culture ». Si une majorité des professeurs d’EPS rencontrés affirment être écoutés au sein des conseils de classe, ils précisent aussi que lorsqu’ils sont amenés à se prononcer sur un élève, c’est à propos de son « comportement » en dehors de la classe, pour « apporter un autre regard » sur l’élève en tant que « personne ». Dans les catégories de jugements scolaires, la relative proximité personnelle que les professeurs d’EPS entretiennent avec les élèves durant les heures de cours s’oppose à la distance sociale et physique (ou « architecturale ») qui prévaut dans une salle de cours. C’est en somme parce qu’ils ont à faire aux élèves dans un autre lieu (et avec une autre posture) que la salle de cours, endroit « sérieux » réservé au travail scolaire « sérieux », que les professeurs d’EPS sont parfois consultés. Les autres enseignants les sollicitent pour obtenir, sur des cas singuliers, ce qui ne reste qu’un « éclairage », un autre « regard », complémentaire parce que différent. En d’autres termes, la qualité – au sens de qualification – pédagogique des professeurs d’EPS n’est reconnue que dans la mesure où il s’agit d’une qualité amoindrie, en petit, reléguant le mot « pédagogue » à son sens le plus mineur, celui qui renvoie à une aptitude à être proche des élèves plutôt qu’à la capacité à dispenser un enseignement ou un savoir [23]. Si, en raison de leur a priori plus grande connivence avec les élèves, les professeurs d’EPS sont écoutés par leurs collègues comme par les parents – quand ces derniers daignent les rencontrer lors des réunions parents-professeurs –, c’est en contrepartie de l’amoindrissement des enjeux scolaires en EPS comparativement aux autres disciplines.

Si 95 % des professeurs d’EPS se déclarent écoutés dans les conseils de classe et si 93 % se disent impliqués dans la vie de l’établissement, il faut voir qu’on ne leur accorde pas une reconnaissance et une écoute du même type qu’aux enseignants des autres disciplines. Il se trouve que 31 % des enseignants d’EPS souhaiteraient que leur discipline soit considérée « comme une discipline à part entière », « davantage considérée et respectée dans l’établissement », par « les IPR, les chefs d’établissement, les autres professeurs, les parents, les élèves » [24]. Les propos recueillis lors d’un entretien avec un couple de professeurs d’EPS qui, âgés de 25 et 26 ans, sont titulaires dans deux collèges différents (situés, pour l’un, dans une ville de 144 000 habitants et, pour l’autre, dans une ville de 9 500 habitants) illustrent bien la place qui est réservée à la corporation dans le processus de décision sur l’orientation et dans les rencontres avec les parents d’élèves :
« Les conseils de classe, c’est pendant l’Association sportive et comme ça, je n’y assiste pas. Comme le directeur, en plus, ne veut pas les déplacer, j’en suis exclue.
– En conseil de classe, ça arrive régulièrement qu’on te remette à ta place. Au bout d’un moment, quand tu te fais remettre à ta place une fois, deux fois, ou trois fois, quand tous les profs allument un élève et que moi, à la fin, je dis “ben non, excusez-moi, mais c’est un très bon élève, il est appliqué, il fait des efforts, il arrive à peu près à faire ce qu’il a à faire”, on me dit : “ouais, mais il n’y a pas que le sport, hein”.
– Tu l’as déjà entendu, ça ?
– Tout le temps, tout le temps. L’autre jour, j’ai évoqué le cas d’une élève en troisième qu’a vraiment du mal au niveau moteur. Pour moi, c’est… Un truc comme ça, ça change tout dans son orientation à la gamine. Et on me dit : “c’est bon, on sait. On passe”. Je me suis reculé, et j’ai plus dit grand-chose.
– Et lors des rencontres avec les parents ?
– Quand je rencontre des parents, c’est pas pareil s’ils viennent me voir pour la classe où je suis prof principal, où s’ils viennent me voir pour la classe où je suis juste prof d’EPS. Ça n’a rien à voir, rien à voir. En tant que prof principal, j’insiste sur le comportement, parce que je trouve ça super important. Et les parents, ils sont super à l’écoute, tout ce qu’on dit, ils écoutent vraiment. Mais en tant que prof d’EPS, j’ai tout eu : contestation des notes, et des questions du type : “qu’est-ce que vous faites ?”. Alors tu es obligé d’expliquer… Mais surtout, c’est qu’ils ne viennent pas nous voir. Moi, cette année, sur trois classes, cent gamins quasiment, j’ai vu six parents.
– Sur toute une matinée, pour trois classes, j’ai vu cinq parents. Les autres profs, leur matinée est pleine : ils voient des parents toutes les cinq à dix minutes. »
Les élèves et les parents participent, d’une autre manière que les enseignants, à la minoration de l’éducation physique et sportive. Ainsi, les collégiens et lycéens considèrent l’EPS comme un temps relativement plus loisible que les autres cours : 72 % des garçons et 65 % des filles disent venir en EPS pour prendre du plaisir ; 66 % des garçons et 62 % des filles déclarent même que l’EPS leur permet de se défouler. Un autre indice du fait que les élèves ne prennent pas l’EPS avec autant de « sérieux » que les autres disciplines est la fréquence avec laquelle les professeurs évoquent l’absentéisme de collégiens et lycéens qui se font régulièrement dispenser, parfois avec l’aval des parents, pour ces cours d’EPS non moins obligatoires que les autres. Même des élèves qui apprécient la matière assimilent l’EPS à un temps de « moindre école », voire de « non-école » comme le sont dans la réalité les activités proposées par les clubs sportifs. Outre ce comparatisme, la concurrence entre institutions scolaire et sportive pour le monopole de l’encadrement de la « jeunesse » produit aussi ses effets sur le recrutement des élèves dans l’association sportive (AS) des établissements scolaires. Sur les vingt dernières années, la part d’élèves (collèges et lycées confondus) ayant une pratique compétitive en club est passée de 30 % à 52 %. Dans le même intervalle, la part d’élèves inscrits en Association sportive scolaire n’a augmenté que de façon bien plus modeste : de 13 % en 1985, elle n’est passée qu’à 20 % ; il reste donc 80 % des élèves qui ne sont pas inscrits en AS. Or, à bien y regarder, c’est bien la concurrence avec les clubs qui explique ces disparités : effectivement, parmi les 80 % d’élèves non inscrits à l’AS, 66 % des garçons et 53 % des filles déclarent « préférer pratiquer en club ». Seuls 26 % des garçons et 39 % des filles optent pour « faire autre chose que des activités physiques » sur les horaires de l’AS [25]. La prédilection de certains élèves pour les clubs fédéraux est corrélative du goût pour la compétition comme finalité en soi, ce qui explique aussi la discordance avec leur enseignant à propos de l’intérêt de l’AS. Alors que les professeurs y voient une finalité potentiellement éducative, les élèves en attendent principalement l’affrontement compétitif et la sociabilité (47 % des garçons et 50 % des filles) [26]. Ainsi, pour 68 % des garçons et 49 % des filles, la compétition est le but premier de l’AS alors que seulement 17 % des garçons et 17 % des filles y voient la possibilité d’y prendre des responsabilités comme, par exemple, juge ou arbitre. A contrario, les professeurs assignent à l’AS comme objectifs non seulement l’investissement en compétition (52 %) mais aussi, quasiment à part égale (48 %), l’apprentissage des responsabilités [27].

Définir et tenir les frontières : illusio scolastique et théories des stratèges de l’autonomisation scolaire

10Les professeurs d’EPS sont d’autant plus sensibles à la concurrence des clubs sportifs et aux minorations chroniques dont leur matière fait l’objet qu’ils sont plus investis par et dans l’institution scolaire et qu’ils y jouent leur propre légitimité de garants des missions officielles de l’École. C’est le cas des autorités tutélaires des professeurs du secondaire de l’académie de Nantes : les IA-IPR [28]. Ayant accumulé les titres scolaires pour occuper les postes d’autorité qui les exposent moins à la dévalorisation de leur ex-fonction professorale, ils ont investi la hiérarchie académique, la formation des futurs candidats à leur corps de métier et/ou les groupes de réflexion sur la pédagogie en EPS. Ces purs produits scolaires à destinée scolaire ont d’autant plus intérêt à refuser l’intrusion de références extrascolaires dans la définition du métier de professeur d’EPS que leur pouvoir dépend de leur monopole en la matière : si les normes professionnelles peuvent être définies en dehors de l’institution scolaire et par d’autres qu’eux, leur autorité s’en trouve nécessairement amoindrie parce qu’elle est partagée avec d’autres experts reconnus comme tels. Aussi peut-on comprendre que les représentants officiels de l’EPS pour l’académie des Pays de la Loire puissent se référer aux militants historiques de la scission stricte entre EPS et pratiques sportives extrascolaires. Leurs propositions concernant les programmes d’EPS reproduisent effectivement celles de leurs homologues plus anciens qui, dès les années 1960, revendiquaient la séparation nette entre « sport » et « EPS » [29]. Pour proposer une alternative au « sport », les IA-IPR « nantais » formalisent comme leurs prédécesseurs leur propre définition de l’EPS à l’aide de néologismes censés résulter d’une réflexion scientifique. Investis d’une mission politique par l’Inspection générale de l’Éducation nationale (IGEN) pour la réflexion sur l’écriture de programmes avant la loi d’orientation de 1989 [30], rassemblés au sein du Groupement académique d’innovation pédagogique (GAIP), les IA-IPR « nantais » en exercice entre 1987 et 2006 ont, avec des professeurs certifiés, parfois des formateurs investis à l’UFR STAPS et/ou à l’IUFM, contribué à la promotion d’une définition de l’EPS qui se singularise par son opposition radicale aux pratiques compétitives et qui est depuis assimilée dans les manuels académiques à « l’École nantaise ».

11Programme « académique » ayant pour enjeu la reconnaissance nationale de ses auteurs par son intégration dans les programmes d’EPS, les propositions du GAIP reposent principalement sur l’adhésion doxique aux missions officielles de l’École et sur la naturalisation performative de la différenciation entre « EPS » et « sport ». Déniant le rôle des rapports de forces sociaux défavorables aux professeurs d’EPS, les responsables du GAIP imputent la position mineure attribuée à l’EPS à un déficit de spécificité pédagogique de la discipline qui serait victime, selon eux, du stigmate pesant sur le « sport » perçu comme antinomique avec les valeurs de l’École et les missions des enseignants [31]. L’invocation d’« une crise des pédagogies » sert leurs intérêts et correspond à leur illusio scolastique : dotés d’une emprise normative sur la pédagogie et la didactique de l’EPS, ils se proposent d’être les antidotes aux maux dont ils font le diagnostic lorsqu’ils définissent ce que doivent être, à leurs yeux, les bonnes manières d’exercer le métier de professeur d’EPS pour que la corporation soit mieux reconnue [32].

12Donnant à leur discours toutes les apparences de la scientificité, les membres du GAIP nantais cherchent à démontrer l’existence d’une séparation nette entre les pratiques des professeurs d’EPS et celles des intervenants dans les associations fédérales. En l’occurrence, il s’agit pour les « théoriciens » du GAIP d’instituer l’opposition entre « EPS » et « sport », et plus précisément de retirer aux enseignements dispensés en EPS toute ressemblance avec l’entraînement à la compétition et de donner aux professeurs d’EPS les objectifs et méthodes pour transmettre des savoirs « d’une dimension cognitive, voire socio-cognitive [33] » de même nature que ceux qui caractérisent les autres disciplines. En guise de méthode, les membres du GAIP qui aspirent à une « Éducation physique scolaire plus que sportive » pratiquent la rhétorique et l’émulation intellectuelle libérée des contraintes épistémologiques éprouvées en sciences humaines et sociales : ils travaillent en groupe à l’invention d’un vocabulaire à prétention objectiviste qui dissimule le « socle mythique » de leurs croyances, « véritable structure fantasmatique qui soutient toute la théorie [34] » censée désigner les savoirs transmis en EPS en les distinguant de ceux qui sont exigés et travaillés pour la compétition extrascolaire. Pour conforter l’appartenance scolaire de cette discipline et l’élever au rang de médiatrice culturelle au même titre que les autres, l’IA-IPR « théoricien » du GAIP énonce ainsi que « l’EPS s’identifie comme une discipline scolaire, d’enseignement, obligatoire, dont la fonction est […] l’apprentissage de savoirs fondamentaux en vue d’atteindre les objectifs fixés par les textes officiels, disposant de sa didactique propre afin de contribuer à la réussite de tous les élèves[35] ». Le « lexique » du GAIP nantais s’apparente ainsi à la déclinaison de schèmes d’oppositions terme à terme qui, d’un point de vue sémiologique, postulent du discontinu là où un non-initié peut percevoir un continuum et où chaque terme est plus marqué que l’autre : « l’EPS » s’oppose au « sport » comme l’obligatoire au non-obligatoire, le public au privé, le fondamental au non-fondamental, et in fine, le scolaire et le sportif [voir encadré « L’École en pensée et pensée d’école : le GAIP nantais et ses théoriciens », p. 79].

L’École en pensée et pensée d’école : le GAIP nantais et ses théoriciens

Les sociétaires du GAIP proviennent majoritairement de l’élite des professeurs d’EPS préposée à former et à évaluer les membres ou les prétendants à cette corporation. Les IA-IPR du GAIP sont régulièrement membres des jurys au CAPEPS externe, et fédèrent dans ce Groupement des professeurs certifiés, des agrégés et des maîtres de conférences en psychologie et sciences de l’éducation, eux-mêmes ex?professeurs d’EPS intervenant en formation initiale ou continue. Au sein de groupes de travail, chaque membre du GAIP coopté contribue à remplir des « tableaux à double entrée » dans lesquels sont déclinées toutes les « activités physiques sportives et d’expression » : à partir de comparaisons et de rapprochements terminologiques, l’objectif est de réussir à dénommer des « invariants » à l’ensemble des pratiques sportives listées. Il ne s’agit donc pas tant de se référer aux modalités d’investigations éprouvées des sciences humaines ou sociales que d’animer des séances de réflexion où « chacun réfléchit pour lui et rapporte ses résultats lors des sessions de travail du GAIP » et, surtout, de se retrouver entre défenseurs d’une même définition du métier de professeur d’EPS et porteurs d’un même rapport à la culture légitime. Aussi, dans les articles de leur revue, les Cahiers pédagogiques de l’académie, les théoriciens et les membres GAIP multiplient les références aux historiens, sociologues, psychologues et philosophes consacrés, pareils en cela aux petits-bourgeois ascendants affichant leur « bonne volonté culturelle [1] ». C’est aussi sous cet angle qu’on peut lire la notice autobiographique rédigée avec autodérision par l’inspecteur pédagogique régional animateur premier et principal du GAIP : Michel Delaunay. En 2006, alors âgé de 65 ans, il y énumère non sans humour ses titres scolaires et y revendique son avidité culturelle. Il écrit ainsi être « titulaire » d’un « bac + 24 », et explique avoir entamé des études de droit, obtenu une licence, une maîtrise et un doctorat de psychologie ; avoir été « major de sa promotion » à l’Institut national du sport et de l’éducation physique, avoir « côtoy[é] l’élite de l’EPS d’alors et des sciences sociales (Pierre Bourdieu, Edgar Morin, notamment) », s’être inscrit une seconde fois en doctorat « en sciences de l’éducation » ; n’avoir été « classé “que” 6e » à l’agrégation d’EPS ; et avoir acheté « plus de 7 000 livres annotés (mon grenier peut en témoigner) » durant sa carrière. L’un de ses plus proches collaborateurs, lui-même IA-IPR, témoignera en entretien des mêmes dispositions éthiques qui ne se révèlent jamais autant que dans le rapport à l’école et à l’accumulation de titres scolaires. D’origine ouvrière, issue d’une famille où « l’école était tout », et « où il n’était pas question de redoubler », il nous expliquera avoir « saisi toutes les occasions que l’école lui a fournies » et reproche d’une manière générale aux enseignants de « ne pas suffisamment lire et ne pas se tenir au courant des dernières connaissances en sciences de l’éducation et en psychologie de l’enfant ».

Les clivages professoraux : évaluations antagonistes et définitions différenciées du métier

13La plupart des enseignants sont beaucoup moins mobilisés par les enjeux de positionnements inter-académiques. Ils se distinguent aussi des fondateurs du GAIP du fait qu’ils bénéficient rarement des mêmes ressources et ne nourrissent pas les mêmes ambitions de reconnaissance scolaire. L’hétérogénéité de la corporation résulte des inégalités de capitaux sociaux, culturels, symboliques contractés et actualisés dans l’institution sportive qui induisent des définitions différenciées du métier de professeur d’EPS [36]. Plus précisément, les manières de résister au rôle subalterne qui leur est assigné au quotidien – celui d’éducateur plus que celui d’enseignant, celui de médiateur social plus que celui de médiateur culturel – révèlent des clivages entre fractions de la corporation plus ou moins investies dans l’univers sportif fédéré. Les professeurs les moins engagés des clubs sportifs ont tendance ainsi à accueillir plus favorablement les propositions du GAIP : considérant la mission enseignante antinomique avec la hiérarchisation athlétique, ils prétendent, comme eux, être en mesure de démontrer la nature intellectuelle des apprentissages en EPS et de refuser à la technicité corporelle le caractère de savoirs scolairement valables. Aussi cherchent-ils, comme les théoriciens du GAIP, à exiger des élèves des compétences non seulement différentes des techniques gestuelles sportives (réduites à de « simples exercices »), mais re-mobilisables à l’identique de celles attendues des autres matières. Un enseignant explique ainsi : « En EPS, on est à l’inverse des autres disciplines : on nous dit quel exercice faire, mais pas ce qu’il y a à en apprendre, au contraire des maths où ils apprennent Pythagore et ensuite ils s’exercent. Nous, on s’exerce à bien courir, mais on ne dit pas que ça peut servir à bien gérer sa respiration… [37] » Conformément aux injonctions du GAIP en la matière, ces professeurs excluent de leur enseignement et de leurs évaluations toute référence à une compétition sportive qu’ils pensent inégalitaire et injuste car reposant sur des différences de capacités corporelles acquises et entretenues en dehors de l’École. Lorsqu’il est conduit en fonction de ce type de croyance, l’enseignement de l’EPS est comme un monde sportif inversé au sein de l’institution scolaire : faisant de nécessité vertu, les convictions humanistes, sociales – partagées avec les théoriciens du GAIP – prédisposent par exemple les enseignants à inverser la hiérarchie reposant sur la « performance » pour réparer « scolairement » des inégalités induites par les différences d’investissements sportifs extrascolaires.

14Ils s’opposent ouvertement en cela aux professeurs qui, au même titre qu’eux, se définissent comme médiateurs culturels mais en se réclamant a contrario plus aisément de la compétition sportive parce que portés par leur trajectoire à y voir un moyen éducatif dès lors qu’elle est encodée selon les programmes et les finalités de l’institution scolaire [38]. Porteurs de valeurs libérales, percevant l’affrontement corporel codifié comme enseignement éducatif en soi parce qu’il réclame dépassement de soi et courage physique, ces professeurs qui aimeraient être reconnus comme des « spécialistes des activités sportives » au même titre que « l’enseignant de mathématiques est expert de sa discipline » préfèrent privilégier les savoir-faire techniques dans l’évaluation de leurs élèves, au détriment des « compétences comportementales », et se tiennent à distance des conceptions du GAIP nantais jugées « intellectualistes » et « peu en phase avec les familles et les parents [39] ». Visibles dans les manières d’évaluer, ces antagonismes internes à la corporation des professeurs d’EPS retraduisent symboliquement et objectivement au sein de l’institution scolaire la concurrence qui se joue à propos de la définition des pratiques éducatives entre les catégories de professeurs d’EPS les plus exclusivement investis à l’École et des professionnels de l’encadrement des activités corporelles extérieurs à l’École. Interrogé en entretien sur la comparaison entre l’éducation par la compétition en club et l’éducation physique et sportive, un enseignant proche du GAIP nous avait ainsi répondu : « Ce n’est pas la même ! [40] », alors qu’un autre qui était investi comme entraîneur en club expliquait : « J’ai toujours regardé avec beaucoup de recul la dichotomie éducation physique d’un côté et éducation sportive de l’autre. J’ai toujours envisagé dans mes conceptions, dans mes prises de position y compris au concours, que l’un incluait l’autre et que l’autre était comprise dans la première. J’ai toujours eu une vision globale, surtout pas une vision d’opposition, surtout pas. Pour moi, le sport fait partie de l’EP [41]. » Comme en témoigne le positionnement de ces deux enseignants, il semble bien que les moins réceptifs aux discours du militantisme pédagogique professionnel sont ceux en mesure d’acquérir une reconnaissance au sein de l’institution sportive, au contraire des tenants du GAIP pour lesquels l’École représente plus exclusivement la seule voie d’ascension professionnelle. Les enseignants ne s’accordent donc pas sur la question de savoir si le « sport » est, ou non, une pratique concurrente de « l’EPS » [42].

15Mais, dans tous les cas, la posture consiste à affirmer la dimension scolastique de la discipline EPS contre sa réduction à une fonction de médiation sociale plutôt que culturelle. Comme en d’autres matières toutefois, les tenants du « disciplinaire » en EPS s’opposent aux partisans du « pédagogique » : les professeurs d’EPS se clivent aussi – mais de manière transfigurée dans cet espace déjà davantage confiné au rôle pédagogique que professoral – entre ceux qui prétendent à « l’enseignement » et ceux qui se réclament ouvertement de l’éducation contre les « autres profs trop loin des élèves [43] » pour défendre leur légitimité au sein de l’institution scolaire comme éducateur à défaut d’y être reconnus comme enseignants [44]. Ne réunissant pas les ressources culturelles qui permettent aux IA-IPR nantais de lutter sur le terrain intellectuel de l’intellectualisation de leur discipline ou à des professeurs d’EPS de briguer des postes comme, par exemple, celui de directeur d’établissement, ces enseignants porteurs de valeurs philanthropiques n’ont d’autre possibilité pour accéder à plus de reconnaissance que de redéfinir la fonction professorale en affirmant la dimension sociale de leur travail pour en faire, par un retournement symbolique, une marque distinctive des autres enseignants [45]. En essayant d’introduire dans leur enseignement une mission « d’éducation » conçue comme transmission de valeurs et de savoirs, ils tentent de faire contracter aux élèves et familles une forme de dette alternative et concurrente de celle produite par la diffusion culturelle [46] [voir encadré « Des rapports différenciés à la fonction éducative », p. 82].

Des rapports différenciés à la fonction éducative

Les catégories engagées dans l’évaluation des élèves et, plus précisément, les manières d’ordonnancer les compétences évaluées montrent les conceptions antagonistes de l’éducation qui animent les enseignants d’EPS, en même temps qu’elles dévoilent la diversité des pratiques professorales et leur réceptivité différenciée aux propositions du GAIP.
« Au début, moi, je restais près de ce que nous disent les textes : performances, connaissances, investissements et progrès [1], et quand on est passé aux compétences comportementales pour les mettre en premier et mettre en dernier la perf, j’ai dit : “carrément !” » [Femme, professeur d’EPS certifiée, 32 ans. Cette enseignante attribue plus de points aux « compétences comportementales » qu’à la « performance », elle est une ex-basketteuse].
« Jamais je ne demande qui a gagné, je ne fais jamais de classement au tableau, je ne donne aucune importance au fait d’avoir gagné un match. Tout à l’heure, je leur ai rendu leur note, et, entre guillemets, il y a la “petite grosse” qui s’est tapé un 16. Et il y en a un, un bon sportif, qui s’est pris 6. Mais pour moi, c’est mieux de hiérarchiser en disant “voilà, toi tu as joué le jeu, tu as appris ce qu’il y avait à apprendre, tu as fait des efforts, tu as grandi, tu te prends une bonne note”. L’autre, qui était déjà un bon sportif mais qui n’a rien appris, mais qui était là comme en garderie, il prend une tôle. Même s’il est plutôt bon dans l’activité » [Homme, professeur d’EPS certifié, 28 ans, attribue plus de points aux « comportements » qu’à la « performance », footballeur de niveau départemental].
« On ressent ça en conseil de classe, des questions sur le comportement, et pas sur les compétences disciplinaires. Mais on n’est pas psychologue… c’est parfois compliqué, parce qu’on est un peu la cinquième roue du carrosse : on demande à un prof de maths des notes, nous, un autre éclairage, mais pas sur les compétences techniques » [Homme, professeur d’EPS certifié, 52 ans. Cet enseignant attribue plus de points aux « savoir-faire techniques » qu’aux « comportements ». Il est un ancien joueur de hand-ball, responsable de la détection au sein d’un club de niveau national].
« C’est vrai qu’on est de plus en plus sollicités pour autre chose que l’enseignement de l’EPS, sur des choses qui sont plus de l’ordre de l’éducation des gamins, de leur façon d’être, comment ils sont par rapport à leur environnement social et qui moi, me dépasse un peu. […] Moi, j’attends d’une séance de la dépense énergétique… » [Femme, professeur d’EPS certifié, 43 ans. Cette enseignante attribue plus de points à la « performance technique » qu’aux « comportements ». Elle est tri-athlète, juge officiel en natation, membre de la commission Culture jeunesse et éducation de sa municipalité].

16La minoration manifeste de la fonction des professeurs d’EPS peut en partie expliquer les revendications appelant de façon récurrente à « plus de reconnaissance pour l’EPS ». L’enquête sociologique montre toutefois que les producteurs du discours sur la « crise identitaire » de l’EPS sont les représentants officiels de l’autorité en EPS dont le pouvoir normatif est le plus susceptible d’être entamé par la concurrence avec les corporations d’experts de l’encadrement des activités corporelles extrascolaires. Ce sont eux qui, particulièrement, ont tout intérêt à définir et tenir les frontières entre l’École et l’institution sportive qui pourtant, du point de vue de l’État comme des familles, sont loin d’être aussi hermétiques que pour d’autres disciplines. C’est contre cette « ouverture » des murs de l’École qu’ils tentent de formaliser une « éducation physique scolaire plus que sportive ». Concernant l’EPS du moins, les producteurs de débats intellectuels se donnant pour objet la définition des savoirs à dispenser à l’École sont donc loin de trouver leur principe exclusif dans le souhait de répondre aux attentes de la société « civile », si l’on prend acte notamment que pour nombre d’élèves et familles, comme nous l’avons montré, l’EPS n’est pas dissociée totalement des pratiques sportives extrascolaires. Les enjeux pour ceux qui jouent le rôle de force de propositions pour les programmes scolaires sont ailleurs : ayant en charge le contrôle et l’évaluation de la conformité des pratiques pédagogiques définies par eux-mêmes, leur pouvoir est en partie dépendant de leur capacité à maintenir leur monopole normatif sur l’objet et la manière d’enseigner en EPS. En d’autres termes, ils ne peuvent guère continuer à exister en tant que garants exclusifs de l’encadrement scolaire des activités corporelles si d’autres qu’eux, à l’extérieur de l’École, détiennent aussi le pouvoir de définir les finalités de cette discipline et la pédagogie de ses enseignants. On comprend alors mieux les réticences des représentants officiels de l’académie de Nantes face aux dernières injonctions ministérielles concernant les objectifs de l’EPS en collège et lycée, notamment en ce qu’à leurs yeux ces derniers programmes visent l’acquisition de « compétences qui peuvent être lues comme des capacités générales à produire des performances qui, précisément, ne sont pas “propres à l’EPS”, car largement partageables et partagées avec un très grand nombre d’acteurs et de domaines sportifs fédéraux, extrascolaires [47] ». La définition du « savoir nager » comme priorité nationale fait l’objet de la même critique : « cette “priorité nationale collège” cautionne, sans volonté expresse cependant, l’externalisation et la privatisation d’une partie de l’éducation physique obligatoire ; et indique un processus dans lequel l’enseignement secondaire, lui aussi gratuit et obligatoire, risque de s’engager [48] ».

17Le cas des inspecteurs de l’académie de Nantes offre ainsi l’occasion de montrer qu’on ne saurait comprendre « la tendance de l’École à l’autonomisation [49] » sans en rapporter la genèse aux propriétés d’agents disposés, d’une part, à essayer d’inverser de l’intérieur la hiérarchie des enseignements au sein de laquelle ils occupent une place mineure et, d’autre part, à s’opposer ouvertement à la concurrence externe à laquelle ils sont exposés. Aussi peut-on comprendre que, selon leurs ressources culturelles corrélatives ou non d’aspirations à la reconnaissance scolaire, les professeurs d’EPS puissent percevoir les attentes sociales en matière éducative soit comme une dévaluation de leur travail de médiation culturelle, soit comme l’unique moyen de défendre leur utilité professorale. L’École ne contribue donc pas uniquement à la reproduction sociale des inégalités en dehors de ses murs ; elle participe aussi aux tensions qui traversent l’ensemble du corps professoral en produisant et reproduisant non seulement la hiérarchie des enseignements et des enseignants, mais aussi les catégories de perception qui engagent certains de ses représentants les plus officiels dans la défense aveugle d’un monopole depuis toujours inexistant : celui de l’éducation des jeunes générations qu’ils partagent avec d’autres institutions comme la famille ou l’institution sportive [50].

Notes

  • [1]
    La loi n° 2000-627 du 6 juillet 2000, dans son article 2, précise que, sous la responsabilité de l’enseignant, « un personnel agréé et disposant d’une qualification définie par l’État peut assister l’équipe pédagogique », en l’occurrence les titulaires du brevet d’État d’éducateur sportif. L’article L. 312-1 du Code de l’éducation, modifié par l’ordonnance n° 2006-596 du 23 mai 2006, stipule : « L’État est responsable de l’enseignement de l’éducation physique et sportive, placé sous l’autorité du ministre chargé de l’éducation. » Le Code de l’éducation abroge la loi n° 84-610 du 16 juillet 1984, dite loi Avice, qui, dans son article premier, modifié par la loi n° 92-652 du 13 juillet 1992, signifiait que « Les activités physiques et sportives […] sont un élément fondamental de l’éducation, de la culture et de la vie sociale […]. L’État assure ou contrôle, en liaison avec toutes les parties intéressées, l’organisation des formations conduisant aux différentes professions des activités physiques et sportives et la délivrance des diplômes correspondants ».
  • [2]
    « Nul ne peut enseigner contre rémunération les activités physiques et sportives à titre d’occupation principale ou secondaire […] s’il n’est pas titulaire d’un diplôme […] français défini et délivré […] par l’État. » Loi n° 84-610 du 16 juillet 1984, titre III, article 43. Par ailleurs, Le terme « jeunesse » est, dans cet article, placé entre guillemets, car il est utilisé comme catégorie performative de désignation de la population ciblée par l’action politique.
  • [3]
    Sur ce point, voir Hassen Slimani, « “Savoir nager” n’est pas nager ! », rapport d’étude pour le compte de la Mairie d’Angers et l’Inspection académique du Maine-et-Loire, IFEPSA, université catholique de l’Ouest, Centre nantais de sociologie, 2007.
  • [4]
    Et ce malgré le rattachement au ministère de l’Éducation nationale (sur cette histoire, voir Marion Sala, « D’un ministère à l’autre », mémoire de maîtrise STAPS sous la direction de Arnaud Sébileau, Angers, IFEPSA, université catholique de l’Ouest, 2010). Ce constat de manque de reconnaissance semble unanime, même si les autorités académiques et les syndicats se sont montrés parfois en fort désaccord sur la manière d’envisager les moyens d’accéder à une plus forte légitimité scolaire.
  • [5]
    Bertrand During, La Crise des pédagogies corporelles, Paris, Scarabée, 1981.
  • [6]
    Pourtant, contrairement au discours commun sur la « sportivisation de l’EPS » qui a le tort d’être focalisé sur les Instructions officielles de 1967, ce sont majoritairement des professeurs d’EPS qui investissent l’espace fédéral en y important leurs normes éducatives. Sur la genèse de l’assujettissement des fédérations sportives à l’autorité de l’État, voir Gildas Loirand, « Une difficile affaire publique. Une sociologie du contrôle de l’État sur les activités physiques et sportives et sur leur encadrement professionnel », thèse de doctorat en sociologie, université de Nantes, 1996. Nous remercions d’ailleurs vivement Gildas Loirand pour ses conseils avisés et le temps qu’il a su nous accorder pour ce travail.
  • [7]
    Professeur d’EPS certifié, 55 ans, membre du bureau d’une association sportive.
  • [8]
    L’utilisation tout au long de l’article de la dénomination « professeur d’EPS » obéit plus au souci de se référer à la catégorie administrative qui désigne officiellement cette profession qu’à l’intention de la définir in extenso : l’observation des manières différenciées d’exercer ce métier invalide la pertinence sociologique d’une telle prétention. Pour cette définition « officielle » plus que réaliste d’un point de vue sociologique, voir l’ordonnance du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires, et dans le décret n° 80-627 du 4 août 1980 relatif au statut particulier des professeurs d’EPS.
  • [9]
    On se réfère au classement des items justifiant du choix de leur métier réalisé par les enseignants de différentes disciplines : voir Nadine Esquieu et Alain Lopes, « Portrait des enseignants de collèges et lycées. Interrogation de 1 000 enseignants du second degré en mai-juin 2004 », in Les Dossiers. Enseignement scolaire, ministère de l’Éducation nationale, Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, 163, avril 2005, p. 24.
  • [10]
    Cette « singularité » des professeurs d’EPS est aussi à mettre en relation avec les effets des formations en STAPS : la création de la licence en 1977 et surtout de la maîtrise en 1982 furent motivées notamment par le souci d’imposer les problématiques relatives à l’éducation et à la pédagogie parmi les axes essentiels de recherche dans ces « nouvelles » Unités de formation et de recherche. Dans les enseignements « professionnels » en licence puis durant la préparation au concours, les étudiants reçoivent des enseignements en didactique de l’EPS et sont envoyés en stages d’encadrement pédagogique à l’école. Sont aussi dispensées des disciplines scientifiques comme la psychologie de l’enfant et les sciences de l’éducation. Sur la prédominance initiale en STAPS de catégories d’agents issus de l’EPS portés à proposer des enseignements axés sur l’éducation et sur la pédagogie spécifique à leur discipline, voir Stéphan Mierzejewski, « Le corps académisé. Genèse des sciences et techniques des activités physiques et sportives (1968-1982) », thèse de doctorat en STAPS, université de Paris X-Nanterre, 2005, p. 207-210.
  • [11]
    N. Esquieu et A. Lopes, op. cit., p. 11.
  • [12]
    Ibid., p. 10.
  • [13]
    Ibid., p. 11.
  • [14]
    Jacques Defrance a déjà noté les origines sociales relativement dominées des professeurs d’EPS par rapport aux autres catégories d’enseignants, et ce dès la création de cette profession. Voir Jacques Defrance, L’Excellence corporelle. La formation des activités physiques et sportives modernes (1770-1914), Rennes, PUR, 1987, en particulier p. 155.
  • [15]
    Si 45 % des professeurs d’EPS actuellement en poste ont été formés dans les UFR STAPS avant d’entrer dans des IUFM, rien ne permet de conclure que les analyses portant sur les trajectoires scolaires de ces enseignants ex-Stapsiens puissent être généralisées à l’ensemble des enseignants en poste, notamment pour les plus âgés qui ont connu d’autres organismes de formation comme les centres régionaux d’éducation physique et sportive (CREPS) avant 1975 ; on ne saurait présupposer que ces derniers ont les mêmes caractéristiques sociales et scolaires que leurs plus jeunes confrères. Si l’on passe sur ces réserves, on peut néanmoins supposer que les CREPS, comme les STAPS à l’heure actuelle, représentaient une filière dévaluée parmi celles qui permettent l’accès au métier d’enseignant.
  • [16]
    Marine Guillerm, « Les sciences et techniques des activités physiques et sportives », note d’information 05-13, ministère de l’Éducation nationale, Direction de l’évaluation et de la prospective, avril 2005. Sur les origines sociales des étudiants en STAPS au moment où ces UFR recrutaient majoritairement des étudiants dont le projet était le professorat d’EPS, voir Bernard Michon, « Éléments pour une histoire sociale des enseignants en éducation physique et sportive », STAPS, 8(4), octobre 1983, p. 12-28, et « Savoirs et modes de domination en STAPS-EPS », in Gérard Bruant, Savoir et sens pratique dans les APS, Clermont-Ferrand, AFRAPS, 1989, p. 79-87.
  • [17]
    Marie Duru-Bellat, « Mérite et justice sociale », in L’Inflation scolaire : les désillusions de la méritocratie, Paris, Seuil, 2006, p. 43.
  • [18]
    Ces regroupements de disciplines tiennent au fait que ces statistiques additionnent les pourcentages d’enseignants titulaires d’un diplôme supérieur à bac?+?5, identifiés par Nadine Esquieu et Alain Lopes. Voir N. Esquieu et A.?Lopes, op. cit., p. 10.
  • [19]
    Ces jugements sont récurrents dans les entretiens effectués.
  • [20]
    Le nombre de postes est passé de 1 675 en 1998 à 950 en 2005 et à 440 en 2006. Voir Repères et références statistiques, ministère de l’Éducation nationale, Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, Repères et références statistiques, 2007, p. 308 (document disponible sur le site du ministère de l’Éducation nationale, http://www.education.gouv.fr/). Il s’agit là d’un motif récurrent de mobilisation du SNEP-EPS, syndicat majoritaire des professeurs d’EPS.
  • [21]
    Comme le dit l’un des professeurs rencontrés : « Des simples BE pour faire l’EPS à nos gamins ? ».
  • [22]
    Au moment de l’enquête, c’est-à-dire avant la réforme dite de la « masterisation », la première des deux épreuves écrites d’admissibilité auxquelles devaient se soumettre les candidats du CAPEPS, d’une durée de quatre heures et dotée d’un coefficient de 4, portait sur « L’éducation physique et sportive : son histoire et ses composantes culturelles ». Comme l’indique la note du 4 juin 1992, modifiée par la note de service n° 96-109 du 19 avril 1996, cet écrit « a pour objet d’apprécier les connaissances du candidat concernant l’éducation physique et sportive comme discipline d’enseignement et son histoire en relation avec les activités corporelles et le sport ».
  • [23]
    L’usure corporelle à laquelle les professeurs d’EPS sont a priori davantage soumis que leurs collègues des autres disciplines n’est pas sans expliquer aussi, en plus des dépréciations chroniques auxquelles ils sont exposés régulièrement, la manière dont ils envisagent et construisent leur évolution professionnelle. Sur ce point, voir Thérèse Roux-Perez, « Biographies professionnelles des enseignants d’EPS : investissements et décrochages », in Christiane Montandon et Jacqueline Trincaz, Vieillir dans le métier, Paris, L’harmattan, 2007, p. 77-89.
  • [24]
    Les chiffres indiqués et les citations reproduites proviennent de l’enquête réalisée en 2007 auprès de 1 458 enseignants et 2 196 élèves de collèges et de lycées généraux ou professionnels. Voir Jeanne Benhaïm-Grosse, « Image du sport scolaire et pratiques d’enseignement au collège et au lycée 2005-2006 », in Les Dossiers. Enseignement scolaire, ministère de l’Éducation nationale, Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, 190, octobre 2007, p. 28-33.
  • [25]
    J. Benhaïm-Grosse, op. cit., p. 93-135.
  • [26]
    Ce qui en soi ne doit pas conduire à penser que les élèves considèrent la compétition comme antinomique avec l’éducation.
  • [27]
    Ibid., p. 127. On comprend alors que l’absence de club sportif à proximité des établissements accorde aux professeurs d’EPS plus de facilités pour imposer leur vision des finalités de l’AS, comme nous l’explique cet enseignant certifié : « Nous, comme on n’a pas trop de clubs proches de l’établissement, on a la possibilité de faire des choses intéressantes en AS ».
  • [28]
    L’ensemble des missions assumées par les IA-IPR, positionnés hiérarchiquement sous la tutelle du recteur, sont définies par la note de service n° 90-143 du 4 juillet 1990, le décret n° 90-675 du 18 juillet 1990, et dernièrement par la note de service n° 2005-089 du 17 juin 2005. Au-delà de cette définition « légaliste », l’enquête menée actuellement en Pays de la Loire sur les inspecteurs montre à l’identique l’hétérogénéité des manières d’exercer ce métier, tant dans les pratiques d’inspections que dans les façons mêmes de hiérarchiser l’inspection parmi d’autres missions.
  • [29]
    Par exemple, Pierre Parlebas, auteur de référence pour le GAIP. Élève puis professeur à l’École normale supérieure d’éducation physique entre 1965 et 1975, titulaire d’un doctorat d’État ès lettres et sciences humaines, professeur des universités en sociologie, il est l’auteur d’un lexique dont l’objet n’est ni plus ni moins de proposer une « science » plus utile aux praticiens en EPS que les autres : « Chaque discipline avance dans le fil de sa pertinence et l’on ne saurait lui reprocher. […] Il semble possible de développer un champ de connaissances propre aux activités physiques et sportives, une discipline dont l’objet serait l’action motrice » (Pierre Parlebas, Jeux, sports et sociétés. Lexique de praxéologie motrice, Paris, INSEP, 1999, p. 10).
  • [30]
    L’académie nantaise rejoint alors celles de Créteil, Dijon et Lyon, elles aussi comme « pilotes » sur la réflexion pour la rédaction de programmes en EPS.
  • [31]
    Le raisonnement des « théoriciens nantais » de l’EPS, qui repose sur la naturalisation de l’opposition « EPS/sport », pourrait laisser croire à une unicité des pratiques pédagogiques au sein des clubs sportifs. Pour se faire une idée de la différenciation de la définition des pédagogies mises en œuvre, voir par exemple Gildas Loirand, « De la chute au vol. Genèse et transformations du parachutisme sportif », Actes de la recherche en sciences sociales, 79, septembre 1989, p. 37-49.
  • [32]
    Parmi de multiples exemples, Bertrand During, théoricien de l’EPS, défend la thèse d’une « crise des pédagogies corporelles » dans un ouvrage éponyme (op. cit.) et propose, pour en sortir, de se référer aux travaux de Pierre Parlebas. Pourtant, son essai ne propose qu’une revue de littérature à la capacité objectivante limitée puisqu’elle n’est pas contrariée par la moindre enquête.
  • [33]
    Annick Davisse, Michel Delaunay, Paul Goirand et Jean Roche, 4 courants de l’EPS de 1985 à 1998, Paris, Vigot, 2005, p. 319.
  • [34]
    Pierre Bourdieu, « Le Nord et le Midi. Contribution à une analyse de l’effet Montesquieu », Actes de la recherche en sciences sociales, 35, novembre 1980, p. 22.
  • [35]
    Conférence de Michel Delaunay, réalisée à la Direction de l’enseignement catholique d’Angers, mai 2006 : http://www.onlinetri.com/sites/ugsel44/documents/CONFERENCE_DEC_Angers_mai_2006.pdf (c’est nous qui avons placé en italiques certains mots de cette citation).
  • [36]
    Ce qui peut aller jusqu’à des reconversions dans l’univers sportif fédéré.
  • [37]
    Professeur agrégé, 34 ans, collège-lycée d’une agglomération de 30 000 habitants, déclarant se reconnaître dans les propositions du GAIP nantais.
  • [38]
    Pour cela, les programmes d’EPS du collège comme du lycée sont susceptibles d’être lus de manière sélective selon les professeurs. Les uns préfèrent en retenir la nécessité de privilégier « l’éducatif » (en se fiant à la finalité officielle de l’EPS au lycée : « former, par la pratique scolaire des activités physiques, sportives et artistiques, un citoyen cultivé, lucide, autonome, physiquement et socialement éduqué »). D’autres peuvent y voir plutôt la référence à la technicité sportive, comme par exemple cette compétence propre à l’EPS visée elle aussi au lycée : « réaliser une performance motrice maximale mesurable à une échéance donnée ». Voir Programme d’éducation physique et sportive pour les lycées d’enseignement général et technologique, Bulletin officiel n° 4 du 29 avril 2010, MSEN.
  • [39]
    Professeur d’EPS certifié, 52 ans, responsable de la détection au sein d’une fédération.
  • [40]
    Professeur d’EPS certifié, 50 ans, investi dans la formation continue de candidats au CAPEPS.
  • [41]
    Professeur d’EPS certifié, 52 ans, responsable de la détection au sein d’une fédération. Analyser cette corporation en proposant une typologie où les tenants d’une éducation physique scolaire s’opposent à ceux qui préféreraient une éducation physique sportive, c’est faire peu de cas des professeurs qui récusent cette opposition. C’est surtout reprendre des catégories d’oppositions créées ailleurs et pour d’autres enjeux que l’objectivation sociologique, notamment par ceux pour qui la séparation ainsi opérée constitue le « fonds de commerce » scolaire de leur stratégie d’imposition de leur définition du métier aux professeurs qui, contrairement à ce qu’ils en disent, ne se répartissent pas aussi aisément entre deux modalités de conformismes « scolaire » versus « sportif ». Sur ce genre de confusion, Christelle Marsault, Socio-histoire de l’éducation physique et sportive, Paris, PUF, 2009.
  • [42]
    Si l’on entend par « sport » la compétition comme l’entendent les théoriciens du GAIP.
  • [43]
    Professeur certifié, 56 ans, syndiqué, non investi en club.
  • [44]
    Jean-Michel Chapoulie avait déjà souligné que la « compétence pédagogique » était comme une « forme mineure de la compétence culturelle ». Voir Jean-Michel Chapoulie, « La compétence pédagogique des professeurs comme enjeu de conflits », Actes de la recherche en sciences sociales, 30, novembre 1979, p. 65-85.
  • [45]
    Gilles Combaz a démontré que, dans cette discipline comme pour les autres, les origines sociales des élèves sont déterminantes pour expliquer l’échec ou la réussite des élèves. L’analyse occulte néanmoins les rapports différenciés des professeurs à l’évaluation et leurs définitions parfois opposées de ce qu’il y a à évaluer, ce qui n’est pas sans jouer sur la notation. Voir Gilles Combaz, Sociologie de l’éducation physique et sportive, Paris, PUF, 1992.
  • [46]
    Même si les formations sont dotées d’effets (sous réserves des dispositions réceptives de ceux à qui elles sont dispensées), on ne saurait leur attribuer exclusivement la capacité à produire les clivages internes à la corporation. Les conflits de génération sur la définition du métier ne traduisent pas systématiquement et exclusivement des conflits de générations de formation : si tel était le cas, nous n’aurions pu rencontré à la fois, au cours de notre enquête, des professeurs qui, proches de la retraite, se disent en affinité avec les théoriciens du GAIP qu’ils ont découverts dans les années 1990, et d’autres plus jeunes, initiés aux théories « nantaises » durant leur formation mais les délaissant une fois en poste en établissement.
  • [47]
    Michel Delaunay, éditorial du numéro 39 des Cahiers EPS de l’académie de Nantes, juin 2009, disponible sur Internet : http://thales2.crdp-nantes.fr/eps/default.php.
  • [48]
    M. Delaunay, éditorial du numéro 39 des Cahiers EPS de l’académie de Nantes, op. cit.
  • [49]
    Jean-Claude Passeron, Le Raisonnement sociologique, Paris, Albin Michel, 2006, p. 178.
  • [50]
    L’enquête sur les professeurs d’EPS proches du « courant nantais » et l’analyse de leur défense de l’autonomie scolaire invitent nécessairement à questionner aussi la relative hétéronomie de l’institution sportive à leur définition du travail d’éducateur : les entretiens réalisés montrent que quand ils s’investissent dans les clubs et fédérations, c’est pour y défendre ce qu’est, selon eux, la « bonne » éducation par les activités corporelles.
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