Notes
-
[1]
Patrick Champagne, Faire l’opinion : le nouveau jeu politique, Paris, Minuit, 1990, p. 193.
-
[2]
Dès les années 1980 cependant, les médias, ou du moins certains d’entre eux, plaidaient pour une réforme des retraites. Voir, par exemple, « Retraites : la réforme est urgente », Le Figaro, 10 novembre 1984 ; « La bombe à retardement des retraites », Le Monde, 13 février 1990 ; « La réforme du système de retraite est urgente et indispensable », La Tribune de l’Expansion, 27 juillet 1990.
-
[3]
Dominique Taddéi, Pour des retraites choisies et progressives, Rapport du Conseil d’analyse économique, 22, Paris, La Documentation française, 1999, et « Retraites et scénarii démographiques : encore un effort », Mouvements, 20, mars-avril 2002, p. 137-143 ; Pierre Concialdi, « Pour une économie politique de la protection sociale », Revue de l’IRES, 30, 1999 ; Jean-Claude Barbier et Bruno Théret, Le Nouveau Système français de protection sociale, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2004.
-
[4]
Voir à ce sujet le dossier concernant la réforme des retraites de 2003 sur le site internet d’Acrimed : http://www.acrimed.org.
-
[5]
Daniel Béland, « Expertise et politique des retraites : l’influence des think tanks aux États-Unis », in L’Année de la régulation, « Fonds de pension et “nouveau capitalisme” », 4, Paris, La Découverte, 2000, p. 264.
-
[6]
Bruno Palier et Giuliano Bonoli, « La montée en puissance des fonds de pension : une lecture comparative des réformes des systèmes de retraite, entre modèle global et cheminements nationaux », in L’Année de la régulation, op. cit., p. 209-250.
-
[7]
Commissariat général du Plan, L’Avenir de nos retraites, Rapport au Premier ministre, sous la direction de Jean-Michel Charpin, Paris, La Documentation française, 1999.
-
[8]
Plusieurs d’entre eux sont cités in B. Palier et G. Bonoli, op. cit. (note 38 p. 241 et en annexe p. 250).
-
[9]
Ibid.
-
[10]
« Les Français et les retraites », sondage CSA réalisé le 15 janvier 2003 pour « France Europe Express » et France Info ; « Le devenir des retraites : pronostics et attentes », sondage Ifop réalisé les 30 et 31 janvier 2003 pour Ouest France ; « Le devenir des retraites », sondage Ifop réalisé les 10 et 11 avril 2003 pour Le Journal du dimanche ; « Les retraites », sondage Ipsos réalisé les 18 et 19 avril 2003 pour France 2 et Le Figaro ; « La réforme des retraites », sondage Louis Harris réalisé les 9 et 10 mai 2003 pour AOL et Libération ; « Les Français et la réforme des retraites », sondage TNS Sofres réalisé les 9 et 10 janvier 2003 pour Enjeux-Les Échos ; « Baromètre des retraites », sondages TNS Sofres réalisés les 6 et 7 mars 2003, 9 et 10 avril 2003, 14 et 15 mai 2003, 11 et 12 juin 2003 pour RTL, Le Monde et Notre Temps.
-
[11]
Le taux de remplacement désigne le rapport entre le montant de la pension liquidée et le dernier revenu d’activité.
-
[12]
Le texte de cet accord est disponible sur le site Internet de l’ARRCO (Association des régimes de retraite complémentaire) : http://www.arrco.fr/txt_reference/pdf/accord10022001.pdf.
-
[13]
Prétendant suivre l’évolution de l’opinion concernant la réforme des retraites, TNS Sofres mena une enquête par mois de mars à juin 2003. La question concernant les possibilités de réforme n’est plus posée dans l’enquête des 11 et 12 juin 2003.
-
[14]
Voir, par exemple, l’article de Serge Halimi, « De la science des sondages », Le Monde diplomatique, juin 2003, p. 3, et « Retraites : tentatives de manipulation des citoyens », Communiqué d’Attac, 18 avril 2003.
-
[15]
Les cotisations salariales et patronales n’ont pas la même incidence pour les salariés car les négociations salariales s’effectuent sur le salaire brut. Si une hausse de salaire brut est décidée et que les cotisations salariales augmentent, la hausse du salaire net s’en trouvera d’autant plus limitée. En revanche, si ce sont les cotisations patronales qui augmentent, les employeurs ne pourront répercuter ce coût supplémentaire qu’en modérant les salaires bruts, ce qui peut s’avérer difficile dans un contexte de revendication salariale, ou en augmentant les prix, ce qui est d’autant plus délicat que le marché est concurrentiel.
-
[16]
Conseil d’orientation des retraites, Renouveler le contrat social entre les générations, Premier rapport 2001, Paris, La Documentation française, 2002.
-
[17]
Discours de présentation de la réforme par Jean-Pierre Raffarin devant le Conseil économique et social, 3 février 2003.
-
[18]
Néanmoins, l’enquête Ipsos ne propose pas que la hausse des cotisations porte sur les seules cotisations salariales.
-
[19]
Ibid.
-
[20]
Ibid., p. 109.
-
[21]
Gerard Hughes et Adrian Sinfield, “Financing pensions by Stealth”, in Gerard Hughes et Jim Stewart (éds), Reforming Pensions in Europe: Evolution of Pension Financing and Sources of Retirement Income, Cheltenham, Edward Elgar, 2003.
-
[22]
Une forte corrélation négative entre le taux de remplacement du régime de base et la taille du système par capitalisation existant pour de nombreux pays, ce principe peut être généralisé. Sur ce point, voir B. Palier et G. Bonoli, op. cit. Le sondage Ifop des 30 et 31 janvier 2003 montre bien la confusion qui règne autour de cette question : 61 % des personnes interrogées se disent prêtes à « compléter le système de retraite par répartition au moyen de fonds de pension », mais 84 % d’entre elles se déclarent opposées à une diminution des retraites [voir tableau 1, p. 52].
-
[23]
Si le chômage baisse fortement et durablement, les pouvoirs publics peuvent décider d’assouplir la politique d’immigration, de favoriser la poursuite volontaire d’activité (retraite choisie et progressive) ou de baisser les cotisations chômage pour augmenter les cotisations retraite, sans que les salariés et les entreprises en supportent le coût. La baisse du chômage peut aussi entraîner une augmentation du taux de fécondité et une réduction de la durée des études qui permettront une augmentation de la population active. Pour plus de détails sur ces questions, voir D. Taddéi, Pour des retraites choisies et progressives, op. cit.
-
[24]
Patrick Champagne, « Les sondages, le vote et la démocratie », Actes de la recherche en sciences sociales, 109, septembre 1995, p. 73-92.
-
[25]
« Retraites : ce que veulent les Français », Le Figaro, 24 avril 2003.
-
[26]
« 60 % approuvent la mobilisation », Libération, 12 mai 2003.
-
[27]
43 % des personnes interrogées sont favorables à l’augmentation de la durée de cotisation, 24 % à l’augmentation des cotisations, 13 % à une baisse du montant des retraites et 8 % sans opinion.
-
[28]
Attac, « Retraites : tentatives de manipulation des citoyens », op. cit.
-
[29]
Conseil d’orientation des retraites, Renouveler le contrat social entre les générations, op. cit., chap. 3.
-
[30]
Dans ce cas précis, l’effet de la composition de l’échantillon sur le résultat d’ensemble apparaît clairement. 58 % des sondés jugent le plan Fillon inefficace alors qu’ils sont 64 % parmi les fonctionnaires et 65 % parmi les salariés du privé. C’est donc que d’autres catégories y sont plus favorables.
-
[31]
Les enquêtes européennes sont aussi appelées « eurobaromètre ».
-
[32]
Commission européenne, “The future of pensions systems”, Eurobaromètre spécial, 161, janvier 2004 (http:// europa. eu. int/ comm/ public_opinion/ archives/ ebs/ ebs_161_pensions. pdf).
-
[33]
Christian Baudelot et Michel Gollac (dir.), Travailler pour être heureux ?, Paris, Fayard, 2003 ; Michel Gollac et Serge Volkoff, Les Conditions de travail, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2000 ; Serge Paugam, Le Salarié de la précarité, Paris, PUF, 2000.
-
[34]
Laurent Caillot, Romina Boarini et Christine Le Clainche, « Les opinions des Français en matière de retraite de 2000 à 2002 », Études et résultats, 210, DREES, décembre 2002.
-
[35]
Gilles Balbastre et Pierre Rimbert, « Les médias, gardiens de l’ordre social », Le Monde diplomatique, novembre 2003, p. 6-7.
-
[36]
Commissariat général du Plan, Perspectives à long terme des retraites, sous la direction de Raoul Briet, Paris, La Documentation française, 1995.
-
[37]
Depuis cette estimation, les transferts en provenance du FSV ont augmenté ce qui accroît légèrement sa contribution et diminue un peu celle des autres mesures.
-
[38]
L. Caillot, R. Boarini et C. Le Clainche, op. cit.
-
[39]
En mars 2000, le Conseil européen de Lisbonne a présenté une stratégie s’étalant sur dix ans et visant à faire de l’Union européenne l’économie la plus compétitive et la plus dynamique du monde. Une croissance plus forte stimulera la création d’emplois et favorisera des politiques sociales et environnementales assurant développement durable et cohésion sociale.
-
[40]
Commission européenne, « Enquête sur l’Agenda de Lisbonne », Eurobaromètre spécial, 215, février 2005.
-
[41]
Ibid.
-
[42]
Christophe Boucher, « Identification et comparaison des crises boursières », in Robert Boyer, Mario Dehove et Dominique Plihon, Les Crises financières, Rapport du Conseil d’analyse économique, 50, Paris, La Documentation française, 2004, p. 375-396.
-
[43]
Pensions & Investments, 20 janvier 2003.
-
[44]
« La Haye confronté au coûteux renflouement des fonds de pension », Les Échos, 17 et 18 janvier 2003.
-
[45]
Casper Van Ewijk et Martijn Van De Ven, “Pensions funds at risk”, CPB Report, 2003/1, CPB Netherlands’ Bureau For Economic Policy Analysis, 2003, p. 22-27 (http:// www. cpb. nl/ eng/ pub/ cpbreeksen/ cpbreport/ 2003_1/ cpbr031. pdf ).
-
[46]
Pensions Commission, Pensions: Challenges and Choices, First Report of the Pensions Commission, 2004, disponible sur le site Internet de la Pensions Commission : http:// www. pensionscommission. org. uk/ publications/ 2004/ annrep/ fullreport. pdf.
-
[47]
Déclaration citée par Le Monde, « En Grande-Bretagne, le système privé des retraites par capitalisation est en crise », 14 octobre 2004.
-
[48]
Confederation of British Industry, “Focus on investment: the impact of pension deficits”, Economic Brief, juillet 2003.
-
[49]
En 2004, les besoins de financement restent élevés – même si le cours des actions est reparti à la hausse – car les entreprises ont réduit leur exposition aux actions au profit d’actifs moins risqués, mais aux rendements plus faibles, et les engagements des régimes de retraite ont augmenté.
-
[50]
Confederation of British Industry, “Focus on investment: the impact of pension deficits –an update”, Economic Brief, avril 2004.
-
[51]
Gary Burtless, “Social security privatization and financial market risk”, Center on Social and Economic Dynamics, Working Paper 10, Washington, DC, Brookings Institution, février 2000, disponible sur le site Internet de la Brookings Institution : http:// www. brookings. org/ dybdocroot/ ES/ dynamics/ papers/ sspriv/ sspriv. pdf.
-
[52]
Gary Burtless définit le taux de remplacement comme la rente viagère initiale du salarié divisée par son salaire annuel moyen perçu entre 54 et 58 ans.
-
[53]
C. Boucher, op. cit.
-
[54]
Financés en général par l’employeur, ces fonds s’engagent à verser aux adhérents lors de leur départ en retraite une pension égale à une fraction de leur salaire sur la base du nombre d’années d’ancienneté. La pension versée peut être calculée de deux façons différentes, soit en pourcentage du salaire, soit un montant forfaitaire par année travaillée. Le risque financier est assumé par l’entreprise, qui doit couvrir les insuffisances de financement éventuelles.
-
[55]
Dans ce type de fonds, le financement s’effectue de façon mixte (cotisations salariales et patronales), l’engagement ne porte que sur les cotisations et les prestations ne sont pas fixées d’avance. La pension versée à chaque adhérent est fonction des rendements obtenus sur les placements. C’est le bénéficiaire qui supporte la totalité du risque.
-
[56]
Andrew D. Eschruth et Jonathan Gemus, “Are older workers responding to the bear market?”, Just the Facts on Retirement Issues, 5, Center for Retirement Research at Boston College, septembre 2002, disponible sur le site Internet du Center for Retirement Research : http://www.bc.edu/centers/crr/facts/jtf_5.pdf.
-
[57]
G. Burtless, “What do we know about the risk of individual account pensions? Evidence from industrialized countries”, op. cit.
-
[58]
Ibid.
-
[59]
Les plans dits « 401(k) » (du nom de la section du code fiscal américain qui s’y réfère) sont des plans d’épargne retraite facultatifs à cotisations définies, c’est-à-dire qui n’offrent aucune garantie de prestation. Les salariés cotisent pour un pourcentage déterminé de leur salaire. Les cotisations sont généralement abondées par les entreprises. Les sommes sont placées sur un compte individuel défiscalisé, plafonné annuellement et qui laisse aux salariés le choix entre différents types de fonds. Il n’existe aucune limite réglementaire aux placements effectués en titres de l’entreprise. Sous certaines conditions, le salarié a la possibilité de débloquer son épargne. Ces plans sont « portables » (un salarié qui change d’entreprise peut transférer son plan) et permettent une sortie en rente ou en capital. Ils s’apparentent donc davantage à des plans d’épargne salariale qu’à de véritables régimes de retraite.
-
[60]
John Ameriks et Stephen P. Zeldes, “How do household portfolio shares vary with age?”, Working Paper, TIAA-CREF Institute, New York, 2001.
-
[61]
A. D. Eschruth et J. Gemus, op. cit. ; S. Kathi Brown, “Impact of stock market decline on 50–70 year old investors”, AARP Report, décembre 2002, disponible sur le site Internet de l’AARP : http:// research. aarp. org/ econ/ market_decline. pdf.
-
[62]
Pensions Commission, op. cit.
-
[63]
Pour plus de détails sur l’enquête, voir S. K. Brown, op. cit.
-
[64]
Gary Burtless et Joseph F. Quinn, “Is working longer the answer for an aging workforce?”, An Issue in Brief, II, Center for Retirement Research at Boston College, décembre 2002, disponible sur le site Internet du Center for Retirement Research : http:// www. bc. edu/ centers/ crr/ issues/ ib_11.pdf.
-
[65]
Commissariat général du Plan, Livre Blanc sur les retraites, Paris, La Documentation française, 1991 ; Commissariat général du Plan, Perspectives à long terme des retraites, op. cit. ; Commissariat général du Plan, L’Avenir de nos retraites, op. cit.
-
[66]
Didier Blanchet et Bertrand Villeneuve, « Que reste-t-il du débat répartition-capitalisation ? », Revue d’économie financière, 40, 1997, p. 157-174. Citation tirée de la p. 164.
-
[67]
Le principe de subsidiarité implique que l’Union européenne n’intervient « que si et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire » (article 5 du traité instituant la Communauté européenne). Le principe de subsidiarité ne s’applique qu’aux questions relevant d’une compétence partagée entre la Communauté et les États membres, qui posent fréquemment des problèmes d’attribution.
-
[68]
Selon cette conception, le premier pilier repose sur le régime général, le deuxième sur des régimes complémentaires professionnels fonctionnant en capitalisation et le troisième, facultatif, sur des systèmes d’épargne retraite individuels privés.
-
[69]
Antoine Rémond, « La déconstruction du système de retraite français », in Les Transformations du capitalisme contemporain. Le salariat et la protection sociale en question, t. II, Paris, L’Harmattan, à paraître.
-
[70]
Directive du Conseil européen du 10 novembre 1992, disponible sur le site Internet d’EUR-LEX : http:// europa. eu. int/ eur-lex/ lex/ LexUriServ/ LexUriServ. do?uri=CELEX:31992L0096:FR:HTML.
-
[71]
Directive du Parlement européen et du Conseil du 3 juin 2003 : http:// europa. eu. int/ eur-lex/ pri/ fr/ oj/ dat/ 2003/ l_235/ l_23520030923fr00100021.pdf.
-
[72]
« Élimination des entraves fiscales à la fourniture transfrontalière des retraites professionnelles », Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen et au Comité économique et social, COM (2001) 214 final, 2001 : http://europa. eu. int/ eur- lex/ lex/ LexUriServ/ site/ fr/ com/ 2001/ com2001_0214fr01. pdf.
-
[73]
Antoine Rémond, « Directives, contraintes budgétaires, jurisprudence : l’influence de l’Union européenne sur les retraites par répartition », Colloque international « État et régulation sociale : comment penser la cohérence de l’intervention publique », organisé par le Centre d’économie de la Sorbonne, 11-13 septembre 2006, Paris (http://matisse. univ- paris1. fr/ colloque- es/ pdf/ articles/ remond. pdf).
« Le paradoxe de la situation créée par le développement de la technologie des sondages est que jamais sans doute les acteurs des champs politique et journalistique n’ont autant dépensé d’argent pour savoir ce que veut “le peuple” et jamais ils ne l’ont su, finalement, aussi mal [1]. »
Le Monde, 18 juin 2003.
1 Depuis le début des années 1990 [2], les médias ont repris, sans les discuter, les conclusions des rapports relatifs aux réformes des retraites. Ceux-ci sont pourtant très contestables, en particulier dans leurs prévisions [3]. Les médias présentent le problème de financement du système de retraite comme uniquement démographique et semblent considérer la non-augmentation des cotisations et l’instauration de dispositifs en capitalisation comme des principes intouchables. Dans ces conditions, il est difficile d’envisager qu’il puisse y avoir d’autres réformes possibles que celles qui sont entreprises [4]. Cet engagement des médias rappelle l’implication des think tanks conservateurs américains dans le débat sur les retraites aux États-Unis depuis le milieu des années 1980. Ceux-ci ont participé à la construction du « problème » des retraites et à l’élaboration de sa « solution » financière en ayant essentiellement recours à trois méthodes principales : « a) véhiculer des prévisions alarmistes afin d’exacerber les craintes de la population au sujet du vieillissement démographique et de l’avenir budgétaire du régime fédéral ; b) discréditer le bien-fondé de ce régime en employant divers arguments moraux (liberté de choix, équité entre générations) ; c) vanter les mérites de la solution alternative imaginée par les adversaires du régime fédéral [5] ».
2 Les sondages jouent un rôle essentiel dans l’imposition de la problématique dominante en matière de retraites. Ils se multiplient en France à partir de 1999, année de préparation de la réforme sur cette question [6]. Après la remise du rapport Charpin [7] (commissaire au Plan) au Premier ministre Lionel Jospin, les médias traitent beaucoup du problème des retraites, commandant et commentant des sondages [8] qui sont autant d’indicateurs des problématiques politiques dominantes : les questions posées n’attribuent pas la baisse du montant des futures retraites aux mesures prises par Édouard Balladur pour le régime général (dans le décret relatif au calcul des pensions de retraite du 27 août 1993) et à l’accord du 25 avril 1996 pour les régimes complémentaires (signé par la CFDT, FO, la CFTC et la CFE-CGC). Elles l’imputent aux évolutions démographiques, qui devraient faire baisser le ratio actifs/inactifs dans les années à venir, et, accessoirement, au chômage [9]. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que les sondages confortent la conclusion qu’une nouvelle réforme paraît « nécessaire aux Français ». Lorsque, à la fin du premier semestre 2003, le gouvernement Raffarin annonce cette réforme, une nouvelle vague de sondages est déclenchée [10].
3 Les sondages jouent un rôle politique : loin de cerner « l’opinion » des individus, ils contribuent à l’orienter. La publication des résultats de ces sondages dans la presse, qui les a commandés, a donné lieu à des interprétations partiales, reprises telles quelles dans le champ politique. Il existait pourtant une enquête plus sérieuse aux conclusions différentes, celle de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) du ministère des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité, mais elle fut passée sous silence. De même, aucun sondage ne fit référence au contexte économique de l’époque : la crise boursière de 2000 était pourtant loin d’être sans conséquence sur les régimes de retraite par capitalisation. Au total, les sondages et leurs commanditaires, sous une neutralité apparente, ont en réalité été partisans.
Comment les sondages fabriquent l’opinion
4 Lors de l’élaboration de la réforme des retraites de 2003, le gouvernement a suivi les recommandations formulées dans l’accord sur les régimes complémentaires du 10 février 2001 par les signataires (le MEDEF, la CFDT et la CFE-CGC). Ceux-ci demandaient en effet au Législateur de mettre fin à « la dégradation du taux de remplacement [11] », de « stabiliser les taux de cotisation pour les dix ans à venir », de « privilégier la variable de la durée de cotisation pour l’accès à la retraite à taux plein », de « favoris[er] la liberté de choix pour le départ à la retraite du salarié à partir de l’âge de 60 ans » et d’« introduire la possibilité de liquidation avant 60 ans des pensions des salariés ayant commencé à travailler tôt et/ou ayant accompli des travaux particulièrement pénibles [12] ». D’emblée, le gouvernement était donc opposé à toute hausse des cotisations. Les sondages réalisés avant la réforme semblent avoir entériné le rejet de cette solution. Dans certains d’entre eux, celle-ci n’était même pas proposée aux sondés qui devaient seulement choisir entre une augmentation de la durée de cotisation ou une baisse du montant des retraites (CSA, 15 janvier 2003 ; Louis Harris, 9 et 10 mai 2003). Dans les sondages où la hausse des cotisations était mentionnée (TNS Sofres, 9 et 10 janvier 2003, et « baromètre des retraites » [13] ; Ipsos, 18 et 19 avril 2003), la formulation de la question ne lui était guère favorable [14].
5 Dans le sondage TNS Sofres des 6 et 7 mars 2003, une première question concernait les souhaits des enquêtés : « Vous-même, de laquelle de ces attitudes êtes-vous le plus proche aujourd’hui – ou étiez-vous le plus proche avant de partir en retraite ? ». Elle s’adressait aux étudiants, actifs et retraités qui représentaient 92 % de l’échantillon. Deux réponses étaient proposées : « Vous avez (aviez) envie d’arrêter de travailler le plus tôt possible, même si cela vous fait (avait fait) perdre en revenus pour votre retraite » (45 % de l’ensemble des actifs, étudiants et retraités se prononçaient pour cet item, et 51 % des actifs) ; « Vous avez (aviez) envie de partir en retraite avec le revenu le plus élevé possible, même si pour cela, il vous faut (avait fallu) travailler plus longtemps » (48 % de l’ensemble, 45 % des actifs). Les répondants pouvaient se dire « sans opinion » (7 % de l’ensemble ; 4 % des actifs). Il n’était pas proposé, pour cette question, de partir plus tôt avec le revenu le plus élevé possible en ayant cotisé plus.
6 La seconde question portait sur la future réforme : « Entre ces trois possibilités de réforme du système par répartition des retraites, laquelle serait, en ce qui vous concerne, la plus acceptable ? ». Trois items étaient proposés : « Une forte augmentation de vos cotisations pour partir à 60 ans tout en touchant une retraite pleine » ; « Un allongement de la durée de cotisation de deux ou trois ans pour avoir droit à une retraite pleine » ; « Le maintien de la même durée et du même taux mais une retraite moins importante ». Ces trois propositions recueillaient respectivement 28 %, 42 % et 20 % des réponses (10 % des personnes interrogées se déclaraient « sans opinion »). La proportion relativement faible d’enquêtés se prononçant en faveur d’une « forte augmentation de[s] cotisations » n’est pas étonnante : à ce stade de la passation du questionnaire, la personne interrogée avait en effet de fortes chances d’avoir en tête le fait que, pour financer sa retraite, il lui faut soit accepter une moindre pension, soit travailler plus longtemps.
7 Les sondages donnent une mesure de « l’opinion » biaisée dans un sens conforme aux désirs de leurs commanditaires, d’abord parce qu’ils ne posent que certaines questions, ensuite parce que la formulation de ces dernières influe sur les réponses. La question, par exemple, peut être tronquée. Ainsi, l’harmonisation de la durée de cotisation entre salariés du public et du privé est envisagée dans tous les sondages comme un alignement de la durée de cotisation des salariés du public sur le privé (CSA, 15 janvier 2003 ; Ifop, 30 et 31 janvier, 10 et 11 avril 2003 ; Ipsos, 18 et 19 avril 2003 ; Louis Harris, 9 et 10 mai 2003 ; TNS Sofres, 9 et 10 janvier, 6 et 7 mars, 9 et 10 avril, 14 et 15 mai 2003). Logiquement, la majorité des sondés se prononce alors pour l’allongement de la durée de cotisation des fonctionnaires : une majorité, très large, de salariés du secteur privé mais aussi, bien que plus faible (CSA, 15 janvier 2003 ; Ipsos, 18 et 19 avril 2003 ; Louis Harris, 9 et 10 mai 2003 ; TNS Sofres, 9 et 10 janvier, 6 et 7 mars, 14 et 15 mai 2003), de salariés du secteur public, un grand nombre d’entre eux s’étant résignés à devoir cotiser plus longtemps, compte tenu de la situation dans le secteur privé. Si l’on avait proposé, au contraire, le retour à 37,5 annuités de cotisations pour tous les salariés, les résultats auraient été différents. Mais cette question n’a jamais été posée.
8 De même, une autre technique consiste à multiplier les questions pour marginaliser celles qui sont essentielles, comme si chaque mesure proposée représentait une solution de financement à part entière. Dans le sondage Ifop des 30 et 31 janvier 2003, on aurait presque pu prévoir les réponses à la question suivante : « Parmi chacune des solutions suivantes envisagées pour réformer notre système de retraite, vous me direz si vous y êtes tout à fait favorable, plutôt favorable, plutôt défavorable ou tout à fait défavorable ? » [voir tableau 1, p. 52].
Les différentes solutions envisagées pour réformer le système de retraite
Les différentes solutions envisagées pour réformer le système de retraite
« Parmi chacune des solutions suivantes envisagées pour réformer notre système de retraite, vous me direz si vous y êtes tout à fait favorable, plutôt favorable, plutôt défavorable ou tout à fait défavorable ? »9 Le manque de neutralité dans la formulation des questions apparaît également dans un sondage réalisé par TNS Sofres pour Enjeux-Les Échos, les 9 et 10 janvier 2003. Les sondés doivent y prendre position sur la future réforme [voir tableau 2, p. 52].
Les modalités de la réforme du système de retraite
Les modalités de la réforme du système de retraite
« Entre ces trois possibilités de réforme du système par répartition, laquelle serait la plus acceptable en ce qui vous concerne ? »10 L’ensemble des enquêtés semble préférer l’augmentation des cotisations à la solution consistant à « travailler et cotiser plus longtemps ». Cette préférence est encore plus affirmée chez les seuls actifs. Pourtant, la proposition concernant l’augmentation des cotisations n’est pas formulée de façon très avantageuse. D’une part, la précision apportée concernant la nature des cotisations (« vos cotisations ») laisse supposer que c’est aux salariés d’en supporter la totalité du coût [15]. D’autre part, l’utilisation de l’adverbe « fortement », sans équivalent dans les autres propositions, revêt un caractère subjectif. Le Conseil d’orientation des retraites avait estimé, dans son premier rapport, que les besoins de financement du système de retraite à l’horizon 2040, en cas de maintien du taux de remplacement à 78 % (son niveau de 2000), pouvaient être assurés soit par une hausse des taux de cotisation de 15 points, soit par un allongement de la durée de cotisation de neuf ans, soit par une baisse des pensions de 45 % [16]. À réglementation constante, c’est-à-dire sans modification des paramètres du décret du 27 août 1993 et des accords du 25 avril 1996 et du 10 février 2001 sur les régimes complémentaires, le taux de remplacement tomberait à 64 %. Les besoins de financement pourraient alors être assurés par une hausse des taux de cotisations de neuf points, par un allongement de la durée de cotisation de six ans ou par une baisse des pensions de 30 %, c’est-à-dire par un allongement conséquent de la durée de cotisation et par une retraite beaucoup moins importante.
11 Dans les sondages de TNS Sofres réalisés par la suite (6 et 7 mars, 9 et 10 avril et 14 et 15 mai 2003) pour d’autres commanditaires (RTL, Le Monde, Notre Temps), la formulation de la question sur les modalités de la réforme était encore plus orientée. Quant à la distinction « ensemble de l’échantillon/actifs », elle fut abandonnée [voir tableau 3, p. 54].
Les modalités de la réforme du système de retraite
Les modalités de la réforme du système de retraite
« Entre ces trois possibilités de réforme du système par répartition, laquelle serait la plus acceptable en ce qui vous concerne ? »12 Cette fois, les sondés affichent une préférence assez nette pour un allongement de la durée de cotisation. Ce changement traduit peut-être une évolution de « l’opinion ». Mais il faut d’abord le mettre en relation avec la reformulation de la question. L’horizon de la réforme étant 2020 [17], et non 2040, TNS Sofres propose – c’est la nouveauté de ce sondage – un allongement de la durée de cotisation « de deux ou trois ans » (six ans en 2040, trois ans en 2020). C’est donc qu’elle suppose la pérennité de la réglementation en vigueur et son corollaire, la baisse du taux de remplacement. Si cette proposition est chiffrée, les autres ne le sont pas. Pour ne pas introduire de déséquilibre entre les différentes propositions, il aurait fallu proposer une augmentation des cotisations comprise entre trois et cinq points – ce qui aurait révélé le caractère subjectif et inutile de l’adverbe « fortement » – et une baisse des pensions de 10 % à 15 %. La formulation de la question choisie par TNS Sofres oriente donc les réponses vers l’augmentation de la durée de cotisation. On relève d’ailleurs que, dans l’enquête Ipsos des 18 et 19 avril 2003, où la formulation de la question sur les modalités de la réforme est proche de celle du sondage TNS Sofres des 9 et 10 janvier 2003 [18], l’augmentation des cotisations apparaît comme la mesure la mieux acceptée par les personnes interrogées [voir tableau 4, p. 54].
La solution la moins acceptable pour financer les retraites
La solution la moins acceptable pour financer les retraites
« Parmi les mesures suivantes destinées à remédier au problème du financement des retraites, laquelle vous semble la moins acceptable ? »13 Les résultats des sondages peuvent être interprétés différemment selon que les personnes interrogées doivent se prononcer sur une mesure parmi d’autres (TNS Sofres) ou sur une mesure considérée isolément. Ainsi, au sujet de l’allongement de la durée de cotisation, le sondage TNS Sofres des 14 et 15 mai 2003 demande : « Le projet du gouvernement prévoit d’allonger progressivement la durée de cotisation, pour qu’en 2008 elle soit de 40 ans pour les salariés du privé et les fonctionnaires. Cette durée de cotisation pourrait ensuite, par paliers, passer à 41 et 42 ans. Est-ce selon vous une bonne solution pour sauvegarder le système des retraites ? ». Trente-sept pour cent des personnes interrogées répondent oui, 55 % non, et 8 % sont sans opinion. Auparavant, dans un sondage réalisé par l’Ifop les 10 et 11 avril 2003, à la question « Seriez-vous tout à fait favorable, plutôt favorable, plutôt pas favorable ou pas favorable du tout à l’allongement de la durée de cotisation au-delà de 40 ans pour les salariés du secteur public comme pour ceux du secteur privé, afin d’équilibrer les régimes de retraite ? », 51 % des sondés répondent qu’ils n’y sont pas favorables contre 47 % qui y sont favorables, 2 % ne se prononçant pas. De même, le sondage Louis Harris des 9 et 10 mai 2003, qui donne le détail des réponses en fonction du statut des salariés, aboutit à des résultats à peu près identiques [voir tableau 5, p. 54]. Le fait que les salariés du secteur public interrogés soient plus réticents que ceux du secteur privé à cotiser 42 ans s’explique en grande partie par le fait que leur durée de cotisation est alors de 37,5 ans. L’augmentation de la durée de cotisation à laquelle ils devraient faire face serait donc de 4,5 ans en quelques années.
Jugement sur l’augmentation de la durée de cotisation
Jugement sur l’augmentation de la durée de cotisation
« À propos des retraites, êtes-vous très favorable, plutôt défavorable ou très défavorable à chacune des propositions suivantes ? Augmenter progressivement la durée minimale de cotisation à 42 ans pour tous. »14 On peut donc déduire des sondages TNS Sofres que « les Français » préfèrent un allongement de la durée de cotisation (6 et 7 mars, 9 et 10 avril, 14 et 15 mai 2003), mais qu’ils trouvent que c’est une mauvaise solution « pour sauvegarder le système des retraites » (14 et 15 mai 2003), et des sondages Ifop (10 et 11 avril 2003) et Louis Harris (9 et 10 mai 2003) qu’ils n’y sont pas favorables.
15 Enfin, le sens d’une question peut être modifié d’une enquête à l’autre. Ainsi, la troisième enquête du « baromètre des retraites » (TNS Sofres, 14 et 15 mai 2003) introduit une nouvelle question sur l’allongement de la durée de cotisation [voir supra ] : « Le projet du gouvernement prévoit d’allonger progressivement la durée de cotisation, pour qu’en 2008 elle soit de 40 ans pour les salariés du privé et les fonctionnaires. Cette durée de cotisation pourrait ensuite, par paliers, passer à 41 et 42 ans. Est-ce selon vous une bonne solution pour sauvegarder le système des retraites ? ». Les réponses des sondés se répartissent ainsi : sous-total oui (37 %) ; sous-total non (55 %) ; sans opinion (8 %). Lorsque la question est de nouveau posée par TNS Sofres, les 11 et 12 juin 2003, son sens est complètement différent. Elle devient : « Le projet du gouvernement prévoit d’allonger progressivement la durée de cotisation, pour qu’en 2008 elle soit de 40 ans pour les salariés du privé et les fonctionnaires. Cette durée de cotisation pourrait ensuite, par paliers, passer à 41 et 42 ans ». Le sondage demande alors aux enquêtés si « selon [eux] cet allongement de la durée de cotisation permettra d’éviter une hausse des cotisations » (22 % des sondés répondent oui, 67 % non, 11 % se déclarant sans opinion). Ainsi reformulée, la question laisse entendre que l’augmentation de la durée de cotisation n’aurait plus pour objectif de « sauvegarder le système des retraites » mais d’éviter une hausse des cotisations. On peut finalement se demander si cette question n’est pas révélatrice des intentions concernant la hausse des cotisations qui guidèrent ce « baromètre ».
16 Une dernière limite de la technologie des sondages tient au fait que les questions posées par les instituts de sondage sont généralement des questions fermées : les réponses sont prédéterminées, l’enquêté devant choisir l’une d’entre elles. La compréhension proprement linguistique d’une question n’implique pas nécessairement la compréhension pratique du problème qu’elle soulève, et encore moins la connaissance des enjeux, notamment politiques, qu’elle peut comporter [19]. La divergence entre compréhension pratique et linguistique s’explique par la nature même des questions fermées qui proposent de « répondre par “oui” ou par “non” à des questions qui sont de véritables sujets de mémoires de maîtrise de sciences politiques [20] ». Cette technique permet, certes, de réduire artificiellement le taux de non-réponse, ce qui est le but recherché par les instituts de sondage, mais pose le problème de l’expression des opinions effectives, car elle consiste à demander aux enquêtés de dire des choses qu’ils ne savent pas eux-mêmes ou qu’ils ne peuvent pas exprimer par eux-mêmes. Ainsi, quand l’Ifop (30 et 31 janvier 2003) et TNS Sofres (9 et 10 janvier 2003) demandent aux personnes enquêtées si elles sont favorables à une solution consistant à « compléter le système de retraite par répartition » au moyen de fonds de pension, il est peu probable qu’elles mesurent le coût pour les finances publiques du développement de la capitalisation [21], qu’elles aient conscience de l’effet de « vases communicants » qui existe entre répartition et capitalisation [22], ou qu’elles connaissent les avantages et les inconvénients respectifs de la répartition et de la capitalisation, plus spécifiquement, les conséquences de la crise boursière sur les pensions dépendant des marchés financiers. L’emploi du terme « compléter » n’est-il pas, dans ces conditions, un abus sémantique ? De même, lorsque l’enquête TNS Sofres des 11 et 12 juin 2003 demande aux sondés si l’allongement de la durée de cotisation permettra ou non d’éviter une hausse des cotisations, qui peut raisonnablement répondre à une telle question ? Les prévisionnistes eux-mêmes ne sont capables d’y répondre que sous des hypothèses bien précises quant à la croissance économique, au niveau du chômage [23] et aux choix politiques.
17 La formulation des questions renforce parfois l’ambiguïté. Ainsi, le sondage Louis Harris des 9 et 10 mai 2003 pose la question suivante : « À propos des retraites, êtes-vous très favorable, plutôt favorable, plutôt défavorable ou très défavorable à chacune de ces propositions » : « favoriser l’épargne personnelle pour sa propre retraite ; augmenter les cotisations des fonctionnaires ; augmenter progressivement la durée minimale de cotisation à 42 ans pour tous ; faire cotiser les salariés du privé plus longtemps ; maintenir le système actuel en acceptant une diminution du montant des retraites ». Le flou qu’instaure d’emblée l’expression très vague « à propos des retraites » est renforcé par les mesures qui suivent. Peut-on en effet mettre sur le même plan ces différentes propositions ? Peut-on financer le système de retraite par la seule augmentation des cotisations des fonctionnaires ? Si l’on veut favoriser l’épargne personnelle pour sa propre retraite, cela n’implique-t-il pas que l’on accepte dans le même temps de voir la part de la répartition se restreindre ?
18 Les questions ouvertes qui n’imposent pas des réponses prédéterminées aux sondés limitent l’effet d’imposition des problématiques et donnent une idée plus juste des connaissances effectives des enquêtés. Mais parce qu’elles comportent un taux élevé de non-réponse et qu’elles suscitent, de surcroît, des réponses très diverses, elles sont extrêmement rares : dans la logique des instituts de sondage et de leurs commanditaires, une question comportant un taux élevé de non-réponse est considérée comme une question mal rédigée et inutilisable. Les instituts de sondage privilégient donc les questions fermées et s’en remettent mécaniquement à une conception politique de la représentativité qui consiste non pas à n’interroger que les populations concernées et/ou ayant une opinion, mais à faire voter un modèle réduit du corps électoral, le plus souvent en parfaite méconnaissance de cause, puisque les enjeux politiques des questions posées ne sont pas explicités.
L’interprétation journalistique
19 Si l’analyse des questions posées par les sondages est un aspect important, l’interprétation journalistique en est un autre sur lequel il convient de revenir, car les sondages publiés concernant la réforme des retraites ont été principalement commandés par la presse écrite et audiovisuelle. Par le titrage et le commentaire, les journalistes en utilisent les résultats, ce qui leur permet d’intervenir dans le débat avec une légitimité propre, sans paraître « engagés ». Grâce aux sondages, les journalistes deviennent ainsi « les porte-parole scientifiquement garantis “de ce que pense vraiment le peuple” [24] ».
20 Mais l’utilisation journalistique des sondages n’a parfois que les apparences de « l’objectivité ». Suite à un sondage TNS Sofres (des 6 et 7 mars), Le Monde titre le 13 mars 2003 : « Retraites : les Français prêts à travailler plus longtemps ». L’article s’appuie sur le sondage, sans mentionner les biais induits par la formulation de la question : « Selon ce sondage, l’allongement de la durée des cotisations apparaît comme la solution préférée d’une majorité relative de Français pour assurer l’avenir des retraites : 42 % des personnes interrogées préfèrent “un allongement de deux ou trois ans pour avoir droit à une retraite pleine”, contre 28 % qui préconisent “une forte augmentation des cotisations pour partir à 60 ans pour avoir droit à une retraite pleine”, 20 % réclamant “le maintien de la même durée et du même taux de cotisation”, quitte à accepter une baisse du montant de leur retraite ». Le 16 avril, Le Monde consacre un nouvel article au deuxième sondage de ce « baromètre des retraites » : « la faveur réservée par le plus grand nombre à la solution de l’allongement de la durée des cotisations apparaît inchangée, un mois après : 42 % la jugent encore “la plus acceptable”, 25 % préférant l’augmentation des cotisations (28 % en mars) et 14 % seulement la diminution des pensions (20 % en mars) ». L’absence de changement n’a rien d’étonnant, puisque la question posée en mars et en avril est la même.
21 Le fait que, dans un sondage, une question soit orientée influence les réponses et produit un résultat que la presse et les responsables politiques regardent comme un fait avéré, sans chercher à le vérifier, et encore moins à le contester. Les interprétations du Monde pouvaient paraître crédibles aussi longtemps qu’aucune enquête n’envisageait la possibilité d’une hausse des cotisations. Mais cela change avec deux enquêtes réalisées par Ipsos et Louis Harris. Commentant le premier de ces sondages, un article du Figaro souligne que « quand on les interroge sur la solution “la moins acceptable” pour remédier au problème du financement des retraites, l’allongement de la durée de cotisation vient largement en tête (43 %), loin devant la diminution des retraites, qui ne paraît inacceptable qu’à 31 % des sondés, ou la hausse des cotisations, que 20 % seulement refusent [25] ». Un peu plus tard, un article de Libération relève que « l’augmentation de la durée de cotisation jusqu’à 42 ans pour tous, à l’horizon 2020, se heurte à l’opposition de 54 % des personnes interrogées (59 % dans le privé et 72 % dans le public) [26] ».
22 Peut-être la publication récente des résultats de ces deux sondages dans Le Figaro et Libération n’a-t-elle pas été étrangère au fait que Le Monde, dans son article du 21 mai 2003 sur le troisième sondage du « baromètre des retraites » TNS Sofres, ne présente pas les résultats de la question sur les modalités de réforme [27]. Sans doute cela s’explique-t-il aussi par une nouvelle question sur l’allongement de la durée de cotisation pour tous, de 40 ans en 2008 et qui « pourrait ensuite, par paliers, passer à 41 et 42 ans ». Le Monde note que « 55 % des sondés rejettent cette solution, [et que] 37 % l’approuvent ». Il est difficile dans ces conditions de donner des résultats contradictoires.
23 Enfin, dans l’article du Monde du 18 juin 2003 sur l’enquête TNS Sofres des 11 et 12 juin 2003, le chapeau indique que « le baromètre TNS Sofres – “Le Monde” – RTL – “Notre Temps” révèle un fatalisme face au projet Fillon ». Puis l’article précise : « Au scepticisme s’ajoute une forme de fatalisme : pour 67 % des sondés, l’alignement de la durée de cotisation entre salariés du secteur privé et agents du secteur public “ne permettra pas d’éviter une hausse des cotisations” ». Cette interprétation, d’abord, est erronée dans la mesure où la question du sondage concerne le passage à 42 ans de la durée de cotisation pour tous les salariés, et pas uniquement l’alignement de la durée de cotisation du secteur public sur celle du secteur privé [voir tableau 5, p. 54]. Elle contribue à opposer secteur public et secteur privé [voir infra ]. Ensuite, le fait que la majorité des sondés estiment que l’augmentation de la durée de cotisation à 42 ans ne permettra pas d’éviter une hausse des cotisations n’exprime un fatalisme qu’au regard des précédentes enquêtes du « baromètre des retraites », qui ont cherché à dissuader les répondants de se prononcer pour l’augmentation des cotisations. Par conséquent, le chapeau de l’article repose non pas sur les résultats du sondage, mais sur une appréciation subjective.
24 La façon dont est traitée l’« opposition public-privé » est également intéressante à examiner. La deuxième enquête du « baromètre des retraites » a été présentée dans Le Monde du 16 avril 2003, avec le titre suivant : « Retraites : 52 % des fonctionnaires contre l’alignement avec le privé ». Ce choix devait susciter un communiqué de l’association altermondialiste Attac [28] qui contestait l’information donnée dans le titre : celle-ci reposait effectivement sur le sondage, mais elle n’en était pas la plus significative. Le Monde soulignait que « 66 % des personnes interrogées s’avouent plutôt “inquiètes” [quant à] leur retraite, contre 58 % en mars » et 66 % s’estimaient visées par les « sacrifices » demandés (67 % un mois avant). Par ailleurs, le but de la réforme était de résorber les besoins de financement du système de retraite à l’horizon 2020. Or, l’augmentation de la durée de cotisation des fonctionnaires ne règle en rien le problème de financement du régime général. Bien que la comparaison entre les différents régimes de retraite soit difficile [29], certains responsables politiques et certains médias se focalisent pourtant sur la durée de cotisation pour soutenir que les régimes de retraite des salariés du secteur public devraient être « réformés », au nom de « l’équité », les bénéficiaires de ces régimes étant qualifiés de « privilégiés » par rapport à ceux du régime général. L’origine de ces « privilèges » est rarement évoquée. Ils tiennent notamment au décret de 1993 qui, pris en plein été par le Premier ministre Édouard Balladur, adoptait des mesures régressives pour le régime de retraite des salariés les moins syndiqués, quinze ans avant le départ à la retraite des générations du baby-boom. C’était, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la première réforme qui plaçait un régime de retraite dans une situation moins bonne que celle des autres régimes.
25 Un mois plus tard, le 21 mai 2003, Le Monde commente la troisième enquête du « baromètre des retraites » sous le titre : « Retraites : 58 % des Français jugent inefficace le plan Fillon, le crédit du gouvernement s’érode ». Mais, dès le deuxième paragraphe de l’article, l’opposition entre salariés du secteur public et du secteur privé ressurgit. Elle prend parfois une forme grossière : « la réforme suscite une opposition grandissante entre les fonctionnaires et les salariés du privé. L’alignement de la durée de cotisation est certes préconisé par un nombre élevé – et croissant – de sondés (73 %, contre 70 % en avril), mais cette solution divise les agents du public : 48 % y sont favorables (en hausse de cinq points, néanmoins, par rapport au mois d’avril), 46 % hostiles – quand 79 % des salariés du privé la recommandent ». L’opposition entre fonctionnaires et salariés du secteur privé est qualifiée de « grandissante », bien qu’un nombre croissant de fonctionnaires – de nouveau majoritaires dans le « baromètre des retraites » – se dise favorable à l’alignement de leur durée de cotisation sur celle du secteur privé. Selon Le Monde, cette « opposition » tient au fait que les salariés du privé sont plus nombreux à souhaiter cet alignement. C’est pourtant une caractéristique fondamentale d’une moyenne que de ne pas tenir compte de la dispersion des valeurs. Si le sous-échantillon de salariés du privé avait à son tour été décomposé, d’autres disparités seraient certainement apparues (selon la taille des entreprises ou entre les différentes branches par exemple).
26 De la même manière, concernant l’allongement de la durée de cotisation à 42 ans, l’article révèle que « 55 % des sondés rejettent cette solution, 37 % l’approuvent ; mais le rejet exprimé par les salariés du privé épouse la moyenne nationale, quand celui des agents publics monte à 72 % ». On pourrait en déduire que, dès lors que les questions ne sont pas orientées, l’allongement de la durée de cotisation ne parvient décidément pas à être majoritaire chez les salariés interrogés, qu’ils soient issus du secteur privé ou du secteur public. Mais Le Monde y voit une fracture public-privé. Les motifs de rupture ne manqueraient pas : « De même, si 56 % des sondés ne se disent “pas prêts” à manifester contre le projet du gouvernement, 72 % des fonctionnaires s’y déclarent disposés (contre 46 % dans le secteur privé) ». Faut-il nécessairement être prêt à manifester contre un projet pour y être opposé ? Cette interprétation est abusive quand le même article précise que « les deux catégories paraissent également dubitatives sur l’efficacité du projet Fillon (64 % des fonctionnaires, 65 % des salariés du privé) [30] ».
27 Le Figaro a aussi opposé, dans une moindre mesure, secteur public et secteur privé dans son article du 24 avril 2003. D’abord, le chapeau – « Selon une enquête Ipsos, 70 % des personnes interrogées sont pour l’alignement à 40 ans des durées de cotisation de la fonction publique et du secteur privé » – paraît peu pertinent au regard des résultats essentiels du sondage. Ensuite, l’article indique que « l’alignement de la durée de cotisation du public sur les 40 ans du privé recueille 70 % d’opinions favorables avec un distinguo assez net […] entre salariés du public et du privé : les premiers, directement visés par cet alignement, se partagent exactement (50 / 50) entre favorables et hostiles, tandis que les salariés du privé n’ont pas d’états d’âme et souhaitent à une écrasante majorité (79 %) cette harmonisation ». Plus loin, il est fait référence à une question concernant un nouvel allongement de la durée des cotisations pour le seul secteur privé, mesure qui « recueille une majorité d’opinions hostiles, qui va crescendo avec la hauteur de l’allongement : 51 % pour 41 ans, 72 % pour 43 ans et 82 % pour 45 ans ». « Sans surprise » spécifie l’article. Le détail des réponses entre secteur public et secteur privé n’est pas donné. Il montrerait pourtant que c’est sans doute la forte opposition des salariés du secteur public à cette mesure, qui ne les concernerait pas (pas de façon immédiate en tout cas), qui aboutit à un refus majoritaire. 72 % d’entre eux et 51 % des salariés du secteur privé interrogés estiment qu’un allongement de la durée de cotisation de 40 à 41 ans du seul secteur privé serait inacceptable, 83 % et 76 % seraient contre un passage à 43 ans, 86 % et 87 % contre un passage à 45 ans. Les salariés du secteur public interrogés n’ont donc pas non plus d’« états d’âme » et leur opinion converge avec celle du secteur privé. Cet aspect sera souligné dans Libération le 12 mai 2003, le sondage Louis Harris ayant également posé une question sur l’allongement de la durée de cotisation des seuls salariés du secteur privé : « Le public appuie le privé dans son refus de cotiser plus longtemps, une perspective rejetée par 72 % des Français ».
Photo Antoine Rémond.
Photo Antoine Rémond.
Les enseignements d’une enquête peu médiatisée
28 Peu médiatisée, l’enquête barométrique de la DREES apporte sans doute, s’agissant de « l’opinion des Français » sur le système des retraites, des enseignements plus sûrs que les différents sondages publiés (et souvent commandés) par la presse. D’abord, elle porte sur un long intervalle de temps, puisque trois vagues de questionnement furent réalisées : la première du 11 février au 5 avril 2000, la deuxième du 27 avril au 13 juillet 2001, la troisième du 13 mars au 21 mai 2002. Elle repose ensuite sur un échantillon plus important (4 000 personnes représentatives de la population âgée de 18 ans et plus). Les réponses recueillies semblent, en outre, plus fiables en raison du mode de passation du questionnaire (un entretien en face-à-face, au domicile des personnes interrogées). Enfin, elle comprend des questions ouvertes. Les paragraphes qui suivent mobilisent également des résultats de l’enquête européenne [31] sur l’avenir des systèmes de retraites. Celle-ci a été réalisée de septembre à octobre 2001 à la demande de la Direction générale Emploi et affaires sociales de la Commission européenne par le groupe de recherche sur l’opinion européenne EEIG, un consortium d’instituts d’enquêtes d’opinion publics et privés [32]. Elle couvre la population des différents États membres de l’Union européenne, âgée de 15 ans et plus. Les échantillons sont composés de 1 000 personnes par pays, sauf pour l’Allemagne (1 000 en ex-RDA, 1 000 en ex-RFA), le Luxembourg (600) et le Royaume-Uni (1 000 en Grande-Bretagne, 300 en Irlande du Nord). Au total, près de 16 000 personnes ont été interrogées (en face-à-face et à leur domicile). Les moyennes européennes sont calculées après pondération en fonction du poids relatif des populations nationales.
29 Les premiers enseignements de ces enquêtes concernent l’âge de départ à la retraite. Près des deux tiers des personnes interrogées souhaitent prendre leur retraite à 55 ans au plus tard. De façon plus nette encore, 94 % des enquêtés ne souhaitent pas travailler au-delà de 60 ans [voir graphique 1, ci-contre]. Ces proportions restent stables entre 2000 et 2002. Ce résultat est convergent avec les enquêtes « Conditions de travail » de la DARES et des travaux sociologiques qui montrent que de plus en plus de gens vivent le travail comme une épreuve angoissante et se sentent exposés à tous les coups du sort : perte de l’emploi, exigences de la tâche qui deviennent insoutenables [33].
Répartition des âges souhaités de départ à la retraite par les non-retraités (en %)
Répartition des âges souhaités de départ à la retraite par les non-retraités (en %)
« Dans l’idéal, à quel âge souhaiteriez-vous ou auriez-vous aimé prendre votre retraite ? »30
Des différentes catégories socioprofessionnelles, les cadres et professions libérales sont, de loin, les plus nombreux à souhaiter partir en retraite relativement tard : seule la moitié d’entre eux désire le faire avant 60 ans contre les deux tiers pour les autres catégories socioprofessionnelles en activité [34]. Le principal facteur de clivage oppose donc les cadres aux autres groupes. Contrairement à ce que disent fréquemment une grande partie des médias [35], les salariés du secteur public et du secteur privé semblent avoir les mêmes aspirations [voir tableau 6, ci-contre].
Âge idéal de départ à la retraite selon le statut professionnel
Âge idéal de départ à la retraite selon le statut professionnel
« Dans l’idéal, à quel âge souhaiteriez-vous ou auriez-vous aimé prendre votre retraite ? »31 Un deuxième enseignement tiré du baromètre de la DREES concerne les modalités de réforme du système de retraite. Sur ce point, il apparaît que la hausse des cotisations pesant sur les salariés n’est pas la mesure la plus impopulaire. Au cours des trois dernières années, la part des personnes affichant une préférence pour cette mesure s’est même assez fortement accrue, au point de rejoindre celle qui se prononce pour l’allongement de la durée de cotisation. Dans le même temps, la part des répondants qui ne se prononcent pas a diminué [voir graphique 2, ci-contre]. Ces évolutions semblent traduire une disposition à accroître les efforts contributifs afin de garantir la pérennité des régimes de retraite [38].
Répartition des âges souhaités de départ à la retraite par les non-retraités (en %)
Répartition des âges souhaités de départ à la retraite par les non-retraités (en %)
« Dans l’idéal, à quel âge souhaiteriez-vous ou auriez-vous aimé prendre votre retraite ? »32 Les attentes concernant l’âge auxquels les actifs interrogés souhaitent, idéalement, partir à la retraite, sont très hétérogènes. Par exemple, ceux qui aimeraient partir à 55 ans, c’est-à-dire les deux tiers [voir tableau 6, p. 63], privilégient l’augmentation des cotisations comme moyen de financer les retraites [voir tableau 7, ci-contre]. Plus généralement, l’augmentation des cotisations est d’autant moins souhaitée que l’âge idéal de départ en retraite est élevé, le travail étant alors moins ressenti comme une contrainte. Ainsi, certains actifs épanouis dans leur travail souhaitent partir à 65 ans et ont parfois du mal à « décrocher », l’inactivité professionnelle pouvant être vécue comme une situation angoissante.
Les préférences d’évolution du système de retraite exprimées en 2002 par les non-retraités souhaitant partir à 55, 60 ou 65 ans
Les préférences d’évolution du système de retraite exprimées en 2002 par les non-retraités souhaitant partir à 55, 60 ou 65 ans
« Dans l’idéal, à quel âge souhaiteriez-vous prendre votre retraite ?Parmi les solutions suivantes pour préserver le système de retraite actuel, laquelle aurait votre préférence ? »
33 Ces tendances sont encore plus marquées dans l’eurobaromètre sur l’avenir des systèmes de retraites. Près de 70 % des Français interrogés s’y déclarent opposés à un recul de l’âge de la retraite (contre 25 % qui y sont favorables et 5 % qui ne se prononcent pas). La proportion est à peu près la même dans tous les autres pays de l’Union européenne et dans toutes les catégories de la population interrogée. De plus, environ 50 % des enquêtés s’opposent à une baisse des pensions (35 % sont pour et 15 % ne savent pas). Enfin, 70 % se disent favorables à une augmentation des cotisations pour maintenir le niveau des pensions (20 % y sont opposés et 10 % ne se prononcent pas). La France se situe dans la moyenne européenne mais il existe, sur cette question, des variations nationales. C’est dans les pays d’Europe du Nord que la préférence pour la hausse des cotisations est la plus nette et c’est dans les pays d’Europe du Sud qu’elle l’est le moins. Ainsi, 85 % des Danois sont favorables à cette solution, contre 55 % des Grecs. Les enquêtés sont d’autant plus favorables à une augmentation des cotisations qu’ils sont plus âgés : ceux qui ont entre 15 et 24 ans ne sont favorables qu’à 55 % (mais plus de 20 % sont sans opinion) alors que les plus de 55 ans le sont à 75 % (10 % seulement sont sans opinion).
34 Une enquête européenne sur l’Agenda de Lisbonne confirme ces préférences [39]. Elle comprend six parties, dont une sur l’avenir des retraites qui montre que, parmi les mesures visant à garantir le financement des systèmes de retraites [40], l’augmentation des cotisations apparaît, de manière très nette, comme étant la solution la plus acceptable : 34 % des actifs occupés interrogés privilégient cette mesure, contre 17 % qui mettent en avant l’allongement de la durée de cotisation et 13 % une baisse des pensions. Parmi les personnes sans activité professionnelle, les proportions s’élèvent respectivement à 29 %, 19 %, et 12 %.
35 Le baromètre de la DREES apporte des éléments sur un dernier point : la population préfère-t-elle « garder le système actuel fondé sur la répartition, en le réformant » ou « ajouter au système actuel un complément d’assurance ou d’épargne individuelle » ? Les problèmes posés par cette question ont été évoqués précédemment. Dans l’ensemble, les enquêtés paraissent relativement partagés, avec une légère préférence pour le maintien du système actuel. Le niveau des revenus discrimine fortement les réponses [voir tableau 8, p. 66] : les personnes interrogées vivant dans des ménages pauvres ou ayant des revenus modestes privilégient nettement le système de retraite par répartition, la partie d’entre eux n’ayant pas d’avis sur la question étant plus importante que pour les autres tranches de revenus ; les ménages à revenus moyens se prononcent à parité pour les deux solutions ; enfin, les ménages percevant plus de 3 810 euros par mois penchent largement pour l’introduction d’un « complément » d’assurance ou d’épargne individuelle. Ils ne représentent néanmoins que 4 % de la population [41].
Configuration souhaitée du système de retraite par niveau de revenus mensuels nets du ménage (en %)
Configuration souhaitée du système de retraite par niveau de revenus mensuels nets du ménage (en %)
« À l’avenir que faudrait-il faire en priorité en matière de retraite ? »36 En ce qui concerne la distribution des réponses selon les générations, les résultats sont encore plus nets : seule la tranche d’âge 18-34 ans est majoritairement favorable à la capitalisation avec, toutefois, une proportion importante ne répondant pas, ce qui peut s’expliquer par la plus forte inactivité des individus dans cette tranche d’âge et le fait qu’une partie d’entre eux n’a encore jamais travaillé et n’a donc pas l’expérience des assurances sociales. Toutes les autres classes d’âge sont largement contre un complément de couverture individuelle [voir tableau 9, p. 66].
Configuration souhaitée du système de retraite par tranches d’âge (en %)
Configuration souhaitée du système de retraite par tranches d’âge (en %)
« À l’avenir, que faudrait-il faire en priorité en matière de retraite ? »37 Les différents résultats mettent donc en évidence une communauté de statut des salariés. Si des divergences se font jour, ce n’est pas entre les salariés du secteur public et ceux du secteur privé, mais entre les salariés à faibles revenus et les salariés à hauts revenus. Les appréciations et les attentes divergent ainsi fortement selon les catégories socioprofessionnelles, entre, d’un côté, les cadres et professions libérales et, de l’autre, les employés et les ouvriers. Les différences entre les plus jeunes et les plus âgés paraissent compréhensibles : on peut en effet penser que, les jeunes s’étant retrouvés exclus par le système économique (faible taux d’emploi et taux de chômage important des 18-25 ans, pas de RMI pour les moins de 25 ans, stages non rémunérés, emplois précaires, etc.), nombre d’entre eux ont développé l’idée qu’ils avaient déjà payé pour la collectivité. Ainsi, quand ils trouvent enfin un emploi stable, ils tendent à se replier sur eux-mêmes et à préférer des solutions individualistes tout en exprimant une réticence à payer pour une collectivité qui s’est désintéressée d’eux.
Le krach boursier des années 2000 : un aveuglement inquiétant
38 Les partis pris des instituts de sondage paraissent encore plus paradoxaux lorsqu’ils sont rapportés au contexte économique. En effet, en 2000, au moment où beaucoup de journalistes concluent des sondages d’opinion que les préférences des Français vont à l’augmentation de la durée de cotisation et à la constitution d’une épargne personnelle pour la retraite, l’un des krachs boursiers les plus graves depuis 1929 se produit. À partir d’août 2000, date du sommet de la bulle spéculative, l’indice S&P 500 perd 42,51 % en 26 mois, l’indice SBF 250 chute de 56,66 % de septembre 2000 à mars 2003 [42]. Les conséquences d’une telle crise sur la valeur des actifs détenus par les fonds de pension sont d’autant plus immédiates et importantes que leurs actifs ont été massivement orientés vers des placements en actions.
39 Aux États-Unis, la chute du prix des actions ampute ainsi la valeur du prix des actifs des 200 premiers fonds de pension de 24 % entre le 30 septembre 2000 et le 30 septembre 2002, celle des 1 000 premiers de 21 %, selon une estimation du magazine Pensions & Investments [43], cette baisse ayant été un peu plus accentuée pour les fonds de pension à cotisations définies que pour ceux à prestations définies, à cause d’une exposition de leurs portefeuilles en actions relativement plus importante. Le déficit de la Pension Benefit Guaranty Corporation (PBGC), l’organisme public américain de garantie des fonds de retraite privés, explose : de 11,2 milliards de dollars en 2003, il passe à 23,3 milliards sur l’exercice conclu le 30 septembre 2004. L’agence, créée en 1974, se substitue aux sociétés insolvables qui ne peuvent plus payer les pensions de leurs anciens salariés. La PBGC est financée par les entreprises mais sa solvabilité est assurée par l’État fédéral. L’agence dispose de 39 milliards de réserves. Elle évalue cependant à 96 milliards le risque de défauts de paiement des retraites contre 82 milliards en 2003. En 2004, elle a pris à sa charge 192 fonds de pensions contre 155 un an auparavant.
40 Aux Pays-Bas, les fonds de pension sont quasiment en cessation de paiement et vont devoir augmenter dans les cinq prochaines années de 50 % les cotisations exigées des entreprises adhérentes et de 100 % celles du secteur public [44]. Les cotisations devraient passer de 11,1 % à 15,4 % de la rémunération totale au cours de la période 2002 – 2007 [45].
41 Au Royaume-Uni, la Commission des retraites, créée en 2002, a publié, le 12 octobre 2004, un premier rapport [46] alarmant sur la situation du système de retraite britannique, la crise boursière ayant mis fin à la période d’euphorie durant laquelle certaines entreprises pouvaient verser leurs cotisations sur leurs profits boursiers. Les déclarations du président de cette Commission, Adair Turner, signent le glas des illusions : « Nous avons rêvé tout éveillés. Il faut maintenant revenir à la réalité [47] ». La sous-capitalisation des fonds de retraite est manifeste. En juillet 2003, la Confédération de l’industrie britannique estimait que le déficit de financement agrégé pour le secteur privé non financier en mars 2003 (au plus bas des cours) s’élevait à 160 milliards de livres sterling et qu’il faudrait plus que doubler les cotisations de retraite entre 2001 et 2005 (de 21 à 43 milliards de livres par an) [48]. Ce qu’elle confirma en 2004 [49]. Le total des cotisations sociales (cotisations patronales de sécurité sociale et cotisations retraites) devrait passer de 15 % de la masse salariale en 2001 à 20 % en 2006 [50].
42 Le montant des pensions des régimes à cotisations définies dépend donc du moment où les salariés partent à la retraite. S’il se situe en pleine hausse boursière, le calcul de la rente ou du capital versé est au zénith. Gary Burtless a ainsi évalué les risques financiers subis par 90 salariés américains fictifs depuis 1871 en calculant la valeur de l’épargne accumulée dont ils disposent lors de leur départ à la retraite, la rente viagère initiale qu’ils peuvent acheter compte tenu de leur épargne et des taux d’intérêt et la valeur réelle des versements annuels au cours de leur retraite [51]. Le premier salarié entre en activité en 1871 et commence à percevoir une pension début 1911. Le dernier commence à travailler en 1960 et reçoit une pension début 2000. Le modèle repose sur les hypothèses suivantes : tous les travailleurs ont des carrières identiques et la même espérance de vie. Ils entrent dans la population active à 22 ans et travaillent pendant 40 ans. Pendant leur vie active, ils cotisent pour 6 % de leur salaire dans des plans d’épargne privés. La croissance des salaires réels est de 2 % par an. Quand ils atteignent l’âge de la retraite (62 ans), ils convertissent leur épargne retraite en rente viagère. Une fois déterminé le prix de la rente, les sociétés d’assurances investissent les fonds des salariés dans des obligations sans risque à long terme. Les 90 travailleurs diffèrent les uns des autres seulement en ce qui concerne les rendements du marché des actions, les taux d’intérêt des obligations et l’inflation à laquelle ils doivent faire face tout au long de leur carrière. Ces différences s’expliquent par des dates de début et de fin de carrière différentes pour les salariés considérés. Dans le cas où les salariés placent la totalité de leur épargne en actions, ceux qui prennent leur retraite début 2000 ont un taux de remplacement de 155 % tandis que leurs aînés l’ayant prise en 1921 ont un taux de remplacement de 20 % [52] [voir graphique 3, ci-contre].
Taux de remplacement pour différentes stratégies de placement aux États-Unis 1
Taux de remplacement pour différentes stratégies de placement aux États-Unis 1
Note 1 : Gary Burtless, “What do we know about the risk of individual account pensions? Evidence from industrialized countries”, American Economic Review, 93 (2), 2003, p. 354-359.43 L’examen des crises boursières depuis le début du XXe siècle montre qu’elles sont récurrentes et qu’elles sont suffisamment rapprochées pour qu’un salarié travaillant pendant 40 ans et épargnant tout le long de sa vie active en subisse plusieurs au cours de sa carrière : aux États-Unis, cinq sur la période 1924 – 1964, quatre sur la période 1964 – 2004 ; en France, quatre sur la période 1924 – 1964, cinq sur la période 1964 – 2004 [53].
44 La crise boursière de 2000 révèle que ce phénomène de loterie s’accentue avec la baisse des fonds à prestations définies [54] et le développement des fonds à cotisations définies [55]. En effet, bien que celui-ci n’ait pas pour conséquence de changement fondamental dans la structure des actifs détenus par les fonds de pension, il entraîne le report sur les salariés du risque financier traditionnellement supporté par les entreprises dans les fonds à prestations définies [56]. Les partisans de la capitalisation font valoir que les salariés peuvent se protéger du risque financier associé aux actions en échangeant progressivement leurs actions contre des actifs moins risqués tels que les obligations à mesure qu’ils approchent de la retraite. Ce changement est d’ailleurs fortement recommandé par la théorie financière. Mais, en pratique, les investisseurs suivent rarement cette approche parce qu’ils cherchent le meilleur rendement. Gary Burtless montre que les salariés qui placent leurs cotisations en obligations reçoivent un taux de remplacement initial d’environ deux tiers de celui des salariés qui les placent en actions uniquement [graphique 3], le rendement réel des actions étant supérieur à celui des obligations mais avec, pour contrepartie, une plus grande volatilité [57].
45 Néanmoins, investir prudemment ne permet pas d’échapper à la volatilité des rendements. Par exemple, un salarié qui aurait placé, tout au long de sa carrière, 7 % de son salaire dans un portefeuille composé pour moitié d’actions et pour l’autre moitié d’obligations, aurait reçu un taux de remplacement de 87 % s’il avait pris sa retraite en janvier 2000 mais seulement de 56 % s’il l’avait prise trois ans plus tard [58]. C’est pourquoi, aux États-Unis, un grand nombre de salariés âgés détient encore une partie importante de ses actifs placés dans des plans 401(k) [59] en actions [60]. Le montant de la retraite dans un régime de retraite en capitalisation à cotisations définies dépend donc avant tout de la période pendant laquelle les salariés accumulent actions et obligations et de l’année où ils convertissent leur portefeuille d’actifs en rente viagère. Un moyen permettant aux salariés de se protéger contre le risque consiste alors à convertir progressivement leur capital en rentes viagères par des versements annuels en commençant plusieurs années avant de prendre leur retraite. La limite de cette stratégie, qui entraîne une moindre variabilité de l’investissement est qu’elle aboutit à des taux de remplacement plus faibles. Un autre risque auquel sont soumis les salariés est l’inflation qui érode la valeur de leur rente viagère. Pour y faire face, ils peuvent détenir leur épargne sous forme d’actions pendant une partie de leur retraite, ce qui leur permettra d’en augmenter le rendement attendu mais constitue un placement plus risqué.
46 À cause de la crise boursière, de nombreux salariés proches de la retraite en 2000 se sont trouvés dans une position inattendue : ils ont dû continuer à travailler au-delà de l’âge auquel ils auraient pu partir à la retraite, voire, pour un grand nombre d’entre eux ayant déjà cessé leur activité, retourner sur le marché du travail, pour compenser la baisse de leur épargne retraite et de leur niveau de vie [61]. Ce phénomène s’observe également en Grande-Bretagne où, pour 75 % des futurs retraités, les contributions versées ne suffiront pas à leur procurer des pensions convenables [62]. Pour fixer un ordre de grandeur, International Communications Research évalue en décembre 2002 que, parmi les « investisseurs » américains ayant entre 50 et 70 ans et qui ont subi des pertes en capital dues à la crise boursière, 60 % sont actifs, 40 % retraités. Parmi les actifs, 30 % d’entre eux ont reculé leur départ à la retraite, ou envisagent de le faire, au moment de l’enquête. Concernant les retraités, 30 % sont retournés sur le marché du travail et travaillent à temps partiel ou à plein temps [63].
47 Le taux d’activité des travailleurs âgés de 55 à 64 ans a alors augmenté. Même si cet accroissement est dû en partie à la tendance à l’allongement de la durée d’activité et au recul de l’âge de départ à la retraite, l’importance de l’augmentation lors de la crise boursière (près de 2,5 points entre le premier trimestre 2001 et le premier trimestre 2003 – qui correspond à la fin du krach) est sans précédent dans l’histoire économique américaine de l’après-guerre [voir graphique 4, p. 69]. Dans le même temps, le taux d’activité des travailleurs âgés de 25 à 54 ans subissait sa chute la plus forte lors d’un ralentissement économique depuis les années 1960, diminuant d’un point de début 2001 à début 2003. Quant au taux d’activité des travailleurs âgés de 65 ans et plus, il est passé de 12,9 % au premier trimestre 2001 à 14 % au premier trimestre 2003, avant d’atteindre 15,5 % au quatrième trimestre 2005. En dehors de ce phénomène conjoncturel que constitue la crise boursière de 2000, un lien a été établi aux États-Unis entre, d’un côté, le déclin de la Sécurité sociale et le développement des fonds de pension à cotisations définies et, de l’autre, l’augmentation de l’âge de départ à la retraite [64].
Taux d’activité des travailleurs selon l’âge aux États-Unis
Taux d’activité des travailleurs selon l’âge aux États-Unis
48 Ces éléments invalident l’argument selon lequel l’épargne retraite éviterait d’augmenter l’âge de départ à la retraite – principale mesure envisagée en France par les rapports officiels pour financer le système par répartition [65]. Le raisonnement est le suivant : parce que cette remontée devrait être substantielle et que sa faisabilité se heurte à l’incertitude concernant l’évolution du marché du travail, « l’épargne retraite fait […] office de précaution face [au] risque concernant la possibilité de maintien sur le marché du travail jusqu’à un âge élevé [66] ».
49 La généralisation de la technologie des sondages et la place qu’ils occupent dans la vie publique semblent assez révélatrices du décalage existant en Europe entre les aspirations des populations et des décisions politiques essentiellement prises par les milieux économiques et technocratiques. Dans tous les pays européens, les réformes des systèmes de retraite ont pris un tour restrictif. Bien que le domaine des retraites soit soumis au principe de subsidiarité [67], les institutions européennes y sont intervenues de plus en plus efficacement. La Commission européenne, particulièrement, a cherché à promouvoir un modèle à trois piliers [68], à travers les grandes orientations de politique économique ou le pacte de stabilité et de croissance [69]. À cette fin, elle a concentré son action sur la mise en concurrence des régimes complémentaires, ce qui a abouti à la directive 92/96/CEE sur l’assurance-vie [70], à la directive 2003/41/CE concernant les activités et la surveillance des institutions de retraite professionnelle (IRP) [71], et à la communication relative à l’élimination des entraves fiscales à la fourniture transfrontalière des retraites professionnelles [72]. Celle-ci sert de base à une « politique juridique » de la Commission qui utilise le texte pour fonder des recours en manquement afin d’obtenir une jurisprudence, désormais bien établie, permettant de compléter le cadre fiscal de la directive IRP. De ce fait, la Cour de justice des Communautés européennes joue un rôle de plus en plus important [73]. Les conclusions du sommet de Barcelone stipulant qu’« il faudrait chercher d’ici 2010 à augmenter progressivement d’environ cinq ans l’âge moyen effectif auquel cesse, dans l’Union européenne, l’activité professionnelle » apparaissent alors comme l’aboutissement de ces interventions de plus en plus pressantes, lesquelles permettent de mieux comprendre pourquoi les réformes mises en œuvre en Europe sont toutes allées dans le même sens, et pourquoi elles le furent par des gouvernements aussi bien de gauche que de droite.
50 En France, comme dans les autres pays, ces réformes ont été soutenues par des sondages censés témoigner de l’adhésion de « l’opinion publique ». Des enquêtes plus solides mais peu médiatisées, et des recherches en sociologie, établissent pourtant que les attentes d’une majorité de citoyens sont très éloignées des « réformes » adoptées. Dans le même temps, la crise boursière a accentué les craintes à l’égard de la capitalisation. Ce divorce entre réformes et aspirations populaires est certainement l’un des facteurs des vastes mouvements sociaux apparus dans plusieurs pays d’Europe. En France, le mouvement du printemps 2003 a été souvent analysé comme un mouvement de fonctionnaires rétifs à une réforme qui les touchait plus directement que les salariés du secteur privé. Les mouvements de grève qu’ont connus la Grèce en 2001, l’Autriche au printemps 2003 et l’Italie à l’automne semblent contredire cette lecture, parce qu’ils ont touché à la fois le secteur public et le secteur privé. Bien sûr, la représentativité d’un mouvement social peut toujours être discutée. Mais un mouvement social rassemblant un ou deux millions de personnes est sans doute beaucoup plus « significatif » que les résultats de sondages procédant très souvent par imposition de problématiques : contrairement à « l’opinion publique » des sondeurs, l’opinion qui se manifeste à travers les mouvements sociaux représente une opinion mobilisée.
Notes
-
[1]
Patrick Champagne, Faire l’opinion : le nouveau jeu politique, Paris, Minuit, 1990, p. 193.
-
[2]
Dès les années 1980 cependant, les médias, ou du moins certains d’entre eux, plaidaient pour une réforme des retraites. Voir, par exemple, « Retraites : la réforme est urgente », Le Figaro, 10 novembre 1984 ; « La bombe à retardement des retraites », Le Monde, 13 février 1990 ; « La réforme du système de retraite est urgente et indispensable », La Tribune de l’Expansion, 27 juillet 1990.
-
[3]
Dominique Taddéi, Pour des retraites choisies et progressives, Rapport du Conseil d’analyse économique, 22, Paris, La Documentation française, 1999, et « Retraites et scénarii démographiques : encore un effort », Mouvements, 20, mars-avril 2002, p. 137-143 ; Pierre Concialdi, « Pour une économie politique de la protection sociale », Revue de l’IRES, 30, 1999 ; Jean-Claude Barbier et Bruno Théret, Le Nouveau Système français de protection sociale, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2004.
-
[4]
Voir à ce sujet le dossier concernant la réforme des retraites de 2003 sur le site internet d’Acrimed : http://www.acrimed.org.
-
[5]
Daniel Béland, « Expertise et politique des retraites : l’influence des think tanks aux États-Unis », in L’Année de la régulation, « Fonds de pension et “nouveau capitalisme” », 4, Paris, La Découverte, 2000, p. 264.
-
[6]
Bruno Palier et Giuliano Bonoli, « La montée en puissance des fonds de pension : une lecture comparative des réformes des systèmes de retraite, entre modèle global et cheminements nationaux », in L’Année de la régulation, op. cit., p. 209-250.
-
[7]
Commissariat général du Plan, L’Avenir de nos retraites, Rapport au Premier ministre, sous la direction de Jean-Michel Charpin, Paris, La Documentation française, 1999.
-
[8]
Plusieurs d’entre eux sont cités in B. Palier et G. Bonoli, op. cit. (note 38 p. 241 et en annexe p. 250).
-
[9]
Ibid.
-
[10]
« Les Français et les retraites », sondage CSA réalisé le 15 janvier 2003 pour « France Europe Express » et France Info ; « Le devenir des retraites : pronostics et attentes », sondage Ifop réalisé les 30 et 31 janvier 2003 pour Ouest France ; « Le devenir des retraites », sondage Ifop réalisé les 10 et 11 avril 2003 pour Le Journal du dimanche ; « Les retraites », sondage Ipsos réalisé les 18 et 19 avril 2003 pour France 2 et Le Figaro ; « La réforme des retraites », sondage Louis Harris réalisé les 9 et 10 mai 2003 pour AOL et Libération ; « Les Français et la réforme des retraites », sondage TNS Sofres réalisé les 9 et 10 janvier 2003 pour Enjeux-Les Échos ; « Baromètre des retraites », sondages TNS Sofres réalisés les 6 et 7 mars 2003, 9 et 10 avril 2003, 14 et 15 mai 2003, 11 et 12 juin 2003 pour RTL, Le Monde et Notre Temps.
-
[11]
Le taux de remplacement désigne le rapport entre le montant de la pension liquidée et le dernier revenu d’activité.
-
[12]
Le texte de cet accord est disponible sur le site Internet de l’ARRCO (Association des régimes de retraite complémentaire) : http://www.arrco.fr/txt_reference/pdf/accord10022001.pdf.
-
[13]
Prétendant suivre l’évolution de l’opinion concernant la réforme des retraites, TNS Sofres mena une enquête par mois de mars à juin 2003. La question concernant les possibilités de réforme n’est plus posée dans l’enquête des 11 et 12 juin 2003.
-
[14]
Voir, par exemple, l’article de Serge Halimi, « De la science des sondages », Le Monde diplomatique, juin 2003, p. 3, et « Retraites : tentatives de manipulation des citoyens », Communiqué d’Attac, 18 avril 2003.
-
[15]
Les cotisations salariales et patronales n’ont pas la même incidence pour les salariés car les négociations salariales s’effectuent sur le salaire brut. Si une hausse de salaire brut est décidée et que les cotisations salariales augmentent, la hausse du salaire net s’en trouvera d’autant plus limitée. En revanche, si ce sont les cotisations patronales qui augmentent, les employeurs ne pourront répercuter ce coût supplémentaire qu’en modérant les salaires bruts, ce qui peut s’avérer difficile dans un contexte de revendication salariale, ou en augmentant les prix, ce qui est d’autant plus délicat que le marché est concurrentiel.
-
[16]
Conseil d’orientation des retraites, Renouveler le contrat social entre les générations, Premier rapport 2001, Paris, La Documentation française, 2002.
-
[17]
Discours de présentation de la réforme par Jean-Pierre Raffarin devant le Conseil économique et social, 3 février 2003.
-
[18]
Néanmoins, l’enquête Ipsos ne propose pas que la hausse des cotisations porte sur les seules cotisations salariales.
-
[19]
Ibid.
-
[20]
Ibid., p. 109.
-
[21]
Gerard Hughes et Adrian Sinfield, “Financing pensions by Stealth”, in Gerard Hughes et Jim Stewart (éds), Reforming Pensions in Europe: Evolution of Pension Financing and Sources of Retirement Income, Cheltenham, Edward Elgar, 2003.
-
[22]
Une forte corrélation négative entre le taux de remplacement du régime de base et la taille du système par capitalisation existant pour de nombreux pays, ce principe peut être généralisé. Sur ce point, voir B. Palier et G. Bonoli, op. cit. Le sondage Ifop des 30 et 31 janvier 2003 montre bien la confusion qui règne autour de cette question : 61 % des personnes interrogées se disent prêtes à « compléter le système de retraite par répartition au moyen de fonds de pension », mais 84 % d’entre elles se déclarent opposées à une diminution des retraites [voir tableau 1, p. 52].
-
[23]
Si le chômage baisse fortement et durablement, les pouvoirs publics peuvent décider d’assouplir la politique d’immigration, de favoriser la poursuite volontaire d’activité (retraite choisie et progressive) ou de baisser les cotisations chômage pour augmenter les cotisations retraite, sans que les salariés et les entreprises en supportent le coût. La baisse du chômage peut aussi entraîner une augmentation du taux de fécondité et une réduction de la durée des études qui permettront une augmentation de la population active. Pour plus de détails sur ces questions, voir D. Taddéi, Pour des retraites choisies et progressives, op. cit.
-
[24]
Patrick Champagne, « Les sondages, le vote et la démocratie », Actes de la recherche en sciences sociales, 109, septembre 1995, p. 73-92.
-
[25]
« Retraites : ce que veulent les Français », Le Figaro, 24 avril 2003.
-
[26]
« 60 % approuvent la mobilisation », Libération, 12 mai 2003.
-
[27]
43 % des personnes interrogées sont favorables à l’augmentation de la durée de cotisation, 24 % à l’augmentation des cotisations, 13 % à une baisse du montant des retraites et 8 % sans opinion.
-
[28]
Attac, « Retraites : tentatives de manipulation des citoyens », op. cit.
-
[29]
Conseil d’orientation des retraites, Renouveler le contrat social entre les générations, op. cit., chap. 3.
-
[30]
Dans ce cas précis, l’effet de la composition de l’échantillon sur le résultat d’ensemble apparaît clairement. 58 % des sondés jugent le plan Fillon inefficace alors qu’ils sont 64 % parmi les fonctionnaires et 65 % parmi les salariés du privé. C’est donc que d’autres catégories y sont plus favorables.
-
[31]
Les enquêtes européennes sont aussi appelées « eurobaromètre ».
-
[32]
Commission européenne, “The future of pensions systems”, Eurobaromètre spécial, 161, janvier 2004 (http:// europa. eu. int/ comm/ public_opinion/ archives/ ebs/ ebs_161_pensions. pdf).
-
[33]
Christian Baudelot et Michel Gollac (dir.), Travailler pour être heureux ?, Paris, Fayard, 2003 ; Michel Gollac et Serge Volkoff, Les Conditions de travail, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2000 ; Serge Paugam, Le Salarié de la précarité, Paris, PUF, 2000.
-
[34]
Laurent Caillot, Romina Boarini et Christine Le Clainche, « Les opinions des Français en matière de retraite de 2000 à 2002 », Études et résultats, 210, DREES, décembre 2002.
-
[35]
Gilles Balbastre et Pierre Rimbert, « Les médias, gardiens de l’ordre social », Le Monde diplomatique, novembre 2003, p. 6-7.
-
[36]
Commissariat général du Plan, Perspectives à long terme des retraites, sous la direction de Raoul Briet, Paris, La Documentation française, 1995.
-
[37]
Depuis cette estimation, les transferts en provenance du FSV ont augmenté ce qui accroît légèrement sa contribution et diminue un peu celle des autres mesures.
-
[38]
L. Caillot, R. Boarini et C. Le Clainche, op. cit.
-
[39]
En mars 2000, le Conseil européen de Lisbonne a présenté une stratégie s’étalant sur dix ans et visant à faire de l’Union européenne l’économie la plus compétitive et la plus dynamique du monde. Une croissance plus forte stimulera la création d’emplois et favorisera des politiques sociales et environnementales assurant développement durable et cohésion sociale.
-
[40]
Commission européenne, « Enquête sur l’Agenda de Lisbonne », Eurobaromètre spécial, 215, février 2005.
-
[41]
Ibid.
-
[42]
Christophe Boucher, « Identification et comparaison des crises boursières », in Robert Boyer, Mario Dehove et Dominique Plihon, Les Crises financières, Rapport du Conseil d’analyse économique, 50, Paris, La Documentation française, 2004, p. 375-396.
-
[43]
Pensions & Investments, 20 janvier 2003.
-
[44]
« La Haye confronté au coûteux renflouement des fonds de pension », Les Échos, 17 et 18 janvier 2003.
-
[45]
Casper Van Ewijk et Martijn Van De Ven, “Pensions funds at risk”, CPB Report, 2003/1, CPB Netherlands’ Bureau For Economic Policy Analysis, 2003, p. 22-27 (http:// www. cpb. nl/ eng/ pub/ cpbreeksen/ cpbreport/ 2003_1/ cpbr031. pdf ).
-
[46]
Pensions Commission, Pensions: Challenges and Choices, First Report of the Pensions Commission, 2004, disponible sur le site Internet de la Pensions Commission : http:// www. pensionscommission. org. uk/ publications/ 2004/ annrep/ fullreport. pdf.
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[47]
Déclaration citée par Le Monde, « En Grande-Bretagne, le système privé des retraites par capitalisation est en crise », 14 octobre 2004.
-
[48]
Confederation of British Industry, “Focus on investment: the impact of pension deficits”, Economic Brief, juillet 2003.
-
[49]
En 2004, les besoins de financement restent élevés – même si le cours des actions est reparti à la hausse – car les entreprises ont réduit leur exposition aux actions au profit d’actifs moins risqués, mais aux rendements plus faibles, et les engagements des régimes de retraite ont augmenté.
-
[50]
Confederation of British Industry, “Focus on investment: the impact of pension deficits –an update”, Economic Brief, avril 2004.
-
[51]
Gary Burtless, “Social security privatization and financial market risk”, Center on Social and Economic Dynamics, Working Paper 10, Washington, DC, Brookings Institution, février 2000, disponible sur le site Internet de la Brookings Institution : http:// www. brookings. org/ dybdocroot/ ES/ dynamics/ papers/ sspriv/ sspriv. pdf.
-
[52]
Gary Burtless définit le taux de remplacement comme la rente viagère initiale du salarié divisée par son salaire annuel moyen perçu entre 54 et 58 ans.
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[53]
C. Boucher, op. cit.
-
[54]
Financés en général par l’employeur, ces fonds s’engagent à verser aux adhérents lors de leur départ en retraite une pension égale à une fraction de leur salaire sur la base du nombre d’années d’ancienneté. La pension versée peut être calculée de deux façons différentes, soit en pourcentage du salaire, soit un montant forfaitaire par année travaillée. Le risque financier est assumé par l’entreprise, qui doit couvrir les insuffisances de financement éventuelles.
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[55]
Dans ce type de fonds, le financement s’effectue de façon mixte (cotisations salariales et patronales), l’engagement ne porte que sur les cotisations et les prestations ne sont pas fixées d’avance. La pension versée à chaque adhérent est fonction des rendements obtenus sur les placements. C’est le bénéficiaire qui supporte la totalité du risque.
-
[56]
Andrew D. Eschruth et Jonathan Gemus, “Are older workers responding to the bear market?”, Just the Facts on Retirement Issues, 5, Center for Retirement Research at Boston College, septembre 2002, disponible sur le site Internet du Center for Retirement Research : http://www.bc.edu/centers/crr/facts/jtf_5.pdf.
-
[57]
G. Burtless, “What do we know about the risk of individual account pensions? Evidence from industrialized countries”, op. cit.
-
[58]
Ibid.
-
[59]
Les plans dits « 401(k) » (du nom de la section du code fiscal américain qui s’y réfère) sont des plans d’épargne retraite facultatifs à cotisations définies, c’est-à-dire qui n’offrent aucune garantie de prestation. Les salariés cotisent pour un pourcentage déterminé de leur salaire. Les cotisations sont généralement abondées par les entreprises. Les sommes sont placées sur un compte individuel défiscalisé, plafonné annuellement et qui laisse aux salariés le choix entre différents types de fonds. Il n’existe aucune limite réglementaire aux placements effectués en titres de l’entreprise. Sous certaines conditions, le salarié a la possibilité de débloquer son épargne. Ces plans sont « portables » (un salarié qui change d’entreprise peut transférer son plan) et permettent une sortie en rente ou en capital. Ils s’apparentent donc davantage à des plans d’épargne salariale qu’à de véritables régimes de retraite.
-
[60]
John Ameriks et Stephen P. Zeldes, “How do household portfolio shares vary with age?”, Working Paper, TIAA-CREF Institute, New York, 2001.
-
[61]
A. D. Eschruth et J. Gemus, op. cit. ; S. Kathi Brown, “Impact of stock market decline on 50–70 year old investors”, AARP Report, décembre 2002, disponible sur le site Internet de l’AARP : http:// research. aarp. org/ econ/ market_decline. pdf.
-
[62]
Pensions Commission, op. cit.
-
[63]
Pour plus de détails sur l’enquête, voir S. K. Brown, op. cit.
-
[64]
Gary Burtless et Joseph F. Quinn, “Is working longer the answer for an aging workforce?”, An Issue in Brief, II, Center for Retirement Research at Boston College, décembre 2002, disponible sur le site Internet du Center for Retirement Research : http:// www. bc. edu/ centers/ crr/ issues/ ib_11.pdf.
-
[65]
Commissariat général du Plan, Livre Blanc sur les retraites, Paris, La Documentation française, 1991 ; Commissariat général du Plan, Perspectives à long terme des retraites, op. cit. ; Commissariat général du Plan, L’Avenir de nos retraites, op. cit.
-
[66]
Didier Blanchet et Bertrand Villeneuve, « Que reste-t-il du débat répartition-capitalisation ? », Revue d’économie financière, 40, 1997, p. 157-174. Citation tirée de la p. 164.
-
[67]
Le principe de subsidiarité implique que l’Union européenne n’intervient « que si et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire » (article 5 du traité instituant la Communauté européenne). Le principe de subsidiarité ne s’applique qu’aux questions relevant d’une compétence partagée entre la Communauté et les États membres, qui posent fréquemment des problèmes d’attribution.
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[68]
Selon cette conception, le premier pilier repose sur le régime général, le deuxième sur des régimes complémentaires professionnels fonctionnant en capitalisation et le troisième, facultatif, sur des systèmes d’épargne retraite individuels privés.
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[69]
Antoine Rémond, « La déconstruction du système de retraite français », in Les Transformations du capitalisme contemporain. Le salariat et la protection sociale en question, t. II, Paris, L’Harmattan, à paraître.
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[70]
Directive du Conseil européen du 10 novembre 1992, disponible sur le site Internet d’EUR-LEX : http:// europa. eu. int/ eur-lex/ lex/ LexUriServ/ LexUriServ. do?uri=CELEX:31992L0096:FR:HTML.
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[71]
Directive du Parlement européen et du Conseil du 3 juin 2003 : http:// europa. eu. int/ eur-lex/ pri/ fr/ oj/ dat/ 2003/ l_235/ l_23520030923fr00100021.pdf.
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[72]
« Élimination des entraves fiscales à la fourniture transfrontalière des retraites professionnelles », Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen et au Comité économique et social, COM (2001) 214 final, 2001 : http://europa. eu. int/ eur- lex/ lex/ LexUriServ/ site/ fr/ com/ 2001/ com2001_0214fr01. pdf.
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[73]
Antoine Rémond, « Directives, contraintes budgétaires, jurisprudence : l’influence de l’Union européenne sur les retraites par répartition », Colloque international « État et régulation sociale : comment penser la cohérence de l’intervention publique », organisé par le Centre d’économie de la Sorbonne, 11-13 septembre 2006, Paris (http://matisse. univ- paris1. fr/ colloque- es/ pdf/ articles/ remond. pdf).