Couverture de ARSS_149

Article de revue

Croyance pédagogique et innovation technologique

Le marché de la formation à distance au service de la « démocratisation » de l'enseignement supérieur

Pages 42 à 60

Notes

  • [1]
    Sur l’analyse sociologique du modèle économique de la concurrence pure et parfaite, voir Marie-France Garcia, « La construction sociale d’un marché parfait : le marché au cadran de Fontaines-en-Sologne », Actes de la recherche en sciences sociales, 65, novembre 1986, p. 2-13.
  • [2]
    Nous nous sommes centrés dans le cadre de cette étude sur trois campus numériques français : le campus A, qui associe dans la production de services éducatifs divers les établissements d’enseignement supérieur d’une grande ville du sud de la France ; le campus B, qui regroupe plusieurs universités parisiennes et régionales dans la production d’une formation en ligne fortement valorisée sur le marché du travail ; enfin le campus C, qui est celui d’une petite université de proximité, associée au campus A.
  • [3]
    La « société de l’information » n’est pas une notion récente, mais elle a été réactualisée et formalisée par la Commission européenne dans un Livre blanc publié en 1995 : Enseigner et apprendre – Vers la société cognitive. Elle repose sur le principe, inspiré des théories du capital humain, selon lequel l’éducation et la formation constituent des investissements économiques essentiels pour l’Europe dans la compétitivité internationale. Selon cette vision, les systèmes de formation et d’éducation nationaux seraient inadaptés parce que trop éloignés du monde économique et trop attachés à des critères académiques dans la sélection des élèves, au détriment des « compétences » professionnelles.
  • [4]
    La dotation TICE se répartit de la manière suivante dans les établissements supérieurs : 20 € par an et par étudiant dans les universités, 105 € par étudiant dans les écoles d’ingénieurs, 26 € pour les Instituts d’études politiques, 28,5 € pour les IUFM.
  • [5]
    Entretien avec Philippe Perrey, chef du bureau enseignement supérieur de la sous-direction des nouvelles technologies, de l’information et de la communication.
  • [6]
    Neil Fligstein, « Market as Politics : a Political Cultural Approach to Market Institutions », American Sociological Review, vol. 61, 1996, p. 656-673.
  • [7]
    C’est ainsi que la cellule TICE du campus C annonce, sur la première page du site internet de l’université, la reconnaissance par le campus B de son travail de développement d’outils interactifs.
  • [8]
    L’association Algora a pour but de « promouvoir le développement de la formation ouverte à distance et l’usage des technologies multimédias dans les systèmes de formation professionnelle ». Le fait que cette association a été mise en place sous l’égide commune de différents ministères (Éducation nationale, Industrie, Travail, Affaires étrangères) souligne cette volonté de l’État.
  • [9]
    Voir le cadre juridique des campus numériques sur le site du ministère de l’Éducation nationale.
  • [10]
    Cf. la circulaire DGEFP n° 2001/22 du 20 juillet 2001. La présence des adultes en formation était en effet obligatoire jusque-là.
  • [11]
    Campus numériques : enjeux et perspectives pour la formation ouverte et à distance, rapport de mission sous la direction de Michel Averous et Gilbert Touzot, avril 2002.
  • [12]
    On aurait tort cependant de surestimer les contraintes que font peser sur les États ces accords multilatéraux dans la mesure où ils encadrent des négociations qui sont toujours conduites par les représentants de l’État et qui peuvent être utilisés comme argument pour imposer des transformations qu’ils ont eux-mêmes proposées. Par ailleurs, les États peuvent libéraliser certains secteurs éducatifs sans (pour autant) les inscrire dans la table des négociations de l’Organisation mondiale du commerce. Voir Bruno Théret, « Mondialisation et État-providence : les risques et contradictions de la stratégie de mondialisation de l’État fédéral canadien », communication à la Conférence internationale sur la globalisation, La Havane, 29 janvier-2 février 2001.
  • [13]
    « Autonomie des universités et responsabilité : pour un service public renouvelé ». Texte d’orientation de la Conférence des présidents d’université adopté le 19 avril 2001.
  • [14]
    D’autres formes d’assouplissement ont été instituées dans l’enseignement supérieur, comme le fait de prendre pour référence d’une formation non plus l’année scolaire, mais le module. C’est le cas avec la mise en place du système ECTS (European Credits Transfer System) qui permet de définir par exemple un diplôme de niveau bac + 3 comme correspondant à 180 crédits ECTS. Ce système est doublé de l’émergence de parcours de formation « types » qui offrent aux étudiants la possibilité de choisir dans le détail les enseignements qu’ils suivront.
  • [15]
    La question de l’homogénéité de la qualité de ces formations qui, comme le montre Marie-France Garcia (op. cit., p. 2), constitue une des quatre conditions du modèle de la concurrence pure et parfaite, est au cœur des débats sur la FOAD.
  • [16]
    Maryse Quéré et Françoise Thibault, ainsi que la consultante qui a élaboré « Compétice », viennent aussi de l’université de Nancy, qui a joué un rôle moteur dans le développement de la formation permanente.
  • [17]
    C’est ainsi, par exemple, qu’une des consultantes multimédia du campus B qui a accompagné certains producteurs de contenus est aussi celle qui a fourni au ministère « Compétice », un outil permettant d’établir un « référentiel de compétences » pour les enseignants-chercheurs appelés à de nouvelles tâches de production. Le chef de projet du campus A fait partie de l’équipe chargée au ministère du développement des campus numériques : il a désormais pour mission de s’occuper des relations entre la Commission européenne et le niveau ministériel en France.
  • [18]
    La compétition avec les États-Unis, qui détiennent une part importante du marché mondial de la formation à distance, occupe une place centrale dans les préoccupations européennes de promouvoir « l’éducation tout au long de la vie » et le développement d’un marché de la formation à distance.
  • [19]
    Rapport commandité par le ministère de la Technologie à l’association Algora, voir infra p. 55.
  • [20]
    Le « cartable électronique » bénéficie du label RIP.
  • [21]
    Comme le remarque le chef de projet du campus A : « Les secrétaires de direction ont-elles fait des colloques pour savoir s’il convenait ou non d’utiliser le mail ? ».
  • [22]
    « La nouvelle pédagogie est centrée sur l’apprenant, dont elle développe l’autonomie et les spécificités : en fonction de son programme, de ses capacités et de ses acquis antérieurs, l’étudiant apprend en allant lui-même exploiter des ressources multiples disponibles sur les réseaux (cours, exercices, études de cas, auto-tests) » (Le Bulletin de la CIP, 8, mai 2000).
  • [23]
    On trouverait des points communs entre cette vision et celle qu’analyse Odile Henry à propos de la diffusion en France du taylorisme par Henry Le Chatelier, cf. Actes de la recherche en sciences sociales, 133, 2000, p. 79-88.
  • [24]
    F. Blamont, directeur de l’agence Édufrance, s’exprimait ainsi : « Nos ennemis, ce sont les profs qui estiment que l’enseignement doit être à 100 % public » (Le Monde, 14 mai 2000).
  • [25]
    On peut établir des analogies entre ces missionnaires pédagogiques transformés en missionnaires du marché et les « cadres de gauche » dont Michel Villette a analysé la trajectoire dans « La carrière d’un “cadre de gauche” après 1968 » (Actes de la recherche en sciences sociales, 29, septembre 1979, p. 64-75).
  • [26]
    Cf. P. Perrey, 01 Informatique, n° 1703. Un « environnement de travail numérique » se présente comme un « portail » électronique à partir duquel chaque étudiant ou enseignant peut établir une connexion à son « cartable électronique ». Ce dernier est un outil informatique qui lui permet d’avoir accès à son courrier électronique, à des répertoires informatiques personnels ou partagés entre plusieurs usagers, depuis n’importe quel poste informatique connecté à internet au sein de l’université ou à l’extérieur (domicile).
  • [27]
    Dans le mémorandum, qui préconise également une réforme du métier des enseignants pour qu’ils puissent s’adapter au nouveau rôle qu’appelle l’éducation tout au long de la vie, il incombe aux enseignants de transformer les apprenants en apprenants motivés et de se transformer eux-mêmes en « gestionnaires des connaissances » et en professionnels de l’orientation « en allant vers l’individu au lieu d’attendre qu’il vienne demander conseil ». Elle suppose l’évolution de son rôle (ou l’intervention d’une nouvelle catégorie de professionnels) vers une activité « d’orientation et de conseil » qui « pourrait être décrit [e] comme un rôle de courtage ». En effet, « gardant présents à l’esprit les intérêts du client, “le courtier en orientation” est capable d’exploiter et d’adapter un vaste éventail d’informations qui l’aident à décider de la meilleure voie à suivre à l’avenir ».
  • [28]
    Dans le texte qui définit le cadre juridique des campus numériques, le produit multimédia est clairement défini comme une œuvre. Toutefois, les formations à distance supposent aussi un accompagnement pédagogique (tutorat en ligne) qui lui est souvent payé en heures complémentaires, c’est-à-dire en équivalence d’heures « en présentiel ».
  • [29]
    Max Weber, Économie et société. Les catégories de la sociologie, livre I, Paris, Éditions Agora, 1971, p. 55 à 61.
  • [30]
    L’éducation tout au long de la vie et l’avènement, à travers elle, d’un « droit individuel à la formation élargi » constituent aussi un espace possible d’investissement pour l’action syndicale. Les responsabilités syndicales font en effet partie des « savoirs informels » susceptibles d’être pris en compte par la VAE. Voir, à ce sujet, la revue de la FSU Nouveaux regards (15, 2001).
  • [31]
    Dont le renforcement de l’individualisation des parcours, l’ajustement continu de l’offre à la demande, le déterminisme technologique, la différenciation de la pédagogie, la réévaluation des critères scolaires au profit d’une équivalence entre les compétences acquises « dans la vie » ou dans le travail, la foi dans l’innovation, l’abandon d’un idéal collectif de niveau scolaire, la focalisation sur le système scolaire (ou de formation) dans les inégalités devant l’emploi ou la lutte contre l’exclusion, la mise en avant de l’accès au diplôme plus que de l’égalisation de l’accès à des filières de valeurs scolaires et sociales hiérarchisées, la volonté de transformer les pratiques pédagogiques au profit d’un public « divers » et « hétérogène ».
  • [32]
    À propos de l’opposition préconstruite entre le marché et le règne des valeurs désintéressées, voir Viviana Zelizer, « Repenser le marché. La construction sociale du “marché aux enfants” aux États-Unis », Actes de la recherche en sciences sociales, 94, septembre 1994, p. 3-26.
  • [33]
    Comme ceux qui iraient dans le sens d’une égalisation des conditions d’encadrement pédagogique et institutionnel des étudiants formés « en présentiel » dans les différentes composantes de l’enseignement supérieur, ainsi que des ambitions en termes d’acquisition des savoirs que l’on nourrit à l’égard des différentes catégories d’étudiants.
  • [34]
    L’Enjeu des TIC dans les universités, Comité de domaine scolarité vie de l’étudiant, 8 février 2002.
  • [35]
    Sur la question des effets de la coexistence concurrentielle d’un service marchand et d’un service public d’éducation, voir Albert O. Hirsmann, Défection et prise de parole, Paris, Fayard, 1995, p. 75-90. L’argument qui est pourtant le plus souvent invoqué pour faire de la construction d’une offre marchande au cœur du service public le moyen de « préserver l’esprit de service public » est qu’elle constitue le meilleur moyen de lutter contre « la privatisation de l’enseignement » incarnée par « les industriels du multimédia » ou « le secteur privé ».

1Depuis l’appel à projets « Campus numériques » lancé en 2000 par le ministère de l’Éducation nationale et renouvelé chaque année, les offres de formations à distance tendent à se généraliser dans l’enseignement supérieur français. Une dizaine de campus sont déjà en mesure d’offrir des modules, destinés à préparer, via internet, la totalité d’un diplôme, pour un coût annuel variant entre 1 200 et 4 000 €, en plus des droits d’inscription qu’acquittent les étudiants en formation initiale classique. 72 projets de campus numériques sont en cours de réalisation en 2002-2003. Subventionnés par le ministère, ils vendent des formations définies comme des services éducatifs et introduisent des espaces marchands nouveaux qui ne visent pas seulement le public déjà rentable de la formation continue mais aussi celui de la formation initiale. L’enjeu, du point de vue du ministère, est d’encourager dans les universités une offre qui devrait ensuite parvenir à l’autonomie économique. En introduisant des innovations dans les pratiques pédagogiques, elle permettrait de résoudre un certain nombre de problèmes identifiés de manière récurrente comme des obstacles à la « démocratisation » de l’enseignement supérieur : échecs en premier cycle, manque d’adaptation de l’institution aux demandes des étudiants, manque de diversité des formations proposées, etc.

2À terme, les campus numériques devraient réunir la plupart des conditions qui caractérisent un « marché idéal » : une offre ajustée à la demande et aux besoins du public, un recrutement des « clients » assuré par une concurrence aussi pure et parfaite que possible [1], une « lisibilité de l’offre » censée garantir cette concurrence, des possibilités techniques d’industrialisation de la formation et de modulation des coûts de revient et de vente, des procédures de certification de la qualité des formations proposées, etc. Ce processus de construction d’un marché de la formation à distance passe par la promotion préalable des technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (TICE) dans le système universitaire à des fins de rénovation des pratiques pédagogiques. Certes, le développement et l’usage des TICE ne se réduisent pas à la formation à distance payante, mais leur diffusion massive est pour le ministère une des conditions majeures de la constitution de cette offre qu’il cherche à impulser avec les campus numériques. S’il n’existe aucun lien nécessaire entre le développement des TICE et la constitution d’une offre marchande de formation, il y a néanmoins un lien objectif qui est justement le produit de la construction politique analysée ici. Elle consiste à mettre en place les conditions nécessaires à l’engagement des universités et des universitaires dans une logique de production multimédia. Afin de vaincre les résistances qui tiennent à l’attachement du corps des enseignants-chercheurs à une autre définition de leur rôle pédagogique, l’État s’appuie sur des alliances institutionnelles avec la Conférence des présidents d’université (CPU) et avec les « chargés de mission » pour le développement des nouvelles technologies dans les universités.

3En confiant au marché le soin de répondre aux « besoins individuels de formation », il rompt avec la tradition universitaire française. Les chargés de mission jouent le rôle décisif de médiateurs entre les orientations ministérielles et la communauté universitaire. Une attention particulière sera donc accordée aux trajectoires individuelles [2] de ces chargés de mission qui promeuvent la cause des nouvelles technologies mais dont les intérêts et les valeurs dépassent pourtant les seuls enjeux économiques de ce marché en voie de constitution. Ils partagent même un certain nombre de valeurs et d’objectifs avec les acteurs qui militent pour la « démocratisation de l’enseignement supérieur ». Loin de s’opposer, ces croyances se révèlent être une des conditions de l’efficacité de leur action. Il importe donc de connaître et de comprendre les dispositions sociales qui autorisent leur adhésion et leur contribution à cette mutation engagée par l’État.

La création d’une offre marchande

4La promotion et la diffusion des nouvelles technologies de l’information et de la communication dans le système éducatif et en particulier dans l’enseignement supérieur fait suite au Plan d’action gouvernemental pour la société de l’information lancé en août 1997, dont une des priorités est le développement de « l’offre française d’enseignement supérieur ouvert et à distance [3] ». Ces technologies, désignées plus communément sous le sigle de TICE, représentent l’actualisation de ce plan dans le système éducatif dans le cadre des « cellules TICE » aujourd’hui implantées dans la plupart des universités.

5Un texte du Bulletin officiel de l’Éducation nationale publié en 1998 invite les établissements supérieurs à s’orienter plus avant dans une logique de « production d’objets multimédia ». Il propose des modèles de projets que les universités peuvent remettre au ministère dans le cadre des contrats quadriennaux. L’affirmation de cette priorité « productive » est ensuite renforcée par les appels à projets « Campus numériques » ainsi que par des dotations budgétaires accordés aux établissements dans le cadre de la politique contractuelle. Plus de 200 projets ont été soumis par les universités, les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), les écoles d’ingénieurs et les grandes écoles, en association avec des entreprises, des collectivités territoriales et des associations. 12 millions d’euros (79,5 MF) ont été attribués aux 72 projets retenus, une partie d’entre eux faisant l’objet d’une étude de faisabilité. Ces subventions, qui ne représentent que 30 à 50 % du budget des projets, sont complétées par celles du Centre national d’enseignement à distance (CNED), qui a investi 4,5 millions d’euros sur trois ans en partenariat avec les universités. Dans le cadre de la politique contractuelle, 35,5 millions d’euros ont été dégagés pour le développement des TICE, dont 15 millions pour les infrastructures et les équipements informatiques. Par ailleurs, des financements sont également octroyés dans l’enseignement supérieur sur la base de contrats de plan État-région, essentiellement consacrés aux infrastructures et aux matériels. Enfin s’ajoutent à ces subventions d’autres financements, qui émanent du ministère de la Recherche. Dans un contexte pourtant marqué par la rigueur budgétaire, les investissements de l’État dans le développement de ces campus numériques passent de 2,5 millions d’euros à 9,5 millions entre 2000 et 2001 [4]. Ils représentent par ailleurs aujourd’hui 40 % des « crédits enseignement supérieur » accordés par la Direction des enseignements supérieurs (DES), pour l’année 2001 [5].

6Plus d’une dizaine de campus numériques « aboutis » sont à ce jour constitués et offrent des « prestations éducatives » telles que des modules de formation à des diplômes, des forums de discussion, des exercices autocorrectifs, des accès à des bases de données, etc. Le ministère de l’Éducation nationale a également créé de nouvelles instances qui ont pour but de promouvoir les TICE et de structurer l’offre de formation avec la FIED, le RUCA, Formasup, Educanet, etc. (voir page 47) Mais il s’est également appuyé sur des structures dont il a élargi, encouragé ou redéfini les missions : l’AMUE, Édufrance, le CNAM, le CNED, ces deux dernières institutions disposant d’une expérience dans le domaine de la formation à distance et/ou pour adultes qui les rendait précieuses.

7Le développement des TICE est, au niveau ministériel, confié à une chargée de mission à la direction de la technologie du ministère délégué à la Recherche, Françoise Thibault, à qui il revient de conseiller les « porteurs de projets » et d’expertiser les projets formulés dans le cadre des contrats quadriennaux pour le compte de la DES. Elle succède à Maryse Quéré, professeur en sciences de l’information et à l’origine du concept d’enseignement sur mesure médiatisé (ESMM) sur lequel elle avait produit en 1994 un rapport ministériel. Il est également organisé par le chef du bureau des enseignements supérieurs (sous-direction des technologies éducatives pour l’enseignement de la direction de la technologie). La mise en avant des enjeux pédagogiques conduit le ministère à privilégier le développement de « l’autoformation », devenue synonyme d’offre marchande d’enseignement à distance (document 1). Cette priorité se traduit dans l’élaboration de critères de sélection des projets subventionnés par l’appel d’offres « Campus numériques » (document 2). L’organisation des campus numériques par « consortium d’établissements », préconisée par le ministère, représente une alliance économique entre les universités qui leur permet de rationaliser les coûts de production des formations. Ces regroupements permettent également à leurs membres de former un conglomérat d’acteurs qui sera mieux à même de peser dans la mise en place de ce nouveau marché.

Document 1

Les usages pédagogiques des TICE au service d’une priorité : le développement de l’offre de formation à distance
Peu après son arrivée en tant que chargée de mission au développement des TICE dans l’enseignement supérieur, Françoise Thibault définit les orientations du Plan d’action gouvernemental pour la société de l’information (PAGSI) (Bulletin officiel de l’Éducation nationale, 1er mai 1997). La nécessité de développer les TICE à l’université est attribuée « aux exigences actuelles du monde professionnel comme aux nouveaux modes d’accès à la connaissance qui s’appuient sur ces évolutions techniques ». Les enjeux relatifs à « la démocratisation de l’enseignement supérieur » et à « la demande sociale pour des dispositifs de formation plus souples tout au long de la vie » s’accompagnent d’une exigence de « rationalisation des moyens utilisés » et d’« aménagement du territoire ». Bien qu’il s’agisse d’une rationalisation des coûts pédagogiques grâce aux économies d’échelle potentielles, les enjeux économiques ne sont évoqués qu’à travers « le contexte concurrentiel créé par l’équivalence prochaine des diplômes au niveau international comme par la qualité des formations ouvertes proposées par les opérateurs privés ou étrangers ».
Pour faire face à ces « défis », le texte invite « chaque établissement à construire, en la matière, un projet global qui concerne toutes les structures de l’établissement ». L’articulation entre développement des nouvelles technologies et constitution d’une offre marchande passe par l’affirmation d’un lien entre la « production multimédia » et le développement des « usages pédagogiques » : « L’élaboration de produits informatiques, audiovisuels ou multimédias au sein de l’établissement, surtout lorsqu’elle est basée sur un travail collaboratif et qu’elle est intégrée au projet global, participe très étroitement au développement des usages. » Enfin, le texte propose « la création d’une structure de coordination appropriée » et la « nomination d’une personne auprès de l’équipe de direction ». Ce dernier point désigne en quelque sorte les « alliés stratégiques » que seront les chargés de mission dans les « cellules TICE ». Il établit les relations de collaboration entre l’État et les universités au niveau intermédiaire en chargeant les équipes dirigeantes des établissements supérieurs de « mettre en place les conditions propices au développement des technologies d’information et de communication et la réduction des déséquilibres entre les établissements ». C’est donc aux « conférences » de présidents d’université ou de direction qu’il appartient d’impulser les usages pédagogiques liés aux nouvelles technologies, en particulier grâce au partenariat avec le privé. La négociation entre des campus numériques et des fournisseurs de matériel ou de services informatiques à tarifs préférentiels est censée permettre aux étudiants et aux personnels d’université d’acquérir à prix avantageux ordinateurs, logiciels ou forfaits d’accès à internet.
Dans ce texte comme dans les autres textes officiels, le développement économique des TICE et les enjeux pédagogiques se trouvent implicitement mais étroitement imbriqués : la mise en avant de « l’amélioration de la qualité des services » éducatifs rendus aux étudiants se traduit par le développement de l’offre à distance.

Document 2

«… Il y a des critères qui sont indispensables. Premièrement, il faut que ce soient des groupements d’établissements. C’est la nouveauté qui est apportée par rapport au moyen d’action principal qui est le contrat quadriennal. D’un point de vue financier, c’est là où il y a le plus d’argent pour aider au développement des TICE. L’appel à projets « Campus numériques » se situe sur un autre plan, il y a beaucoup moins d’argent. On demande donc aux établissements de se regrouper en consortiums, ouverts éventuellement à d’autres établissements que les établissements d’enseignement supérieur et on demande que ces projets soient portés par les établissements. N’oublions pas qu’on est dans une phase où cela doit être pris en compte par l’institution. Un projet génial présenté par une équipe, mais qui n’a pas le soutien de l’établissement, n’est pas retenu. Premier critère, répondre à un besoin qu’il faut avoir identifié, et donc c’est un peu une analyse de marché si l’on veut. À quel besoin est-ce que l’on répond ? Il ne s’agit pas de se faire plaisir et de mettre en ligne des enseignements, il faut que ces enseignements correspondent à un besoin clairement identifié. Ce n’est pas toujours facile, d’ailleurs, parce que quand on est dans des dispositifs nouveaux, c’est difficile d’identifier ces besoins qui ne sont pas toujours visibles…
Le deuxième critère est que le dispositif de formation mis en place soit cohérent avec les besoins identifiés, c’est-à-dire on est sur des gros effectifs, des petits effectifs, les gens sont dispersés, ils ne sont pas trop loin, ils sont à l’international, on est sur la formation tout au long de la vie, on est sur la formation initiale. Il y a une diversité des besoins ; par conséquent, il faut une diversité des dispositifs de formation, il n’y a pas une manière unique de répondre et de mettre en ligne des formations. Enfin, troisième critère, il faut que le dispositif proposé soit pérenne, au-delà des subventions que le ministère va pouvoir apporter pendant une année, deux années, ou plus… Il y a un rôle d’impulsion, qui revient aux appels à projets. Ensuite, si le projet ne peut pas trouver des sources de financement dans l’établissement ou le fonctionnement normal d’une formation, on ne va pas le soutenir parce que ça veut dire qu’on va mettre de l’argent quelque part et que, quand on va couper ce soutien, il n’y aura plus rien. »
Entretien avec le chef du bureau Enseignement supérieur, sous-direction des nouvelles technologies éducatives

8La formation à distance dans l’enseignement supérieur peut être assimilée à l’émergence d’un nouveau marché dont les termes économiques (nature de l’offre, nature du public visé, réglementation, régulation par l’État…), ainsi que la hiérarchie qui prévaudra entre les futurs fournisseurs de Formation ouverte à distance (FOAD), restent à définir. Neil Fligstein assimile le processus de construction d’un nouveau marché à celui d’un mouvement social [6]. Il montre notamment comment, en interaction avec le pouvoir politique, des acteurs économiques a priori concurrents ont intérêt à se regrouper afin de former un groupe puissant qui pourra mieux imposer aux autres acteurs, y compris à l’État, sa conception du marché – tant ses règles et ses enjeux sont encore imprécis –, pour mieux contrôler ensuite la compétition, une fois le marché en voie de stabilisation. C’est ce qu’on peut observer ici à travers les campus A et B qui se sont de fait construits à partir de collaborations entre des universités françaises reconnues comme les plus importantes en taille et en renommée. Comme le montrent la présence comme conseiller auprès du ministère du coordinateur du campus A, ou encore le rôle de « veille technologique » confié au campus B, cette stratégie est payante : on fait référence constamment à ces deux exemples dans les entretiens réalisés ici [7]. Ainsi la domination du champ par quelques acteurs majeurs, liés par ailleurs dans les représentations universitaires à des universités de renom, permet-elle aux chargés de missions de présenter des projets dont la rationalité politique, la cohérence et la légitimité sont renforcées.

9Enfin, l’analyse de Fligstein sur l’implication dans la construction d’un nouveau marché d’acteurs situés a priori dans des secteurs d’activités proches ou même très différents permet de comprendre comment sont utilisés les TICE pour le développement de l’offre de formation. Dans ce domaine travaillent des acteurs issus de l’enseignement supérieur et de la formation continue mais aussi de la formation professionnelle, traditionnellement plus éloignée en termes de préoccupations économiques ou pédagogiques. Les sites internet des différents groupes de travail ou associations de promotion des TICE (GEMME, Le Préau, Algora, ITEMSup, etc.) font de nombreuses références communes aux acteurs du privé et du public, sur des problèmes d’ordre technique (mise en place d’outils informatiques interactifs) ou organisationnel (comment gérer le tutorat des apprenants). L’une des principales conséquences de l’émergence de cette communauté est la perméabilité des frontières, qui permet la diffusion, auprès des agents du pôle universitaire, de problématiques d’évaluation des compétences ou encore de qualité du service rendu – problématiques d’habitude à l’œuvre dans l’industrie. Au-delà de ces échanges, on pressent ici la nécessité pour chacun, appuyée par une volonté de l’État, de se créer une identité commune au-delà des cloisonnements professionnels. Les TICE jouent là un rôle fédérateur propre à faciliter la définition d’un marché économiquement stable, associant compétitivité et possibilité de survivre au sens politique. L’enjeu est pour l’État de garder une part de contrôle politique, que ce soit pour maintenir le droit à l’enseignement supérieur pour tous ou pour imposer une éducation tout au long de la vie qui respecte les canons de la démocratie républicaine, tout en se désengageant financièrement et en favorisant l’autonomie des acteurs institutionnels [8].

10L’imbrication du pédagogique et de l’économique, aussi bien dans les textes officiels que dans les discours des acteurs impliqués dans la construction de ce marché, fait apparaître la formation à distance comme une simple réponse « technique » à des questions pédagogiques. D’une certaine manière, ce marché est présenté officiellement comme la solution pédagogique destinée à remédier aux « défis » auxquels l’enseignement supérieur serait aujourd’hui confronté : l’échec en DEUG, la stagnation des effectifs étudiants, l’absence de tradition « pédagogique » de l’institution universitaire, etc. Si une partie des acteurs interrogés pour l’enquête ou des textes officiels consultés tend à minorer la dimension marchande des campus numériques, et à les distinguer de l’offre de formation à distance, cette dimension est néanmoins explicite dans le texte qui fixe le cadre juridique des campus numériques. Celui-ci précise en effet, dans la partie consacrée à la gestion financière de l’activité, que « toute inscription d’un étudiant à un ou plusieurs modules diplômant à distance via le dispositif “Campus numériques” donne lieu au paiement de droits et de frais spécifiques de formation perçus par l’établissement d’inscription » et qu’« un tarif unique de ces frais de formation est proposé pour chaque diplôme par les membres du comité de direction ». Dans la mesure où les subventions sont pensées comme provisoires et que l’offre de formation est définie en fonction de « besoins » ou de caractéristiques attribués à des publics potentiels [9] (par opposition à une sélection scolaire du public par rapport à une offre de formation), on peut parler de choix pédagogiques en faveur d’un marché de la formation à distance qui affecte déjà les frontières entre la formation initiale (gratuite) et l’investissement dans des formations continues (payantes). Cette frontière s’estompe avec la formation à distance qui vise parfois aussi bien le premier public que le second tout en pratiquant des tarifs plus proches de ceux de la formation continue que de la formation initiale. Le prix de la formation à distance se trouve le plus souvent bien plus élevé qu’en formation initiale « classique » ou même qu’en formation à distance traditionnelle (comme celles dispensées par exemple par le CNED). Le tarif unique préconisé (et appliqué dans les formations à distance) par le cadre juridique des campus numériques autorise cet effacement.

Glossaire

AGCS (ou GATS)
L’Accord général sur le commerce des services (General Agreement in Trade in Services) entré en vigueur en janvier 1995 est un ensemble de règles multilatérales destinées à libéraliser le commerce international des services selon les propositions faites par les gouvernements des pays membres de l’OMC. Il se compose d’un accord-cadre définissant les règles dans lesquelles se réalise cette libéralisation et de listes nationales qui indiquent les engagements spécifiques de chaque pays concernant l’accès à des fournisseurs étrangers à leurs marchés intérieurs.
AMUE
L’Agence de modernisation des universités et des établissements s’occupe essentiellement de « mutualiser » des activités et des outils de gestion des universités (Harpège, Apogée, Nabucco). Le ministère et la CPU demandent aujourd’hui à l’AMUE de jouer un rôle dans la promotion des TICE. Suite à cette demande, un département « Services » a été créé pour mettre en œuvre l’engagement conclu avec le ministère dans le cadre du contrat quadriennal d’accompagner le développement des TICE à l’université. L’AMUE est aujourd’hui très active sur cette question.
ESMM
L’Enseignement sur mesure médiatisé entend répondre à la diversité des situations étudiantes. « En prenant l’étudiant comme centre du système universitaire, l’ESMM a pour projet de prendre au sérieux cette demande individualisée et de tenter de la satisfaire dans le jeu de contraintes qu’imposent les missions de l’université (équité, diplômes…), les exigences numériques d’un enseignement de masse, les structures matérielles et administratives existantes, et les budgets toujours insuffisants. L’adaptation de l’offre de formation à cette demande serait très difficile à réaliser si un phénomène nouveau, l’irruption des nouvelles technologies d’information et de communication, ne venait offrir une possibilité non négligeable de faire évoluer profondément l’offre de formation vers cette exigence d’individualisation, en restant dans le cadre des budgets et des structures de l’université » (Bulletin de la cellule des innovations pédagogiques du campus B, décembre 1997, 4, p. 3).
FIED
La Fédération interuniversitaire de l’enseignement à distance est une association de type loi 1901 créée à l’initiative du ministère de l’Éducation nationale pour fédérer en un réseau les universités qui ont développé de l’enseignement à distance et en ligne sous différentes formes en s’appuyant sur les centres de télé-enseignement universitaires, les services d’enseignement à distance, les UFR, etc.
RIP
Le label « Reconnu d’intérêt pédagogique » est une marque déposée à l’Institut national de la propriété industrielle. Elle fait partie des initiatives prises par le ministère de l’Éducation nationale pour encourager la création et la labellisation de produits pédagogiques dans le cadre des TICE.
RUCA
Réseau universitaire de centres d’autoformation. Créé en 1987 alors qu’il s’agissait d’impulser les techniques audiovisuelles et subventionné par le ministère, le RUCA se donne pour mission de développer « l’enseignement médiatisé » et de « mutualiser » les expériences universitaires relatives à ce domaine. Il fonctionne actuellement comme un prestataire de services éducatifs en ligne : il a récemment constitué une université en ligne qui dispense des cours en ligne de maths, physique, chimie, biologie, de niveau DEUG « maths, physiques et sciences de la matière » qui sont vendues aux universités intéressées. Celles-ci peuvent en faire un des services qu’elles offrent à leurs étudiants dans le cadre de leurs campus numériques aussi bien que dans un cadre « classique ».
VAE
La « validation des acquis de l’expérience » s’inscrit dans le cadre de la loi sur la modernisation sociale. Elle vise l’ajustement de l’offre de formation à des besoins individuels en « ouvrant » l’enseignement supérieur à des publics qui ne possédent pas le niveau de formation jusqu’à présent requis pour avoir accès à une formation supérieure (le baccalauréat ou son équivalent).
Pour prendre quelques exemples indicatifs, une année de DEUG de droit avec le CNED en formation traditionnelle (papier) coûte 285 € pour les étudiants qui paient eux-mêmes leur formation, et 770 € pour ceux qui sont subventionnés par leur employeur ou un autre organisme. Le campus numérique en ligne « multidroit » offre une formation en droit (qui ne donne pas lieu à un diplôme national, mais à un diplôme d’université) qui comprend six modules à 275 € par module en formation initiale et 965 € en formation continue. Le prix de la formation « initiale » s’élève donc à 1 650 € et 5 790 € pour la formation continue. La licence de chimie offerte par le SCCP (université du Maine) coûte 2 400 € pour la formation continue et 1 120 € en tarif normal contre 685 € et 250 € pour une licence de génie électrique du CNED (qui est la plus proche en termes de contenu pédagogique). Mais on peut faire l’hypothèse que la valeur sociale des produits intervient dans la constitution des prix du marché : ainsi la licence de sciences de l’éducation offerte par le campus FORSE s’élève à 1 750 € en plein tarif et 1 050 € pour les chômeurs (ce qui la rapproche des tarifs du CNED) alors qu’une licence d’économie gestion offerte par le campus CANEGE, qui est associé à des universités pleinement reconnues et valorisées par le marché du travail, s’élève à 3 800 € par an, le coût du module séparé s’élevant à 400 €.
De son côté, la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (qui dépend du ministère de l’Emploi et de la Solidarité) a lancé des appels d’offres destinés à développer la formation continue dans les universités, et a récemment publié une circulaire permettant de faire entrer la FOAD dans le cadre juridique et économique de la formation continue tout en assurant la solvabilité de la demande. Son objet était de « préciser les obligations de formations et l’imputabilité des dépenses sur l’obligation de participation des employeurs, dans le cas de mise en œuvre des formations ouvertes et/ou à distance [10] ». Tout en fixant les moyens de contrôler la définition et la vente des activités de formation à distance, cette circulaire assouplit le cadre juridique antérieur en précisant que, « compte tenu des évolutions technologiques ou des pratiques pédagogiques, les regroupements ne constituent pas une exigence du point de vue du contrôle, dès lors qu’il existe d’autres formes de suivi, d’encadrement et de contrôle de l’assiduité ». Cette intégration de la FOAD dans le cadre juridique de la formation continue est double en termes de rationalité économique : c’est non seulement un nouveau marché qui se constitue mais aussi la possibilité d’une rationalisation des coûts de la formation, comme l’explique le directeur du Centre d’innovation pédagogique (CIP) du campus B (document 3). Cette rationalisation préconisée dans le mémorandum de la Commission européenne sur l’éducation et la formation tout au long de la vie est (re) formulée en termes d’aménagement du territoire dans le rapport de mission sur les campus numériques [11]. « La FOAD participe au développement économique régional, notamment par l’amélioration des compétences des personnels d’entreprises, souvent peu disponibles, qui font l’avenir de la région. » Un autre enjeu est de « donner à la France la possibilité d’être présente sur le marché mondial de la formation et, d’autre part, les moyens de développer des coopérations qui lui permettent d’assurer son rayonnement scientifique, culturel et technologique ». Le contexte de mondialisation économique est utilisé dans le même rapport pour justifier la construction de ce marché : « Jusqu’à une période récente, l’éducation a été absente du débat sur la globalisation car elle était considérée comme un service non commercial. Mais ce n’est plus le cas et les échanges commerciaux engendrés par ce type de services sont en progression importante. De plus, les négociations de l’Accord général sur le commerce et les services (AGCS) commencées en janvier 2000 sous les auspices de l’OMC ont porté sur 70 propositions dans une large gamme de services, dont une sur les services d’éducation. Réunis à Paris en avril 2001, les ministres de l’Éducation des pays membres de l’OCDE ont révélé dans leurs discussions des points de vue très divergents sur les bénéfices du commerce des services d’éducation, leur désir d’inclure dans les négociations multilatérales le degré de libéralisation qui pouvait être toléré. Ils ont donné mandat à l’OCDE d’examiner les implications de l’internationalisation à la fois sur la demande de compétences et l’offre de formation, ainsi que sur la partie commerciale. » La constitution d’une offre de formation à distance ne peut donc être dissociée d’un processus international qui tend à conférer au marché une part de l’autorité antérieurement dévolue à la puissance publique [12]. L’existence de tels mandats accordés à l’OCDE (et aussi d’accords multilatéraux comme l’AGCS) permet de comprendre que le rôle imparti à l’État dans cette configuration est à la fois un travail de reformulation (dans des termes pédagogiques ou empruntés à d’autres configurations historiques et politiques) des enjeux économiques et d’organisation du marché.

Document 3

«… Il y a plusieurs types d’enjeux. Il y a des enjeux pédagogiques, qui concernent la lutte contre l’échec scolaire. Le principe est qu’on devrait arriver à supprimer une partie de l’échec dans ce type d’enseignement, centré sur l’apprenant, susceptible de choisir des formes assez variées, et adapter ses rythmes. Il y a aussi un problème économique : c’est un marché énorme… et donc soit le secteur public (universités et grandes écoles) y va, soit l’enseignement supérieur à distance est fait par Microsoft… Enfin les grandes multinationales… Ça fonctionne un peu tout seul, l’enseignement à distance… Vous vous baladez sur internet, c’est bourré de tas de systèmes d’enseignement à distance… C’est un marché qui s’est construit à partir du moment où il y avait des outils. Des gens qui les construisaient et des demandeurs en face qui en avaient besoin.
Q : Oui, à partir du moment où il y a des possibilités technologiques, des entreprises comme Microsoft sont intéressées…
R : Toutes les entreprises sont intéressées de toute façon. D’abord, au niveau formation continue, c’est un moyen fantastique de former les gens tout en les laissant au boulot… Ça ouvre une gamme de perspectives gigantesques : on va pouvoir former les gens sans les perdre dans les entreprises… »
Entretien avec le coordinateur du campus numérique B

11Ainsi les conditions de constitution d’un marché concret restent d’abord politiques. L’autonomie et la responsabilité croissante des universités font partie des conditions qui permettent aux présidents d’université d’opérer, dans le cadre de la CPU, un travail de reformulation des missions des établissements et de proposer des « diplômes d’université » ciblant un public qui n’est pas nécessairement recruté selon les critères académiques habituels imposés dans le cadre des diplômes nationaux, ces « diplômes d’université » leur permettant de se placer sur le marché de la formation en se différenciant des autres universités. On peut, à titre d’exemple, citer la cyber-université Henri-Poincaré qui offre un BADGE (Bilan d’aptitude délivré par les grandes écoles), ISO 9001 (moyennant 300 € par module, la formation en comportant huit) ou un DUAP (Diplôme d’approfondissement professionnel) en électronique, électrotechnique et automatique au même tarif. Cette différenciation de l’offre rend difficilement comparables les formations parce que ce ne sont jamais ni les mêmes publics qui sont visés ni les mêmes produits qui leur sont proposés. Elle est un des moyens qui permet au marché de se déployer tout en limitant la concurrence qui le régule officiellement d’après la théorie économique classique. À ce jour, 111 diplômes nationaux sont préparés à distance contre 39 diplômes d’université. Dans un texte récent consacré à l’autonomie et à la responsabilité des universités, la CPU précise en effet, après avoir affirmé son attachement à « cette notion de service public qui renvoie à une égalité d’accès pour tous les étudiants, quelle que soit leur origine sociale et quel que soit le point du territoire auquel cet accès doit avoir lieu », qu’« au-delà de la licence, la diversification et la spécialisation de l’offre de formation doivent devenir la règle afin que chacun puisse construire un parcours de formation pertinent et adapté à ses propres objectifs professionnels. Cette diversification de l’offre de formation doit être construite à travers des filières suffisamment nombreuses pour répondre à la demande de formation initiale et continue ». Comme l’observe un des chargés de mission interrogés : « Dans le monde universitaire, je crois qu’on a tendance à penser organisation par rapport à son offre et pas par rapport à la demande étudiante. C’est une façon de penser autrement, c’est d’être près de la demande. » Cette diversification de l’offre, fondée sur l’ajustement à des demandes individuelles entraîne aussi une différenciation des prix : « Comme les autres services publics, l’enseignement supérieur a un coût pour la nation et n’a donc pas forcément vocation à être entièrement gratuit pour les usagers. Il faut sans doute réfléchir à une responsabilisation des étudiants à travers un lien financier plus fort avec leurs établissements, notamment pour les diplômes les plus professionnalisants, même si en tout état de cause la participation financière des étudiants doit rester largement inférieure au coût de celle-ci [13]. »

12De son côté, le ministère contribue à la différenciation de l’offre dans les critères de sélection des campus numériques, en écartant les projets qui aboutiraient à une offre de formation « redondante ». Tout comme la « diversification de l’offre de formation » et son « ajustement aux besoins d’un public potentiel [14] », qui n’est plus référé à un idéal collectif de niveau de formation requis, l’effacement de la frontière actuelle entre formation continue et formation initiale au profit de la formation tout au long de la vie est l’une des conditions nécessaires à la construction d’un marché de la formation à distance. Cet effacement est déjà à l’œuvre dans certaines formations à distance qui proposent les mêmes tarifs aux deux catégories d’étudiants visés. Toutefois, il est loin d’être général et surtout la distinction n’est pas institutionnellement ni politiquement abolie : les deux types de formation relèvent encore de registres de droits, de ministères et de tarifs différents, au moins pour l’enseignement « en présentiel ». L’idée se profile néanmoins dans la plupart des textes étudiés que cette distinction n’est plus valide (document 4). Dans ce contexte politique, la promotion de « l’éducation tout au long de la vie » se trouve associée à une redéfinition des frontières entre les formations, au profit du modèle marchand qui régit déjà la formation continue [15]. L’utilisation du terme « apprenant » dans les textes officiels consacrés à la FOAD pour désigner à la fois le public de formation initiale et celui de formation continue illustre cette redéfinition : moins connotée que celle des termes « client » ou « usager », elle signifie que les frontières sont désormais dépassées.

Document 4

La « responsabilisation » financière de l’apprenant tout au long de la vie
Selon le rapport sur les « campus numériques » réalisé sous la direction de Michel Averous et Gilbert Touzot, le développement de la formation à distance remet en cause les schémas sur lesquels était basée « la politique française en matière d’enseignement supérieur », et notamment « la création d’universités nouvelles, la croissance du nombre d’IUT, les cursus centrés sur la poursuite des diplômes, et organisés en année, plus récemment en semestres, la séparation entre formation initiale pratiquement gratuite et formation continue payante, les systèmes de bourses et d’aides aux étudiants basés sur la présence physique dans l’établissement (restaurants universitaires et autres services sociaux, résidences du CROUS) ».
Le financement par l’État de la FOAD devrait donc permettre de réexaminer « la distinction entre formation initiale payée par l’État et la formation continue payée par l’apprenant ». D’une part, il serait possible de « donner un potentiel d’années de formation gratuite à tout citoyen, qu’il utiliserait à sa guise, sous la forme qu’il souhaite (chèque formation) » ; d’autre part, « l’apprenant » pourrait intervenir dans le financement de certains services additionnels de formation, « comme c’est le cas dans les formations à distance du CNED ». L’idée de compte de formation individuelle, mise en avant par la Commission européenne, est citée en exemple : « Les intéressés sont encouragés à participer au financement de leur propre formation grâce à une épargne et des versements spéciaux auxquels viennent s’ajouter des sommes équivalentes ou complémentaires provenant d’aides et d’allocations publiques ou privées. »
Les « nouvelles compétences de base » qui resteraient à la charge de la formation initiale se trouvent ainsi redéfinies : « les compétences en technologies de l’information, la maîtrise des langues étrangères, une culture technologique, l’esprit d’entreprise et des aptitudes sociales ».

Les pionniers de la formation à distance

13La conversion des enseignants-chercheurs à l’usage pédagogique d’internet a été encouragée par le ministère à l’aide de séminaires ouverts à tous et fondés sur le volontariat : une offre de formation des enseignants-chercheurs à la production multimédia, présentée sous l’angle de la modernisation technique des pratiques pédagogiques, a été assurée par les cellules TICE et les chargés de mission aux nouvelles technologies au sein des universités. Ces chargés de mission, qui se perçoivent comme des pionniers ou des innovateurs pédagogiques, voire des militants, sont portés à associer développement technologique et progrès social. Parmi eux, les ingénieurs ou les chefs de projet constituent l’essentiel du personnel des cellules TICE, même si ce sont les enseignants-chercheurs qui, par définition, produisent les contenus. La dimension « ingénierie », qu’elle soit pédagogique ou plus purement technique, apparaît comme une constante de leur formation et/ou du poste qu’ils occupent. Le campus A, par exemple, emploie six personnes à temps plein, dont un chef de projet, qui dirige la structure, un assistant chef de projet, un ingénieur infographiste, un ingénieur pédagogique, deux ingénieurs d’études. Le « centre d’ingénierie pédagogique » du campus B a une mission similaire aux cellules TICE : développer l’usage des TICE, former les enseignants-chercheurs à leur utilisation, leur fournir l’infrastructure technique et humaine nécessaire, formuler des projets dans le cadre des contrats quadriennaux ou des appels d’offres du ministère, etc. Il a sensiblement la même composition, excepté le directeur qui est maître de conférences-ingénieur de formation, diplômé du CNAM ; il s’est ensuite orienté vers l’utilisation des mathématiques en sciences sociales. Les cinq autres cellules étudiées sont également composées de postes d’ingénieurs ou de professeurs associés.

14À l’IEP de la ville du campus A, le développement des TICE est confié au directeur du centre de documentation qui est également recruté en tant que chargé de mission. Celui-ci, après avoir passé une maîtrise de philosophie, est reçu au concours national de conservateur des bibliothèques, travaille au ministère de l’Éducation nationale dans un service chargé de l’informatisation des bibliothèques et reçoit, à cette occasion, une formation d’analyste en informatique tout en préparant un DEA en sciences de l’information. Puis il travaille pendant quelques années dans une entreprise privée spécialisée dans la production de services multimédias. Au niveau de ceux qui sont chargés, au ministère, de la mise en œuvre des TICE (par opposition aux fonctions plus politiques), on retrouve des caractéristiques semblables. La chargée de mission qui entre en fonction en 1997 possède un DESS en « ingénierie pédagogique ». Le chef du bureau D3 qui la remplace depuis janvier 2002 est agrégé d’histoire : spécialisé dans l’usage des technologies pédagogiques, il a formé des enseignants du secondaire dans le cadre de la MAFPEN et dirigé pendant plus de dix ans en tant que PRAG un service de production audiovisuelle à l’université de Nancy II [16]. Les liens sont d’ailleurs étroits et nombreux entre les chargés de mission ou conseillers ministériels aux nouvelles technologies et ceux qui agissent au niveau de l’université : rencontres à l’occasion de la présentation ou du bilan des différents projets, responsabilités communes au ministère dans les équipes qui assistent les chargés de mission ou les chefs de bureau, interventions comme consultants ou médiateurs au titre d’une mission spéciale, etc. [17]. Ceux qui entretiennent avec le ministère des liens privilégiés sont d’ailleurs conviés à des missions plus ponctuelles comme en octobre 2001 la visite officielle aux États-Unis d’établissements scolaires utilisant les nouvelles technologies [18].

15Ce recours à des ingénieurs, chefs de projet et consultants extérieurs est justifié par la nécessité de mobiliser des acteurs dotés des compétences techniques pour accompagner les enseignants-chercheurs dans le travail de transformation d’un cours en produit multimédia. Le rapport Algora sur « les besoins de formation des personnels de l’enseignement supérieur à l’usage des TICE dans le processus enseigner-apprendre » formule ainsi les besoins d’un établissement qui s’est engagé dans un processus de production multimédia : « Devant cette nécessité de produire, l’établissement a identifié deux stratégies : soit considérer l’enseignant comme un homme orchestre, capable de tout faire, c’est-à-dire de maîtriser l’ensemble de la chaîne de production, soit recruter des personnels compétents. La deuxième solution est retenue et un ingénieur est recruté [19]. » Les chargés de mission doivent donc essentiellement amener les enseignants-chercheurs à une autre définition de leur métier : personnellement convaincus, d’une part, que la technologie peut jouer un rôle déterminant dans l’apprentissage et accroître l’efficacité du travail enseignant, ils trouvent aussi à l’occasion de leur mission un moyen de s’affirmer professionnellement après des trajectoires « chaotiques ». Les trajectoires du chargé de mission du campus C (collaborant avec le campus A), du responsable du CIP du campus B et du chef de projet du campus A sont à cet égard exemplaires.

16Le chargé de mission du campus C a été détourné de la trajectoire que lui promettait sa réussite scolaire et son entrée en faculté de médecine par des engagements politiques pris dans le contexte « post-soixante-huitard » : il trouve un moyen de « retomber sur ses pieds » en réussissant le concours de l’École normale d’instituteurs, qui lui permet de reconvertir son engagement politique en militantisme pédagogique (document 5). Se sentant ensuite limité dans ses perspectives de carrière, il reprend des études universitaires qui le conduisent à une thèse d’informatique, mais l’accès à une carrière universitaire lui est barré à cause d’un contexte local défavorable. Il propose alors ses compétences informatiques au conseil régional pour travailler à la réalisation d’un « cartable électronique [20] », moyennant l’obtention d’un demi-poste qui lui permet ensuite d’être recruté à l’université comme PAST. Celle-ci dépose alors la marque « cartable électronique » au moment où le ministère incite fortement les universités à développer les nouvelles technologies et où cette université, déjà pourvue d’un chargé de mission aux TICE (c’est alors un enseignant-chercheur statutaire), ne trouve pas chez ce dernier la mobilisation nécessaire. Fidèle à son passé militant, le nouveau chargé de mission opère rapidement des choix « afin de développer des services dont la masse des étudiants pourrait bénéficier » plutôt que, par exemple, des formations à distance. Le parcours du coordinateur du campus B ne passe pas par le militantisme pédagogique, mais est d’abord marqué par des engagements politiques dans le contexte de Mai 68, qui l’amènent à différer sa thèse, tardivement soutenue, après avoir été intégré comme assistant à l’université B au moment où elle recrutait massivement (document 6). Il éprouve la même conviction pédagogique des vertus de l’informatique que le précédent. Enfin, le chef du projet A parvient au poste qu’il occupe après avoir fait des études de géographie interrompues par son service militaire. Engagé en tant qu’objecteur de conscience alors qu’il avait tout juste commencé sa thèse, il travaille comme « agent de développement associatif » avant de devenir formateur pour accompagner les programmes de développement en milieu rural dans le cadre d’un projet qui consiste à regrouper tous les dispositifs de traitement de l’exclusion (document 7). C’est à partir de ces premières expériences qu’il commence « à fédérer ce qui était impossible à fédérer » et qu’il s’aperçoit, étant impliqué à la fois dans la formation continue et dans la lutte contre l’exclusion, « qu’il y avait des dysfonctionnements majeurs dans le système éducatif ». Sa conception des TICE et de leur rôle illustre un clivage entre ceux qui voient dans les nouvelles technologies un outil de rationalisation du travail enseignant et ceux qui sont davantage mus par une vision enchantée de l’innovation technologique en pédagogie. Les premiers vont, par exemple, reprocher aux seconds de mettre en œuvre des campus très coûteux sans avoir réalisé d’étude de marché préalable et de rétribuer exagérément les enseignants producteurs de multimédia. Ils estiment qu’ils ont des débats dépassés lorsqu’ils organisent des colloques sur les avantages de tel ou tel outil multimédia [21], certains allant jusqu’à dire que « le contenu, on s’en fout, ce qui compte, c’est les compétences que les enseignants sont capables de mettre en œuvre pour accompagner l’apprenant ». Mais, dans les deux cas, l’opposition entre l’ancien et le moderne, le passé et l’avenir, constitue le cœur de leur vision. Elle se retraduit par une disqualification des pratiques pédagogiques dites « classiques » ou « traditionnelles » (document 8).

Document 5

«… Je suis arrivé à l’université en 1999, après avoir fait une année et demie de boulot d’ingénieur expert pour monter un réseau haut débit en lycée. Initialement, j’étais instituteur pendant une douzaine d’années, mais j’ai fait un doctorat d’informatique. Je me suis intéressé à l’informatique dès 1982, et plus exactement à l’utilisation de l’informatique pour l’apprentissage de la lecture. La nomination de Savary au ministère de l’Éducation avait donné le signal qu’il était possible d’impulser un certain nombre de transformations dans le système éducatif. Pendant quelques années, pas mal de gens se sont engouffrés dans l’innovation en essayant de faire des choses là où ils étaient pour faire avancer le système. Et un des gros débats de l’époque portait sur la lecture. L’idée était que l’école, qui remplissait une mission d’alphabétisation, était confrontée à un autre problème, qualifié de « lecturalisation » : comment rendre des gens lecteurs et pas simplement déchiffreurs ? Les gens allaient être inévitablement confrontés dans leur vie quotidienne à une multiplicité d’écrits de toutes sortes et il semblait qu’il n’y avait plus adéquation entre ce que l’école pratiquait de ce point de vue-là et les besoins réels de la population en matière d’écrit. Je me suis donc engagé dans des innovations dans mon métier d’enseignant. Cela coïncidait avec le développement technique et le fait que l’informatique devenait un outil plausible, dans ce domaine-là, un peu sur le modèle des simulateurs d’échec… Je militais au sein de l’Association de Foucambert, l’Association française pour la lecture (AFL), qui était elle-même rattachée à l’Institut national de recherche pédagogique (INRP). J’ai participé dans ce cadre à la fabrication d’outils d’entraînement et de production d’écrits vendus aujourd’hui par le biais de la CAMIF en France. J’ai bossé dans cette mouvance-là jusqu’en 1986, ce qui m’a amené à m’intéresser à l’informatique, donc, du coup, à devenir une espèce de programmeur de salon pour essayer de faire des choses pratiques, et pour participer au travail de l’AFL… »
Entretien avec le chargé de mission du campus C

Document 6

« Q :… Comment vous êtes-vous intéressé aux TICE ?
R : C’est venu par trois voies. Mon trajet personnel m’a donné une culture technique et sociale : j’ai fait un diplôme d’ingénieur puis de la sociologie et des mathématiques appliquées aux sciences sociales. J’ai commencé l’informatique avec des cartes perforées et je faisais passer des programmes. Quand il y a eu l’opération Informatique pour tous en 1985, je faisais partie de ceux qui ici essayaient d’implanter des salles de libre-service et des salles d’enseignement avec des ordinateurs, car il n’y en avait pas à l’université. Dès qu’il y a eu des questions d’application pédagogique avec l’informatique, j’ai toujours été un petit peu là-dedans, par compétence, et par goût. Ensuite, vers 1995, on a été deux ou trois enseignants à constater que ça bougeait un peu partout, avec internet, et qu’il ne se passait rien à l’université B. alors qu’on voyait ce qui se produisait ailleurs…
Q : Dans les autres universités ?
R : Oui, dans le privé évidemment, dans les écoles de commerce et d’ingénieur. Dans notre université, chacun était un peu livré à lui-même sur les questions d’innovation pédagogique. On est donc allés voir le président à trois ou quatre et il nous a encouragés à monter une cellule. On l’a appelée la CIP, la cellule d’innovation pédagogique. L’objectif était d’essayer d’avoir un lieu qui serve de référence pour les enseignants. Au début en 1995, on faisait essentiellement de l’animation : la démarche était de montrer aux enseignants ce qu’on pouvait faire avec les TICE…
Q : Et il y avait une demande ?
R : Non justement, il n’y avait pas de demande. Ni d’offre… On voyait qu’il se passait plein de choses autour, et qu’on risquait de ne pas en être, c’est tout ! »
Entretien avec le coordinateur du campus B

Document 7

« R :… Tout ce travail a permis d’identifier un certain nombre d’objectifs forts pour améliorer le système éducatif et, en 1994, on a mis en place une charte pour la qualité de l’école, que j’ai pilotée pendant trois ans avec le rectorat. Dans tous ces dossiers-là, il y avait des choses sur la lutte contre l’isolement des enseignants et la disposition d’allocation d’informations à vocation culturelle. On a mis en place des réseaux télématiques qui reliaient un peu plus de 140 écoles primaires. Il a fallu former les enseignants tout en adaptant les outils à leurs besoins pour qu’ils puissent travailler en réseau. Et en fait, c’est sur cette compétence-là principalement que je me suis retrouvé à animer pour le département, entre 1997 et 1999, un ensemble de projets dans le primaire et le secondaire sur l’utilisation des TICE. J’ai accompagné plusieurs projets, dont le projet du campus A de 1997 à 1999 : quand il a fallu recruter un responsable, on m’a demandé d’assurer cette fonction-là. Après, à partir de 1999, j’ai dû changer de système, ne plus travailler avec les collectivités territoriales, mais avec des universités, ne plus être avec des profs de collège ou de lycée, mais avec des profs d’université. Pendant un peu plus d’un an j’ai donc travaillé tout seul au projet du campus A, puis la deuxième année on s’est retrouvés à sept ou huit et maintenant on a douze équivalents plein temps. Cela fait évoluer mon métier d’animateur isolé, il a fallu que je fasse du pilotage de structures, avec des budgets importants à dépenser, des équipes à coacher…
Q : Quel est le fonctionnement institutionnel et économique de cette structure ?
R : Le campus A est un projet qui est rattaché depuis deux ans au « pôle européen » qui est un groupement d’intérêt public pour son évolution budgétaire. À partir du 1er janvier 2003, ça doit repasser au niveau de l’université, avec un centre de responsabilité budgétaire d’université qui va exécuter un budget pour le compte de l’intérêt universitaire. Ce budget est composé de la participation des établissements acquise dans le cadre des contrats quadriennaux. Les ressources sont ainsi mutualisées et reversées au niveau interuniversitaire ; le budget que l’on récupère principalement au niveau de la région et un peu au niveau de la métropole, à A. Il y a aussi des budgets constitués par des appels à projets nationaux ou européens. Il y a aussi un tout petit peu de budget d’entreprise mais trop peu à mon goût…
Q : Les termes de l’échange ne sont pas encore posés…
R : Les termes de l’échange ne sont pas encore posés et je ne vais pas aller les voir en leur tendant la main. Mais on met en place des choses. L’idéal, ce serait qu’on puisse fonctionner avec des entreprises qui mettent en œuvre des corporates universities, des centres de formation interne avec des méthodes proches des nôtres, qui auraient besoin de transfert de compétences entre ce qu’on fait dans les universités et ce qu’ils peuvent faire, eux, à la fois sur les formations à l’ingénierie pédagogique et les formateurs qui vont avec. Il faudrait qu’on en profite pour augmenter la part de formation continue soit avec des formateurs, soit avec du contenu produit par les universités. Par conséquent, toute la partie informatique est secondaire, c’est pour ça que ma problématique n’est pas d’être à la pointe de l’innovation et de la formation à distance, c’est plutôt de mettre en valeur un levier de réorganisation et d’augmentation potentielle de la productivité. Utilisons cet outil : la finalité n’est pas d’utiliser les technologies, mais que les gens fassent mieux leur travail, que ce soit plus simple pour eux, plus efficace pour leurs usagers et leurs clients. Et il y a toutes les chances que ça se fasse avec les technologies de l’information. »
Entretien avec le chef de projet du campus A

Document 8

L’enseignement ex cathedra et l’enseignement sur mesure médiatisé (ESMM)
L’opposition entre la pédagogie traditionnelle et la pédagogie moderne est exprimée de manière exemplaire dans la distinction entre l’ESMM et « l’enseignement ex cathedra » : « Les missions de l’école ou de l’université voudraient que l’on tienne compte de ces spécificités (du public) pour y adapter chaque action de formation, afin d’amener chaque étudiant au niveau de compétence que définit un diplôme, et ce, au moindre coût humain et financier. Au lieu de cela, un enseignement ex cathedra, une pédagogie indifférenciée et peu interactive, une absence de toute évaluation sérieuse de la rentabilité de l’apprentissage pédagogique, conduisent de nombreux étudiants à la démotivation, la passivité généralisée et le bachotage qui confond cursus et course d’obstacles » (Bulletin n° 4 de la Cellule d’innovation pédagogique, décembre 1997, p. 3).

17Pour ces pionniers, il va de soi que, moyennant la production de supports de qualité, l’enseignement à distance est plus « interactif » que l’enseignement « en présentiel » : il permet à l’étudiant de communiquer avec l’enseignant en dehors des heures de cours, grâce au courrier électronique. Il est aussi considéré comme plus efficace car il peut permettre à « l’apprenant » d’accéder à des masses considérables d’informations. Il est notamment crédité d’être « davantage centré sur l’apprenant [22] » et donc de le mettre en activité cognitive (par opposition à un enseignement classique qui assignerait par définition les étudiants à un statut de réceptacle passif de la parole enseignante). Pour toutes ces raisons, il constituerait une solution au problème de l’échec en DEUG, en obligeant les enseignants-chercheurs à faire « évoluer leurs pratiques pédagogiques ». Les chargés de mission TICE se défendent en effet d’être au service de la technique ou de la modernité ; ils ne se définissent pas comme des spécialistes de l’informatique, mais plutôt comme des spécialistes de « l’ingénierie de formation ».

La définition de la communauté de travail universitaire par Algora

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La définition de la communauté de travail universitaire par Algora

18Toutefois, cette croyance dans les vertus pédagogiques de l’innovation technologique est souvent associée à ce qui apparaît comme une forte hostilité à l’égard du corps des enseignants-chercheurs de la part d’agents au statut plus instable (contractuels), de la part d’agents situés plus bas dans la hiérarchie universitaire ou issus de cabinets de conseil. Il va de soi pour ces derniers que les nouvelles technologies sont un moyen de rationaliser le travail enseignant et qu’il faut transformer les enseignants-chercheurs en « producteurs de contenus multimédias » au service d’une organisation productive d’offre à distance [23]. Ils adhèrent fortement à la logique managériale sur laquelle s’appuie cette « nécessaire » transformation et déplorent, par exemple, que tant d’enseignants soient conduits à faire différemment des cours sur les mêmes sujets, alors qu’il serait possible de faire des économies d’échelle considérables en mettant en ligne un cours unique à la disposition de tous. C’est parmi cette catégorie d’ingénieurs-conseils que culminent à la fois l’hostilité à l’égard des enseignants-chercheurs « réfractaires » et la mobilisation de stéréotypes négatifs à leur égard. À l’autonomie professionnelle à laquelle sont attachés les enseignants-chercheurs, il conviendrait de substituer un engagement dans la « juste » place qui leur revient dans une division du travail universitaire largement définie comme une communauté de production multimédia (document 9).

Document 9

Le rapport Algora : le point de vue de la rationalisation du travail enseignant
Le rapport réalisé par un consultant d’Algora pour la sous-direction des technologies éducatives sur « les besoins de formation des personnels de l’enseignement supérieur à l’usage des TICE dans le processus enseigner-apprendre » exprime une volonté de rationalisation du travail enseignant. Les enseignants-chercheurs, n’étant pas évalués sur leurs compétences pédagogiques mais sur leur « production de recherche », n’auraient pas conscience de leurs besoins de formation en matière de TICE. Leurs résistances à l’intégration de ces technologies dans la pédagogie seraient liées au fait que « la mise en évidence des besoins de formation qui lui sont inhérents peut être vécue comme une menace ou un risque par les acteurs (risques identitaire, éthique, statutaire), bien que ces risques soient plus du domaine de l’imaginaire ».
Le même rapport signale pourtant que, « dans la plupart des cas, les enseignants-chercheurs maîtrisent parfaitement les outils et les utilisent couramment dans leurs activités de recherche et pas du tout dans les activités d’enseignement, preuve que les obstacles ne sont pas que techniques ».
Le rapport signale que « les TICE ont mis en évidence l’absence de formation (voire de réflexion) pédagogique des enseignants » et que « les technologies éducatives sont des outils adaptés à l’émergence de pédagogies nouvelles ». Or, les enseignants « préfèrent encore les modèles pédagogiques traditionnels » alors qu’ils devraient passer d’une « ingénierie de la pédagogie à une ingénierie de la formation » supposant un vrai travail en équipe (et notamment avec les ingénieurs) : « Il ne s’agit pas de faire en sorte que chaque enseignant sache utiliser les logiciels ou répondre lui-même à toutes les exigences techniques, ce qui est le travail des professionnels de la cellule TICE, il faut, par contre, qu’il en connaisse assez pour se faire une représentation de ce qui est possible, qu’il puisse discuter ensuite de ce qu’il souhaite avec le technicien. » En bref, « ils manquent de religion TICE », et manifestent une « inertie à développer de nouvelles approches ».
De la même façon, les Actes de la Conférence des présidents d’université mentionnent à différentes reprises « la résistance – qui est dure – des enseignants à l’égard de l’enseignement à distance, soit des nouvelles technologies ».

19Malgré cette opposition entre ceux qui perçoivent un enjeu essentiel dans la rationalisation du travail enseignant et ceux qui sont avant tout « enchantés » par les enjeux pédagogiques qu’ils perçoivent dans le développement des TICE, les enseignants-chercheurs sont désignés de manière quasi unanime comme les obstacles essentiels à la généralisation des TICE dans l’enseignement par leur manque d’enthousiasme [24]. Ce point de vue rapproche ceux qui travaillent à la construction d’un marché et à la constitution de la formation en produit marchand et ceux qui, travaillant exactement dans le même sens, mais dotés de dispositions sociales différentes, ont besoin de se dire qu’ils font autre chose pour se saisir d’une occasion de valorisation personnelle tout en affirmant leur opposition à la logique de marché [25].

La redéfinition du statut des enseignants-chercheurs et de la relation pédagogique

20La socialisation des étudiants aux nouvelles technologies, comme l’implication des enseignants-chercheurs, fait partie des autres conditions essentielles qui restent à mettre en œuvre. Pour que les étudiants soient demandeurs de formation à distance, il est en effet nécessaire qu’ils aient d’abord une maîtrise de ces outils pour travailler et « coopérer » avec autrui en dehors de toute présence physique. Pour cela, le ministère a organisé des politiques massives d’équipement des établissements et de formation à tous les niveaux du système scolaire pour favoriser l’accès à internet. Une partie des fonds obtenus par les universités dans le cadre des contrats quadriennaux pour les TICE est investie dans ces équipements et dans des « services éducatifs » qui sont « offerts » à l’étudiant (même s’ils ne sont pas gratuits pour l’université), comme des adresses internet personnelles ou des « environnements collaboratifs de travail » ou encore l’accès aux services administratifs de l’université par internet. Par ailleurs, la création récente de brevets informatiques obligatoires pour les étudiants de DEUG est censée rendre effective cette maîtrise et prévenir « la fracture numérique » qui pourrait résulter d’un accès inégal à ces outils. Afin « d’accélérer les choses et diffuser une culture de l’utilisation des technologies de l’information », le ministère de la Technologie a lancé cette année un appel d’offres sur le thème de « l’environnement de travail numérique [26] ». De son côté, la Commission européenne impulse l’initiative e-learning « qui vise à généraliser la culture numérique et vise à fournir aux écoles, aux enseignants et aux élèves le matériel, les compétences professionnelles et le soutien technique nécessaire ». Elle considère en effet qu’« une exploitation performante des TIC contribuera de manière significative à la mise en œuvre de l’éducation tout au long de la vie en élargissant l’accès à ces technologies et en diversifiant les modes de formation, notamment grâce à des centres locaux d’acquisition de connaissances reliés en réseaux informatiques ».

21Cette socialisation est d’autant plus nécessaire que la FOAD suppose un « apprenant théorique » assimilé à un acteur rationnel. Conscient de ses besoins de formation, il est capable d’avoir recours à la formation à distance pour alléger les contraintes qui lui pèsent (comme par exemple d’aller en cours) ou qu’il ne peut réduire (comme l’obligation de se rendre à son travail s’il est salarié) et de s’orienter stratégiquement dans l’offre de formation à distance pour optimiser sa situation. La liberté individuelle et la claire conscience de ses intérêts constituent pour cet étudiant des moteurs d’apprentissage plus efficaces que la socialisation par les pairs et l’encadrement institutionnel. Plus encore que l’université dans laquelle le temps et le travail des étudiants ne sont pas, sauf exception, fortement encadrés, la FOAD suppose une grande rationalité de la part de « l’apprenant » : autodétermination dans l’organisation quotidienne du travail pour s’astreindre à un travail régulier, certes, mais aussi dispositions stratégiques pour définir son parcours. Cet « apprenant » autodéterminé est, lui aussi, inséparable de la conception que la Commission européenne se fait de l’individu dans la « société de la connaissance » : elle précise en effet que « le rôle principal revient aux individus eux-mêmes » et notamment à la « capacité qu’a l’être humain de créer et d’exploiter des connaissances de manière efficace et intelligente dans un environnement en perpétuelle évolution ». Ces qualités humaines, posées comme naturelles, supposent néanmoins que « les individus doivent avoir la volonté et les moyens de prendre en main leur destin ou, autrement dit, de devenir des citoyens actifs » : dotés d’un « projet de vie », ils devront pouvoir, grâce à l’investissement de la « société civile » dans les ressources humaines, gérer rationnellement leur portefeuille de « temps vie ».

22Si les énoncés performatifs sur la FOAD et ses vertus pédagogiques supposées abondent, les promoteurs des TICE se gardent bien d’affirmer des faits précis qui viendraient étayer leur conviction. C’est bien plus souvent sous l’angle de la certitude ou encore de l’évidence que l’efficacité pédagogique des TICE est fondée. Pourtant, les expériences antérieures dans l’enseignement à distance inciteraient plutôt à une plus grande prudence : en effet, le CNED, qui possède une longue expérience en la matière, a toujours enregistré des taux d’abandon importants. Ceux qui conçoivent les systèmes de formation ont dû faire face à un certain nombre de déconvenues (document 10). Selon une consultante en ingénierie pédagogique, les campus numériques « manquent d’élèves parce qu’on n’a pas regardé où on en était, on n’a pas vu où en étaient les profs, et l’état d’investissement de l’université ». Elle met en cause l’accompagnement pédagogique souvent insuffisant, précisant que pour sa part elle n’hésite pas à « envoyer des mails » tous les jours aux apprenants qu’elle encadre. Bien que les concepteurs de formation multimédia estiment que les outils multimédias peuvent échapper aux taux d’abandon massif qui ont caractérisé l’enseignement à distance traditionnel grâce à leur caractère plus « interactif », les enseignants-chercheurs engagés dans la formation à distance déplorent dans les interviews les taux d’abandon. Ces taux, sur lesquels on ne dispose d’aucune information, semblent parfaitement connus dans le milieu confidentiel de la FOAD. L’organisation de séances « en présentiel » au cœur de formations essentiellement à distance est également préconisée comme une amélioration possible.

Document 10

« R :… Je vais faire des travaux sur lesquels le contrat n’est pas encore au point. Je recrute des étudiants alors que sur cette UV le prof en est encore à construire sa maquette… On est dans des situations d’innovations artisanales et pas industrielles. Il aurait fallu par exemple qu’on développe les 80 modules, ça représentait 80 300 KF, mais on ne les avait pas. On les aura progressivement parce qu’il y a aussi du retour sur investissement sur plusieurs années, avec une clientèle. Ensuite, on a eu un dernier problème, c’est d’avoir des étudiants…
Q : Comment avez-vous résolu ce problème ?
R : Disons que ça a assez mal marché… Tous les gens vous diront que dans l’enseignement traditionnel, lorsque vous montez un DESS, il vous faut deux ou trois ans pour stabiliser vos effectifs… Au début, si vous avez quinze personnes, vous êtes content, même si c’est un très bon DESS, avec des bons contacts avec les entreprises, de très bons profs, un programme alléchant, tout ce que vous voulez, ça ne marche jamais avant deux, trois ans. Alors il faut faire de la pub et de la « com », mais on n’avait pas bien monté le coup la première fois : quand on a démarré l’an dernier en octobre, on avait fait la pub en juin et ç’a été catastrophique. On attendait 70 personnes en maîtrise de sciences et gestion, on en a eu 7… En DEUG, on en attendait 300 et on en a eu 10. C’était un peu la catastrophe. Donc très vite on a compris qu’on serait dans une année expérimentale… Il y en a quand même eu qui ont eu leur diplôme normalement. On a compris que pour la formation continue, on finirait par être bons… Effectivement, cette année on a déjà 70 étudiants… »

Coordinateur du campus numérique B

23C’est parce que les « apprenants » réels ne parviennent jamais assez à s’auto-contraindre (ou qu’ils ne sont jamais assez « accompagnés » par le tutorat en ligne) qu’il est nécessaire de faire advenir un apprenant qui « se prenne davantage en charge [27] ». L’avènement de cet « apprenant » est le seul argument qui puisse plaider en faveur de l’efficacité proclamée de la FOAD. Il suppose également qu’il soit capable d’utiliser la formation tout au long de la vie pour négocier au mieux son employabilité et faire valoir ses compétences. Comme l’observe en effet un intervenant du colloque que la CPU consacre à « L’impact des nouvelles technologies sur les acteurs de l’université » : « Le jour où, en France, nous aurons compris, une fois pour toutes, que ce sont moins les employeurs qui font l’emploi que les détenteurs de compétences qui créent les possibilités d’avoir des emplois, nous aurons fait un grand pas. » Cette vision de la gestion par le salarié de sa propre formation dans le cadre de la construction de son employabilité est aussi celle qui sous-tend la redéfinition actuelle du système de formation initiale/formation continue par la Commission européenne. C’est elle qui lui permet d’articuler le volet social (la lutte contre le chômage), le volet éducation (se former tout au long de la vie) et le volet économique (la compétitivité de l’Europe) en reportant sur l’individu la responsabilité de sa formation et de son destin.

24De leur côté, les enseignants-chercheurs devraient passer du métier d’« auteur-compositeur-interprète » au statut de « scénariste-réalisateur », c’est-à-dire de producteur multimédia. Mais il semble que l’offre de formation proposée par les chargés de mission pour les inciter à opérer cette conversion n’ait pas été couronnée de succès. Si cette résistance des enseignants-chercheurs fait obstacle à la généralisation de l’usage des TICE et à la constitution d’une offre de formation à distance, c’est parce que le marché en formation repose actuellement sur une logique de bénévolat et d’engagement personnel, celui des chargés de mission TICE et des pionniers qui, avec eux, ont fait leur la cause des nouvelles technologies. Le recrutement de professionnels extérieurs à la communauté universitaire, qu’il s’agisse d’ingénieurs, de chefs de projet ou de chargés de mission, a en quelque sorte permis dans un premier temps de contourner les enseignants-chercheurs. Ils se heurtent cependant à la difficulté de les mobiliser à la fois comme demandeurs de formation TICE et comme producteurs potentiels de contenus multimédias alors que le ministère se montre préoccupé de généraliser cette formation.

25La logique consistant à s’appuyer sur des enseignants-chercheurs innovateurs et sur des recrutements de non-enseignants a certes permis d’ouvrir un marché, mais non de rationaliser la production multimédia, dont les coûts de production ne peuvent être modulés [28]. Aussi est-il prévu de changer prochainement le Code de la propriété intellectuelle pour que les produits réalisés dans le cadre du service d’un fonctionnaire appartiennent à l’établissement (comme c’est le cas des logiciels de gestion dans les entreprises). Dans le cadre de la mise en place de l’autonomie des universités, il est également prévu de modifier la loi de 1984 qui définit jusqu’à maintenant le service des enseignants-chercheurs en référence à des heures effectuées en présence d’étudiants afin d’y ajouter, entre autres choses, la reconnaissance du travail de création d’outils pédagogiques pour la FOAD. Cette transformation permettrait à l’établissement d’exploiter le produit multimédia indépendamment de l’auteur et sans lui devoir de droits d’auteur. L’exécution de ces tâches relèverait alors du statut de fonctionnaire de l’enseignant-chercheur et non plus de celui d’auteur suivant la logique exprimée par l’actuelle chargée de mission aux TICE en 2002 : « Il n’y a pas de raison qu’un enseignant soit payé en plus pour faire son travail. » La réforme programmée permettra également aux enseignants-chercheurs de s’investir dans les actions de validation des acquis de l’expérience (qui font aussi partie des préconisations européennes pour « rapprocher l’offre de la demande »). Le fait que la FOAD et la VAE soient présentées comme des tâches parmi d’autres qu’il s’agirait de « reconnaître » dans le statut des enseignants-chercheurs tend à dissimuler l’enjeu qu’elles représentent dans la constitution du marché ; de la même manière, le développement d’un ensemble d’usages associés aux TICE a masqué l’enjeu économique que représentent les campus électroniques dans la constitution d’une offre marchande de formation. La réforme du statut des enseignants-chercheurs rendrait également possible, dans le cadre de l’autonomie dans la « gestion des ressources humaines » aujourd’hui revendiquée par la CPU, une modulation du nombre d’heures d’enseignement effectuées dans les formations « traditionnelles » en fonction des « contraintes budgétaires » des établissements.

La valorisation de l’innovation dans les services académiques de l’Éducation nationale

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La valorisation de l’innovation dans les services académiques de l’Éducation nationale

26Dans l’état actuel de la constitution de ce marché, il est difficile d’aller plus loin que la description des conditions mises en place par l’État pour impulser cette offre marchande et lui permettre de fonctionner ensuite de manière autonome. Pris isolément, aucun des éléments évoqués précédemment (éducation tout au long de la vie, VAE, « reconnaissance des tâches nouvelles », développement des nouvelles technologies, unification de la formation continue et initiale, etc.) n’a de signification particulière en faveur de la construction d’un marché de la formation à distance. Toutefois, dans le processus en cours, la lecture enchantée d’un certain nombre de transformations ou de thématiques actuelles fonctionne comme un obstacle à la compréhension d’une configuration objective progressivement construite et qui aboutit à la construction de ce marché. Cette configuration n’est plus, de ce fait, indéterminée. Il existe certes des critiques des prétentions du marché à résoudre les problèmes pédagogiques. Mais le combat est inégal entre les artisans du marché de la formation à distance et ceux qui défendent, par exemple, dans l’essor ou la promotion des nouvelles technologies, la possibilité de « donner à tous l’accès au savoir » ou, dans l’éducation tout au long de la vie, « une seconde chance » pour ceux qui sont sortis sans diplôme du système scolaire, parce qu’ils mobilisent des rationalités différentes. Alors que les seconds combattent le marché de la formation par l’affirmation de valeurs désintéressées, les premiers organisent le marché et mobilisent au niveau des moyens une « rationalité en finalité » qui leur permet de s’appuyer sur les valeurs non marchandes pour construire le marché et défendre leurs propres valeurs [29] (document 11).

Document 11

UNE ÉTHIQUE DE LA CONVICTION
L’éthique de la conviction attachée à l’innovation pédagogique se retrouve dans les propos d’un représentant d’ATTAC Allemagne hostile à « la marchandisation de l’éducation » (sur le site de l’Appel pour une école démocratique www.ecoledemocratique.org) : « Nous exigeons que l’on considère comme une priorité absolue un accès large et démocratique à l’enseignement supérieur et que l’on réfléchisse plus en profondeur et plus concrètement aux relations changeantes entre cette donnée et la capacité concurrentielle de notre enseignement dans un monde qui se globalise […]. Et un système avec un petit nombre d’universités d’élite, avec des droits d’inscription extrêmement élevés, n’est pas, cela va sans dire, conciliable avec notre vision de l’enseignement comme l’instrument le plus important de l’administration pour l’émancipation de toute la population, indépendamment de leur situation financière. » Ainsi, conformément à la distinction établie par Weber entre rationalité en valeur et rationalité en finalité, l’auteur se montre davantage préoccupé par l’affirmation de ses valeurs que par les moyens de les mettre en œuvre. Il poursuit en affirmant : « La libéralisation du commerce n’est légitime que pour autant qu’elle soit favorable à tous les pauvres de cette planète, contribue à plus de développement pour tous et ne sape pas les fondements de notre démocratie. » Ainsi, c’est bien le marché qu’il accepterait implicitement comme moyen de mise en œuvre de ses valeurs sans percevoir l’antagonisme qui existe entre les enjeux économiques de la libéralisation, qui se fonde sur la solvabilité financière de la demande, et la démocratisation de l’enseignement supérieur.

La faiblesse de la critique traditionnelle du marché

27Ainsi, la mise en évidence de la construction politique consistant, en partie, à s’appuyer sur des valeurs non marchandes pour organiser un marché de la formation à distance ne peut accréditer une interprétation en termes d’instrumentalisation ou de détournement cynique des valeurs égalitaristes et désintéressées des défenseurs du service public ou de la démocratisation de l’enseignement supérieur, qui seraient victimes d’un complot des partisans de l’économie de marché élargie à l’enseignement supérieur. Cette analyse présuppose une logique de l’intérêt personnel du côté de ceux qui construisent le marché et le désintéressement du côté de ceux qui affirment leur hostilité à la logique de marché. Or, on a vu que le recrutement des chargés de mission aux TICE correspondait à de nouvelles positions institutionnelles permettant à certains de se forger une place dans une hiérarchie universitaire fondée sur des critères académiques. Ces intérêts liés à la recherche de reconnaissance sociale coexistent souvent avec une forte valorisation du service public. En outre, ceux dont les discours contestent la logique de marché peuvent trouver des intérêts spécifiques dans la promotion d’objectifs qui, dans le contexte actuel, sont encastrés dans la construction du marché [30]. La tendance à envisager la constitution d’un marché de la formation à distance autrement que sous la forme externe d’agents ou d’institutions aux intérêts économiques clairement identifiés (l’OMC, les industriels du multimédia, les négociations du GATS, etc.), au détriment des logiques sociales de l’adhésion de ceux qui, souvent éloignés de ces intérêts et de ces institutions, construisent le marché concret, est aussi au fondement du rapport de force actuel. Cette difficulté tient en partie à la vision machiavélique d’un « Grand Capital » qui défendrait, à travers des acteurs et des institutions économiques situés à l’extérieur du monde universitaire, des valeurs mercantiles contre les partisans du service public : elle permet d’imputer la situation présente à cette figure mythique (et plus ou moins implicite), au détriment des rationalités mises en œuvre. Ainsi, les formes d’action essentiellement fondées sur l’affirmation de convictions progressistes ont exposé les adversaires proclamés de la formation marchande à distance au « paradoxe des conséquences » analysé par Weber : ils sont conduits à promouvoir une forme de « démocratisation » de l’enseignement supérieur [31] très proche de celle sur laquelle s’adosse aujourd’hui le marché de la FOAD, qui ne se définit pas uniquement par son caractère marchand [32].

28Si, aujourd’hui, on peut constater que la construction de ce marché de la formation à distance est bien engagée, il est difficile d’en prévoir les effets et les transformations possibles sur l’enseignement supérieur. Comme tout marché, il est fondé sur l’anticipation d’une « demande sociale » de diversification de l’offre et d’une demande escomptée de formation « tout au long de la vie », individualisée, diversifiée, adaptée aux besoins et aux pré-requis de chacun, etc. Toutefois, aussi incertaines (du point de vue pédagogique et économique) que soient ces anticipations, elles ont déjà pour effet d’orienter une partie des investissements économiques de l’État en direction du marché de la formation à distance au détriment d’autres choix pédagogiques pour l’enseignement « en présentiel [33] ». Ainsi, un texte émanant de l’Agence de mutualisation des universités (AMUE) [34] observe que « le support multimédia n’est pas perçu comme venant en contradiction avec l’offre de formation classique », tout en indiquant que « l’université aura nécessairement à réorienter d’autres masses financières en fonction de l’investissement qu’elle veut faire sur les TIC et sur les moyens de fonctionnement qu’elle veut se donner ». Par ailleurs, la réorganisation nécessaire d’enseignements adaptés à une logique de marché fondée sur la liberté de choix de l’acteur rationnel (et ses besoins individuels) affecte l’enseignement supérieur dans son ensemble : la « modularisation » des enseignements et l’initiative, désormais laissée à « l’apprenant », de choisir les enseignements qui composeront son diplôme constituent des transformations profondes dont les conséquences dépendront de la réalité de cet acteur rationnel. Pour ces raisons, l’argument souvent mis en avant selon lequel la FOAD n’affaiblirait pas le service public d’éducation puisqu’elle ne fait que coexister avec l’enseignement classique « en présentiel » n’est guère convaincant. Dans la mesure où elle devient une priorité pédagogique assortie de choix budgétaires et de présupposés pédagogiques forts (l’étudiant acteur rationnel, les performances pédagogiques des TICE), la FOAD entre de fait en concurrence avec l’enseignement « en présentiel » et transforme les conditions économiques et pédagogiques dans lesquelles celui-ci s’exerce [35].

29Plus encore que le caractère marchand de la FOAD, c’est la dimension théorique de « l’apprenant » (un acteur rationnel) qui doit être appréciée en relation avec les objectifs pédagogiques affirmés par les promoteurs de la FOAD. Il ne suffit pas de mettre en évidence la seule dimension économique pour critiquer les prétentions du marché à résoudre les problèmes pédagogiques. En effet, la « solvabilité de la demande » peut très bien être assurée et le fait même de la faire entrer dans le cadre juridique de la formation continue constitue une tentative dans ce sens. L’égalisation des conditions économiques, tout comme la simple maîtrise technique des outils de la FOAD, ne peut avoir qu’une action limitée sur les dispositions sociales exigées pour l’investissement des « apprenants » dans des dispositifs qui leur offrent un soutien institutionnel encore plus faible que dans les formations classiques où ils échouent le plus.


Date de mise en ligne : 01/12/2010

https://doi.org/10.3917/arss.149.0042

Notes

  • [1]
    Sur l’analyse sociologique du modèle économique de la concurrence pure et parfaite, voir Marie-France Garcia, « La construction sociale d’un marché parfait : le marché au cadran de Fontaines-en-Sologne », Actes de la recherche en sciences sociales, 65, novembre 1986, p. 2-13.
  • [2]
    Nous nous sommes centrés dans le cadre de cette étude sur trois campus numériques français : le campus A, qui associe dans la production de services éducatifs divers les établissements d’enseignement supérieur d’une grande ville du sud de la France ; le campus B, qui regroupe plusieurs universités parisiennes et régionales dans la production d’une formation en ligne fortement valorisée sur le marché du travail ; enfin le campus C, qui est celui d’une petite université de proximité, associée au campus A.
  • [3]
    La « société de l’information » n’est pas une notion récente, mais elle a été réactualisée et formalisée par la Commission européenne dans un Livre blanc publié en 1995 : Enseigner et apprendre – Vers la société cognitive. Elle repose sur le principe, inspiré des théories du capital humain, selon lequel l’éducation et la formation constituent des investissements économiques essentiels pour l’Europe dans la compétitivité internationale. Selon cette vision, les systèmes de formation et d’éducation nationaux seraient inadaptés parce que trop éloignés du monde économique et trop attachés à des critères académiques dans la sélection des élèves, au détriment des « compétences » professionnelles.
  • [4]
    La dotation TICE se répartit de la manière suivante dans les établissements supérieurs : 20 € par an et par étudiant dans les universités, 105 € par étudiant dans les écoles d’ingénieurs, 26 € pour les Instituts d’études politiques, 28,5 € pour les IUFM.
  • [5]
    Entretien avec Philippe Perrey, chef du bureau enseignement supérieur de la sous-direction des nouvelles technologies, de l’information et de la communication.
  • [6]
    Neil Fligstein, « Market as Politics : a Political Cultural Approach to Market Institutions », American Sociological Review, vol. 61, 1996, p. 656-673.
  • [7]
    C’est ainsi que la cellule TICE du campus C annonce, sur la première page du site internet de l’université, la reconnaissance par le campus B de son travail de développement d’outils interactifs.
  • [8]
    L’association Algora a pour but de « promouvoir le développement de la formation ouverte à distance et l’usage des technologies multimédias dans les systèmes de formation professionnelle ». Le fait que cette association a été mise en place sous l’égide commune de différents ministères (Éducation nationale, Industrie, Travail, Affaires étrangères) souligne cette volonté de l’État.
  • [9]
    Voir le cadre juridique des campus numériques sur le site du ministère de l’Éducation nationale.
  • [10]
    Cf. la circulaire DGEFP n° 2001/22 du 20 juillet 2001. La présence des adultes en formation était en effet obligatoire jusque-là.
  • [11]
    Campus numériques : enjeux et perspectives pour la formation ouverte et à distance, rapport de mission sous la direction de Michel Averous et Gilbert Touzot, avril 2002.
  • [12]
    On aurait tort cependant de surestimer les contraintes que font peser sur les États ces accords multilatéraux dans la mesure où ils encadrent des négociations qui sont toujours conduites par les représentants de l’État et qui peuvent être utilisés comme argument pour imposer des transformations qu’ils ont eux-mêmes proposées. Par ailleurs, les États peuvent libéraliser certains secteurs éducatifs sans (pour autant) les inscrire dans la table des négociations de l’Organisation mondiale du commerce. Voir Bruno Théret, « Mondialisation et État-providence : les risques et contradictions de la stratégie de mondialisation de l’État fédéral canadien », communication à la Conférence internationale sur la globalisation, La Havane, 29 janvier-2 février 2001.
  • [13]
    « Autonomie des universités et responsabilité : pour un service public renouvelé ». Texte d’orientation de la Conférence des présidents d’université adopté le 19 avril 2001.
  • [14]
    D’autres formes d’assouplissement ont été instituées dans l’enseignement supérieur, comme le fait de prendre pour référence d’une formation non plus l’année scolaire, mais le module. C’est le cas avec la mise en place du système ECTS (European Credits Transfer System) qui permet de définir par exemple un diplôme de niveau bac + 3 comme correspondant à 180 crédits ECTS. Ce système est doublé de l’émergence de parcours de formation « types » qui offrent aux étudiants la possibilité de choisir dans le détail les enseignements qu’ils suivront.
  • [15]
    La question de l’homogénéité de la qualité de ces formations qui, comme le montre Marie-France Garcia (op. cit., p. 2), constitue une des quatre conditions du modèle de la concurrence pure et parfaite, est au cœur des débats sur la FOAD.
  • [16]
    Maryse Quéré et Françoise Thibault, ainsi que la consultante qui a élaboré « Compétice », viennent aussi de l’université de Nancy, qui a joué un rôle moteur dans le développement de la formation permanente.
  • [17]
    C’est ainsi, par exemple, qu’une des consultantes multimédia du campus B qui a accompagné certains producteurs de contenus est aussi celle qui a fourni au ministère « Compétice », un outil permettant d’établir un « référentiel de compétences » pour les enseignants-chercheurs appelés à de nouvelles tâches de production. Le chef de projet du campus A fait partie de l’équipe chargée au ministère du développement des campus numériques : il a désormais pour mission de s’occuper des relations entre la Commission européenne et le niveau ministériel en France.
  • [18]
    La compétition avec les États-Unis, qui détiennent une part importante du marché mondial de la formation à distance, occupe une place centrale dans les préoccupations européennes de promouvoir « l’éducation tout au long de la vie » et le développement d’un marché de la formation à distance.
  • [19]
    Rapport commandité par le ministère de la Technologie à l’association Algora, voir infra p. 55.
  • [20]
    Le « cartable électronique » bénéficie du label RIP.
  • [21]
    Comme le remarque le chef de projet du campus A : « Les secrétaires de direction ont-elles fait des colloques pour savoir s’il convenait ou non d’utiliser le mail ? ».
  • [22]
    « La nouvelle pédagogie est centrée sur l’apprenant, dont elle développe l’autonomie et les spécificités : en fonction de son programme, de ses capacités et de ses acquis antérieurs, l’étudiant apprend en allant lui-même exploiter des ressources multiples disponibles sur les réseaux (cours, exercices, études de cas, auto-tests) » (Le Bulletin de la CIP, 8, mai 2000).
  • [23]
    On trouverait des points communs entre cette vision et celle qu’analyse Odile Henry à propos de la diffusion en France du taylorisme par Henry Le Chatelier, cf. Actes de la recherche en sciences sociales, 133, 2000, p. 79-88.
  • [24]
    F. Blamont, directeur de l’agence Édufrance, s’exprimait ainsi : « Nos ennemis, ce sont les profs qui estiment que l’enseignement doit être à 100 % public » (Le Monde, 14 mai 2000).
  • [25]
    On peut établir des analogies entre ces missionnaires pédagogiques transformés en missionnaires du marché et les « cadres de gauche » dont Michel Villette a analysé la trajectoire dans « La carrière d’un “cadre de gauche” après 1968 » (Actes de la recherche en sciences sociales, 29, septembre 1979, p. 64-75).
  • [26]
    Cf. P. Perrey, 01 Informatique, n° 1703. Un « environnement de travail numérique » se présente comme un « portail » électronique à partir duquel chaque étudiant ou enseignant peut établir une connexion à son « cartable électronique ». Ce dernier est un outil informatique qui lui permet d’avoir accès à son courrier électronique, à des répertoires informatiques personnels ou partagés entre plusieurs usagers, depuis n’importe quel poste informatique connecté à internet au sein de l’université ou à l’extérieur (domicile).
  • [27]
    Dans le mémorandum, qui préconise également une réforme du métier des enseignants pour qu’ils puissent s’adapter au nouveau rôle qu’appelle l’éducation tout au long de la vie, il incombe aux enseignants de transformer les apprenants en apprenants motivés et de se transformer eux-mêmes en « gestionnaires des connaissances » et en professionnels de l’orientation « en allant vers l’individu au lieu d’attendre qu’il vienne demander conseil ». Elle suppose l’évolution de son rôle (ou l’intervention d’une nouvelle catégorie de professionnels) vers une activité « d’orientation et de conseil » qui « pourrait être décrit [e] comme un rôle de courtage ». En effet, « gardant présents à l’esprit les intérêts du client, “le courtier en orientation” est capable d’exploiter et d’adapter un vaste éventail d’informations qui l’aident à décider de la meilleure voie à suivre à l’avenir ».
  • [28]
    Dans le texte qui définit le cadre juridique des campus numériques, le produit multimédia est clairement défini comme une œuvre. Toutefois, les formations à distance supposent aussi un accompagnement pédagogique (tutorat en ligne) qui lui est souvent payé en heures complémentaires, c’est-à-dire en équivalence d’heures « en présentiel ».
  • [29]
    Max Weber, Économie et société. Les catégories de la sociologie, livre I, Paris, Éditions Agora, 1971, p. 55 à 61.
  • [30]
    L’éducation tout au long de la vie et l’avènement, à travers elle, d’un « droit individuel à la formation élargi » constituent aussi un espace possible d’investissement pour l’action syndicale. Les responsabilités syndicales font en effet partie des « savoirs informels » susceptibles d’être pris en compte par la VAE. Voir, à ce sujet, la revue de la FSU Nouveaux regards (15, 2001).
  • [31]
    Dont le renforcement de l’individualisation des parcours, l’ajustement continu de l’offre à la demande, le déterminisme technologique, la différenciation de la pédagogie, la réévaluation des critères scolaires au profit d’une équivalence entre les compétences acquises « dans la vie » ou dans le travail, la foi dans l’innovation, l’abandon d’un idéal collectif de niveau scolaire, la focalisation sur le système scolaire (ou de formation) dans les inégalités devant l’emploi ou la lutte contre l’exclusion, la mise en avant de l’accès au diplôme plus que de l’égalisation de l’accès à des filières de valeurs scolaires et sociales hiérarchisées, la volonté de transformer les pratiques pédagogiques au profit d’un public « divers » et « hétérogène ».
  • [32]
    À propos de l’opposition préconstruite entre le marché et le règne des valeurs désintéressées, voir Viviana Zelizer, « Repenser le marché. La construction sociale du “marché aux enfants” aux États-Unis », Actes de la recherche en sciences sociales, 94, septembre 1994, p. 3-26.
  • [33]
    Comme ceux qui iraient dans le sens d’une égalisation des conditions d’encadrement pédagogique et institutionnel des étudiants formés « en présentiel » dans les différentes composantes de l’enseignement supérieur, ainsi que des ambitions en termes d’acquisition des savoirs que l’on nourrit à l’égard des différentes catégories d’étudiants.
  • [34]
    L’Enjeu des TIC dans les universités, Comité de domaine scolarité vie de l’étudiant, 8 février 2002.
  • [35]
    Sur la question des effets de la coexistence concurrentielle d’un service marchand et d’un service public d’éducation, voir Albert O. Hirsmann, Défection et prise de parole, Paris, Fayard, 1995, p. 75-90. L’argument qui est pourtant le plus souvent invoqué pour faire de la construction d’une offre marchande au cœur du service public le moyen de « préserver l’esprit de service public » est qu’elle constitue le meilleur moyen de lutter contre « la privatisation de l’enseignement » incarnée par « les industriels du multimédia » ou « le secteur privé ».

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