Notes
-
[1]
Il apparaît dans le registre de l’urbanisme et de la qualité de vie. « Changer la ville, changer la vie », comme le disent aussi bien les socialistes de « la deuxième gauche » que la droite réformatrice.
-
[2]
De la même façon quand il est question de « délinquance », les commentaires comme les photographies de l’époque décrivent « blousons noirs » et « loubards » comme des jeunes issus des classes populaires.
-
[3]
Une partie de ce travail a été financée par la délégation interministérielle à la Ville. Une version abrégée du rapport auquel l’enquête a donné lieu est parue dans les éditions de la DIV en 1999 sous le titre « Violence et délinquance dans la presse. Politisation d’un malaise social et technicisation de son traitement ».
-
[4]
Le 26 mai 1981, le ministre de l’Intérieur, Gaston Defferre, décide de suspendre l’exécution de toute mesure d’expulsion des immigrés. En avril 1981, le père Christian Delorme et le pasteur Jean Costil entreprennent une grève de la faim contre l’expulsion de jeunes immigrés. Un peu plus tard, plus d’une centaine d’intellectuels lancent un appel intitulé « Non à la France de l’apartheid ».
-
[5]
Des mesures d’urgence sont prises, des crédits débloqués pour empêcher le retour de nouveaux « étés chauds ».
-
[6]
« Dans les quartiers à forte densité maghrébine, la situation devient explosive […] Le gouvernement, en supprimant les expulsions d’individus douteux, encourage donc les dévoyés », Le Figaro, 7 juillet 1981. « Les deux tiers des procès-verbaux pour vols, agressions et délits divers sont dressés à l’encontre des jeunes Arabes. Maintenant que Defferre a supprimé les expulsions, ils vont voler nos voitures et violer nos filles », Le Quotidien de Paris, 7 septembre 1981.
-
[7]
Des affrontements se sont déroulés à Brixton en avril 1981 entre policiers et habitants.
-
[8]
Elle est d’ailleurs tout aussi claire sur les politiques sociales, les choix économiques, etc. Voir A. Collovald et B. Gaïti, « Discours sous surveillance : le “social” à l’Assemblée », D. Gaxie (sous la dir. de), Le « Social » transfiguré, Paris, PUF-CURAPP, 1990.
-
[9]
Les ouvrages qu’ils publient alors sur l’immigration témoignent de leur division sur cette question : d’un côté, A. Griotteray, Les Immigrés : le choc, Paris, Tribune libre, 1984, et D. Bariani, Les Immigrés pour ou contre la France ?, Paris, France-Empire, 1985 ; de l’autre, B. Stasi, L’Immigration, une chance pour la France, Paris, Robert Laffont, 1984, et M. Hannoun, Français et immigrés au quotidien, Paris, Albatros, 1985.
-
[10]
Sur les liens entre Le Figaro (notamment Le Figaro Magazine), « la nouvelle droite » et le Club de l’Horloge, voir P.-A. Taguieff, « La stratégie culturelle de la nouvelle droite en France, 1968-1983 », Vous avez dit fascismes ?, Paris, Arthaud-Montalba, 1984.
-
[11]
Sur ces points, voir Y. Gastaud, L’Immigration et l’opinion en France sous la Ve République, Paris, Le Seuil, 2000, p. 488-489.
-
[12]
Le malaise des banlieues suscite des enquêtes sociologiques qui s’interrogent sur l’émergence d’un « nouveau mouvement social » dont « les jeunes immigrés » seraient les nouveaux acteurs. Cette question, inspirée par la problématique de A. Touraine, oriente l’analyse de F. Dubet sur « la galère » (où il répond par la négative), voir La Galère. Jeunes en survie, Paris, Le Seuil, 1987, ou celle de A. Jazouli, L’Action collective des jeunes Maghrébins de France, Paris, L’Harmattan, 1986, puis Les Années banlieues, Paris, Le Seuil, 1992.
-
[13]
Exemple : « Est-il normal que les immigrés aient accès gratuitement à l’école, touchent des allocations familiales quand ils perdent leur emploi, aient des mosquées pour pratiquer leur religion, etc. ? » Pour une analyse de cette levée de l’indicible en matière d’immigration, voir D. Gaxie (sous la dir. de), « Rapport sur l’analyse secondaire des enquêtes d’opinion relatives à l’immigration et à la présence étrangère en France », université Paris I, APRED, 1995.
-
[14]
H. Rey, La Peur des banlieues, Paris, Presses de Sciences Po, 1996.
-
[15]
Cette idée s’impose aux hommes politiques de gauche comme de droite. L’extrême droite, déclare alors Laurent Fabius, « pose les bonnes questions mais apporte de mauvaises réponses ». Pierre Méhaignerie, ministre centriste de l’Environnement, fera pression sur le gouvernement Chirac de 1986 pour maintenir la politique des DSQ impulsée par les socialistes ; elle est envisagée alors comme une réponse aux peurs suscitées par l’immigration et un instrument efficace pour contrer la montée en puissance du FN dans les banlieues.
-
[16]
Les spécialistes de l’immigration débattent alors de la pertinence des notions à employer pour interpréter et expliquer le processus par lequel des immigrés deviennent « français ». Voir G. Noiriel, La Tyrannie du national, Paris, Calmann-Lévy, 1991, et A. Sayad, La Double Absence, Paris, Le Seuil, 1999.
-
[17]
Pour une critique des savoirs mobilisés dans les explications de la délinquance et des violences collectives, voir P. Juhem, « “Civiliser” la banlieue. Logiques et conditions d’efficacité des dispositifs étatiques de régulation de la violence dans les quartiers populaires », RFSP, 1, février 2000.
-
[18]
Ce thème de l’Intifada comme modèle protestataire des banlieues va d’ailleurs inspirer des recherches sociologiques, voir R. Leveau, « Inquiétudes du Sud », Esprit (numéro spécial « Europe de toutes les migrations »), 183, 1992 ; G. Kepel, À l’ouest d’Allah, Paris, Le Seuil, 1994.
-
[19]
Les sociologues appelés à analyser l’histoire des « violences urbaines » ont été parmi les premiers à se mobiliser sur l’affaire des Minguettes. Ils ont été également parmi les premiers à établir un diagnostic expert sur les mesures « anti-été chaud ». F. Dubet, A. Jazouli et D. Lapeyronnie ont cosigné (avec F. Schaller) un rapport pour la MIRE, « L’Opération été 82 » (en 1983). Ils ont cosigné également L’État et les Jeunes, Paris, Éditions ouvrières, 1985.
-
[20]
Voir, par exemple, J.-M. Delarue, Banlieues en difficulté. La relégation, Paris, Syros, 1991. Dès 1981 sont mises en place dans différents secteurs (l’école, notamment, avec les « zones d’éducation prioritaire ») des politiques sociales territorialisées où le nombre d’immigrés est un des principaux critères d’attribution de la qualification et des crédits.
-
[21]
Il est d’ailleurs mis en place au même moment que le haut conseil à l’Intégration avec lequel, comme la DIV (délégation interministérielle à la Ville, créée en 1988) auparavant, il va être en concurrence après une brève alliance. Voir V. Viet, La France immigrée, Paris, Fayard, 1998.
-
[22]
Pour une critique argumentée de ce qualificatif, venu des États-Unis, voir L. Wacquant, « Pour en finir avec le mythe des cités-ghettos », Les Annales de la recherche urbaine, 54, mars 1992.
-
[23]
Ce qui va sans doute avec l’abandon, par le gouvernement Rocard en 1990, de l’inscription du droit de vote des immigrés aux élections municipales lors du débat parlementaire sur l’immigration.
-
[24]
À l’Assemblée nationale, en 1990, Michel Rocard, pour justifier le durcissement du contrôle des flux migratoires, aura cette phrase : « Les sociétés européennes ne peuvent plus accueillir toute la misère du monde. » Elle provoquera quelques remous.
-
[25]
Des hommes de droite et parmi les plus titrés empruntent au lexique du FN pour justifier leurs propositions en matière d’immigration : « invasion » (V. Giscard d’Estaing), « seuil de tolérance » (qui refait à cette occasion surface) ou encore « odeurs » (J. Chirac). Or ces termes (du moins les deux premiers) sont employés au niveau européen pour penser les flux migratoires et leur contrôle. Sur ce point, voir Didier Bigo, Police en réseaux, L’expérience européenne, Paris, Presses de Sciences Po, 1996.
-
[26]
Le Quotidien de Paris (10 mars 1994) titre : « Il faut rétablir l’autorité de l’État dans nos villes », un entretien avec le député RPR Pierre Lellouche.
-
[27]
« Les transports urbains, victimes du malaise de l’insécurité et enjeux du lien social », constate-t-il (3 novembre 1995).
-
[28]
« N’attendons pas la grande peur », déclare Guy Larcher, par ailleurs auteur, en 1992, d’un rapport d’information sur le trafic de drogue dans l’espace de Schengen dans lequel les minorités étrangères et notamment « les jeunes Maghrébins » des banlieues françaises sont montrés du doigt.
-
[29]
Julien Dray, est un ancien leader de « SOS Racisme » reconverti dans le traitement des banlieues. Selon lui, une « logique mafieuse » gagnerait du terrain en banlieue. Cette analyse rejoint celle d’un rapport parlementaire portant, lui, sur les moyens de lutte contre les mafias, élaboré par François d’Aubert dans lequel les banlieues sont désignées comme un des principaux lieux de leur implantation. F. d’Aubert, député PR passé à Démocratie libérale en 1997, spécialiste de la dénonciation de « l’argent sale » (selon le titre d’un de ses ouvrages paru chez Plon en 1993), des fraudes (voir Coup de torchon sur Bruxelles, Paris, Plon, 1999) et plus largement du crime organisé.
-
[30]
Avant d’être employée à propos des banlieues, « zones grises » est une expression utilisée par les services de renseignements pour désigner des régions amazoniennes non contrôlées qui servent aux trafiquants pour la production et le transit de la cocaïne. Voir D. Bigo, Polices en réseaux…, op. cit., p. 302.
-
[31]
Voir S. Body-Gendrot, Ville et violence, Paris, PUF, 1993 ; C. Bachmann et N. Le Guennec, Violences urbaines, Paris, Albin Michel, 1996 ; C. Bachmann et N. Le Guennec, Autopsie d’une émeute. Histoire exemplaire du soulèvement d’un quartier, Paris, Albin Michel, 1997.
-
[32]
S. Roché, Le Sentiment d’insécurité, Paris, PUF, 1993 ; Insécurités et libertés, Paris, Le Seuil, 1994 ; La Société incivile (où il évoque le déclin de l’État), Paris, Le Seuil, 1996 ; Sociologie politique de l’insécurité, Paris, PUF, 1998 (dans lequel il insiste sur la montée de la violence homicide et la « déficience » de la socialisation). Il écrit dans Projet (238, 1994), Le Débat (8, 1995) et des rapports pour les ministères de la Justice et de l’Intérieur sur ces thèmes.
-
[33]
Sur la prégnance de ce constat et la difficulté à le remettre en cause, voir B. Charlot, J.-C. Emin (sous la dir. de), Violences à l’école. État des savoirs, Paris, Armand Colin, 1997.
-
[34]
Mise en scène auparavant réservée à la droite et aux hebdomadaires : ordures jetées par les fenêtres, bâtiments délabrés et « tagués », enfants en pagaille, jeunes qui « zonent » ou « rouillent » au pied des immeubles et qui insultent les passants, voire les agressent physiquement, etc.
-
[35]
Pour une analyse de ce phénomène et de ses effets, voir A. Accardo (sous la dir. de), Journalistes au quotidien, Bordeaux, Le Mascaret, 1995.
-
[36]
Voir, par exemple, D. Lepoutre, Cœur de banlieue. Codes, rites et langage, Paris, Odile Jacob, 1997 ; G. Mauger, « Espace des styles de vie déviants des jeunes de milieux populaires », C. Baudelot et G. Mauger, Jeunesses populaires. Les générations de la crise, Paris, L’Harmattan, 1994 ; G. Mauger, « Disqualification sociale, chômage, précarité et montée des illégalismes », Regards sociologiques, 20, 2001 ; En marge de la ville, au cœur de la société : ces quartiers dont on parle, La Tour d’Aigues, L’Aube, 1997.
-
[37]
Attentat contre des touristes dans lequel sont impliqués des jeunes de la cité des 4 000 de La Courneuve et de la Goutte-d’Or (jeunes issus de l’immigration et jeunes qui n’en sont pas).
-
[38]
Voir G. Kepel, Les Banlieues de l’Islam, Paris, Le Seuil, 1987.
-
[39]
Selon les mots de A. Sayad, « L’immigration et la pensée d’État. Réflexions sur la double peine », S. Palidda (sous la dir. de), Délit d’immigration. La construction sociale de la déviance et de la criminalité parmi les immigrés en Europe, Bruxelles, COST A2 Migrations-CE, 1996.
-
[40]
Il est vrai que la précarité rend improbable toute implication dans des actions collectives conventionnelles (reconnues pertinentes par les acteurs politiques, administratifs ou journalistiques). Les attitudes velléitaires et individualistes, mais aussi la défiance à l’égard de ceux qui accèdent à des responsabilités minent constamment les tentatives d’auto-organisation : ainsi la destinée des promoteurs de SOS Racisme ou de la marche des « Beurs » joue encore comme repoussoir chez une « jeunesse immigrée » cherchant pourtant une voie possible pour se faire entendre. Les représentations dominantes comme les actions publiques menées pour résoudre « ses » problèmes contribuent encore à décourager cette fraction de la jeunesse populaire qui cumule les handicaps sociaux et considère que la politique, c’est surtout « le monde des autres ». L’accueil extrêmement favorable reçu, en 1999, par les promoteurs de « Stop la violence », tous jeunes « Blacks, Blancs, Beurs » des banlieues (scolarisés et sages) montre a contrario quelles sont les attentes en matière de prise de parole politique « jeune » sur « le malaise des banlieues » et le peu de chances qu’ont ceux de « la galère » de pouvoir y répondre. Voir G. Mauger et C. Poliak, « La politique des bandes », Politix, 14, 1991 ; O. Masclet, « L’échec d’une mobilisation. L’émergence du quartier comme catégorie politique », Critiques sociales, 5/6, 1994.
-
[41]
Sur l’intensification de la coopération européenne des polices, voir D. Bigo, Polices en réseaux…, op. cit.
-
[42]
Il s’agit d’associations de défense des « sans-papiers » ou des « immigrés », d’intellectuels et surtout des hiérarchies de chaque Église. Voir Y. Gastaud, L’Immigration et l’opinion…, op. cit., p. 177-181. Mais cette mobilisation qui a pour corollaire la conversion générale des protestations publiques depuis les années 1980 à un apolitisme revendiqué (voir A. Collovald et B. Gaïti, « Des causes qui “parlent”… », Politix, 16, 1991 ; O. Fillieule, « Conscience politique, persuasion et mobilisation des engagements », Sociologie de la protestation, Paris, L’Harmattan, 1993) laisse vacante la place pour un débat politique sur l’immigration et la démocratie, la nation, la République.
-
[43]
Par exemple, l’INSEE met au point, à partir de janvier 1996, des dispositifs d’enquête dans lesquels des indicateurs de « violence » sont construits pour évaluer les conditions de vie des ménages et permettre une comparaison avec les autres pays de l’Union européenne. L’analyse arrive au constat intéressant que ceux qui sont le plus exposés à la violence et qui la craignent le plus sont des jeunes hommes de moins de 25 ans. Voir E. Crenner, « Insécurité et préoccupations sécuritaires », Données sociales, 1999.
-
[44]
Elles seront officialisées par la loi en 1999 sous le gouvernement de Lionel Jospin.
-
[45]
J.-M. Berlioz, « La démarche projets de service dans la police nationale », Cahiers de la sécurité intérieure, 2, 1990.
-
[46]
Sur les résistances rencontrées par la mise en place de l’îlotage et renvoyant à la culture professionnelle de la police, voir D. Montjardet, Ce que fait la police. Sociologie de la force publique, Paris, La Découverte, 1996.
-
[47]
Voir F. Ocqueteau, Les Défis de la sécurité privée. Protection et surveillance dans la France d’aujourd’hui, Paris, L’Harmattan, 1997. La FASP, par la voix de son patron, Richard Gerbaudi, demande, dès 1991, après le meurtre de Djamel Chettouh par un vigile à Sartrouville, un débat au Parlement sur la sécurité intérieure prenant des mesures appropriées pour contrôler les officines privées et les polices municipales et définir une politique claire à l’égard des banlieues.
-
[48]
« Sécurité : pourquoi la gauche a changé », explique sur plusieurs pages Libération (27 octobre 1997). « Jean-Pierre Chevènement s’attaque aux zones de non-droit », affirme La Croix (28 octobre 1997).
-
[49]
Pour une critique récente des statistiques sur la « violence », voir L. Mucchielli, « L’expertise policière de la “violence urbaine” », Déviance et Société, 4, 2000.
-
[50]
A. Bauer, par exemple, présenté comme expert, prend position dans les pages « Débats » de Libération (28 janvier 1998) sous le titre : « Violence urbaine : des faits et des pistes ». Il est l’auteur avec X. Raufer d’un Que sais-je ?, Violences et insécurité urbaines (Paris, PUF, 1998) où les thèses les plus radicales sur la question sont exposées.
-
[51]
Le Monde, 8 décembre 1998. La présentation de cette femme commissaire de police, dans laquelle est rappelée sa formation de normalienne, tend à montrer que ce problème est traité de façon « intellectuelle » (à la fois savante et dépassionnée) par ceux qui ont, au sein de la police, en charge de lui trouver une solution. À travers elle, c’est une autre image de la police qui est présentée, moins sujette aux rapports de forces violents, plus réfléchie et « intelligente », ce qui justifie l’écoute de ses analyses, voire la reprise des points de vue qu’elle propose. L. Bui-Trong a écrit de multiples articles sur cette question, mais dans des revues réservées à des « connaisseurs » et des praticiens, voir, par exemple, « Des bandes aux pillages puis aux émeutes : problématiques du maintien de l’ordre », Les Dossiers du CNEF, Gif-sur-Yvette, 1993 ; « L’insécurité dans les quartiers sensibles : une échelle d’évaluation », Les Cahiers de l’IHESI, 14, 1993 ; « Incivilités et violences juvéniles collectives dans les quartiers sensibles », Les Cahiers dynamiques, revue de la protection judiciaire de la jeunesse, 4, 1996.
-
[52]
Par exemple, R. Bousquet, Insécurité : nouveaux enjeux, Paris, L’Harmattan, 1999 ; A. Ballestrazzi avec la collaboration de P. Katz, Madame le commissaire, Paris, Presses de la Cité, 1999 ; C. Pellegrini, Flic de conviction, Paris, Anne Carrière, 1999 ; M. Felkay, Les Interventions de la police dans les zones de violence urbaine, Paris, L’Harmattan, 1999, et Le Commissaire de tranquillité publique, Paris, L’Harmattan, 1999. Commissaire Broussard, Mémoires, Paris, Plon, 1998.
-
[53]
Seuls L’Humanité et Le Parisien ouvrent leurs colonnes à des ethnologues, des psychologues, des travailleurs sociaux, des prêtres ou aux élus des banlieues : tous ceux qui sont depuis longtemps professionnalisés dans l’encadrement des plus démunis et non dans le contrôle ou l’observation de la violence ou des comportements agressifs.
-
[54]
Par exemple, S. Body-Gendrot et N. Le Guennec, Mission sur les violences urbaines, Paris, La Documentation française, 1998 ; « Jeunesse, violences et société », Regards sur l’actualité, 243, juillet-août 1998 ; Affaiblissement du lien social, enfermement dans les particularismes et intégration dans la cité, Paris, rapport officiel du haut conseil à l’Intégration, 1997.
-
[55]
L’absence de l’histoire est symptomatique du durcissement des catégories de pensée et de l’évidence que confère aux problèmes sociaux traités leur seule actualité médiatique et politique. Le recours à cette discipline aurait suffi pourtant, au moins intellectuellement, à montrer combien sont récurrents, depuis la fin du xixe siècle, les problèmes (et leur déploration) supposés devoir leur forme et leur urgence à un présent social déstructuré. Voir le processus de « marchandage collectif par l’émeute » décrit par E. Hobsbawm à propos de la classe ouvrière naissante perçue elle aussi comme dangereuse (« The Machine Breakers », Past and Present, 1, 1952). Sur les « jeunes », voir M. Perrot, « Dans la France de la Belle Époque, les “Apaches”, premières bandes de jeunes », Les Marginaux et les exclus dans l’histoire, Paris, UGE, 1979.
-
[56]
La police a ouvert ses portes aux chercheurs, facilitant ainsi la multiplication des travaux extérieurs à ses propres préoccupations. Voir D. Montjardet, Ce que fait la police…, op. cit.
-
[57]
Le sommaire des numéros des Cahiers de la sécurité intérieure en donne un aperçu. Voir notamment « Jeunesse et sécurité », 5, 1991 ; « La gestion de la crise », 6, 1991 ; « Systèmes de police comparés et coopération », 13 et 14, 1993 ; « Sécurité sans frontière », 1, 1995 ; « Les métiers de l’urgence », 22, 1995 ; « Maintenir l’ordre », 27, 1997 ; « Un péril “jeunes” ? », 29, 1997. En témoignent également quelques exemples de travaux commandités par l’IHESI : J.-P. Grémy, Les Violences urbaines : comment gérer et prévoir les crises dans les quartiers sensibles, février 1996 ; A. Midol, Sécurité dans les espaces publics. Huit études de cas sur des équipements ouverts au public, juin 1996 ; A. Bauer et R. Brégeon, Grands Équipements urbains et sécurité, février 1997 ; J.-P. Grémy, Les Français et la sécurité : trois sondages réalisés en 1996 sur l’insécurité et ses remèdes, octobre 1997 ; M. Aubouin, F. Delannoy et J.-P. Grémy, Anticiper et gérer les violences urbaines, avril 1998.
1Bien qu’il soit déjà présent dans le débat politique de la fin du septennat giscardien, le « problème des banlieues » [1] ne surgit véritablement qu’en 1981. Les incidents spectaculaires des Minguettes placent, en effet, sous le jour inquiétant de « l’émeute » une jeunesse « immigrée » qui, jusque-là, n’avait pas retenu l’attention : la perspective sur l’immigration restait focalisée, en effet, sur les « travailleurs immigrés » victimes, aux yeux de la plupart des contemporains, d’une exploitation sans bornes, de conditions de logement intolérables et d’actes racistes stigmatisés [2]. Depuis lors et tout au long de ces vingt dernières années, toute une série de modifications a affecté à la fois les représentations des commentateurs et hommes politiques et les modalités des actions destinées à faire face au malaise social des banlieues. L’apparition et le succès de la catégorie de « violence urbaine » comme schème de perception et d’action politique en sont un des signes majeurs [3]. C’est l’histoire de sa formation dans le débat public que l’on s’est attaché à esquisser ici en tentant de reconstituer les configurations changeantes des relations qui unissent, divisent et mobilisent de multiples intervenants. On peut distinguer trois phases qui renvoient, chacune, à des contextes sociaux et mentaux différents. Elles forment la trame d’un renversement de perspectives sur le problème social des banlieues, qui en bouleverse les enjeux et en efface les origines politiques : la question de l’immigration et plus précisément celle des jeunes issus de l’immigration.
Du désarroi politique au désarroi moral sur l’immigration (1981-1992)
2Devant les désordres de 1981, pour le nouveau gouvernement socialiste et communiste et bon nombre des journalistes qui l’ont soutenu, c’est l’incompréhension, d’autant plus que les promesses de rénover les grands ensembles et de « changer la ville » sont en cours de réalisation et que des mesures favorables à l’immigration [4] viennent d’être prises.
3Face à ce « fait sans précédent » qui devient immédiatement un enjeu politique majeur inscrit d’emblée sur l’agenda gouvernemental [5], les interprétations se cherchent et les premiers commentaires sont désordonnés. Si certains journaux proches de la droite [6] cadrent leur interprétation sur le cas anglais [7] – il s’agit d’une émeute d’immigrés délinquants et la situation, explosive, est celle de l’apartheid et des ghettos ethniques – et contestent la politique de l’immigration du gouvernement, les autres hésitent entre un complot de l’extrême droite manipulant les « jeunes immigrés » et la révolte de ceux qui vivent dans la misère des habitats délabrés et du chômage. La controverse publique est alors ouverte et animée (des hommes d’Église, des syndicats, des associations de lutte contre le racisme et en faveur des droits de l’homme, des intellectuels, des journalistes et des élus de tous bords interviennent) et la ligne de partage qui sépare la droite et la gauche est sans ambiguïté [8]. Mais si les commentaires journalistiques recoupent, surtout à gauche, les prises de position des hommes politiques, la droite, à l’inverse, apparaît divisée. Le Figaro affiche une position plus radicale que celles, disparates, des membres de l’opposition [9], en diffusant, dans le contexte d’une droite électoralement laminée, les arguments intellectuels d’une droite rénovée (qui emprunte largement, par clubs de réflexion interposés, à la « nouvelle droite » [10]). C’est à cette occasion qu’au-delà des clivages idéologiques, le « malaise des banlieues » est étroitement associé au problème de l’immigration et que cette association s’impose chez les journalistes comme chez les responsables politiques, à droite comme à gauche, même si, à gauche, ce n’est pas sans réticence. Les incidents de Vénissieux en 1983 cristallisent, en les renforçant, ces interprétations et leur marquage politique [11]. La marche « pour l’égalité contre le racisme » des Beurs d’octobre à décembre 1983, puis le mouvement SOS Racisme en 1984 attestent, à leur façon, que l’enjeu renvoie bien alors au racisme dont les jeunes « immigrés » sont l’objet et que la solution passe par la mobilisation politique, autonome ou non, des principaux intéressés [12].
4L’intérêt retombe ensuite jusqu’en 1990 (une dizaine d’articles par an dans la presse), accaparé par un débat politique sur l’immigration d’une autre ampleur et focalisé sur d’autres « problèmes » : controverse en 1986 sur la « loi Pasqua » et le code de la nationalité, qui consacre le consensus parlementaire de 1984 entre la gauche et la droite classique, sur la division entre immigration régulière et clandestine et, avec lui, la vision juridique et morale de son traitement ; controverse encore et plus animée, à partir des présidentielles de 1988 à propos de « la préférence nationale » brandie par un Front national qui paraît s’enraciner dans la vie politique et gagner toujours plus d’électeurs. Si la polarisation du débat sur l’immigration et la présence persistante du FN sur la scène politique nationale perturbent le jeu politique établi en suscitant des alliances et des stratégies antérieurement impensables, elles perturbent également les commentaires en faisant apparaître de nouveaux interprètes et de nouvelles interprétations : l’ensemble des prises de position journalistiques, intellectuelles et politiques s’en trouve partiellement redéfini.
5La mobilisation est, en effet, intense : elle regroupe hommes politiques, syndicalistes, défenseurs de la cause « immigrée », mais aussi journalistes, historiens, politistes, sociologues, tous affectés dans leur pratique pour des raisons différentes par l’apparition du FN. Ils le sont d’autant plus qu’ils le perçoivent comme un défi à la démocratie traduisant, en propositions racistes et xénophobes, un mal être social. Des surveillances croisées s’instaurent sur les déclarations perçues comme autant d’actes de foi démocratique ou antidémocratique et tracent une nouvelle ligne de démarcation. Elle brouille le clivage droite-gauche et rend possibles des discours jusque-là inaudibles : promesses électorales locales de lutte contre « l’immigration », justifications au nom du réalisme politique de tractations ou de reclassements avec le FN, « démonstrations » de l’impossibilité culturelle de l’assimilation d’immigrés venus du Sud, sondages où l’immigration est présentée comme un facteur de délinquance, sondages auparavant considérés comme « racistes » [13]. Si jusqu’alors les « immigrés » étaient présentés comme victimes du racisme, notamment celui de l’extrême droite, leur simple présence semble maintenant devoir encourager un vote FN ou l’expression d’un « autoritarisme » populaire propre à faciliter le ralliement à Jean-Marie Le Pen d’une fraction de l’électorat communiste. Des enquêtes électorales sont lancées sur ce sujet et largement commentées : la « percée » du FN dans les banlieues s’explique par l’anomie qui y règne. Les banlieues auraient viré du rouge au noir ? Qu’importe si, à l’encontre du stéréotype du « gaucho-lepénisme », il n’y a pas de déplacement massif des électeurs communistes vers le FN [14]. Des historiens, des sociologues et des journalistes n’en prophétisent pas moins la « montée des extrêmes », dénonçant le danger d’un populisme, qui gagne aussi bien à droite qu’à gauche, et d’un nationalisme « fermé » bien fait pour ressusciter les vieux démons des années 1930. Souvent conçues du point de vue de l’action politique – quelles solutions préconiser ? que doivent faire les citoyens et les hommes politiques ? –, ces analyses imposent l’idée que, non seulement il y a urgence à agir contre le FN (notamment en trouvant un remède au problème de l’intégration nationale des « immigrés »), mais aussi qu’il est possible de le faire en affrontant ces questions à bras le corps sans se payer des illusions anciennes [15]. Les interrogations sur l’immigration se trouvent alors déportées vers son « assimilation » (voulue ou refusée, réussie ou en échec) [16] et font surgir de nouvelles questions : sur les causes du racisme, le multiculturalisme, l’identité nationale. Ainsi invitent-elles à lire les désordres urbains à travers le prisme des questions de citoyenneté et de participation civique.
6Dans cette configuration intellectuelle et politique renouvelée, seuls, durant cette période, Le Figaro et France Soir continuent à faire du « malaise des banlieues » un sujet de prédilection. À la « une », sous forme d’« édito » ou dans les pages intérieures, sous forme de reportage, « banlieue, immigration et délinquance » sont devenues indissociables. Le thème de « l’insécurité » trouve sa justification dans la découverte répétée de phénomènes à rattacher à la violence urbaine : policiers blessés (1984), violences au collège (1986), attaques d’employés SNCF (1989). Les échauffourées de Vaulx-en-Velin à la fin de 1990 et l’apparition d’incidents similaires dans d’autres villes (Argenteuil, puis, en 1991, Sartrouville, Mantes-la-Jolie, Montfermeil, Grenoble, Épinay) relancent la production médiatique (plus de cent cinquante articles). Succédant à « l’affaire du foulard » de 1989, qui a pris l’allure d’une véritable affaire nationale faisant craindre pour la laïcité républicaine « menacée » par une ethnicisation affichée et un « militantisme intégriste voilé », les commentaires de ces incidents, contemporains de la guerre du Golfe et des craintes largement relayées d’un retour du terrorisme islamique, enregistrent et marquent à la fois une réorientation des interprétations et des actions politiques : « l’émeute » entre définitivement dans le vocabulaire de la description des désordres sociaux dans les banlieues. Par ailleurs, l’interprétation par la dégradation des grands ensembles est démentie par le « soulèvement » de la cité du Mas du Taureau, qui, en 1990, vient d’être entièrement rénovée [17]. La plupart des organes de presse insistent, alors, sur les banlieues et, plus spécifiquement, les « minorités du pire » et leurs actions « violentes ». Les désignant par leur origine ethnique plus que par leur situation sociale au sein des classes populaires en déshérence, ils s’accordent désormais à dire que « l’immigration de seconde génération » pose un véritable problème social et politique, même s’ils lui prêtent des significations différentes. Certains y voient une menace de subversion mettant en danger l’ordre public : ce sont eux qui monopolisent alors le débat.
7Or là, Le Figaro et France Soir sont rejoints par les hebdomadaires dont des éditoriaux jouent sur la peur et l’émotion : « banlieue où le pire est possible » (Le Figaro, 9 octobre 1990), « la poudrière des banlieues » (L’Express, 11-17 octobre 1990), « la première bombe » (L’Événement du jeudi, 11-17 octobre 1990), « la guerre des pierres » ou « l’Intifada » (Le Nouvel Observateur, 18-24 octobre 1990) [18] ; « les banlieues qui font peur à la France », conclut Le Point dans un long reportage (11-17 octobre 1990). Les « voyous » des premiers temps cèdent la place aux « casseurs des ghettos » (Le Nouvel Observateur, L’Express, 22-28 novembre 1990) et aux « classes dangereuses » (Le Nouvel Observateur est le premier à établir, en 1992, la comparaison avec la « jungle » de Los Angeles). Avec de tout autres considérations, National hebdo insiste sur « la poudrière des banlieues » (18-24 octobre 1990), les « banlieues immigrées » (4-10 avril 1991), Aspects de la France sur « le péril jeunes » (30 mai 1991). Si certains évoquent clairement la thèse de la manipulation par des commandos du « milieu » pour déstabiliser la police et ne voient dans les auteurs de troubles que des trafiquants de drogue menant une « guérilla urbaine » (Le Figaro, Le Figaro Magazine font de nombreux dossiers sur la montée de l’insécurité et accusent d’« angélisme » et de laxisme les socialistes au pouvoir), d’autres (Le Nouvel Observateur, L’Événement du jeudi) rappellent néanmoins « la condition » des enfants d’immigrés, tout en évoquant l’économie « souterraine » ou « parallèle » liée à la drogue.
8Le Monde, Libération, L’Humanité, Témoignage chrétien persistent à voir dans ces incidents l’expression d’un malaise social mais, inspirés par l’humeur intellectuelle du moment, les rattachent au problème de l’intégration (les « fils de harkis » sont mis en avant). Même s’ils restent en retrait, comme s’ils trouvaient difficilement leurs marques pour intervenir sur ce sujet, cette redéfinition de la « question des banlieues », tout en s’opérant sur fond d’ébranlement des convictions anciennes et de désarroi moral, leur ouvre la possibilité de critiques mezzo voce à l’adresse de toutes les autorités qui n’ont pas su « discerner et mesurer la gravité du problème ». Dans Le Monde (9 octobre 1990), Robert Solé, éditorialiste, ultérieurement auteur de romans historiques sur l’Empire ottoman (où se mêlent des réflexions sur le multiculturalisme, le fanatisme et le terrorisme), écrit : « La France paie aujourd’hui deux erreurs considérables pour lesquelles il n’est pas facile de désigner les responsables, tant ils sont nombreux. D’abord – c’est une banalité de le dire – un développement irréfléchi des villes qui a été synonyme d’exclusion… Puis une formidable négligence, pendant des années, à propos de l’immigration. Car il ne faut pas se voiler les yeux : dans nombre de banlieues « chaudes », les jeunes qui posent le plus de problèmes, ceux qui sombrent le plus facilement dans la délinquance et le trafic de drogue, ceux qui sont le plus désespérés, appartiennent souvent aux familles immigrées. » Ce « nouveau réalisme » est conforté par la diffusion des usages de la notion de « violences urbaines » dans la presse, mais aussi et surtout chez les sociologues qu’elle sollicite. Les uns comme les autres prennent, en effet, argument de la répétition des incidents et de leur ampleur pour accréditer la notion de « violences urbaines » dont l’histoire commence avec les rodéos des Minguettes [19]. La vision des banlieues oscille maintenant entre deux représentations concurrentielles. La spécificité de ce territoire ne tient plus tout à fait à la précarisation de classes populaires auxquelles appartiennent les populations immigrées (la ségrégation spatiale et l’exclusion sociale étant au principe d’une « inaffectation » sociale propice, chez les plus jeunes, au désœuvrement ostentatoire comme à la délinquance), mais à la composition d’une population où les immigrés sont majoritaires. La dissolution des liens sociaux y serait telle que tous les rapports sociaux en seraient déréglés. Or cette vision nouvelle, qui tend à s’établir comme point de vue professionnel dans la presse, voisine avec celle qui s’ébauche alors – conflictuellement – au sein du gouvernement socialiste. Le ministère de la Ville, créé en décembre 1990, voit ses fonctions définies en termes de traitement « territorialisé » de l’exclusion et des formes locales de délinquance [20], et sa conception est comme hantée par le problème de l’intégration des immigrés [21], qui reste cependant à la charge d’un secrétariat d’État et de secteurs administratifs distincts. La loi d’orientation sur la ville était d’ailleurs initialement labellisée loi « anti-ghetto » [22]. Le changement de dénotation n’est pas indifférent : il signale, chez les responsables socialistes, la tentative d’évacuer ou de contourner l’enjeu politique de l’immigration (du moins celle qui réside en France depuis longtemps [23]). Les propos tenus semblent en effet de plus en plus sujets à des dérapages incontrôlés [24] ou inspirés par des calculs politiques ou électoraux [25]. La conjoncture suivante va en quelque sorte lisser les obstacles qui empêchent les différents points de vue de s’accorder, mais au prix d’un renversement des perspectives modifiant les termes du débat.
Renversement des perspectives et constat sur la « violence urbaine » (1992-1997)
9Les années 1992-1997 sont une période creuse pour la rubrique « désordres urbains » dans la presse : on passe d’une trentaine d’articles en 1992 à une dizaine en 1996, puis à une cinquantaine en 1997. Le Figaro et les hebdomadaires monopolisent toujours le traitement des « problèmes des banlieues », imposant le thème de l’insécurité. Mais un changement se produit : leur vision alarmiste, où le cas américain préfigure les dangers imminents encourus par la société, gagne les autres quotidiens.
10Le Nouvel Observateur (21-27 avril 1995) évoque « les desperados de la banlieue Est » lorsqu’il rend compte du livre de François Dubet et Didier Lapeyronnie, Quartiers d’exil (Paris, Le Seuil, 1992), titre un dossier « la cote d’alerte dépassée » (24-30 novembre 1995) sur les nouveaux incidents dans la banlieue lyonnaise, rappelant qu’il y a eu « 28 explosions de violence en 1994, 3 fois plus qu’en 1993 ». « Les banlieues ont cassé dans Paris », annonce Le Figaro (11 mars 1994) lors de la manifestation lycéenne contre le CIP, les guérillas deviennent incessantes et larvées (Le Figaro, 30 avril 1993), la violence règne dans le métro (« la série noire ») ; l’autorité de l’État est ébranlée et il faut la rétablir [26]. Ils sont maintenant rejoints par les autres journaux. Le Monde, à partir de 1994-1995, évoque, dans ses pages, une police qu’inquiète « la banalisation de la violence urbaine » (21 juillet 1995), des transports publics gagnés par l’insécurité [27], une population délinquante considérablement rajeunie (dès 10 ans, est-il précisé en citant le rapport parlementaire de la commission des Affaires sociales signé par Julien Dray). Libération titre (18 avril 1994) « Banlieue : flambée de violence méthodique autour de Lyon » ; « Scènes de guérilla urbaine », écrit La Croix (15 novembre 1994).
11Des analyses statistiques attestent désormais l’objectivité du phénomène. La dramatisation devient ainsi un mode de traitement routinier des désordres urbains, mais elle trouve maintenant crédit et inspiration dans des rapports de parlementaires ou d’organismes semi-officiels, et des analyses de spécialistes qui confirment la progression de la « violence » et de la « délinquance », leur caractère « inédit » suggérant un changement radical de comportements des jeunes générations.
12Le Figaro présente le rapport de « Banlieuescopie », remis par Adil Jazouli à François Loncle, secrétaire d’État socialiste à la Ville et intitulé « Banlieues : les nouvelles frontières intérieures » (18 novembre 1992) ; il interviewe le rapporteur RPR Guy Larcher sur la loi d’orientation sur la ville (27 avril 1993) [28], puis une spécialiste des violences aux États-Unis, Sophie Body-Gendrot (30 avril 1993) ; à partir de 1996, il cite des chiffres de source policière sur les délits en hausse, le nombre d’agents de la RATP agressés chaque jour. Le Monde s’appuie sur le rapport de Julien Dray [29] et publie des statistiques du ministère de la Justice. Différence des références qui fait la distinction dans la concurrence : peu importe en fait puisque souvent elles sont interchangeables et que l’inspiration et les conclusions sont les mêmes. « Les gosses de la violence », titre L’Express (15 février 1996) : ainsi passe-t-on des « violences urbaines » à la « violence » tout court et c’est cette culture de « la violence » ou cette « culture méchante », selon les mots de François Dubet, qui définit désormais la jeunesse des banlieues. Si Le Figaro évoque « les sauvages » qui envahissent les lieux les mieux préservés (les banlieues, mais aussi les centres des villes, l’école, les transports publics), s’il insiste, le premier là encore, sur « les incivilités » et leurs dangers, la thématique est largement reprise dans tous les organes de presse.
13La distinction ne passe plus par la reconnaissance ou la contestation de l’existence et de la signification d’actions violentes, mais par la désignation de ceux qui sont réputés en être les auteurs : « les jeunes immigrés » pour les uns, « les jeunes » pour les autres. À droite comme à gauche, dans la presse la plus mobilisée comme dans celle qui était restée jusqu’alors réservée, la parole est donnée aux élus locaux, aux professeurs « déprimés » et aux chauffeurs de bus qui témoignent des agressions dont ils sont les victimes. Reprise est faite des propos des membres du gouvernement (« zones grises » [30], « zones de non-droit », « insécurité » et « répression renforcée ») véhiculant en contrebande le lexique policier des combats contre les infractions des « immigrés ». Des sociologues sont appelés à donner leur avis sur l’autopsie d’une émeute, l’insécurité urbaine, « la citoyenneté, la civilité et la sécurité » [31] : nouveaux sociologues spécialisés (comme Sébastian Roché) [32] ou sociologues reconvertis dans l’analyse de « la violence » et de « l’insécurité » (comme Hugues Lagrange, François Dubet, Didier Lapeyronnie, Adil Jazouli, Christian Bachmann), ils « expliquent l’insécurité » par des « défauts » ou des « ratés » de la socialisation, qui renvoient à la dislocation de l’autorité parentale, au conformisme déviant à la société de consommation, ou encore à un « handicap socio-violent » [33]. Les styles de vie de cette jeunesse, auparavant perçus comme étranges, deviennent radicalement étrangers aux normes de toute société civilisée [34] et prouvent un « affaiblissement de l’autocontrôle ». Un consensus unissant tous les commentateurs autorisés du « malaise des banlieues » s’instaure ainsi, en dépit des désaccords politiques ou intellectuels, sur le caractère radicalement inédit et pathologique des comportements observés. La conjoncture politique et intellectuelle est propice à cette recomposition du cadre cognitif appliqué aux banlieues (c’est-à-dire aussi à la pauvreté, à l’immigration, à la jeunesse sans avenir) portant à oublier toutes les autres formes de violence, notamment celles subies ou celles retournées contre soi (chômage, insécurité salariale, mauvais traitements, discriminations sociales, aggravation des sanctions pénales, suicide, consommation d’alcool et de drogue).
14La légitimation de la dramatisation comme mode de commentaire des désordres urbains intensifie la compétition dans la presse. Elle se traduit par un renforcement de la division du travail journalistique renvoyant au plus bas de la hiérarchie de l’excellence professionnelle les journalistes et reporters sociaux, de sorte que les observateurs qui « collent » le plus au monde social sont aussi ceux dont le point de vue est le moins susceptible d’être reconnu [35]. Ainsi se creuse l’écart social et politique entre le sommet de la hiérarchie journalistique (qui définit le point de vue à adopter sur l’actualité) et les jeunes sans avenir, immigrés ou non, de la périphérie des grandes villes. L’improbabilité sociale de leur rencontre est redoublée par le désarroi moral qu’elle crée chez ces interprètes lorsqu’ils observent les banlieues et leurs habitants, et qui s’exprime, chez les plus radicaux par l’indignation, chez les plus réservés par la déploration « humaniste », regards éloignés qui, par réduction ou abstraction, ne perçoivent que « ghetto », « désolation » et « surpopulation immigrée », là où résidents, sociologues de terrain, ethnologues, travailleurs sociaux ou journalistes locaux voient d’abord hétérogénéité sociale, difficultés des conditions de vie, formes de sociabilité populaire et diversité des styles de vie [36]. Les alarmes sur la « décivilisation » de la société française nourries par la thématique du multiculturalisme et de la société fragmentée, de la France éclatée et de la République menacée, etc., qui alertent sur « la crise des institutions républicaines » et « la fin du creuset français » confortent la justesse intellectuelle de leur point de vue. Ces représentations, qui trahissent l’inquiétude morale d’une élite intellectuelle souvent proche des univers journalistique et politique, puisent dans tous les événements de l’actualité leurs arguments sur le caractère exceptionnellement menaçant du moment : après « l’affaire du foulard » en octobre 1989, l’attentat de Marrakech en 1994 [37], puis « l’affaire Kelkal » en 1995, valident le danger de l’islamisation des banlieues et du terrorisme [38]. Elles prouvent leur réalisme dans la singularité apparente des attitudes des « jeunes immigrés ». « Agents troubles » [39], tels sont bien ces jeunes « immigrés » et d’abord sans doute parce qu’ils ne sont pas des immigrés, mais des enfants d’immigrés, nationaux d’origine étrangère. Dès lors le retour à l’islam de certains d’entre eux apparaît comme « une inquiétante étrangeté ». Cette identité islamiste « imaginée » apparaît incompréhensible aux yeux des intellectuels qui ont fait des « extrémismes politiques » et du « racisme » leur spécialité, tant elle semble donner raison aux dénonciations du communautarisme ethnique et trouver sa traduction politique dans les succès répétés du FN. En outre, « casseurs », « briseurs de règles du jeu », ces jeunes semblent bien peu aptes à « la citoyenneté » [40].
15L’alternance des forces politiques au gouvernement, leur cohabitation et enfin l’intensification de la coopération européenne ont resserré le champ des possibles en matière de politiques sociales, de politique de la ville et de politique de l’immigration, privilégiant le contrôle des flux migratoires et la lutte contre le terrorisme et imposant, avec les critères de Schengen, le rôle central de la police et de la justice [41]. Les mobilisations de 1993 contre la réforme du code de nationalité et la limitation du droit d’asile par le gouvernement Balladur ou encore contre la « loi Debré » du gouvernement Juppé en 1996 [42] concernent peu le personnel politique (les socialistes sont alors « assommés » par leur défaite législative). En revanche, de multiples collectifs, parfois éloignés de l’activité politique mais le plus souvent liés à l’État, interviennent contre « la violence » et « la délinquance ». Les maires, les syndicats (de la RATP et de l’enseignement), la SNCF, les bailleurs sociaux, les habitants des quartiers concernés manifestent, en effet, publiquement leur lassitude face aux agressions dont ils sont l’objet, font grève ou défilent dans la rue. La couverture de presse dont ils bénéficient contribue à conférer à « la violence » l’allure d’un constat indiscutable hors de tout souci politique ou électoraliste [43]. Cependant des désaccords existent entre observateurs et acteurs politiques (et au sein de chacun de ces groupes), non pas tant sur la définition ou la signification du phénomène que sur ses modalités d’existence et donc sur le type de solutions à mettre en place. Tous voient dans cette violence une mise en cause de l’État et de l’ordre démocratique, mais, alors que la plupart des commentateurs la considèrent comme l’expression spectaculaire d’un dérèglement social, les responsables politiques (ceux de l’État, de l’administration et des organismes qui leur sont liés) l’envisagent d’abord sous l’angle du défi que pose sa visibilité sociale à leur autorité. La violence leur semble liée aux différents « face-à-face » où se trouvent confrontés les représentants les plus proches du « terrain » des différentes institutions étatiques ou para-étatiques et une jeunesse, surtout immigrée, « privée de repères ». Outre les sanctions préconisées et le redéploiement des forces de police, des dispositifs visant à l’endiguer, à défaut de l’éradiquer, ont été imaginés : tous cherchent à agir, en les médiatisant, sur ces interactions. En 1994, des emplois provisoires d’intermédiaires sont mis en place dans les écoles, les collèges et les lycées, à la RATP et à la SNCF : d’abord dénommés « Grands Frères » en référence aux critères ethniques qui prévalent plus ou moins explicitement pour leur recrutement et à l’autorité qu’ils sont supposés exercer vis-à-vis des jeunes fauteurs de troubles, ils deviendront ultérieurement des « médiateurs » occupant des « emplois-jeunes ». D’autres procédures de médiation sont mises en place : maisons du droit et de la justice (apparues en 1990 à l’initiative locale de procureurs et de maires, développées par Pierre Méhaignerie en 1994) [44], police de proximité avec les îlotiers. Ces dispositifs se conjuguent avec la création de multiples observatoires de la violence dont se dotent la plupart des institutions (écoles, RATP, SNCF, habitats sociaux), chargés de recenser les infractions, mais aussi de détecter, grâce à ce savoir accumulé sur les populations « à risques » (notamment les « jeunes » et les « jeunes immigrés »), les moments critiques où tout peut basculer. Ce cadre cognitif, mis en place par les responsables socialistes, appliqué par ceux de droite et informé par une même pensée technocratique, s’inspire des procédures nouvelles de maintien de l’ordre destinées à prévenir des situations conflictuelles et nécessitées par ce qui est apparu comme le problème essentiel : l’explosion de la petite délinquance, attestée par toutes les statistiques officielles.
16Celle-ci semble, en effet, démentir tous les savoirs et savoir-faire constitués et intériorisés : elle échappe aux catégories juridiques ordinairement appliquées, met en crise le travail policier, perturbe l’autorité des maires et, en paraissant obéir à d’autres processus sociaux que la grande criminalité (érosion du tissu social, crise des instances de socialisation et de transmission des normes, famille, école), rend visible l’échec des politiques sociales mises en œuvre et le caractère inopérant de lois moins violées qu’ignorées. La répétition des incidents spectaculaires en banlieue, leur présence à la « une » dans toute la presse, la dramatisation et les analyses qui en sont faites renforcent les convictions politiques et administratives, et confirment rétrospectivement la pertinence du diagnostic des rapports Peyrefitte (1977) et Bonnemaison (1983) sur lesquels se fondait l’orientation sans cesse réaménagée des politiques à l’égard de la délinquance : territorialisation et contractualisation des actions publiques sous l’égide du ministère de la Ville, focalisation sur des publics ciblés (notamment immigrés) en raison de leur propension virtuelle à « l’insoumission au droit » et situés dans les zones de grande vulnérabilité sociale (« les banlieues »). Des tentatives de réformes de la police (« plans locaux de sécurité ») [45] ont accompagné l’instauration d’une politique de la ville pour faire face au « sentiment d’insécurité », mais les mesures adoptées suscitent davantage de critiques que d’adhésion dans les différentes administrations [46] exposées à la violence et auprès des commentateurs.
17Dès 1994, des élus municipaux, de droite comme de gauche, commencent à départager les « jeunes immigrés » entre « intégrés » et « délinquants » et à réclamer des sanctions (économiques et pénales) contre ces derniers et leur famille. Ils ont pris, dès 1991, de multiples initiatives (renforcement des polices municipales, mise en place de systèmes de vidéosurveillance, dénonciations publiques des familles les plus « gênantes » pour l’ordre public local, création de sections « sécurité » pour « prendre la température de la population ») qui échappent au contrôle de l’État et provoquent des remous non seulement parmi les observateurs et acteurs politiques, mais également au sein des administrations (police et justice) qui se sentent soumises à des concurrences illégitimes dans leur rôle de garant de la tranquillité publique [47]. En 1997, le gouvernement socialiste, par la voix du Premier ministre, Lionel Jospin, fait de la lutte contre la délinquance un de ses deux objectifs principaux, puis, lors du colloque de Villepinte en octobre de la même année, reprend le thème de la sécurité au nom des libertés et du combat contre les « inégalités sociales » : il tente ainsi de reprendre l’initiative en cherchant à mettre un terme à tous ces débordements politiques, bureaucratiques et intellectuels et de trouver une solution aux différentes contradictions dans lesquelles il est pris. Sommé de régler ce problème majeur qu’est devenue « la violence » tout en maintenant sa différence et en tenant compte des contraintes européennes, le gouvernement socialiste se doit, au moins symboliquement, de coordonner toutes les procédures politiques et administratives destinées à réduire la délinquance et l’insécurité et leur donner une cohérence sans remettre à l’avant-scène la question brûlante de l’immigration. Ses déclarations qui entérinent la réalité de « la violence délinquante » et le bien-fondé de « l’insécurité » soulignent le retournement symbolique auquel il doit s’obliger pour montrer sa conversion au réalisme politique [48], tout en restant fidèle à ses engagements passés.
Réussite et concurrence des experts (depuis 1998)
18Dès lors, « la violence » n’est plus seulement un problème d’État qui ne peut que rassembler tous ceux qui sont attachés à la continuité de l’autorité étatique et de l’ordre public, quelle que soit leur opinion politique, elle devient aussi le prisme à travers lequel les désordres sociaux sont compris et traités par la presse, l’État, les intellectuels, les experts.
19Plus de cent cinquante articles paraissent en 1998 à propos de la nuit de la Saint-Sylvestre agitée de Strasbourg. Les « unes » se multiplient sur « la » violence, signées par des journalistes politiques. De nouveaux journalistes plus spécialisés (en droit notamment) apparaissent pour couvrir ce thème, souvent dans les pages intérieures des quotidiens. Parallèlement, ceux qui ont fait « flamber Strasbourg » (Le Nouvel Observateur, 8-15 janvier 1998) perdent leur origine sociale et ethnique : Le Figaro (2 janvier 1998) comme La Croix, Libération, Le Nouvel Observateur parlent des « enfants casseurs » et de « la violence des jeunes ». Ils perdent même leur « genre » : la plupart des commentaires notent, en effet, l’émergence de bandes de filles tout aussi violentes que celles des garçons. Le Figaro et Le Monde (14 janvier 1998) insistent sur la violence qui gagne des générations de plus en plus jeunes. « Les nouveaux visages de la violence », titrent Le Figaro (9 janvier 1998), puis Libération (2 novembre 1998).
20Les récits s’arrêtent désormais aux résultats pour constater l’ampleur des dévastations commises, l’impuissance des policiers à les empêcher et à endiguer la déferlante des « émeutes » qui ont l’apparence d’actions collectives organisées et stratégiquement programmées par de jeunes « prédateurs » : la « violence » ainsi présentée, associant définitivement « émeutes » et « délinquance », fait basculer les commentaires vers l’enjeu de la sécurité publique. Après les événements de Strasbourg, la plupart des journaux dissèquent les dissensions entre la police et la justice, le ministre de l’Intérieur et la garde des Sceaux (sur les formes de pénalisation ou les moyens à mettre en œuvre). Prise comme prétexte à articles et jugements, la concurrence entre ministères dominants ne peut que renforcer leur rivalité et faire prendre au sérieux l’objet de leur désaccord : la sanction comme « rappel aux normes » de la société et de la vie démocratique, si bien que la réforme de la justice des mineurs en 1999 (développement du placement précoce des jeunes délinquants, des centres de placement immédiat et des centres d’éducation renforcée) apparaît comme une surenchère de l’administration de la Justice par rapport à la croissance des effectifs policiers, au redéploiement des forces de l’ordre sur le territoire, à leur modernisation, au rapprochement des nouvelles brigades de mineurs avec les citoyens.
21Si la focalisation des journalistes sur les politiques conduites par le gouvernement les légitime en légitimant les questions qu’il se pose, elle contribue plus encore à inscrire la vision technocratique des désordres urbains propres aux responsables hiérarchiques de chacun des secteurs concernés dans leurs commentaires des événements. Ce nouveau cadre cognitif s’accompagne dans la presse d’un usage croissant des informations délivrées par la justice et la police : les statistiques qui soulignent l’accroissement de la délinquance et de la violence viennent étayer les commentaires et justifier la pertinence des problèmes traités [49].
22Les rapports ministériels sont auscultés et présentés aussi bien dans Le Figaro que dans Le Monde (rapport au ministre de l’Intérieur sur les violences urbaines par Sophie Body-Gendrot et Nicole Le Guennec, rapport Sueur, maire d’Orléans, « Demain la ville », présenté au ministre de l’Emploi et de la Solidarité), restreignant l’espace des analystes à quelques experts dont les sociologues spécialistes de la délinquance et de la sécurité, mais aussi des nouveaux venus comme des conseillers en sûreté urbaine [50] ou les commissaires de police (Lucienne Bui-Trong, commissaire de police, est interviewée dans Le Monde, sur son échelle graduée de la violence) [51] qui acquièrent à cette occasion une visibilité sociale inaccoutumée [52]. Le Monde qui consacre, en janvier 1999, des pages entières aux « violences en France » en fait un « enjeu de société », confortant son statut de fait social irréfutable. La publication (c’est alors une nouveauté) de sondages sur le sentiment d’insécurité des Français (Le Nouvel Observateur, Le Figaro) atteste de la gravité de la situation présente, contribue à légitimer les attentes en matière d’ordre et de sécurité et à faire des sanctions les seules solutions politiques possibles au problème posé [53].
23La clôture du pensable et des argumentaires dans une problématique proprement institutionnelle transforme définitivement « le malaise des banlieues ». D’enjeu social et politique, il se métamorphose en une question technique dont l’examen, consacré par les nombreux rapports [54], comptes rendus ou discours officiels, appelle le débat entre experts et dont « le traitement » relève davantage d’une administration sectorisée des « violences urbaines » que d’une politique sociale élargie. Même s’il y a toujours eu quelque arbitraire à opposer « répression » et « prévention », la sanction, désormais, n’est plus simplement répressive : elle devient « la » mesure sociale préventive de tout désordre public. La politique judiciaire est ainsi repensée comme politique de sécurité par anticipation et politique de prévention sociale et morale. Le plus étonnant, dans l’histoire de cette transformation des schèmes mentaux et pratiques qui aboutissent à la constitution de la catégorie de « violence urbaine », n’est pas tant la naturalisation des comportements des groupes populaires les plus vulnérables, mais le recours à la sociologie et non plus à la psychologie comme c’était le cas dans la période antérieure à 1981. Il faut sans doute y voir la part d’héritage culturel des socialistes qui, plus que d’autres partis politiques, ont compté dans leurs rangs et parmi leurs conseillers des universitaires et des intellectuels, sinon férus de sociologie, du moins trouvant en elle les arguments scientifiques à opposer à leurs adversaires dans la concurrence pour l’analyse et l’action sur le monde social. Mais il est également la marque laissée par les différentes conjonctures traversées. La sociologie, parmi toutes les autres sciences sociales [55], s’est trouvée en position d’offrir de nouveaux savoirs et savoir-faire à un monde politique et administratif désorienté par les nouveaux enjeux qu’il devait affronter et à un champ journalistique divisé entre une fraction forte de convictions politiques, mais sans arguments intellectuels, et une fraction intellectuelle, désemparée politiquement et moralement. Cette offre interprétative, portée par des « hommes doubles », à la fois savants et experts, et s’inscrivant dans une internationalisation des connaissances, s’est d’abord vue traduite en une science camérale d’autant plus efficace qu’elle était aussi l’objet de productions scientifiques « autonomes », avant d’être réinvestie par de nouveaux venus, plus enclins à répondre aux demandes institutionnelles. Sous cet angle, le rôle joué par l’IHESI (Institut des hautes études de la sécurité intérieure), créé en 1989 par Pierre Joxe, a été essentiel : la plupart de ceux qui interviennent aujourd’hui sur « le problème des banlieues » et de « la violence » l’ont fréquenté. Cet institut a favorisé une rénovation intellectuelle de la police et de son image. Stratégie d’extension du domaine de compétence des techniques policières et volonté affichée de produire des politiques professionnalisées et sectorisées se conjuguent pour détrôner la Justice du terrain des réflexions sur la sécurité, supplanter l’Équipement dans l’analyse des désordres urbains et rivaliser avec les polices européennes et surtout celles des États-Unis, perçues comme le nec plus ultra de la compétence en ce domaine. Mais l’IHESI (comme auparavant la Recherche urbaine) a été aussi un lieu de recyclage des savoirs sociologiques, d’échanges interdisciplinaires (entre sociologues, politologues, policiers, préfets, maires) et d’importation de conceptions et de savoir-faire pratiques, soit venus des États-Unis et élaborés pour contenir les émeutes raciales des ghettos noirs, soit inspirés du modèle canadien préconisant une « police communautaire » dont la police de proximité est le symbole. S’il a permis ainsi de « sociologiser » des savoirs policiers [56], il a permis aussi de « caméraliser » les recherches financées en les faisant répondre aux questions pratiques que se posent les « décideurs » ou les « acteurs » de la sécurité [57]. Pourtant, la fortune de la vision « policière » des désordres urbains dont témoigne l’usage élargi de la notion de « violences urbaines » tient davantage de la revanche symbolique que du succès pratique. La police n’en monopolise ni l’emploi ni surtout le traitement qui revient à la Justice, comme si elle avait travaillé sans le vouloir à préparer un terrain sur lequel ses concurrents les plus immédiats ne pouvaient que l’emporter.
Notes
-
[1]
Il apparaît dans le registre de l’urbanisme et de la qualité de vie. « Changer la ville, changer la vie », comme le disent aussi bien les socialistes de « la deuxième gauche » que la droite réformatrice.
-
[2]
De la même façon quand il est question de « délinquance », les commentaires comme les photographies de l’époque décrivent « blousons noirs » et « loubards » comme des jeunes issus des classes populaires.
-
[3]
Une partie de ce travail a été financée par la délégation interministérielle à la Ville. Une version abrégée du rapport auquel l’enquête a donné lieu est parue dans les éditions de la DIV en 1999 sous le titre « Violence et délinquance dans la presse. Politisation d’un malaise social et technicisation de son traitement ».
-
[4]
Le 26 mai 1981, le ministre de l’Intérieur, Gaston Defferre, décide de suspendre l’exécution de toute mesure d’expulsion des immigrés. En avril 1981, le père Christian Delorme et le pasteur Jean Costil entreprennent une grève de la faim contre l’expulsion de jeunes immigrés. Un peu plus tard, plus d’une centaine d’intellectuels lancent un appel intitulé « Non à la France de l’apartheid ».
-
[5]
Des mesures d’urgence sont prises, des crédits débloqués pour empêcher le retour de nouveaux « étés chauds ».
-
[6]
« Dans les quartiers à forte densité maghrébine, la situation devient explosive […] Le gouvernement, en supprimant les expulsions d’individus douteux, encourage donc les dévoyés », Le Figaro, 7 juillet 1981. « Les deux tiers des procès-verbaux pour vols, agressions et délits divers sont dressés à l’encontre des jeunes Arabes. Maintenant que Defferre a supprimé les expulsions, ils vont voler nos voitures et violer nos filles », Le Quotidien de Paris, 7 septembre 1981.
-
[7]
Des affrontements se sont déroulés à Brixton en avril 1981 entre policiers et habitants.
-
[8]
Elle est d’ailleurs tout aussi claire sur les politiques sociales, les choix économiques, etc. Voir A. Collovald et B. Gaïti, « Discours sous surveillance : le “social” à l’Assemblée », D. Gaxie (sous la dir. de), Le « Social » transfiguré, Paris, PUF-CURAPP, 1990.
-
[9]
Les ouvrages qu’ils publient alors sur l’immigration témoignent de leur division sur cette question : d’un côté, A. Griotteray, Les Immigrés : le choc, Paris, Tribune libre, 1984, et D. Bariani, Les Immigrés pour ou contre la France ?, Paris, France-Empire, 1985 ; de l’autre, B. Stasi, L’Immigration, une chance pour la France, Paris, Robert Laffont, 1984, et M. Hannoun, Français et immigrés au quotidien, Paris, Albatros, 1985.
-
[10]
Sur les liens entre Le Figaro (notamment Le Figaro Magazine), « la nouvelle droite » et le Club de l’Horloge, voir P.-A. Taguieff, « La stratégie culturelle de la nouvelle droite en France, 1968-1983 », Vous avez dit fascismes ?, Paris, Arthaud-Montalba, 1984.
-
[11]
Sur ces points, voir Y. Gastaud, L’Immigration et l’opinion en France sous la Ve République, Paris, Le Seuil, 2000, p. 488-489.
-
[12]
Le malaise des banlieues suscite des enquêtes sociologiques qui s’interrogent sur l’émergence d’un « nouveau mouvement social » dont « les jeunes immigrés » seraient les nouveaux acteurs. Cette question, inspirée par la problématique de A. Touraine, oriente l’analyse de F. Dubet sur « la galère » (où il répond par la négative), voir La Galère. Jeunes en survie, Paris, Le Seuil, 1987, ou celle de A. Jazouli, L’Action collective des jeunes Maghrébins de France, Paris, L’Harmattan, 1986, puis Les Années banlieues, Paris, Le Seuil, 1992.
-
[13]
Exemple : « Est-il normal que les immigrés aient accès gratuitement à l’école, touchent des allocations familiales quand ils perdent leur emploi, aient des mosquées pour pratiquer leur religion, etc. ? » Pour une analyse de cette levée de l’indicible en matière d’immigration, voir D. Gaxie (sous la dir. de), « Rapport sur l’analyse secondaire des enquêtes d’opinion relatives à l’immigration et à la présence étrangère en France », université Paris I, APRED, 1995.
-
[14]
H. Rey, La Peur des banlieues, Paris, Presses de Sciences Po, 1996.
-
[15]
Cette idée s’impose aux hommes politiques de gauche comme de droite. L’extrême droite, déclare alors Laurent Fabius, « pose les bonnes questions mais apporte de mauvaises réponses ». Pierre Méhaignerie, ministre centriste de l’Environnement, fera pression sur le gouvernement Chirac de 1986 pour maintenir la politique des DSQ impulsée par les socialistes ; elle est envisagée alors comme une réponse aux peurs suscitées par l’immigration et un instrument efficace pour contrer la montée en puissance du FN dans les banlieues.
-
[16]
Les spécialistes de l’immigration débattent alors de la pertinence des notions à employer pour interpréter et expliquer le processus par lequel des immigrés deviennent « français ». Voir G. Noiriel, La Tyrannie du national, Paris, Calmann-Lévy, 1991, et A. Sayad, La Double Absence, Paris, Le Seuil, 1999.
-
[17]
Pour une critique des savoirs mobilisés dans les explications de la délinquance et des violences collectives, voir P. Juhem, « “Civiliser” la banlieue. Logiques et conditions d’efficacité des dispositifs étatiques de régulation de la violence dans les quartiers populaires », RFSP, 1, février 2000.
-
[18]
Ce thème de l’Intifada comme modèle protestataire des banlieues va d’ailleurs inspirer des recherches sociologiques, voir R. Leveau, « Inquiétudes du Sud », Esprit (numéro spécial « Europe de toutes les migrations »), 183, 1992 ; G. Kepel, À l’ouest d’Allah, Paris, Le Seuil, 1994.
-
[19]
Les sociologues appelés à analyser l’histoire des « violences urbaines » ont été parmi les premiers à se mobiliser sur l’affaire des Minguettes. Ils ont été également parmi les premiers à établir un diagnostic expert sur les mesures « anti-été chaud ». F. Dubet, A. Jazouli et D. Lapeyronnie ont cosigné (avec F. Schaller) un rapport pour la MIRE, « L’Opération été 82 » (en 1983). Ils ont cosigné également L’État et les Jeunes, Paris, Éditions ouvrières, 1985.
-
[20]
Voir, par exemple, J.-M. Delarue, Banlieues en difficulté. La relégation, Paris, Syros, 1991. Dès 1981 sont mises en place dans différents secteurs (l’école, notamment, avec les « zones d’éducation prioritaire ») des politiques sociales territorialisées où le nombre d’immigrés est un des principaux critères d’attribution de la qualification et des crédits.
-
[21]
Il est d’ailleurs mis en place au même moment que le haut conseil à l’Intégration avec lequel, comme la DIV (délégation interministérielle à la Ville, créée en 1988) auparavant, il va être en concurrence après une brève alliance. Voir V. Viet, La France immigrée, Paris, Fayard, 1998.
-
[22]
Pour une critique argumentée de ce qualificatif, venu des États-Unis, voir L. Wacquant, « Pour en finir avec le mythe des cités-ghettos », Les Annales de la recherche urbaine, 54, mars 1992.
-
[23]
Ce qui va sans doute avec l’abandon, par le gouvernement Rocard en 1990, de l’inscription du droit de vote des immigrés aux élections municipales lors du débat parlementaire sur l’immigration.
-
[24]
À l’Assemblée nationale, en 1990, Michel Rocard, pour justifier le durcissement du contrôle des flux migratoires, aura cette phrase : « Les sociétés européennes ne peuvent plus accueillir toute la misère du monde. » Elle provoquera quelques remous.
-
[25]
Des hommes de droite et parmi les plus titrés empruntent au lexique du FN pour justifier leurs propositions en matière d’immigration : « invasion » (V. Giscard d’Estaing), « seuil de tolérance » (qui refait à cette occasion surface) ou encore « odeurs » (J. Chirac). Or ces termes (du moins les deux premiers) sont employés au niveau européen pour penser les flux migratoires et leur contrôle. Sur ce point, voir Didier Bigo, Police en réseaux, L’expérience européenne, Paris, Presses de Sciences Po, 1996.
-
[26]
Le Quotidien de Paris (10 mars 1994) titre : « Il faut rétablir l’autorité de l’État dans nos villes », un entretien avec le député RPR Pierre Lellouche.
-
[27]
« Les transports urbains, victimes du malaise de l’insécurité et enjeux du lien social », constate-t-il (3 novembre 1995).
-
[28]
« N’attendons pas la grande peur », déclare Guy Larcher, par ailleurs auteur, en 1992, d’un rapport d’information sur le trafic de drogue dans l’espace de Schengen dans lequel les minorités étrangères et notamment « les jeunes Maghrébins » des banlieues françaises sont montrés du doigt.
-
[29]
Julien Dray, est un ancien leader de « SOS Racisme » reconverti dans le traitement des banlieues. Selon lui, une « logique mafieuse » gagnerait du terrain en banlieue. Cette analyse rejoint celle d’un rapport parlementaire portant, lui, sur les moyens de lutte contre les mafias, élaboré par François d’Aubert dans lequel les banlieues sont désignées comme un des principaux lieux de leur implantation. F. d’Aubert, député PR passé à Démocratie libérale en 1997, spécialiste de la dénonciation de « l’argent sale » (selon le titre d’un de ses ouvrages paru chez Plon en 1993), des fraudes (voir Coup de torchon sur Bruxelles, Paris, Plon, 1999) et plus largement du crime organisé.
-
[30]
Avant d’être employée à propos des banlieues, « zones grises » est une expression utilisée par les services de renseignements pour désigner des régions amazoniennes non contrôlées qui servent aux trafiquants pour la production et le transit de la cocaïne. Voir D. Bigo, Polices en réseaux…, op. cit., p. 302.
-
[31]
Voir S. Body-Gendrot, Ville et violence, Paris, PUF, 1993 ; C. Bachmann et N. Le Guennec, Violences urbaines, Paris, Albin Michel, 1996 ; C. Bachmann et N. Le Guennec, Autopsie d’une émeute. Histoire exemplaire du soulèvement d’un quartier, Paris, Albin Michel, 1997.
-
[32]
S. Roché, Le Sentiment d’insécurité, Paris, PUF, 1993 ; Insécurités et libertés, Paris, Le Seuil, 1994 ; La Société incivile (où il évoque le déclin de l’État), Paris, Le Seuil, 1996 ; Sociologie politique de l’insécurité, Paris, PUF, 1998 (dans lequel il insiste sur la montée de la violence homicide et la « déficience » de la socialisation). Il écrit dans Projet (238, 1994), Le Débat (8, 1995) et des rapports pour les ministères de la Justice et de l’Intérieur sur ces thèmes.
-
[33]
Sur la prégnance de ce constat et la difficulté à le remettre en cause, voir B. Charlot, J.-C. Emin (sous la dir. de), Violences à l’école. État des savoirs, Paris, Armand Colin, 1997.
-
[34]
Mise en scène auparavant réservée à la droite et aux hebdomadaires : ordures jetées par les fenêtres, bâtiments délabrés et « tagués », enfants en pagaille, jeunes qui « zonent » ou « rouillent » au pied des immeubles et qui insultent les passants, voire les agressent physiquement, etc.
-
[35]
Pour une analyse de ce phénomène et de ses effets, voir A. Accardo (sous la dir. de), Journalistes au quotidien, Bordeaux, Le Mascaret, 1995.
-
[36]
Voir, par exemple, D. Lepoutre, Cœur de banlieue. Codes, rites et langage, Paris, Odile Jacob, 1997 ; G. Mauger, « Espace des styles de vie déviants des jeunes de milieux populaires », C. Baudelot et G. Mauger, Jeunesses populaires. Les générations de la crise, Paris, L’Harmattan, 1994 ; G. Mauger, « Disqualification sociale, chômage, précarité et montée des illégalismes », Regards sociologiques, 20, 2001 ; En marge de la ville, au cœur de la société : ces quartiers dont on parle, La Tour d’Aigues, L’Aube, 1997.
-
[37]
Attentat contre des touristes dans lequel sont impliqués des jeunes de la cité des 4 000 de La Courneuve et de la Goutte-d’Or (jeunes issus de l’immigration et jeunes qui n’en sont pas).
-
[38]
Voir G. Kepel, Les Banlieues de l’Islam, Paris, Le Seuil, 1987.
-
[39]
Selon les mots de A. Sayad, « L’immigration et la pensée d’État. Réflexions sur la double peine », S. Palidda (sous la dir. de), Délit d’immigration. La construction sociale de la déviance et de la criminalité parmi les immigrés en Europe, Bruxelles, COST A2 Migrations-CE, 1996.
-
[40]
Il est vrai que la précarité rend improbable toute implication dans des actions collectives conventionnelles (reconnues pertinentes par les acteurs politiques, administratifs ou journalistiques). Les attitudes velléitaires et individualistes, mais aussi la défiance à l’égard de ceux qui accèdent à des responsabilités minent constamment les tentatives d’auto-organisation : ainsi la destinée des promoteurs de SOS Racisme ou de la marche des « Beurs » joue encore comme repoussoir chez une « jeunesse immigrée » cherchant pourtant une voie possible pour se faire entendre. Les représentations dominantes comme les actions publiques menées pour résoudre « ses » problèmes contribuent encore à décourager cette fraction de la jeunesse populaire qui cumule les handicaps sociaux et considère que la politique, c’est surtout « le monde des autres ». L’accueil extrêmement favorable reçu, en 1999, par les promoteurs de « Stop la violence », tous jeunes « Blacks, Blancs, Beurs » des banlieues (scolarisés et sages) montre a contrario quelles sont les attentes en matière de prise de parole politique « jeune » sur « le malaise des banlieues » et le peu de chances qu’ont ceux de « la galère » de pouvoir y répondre. Voir G. Mauger et C. Poliak, « La politique des bandes », Politix, 14, 1991 ; O. Masclet, « L’échec d’une mobilisation. L’émergence du quartier comme catégorie politique », Critiques sociales, 5/6, 1994.
-
[41]
Sur l’intensification de la coopération européenne des polices, voir D. Bigo, Polices en réseaux…, op. cit.
-
[42]
Il s’agit d’associations de défense des « sans-papiers » ou des « immigrés », d’intellectuels et surtout des hiérarchies de chaque Église. Voir Y. Gastaud, L’Immigration et l’opinion…, op. cit., p. 177-181. Mais cette mobilisation qui a pour corollaire la conversion générale des protestations publiques depuis les années 1980 à un apolitisme revendiqué (voir A. Collovald et B. Gaïti, « Des causes qui “parlent”… », Politix, 16, 1991 ; O. Fillieule, « Conscience politique, persuasion et mobilisation des engagements », Sociologie de la protestation, Paris, L’Harmattan, 1993) laisse vacante la place pour un débat politique sur l’immigration et la démocratie, la nation, la République.
-
[43]
Par exemple, l’INSEE met au point, à partir de janvier 1996, des dispositifs d’enquête dans lesquels des indicateurs de « violence » sont construits pour évaluer les conditions de vie des ménages et permettre une comparaison avec les autres pays de l’Union européenne. L’analyse arrive au constat intéressant que ceux qui sont le plus exposés à la violence et qui la craignent le plus sont des jeunes hommes de moins de 25 ans. Voir E. Crenner, « Insécurité et préoccupations sécuritaires », Données sociales, 1999.
-
[44]
Elles seront officialisées par la loi en 1999 sous le gouvernement de Lionel Jospin.
-
[45]
J.-M. Berlioz, « La démarche projets de service dans la police nationale », Cahiers de la sécurité intérieure, 2, 1990.
-
[46]
Sur les résistances rencontrées par la mise en place de l’îlotage et renvoyant à la culture professionnelle de la police, voir D. Montjardet, Ce que fait la police. Sociologie de la force publique, Paris, La Découverte, 1996.
-
[47]
Voir F. Ocqueteau, Les Défis de la sécurité privée. Protection et surveillance dans la France d’aujourd’hui, Paris, L’Harmattan, 1997. La FASP, par la voix de son patron, Richard Gerbaudi, demande, dès 1991, après le meurtre de Djamel Chettouh par un vigile à Sartrouville, un débat au Parlement sur la sécurité intérieure prenant des mesures appropriées pour contrôler les officines privées et les polices municipales et définir une politique claire à l’égard des banlieues.
-
[48]
« Sécurité : pourquoi la gauche a changé », explique sur plusieurs pages Libération (27 octobre 1997). « Jean-Pierre Chevènement s’attaque aux zones de non-droit », affirme La Croix (28 octobre 1997).
-
[49]
Pour une critique récente des statistiques sur la « violence », voir L. Mucchielli, « L’expertise policière de la “violence urbaine” », Déviance et Société, 4, 2000.
-
[50]
A. Bauer, par exemple, présenté comme expert, prend position dans les pages « Débats » de Libération (28 janvier 1998) sous le titre : « Violence urbaine : des faits et des pistes ». Il est l’auteur avec X. Raufer d’un Que sais-je ?, Violences et insécurité urbaines (Paris, PUF, 1998) où les thèses les plus radicales sur la question sont exposées.
-
[51]
Le Monde, 8 décembre 1998. La présentation de cette femme commissaire de police, dans laquelle est rappelée sa formation de normalienne, tend à montrer que ce problème est traité de façon « intellectuelle » (à la fois savante et dépassionnée) par ceux qui ont, au sein de la police, en charge de lui trouver une solution. À travers elle, c’est une autre image de la police qui est présentée, moins sujette aux rapports de forces violents, plus réfléchie et « intelligente », ce qui justifie l’écoute de ses analyses, voire la reprise des points de vue qu’elle propose. L. Bui-Trong a écrit de multiples articles sur cette question, mais dans des revues réservées à des « connaisseurs » et des praticiens, voir, par exemple, « Des bandes aux pillages puis aux émeutes : problématiques du maintien de l’ordre », Les Dossiers du CNEF, Gif-sur-Yvette, 1993 ; « L’insécurité dans les quartiers sensibles : une échelle d’évaluation », Les Cahiers de l’IHESI, 14, 1993 ; « Incivilités et violences juvéniles collectives dans les quartiers sensibles », Les Cahiers dynamiques, revue de la protection judiciaire de la jeunesse, 4, 1996.
-
[52]
Par exemple, R. Bousquet, Insécurité : nouveaux enjeux, Paris, L’Harmattan, 1999 ; A. Ballestrazzi avec la collaboration de P. Katz, Madame le commissaire, Paris, Presses de la Cité, 1999 ; C. Pellegrini, Flic de conviction, Paris, Anne Carrière, 1999 ; M. Felkay, Les Interventions de la police dans les zones de violence urbaine, Paris, L’Harmattan, 1999, et Le Commissaire de tranquillité publique, Paris, L’Harmattan, 1999. Commissaire Broussard, Mémoires, Paris, Plon, 1998.
-
[53]
Seuls L’Humanité et Le Parisien ouvrent leurs colonnes à des ethnologues, des psychologues, des travailleurs sociaux, des prêtres ou aux élus des banlieues : tous ceux qui sont depuis longtemps professionnalisés dans l’encadrement des plus démunis et non dans le contrôle ou l’observation de la violence ou des comportements agressifs.
-
[54]
Par exemple, S. Body-Gendrot et N. Le Guennec, Mission sur les violences urbaines, Paris, La Documentation française, 1998 ; « Jeunesse, violences et société », Regards sur l’actualité, 243, juillet-août 1998 ; Affaiblissement du lien social, enfermement dans les particularismes et intégration dans la cité, Paris, rapport officiel du haut conseil à l’Intégration, 1997.
-
[55]
L’absence de l’histoire est symptomatique du durcissement des catégories de pensée et de l’évidence que confère aux problèmes sociaux traités leur seule actualité médiatique et politique. Le recours à cette discipline aurait suffi pourtant, au moins intellectuellement, à montrer combien sont récurrents, depuis la fin du xixe siècle, les problèmes (et leur déploration) supposés devoir leur forme et leur urgence à un présent social déstructuré. Voir le processus de « marchandage collectif par l’émeute » décrit par E. Hobsbawm à propos de la classe ouvrière naissante perçue elle aussi comme dangereuse (« The Machine Breakers », Past and Present, 1, 1952). Sur les « jeunes », voir M. Perrot, « Dans la France de la Belle Époque, les “Apaches”, premières bandes de jeunes », Les Marginaux et les exclus dans l’histoire, Paris, UGE, 1979.
-
[56]
La police a ouvert ses portes aux chercheurs, facilitant ainsi la multiplication des travaux extérieurs à ses propres préoccupations. Voir D. Montjardet, Ce que fait la police…, op. cit.
-
[57]
Le sommaire des numéros des Cahiers de la sécurité intérieure en donne un aperçu. Voir notamment « Jeunesse et sécurité », 5, 1991 ; « La gestion de la crise », 6, 1991 ; « Systèmes de police comparés et coopération », 13 et 14, 1993 ; « Sécurité sans frontière », 1, 1995 ; « Les métiers de l’urgence », 22, 1995 ; « Maintenir l’ordre », 27, 1997 ; « Un péril “jeunes” ? », 29, 1997. En témoignent également quelques exemples de travaux commandités par l’IHESI : J.-P. Grémy, Les Violences urbaines : comment gérer et prévoir les crises dans les quartiers sensibles, février 1996 ; A. Midol, Sécurité dans les espaces publics. Huit études de cas sur des équipements ouverts au public, juin 1996 ; A. Bauer et R. Brégeon, Grands Équipements urbains et sécurité, février 1997 ; J.-P. Grémy, Les Français et la sécurité : trois sondages réalisés en 1996 sur l’insécurité et ses remèdes, octobre 1997 ; M. Aubouin, F. Delannoy et J.-P. Grémy, Anticiper et gérer les violences urbaines, avril 1998.