Notes
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[1]
L’analyse des mouvements argumentatifs est généralement développée à partir de séquences courtes de discussion, l’anticipation des trajectoires argumentatives futures étant un élément clé de l’« ajustement stratégique » des acteurs en situation de discussion ou dispute (van Emeeren 2010), chaque contre-argument étant destiné à changer l’espace des possibles ouvert par l’argument avancé par l’adversaire (Goodwin 2006).
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[2]
On sait que Jürgen Habermas a fortement contribué à l’entretien de cette opposition (Habermas 1992). Sous l’expression de « politique de la discussion », Sylvain Lavelle a proposé un cadre d’analyse destiné à surmonter l’opposition entre une version réaliste, privilégiant le conflit et la négociation, et une version idéaliste fondée sur des normes universelles de communication publique (Lavelle 2008).
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[3]
Sans développer ici les aspects techniques de l’analyse informatisée, indiquons qu’elle donne lieu à la création d’un répertoire de « grands actants » ou « grands personnages », permettant de lier sous un même nom de multiples désignations (en l’occurrence, « réchauffement climatique », « changement climatique », « effet de serre », « réchauffement de la planète » etc.). Chaque désignation garde sa spécificité mais il est possible de raisonner sur l’ensemble constitué par l’analyste, ce qui accroît les capacités d’exploration et de recoupement du système ainsi capable d’affronter les variations lexicales.
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[4]
Cette conférence mondiale est organisée à l’initiative du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et du Conseil international des Unions scientifiques (CIUS). Dans une déclaration, ses participants appellent tous les gouvernements du monde à « prévoir et prévenir les conséquences possibles de l’action de l’homme sur le climat qui pourraient nuire au bien-être de l’humanité ».
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[5]
Sur l’ensemble des dispositifs de régulation, les modalités d’expertise et de gouvernance du changement climatique à l’échelle mondiale, voir les contributions rassemblées par Rafael Encinas de Munagorri (2009).
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[6]
En 2001, George W. Bush ne reconnaît pas la réglementation des émissions de gaz à effet de serre et affirme son opposition au Protocole de Kyoto. Le sommet sur le développement durable qui se déroule l’année suivante à Johannesbourg est marqué par un climat de pessimisme généralisé : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », déclare le président français, Jacques Chirac. Après avoir été ratifié par 141 pays, dont la Russie en 2004, le protocole de Kyoto entre en vigueur en 2005, sans les États-Unis et l’Australie. En 2007, le quatrième rapport du GIEC renforce encore le niveau d’alerte globale. Le prix Nobel de la paix est attribué à Al Gore et au GIEC.
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[7]
L’Association des Écologistes Pour le Nucléaire créée en 1996 pour promouvoir une « utilisation intelligente du nucléaire » a été régulièrement dénoncée par les antinucléaires comme un « groupe de pression à la solde des nucléocrates ». On peut en tracer assez facilement les activités à travers des conférences et des textes en ligne, et on la retrouve notamment parmi les partenaires de l’association Sauvons le climat.
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[8]
Il faut rappeler que l’appel de Heidelberg, lancé par des scientifiques à l’occasion du sommet de Rio en 1992, s’en prend à « l’émergence d’une idéologie irrationnelle qui s’oppose au progrès scientifique et industriel et nuit au développement économique et social ». La polémique qui a suivi fut d’une virulence comparable à celle qui a marqué la réaction « climatosceptique » aux recommandations du GIEC fin 2009 et début 2010.
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[9]
(Note de la p. 138.) Les usages opposent l’incapacité à maintenir un état de choses – on ne peut pas lutter pour le conserver – et le caractère irrévocable de ce qui a déjà eu lieu.
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[10]
Voir Le Figaro, « Russie : un centre nucléaire à nouveau menacé par le feu », 11 août 2010.
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[11]
L’intérêt de disposer de corpus évolutifs sur la longue durée est bien sûr de pouvoir facilement se replacer dans les conditions d’événements et d’en garder la mémoire (Chateauraynaud 2010).
-
[12]
Faute de place, il est impossible de développer tout le processus de construction de cette « critique interne ». On peut consulter l’ensemble des archives des cahiers de l’association Global Chance (de 1992 à nos jours) sur le site [http://www.global-chance.org] La vidéo de la conférence utilisée comme matériel source se trouve sur ce lien permanent : [http://socioargu.hypotheses.org/1730].
1Dans l’histoire des controverses ou des conflits qui opposent, sur la longue durée, des acteurs dotés de représentations et d’intérêts divergents, il arrive que surgisse un argument qui contraint les protagonistes à une forme d’invention argumentative, soit pour consolider leur position défensive (Mc Evoy 1995, Johnson 2008), soit pour déplacer le jeu des alliances et conquérir ou reconquérir l’assentiment du public (Doury 1997). Les multiples dossiers suivis à l’aide d’outils et de modèles socio-informatiques (Chateauraynaud 2003) permettent d’étudier l’activité argumentative en l’appréhendant à travers de longues séries d’épreuves marquantes. Ces épreuves, qui peuvent prendre la forme de processus d’alerte, de débats publics ou de mobilisations collectives, de querelles d’expertises ou de décisions politiques, rendent manifestes des changements d’état ou des reconfigurations qui suscitent de multiples interprétations de la part des acteurs eux-mêmes. Cette courte contribution propose d’illustrer l’apport de l’étude sociologique des trajectoires argumentatives (Chateauraynaud 2011), à partir du cas emblématique des relations entre le changement climatique et l’énergie nucléaire.
2Le dossier du changement climatique, qui a atteint ces dernières années une sorte d’apogée géopolitique, est le produit d’un long processus critique au cours duquel les acteurs n’ont eu de cesse de mettre en discussion les contraintes argumentatives pesant sur l’interprétation des données rassemblées autour du climat, discussions marquées en outre par un double questionnement décisif : celui de l’irréversibilité du réchauffement climatique d’origine anthropique et de l’impact réel des mesures destinées à infléchir les tendances inférées à travers la modélisation du climat (Dahan-Dalmedico 2007, Edwards 2010). Sans réexaminer la question climatique dans son ensemble, cet article se concentre sur l’un des nœuds des controverses : l’usage de la cause climatique comme argument pour la relance de l’industrie nucléaire civile, industrie en fin de cycle, comme en témoignent, en Europe, les décisions d’allongement de la durée de vie des centrales en activité (Bertel et Naudet 2004). La manière dont les promoteurs du nucléaire enrôlent la cause climatique dans leur dispositif argumentatif a très tôt fait l’objet de critiques et de contestations. Mais cette critique n’a pas immédiatement trouvé ses prises, contraignant les groupes antinucléaires à chercher de nouveaux appuis pour relativiser l’impact du nucléaire dans la diminution des émissions de gaz à effet de serre. Ce qui est intéressant dans ce processus, c’est qu’il ne s’agit pas, ou pas seulement, de la cristallisation de positions et de prises de position déjà faites, mais d’une série de mouvements argumentatifs signalant le déplacement progressif des alliances et des oppositions. On peut dire que, dans cette affaire, les acteurs critiques ont mis un certain temps pour trouver leur prise [1]. C’est donc un exemple de choix pour présenter et mettre en discussion la notion de trajectoire argumentative utilisée ces dernières années en sociologie pragmatique (Cézanne-Bert et Chateauraynaud 2010). Une trajectoire argumentative peut être définie comme le chemin parcouru par un argument ou un ensemble d’arguments à travers une série d’épreuves dans lesquelles se définit, à travers des controverses ou des polémiques, sa portée dans des arènes publiques, de sorte qu’il pourra, le cas échéant, être repris par des acteurs qui n’ont pas participé à sa genèse. Autrement dit, l’entrée par les trajectoires permet de mettre en exergue les moments de basculement ou de bifurcation, et d’examiner la portée des différents arguments en lice. Loin d’être métaphorique, cette notion de portée fournit un jeu de langage consistant pour saisir, sur des bases empiriques, ce qui fait la « force des arguments » (Chateauraynaud 2007). Une telle démarche pousse à changer d’échelle de description, puisque l’étude des échanges argumentatifs en situation d’interaction n’est plus suffisante. La portée des arguments repose en effet sur un long travail de construction, à travers lequel ils sont testés, critiqués, reformulés. Pour passer d’un contexte ou d’une situation à l’autre, les arguments doivent être capables de résister à la contestation (Doury 2004). L’idée de trajectoire argumentative prend ainsi sa place dans une sociologie des processus critiques, pour laquelle la portée des arguments constitue un des éléments cruciaux des épreuves de forces auxquelles se livrent les acteurs. On est du même coup en mesure de surmonter le grand partage entre une conception de l’activité argumentative comme réalisation d’un idéal de discussion critique et le recours au langage des rapports de forces et des jeux de pouvoir [2].
3Dans le processus politique qui accompagne la généralisation de l’alerte climatique à la fin des années 1990, le nucléaire surgit comme paramètre d’ajustement dans l’espace de calcul commun, à travers lequel se trouve repensés complètement, par de multiples experts transnationaux, les enjeux énergétiques de la planète. Ce processus croise la question de la relance du nucléaire civil qui se pose dans plusieurs pays industrialisés (Lehtonen et Martiskainen 2010). Dans les discours officiels et chez les industriels de l’énergie, on voit alors se former une véritable convergence argumentative, puisque la lutte contre l’effet de serre et la sécurité énergétique tendent à se renforcer mutuellement. Ce qui produit cette formule a priori étonnante : mis au service de la cause écologique globale, le nucléaire peut contribuer à sauver la planète ! Avancée dans de multiples arènes publiques comme une évidence, la contribution du nucléaire à la lutte contre l’effet de serre est progressivement relativisée. Pris de court et faiblement mobilisés à la fin des années 1990, les groupes antinucléaires reconstruisent progressivement leur dispositif critique et s’acharnent à démonter les arguments placés au fondement des nouvelles politiques nucléaires européennes. Si le jeu des arguments ne peut en lui-même changer la structure profonde du conflit, il rend visible le travail politique des acteurs pour redéfinir la hiérarchie des préoccupations et des problèmes publics : avancer le nucléaire comme solution pérenne face au risque climatique global entre en effet en contradiction avec la position du nucléaire comme source majeure de danger pour la planète (Beck 2007), position renforcée à la fois par la catastrophe de Tchernobyl, précédent incontournable dans la critique antinucléaire, et par l’absence de solution politique consolidée en matière de gestion des déchets radioactifs.
Un grand corpus évolutif sur le dossier nucléaire
4Avant d’entrer plus avant dans l’analyse argumentative des rapports entre le nucléaire et le climat, il faut dire quelques mots sur le corpus utilisé. Formé par 3480 documents, soit environ 15 500 pages, ce corpus débute en août 1945 et se termine en octobre 2010. Il rassemble toutes sortes de textes et de discours relatifs au nucléaire civil et à la longue série d’alertes, de controverses, de conflits, d’expertises et de contre-expertises, de lois et de règlements concernant les risques radioactifs, la gestion des déchets nucléaires, les questions énergétiques et la relance des programmes nucléaires. La liste des acteurs qui interviennent dans ce dossier est très hétérogène : experts officiels, militants antinucléaires, contre-experts, responsables politiques et représentants des industriels, syndicalistes, médecins, riverains, magistrats, journalistes ou chercheurs en sciences sociales. Un des intérêts de ce type de corpus est de voir surgir au fil du temps de nouveaux jeux d’acteurs et d’arguments. L’exercice réalisé ici a consisté à sélectionner les textes et les énoncés mettant en rapport le nucléaire et le climat, dans le but de décrire la trajectoire argumentative – et contre-argumentative –, de la promotion du nucléaire comme industrie à faible émission de gaz à effet de serre – et, conjointement, comme ressort d’une « sécurité énergétique ».
5345 textes contiennent un élément contenu dans l’objet CHANGEMENTS-CLIMATIQUES@, lequel réunit un ensemble de désignations différentes dont le score cumulé est de 1135 occurrences, ce qui place cette entité composée au 138e rang des entités du corpus. Par ailleurs, 110 auteurs différents introduisent le thème dans leurs énoncés [3]. Les 5 auteurs les plus prolixes sur le sujet sont le Réseau Sortir du nucléaire (278), le Réseau Action Climat (96), Nicole Fontaine, une ex-ministre de l’industrie (67), Jean Besson, sénateur (59) et l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (54). Pour suivre les transformations successives de la référence au climat dans le dossier nucléaire, on peut regarder l’évolution des configurations discursives dans lesquelles est plongé le thème, les outils socio-informatiques permettant d’en examiner finement toutes les mises en variation. La production des fragments pertinents par le logiciel Prospéro dépassant en taille l’espace maximal alloué à ce texte, les extraits cités sont issus d’un second tri.
Nucléaire et climat : naissance d’un nouvel argument
6Sans refaire l’histoire de l’alerte climatique, des nombreuses controverses, négociations et dispositions auxquelles elle a donné lieu depuis 1987, date de la première conférence mondiale sur le climat à Genève [4], donnons-nous quelques repères utiles pour l’analyse qui va suivre. Les choses s’accélèrent après le protocole de Montréal, premier accord mondial engageant les pays signataires à réduire des émissions de gaz (en l’occurrence les chlorofluorocarbones), avec la création du GIEC (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat) en 1988. En 1992, le Sommet de la Terre réunit à Rio 131 chefs d’État, et produit le fameux Agenda 21, une liste de 2500 recommandations d’action pour le XXIe siècle. Est également élaborée une convention-cadre des Nations Unies qui fixe pour objectif de stabiliser la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Lors de la publication du deuxième rapport du GIEC en 1995, les experts confirment l’influence de l’activité humaine sur le climat, prévoyant un réchauffement climatique moyen de 1 à 3,5 °C d’ici à 2100 ainsi qu’une augmentation du niveau des océans de 15 à 95 centimètres. En 1997, la troisième conférence sur le changement climatique se déroule à Kyoto : le protocole de Kyoto engage les pays industrialisés à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 5,2 % en moyenne d’ici 2012 par rapport au niveau de 1990. Des mécanismes d’échanges flexibles sont inventés pour l’occasion, qui font entrer dans les usages discursifs une nouvelle entité : le « marché du carbone » [5]. La suite de l’histoire du climat, de Bali à Copenhague est, comme on sait, riche en rebondissements (Pooley 2010), mais c’est précisément à partir de 1997 que s’affirme la présence du changement climatique dans le corpus nucléaire [6] :
« Des personnes soucieuses de donner au public une information complète et honnête sur le nucléaire et conscients de l’importance de cette formidable source d’énergie comme moyen de protéger l’environnement se sont rassemblées au sein de l’Association des Écologistes Pour le Nucléaire, pour défendre une utilisation intelligente de l’énergie nucléaire qui, si elle est bien gérée, est particulièrement propre, ne rejette aucun gaz polluant dans l’atmosphère, produit très peu de déchets, consomme moins de matériaux de construction que le solaire ou l’éolien et, contrairement au pétrole, au gaz et au charbon, ne participe pas à l’effet de serre (aucune émission de CO2). »
8Dans la même période, qui correspond aux premiers énoncés concernant le réchauffement climatique, on trouve un argument analogue chez Georges Charpak– ce qui témoigne d’une offensive générale de la part des promoteurs de l’industrie nucléaire, qui ont des projets de nouveaux réacteurs et d’expansion de la filière :
« Aujourd’hui, plus de 430 réacteurs nucléaires dans le monde transforment en électricité 30 % de leur énergie, et le reste, 70 %, réchauffe l’atmosphère ou les océans, ce qui est considérablement moins menaçant que le rejet de gaz carbonique dans l’atmosphère par l’utilisation du charbon ou du pétrole. Ceux-ci contribuent aussi directement au réchauffement de l’atmosphère et des océans, et représentent une menace beaucoup plus grande à long terme, en raison de l’augmentation de l’effet de serre, comme nous le verrons plus loin. »
10La présentation de l’énergie nucléaire comme une énergie propre résulte d’une stratégie de « reconquête de l’opinion » par les industriels de l’atome qui comptent, au début des années 1990, sur un changement global d’attitude des populations. En France, si l’accident de Tchernobyl n’a pas, sur le coup, suscité de nouvelle mobilisation anti-nucléaire, les années 1990 vont être le théâtre d’un redéploiement de la contestation, à la fois sous la forme d’alertes à la radioactivité, lancées par des experts indépendants qui parviennent à conquérir leur place dans les médias, notamment la CRIIRAD (Commission de recherches et d’informations indépendantes sur la radioactivité), la montée des tensions et des conflits autour des projets de stockage de déchets nucléaires, la multiplication des opérations de Greenpeace visant à la fois les transports de déchets nucléaires et les installations de retraitement, et le retour de plus en plus prégnant du précédent de Tchernobyl et de ses conséquences à long terme. Si le climat n’est pas encore un sujet majeur de mobilisation au-delà de quelques cercles d’acteurs spécialisés, dans cette première période, la relation établie entre le nucléaire et la réduction des émissions de CO2 semble s’imposer comme une évidence indiscutable.
11Dans le dossier nucléaire vu de France, la montée en puissance du projet de nouveau réacteur, EPR (European Pressurized Reactor), suit une courbe très proche de celle de l’argument climatique. Dès la mise en discussion du réacteur, destiné à permettre la transition entre les centrales en activité et les réacteurs du futur, on trouve des énoncés qui rapprochent les deux séries. Ainsi, dans l’introduction d’un débat de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (OPESCT), Jean-Yves Le Déaut, député socialiste, lance quelques questions qui ont vite été qualifiées comme autant de questions rhétoriques :
« Devons-nous rester une grande puissance nucléaire ? Le nucléaire constitue-t-il toujours la meilleure solution pour assurer notre indépendance énergétique et le respect des normes de rejet de gaz à effet de serre ? Telles sont les questions qui sous-tendent les choix qui devront être faits sur l’EPR. Avouez que les responsables politiques, face à de telles responsabilités, ont tout intérêt à s’entourer du maximum d’avis, et que des journées comme celle d’aujourd’hui sont absolument nécessaires si l’on veut par la suite éviter l’apparition de fractures entre les décideurs et les populations concernées. »
13La critique antinucléaire, dans cette même période, est encore assez démunie pour contrer la formule du « nucléaire sauveur du climat ». Outre la rareté relative des blocs argumentatifs qui s’attaquent directement à cette providentielle connexion – la France étant un pays très nucléarisé, elle émet moins de CO2 que les autres –, la manière dont deux personnalités connues pour leur engagement de longue date dans la lutte antinucléaire, Michèle Rivasi (physicienne et militante) et Hélène Crié (journaliste) contournent l’argument climatique est fort instructive. On relève notamment l’usage d’une formule concessive :
« […] il est aujourd’hui de bon ton de défendre le nucléaire parce qu’il ne rejette pas de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Grâce à son énorme parc de centrales nucléaires, la France contribue moins que les autres pays occidentaux au dérèglement climatique. Passons sur le fait que cet argument permet opportunément à la France de ne pas déployer beaucoup d’efforts pour diminuer son trafic automobile, grand responsable de ses émissions de gaz à effet de serre. Reste que brandir l’innocuité du nucléaire dans les changements climatiques, c’est échanger la peste contre le choléra. L’atmosphère ira mieux, merci, mais la terre et les hommes, dans l’histoire ? Un débat national pesant les avantages et les inconvénients des choix énergétiques français serait donc bienvenu. »
15Parmi les arguments montants dans la période qui mène du début des années 1990 aux années 2000, il faut compter les énergies renouvelables, en particulier l’éolien, qui s’installent graduellement dans l’espace de calcul des experts et des militants :
« Pour des investissements identiques, l’éolien fournit une quantité d’énergie supérieure (jusqu’au double en 2010), en créant beaucoup plus d’emplois répartis sur tout le territoire. Il permet, pour une production d’électricité plus importante, d’éviter la production, le traitement et la surveillance de déchets nucléaires pendant des décennies. Ses performances sont identiques dans la lutte contre l’effet de serre et l’indépendance énergétique qu’il procure est totale. Cette étude montre qu’un objectif de 10 % de la production de courant électrique éolien en 2020 est parfaitement réalisable sur la base des technologies actuelles. »
17En mai 1999, Lionel Jospin, alors Premier ministre, demande à Jean-Michel Charpin, commissaire au Plan, Benjamin Dessus, alors directeur d’un programme sur le développement écologique au CNRS et René Pellat, haut-commissaire à l’énergie atomique, un rapport de prospective sur la filière nucléaire (Charpin 2000) : rappelant que leur ambition n’est pas de guider le choix des autorités, ni même d’« influencer l’opinion publique », les auteurs du rapport entendent contribuer au débat démocratique et fournir des « informations vérifiées et des raisonnements explicités en termes techniques, économiques et écologiques » (Charpin 2000 : 10). Le rapport rend manifeste que l’économie du nucléaire change d’aspect et de dimension selon les paramètres retenus pour former les différents scénarios du futur. Aucune version du futur ne permettant d’assurer la supériorité d’une option sur une autre, le choix d’investir dans le nucléaire est présenté comme une affaire essentiellement politique. Mais parce qu’elle est assortie d’une forte irréversibilité, cette option va pousser les opposants à relancer les mobilisations antinucléaires qui s’étaient essoufflées en France, en utilisant trois appuis : l’exemple de l’Allemagne, la puissance des réseaux pour coordonner des actions et fédérer des groupes hétérogènes, et la montée en puissance des énergies alternatives.
L’argument de l’irréversibilité
18L’argument de l’irréversibilité prend ses sources dans la pensée de Hans Jonas, dont les détracteurs font le point d’origine d’une nouvelle figure du catastrophisme (Jonas 1990). L’intérêt de cet argument est qu’il vise précisément à empêcher ce qu’il annonce – ce qui le fait ressembler au fameux argument de la « pente fatale » – : parce que cette option créera des états de choses irréversibles, contraignant la liberté de choix des « générations futures », il faut opter pour des engagements réversibles. Le nucléaire créant de l’irréversibilité – notamment via les déchets radioactifs de longue période –, il faut donc y renoncer et sortir du nucléaire. La réponse des tenants de l’atome va consister à promouvoir une filière capable de retraiter ses déchets et même de générer ses propres combustibles – ce qui redonne un poids considérable dans la controverse au précédent de Superphénix, le fameux surgénérateur de Creys-Malville qui a suscité de fortes mobilisations depuis sa construction à la fin des années 1970 jusqu’à la décision d’arrêt en 1998.
19Quittant le champ philosophique et la dimension prophétique qui le caractérise [8], la question de l’irréversibilité est saisie au début des années 1990 par des économistes qui s’interrogent sur les relations entre modélisations, phénomènes économiques et temps historique (Boyer 1991). L’argument de l’irréversibilité est décliné sous deux formes : soit l’irréversibilité est entendue comme incapacité des acteurs à changer un état de choses ou à modifier le cours d’un processus [9] ; soit l’irréversibilité est vue comme impossibilité de retourner au point de départ ou de retrouver la même position par simple inversion de l’action : en effet, une transformation est dite irréversible si une modification symétrique ne permet pas de retrouver l’état initial, ou qu’il n’est absolument plus possible de retrouver le même état (quelles que soit l’ampleur et la gamme de moyens utilisés, comme c’est souvent le cas dans les tentatives de restauration en matière politique). La question de l’irréversibilité peut ainsi doubler la trajectoire d’un problème public au point de former le cœur même de la préoccupation des acteurs.
20Si l’on reprend le fil balistique de la critique antinucléaire, on observe un processus de mise en politique du débat sur l’avenir de la filière. Par exemple, au printemps 2001, la presse relate que « les Verts ont fait de l’EPR une question de vie ou de mort » :
« Il n’y aura pas de majorité plurielle et donc de gouvernement si on nous demande de cautionner un seul iota de relance du nucléaire ›, assure Jean-Luc Benhamias des Verts. En bonne politique, Anne Lauvergeon prépare donc sa campagne. En privé, elle rode son slogan : ‹ Le nucléaire n’est pas la solution, mais il n’y a pas de solution sans nucléaire. › Traduction : si la France veut satisfaire ses engagements à Kyoto de réduction des gaz à effet de serre, elle ne peut pas se passer du nucléaire. Et donc de l’EPR. À partir de septembre, elle entamera une série de débats en province avec plusieurs associations écologiques pour porter la bonne parole. »
22La formule utilisée par Anne Lauvergeon, qui est déjà à la tête de la Cogema, met en évidence une concession – le nucléaire n’est pas la solution – tout en posant un lien insécable entre nucléaire et contrainte climatique. C’est dans cette période de redéfinition des alliances et des lignes de rupture dans le champ politique que le Réseau Sortir du nucléaire entame son ascension dans l’espace politico-médiatique, ce qui va progressivement le placer en position de véritable contre-pouvoir (Beck 2007). Une grande partie de ses interventions consiste à déconstruire les raisons avancées pour relancer le nucléaire :
« Comment accepter d’accumuler une quantité encore plus importante de déchets nucléaires alors que l’on ne sait pas s’en débarrasser ? Le nucléaire est dangereux et coûteux. Il n’est pas une solution à l’effet de serre et est incompatible avec toute idée de développement durable. S’engager dans un nouveau programme nucléaire, c’est paralyser notre avenir énergétique et environnemental pour les 50 prochaines années. »
24Si la connexion entre nucléaire et lutte contre l’effet de serre s’affirme de plus en plus en politique, la question des déchets nucléaires est depuis longtemps au premier rang des arguments critiques de l’énergie nucléaire. La loi de 1991, votée suite à des conflits autour de projets d’enfouissement des déchets, a contraint l’industrie nucléaire à conduire des recherches et à proposer des solutions dont l’acceptabilité reste sous le contrôle du politique (Barthe 2006). Les déchets font unanimement partie des points faibles de la filière nucléaire mais ce sont surtout les points forts qui sont régulièrement mis en avant par ses porte-parole, points forts rarement discutés en tant que tels par les experts officiels et par les universitaires. Ainsi, Ernest Mund, scientifique belge, Directeur de recherches du Fonds national de la recherche scientifique, vante les perspectives de développement de l’énergie nucléaire à l’occasion de rencontres parlementaires françaises, apportant ainsi une incontestable caution internationale :
« Aujourd’hui, quelque 440 réacteurs fournissent environ 17 % de la production d’électricité mondiale. Modeste en termes relatifs, ce pourcentage est non négligeable en termes absolus. Le recours à l’énergie nucléaire permet ainsi de préserver chaque année des centaines de millions de tonnes d’énergies fossiles. En outre, les centrales nucléaires n’émettent aucun gaz à effet de serre. Troisièmement, les réacteurs à eau de conception occidentale sont les installations industrielles les plus sûres du monde actuel. Après une exploitation cumulée de 9500 réacteurs/an, aucun accident grave ne s’est encore produit, entraînant la moindre victime d’une irradiation. »
26L’argument de l’absence d’accident grave occasionné par le nucléaire occidental– si l’on excepte Three Mile Island aux États-Unis en 1979, qui n’a officiellement pas fait de victime humaine mais qui a révélé de graves défaillances techniques et organisationnelles (Llory 1999) – est normalement difficilement tenable dans une configuration politique marquée par l’incertitude et le principe de précaution. Mais ce qui importe, dans le discours officiel, c’est de faire converger tous les arguments positifs aidant à faire du nucléaire un bien en soi. Il faut néanmoins parvenir à éliminer le point faible de l’espace de calcul commun. Les politiques ont alors recours à la rhétorique de la promesse technologique. La recherche va trouver une solution aux déchets, comme l’explique la ministre de la recherche du gouvernement Raffarin lors d’un grand débat national sur l’énergie :
« L’existence d’une voie de gestion satisfaisante des déchets nucléaires, notamment ceux à vie longue et présentant une haute radiotoxicité, est décisive pour l’avenir de l’énergie d’origine nucléaire. Je crois pour ma part que, pour peu que nous apportions des réponses satisfaisantes sur le plan de la santé des populations et de la sécurité des confinements eu égard à l’impact sur l’environnement, cette ressource représentera encore pendant de nombreuses années un des chemins qui s’offrent à nous pour faire face aux enjeux de sécurisation sur le long terme de nos approvisionnements en énergie, c’est-à-dire capable d’assurer notre indépendance énergétique, mais de façon plus et non moins importante pour faire face aux enjeux de développement durable et de réduction des gaz à effet de serre. »
28À partir du début des années 2000, l’argument de la sécurité de l’approvisionnement énergétique est de plus en plus associé à l’argument climatique (Lehtonen 2010). Cette convergence argumentative suscite de nouvelles campagnes des groupes antinucléaires. Ce qui provoque en retour la colère de vieux défenseurs de l’atome, comme la CGT et le Parti communiste français qui dénoncent, figure polémique classique, la désinformation produite par le Réseau Sortir du nucléaire. Ce n’est pas sans euphémisme que le journal L’Humanité rend compte de la polémique. Dans ce qui suit, on voit qu’il met à distance et ne prend pas du tout en charge les énoncés critiques sur le nucléaire :
« Selon ce réseau, ‹ le gouvernement et EDF, pour imposer la construction du réacteur nucléaire EPR, veulent cacher aux citoyens les informations qui leur permettraient de se faire un avis sur ce réacteur ›. Alors que la ministre de l’Environnement, Roselyne Bachelot, estime que le volet transparence nucléaire du futur projet de loi d’orientation sur les énergies donne ‹ plus de pouvoir › à l’autorité de sûreté que dans le texte initial proposé par l’ancien gouvernement de gauche, l’émission Complément d’enquête de Benoît Duquesnes sur France 2, […] a, semble-t-il, emboîté le pas des antinucléaires. Ce qui a amené EDF à rappeler dans un communiqué que ‹ depuis plusieurs semaines, Benoît Duquesnes et ses collaborateurs cherchent par tous les moyens à prouver que la production nucléaire à EDF n’est pas transparente et à agrémenter d’images une démonstration écrite par avance ›, mais on peut s’interroger sur le refus d’EDF de participer à cette émission. Toujours est-il qu’avec les récentes déclarations de l’ancienne ministre Corinne Lepage et de la présidente de Greenpeace Michèle Rivasi, on assiste à un retour en force contre l’énergie nucléaire alors que le réacteur européen à eau sous pression (EPR) est destiné à prendre le relais des cinquante-huit réacteurs qui équipent actuellement les dix-neuf centrales nucléaires françaises. »
30Pour contrer le dispositif de justification utilisé pour relancer le nucléaire à travers la construction de nouveaux réacteurs, a priori tous les arguments sont bons, mais le poids structural de la cause climatique est incontournable et c’est pourquoi elle fait l’objet d’une attention toute particulière :
« Le Réseau ‹ Sortir du nucléaire › appelle l’opinion publique à prendre acte de ce que c’est le réchauffement climatique qui s’attaque au nucléaire, et non l’inverse comme le prétend la propagande orchestrée par EDF, Areva, et les autorités françaises. Après un premier avertissement lors de la canicule 2003, la sécheresse 2005 démontre qu’il faut de toute urgence changer radicalement de politique énergétique : face à la montée en flèche du prix du pétrole et du gaz, et sachant que le nucléaire est condamné par le réchauffement climatique, il faut : – annuler tous les projets de nouveaux réacteurs nucléaires – programmer la fermeture la plus rapide possible des réacteurs nucléaires actuels – développer massivement les économies d’énergie et les énergies renouvelables. »
Un renversement graduel de la charge de la preuve
32À partir de l’année 2005, la critique antinucléaire adopte systématiquement une logique de renversement de la charge de la preuve (Tseronis 2009) : en rassemblant les indices de vulnérabilité du nucléaire, il s’agit de montrer que le changement climatique augmente les dangers du nucléaire, alors même que celui-ci n’apporte pas la preuve de sa fiabilité à long terme, ce qui ferme les ouvertures d’avenir de la filière. Il faut donc investir dans de « vraies alternatives » :
Face à la montée du prix de l’énergie et au réchauffement climatique, la seule voie d’avenir est de mener de front trois chantiers majeurs : – efficacité énergétique – économies d’énergie – développement massif des énergies renouvelables. Le nucléaire, qui ne permet en rien de répondre aux problèmes majeurs auxquels est confrontée la planète, aggrave la situation en ajoutant ses propres problèmes : risques d’accidents, déchets radioactifs, prolifération…
34À la fin de l’année 2007, soit 10 ans après la construction publique d’une convergence entre nucléaire et climat, le Réseau Action Climat publie un livret intitulé : « Face à la menace climatique, l’illusion du nucléaire ». Signé par un ensemble d’organisations écologistes, dont Agir pour l’environnement, les Amis de la Terre, France Nature Environnement, Greenpeace, Le Réseau Sortir du nucléaire, WWF, le document se présente comme « une série de fiches-arguments » visant toutes à établir que « le nucléaire n’est pas une solution au dérèglement climatique » et qu’« au contraire, il constitue un frein aux politiques nécessaires tant au niveau mondial que français », de façon à informer les citoyens des fausses allégations utilisées par « les promoteurs de l’atome » qui « prétextent de la protection du climat pour vendre de nouveaux réacteurs ». Ce document d’une soixantaine de pages organise la converge de tous les contre-arguments utiles à la dissociation de la cause nucléaire et de la cause climatique. La critique reste néanmoins externe et vise surtout à mettre en avant des alternatives allant des « méthodes de sobriété et d’efficacité énergétique » jusqu’au développement des énergies renouvelables. Et les associations d’ajouter dans leur préambule qu’elles espèrent que dans la foulée du Grenelle de l’environnement, « ces arguments toucheront des décideurs français trop souvent enclins à préférer le nucléaire, même contre l’intérêt de la planète ». Le Réseau Sortir du Nucléaire, qui n’a pas participé aux concertations du Grenelle, réengage sur le terrain, en les recontextualisant, les arguments produits par la nébuleuse écologiste :
« La situation dramatique que connaît actuellement la Russie démontre une fois de plus que les réacteurs nucléaires sont très vulnérables aux événements climatiques extrêmes, dont la fréquence augmente avec le changement climatique. Il est donc suicidaire de prétendre utiliser la technologie nucléaire comme ‹ solution › face au changement climatique. En 2003, 1/4 du parc nucléaire français a dû être arrêté à cause de la canicule estivale, qui rendait encore plus dangereuse l’exploitation des réacteurs. En 1999, la centrale nucléaire du Blayais, qui avoisine Bordeaux, a frôlé la catastrophe en raison d’une inondation, et la ville a bien failli être évacuée. »
36Ce dernier argument prend appui sur une actualité brûlante – les agences d’expertise et les médias ont en effet relayé au milieu de l’été 2010 une alerte autour du centre nucléaire russe de Sarov menacé par les flammes [10] –, en l’insérant dans une série d’événements marquants qui ont tous pour propriété de lier le nucléaire à des événements climatiques extrêmes révélant des points de vulnérabilité. Deux précédents sont ainsi rapprochés de l’épisode russe : la tempête de 1999 qui a menacé la centrale nucléaire du Blayais en Gironde, suite au passage des eaux au-dessus de la digue de protection, et la canicule de 2003 qui a conduit à l’arrêt d’une partie du parc pour cause d’assèchement des cours d’eau nécessaires aux circuits de refroidissement. Une telle mise en série était logiquement impossible avant les événements, mais elle anticipe surtout la validité d’une interprétation qui a de plus en plus cours, et selon laquelle le réchauffement climatique se traduit déjà par la multiplication d’événements extrêmes – interprétation présente dans l’affaire suscitée par la tempête Xynthia de février 2010. On voit sur cet exemple comment le travail critique sur la longue durée peut se nourrir d’opérateurs de factualité qui n’étaient pas disponibles. La force des arguments est ici tributaire de la série des épreuves par lesquelles sont passés les actants du dossier : outre les risques d’accident difficiles à faire valoir de manière continue en l’absence de catastrophe tangible, ce sont des puissances destructrices externes qui soutiennent cette partie du raisonnement antinucléaire. On peut rappeler à ce propos une série d’épreuves assez marquantes fin 2002 suite à la révélation de problèmes relatifs à des normes sismiques, qui avaient provoqué une embolie médiatique [11] ce qui se traduit par un usage intensif de la figure du précédent et de celle de la répétition des signes, en vertu de laquelle la catastrophe n’est plus simplement probable mais certaine sans sortie du nucléaire.
Pénétrer la doctrine de l’adversaire pour en démonter les points forts
37Une autre manière de déconstruire l’argument du nucléaire sauveur de la planète consiste à prendre à la lettre l’espace de calcul dans lequel sont coulés les scénarios de l’énergie du futur. Très tôt les contre-experts de Global Chance, emmenés par Benjamin Dessus, s’efforcent de construire les modèles officiels, en rassemblant des données et en partant de l’intérieur du dispositif, en questionnant frontalement l’économie du nucléaire. La force du travail critique opéré n’est pas dans la répétition de mots d’ordre construits autour des points faibles du nucléaire mais au contraire dans la focalisation sur des arguments considérés comme incontestables. Dans une conférence-débat organisée par la société Louise Michel en avril 2010, et dont les moments forts ont été mis en ligne, Benjamin Dessus met en exergue « trois arguments sérieux » avancés par le « lobby pronucléaire » : l’électricité d’origine nucléaire répond à tous les usages puisque l’électricité peut entraîner tout le reste ; un grand programme nucléaire civil au niveau planétaire aura un impact significatif du double point de vue de l’économie des énergies fossiles et des émissions de CO2 ; enfin, la question des réserves d’uranium est un faux problème dès lors que l’on sait traiter les combustibles usés et réutiliser le plutonium : en gros, d’aucuns font du nucléaire une énergie renouvelable [12].
38Benjamin Dessus construit une contre-argumentation autour des noyaux durs de la thèse nucléaire. Une telle attaque des points forts a, selon lui, plus de chances de porter ses fruits qu’une opposition radicale esquivant la discussion argumentée au profit de slogans et de performances publiques – comme les actions orchestrées par Greenpeace. Ainsi, le contre-expert en énergie et environnement montre que les secteurs énergétivores, comme les transports et le chauffage, ne peuvent être couverts par l’électricité sauf à engendrer de nouvelles formes de dépendances technologiques en cascade – contre-argument déjà très présent dans la controverse sur l’avenir des véhicules électriques. Cette limite est liée, dit-il, à la faible capacité du nucléaire à moduler sa production « en suivi de charge ». Benjamin Dessus provoque le rire de la salle lorsqu’il prend l’exemple d’un concert dans un festival au milieu de la Bretagne : s’il faut d’un coup recharger plus de 1000 véhicules électriques, cela suffit pour faire sauter le réseau breton. Alternant les phases argumentatives fondées sur le calcul et le recours à l’argument par l’extrême (argumentatum ad absurdum, Walton 1995), il s’agit pour lui de montrer que l’électricité nucléaire ne peut être la solution ultime aux problèmes énergétiques. Au sujet du deuxième point fort supposé, Benjamin Dessus ironise sur ce qu’il appelle l’urgence d’« un nouveau plan Marshall au niveau mondial pour sauver la planète ». Prenant au sérieux cette hypothèse, il échafaude un scénario selon lequel tous les pays ayant des besoins et des réseaux permettant de distribuer de l’électricité nucléaire y ont accès – les problèmes de sûreté et de géopolitique étant écartés du scénario (ce qui évidemment en fait une hypothèse extrêmement forte) : à chaque fois qu’une centrale thermique est abandonnée, propose-t-il, « on la remplace par une centrale nucléaire et à chaque fois que l’on peut installer une nouvelle unité dans des territoires qui s’y prêtent » – il y a en effet des conditions physiques et géologiques (accès à l’eau, pas de zone sismique majeure, voies d’accès pour les combustibles, etc.). Ce scénario permettrait, dans le meilleur des cas, de passer de 2000 térawatts/heure actuellement à 10 000 térawatts/heures en 2030. Or le secteur nucléaire a tendance à stagner, même à décroître légèrement depuis les 5 dernières années. Malgré quelques commandes et chantiers en cours, tous en retard, le parc américain et européen est en train de vieillir : « On est donc dans une phase de décroissance et il s’agit de passer dans une phase de croissance violente ». L’animateur de Global Chance en tire toutes les conséquences. En supposant que l’on sache faire 50 centrales par an, ce qui pose des problèmes divers, en matière de culture technique, de moyens financiers, le résultat est clair :
« On s’aperçoit qu’en terme d’effet de serre cela représente 6 % des émissions en 2030 selon les prévisions de l’Agence internationale de l’énergie atomique, scénario de référence, et donc l’ordre de grandeur n’est pas gigantesque. Un autre scénario arrive à 4,5 % de CO2 en 2050, ce qui fait environ 3 % des émissions car il n’y a pas que du CO2 dans les gaz à effet de serre. Donc on est sur des pourcents, pas du tout sur quelque chose de majoritaire. Donc même avec un scénario très volontariste qui, industriellement parlant, n’est pas du tout évident à monter, et même si on oublie tous les dangers liés au nucléaire est-ce que le jeu vaut la chandelle ? »
40Au passage la critique utilise un autre argument qui concerne la promesse d’importantes économies de pétrole permises par le nucléaire – puisque à la catastrophe climatique s’ajoute, on le sait, le fameux « peak oil » et la fin du pétrole obligeant la plupart des pays à reconvertir rapidement leur système énergétique :
« J’ai regardé sur 35 ans, on a fait du nucléaire sans obstacle, largement pour faire des économies de pétrole. Si on compare avec des pays européens, la consommation moyenne des Français, on est au-dessus des Allemands qui ont moins de nucléaire que nous, au-dessus des Italiens qui n’ont pas du tout de pétrole, et au-dessus des Anglais qui n’en ont pratiquement pas. »
42Venons-en au troisième point fort : la capacité du nucléaire à valoriser et retraiter les combustibles usés et à les réinsérer dans le cycle de façon à « quasiment créer une énergie renouvelable ». Tout le monde a d’ailleurs en tête l’expérience de Superphénix – installation arrêtée à la fin des années 1990 après bien des déboires, mais dont le dossier n’est pas clos car des ingénieurs ont depuis développé de nouveaux projets de surgénérateurs, les réacteurs dits de quatrième génération s’annonçant comme une filière de « réacteurs à neutrons rapides » :
« Je renais de mes cendres et en plus je suis super ! Jolie expression ! D’accord ! Mais ce n’est vrai que sur le papier. Parce que pour ça il faut construire des centrales qui savent bouffer du plutonium. On nous les promet pour 2040. Il faut 30 ans pour refaire une filière […]. Pour l’instant elles sont dans les cartons, il n’y a pas de prototype à taille industrielle, le dernier étant Superphénix. Mais cela ne suffit pas, il faut encore pouvoir les fabriquer à des coûts raisonnables et c’est tout le problème de la quatrième génération, il faut pouvoir les faire à un coût tel que l’on puisse vendre un peu d’électricité et il faut aussi parvenir à recycler le combustible un certain nombre de fois […] il faut le faire n fois et on a quand même un certain nombre de doutes sur la façon de faire ça. Il faut enfin, et c’est à mon avis le plus difficile, que les opinions publiques soient prêtes pendant une centaine d’années à partir de 2040 à accepter une civilisation du Plutonium. […] On est dans une situation où l’acceptabilité sociale mondiale de ce genre de choses n’a rien d’évident. »
44Pour le critique écologiste, la cause du nucléaire est entendue : du point de vue technique, économique et politique, la démonstration n’est pas faite de la faisabilité et de l’intérêt d’une relance du nucléaire, même en partant des noyaux les plus consolidés, en prenant à la lettre le cœur de la doctrine nucléariste. L’habileté rhétorique du rédacteur en chef de Global Chance est assez remarquable car, au lieu de basculer dans un banal discours antinucléaire, il déclare en substance : le pari du nucléaire est un pari que l’on a le droit de faire, mais compte tenu des conditions de félicité, extrêmement sévères, le pari ne sera pas tenu ! Du coup, la conclusion qu’il tire de ce raisonnement est moins celle qui consiste à exiger la sortie du nucléaire que la disjonction complète, rendue possible par sa démonstration, entre l’argument climatique et la relance du nucléaire. L’inertie du système nucléaire étant trop grande, ce choix technologique n’aidera pas à faire face à l’urgence climatique jugée plus sérieuse qu’elle ne l’était dans les années 1990, au moment où les nucléaristes ont aperçu la fenêtre d’opportunité qu’elle semblait leur ouvrir.
Convergence et divergence argumentative : une pragmatique des transformations
45Si chaque moment de confrontation met aux prises des acteurs dont les points de vue incorporent des propriétés contextuelles et dont la pertinence varie selon les types d’arène publique, l’analyse longitudinale de la production des arguments rend visibles les processus de convergence ou de divergence argumentative. Du point de vue sociologique, cette approche permet de prendre la mesure du degré de renforcement ou d’affaiblissement, de stabilité ou de recomposition des jeux d’acteurs et d’arguments, à la fois sur les plans ontologiques (entités et mondes engagés par les dispositifs argumentatifs), épistémiques (modes de connaissance et degrés de certitude) et axiologiques (principes et valeurs au nom desquels agissent les acteurs). En suivant à la trace les énoncés produits sur le changement climatique dans le dossier nucléaire, on a d’abord constaté l’installation d‘un régime discursif posant comme évidente la supériorité du nucléaire en matière de lutte contre l’effet de serre. La mise en cause de ce qui est présenté comme un nouveau lieu commun est alors passée par un long travail critique puisant à la fois dans des événements marquants (référence aux événements extrêmes comme la tempête de 1999), dans la série des alternatives énergétiques jugées de plus en plus crédibles comme énergies renouvelables, et enfin dans le stock des arguments relatifs au destin des déchets nucléaires. Il s’agit pour les acteurs critiques d’annuler ou de renverser la balance des avantages et des inconvénients. Le parcours proposé, aux points de jonction et de disjonction de deux dossiers complexes (le climat et le nucléaire), mériterait une description bien plus détaillée, mais il vaut aussi et surtout comme illustration de l’apport de la sociologie argumentative à l’étude des trajectoires politiques décrites par les controverses et les conflits. Du point de vue des théories de l’argumentation, il permet à la fois de montrer que la réponse ou l’argumentation défensive n’est pas nécessairement immédiate, disponible dans le contexte d’une discussion critique (van Eemeren 2010) puisqu’elle suppose un travail politique, et d’opérer du même coup un retour critique sur la notion de « répertoire argumentatif » : l’idée que les acteurs auraient à disposition des arguments déjà frayés doit être relativisée ou complétée par une démarche plus diachronique et généalogique, capable de montrer comment se forment et se déforment les appuis argumentatifs des acteurs. De ce point de vue, la référence, en sociologie des mobilisations, à un répertoire argumentatif est aussi problématique que le fameux « répertoire d’action » dans lequel les acteurs n’ont qu’à puiser pour organiser leur lutte (Tilly 2006), alors même que chaque mobilisation crée des disputes sur les actions légitimes et engendre de nouvelles techniques de protestation destinées à déplacer les jeux de contraintes qui pèsent sur la contestation (Chateauraynaud 2011).
46D’un point de vue plus théorique, on sait que les courants qui se rattachent au pragmatisme ont tous maille à partir avec le conséquentialisme (Karsenti et Quéré 2004). Symétriquement, alors que l’argumentation est assez peu développée en tant que telle dans le pragmatisme d’inspiration américaine, beaucoup plus tourné vers l’action et la construction des publics, dans le champ de l’argumentation, la référence à l’« argument pragmatique » ou « argument par les conséquences » est fréquente – d’autant que l’on relève l’usage intensif de ce type d’argument dans les interactions ordinaires (Doury 2004). Dans les controverses autour des technologies (nucléaire, OGM, nanotechnologies), l’argumentation par les conséquences est omniprésente : non seulement elle sous-tend la focalisation des débats sur les risques, mais elle accompagne l’entrée en lice de nouveaux acteurs qui, se sentant légitimement concernés, comptent bien intervenir dans le partage de l’acceptable et de l’inacceptable (Dewey 2003). Le croisement des enjeux climatiques et des enjeux nucléaires a créé de ce point de vue une spirale conséquentialiste sans précédent : pas moyen d’entrer dans la controverse sans examiner, discuter, ordonner et réordonner toute une chaîne de conséquences, impliquées par les actions passées, présentes et futures, de telle sorte que les acteurs ont recours à une forme d’argumentation aux limites, qui méritera un autre texte : la référence continue à la notion de complexité.
Références
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Notes
-
[1]
L’analyse des mouvements argumentatifs est généralement développée à partir de séquences courtes de discussion, l’anticipation des trajectoires argumentatives futures étant un élément clé de l’« ajustement stratégique » des acteurs en situation de discussion ou dispute (van Emeeren 2010), chaque contre-argument étant destiné à changer l’espace des possibles ouvert par l’argument avancé par l’adversaire (Goodwin 2006).
-
[2]
On sait que Jürgen Habermas a fortement contribué à l’entretien de cette opposition (Habermas 1992). Sous l’expression de « politique de la discussion », Sylvain Lavelle a proposé un cadre d’analyse destiné à surmonter l’opposition entre une version réaliste, privilégiant le conflit et la négociation, et une version idéaliste fondée sur des normes universelles de communication publique (Lavelle 2008).
-
[3]
Sans développer ici les aspects techniques de l’analyse informatisée, indiquons qu’elle donne lieu à la création d’un répertoire de « grands actants » ou « grands personnages », permettant de lier sous un même nom de multiples désignations (en l’occurrence, « réchauffement climatique », « changement climatique », « effet de serre », « réchauffement de la planète » etc.). Chaque désignation garde sa spécificité mais il est possible de raisonner sur l’ensemble constitué par l’analyste, ce qui accroît les capacités d’exploration et de recoupement du système ainsi capable d’affronter les variations lexicales.
-
[4]
Cette conférence mondiale est organisée à l’initiative du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et du Conseil international des Unions scientifiques (CIUS). Dans une déclaration, ses participants appellent tous les gouvernements du monde à « prévoir et prévenir les conséquences possibles de l’action de l’homme sur le climat qui pourraient nuire au bien-être de l’humanité ».
-
[5]
Sur l’ensemble des dispositifs de régulation, les modalités d’expertise et de gouvernance du changement climatique à l’échelle mondiale, voir les contributions rassemblées par Rafael Encinas de Munagorri (2009).
-
[6]
En 2001, George W. Bush ne reconnaît pas la réglementation des émissions de gaz à effet de serre et affirme son opposition au Protocole de Kyoto. Le sommet sur le développement durable qui se déroule l’année suivante à Johannesbourg est marqué par un climat de pessimisme généralisé : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », déclare le président français, Jacques Chirac. Après avoir été ratifié par 141 pays, dont la Russie en 2004, le protocole de Kyoto entre en vigueur en 2005, sans les États-Unis et l’Australie. En 2007, le quatrième rapport du GIEC renforce encore le niveau d’alerte globale. Le prix Nobel de la paix est attribué à Al Gore et au GIEC.
-
[7]
L’Association des Écologistes Pour le Nucléaire créée en 1996 pour promouvoir une « utilisation intelligente du nucléaire » a été régulièrement dénoncée par les antinucléaires comme un « groupe de pression à la solde des nucléocrates ». On peut en tracer assez facilement les activités à travers des conférences et des textes en ligne, et on la retrouve notamment parmi les partenaires de l’association Sauvons le climat.
-
[8]
Il faut rappeler que l’appel de Heidelberg, lancé par des scientifiques à l’occasion du sommet de Rio en 1992, s’en prend à « l’émergence d’une idéologie irrationnelle qui s’oppose au progrès scientifique et industriel et nuit au développement économique et social ». La polémique qui a suivi fut d’une virulence comparable à celle qui a marqué la réaction « climatosceptique » aux recommandations du GIEC fin 2009 et début 2010.
-
[9]
(Note de la p. 138.) Les usages opposent l’incapacité à maintenir un état de choses – on ne peut pas lutter pour le conserver – et le caractère irrévocable de ce qui a déjà eu lieu.
-
[10]
Voir Le Figaro, « Russie : un centre nucléaire à nouveau menacé par le feu », 11 août 2010.
-
[11]
L’intérêt de disposer de corpus évolutifs sur la longue durée est bien sûr de pouvoir facilement se replacer dans les conditions d’événements et d’en garder la mémoire (Chateauraynaud 2010).
-
[12]
Faute de place, il est impossible de développer tout le processus de construction de cette « critique interne ». On peut consulter l’ensemble des archives des cahiers de l’association Global Chance (de 1992 à nos jours) sur le site [http://www.global-chance.org] La vidéo de la conférence utilisée comme matériel source se trouve sur ce lien permanent : [http://socioargu.hypotheses.org/1730].