Au terme de cet itinéraire, il est temps de reposer la question du choix et de ses justifications. Ces pages se sont ouvertes par l’affirmation experte de l’impossibilité d’un tel choix par les citoyens et du caractère superflu de justifications cohérentes. « En France, poser le débat moral, ce serait déjà perdre la foi dans la crédibilité et l’efficacité de la dissuasion. » En même temps, « manifester notre scepticisme sur la crédibilité de la dissuasion, c’est faire le jeu de l’adversaire ». Ce serait donc au nom d’une performativité supposée du discours de la crédibilité de la dissuasion qu’il serait dangereux de le mettre en cause. En acceptant ces postulats, on a rendu cette performativité supposée infalsifiable, puisque sa validité ne saurait être mise en question. Par conséquent, l’arme qui la fonde en est devenue irremplaçable. C’est en son nom que citoyens, élus, décideurs, activistes et éducateurs n’ont de choix qu’au sein d’un paradigme de la prolifération, partagé par les voix hétérodoxes. Il suppose une macro-loi de l’histoire, où ces armes et le discours de la dissuasion qui leur est associé vont se répandre. Tout le monde semble avoir accepté que l’arsenal nucléaire national est un objet sacré, le fétiche d’une sécurité rebaptisée « dissuasion ». Il serait intrinsèquement désirable et le mettre en question serait d’emblée inacceptable, ce qui se traduit par le fait que les partisans du changement le sont souvent au nom de la non-prolifération et ne discutent que rarement l’efficacité de la dissuasion nucléaire pendant la guerre froide…
Mise en ligne 06/01/2022