Couverture de EDT_MASSO_2004_01

Chapitre d’ouvrage

Préface

Pages 7 à 10

Note

  • [1]
    J. Lacan, «La formation des analystes à venir» paragraphe de «La chose freudienne ou Sens du retour à Freud en psychanalyse» (1955), in Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p. 435.

Introduction à une métapsychologie de la création

1«Que l’histoire de la langue et des institutions et les résonances, attestées ou non dans la mémoire, de la littérature et des significations impliquées dans les œuvres de l’art, soient nécessaires à l’intelligence du texte de notre expérience, c’est un fait dont Freud, pour y avoir pris lui-même son inspiration, ses procédés de pensée et ses armes techniques, témoigne si massivement qu’on peut le toucher rien qu’à feuilleter les pages de son œuvre. Mais il n’a pas cru superflu d’en poser la condition à toute institution d’un enseignement de la psychanalyse.» [1]

2Pour l’intelligence du texte de notre expérience (clinique), comme l’écrit admirablement Lacan, les sons et les couleurs qui vibrent à même la matière de ce texte d’art nous sont nécessaires. La psychanalyse ne saurait en aucun cas s’appliquer au matériau de la création qu’il soit pictural, scriptural, théâtral, sculptural ou musical mais elle résonne avec ce matériau. Les créations de l’art, on l’a assez dit, échappent tout d’abord à celui qui veut les comprendre. Aussitôt a-t-on fait de donner des explications que nous manquons l’objet même sur lequel nous nous sommes penchés. Celui-là même qui nous donne le tournis à trop s’y approcher car ce qui pointe là c’est la Chose, l’au-delà de l’objet (de la création entre autres) et qui a avoir avec la jouissance. Jouissance du beau ou par le beau qui est bien à l’origine de ce sentiment de vertige ou de «secrète familiarité» (proposition de traduction judicieuse d’Unheimliche par Jean-Pierre Winter). Ce qui bouge secrètement dans l’objet créé et qui nous le rend insaisissable, c’est la Chose qui apparaît comme un objet absolu impossible à atteindre.

3Ce que nous voyons, entendons, lisons ne nous concernent qu’en tant que ça nous regarde. Et on a eu raison d’étudier l’effet des œuvres sur celui qui la reçoit, non sans risque d’ailleurs, afin d’être au plus près de la question du désir. Que me dit l’œuvre de mon désir? Comment le sujet «compathie» avec le créateur c’est-à-dire éprouve ce qu’il reçoit en pleine face de l’auteur d’une œuvre? Voilà des questions sur quoi la psychanalyse a beaucoup à dire sans avoir à y répondre forcément. C’est ce qui maintient d’ailleurs la problématique en débat et le débat, d’actualité. Pour preuve, notre proposition de collectif sur une thématique qui n’en est pas, elle, à sa première épreuve.

4Le travail de l’œuvre est véritablement une scène pulsionnelle et l’objet esthétique interroge d’emblée l’objet psychanalytique; d’où cette rencontre opérante de la création et de la clinique analytique. Il me semble qu’avant d’être un objet esthétique, l’objet est avant tout un objet plastique/psychique produit par la crise psychique de l’état de création. L’après-coup plastique est certainement une prise de conscience psychique du plastique en tant que matière prélevée du psychique. D’où aussi une organisation de l’informe, du monstrueux qui est la matière même de l’angoisse, et qui trouve dans la création, une surface topique ou extra-topique de composition de cette matière informe.

5Parler de métapsychologie de la création suppose de penser la survivance des images au sens du nachleben évoqué par l’historien d’art Aby Warburg et qui interroge les notions freudiennes d’après-coup (nachträglish) et de répétition mais aussi de temporalité psychique, de représentation, du mouvement des traces et de leur remaniement, en somme d’un certain «travail de mémoire ». Il s’agit d’extraire du cours du temps, un motif ancien et comme le dit toujours Warburg «donner forme visible à la présence psychique et au mouvement de l’âme». Donner forme visible à une présence dissimulée dans les plis de la mémoire et qui trouve l’occasion, par le matériau plastique, d’une sortie remarquée en terrain peu familier. Le «choc» de la rencontre sera à la mesure de l’hétérogénéité des matériaux qui s’y confrontent et d’où émergeront de nouvelles formes à partir des motifs anciens. Une forme nouvelle est un événement ancien qui fait l’épreuve d’une rencontre à un temps donné et dont la configuration topique s’en trouve bouleversée. Une compréhension de la réalité des objets en appelle à une pensée des formes qui sont toujours un événement psychique. Les objets de la culture sont une représentation du psychisme et de sa stratification, représentations de notre dedans psychique dont parle Freud dans une lettre à Fliess, chaque œuvre étant une secousse psychique, une animation de la matière par sa psychisation.

6Comment le sujet forme-t-il des objets de culture? Objets qui sont des réalisations effectives des figures de la culture, œuvres de la civilisation qui inscrivent le sujet dans l’Histoire par son histoire et son geste créateur. Il s’agit donc de proposer une réflexion sur la création comme modèle de pensée et modèle d’exploration de ce sujet en crise ainsi que de cet appareil psychique en création. Comment ce mouvement créatif, si fragile en ce qu’il agite la structure psychique nous renseigne-t-il sur la brisure engendrée par les processus psychopathologiques? Une question que ne manqueront pas d’explorer certains des auteurs du collectif.

7Il est ainsi question d’une psychanalyse impliquée dans la culture, une psychanalyse en exploration au lieu même de l’extratopicité psychique construit par le processus du faire-œuvre (cet impératif de faire-œuvre est un engagement pulsionnel important, parfois sur le mode d’un dernier recours). Donc mise en contact et non application, métaphore plutôt qu’analogie, entre-deux plutôt que pont. Ces figures de retournement, figures dites de culture, viennent faire travailler le dedans analytique d’où ces figures sont issues et viennent réinterroger ses outils épistémiques.

8Cet ouvrage collectif se compose de trois parties. Dans une première partie «Introduction à une métapsychologie de la création», les auteurs nous invitent à penser la «création» à partir de la métapsychologie mais on s’aperçoit que c’est du lieu même de la psychanalyse que «art» et «création» sont relevés à la manière de l’anamorphose dans le miroir courbe. Mais ainsi relevés au cœur même de la psychanalyse par son modèle conceptuel qu’est la métapsychologie, on s’aperçoit que ces deux mots (car comme le dit Paul-Laurent Assoun création est le mot qui vient lorsqu’on parle d’art) sont modifiés et prennent des couleurs proprement analytiques. Ainsi est-on tenté de parler, comme le dit JeanMichel Vives dans son article, d’un art de la psychanalyse. «Alors, l’art..., écrit Claude Maillard, L’art est dans la psychanalyse.» Dans un deuxième mouvement, «La psychanalyse à l’épreuve de la création», les auteurs prennent comme pré-textes pour penser une métapsychologie de la création, des objets esthétiques (l’œuvre picturale de Henri Michaux, la musique de Glenn Gould, l’œuvre écrite de F. Klein...). À l’épreuve de ses fictions, nous sommes au plus près du désir du sujet et avons une vue dégagée sur le fantasme et la jouissance. Comment le sujet jouit-il avec ses objets fabriqués par lui pour justement un plus-de-jouir? Enfin, dans un troisième mouvement, nous avons souhaité entendre des créateurs se mettre à l’épreuve de la psychanalyse. Ils s’y risquent et nous proposent des textes inédits. Ainsi, le plasticien et poète Jean-Luc Parant (créateurs de boules) propose un texte intitulé «Je suis aveugle de la terre toute entière», le poète Jude Stefan ce texte-poème «D’un ennui sans rémission» et Nourit Masson-Sékiné, artiste-peintre, un texte sur le Butoh, (danse d’avant-garde japonaise), et sa rencontre avec Kazuo Ohno, grande figure de ce qu’on pourrait appeler un art du silence. Alors mettons à notre tour ce livre collectif sur ces pas de danse : danse rythmée par le tempo de la vie psychique.

Note

  • [1]
    J. Lacan, «La formation des analystes à venir» paragraphe de «La chose freudienne ou Sens du retour à Freud en psychanalyse» (1955), in Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p. 435.
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