Rien de plus équivoque ni, pourtant, de plus communément admis que l’expression « les Lumières ». Attestée sous la plume de Voltaire en 1761, elle ne correspond pas à l’allemand Aufklärung employé par Emmanuel Kant dans son traité de 1784 Qu’est-ce que les Lumières ? L’anglais Enlightenment existe au moins depuis 1669, mais dans le sens spirituel d’illumination. John Locke (1632-1704), qui fut peut-être le premier philosophe des Lumières, ne lui a porté aucune attention. Les termes espagnol et italien – Ilustracíon, Illuminismo – sont des décalques tardifs influencés par le français. À l’échelle de l’Europe, parler des « Lumières » ne signifie donc rien de précis, en particulier quand on aborde la question de leurs rapports avec la religion. Les représentants de l’Aufklärung, défenseurs d’une conception chrétienne, furent plus représentatifs des Lumières que « la minorité athée et matérialiste qui suit Helvétius et d’Holbach » (P.-Y. Beaurepaire). L’opinion de Hegel, selon laquelle l’Aufklärung se serait continûment placée du côté de la théologie, doit toutefois être nuancée. Elle servit aussi à justifier des politiques anticléricales visant la modernisation de l’Église sous l’égide de l’État.
Malgré son imprécision, l’emploi du mot « Lumières » s’est imposé en raison de la force de son contenu métaphorique. Il suggère un contraste entre l’obscurité des siècles passés et la clarté que la philosophie projetait désormais sur le monde. Avec l’essor des Lumières, les religions furent comptées au rang des cultures et le christianisme perdit sa spécificité…