1 La diversité n’est pas un fait nouveau. Toute société est constituée de groupes sociaux et culturels distincts et différents d’autres groupes. La notion de diversité, comme le rappelle Myriam Mony (dans son chapitre), renvoie à des acceptions tant culturelles, sociales, qu’aux situations de handicap ou encore à la question du genre. Elle intègre des modèles familiaux, des pratiques éducatives, des représentations de rôles éducatifs et des représentations de l’enfance fort différents.
2 La Convention internationale des droits de l’enfant de 1989, la Déclaration mondiale sur l’éducation pour tous (dite Déclaration de Jomtien) de 1990, la loi de rénovation de l’action sociale du 2 janvier 2002, la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées du 11 février 2005, le décret sur les établissements et services d’accueil des enfants de moins de 6 ans de 2007, affirment, parmi d’autres textes, le droit à l’éducation, au respect de tous les groupes sociaux et à la participation démocratique des usagers ou de leurs représentants.
3 Le contrat « enfance et jeunesse » de la CNAF a parmi différents objectifs celui d’une « implication des enfants, des jeunes et de leurs parents dans la définition des besoins, la mise en œuvre et l’évaluation des actions ».
4 Dans ces cadres-là, la mission principale des éducateurs est bien d’accompagner l’enfant dans la construction de son identité, dans le respect de son appartenance culturelle et familiale, de sa diversité, de son altérité. Et les professionnels de la petite enfance savent que la construction de l’identité de l’enfant se fait dans la loyauté aux parents.
5 Pourtant, malgré ces textes, au-delà ici ou là de pratiques professionnelles réellement ouvertes à la diversité, nous sommes finalement peu habitués à travailler ces questions. Nous avons davantage appris à penser l’homogène comme naturel et l’hétérogénéité comme un problème. Notre pensée et nos pratiques, notre habitus, sont façonnées par l’héritage et le modèle républicain : une seule pensée, une seule langue – et poisson pour tous le vendredi ! L’égalité républicaine nie les différences en ce sens qu’elles deviennent un déficit à corriger pour mieux s’intégrer.
6 La norme des institutions éducatives en France s’appuie plus ou moins explicitement sur une représentation de la famille occidentale, issue de la classe moyenne, composée d’un couple parental, hétérosexuel. Et la norme théorique conjointe qui façonne les pratiques professionnelles est le primat de la théorie de l’attachement maternel. Le lien mère-enfant y est primordial pour le bon développement de l’enfant (Bowlby, 1951 ; Winnicott, 1975). Il entraîne une assignation des rôles parentaux, survalorise le rôle maternel, sous-estime le rôle paternel. Ces allants-de-soi, ces stéréotypes sociaux, demandent à être lâchés pour pouvoir s’ouvrir sur une réelle prise en compte de la diversité.
7 Reconnaissance et respect de la diversité des familles invitent à la confrontation des normes et des valeurs éducatives entre professionnels et familles, incitent à effectuer des compromis. Les normes professionnelles sont d’ailleurs loin d’être homogènes. L’expérience professionnelle que nous relate Patricia Tintori montre toute la richesse de ce travail de réflexion d’une équipe éducative, facilité un temps par la diversité de professionnels issus de communautés différentes. La période d’adaptation est pensée à double sens, loin des protocoles normatifs qui anesthésient le sens de la rencontre. La culture familiale, indigène, au sens d’extérieure à la culture professionnelle, trouve place au sein de l’institution, à travers une posture du compromis intelligente et sensible, éloignée de toute démagogie.
8 À l’échelle d’un territoire, la ville de Nice, Yveline Arnulf expose le cheminement d’une collectivité territoriale pour permettre aux équipes de professionnels d’intégrer l’accueil des jeunes enfants handicapés. Autrement dit, se déprendre de ses représentations antérieures pour s’approprier un projet volontariste. Accepter d’aller à la rencontre d’enfants et de familles qui s’éloignent de et bousculent notre représentation idéale en ce domaine. Ce travail sur l’acceptation de la diversité nous rappelle que celle-ci n’est ni naturelle ni évidente. Elle nécessite une prise de conscience, des stratégies qui, au final, permettent de renouveler les modalités professionnelles d’accueil de jeunes enfants et de leurs familles.
9 Enfin, l’expérience novatrice de l’association MAMI, présentée par Marianne Jacquemin, invite à faire éclater les encodages administratifs habituels, soit la traditionnelle séparation par classes d’âge, pour ouvrir le groupe d’enfants sur une communauté d’enfants, de jeunes et d’adultes. La diversité culturelle et sociale, la transmission intergénérationnelle sont élargies à d’autres adultes que les seuls professionnels. C’est un projet de vie fort et solidaire qui se raconte ici, où la diversité se décline au pluriel et s’inscrit dans une dynamique de projet qui tisse des liens sociaux entre toutes les générations.
10 Les expériences relatées montrent l’importance pour les équipes de rester ouvertes aux propositions des familles, à leur façon de penser. Aucun n’a le monopole de ce qui est bon pour l’enfant. Toutes ces expériences montrent encore des rôles sociaux professionnels se développant dans une dynamique qui engage une autre définition de la professionnalité. La dissymétrie des rôles professionnels et parentaux tombe pour laisser place à une véritable rencontre, à une éthique de la rencontre (Levinas, 1982 ; Riera Jaume et Ferre Ribot, 2007). Rencontre, relation, réciprocité, frontière, don, solidarité, fraternité, autant de mots qui résonnent pour un curriculum. Trois expériences appelées à nourrir la définition des catégories d’un curriculum. Trois expériences qui, plutôt que de relever les manques, s’appuient sur les ressources et les compétences des enfants et des familles.
BIBLIOGRAPHIE
- BOWLBY, J. 1951. Soins maternels et santé mentale, Genève, OMS.
- LEVINAS, E. 1982. Éthique et infini, Paris, Fayard/Radio France.
- RIERA JAUME, M. ; FERRE RIBOT, M. 2007. « Les cadres de la relation avec les familles : vers la participation des parents », Le Furet, n° 54.
- WINNICOTT, D. W. 1975. Jeu et réalité, Paris, Gallimard.