L’idée de réaliser un marché unique en Europe est le produit d’un curieux mélange d’utopie et de pragmatisme. À partir de l’existence de marchés nationaux, constitués par l’histoire des nations, des sociétés et des économies européennes, il s’agit de créer une autre réalité : ouvrir ces marchés nationaux les uns aux autres, les fusionner les uns dans les autres. Créer un marché commun, c’est donner aux producteurs nationaux l’opportunité d’exporter et d’importer librement sur le territoire des États membres de la Communauté européenne, aux entreprises le droit de s’y établir et d’exercer leurs activités sur un plan transnational, aux travailleurs le droit de s’y déplacer et d’y exercer leur emploi, aux investisseurs l’opportunité d’y placer des capitaux, aux consommateurs la possibilité d’accéder pratiquement aux produits en provenance des autres États membres dans les mêmes conditions que pour les produits nationaux. Rien de plus concret qu’une telle entreprise. Mais elle recèle aussi l’une des plus grandes fictions que le monde ait jamais produite : par la fusion des intérêts économiques, établir « les fondements d’une union sans cesse plus étroite des peuples européens » (préambule du traité CE), meurtris par les déchirures et les dévastations des deux conflits mondiaux. La construction de ce marché se rapporte dès l’origine à une unité et à une stabilité qui ne sont pas données, et que les Communautés européennes se fixent expressément comme buts : l’unité de l’espace économique, qui participe à la pacification du continent européen et présage l’unification sociale et politique de l’Europe…