Je suis arrivée à Dakar en juillet 1962, dans un pays indépendant depuis deux ans, dont l’économie était fragile, où la brève expérience de fédération avec le Mali venait d’être dramatiquement rompue, et qui allait bientôt connaître une grave crise politique aboutissant à l’éviction et à l’emprisonnement du président du Conseil. Mais où le sourire et le rire étaient les choses les mieux partagées, la courtoisie de règle, la sécurité assurée. Après une brève mais intense expérience de travail social dans l’Algérie en guerre, c’était un incroyable bonheur que de recevoir ces dons d’un pays qui m’était inconnu et si différent de ce que j’avais expérimenté jusqu’alors.
En Algérie, j’avais plongé dans la misère des bidonvilles. Par la suite, j’avais travaillé en France dans une équipe de recherche en sociologie urbaine. J’étais envoyée au Sénégal par l’unesco pour une mission aux termes à la fois vagues et ambitieux « d’alphabétisation, d’éducation des adultes et de services sociaux pour les femmes ». De fait, j’étais mise à la disposition d’un service de création récente (octobre 1959), l’animation rurale, à quoi rien ne me préparait (aucune attache rurale en France, pas de formation spécifique) sinon l’expérience d’alphabétisation des adultes et de développement communautaire acquise au service des centres sociaux en Algérie dont on ne dira jamais assez combien les méthodes pédagogiques furent novatrices et l’esprit pionnier. J’allais retrouver à l’Animation rurale au Sénégal le même engagement passionné, le même sentiment d’urgence qu’au service des centres sociaux d’Algérie — certes, et c’était heureux, dans un contexte entièrement différent…