Moses Finley rappelle qu’une des singularités de la démocratie
athénienne était d’être sans média. Agir sur les citoyens supposait de
prendre la parole, personnellement, publiquement. D’une taille incomparable, régis par des mécanismes représentatifs, maillés d’un réseau
de médias dense, rapide et complexe, nos systèmes politiques voient la
prise de parole irrémédiablement soumise aux procédés d’amplification et de formatage rhétorique que sont les médias. On aimerait croire
l’observation banale. La persistance d’une littérature qui ne cesse de
s’esbaudir d’une « communication » politique qui aurait tout récemment imposé aux dirigeants de partis ou de mouvements des contraintes
dont la notion même aurait été étrangère au mouvement ouvrier, à
Gladstone ou Mussolini, incite cependant à appuyer la banalité. Tout
mouvement social est soumis à un impératif qu’on peut nommer communicationnel s’il s’agit de dire, en bonne logique jakobsonienne,
qu’un message doit être porté par des militants locuteurs vers des destinataires à mobiliser, dans un code qui leur soit intelligible et
explicable, et qui fasse sens d’un référent de problèmes à résoudre.
Cette dimension communicationnelle prend des formes socio-historiquement variables. Partie intégrante des « répertoires » d’action elle
est tributaire de données de morphologie sociale affectant d’autres
volets de ces répertoires (alphabétisation, urbanisation, réseaux de communication). La prééminence, en voie d’ébranlement, d’un répertoire
« national-autonome » impose aux mouvements des exigences de justification programmatique, fait de la montée vers une scène nationale un
impératif pour les mobilisations majeures…