Je travaille depuis quelque temps sur la « psychologie historique » d’Ignace Meyerson (Fruteau de Laclos, 2007a ; 2007b). En dépit du grand attrait que j’éprouve pour la visée et les méthodes de cette psychologie, je suis embarrassé par son abstraction. Meyerson est abstrait, au sens où il abstrait l’esprit et ses « fonctions », au premier rang desquelles la fonction d’objectivation, à partir des faits de civilisation ; il prétend trouver dans les fonctions le principe de production des faits. Étant entendu pour le psychologue que l’esprit et ses fonctions s’objectivent, les faits « objectifs » de culture et de civilisation apparaissent, sous son regard, comme du spirituel matérialisé ou socialisé (Meyerson, 1995, p. 31-71). L’opération « psychologique-historique » conduit ainsi à soupçonner partout la présence et l’efficience d’un esprit au travail. Mais, ce faisant, la psychologie historique spiritualise tous les faits sociaux, alors qu’on pouvait espérer qu’elle plongerait l’esprit dans la société, le montrerait confronté à la matière. À tout le moins, venant d’une psychologie qui se voulait compatible avec le marxisme, on se serait légitimement attendu à ce qu’elle montre comment l’esprit lui-même s’édifie à partir de certaines conditions matérielles d’existence – qu’elles soient naturelles ou économiques –, ou encore à partir de certaines situations sociales d’interaction des individus, et des individus avec les institutions. Rien de cela chez Meyerson qui, loin de retracer le mouvement de genèse de l’esprit à partir du concret, de l’expérience vécue par des individus en société, s’emploie à appréhender la doublure du fonctionnement mental dont découlent les faits de culture et de civilisation…