Google détient en France un étrange record. Depuis le 31 décembre 2021, il s’agit de l’entreprise la plus lourdement sanctionnée de l’histoire de l’autorité de protection des données, la CNIL, avec une amende de 150 millions d’euros. Ce record, sans cesse battu depuis 2011, rend compte de la place singulière qu’occupe cette entreprise dans le champ français de la régulation. De fait, par la taille qu’elle acquiert rapidement sur le plan de la capitalisation boursière comme du développement géographique, mais aussi par le caractère atypique de son développement transsectoriel, qui en vient à télescoper une diversité de pôles clés de la régulation (concurrence, télécommunications, audiovisuel, protection des données, etc.), la société de droit californien offre un point d’observation privilégié des dynamiques de ce champ. Elle y fait son entrée au début des années 2000 dans le sillage du développement de l’internet et des acteurs et services de la « nouvelle économie » que le gouvernement, les juridictions et les parlementaires peinent à encadrer. L’arrivée de Google en France coïncide avec la crise de légitimité mais aussi d’efficacité que traversent les institutions publiques face à ces acteurs transnationaux du numérique et aux mutations technologiques qu’ils charrient. En étant situé, très tôt dans son histoire, dans cet espace en recomposition, Google sert ici de traceur des dynamiques nationales et européennes du champ de la régulation. Au travers des conditions d’entrée de cette entreprise américaine et de sa (lente) adaptation, on suit les conditions d’émergence de solutions de régulation inédites via la création d’institutions hybrides, mi-publiques/mi-privées, comme le Forum des droits sur l’internet, qui symbolise alors la vogue de la « corégulation », pour partie d’initiative étatique mais organisée autour de mécanismes de coproduction normative rassemblant acteurs publics et privés…