Le genre mixte de la relation de voyage, qui s’inscrit au carrefour de l’affabulation merveilleuse et du discours authentique, est une pratique réitérée de la comparaison : le voyage est une façon d’entrer en contact avec des cultures, des mythes et des représentations qui mettent le voyageur en tension. Sous l’Ancien Régime, la pratique du récit de voyage suscite également des échanges continuels entre le vraisemblable et le mensonger : le discours du voyageur est toujours l’objet d’une déformation ou d’un embellissement. C’est dans cette perspective de flottement entre deux ordres, le fait et la fiction, que certains romanciers font l’usage de cette forme discursive favorisant presque nativement la cohabitation entre la vérité et la fiction.
Dans l’imposant corpus des voyages imaginaires du xviiie siècle, nous retenons trois textes qui, chacun à sa façon, emblématisent la relation (parfois pathologique) qui unit fiction et vérité : Le voyage forcé de Bécafort, hypocondriaque (1709) de Laurent Bordelon, l’Histoire des Galligènes ou Mémoires de Duncan (1765) de Tiphaigne de la Roche et La découverte australe par un homme volant (1781) de Rétif de la Bretonne. Malgré l’hétérogénéité formelle et thématique de l’ensemble ainsi formé, une préoccupation commune les traverse pourtant : celle de la frontière démarquant l’imaginaire du réel. Ces textes se revendiquent d’une esthétique de l’hybridité, non pour forcer l’effet de réel ou pour flouer le lecteur, mais pour interroger, sur le mode distancié du burlesque ou de la satire, le statut et la fonction du roman prétendument « véritable »…