Il n’est pas facile de parler de Marx aujourd’hui, après les crimes commis en son nom, qui, si on les comptait en millions de morts, ne seraient probablement pas moins nombreux que ceux commis par les nazis. La terreur nazie a duré douze ans (1933-1945), celle de l’empire soviétique soixante-douze ans (1917-1989), exactement six fois plus. Il n’y a pas lieu d’en imputer la responsabilité à Marx, mais d’interroger celle des intellectuels qui se réclamaient de lui. En statuant qu’il n’est pas « marxiste », n’a-t-il pas pris d’emblée ses distances par rapport à toutes les dérives et exactions possibles ?
Évitons donc d’idéaliser ou de diaboliser Marx, pour lui appliquer la même méthode, la même rigueur, les mêmes critères qu’il a développés, peaufinés dans son analyse des faits socio-économiques, politiques et religieux. Quelle est leur pertinence, en particulier, au regard du « réel » des deux totalitarismes en question qui ont marqué le xxe siècle, du goulag stalinien et du camp nazi ? Notre but n’est ni de les mettre en concurrence ni de vouloir déterminer lequel des deux systèmes a été le plus terrifiant, le plus destructeur, mais plutôt d’élucider en quoi l’analyse marxienne est rendue caduque par ce réel-là. La réponse est à chercher, peut-être, dans son entendement du fait économique, du lien social qui en résulte, de la place qu’il est prêt à accorder à l’Autreté radicale, dans sa lecture finalement de la « question juive (Judenfrage) », l’aune à laquelle se mesure toute production discursive des deux siècles écoulés, depuis ce qu’on a coutume d’appeler « la fin de la métaphysique »…
Date de mise en ligne : 14/08/2014.