1 Le sixième sommet des BRICS, qui a réuni les chefs d'État et de gouvernement brésilien, russe, indien, chinois et sud-africain à Fortaleza et à Brasilia les 15 et 16 juillet derniers, s'est traduit, de nouveau, par des prises de position géopolitiques des plus timorées voire ambiguës : qu'il s'agisse de la Syrie, du Mali, du Soudan du Sud, de l'Irak, de l'Ukraine (la Russie était juge et partie !) ou de Gaza, les grands émergents ont réitéré les appels au dialogue et au respect de la souveraineté des États dont ils ont l'habitude.
2 En revanche, ce sommet a été l'occasion de donner forme à leur première réalisation concrète, déjà discutée à leurs réunions de New Delhi en 2012 et de Durban en 2013 : une banque de développement. Cette New Development Bank (NDB) illustre la prééminence chinoise au sein du groupe. Car si la mise de fonds initiale de ses cinq membres est de 10 milliards de dollars chacun, le fait que le siège de la NDB se situe à Shanghai est hautement symbolique. Surtout, dans la réserve de change commune, également mise sur pied au sommet de Fortaleza, la contribution chinoise est de 41 milliards de dollars quand celle des autres se limite à 18.
3Pourquoi des pays émergents en délicatesse avec la Chine en raison de litiges frontaliers comme l'Inde ou de déséquilibres commerciaux chroniques comme le Brésil acceptent-ils sa domination ? En première approximation, pour bâtir un système financier alternatif aux institutions de Bretton Woods dirigées par les Occidentaux et répondant à leurs valeurs et intérêts, comme en témoignent les règles de conditionnalité des plans d'ajustement structurel du FMI et la priorité que la Banque mondiale (BM) accorde à la lutte contre la pauvreté, un objectif rarement mis en avant parmi les pays émergents où les inégalités vont bon train… La NDB devrait d'abord promouvoir le développement des infrastructures des pays émergents eux-mêmes - quitte à laisser la BM à s'occuper de leurs pauvres et à expliquer que la mise en place d'infrastructures (transport, énergie…) est la condition de la lutte contre la pauvreté, même si en fait la classe moyenne en est la première bénéficiaire. Mais les BRICS savent bien que 50 milliards de dollars ne suffiront pas à faire les routes et centrales électriques dont ils ont besoin. De même qu'ils auront beaucoup de mal à se mettre d'accord sur les pays et projets à aider en priorité. Quant à la réserve de change, elle risque aussi d'être insuffisante si une monnaie du groupe est attaquée. D'où une seconde hypothèse suivant laquelle cette initiative a d'abord pour objectif de faire pression sur les Occidentaux (les États-Unis principalement) pour qu'ils reconnaissent aux pays émergents une place dans le système de Bretton Woods plus en accord avec leur poids économique croissant. Cette hypothèse, conforme à l'attachement des BRICS au dispositif onusien (l'Inde et le Brésil frappent à la porte du Conseil de sécurité depuis longtemps), est étayée par le communiqué final du sixième sommet des BRICS appelant les Occidentaux à accepter la réévaluation des droits de vote des émergents - que le FMI a actée en 2010 mais que le Congrès américain refuse de valider.
4Pour les quatre BRIS, la NDB ne reviendrait pas à doter le cinquième, la Chine, d'un nouvel instrument de domination, mais serait une façon d'établir un nouveau rapport de force avec l'Occident. Pékin instrumentaliserait donc moins les autres BRICS que le contraire. Cette hypothèse ne se vérifiera que si les Américains leur reconnaissent enfin une place plus grande dans les instances décisionnelles du système financier international, un des seuls leviers dont Washington dispose pour désamorcer la mobilisation des grands émergents. À défaut, la solidarité anti-occidentale des BRICS augmentera proportionnellement à leur ressentiment.
Bibliographie
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* Association des amis d'Alternatives Internationales
http://alternatives-internationales.fr/page.php?rub=03&srub=11